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#261 Georges Bernard Shaw
Loriane Posté le : 01/11/2014 17:04
Le 2 novembre 1950, à 94 ans meurt Georges Bernard Shaw

à Ayot St Lawrence, Hertfordshire, né à Dublin le 26 juillet 1856, écrivain, critique musical et dramaturge irlandais, essayiste, scénariste, et auteur célèbre de pièces de théâtre. Irlandais acerbe et provocateur, pacifiste et anticonformiste, il obtint le prix Nobel de littérature en 1925.son oeuvres la plus connue est Pygmalion en 1912

En Bref

Issu de la gentry protestante d'Irlande, pratiquement autodidacte, journaliste, il rêve de révolution, rédige le manifeste de la Fabian Society 1884 et prêche l'évangile de l'intelligence satisfaite. L'Impossibilité de l'anarchisme 1891, le Fabianisme et l'Empire 1900 et le Guide de la femme intelligente en présence du socialisme et du capitalisme 1928 dévoilent, sous les complexités économiques et politiques, les jeux du bon sens. Ses premiers romans tournent le dos au romantisme juvénile ; Shaw se fait une réputation d'humoriste mondain. Ses pièces plaisantes le Héros et le Soldat, 1894 ; Candida, 1897 ; On ne peut jamais dire, 1899, comme ses pièces déplaisantes L'argent n'a pas d'odeur, 1892 ; l'Homme aimé des femmes, 1898 ; la Profession de Mrs. Warren, 1902, ses pièces pour puritains le Disciple du diable, 1897 ; la Conversion du capitaine Brassbound, 1900 ; César et Cléopâtre, 1901 reposent sur la même recette : la démonstration de l'hypocrisie prélude à la révolte contre la révolte, ramenant aux satisfactions de la lucidité. Paradoxes et épigrammes émaillent cette marche vers l'ordre retrouvé. L'aspiration croissante à la surhumanité et l'éloge de l'élan vital inspirent l'Autre Île de John Bull 1904, l'Homme et le Surhomme 1905, Major Barbara 1905, le Dilemme du docteur 1906, Androclès et le Lion 1912, En remontant à Mathusalem 1922, Sainte Jeanne 1923. Pygmalion créé en 1913, publié en 1916 est sans doute son œuvre la plus célèbre, qui reprend le mythe en le modernisant : un jeune et riche phonéticien transforme une jolie bouquetière à l'accent faubourien en l'initiant aux règles du beau langage. Devenue élégante et recherchée, Eliza, amoureuse de son Pygmalion, comprend qu'elle n'est pour lui qu'une expérience réussie. Cette réflexion sur le langage comme moyen de la pensée et de la conquête sociale a été popularisée par la comédie musicale My Fair Lady 1964. Bernard Shaw a reçu en 1925 le prix Nobel de littérature et a continué d'écrire jusqu'à sa quatre-vingt-dixième année.

Sa vie

Né à Dublin dans une petite famille de la noblesse protestante le 26 juillet 1856, George Bernard Shaw acquiert une culture littéraire et musicale étendue. À l'âge de vingt ans, il rejoint à Londres sa mère, séparée de son père alcoolique, et s'intéresse à l'économie politique et au socialisme. La lecture de Karl Marx est pour lui une révélation. À côté de son activité de militant politique, il devient critique d'art et de musique, puis critique dramatique et écrit de nombreux essais.
En 1882, il adhère au socialisme. Il est également intéressé par le programme eugénique de Francis Galton de 1883. En 1884, lors de l'exposition de Santé internationale de Londres, il visite le stand du Laboratoire anthropométrique de Galton. Il adhère à la Société eugénique dès 1890. Son eugénisme est de type positif mais rejette les idées hégémoniques de Francis Galton et des autres conservateurs. Le socialisme eugénique de Shaw peut en fait se résumer à deux mesures jugées par lui essentielles : la suppression de la propriété privée et la disjonction radicale du mariage et de la reproduction.
Après avoir tenté en vain de publier cinq romans, George Bernard Shaw s'intéresse à partir de 1892 au théâtre pour lequel il écrit plus de cinquante pièces. Il développe alors un style où sa verve humoristique, mieux mise en valeur, fait de lui un maître incontesté du théâtre anglophone. Dans ses premières pièces, très engagées mais peu jouées, George Bernard Shaw s'attaque aux abus sociaux. La pièce Le Héros et le Soldat, produite en 1894 aux États-Unis, marque le début de sa notoriété internationale.
George Bernard Shaw fréquente la Fabian Society, où il rencontre Charlotte Payne Townshend qu'il épouse en 1898. Atteint de maladie et de surmenage, il réduit son activité politique. Ses succès et son mariage, la même année, mettent fin à sa vie de bohème. Sans jamais cesser de s'intéresser à la politique et aux questions sociales, il se consacre désormais entièrement à ses œuvres, pièces à thèse, où il tourne en ridicule le conformisme social. Son talent et sa renommée sont récompensés par le prix Nobel de littérature en 1925. Il remporte en 1939 un Oscar pour le scénario adapté de sa pièce Pygmalion au cinéma, mais il n'aurait jamais beaucoup estimé cet honneur : on raconte que, chez lui, il se servait de la statuette pour bloquer les portes. Resté très actif tout au long de sa vie, il meurt des suites d'une chute à l'âge de 94 ans.

La personnalité de Shaw, son extraordinaire vitalité, ses écrits politiques, sociaux et philosophiques, surtout son éblouissant théâtre d'idées dominent la scène littéraire anglaise de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Tour à tour romancier, critique littéraire, musical, dramatique, vulgarisateur des idées socialistes, brillant causeur, pamphlétaire paradoxal, réformateur impénitent et surtout auteur dramatique de tout premier plan, il s'imposera à la société anglaise de son temps, à la fois divertie par son humour et son génie comique et irritée par ses prises de position politiques, son didactisme de prophète ou ses extravagances. Le masque parfois excentrique ou sarcastique de G. B. S. ses initiales sont célèbres de bonne heure dans sa carrière cache un homme généreux, secret, d'une grande intelligence, dont la vie est une lutte pour la vérité et contre les conventions, pour la justice sociale et contre tous les abus. L'auteur dramatique compte parmi les plus illustres du théâtre anglais.

Le réformateur social et le critique

George Bernard Shaw tire peu de profit des différentes écoles qu'il fréquente, mais il acquiert par lui-même, un peu au hasard, une culture littéraire et musicale étendue. Après avoir travaillé quelque temps à Dublin, puis à Londres, où il est allé retrouver sa mère désormais séparée de son mari, il végète pendant plusieurs années au cours desquelles il complète sa formation par d'innombrables lectures.
Pendant cette période, il écrit cinq romans qui ne sont pas dénués d'intérêt, mais que tous les éditeurs refusent : parmi lesquels L'Amour chez les artistes (Love Among the Artists, 1881, La Profession de Cashel Byron, Cashel Byron's Profession, 1882 et Un socialiste peu sociable, An Unsocial Socialist, 1883. Ils contiennent déjà l'ébauche de certains thèmes que Shaw reprendra dans son théâtre. Entre-temps, une conférence de l'économiste H. George en 1882 et la lecture de Marx l'ont converti au socialisme qui lui apparaît comme la seule solution possible aux problèmes sociaux. La satire sociale et la lutte pour l'amélioration de la société occuperont une grande partie de sa vie. Pendant une quinzaine d'années, 1883-1898, il déploie une intense activité dans deux directions : celle du socialisme et celle de la critique d'art.
Devenu membre de la Société fabienne, groupe d'intellectuels Sidney Webb et H. G. Wells entre autres qui souhaitaient imposer le socialisme par une lente et prudente pénétration dans tous les organes de direction de la société, il multiplie conférences, débats, articles et essais : Essais fabiens Fabian Essays, 1889. Son intérêt pour les questions sociales, économiques et politiques ne fléchira pas puisqu'il publiera, en 1928, le Guide de la femme intelligente en présence du socialisme et du capitalisme The Intelligent Woman's Guide to Capitalism and Socialism et, en 1944, Le Manuel politique pour tous, Everybody's Political What's What.
Parallèlement, Shaw devient critique d'art au journal The World, critique musical pour The Star et The World et enfin critique dramatique à la Saturday Review. Ses articles seront réunis dans plusieurs recueils. Il écrit à la même époque La Quintessence de l'ibsénisme, The Quintessence of Ibsenism, 1891 sur le grand dramaturge norvégien et Le Parfait Wagnérien, The Perfect Wagnerite, 1898, prenant aussi la défense des artistes qui renouvellent à cette époque le théâtre et la musique.

L'auteur dramatique

Depuis 1892, Shaw est attiré par un nouveau mode d'expression où il va exceller : le théâtre. De 1892 à 1950, il écrit plus de cinquante pièces, dont une trentaine d'au moins trois actes.

Les sept premières sont publiées en 1898 sous le titre Pièces plaisantes et déplaisantes, Plays, Pleasant and Unpleasant. L'Argent n'a pas d'odeur, Widower's Houses, 1892, L'Homme aimé des femmes, The Philanderer, 1893 et La Profession de Mrs. Warren, Mrs. Warren's Profession, 1893 sont des pièces de combat, s'attaquant de front aux abus sociaux : les propriétaires de taudis, la prostitution, hypocrisie générale qui masque les réalités sordides. Le pamphlet et la satire dominent, la technique dramatique est encore peu sûre. Shaw s'oriente rapidement vers des pièces plus jouables dans lesquelles la satire est portée par une verve comique et humoristique qui va se développer : Le Héros et le soldat, Arms and the Man, 1894 attaque l'idéal romantique ou romanesque, la gloire militaire, la guerre ; Candida, 1894 oppose le bonheur domestique, l'amour et la solitude de l'homme de génie ; L'Homme du destin, The Man of Destiny, 1895, pochade sur Bonaparte, et On ne sait jamais You Never Can Tell, 1895 complètent le groupe des pièces plaisantes.
Les Trois Pièces pour puritains, Three Plays for Puritans, 1901 contiennent entre autres Le Disciple du diable, The Devil's Disciple, 1896, où est abordé le problème religieux et surtout César et Cléopâtre, Caesar and Cleopatra, 1898, pièce dans laquelle éclatent le comique verbal de Shaw et son traitement irrévérencieux de l'histoire.
En 1903, Shaw termine l'une de ses pièces les plus importantes : L'Homme et le Surhomme, Man and Superman. Sur le thème de Don Juan, l'auteur qui commence à élaborer sa philosophie de la force vitale soutient que, dans le duel des sexes, c'est l'homme qui est pris en chasse par la femme, poussée par la force de l'instinct vital de la nature, qui tend à élaborer une espèce supérieure, le surhomme.
L'Autre Île de John Bull, John Bull's Other Island, 1904 donne à Shaw l'occasion d'écrire une pièce sur les Irlandais, puis il revient à ses préoccupations sociales : La Commandante Barbara, Major Barbara, 1905, Le Dilemme du Docteur, The Doctor's Dilemma, 1906, Mariage, Getting Married, 1908 abordent tour à tour les problèmes de la pauvreté considérée comme un crime social, de la puissance de l'argent, de la médecine, de l'amour et du mariage. Puis viennent deux pièces, Androclès et le lion, Androcles and the Lion, 1912 qui met en scène les premiers chrétiens et le développement du christianisme, et Pygmalion, 1912 qui conte la transformation d'une petite marchande de fleurs en duchesse grâce aux bons soins d'un professeur de phonétique.
La Première Guerre mondiale marque une étape dans la carrière de Shaw. Écrivain célèbre et penseur écouté jusqu'alors, il va s'attirer l'insulte et l'incompréhension de l'opinion par ses prises de position lucides et sans préjugés sur la politique de son pays. Commonsense about the War, 1914. Écrite de 1913 à 1916, La Maison des cœurs brisés, Heartbreak House offre un tableau pessimiste de l'Europe cultivée d'avant-guerre, qui a failli à sa mission par incompétence politique. Retour à Mathusalem, Back to Methuselah, 1918 à 1921, énorme spectacle allégorique et symbolique en cinq pièces, représente la somme philosophique de Shaw, pentateuque métabiologique montrant la force vitale et l évolution créatrice à l'œuvre dans l'univers, élaborant des surhommes, les anciens, êtres chargés d'ans qu'habite seul un tourbillon de pure intellectualité. Ici, la vigueur dramatique ne parvient plus à animer ces pièces écrasées par leur thème et par l'utopie.
En 1923 paraît un des derniers chefs-d'œuvre de Shaw, Sainte Jeanne, Saint Joan, qui étudie les relations entre la société, ses génies et ses saints, une société incapable de discerner dans l'hérésie du jour la vérité du lendemain.
Véritable figure légendaire, Shaw est maintenant l'homme de son époque, le réformateur et le prophète. Il reçoit le prix Nobel en 1925. Parmi les pièces qu'il ne cessa d'écrire jusqu'à sa mort, qui survient à Ayot Saint Lawrence, on peut citer : La Charrette de pommes The Apple Cart, 1929, satire politique ; Le Naïf des îles imprévues, The Simpleton of the Unexpected Isles, 1934 ; Genève, Geneva, 1938, extravagance politique. Il faut aussi mentionner un conte philosophique : Les Aventures d'une jeune négresse à la recherche de Dieu, The Adventures of the Black Girl in Her Search for God, 1932.

L'art et l'humour au service de la pensée

Les grands thèmes du théâtre de Shaw : l'art conçu comme didactique et réformateur, le socialisme iconoclaste destiné à détruire les structures présentes et à instaurer une juste démocratie dont les citoyens seront des surhommes, la philosophie de la force vitale qui anime la matière et tend vers la création d'espèces supérieures, la religion métabiologique, sorte de mysticisme naturaliste nécessaire à l'homme de demain, tous ces thèmes se trouvent développés et amplifiés dans les importantes et célèbres préfaces aux pièces, véritables essais indépendants, dans lesquelles Shaw précise sa pensée, les pièces apparaissent alors comme de simples illustrations. On peut citer Mieux que Shakespeare ?, Sur les médecins, Épître dédicatoire à A. B. Walkley, Le Demi-Siècle incroyant, L'Avenir du christianisme.
Du point de vue de la technique dramatique, l'apport de Shaw n'est pas moins important. Pour redonner vie au théâtre anglais, il substitue au conflit des passions, devenu banal et conventionnel, un conflit d'idées, tout aussi dramatique, car pour Shaw les pensées sont aussi des passions, passions intellectuelles, certes, mais aussi fortes que les autres. Ces discussions sont portées par un dialogue où l'humour, l'esprit, le paradoxe et la fantaisie sont toujours présents dans une sorte de gaieté intellectuelle. Ces dialogues mettent en lumière les jeux et les rapports entre illusions et réalité. Il faut aussi noter le soin apporté par Shaw à préciser le décor, l'attitude des personnages et leurs réactions dans des indications scéniques très développées.
Il apparaît donc comme un manieur d'idées qui cherche toujours à faire réfléchir sur le bien-fondé des opinions reçues, à rejeter ce qui est caduc ou hypocrite, et à accepter après examen critique de généreuses et bénéfiques nouveautés. Dans sa quête inlassable de la vérité, dans sa lutte pour la dignité de l'homme et dans son génie comique réside sa durable grandeur.

Notes sur son œuvre et ses idées

Le comique de ses pièces va de pair avec la rigueur logique des idées qu'il développe. Ses préfaces parfois volumineuses sont de véritables essais où il développe ses thèmes favoris, art, pacifisme, idées politiques, conceptions philosophiques et religieuses et propose des solutions pour remédier aux maux qu'il dénonce dans ses pièces. Son œuvre est celle d'un révolutionnaire et d'un réformateur visant à détruire le capitalisme pour lui substituer un socialisme éclairé et plus élevé. Pygmalion 1912 et Sainte Jeanne 1923, œuvres de sa maturité, sont souvent considérées comme ses chefs-d'œuvre. Ayant voyagé en Union soviétique, il en nie les travers et se fait un ardent promoteur du stalinisme. Au début des années 1930, l'historien Gaetano Salvemini, réfugié en Angleterre, mena contre lui une dure polémique en raison de ses positions philofascistes.
Provocateur et anticonformiste, George Bernard Shaw dénonce le puritanisme étroit, la hiérarchie religieuse et l'hypocrisie des conventions de la religion, Disciple du diable, 1896 et Le Vrai Blanco Posnet, 1909. Dans Androclès et le lion 1912, il étudie les motivations religieuses et spirituelles de l'homme. S'inspirant des enseignements de Charles Darwin, il fonde sa philosophie sur l'évolution, force encore mystérieuse, qu'il appelle Force de la vie, puissance imparfaite qui cherche à atteindre la perfection, préface de En remontant à Mathusalem, 1920. Il s'oppose avec vigueur à la personnification de toute divinité. George Bernard Shaw a également été un ardent défenseur de la cause animale, "les animaux sont mes amis, je ne mange pas mes amis".

"J'aime un état de perpétuel devenir, avec un but devant et non derrière… "à Ellen Terry, 28 août 1896

Artiste et calculateur, bohème et avare. Méfiant jusqu'au cynisme. Pourtant toujours disponible, jamais las de prêter sa plume à toutes sortes de causes, de la vivisection au minimum income . Soutenu par une rare ténacité et une impérieuse volonté de vaincre. Donnant à quatre-vingt-douze ans une pièce pleine de chaleur, de sympathie pour la vie. Acharné travailleur, lucide critique de l'art d'écrire et aussi de penser. Ainsi apparaît Bernard Shaw, tel que le révèle sa vie, longtemps difficile, et tel que nous le montre son œuvre entière, son énorme correspondance et ses morceaux plus singulièrement autobiographiques, comme Sixteen Self Sketches ou ses Préfaces, à The Irrational Knot ou à Three Plays for Puritans par exemple. Certaines caractéristiques de son tempérament, il les doit peut-être à une enfance sans véritable affection dans un ménage mal assorti, à des études trop rapides et aux difficultés de gagner sa vie en attendant de percer. D'un passage en météore à la Wesleyan Connexional School, à la Central Model Boys' School et à la Dublin English Scientific and Commercial Day School, il garde une aversion profonde pour écoles et universités qui stéréotypent l'esprit. Autodidacte acharné, hantant la Dublin National Gallery, le Royal Theatre, puis, à Londres, le British Museum, familier des grands musiciens, il fréquente aussi assidûment réunions et meetings politiques et travaille successivement comme clerc à la Charles Uniacke Townshend, 1871, comme caissier dans une agence foncière jusqu'en 1876 et enfin à la Edison Telephone Company de 1879 à 1880. Ses premières armes dans les lettres, il les fait en qualité de critique musical, littéraire, artistique et théâtral, et, grâce à sa verve étincelante alliée à ses qualités naturelles de fantaisie et à un jugement sain, il y réussit bien mieux que dans son expérience romanesque. En 1885, en collaboration avec William Archer, 1856-1924, Shaw écrit une pièce qu'il reprendra seul en 1892, Widowers' Houses. On trouve là, avant l'heure, la totalité du programme qu'il fixe à R. Golding Bright dans sa lettre du 2 décembre 1894, où on peut lire également : Faites de l'efficacité votre unique but pour les quinze prochaines années …. Enfin … ne prenez jamais l'avis de personne. Ainsi agit toute sa vie cet original, époux de la millionnaire irlandaise Charlotte Payne-Townshend, 1898, amant plus ou moins platonique d'une foule de dames, dont deux célèbres actrices, Ellen Terry et Mrs Patrick Campbell, « vestryman » et membre du borough council de Saint Pancrace, 1897-1903. Ce personnage compte Einstein, Tagore, Staline, William Morris, Gandhi, T. E. Lawrence parmi ses connaissances ou amis et H. G. Wells ou sir Henry Irving au rang de ses ennemis intimes ; il amasse une fortune énorme avec sa plume, entreprend un tour du monde à soixante-douze ans, pourvoie allègrement de pièces le Malvern Festival, depuis sa fondation en 1929, et de ses oracles le monde entier ; prix Nobel de littérature en 1925, il assistera à la fondation de la Shaw Society 1941 et verra le cinéma s'emparer avec succès de ses pièces, comme le Pygmalion en 1938 devenu en 1964 My Fair Lady. Certes Shaw est d'une nature vraiment exceptionnelle.
"J'aime partir en guerre contre les gens installés ; les attaquer ; les secouer ; tâter leur courage. Abattre leurs châteaux de sable pour leur en faire construire en pierres …. Un homme ne vous dit jamais rien jusqu'à ce que vous le contredisiez … "
La vérité acquise, les tabous, le confort intellectuel et moral, Shaw ne prise guère cela. The Man of Destiny, Saint Joan ou Caesar and Cleopatra moquent le nationalisme anglais, et, quand W. Yeats lui demande une pièce patriotique pour l'Irish Literary Theatre, Shaw donne John Bull's Other Island, tentative de démystification du romantisme de l'Irlande. Il choque, se déclarant volontiers partisan de l'élimination des gens pour que la terre devienne plus vivable. Il sympathise avec l'Allemagne de la Première Guerre mondiale, Common Sense about the War, mais s'en prend aux politiciens et aux dictateurs qui troublent la paix, Geneva. Ennemi de la bardolatry, il sape même les bases de ce monument sacré et intouchable de la littérature anglaise, Shakspere, comme il le nomme. Et, pour graver un dernier trait à son image de marque, il lègue le plus gros de son énorme fortune à une œuvre chimérique, qui recherche un Proposed British Alphabet, pour tous les pays de langue anglaise, en au moins quarante lettres.
À cet anticonformiste viscéral, le combat politique, qui fait autant partie de la vie que le jeu ou la poésie, s'impose naturellement – comme le théâtre d'idées –, et l'économiste américain Henry George, 1839-1897 révèle à Shaw une nouvelle dimension sociale avec Progress and Poverty, 1879. Il lit le Capital de Marx, mais se détourne vite de la Social Democratic Federation de H. M. Hyndman, 1842-1921, qu'il accuse d'une incurable confusion de pensée. Le socialisme, s'il s'établit un jour, le devra à toute la classe ouvrière du pays et pas à une fédération ou société de quelque nature qu'on l'imagine. À ses yeux, la toute récente Fabian Society, à laquelle il s'affilie en 1884, œuvre dans ce sens. Shaw en devient donc, avec l'économiste Sidney Webb, l'un des piliers et aide à fonder le British Labour Party en 1906. Il défend ses convictions non seulement dans les Fabian Essays in Socialism, 1889 ou dans des tracts comme The Impossibilities of Anarchism, Tract 45, mais aussi sur la scène, tribune irremplaçable. Son premier groupe de pièces, au titre éloquent, Plays Pleasant and Unpleasant, vise, selon la Préface, à utiliser la force dramatique pour contraindre le spectateur à regarder en face des faits déplaisants. Dès Widowers' Houses, Shaw dénude la bourgeoisie. Il lui apprend que, si l'argent gagné en louant des taudis ou en exploitant de pauvres filles dans des maisons closes, Mrs. Warren's Profession, longtemps interdite peut servir à faire une demoiselle, on ne saurait se montrer trop hypocrite en refusant de l'utiliser à des fins humanitaires. La misère demeure le seul vrai péché à combattre, et ce thème, illustré par Major Barbara, pièce brillante, lui permet de décocher quelques traits acérés en direction d'une très digne et respectée institution anglaise à travers le conflit qui oppose Undershaft, riche marchand d'armes, à l'intransigeante, mais quelque peu irréaliste Barbara, sa fille, Major de l'Armée du salut. Les pièces dites plaisantes battent en brèche les valeurs les mieux assurées au regard d'une certaine société : le culte du patriotisme, le héros guerrier, tel Bluntschli dans Arms and the Man, qui lance Shaw vers le succès, ou le héros romantique tel le poète Marchbanks dans Candida.
D'ailleurs, Shaw se plaît à représenter les héros sans l'aura dont les pare l'histoire : Napoléon dans The Man of Destiny ou César dans Caesar and Cleopatra. Il n'oublie pas non plus les médecins, cible classique de la comédie, notamment dans The Doctor's Dilemma, mais sa satire s'étend à l'aspect social, impliquant un contrôle de la médecine pour la rendre moins chère et plus sérieuse.
Quant à l'Amour, il l'écrit amour, plutôt fonction biologique ou lutte des sexes, The Philanderer ; You never can tell… que sentiment poétique, avec l'un ou l'autre des partenaires – ou les deux – insatisfait, en guise du happy ending traditionnel.
Pêle-mêle, ainsi, il dénonce petits défauts et grandes plaies. Il voudrait une structure sociale et politique plus juste, et aussi que se réforme la mentalité satisfaite de soi que chacun porte en lui. L'esprit irrésistible de Shaw masque souvent la gravité de sa satire sociale, The Millionairess ou le célèbre Pygmalion. Il n'en fustige pas moins une bourgeoisie enfermée dans l'ouate confortable d'une situation bien assise et de pensées futiles, comme dans Heartbreak House, imprégnée de Tchekhov. Si l'on en croit son œuvre en général et The Adventures of a Black Girl in Her Search for God en particulier, sa position à l'égard de l'homme, de son pourquoi et surtout de son comment, pourrait se définir par aide-toi, le ciel t'aidera. Mais, s'il ne recherche pas l'aide de la religion, assez paradoxalement, Shaw ne l'agresse pas, Androcles and the Lion, et Saint Joan, tenu pour son chef-d'œuvre, un immense succès public, reste l'une de ses meilleures réussites par l'inoubliable portrait plein de sincérité et d'authenticité qu'il brosse d'une sainte selon son cœur. Au centre de la philosophie de Shaw s'inscrivent les mots clefs Évolution créatrice et Life Force, le second désignant finalement Dieu, la Force de vie qui règle le progrès, la lente ascension de la nature vers son but de pensée pure et qui passe par le surhomme, In Good King Charles's Golden Days. Cette Force de vie se manifeste dans la femme possédée par l'instinct de procréation. On la voit en action en particulier dans Man and Superman, tandis que Back to Methuselah illustre le thème de l'évolution créatrice, la préoccupation du devenir de l'espèce, que traduit le souci des deux sages orientaux de l'amélioration de l'espèce humaine dans The Simpleton of the Unexpected Isles.
" Les choses me viennent à l'esprit sous forme de scènes, avec action et dialogue, sous forme de moments, progressant à partir de leur propre vitalité "
Malgré le succès à la scène d'Henry Arthur Jones, 1851-1929, de sir Arthur Wing Pinero, 1855-1934, disciple de Scribe et de Sardou, des pièces de Maugham et, naturellement, de la comédie étourdissante de Wilde ou de Noel Coward, 1899-1973, l'idée de théâtre non commercial, de critique sociale suit son cours en Angleterre H. Granville-Barker 1877-1946, J. Galsworthy 1867-1933 …. Surtout quand Ibsen s'y fait connaître aux environs de 1890 et que ses pièces sociales et didactiques, se développant selon la logique réelle des choses et non des conventions, suscitent des remous et la ferme intervention de Shaw en sa faveur dans The Quintessence of Ibsenism.
Comme Auden, O'Casey, Synge ou T. S. Eliot, Shaw participe à l'évolution du théâtre contemporain. Ses écrits et ses Préfaces réaffirment sans trêve sa volonté de parvenir uniquement au réel, ce qui s'accompagne dans son esprit de la soumission stricte à la pièce des acteurs et des metteurs en scène. Il méprise le théâtre conventionnel selon lui, doctrinaire jusqu'à la plus extrême limite du dogmatisme, si bien que le dramaturge … empêtré dans les théories de conduite … ne peut même pas exprimer sa solution conventionnelle clairement, mais la laisse vaguement comprise, Lettre à H. A. Jones du 2 février 1894. Il ne cache pas son horreur des nice pièces, avec des nice robes, des nice salons et des nice gens, mais également des soi-disant pièces à problèmes qui dépendaient pour leur intérêt dramatique de conclusions prévues d'avance, Préface de Three Plays for Puritans. Pour lui, rien ne saurait remplacer l'activité et l'honnêteté intellectuelles. La nécessité de faire de son théâtre le support de ses idées et de consacrer auxdites idées tout leur développement communique aux pièces de Shaw une dimension très particulière – spécifiquement shawienne – avec, par exemple, Back to Methuselah, en cinq parties, et, le plus souvent, des Préfaces de belle longueur également. Le dramaturge sérieux reconnaît dans la discussion non seulement l'épreuve principale, mais aussi le centre d'intérêt réel de sa pièce Quintessence…, affirme Shaw. Il en découle que, dans son œuvre dramatique, tout se subordonne à la discussion, les événements et même la psychologie des personnages – ni bons, ni mauvais, en respect des principes du réalisme –, moins importante que la nécessité du discours. Ceux du troisième acte de Man and Superman, entre Don Juan et le Diable, constituent à cet égard un exemple fameux. L'étincelante et vigoureuse rhétorique de Shaw demeure un modèle du genre. Trouvez toujours de façon rigoureuse et exacte ce que vous voulez dire et ne le faites pas à la pose, écrivait-il à R. Golding en 1894. La sincérité – et nul ne met en doute la sienne – ne suffit pas à assurer la pérennité et le succès, surtout à qui bouscule idées et situations établies. Shaw trouve dans son humour, héritier du wit du xviiie s., un précieux allié à sa cause, un humour marqué de son sceau personnel, jouant brillamment de l'anachronisme parfois et du paradoxe le plus souvent, permettant à la longueur, à l'intelligence, à la critique de passer et conférant à son art, même quand il irrite, une tonicité à l'abri des modes et du temps.
Les principales œuvres de G. B. Shaw

Sa correspondance inspira une pièce de théâtre que l'on nomma Cher menteur Dear Liar.

Bibliographie

L'argent n'a pas d'odeur 1892
La Profession de Madame Warren 1893
L'Homme aimé des femmes 1893
Le Héros et le Soldat 1894
Candida 1894
L'Homme du destin 1896
Disciple du diable 1896
César et Cléopâtre 1898
Homme et surhomme 1903
La Commandante Barbara 1905
Le Dilemme du docteur 1906
Le Vrai Blanco Posnet 1909
Androclès et le Lion 1912
Pygmalion 1912, théâtre
La Maison des cœurs brisés 1919
En remontant à Mathusalem 1920
Sainte Jeanne 1924, 1939, théâtre
Guide de la femme intelligente en présence du socialisme et du capitalisme 1928
Les Aventures d'une jeune Négresse à la recherche de Dieu 1932
La Charrette de pommes 1929
Trop vrai pour être beau 1931)
La Vérité est bonne à dire 1932
L'Idiot des îles imprévues 1934
La Milliardaire 1934
Écrits sur la musique, Paris, Robert Laffont, 1994, coll. Bouquins,
NB : The Genuine Islam ou L'Islam originel 1936 lui est parfois attribué. Shaw n'en est pas l'auteur ; il s'agit d'une citation qui lui est attribuée sans preuve qu'il l'ait prononcée.

Filmographie comme scénariste

1917 : Masks and Faces
1938 : Androcles and the Lion
1939 : The Dark Lady of the Sonnets (TV)
1939 : Annajanska, the Bolshevik Empress (TV)
1939 : Passion, Poison and Petrifaction (TV)
1941 : La Commandante Barbara (Major Barbara) de Gabriel Pascal
1959 : Covek sudbine (TV)
1965 : Caesar und Cleopatra (TV)
1966 : Idylle villageoise (TV)
1967 : You Never Can Tell (TV)
1967 : Candida (TV)
1973 : Candida (TV)
1984 : Don Juan in Hell
1991 : The Best of Friends (TV)

comme acteur

1914 : Rosy Rapture

comme réalisateur

1928 : Shaw Talks for Movietone News

Liens
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#262 Odysseas Elytis
Loriane Posté le : 01/11/2014 16:42
Le 2 novembre 1911 à Héraklion en Grèce naît, Odysséas Elytis

en grec Οδυσσέας Ελύτης, nom de plume d’Odysséas Alepoudhéllis Οδυσσέας Αλεπουδέλλης, poète grec, mort à 84 ans, le 18 mars 1996 à Athènes. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1979.
Il était proche des poètes surréalistes français et de peintres comme Picasso et Matisse qui ont illustré certaines de ses œuvres. Ami de René Char et d'Albert Camus dont il a partagé la pensée de midi sur le primat accordé aux sensations et au culte de l'harmonie de la nature contre tout absolutisme historique, il fut aussi en France et en Grèce l'ami de son compatriote Tériade.
Auteur du grand poème Axion esti, hymne à la Création qui exalte la lutte héroïque des Grecs en faveur de la liberté, il fut aussi critique d'art, et s'attacha à créer des collages dans lesquels s'exprime sa conception de l'unité de l'héritage grec, par la synthèse de la Grèce antique, de l'Empire byzantin et de la Grèce néo-hellénique. Ses poèmes ont été mis en musique par deux des compositeurs grecs les plus célèbres du xxe siècle, Míkis Theodorákis et Mános Hadjidákis. D'autres ont été popularisés en France par Angélique Ionatos.


En bref

Influencé, à ses débuts, par le surréalisme français, et surtout par Eluard et Breton Orientations, 1940 ; Soleil premier, 1943, il est ensuite profondément marqué par l'expérience de la guerre (Chant héroïque et funèbre pour le sous-lieutenant tombé en Albanie, 1945. Suit alors un long silence rompu par deux recueils, Six plus un Remords pour le ciel et, surtout, Axion esti 1960.
Deuxième Prix Nobel grec 1979, après Georges Séféris, Odysseus Elytis est sans doute un des poètes majeurs de la Grèce contemporaine. Sa réputation de poète de la mer Égée ne doit pas tromper. Ce n'est pas, bien entendu, dans la peinture statique du paysage grec ni dans la présence de quelques thèmes persistants îles, mer, soleil, jeunes filles, etc. que réside l'importance de cette œuvre polyvalente, mais dans un effort d'unité profonde où la poésie joint la nature, l'histoire et la liberté. Pur poète lyrique, Elytis combine l'acuité du regard avec la force de l'imagination et la fraîcheur du sentiment. En dernière analyse, le surréalisme ne lui a révélé qu'une aptitude qui lui était propre : celle d'unir et de transformer les choses à la fois.
Originaire de Lesbos, Elytis naquit à Héraclion Crète en 1911 et, dans son enfance, il effectua plusieurs séjours dans les îles de la mer Égée (Spetsai, Cyclades). C'est ainsi que se forme au moment propice sa conscience insulaire ou, selon son propre mot, sa « métaphysique solaire ». Fait caractéristique : chez les poètes grecs qui lui sont les plus proches et les plus chers de Sappho à Solomos, Calvos et Sikélianos, nous retrouvons le même contact avec la nature et le même sens de l'amour et de la lumière.
Mettre le monde en accord avec ses rêves ? Mais Elytis s'y applique avec zèle depuis qu'il écrit. Révolutionnaire dans le sens le plus large du terme, il ne cesse de songer à des changements profonds :
J'ai brassé les horizons dans la chaux et, d'une main lente mais sûre, bâti les quatre murs de mon futur. Il est, dis-je, grand temps que l'impudicité accède à la sacralité et dans un Couvent de Lumière garantisse l'instant suprême où le vent déchira une nuée légère sur l'arbre des extrémités de la terre.
Surréaliste peu enclin à la politique et assez respectueux de la tradition grecque, Elytis n'est pas un partisan de l'écriture automatique ; bien au contraire, depuis sa jeunesse il considère que, pour maîtriser la matière poétique, « il faut toujours une intervention consciente » (1938). Esprit pictural (la peinture occupe dans sa vie la deuxième place après la poésie), il transforme ses impressions en images dans lesquelles la présence d'éléments contraires semble être moins motivée par un effet de contraste que par un besoin d'« unité de tout ». Visionnaire et voyant, il appartient à la famille des poètes qu'il traduit, et entretient des rapports privilégiés avec la poésie française : Rimbaud, Lautréamont, Eluard... Dans son œuvre, le miracle est aussi réel que la lumière est transparente. Chantre de l'amour et de la mer, païen et chrétien à la fois, Elytis n'a cessé d'honorer « la sainteté des sens » et d'affirmer sa vision « biologique » des choses, son optimisme et sa foi profonde en l'avenir de l'homme.

Sa vie

La famille Alepoudhéllis, qui possède une fabrique de savonnerie, s'installe à Athènes en 1914, et transfère le siège de son entreprise au Pirée. C'est une famille aisée, qui entretient des relations étroites avec celui qui est à cette époque le Premier Ministre grec, Elefthérios Venizélos. Le jeune Odysséas connaît une enfance heureuse et choyée ; il passe les étés en famille dans les îles, en Crète, à Mytilène, et plus souvent à Spetses : à courir pieds nus sur les rivages, au contact de la mer et du soleil, l'enfant enregistre dans sa mémoire les riches impressions sensorielles qui figurent plus tard dans sa poésie. Auprès de sa gouvernante allemande, Anna Keller, il découvre la poésie germanique, notamment celle de Novalis, et il apprend le français, langue que le poète parle couramment toute sa vie. Un premier deuil plonge la famille dans une profonde affliction : en 1918, la sœur d'Odysséas Elytis, Myrsini, la seule fille de la famille, meurt à 20 ans de la grippe espagnole. Dès l'âge de douze ans, il effectue des voyages à l'étranger, découvrant en compagnie de sa famille l'Italie, la Suisse, l'Allemagne et la Yougoslavie. En Suisse, à Lausanne, l'enfant est présenté à Vénizélos, venu signer en 1923 le Traité de Lausanne. Un second deuil frappe la famille lorsque le père, Panayotis Alepoudhéllis, décède en 1925.

La formation intellectuelle et poétique

Passionné par la lecture, l'adolescent dépense tout son argent pour acheter des livres et des revues. Mais la poésie ne l'attire pas : Enfant, je m'en souviens, écrit-il, la poésie ne me disait rien. De la Littérature Néo-hellénique j'avais gardé la vague impression d'un bavardage ennuyeux sur un rythme répétitif. Cette période de l'adolescence est d'abord celle des grands modèles littéraires découverts au fil de lectures dans lesquelles le jeune Odysséas se plonge avec une ardente curiosité. Il cherche à retrouver, dans l'expression littéraire, le souvenir de ses propres émotions : À 16 ans, je recherchais la part tout à fait personnelle de ce que j'avais emmagasiné enfant, dans les moments de fougue et de solitude, lorsque j'errais pieds nus sur le rivage des îles : le poli, le brillant, le tressaillement d'un jeune corps, l'éclat de sa nudité. Au printemps de 1927, à l'âge de 16 ans, le surmenage, aggravé par une adénite, le cloue au lit pendant deux mois : il dévore alors les livres de littérature aussi bien grecque qu'étrangère, et connaît son premier vrai choc poétique en découvrant le poète Constantin Cavafy.
En le lisant, il éprouve, dit-il, une secousse, quelque chose de très fort qui l'intrigue : J'ai été saisi d'une profonde curiosité, qui plus tard allait devenir un profond intérêt, et plus tard encore, une profonde admiration. Mais qui ne sera jamais de la séduction.Le poète Andréas Kalvos le séduit également par le ton de sa voix et par les thèmes et les idées qu'il aborde. Poussé par l'amour de la littérature, l'adolescent hante les boutiques des libraires : il n'est pas encore en classe de terminale lorsqu'il pénètre dans l'obscure librairie Kauffmann, où il feuillette, par hasard, Noces de Pierre-Jean Jouve, et les recueils de Paul Éluard, Capitale de la douleur et Défense de savoir. Il éprouve aussitôt une impression inédite, le charme surprenant d'une poésie qui, rompant avec la prosodie classique, lui ouvre les portes d'un monde inconnu, avec son évidence poétique immédiate et sa fraîcheur virginale. Rencontre fortuite mais déterminante que plus tard, Elytis analysera comme un événement symbolique, un effet du fameux hasard objectif des Surréalistes. Paul Éluard est dès lors, avec Pierre-Jean Jouve, de ceux qu'il se promet de faire connaître au public grec. La découverte d'Eluard oriente la curiosité d'Elytis vers le surréalisme, sur lequel il cherche aussitôt à s'informer. De ce mouvement, dont il connaîtra plus tard les principaux représentants français et grecs, il refuse les extravagances et l'arbitraire de l'écriture automatique, pour retenir essentiellement le sens poétique du merveilleux et, en art, la technique du collage.
Il achève ses études secondaires en 1928. Après avoir accepté, à la demande de sa famille, d'étudier la chimie, il s'oriente plutôt, en 1930, vers les études de droit, sans cesser pour autant de s'intéresser à la littérature d'avant-garde. C'est ainsi qu'il lit les œuvres de César Emmanuel, de Nikitas Randos, de Théodore Dorros, et le recueil Strophe de Georges Séféris. Quoique de valeur très inégale, ces œuvres lui font pressentir la fin d'une époque, représentée en littérature par Kostas Karyotakis, mort en 1928, et le début d'une ère nouvelle, encore imprécise. Par réaction contre les tenants d'un passé qu'il juge révolu, Elytis se consacre à la philosophie et au droit, d'autant plus que de nouveaux professeurs sont arrivés à l'Université d'Athènes, et que leur réputation draine vers eux, avec un incontestable succès, un grand nombre d'étudiants. Il s'agit de Kostas Tsatsos, de Panayotis Kanellopoulos, et d'Ioannis Théodorakopoulos. Une quinzaine d'étudiants en droit fonde alors un groupe de réflexion baptisé pompeusement dira plus tard Elytis Groupe Ιdéologique et Philosophique de l'Université d'Athènes. Étudiants et professeurs se réunissent pour lire et commenter des textes de philosophie, mais ces débats ennuient Elytis. La rencontre du poète et philosophe Georges Sarantaris, avec lequel Elytis se lie d'une grande amitié faite d'une profonde estime mutuelle, contribue à officialiser ses dons poétiques, tenus jusque là secrets. Le bouillonnement des idées nouvelles en littérature et en poésie va précipiter son évolution.

Le renouveau des années 1930

À partir de 1934, l'arrivée d'une nouvelle génération d'écrivains suscite dans la jeunesse un regain d'enthousiasme, dans un foisonnement d'idées et d'initiatives. Les jeunes gens se rallient aux idées exprimées par Georges Théotokas dans son ouvrage Esprit libre publié en 1929, et se reconnaissent dans son roman Argô. Dans l'ambiance animée et joyeuse des réunions estudiantines auxquelles participe Elytis, on débat avec ardeur sur tous les sujets, la réforme linguistique, la littérature aussi bien que la politique de Venizélos. Dans ces milieux où se prépare le renouveau littéraire de l'hellénisme, Elytis noue toute une série de relations qui vont bientôt jouer un rôle décisif pour fixer son destin de poète.
Il fait d'abord la connaissance, en 1934, d'Andréas Karantonis, critique littéraire ouvert aux innovations, plein de curiosité et amateur de poésie ; Karantonis devient à partir de janvier 1935 le directeur de la revue mensuelle des Lettres Nouvelles Νέα Γράμματα qui vient d'être créée : en accueillant dans ses colonnes les nouveaux talents et en assurant la promotion de la poésie moderne, cette revue devient le lieu d'expression des écrivains novateurs de la génération de 1930. Peu après, en février 1935, Elytis rencontre le poète Andréas Embirikos, l'un des représentants majeurs du surréalisme grec, formé aux études freudiennes et à la psychanalyse. C'est à son contact qu'Elytis s'essaie aux premiers collages surréalistes en découpant des photographies dans des revues. Ensemble, ils se rendent sur l'île de Lesbos à Pâques 1935 et, en compagnie des peintres Oreste Kanellis et Takis Elefthériadès, ils songent à révéler au public l'œuvre du peintre naïf Théophilos, mort juste un an auparavant. À la fin de l'été 1935, Elytis rencontre le critique littéraire Georges Katsimbalis, personnage truculent et poète dans l'âme, si haut en couleurs qu'il servira bientôt de modèle à Henry Miller pour son Colosse de Maroussi. C'est chez Georges Katsimbalis qu'Elytis fait aussi la connaissance de tout ce que les lettres grecques à cette époque comptent comme écrivains déjà reconnus ou novateurs. Parmi eux, les plus importants sont sans conteste Georges Séféris, qui découvre avec intérêt les poèmes d'Elytis, et Georges Théotokas, qui devient un ami proche. Katsimbalis, à qui Elytis a confié timidement quelques-uns de ses manuscrits, les soumet, à l'insu du poète, à la revue des Lettres Nouvelles qu'il finance. C'est ainsi qu'en novembre 1935 paraissent pour la première fois quelques-uns des poèmes d'Elytis, sous le pseudonyme d'Odysséas Vranas. Révélé malgré lui dans sa qualité de poète, Elytis s'insurge d'abord, puis finit par céder devant le fait accompli. Il se sent à présent soutenu par des amis influents, et songe à abandonner définitivement les études de droit.
Dès le début de 1936, la revue des Lettres Nouvelles réunit un groupe d'écrivains étroitement unis, décidés à œuvrer en faveur de l'avant-garde littéraire, dans un esprit combatif et solidaire. Ils s'enhardissent et décident même d'impressionner l'opinion publique en organisant, en mars 1936, la Première Exposition Surréaliste Internationale d'Athènes. Des œuvres de Max Ernst, Oscar Dominguez et Victor Brauner sont exposées. Elytis y présente quelques-uns de ses collages photographiques, ainsi que sa traduction des poèmes d'Éluard. Mais, s'appuyant sur une définition lexicale étroite et réductrice du surréalisme, les journaux et plusieurs revues d'opposition ne tardent pas à donner libre cours à des critiques acerbes ; les polémiques se déchaînent contre les tenants du surréalisme, au point qu'Elytis décide de répondre aux attaques dans un article des Lettres Nouvelles intitulé Les dangers du demi-savoir. Il tâche ensuite, mais en vain, de mettre fin à la polémique dans l'article Un point c'est tout.
Les rangs des amis d'Elytis continuent cependant à grossir : en 1936, la nouvelle recrue des Lettres Nouvelles s'appelle Nikos Gatsos, en qui Elytis découvre avec plaisir un grand amateur de poésie française et un bon connaisseur du surréalisme. Ils deviennent très vite amis et fonderont plus tard le premier café littéraire d'Athènes, l’Héraion : là les discussions enflammées sur La Jeune Parque , Les Chants de Maldoror ou The Waste Land de T.S. Eliot vont bon train jusqu'au milieu de la nuit. Plus tard, Nikos Engonopoulos, lui aussi grand poète francophile, s'adjoindra au groupe des amis d'Elytis.
Mais la situation politique qui se dégrade dans toute l'Europe ne tarde pas à entraîner chacun dans la tourmente.

Le sous-lieutenant

Le 4 août 1936, le général Métaxas instaure en Grèce une dictature. En Italie, Mussolini se range aux côtés d'Hitler. Les amis d'Elytis se dispersent. Katsimbalis part à Paris. Séféris, nommé Consul de Grèce, se morfond en exil à Koritsa Albanie. Quant à Elytis, il entre, en janvier 1937, à l'École des Officiers de Réserve de Corfou. Il en sort huit mois plus tard, avec ses galons d'officier, rattaché au 1er Régiment d'Infanterie. À Athènes, seuls demeurent Nikos Gatsos et Karantonis pour assurer la parution des Lettres Nouvelles. Rares consolations dans l'isolement où se trouve Elytis : la correspondance avec Séféris et Nikos Gatsos, une rencontre avec Lawrence Durrell et son épouse, à Paliokastritsa, et toujours la poésie.
De retour à Athènes en septembre 1937, il reprend ses activités littéraires : pour défendre le Surréalisme, il fait paraître une Lettre ouverte à Georges Théotokas. La revue des Lettres Nouvelles publie des traductions d'Apollinaire, Supervielle, Michaux, Pierre-Jean Jouve et Lautréamont. Il ébauche la première esquisse d'un important essai sur la poésie d'Andréas Kalvos, et s'intéresse à l'influence du Surréalisme sur la peinture grecque.

Au matin du 28 octobre 1940, les troupes de Mussolini envahissent la Grèce par la frontière avec l'Albanie. C'est la mobilisation générale : Elytis est rattaché, avec le grade de sous-lieutenant, à l'état-major du 1er Corps d'Armée, puis incorporé au 24e Régiment d'Infanterie. Il est transféré sur la zone des combats le 13 décembre 1940, au moment où un froid sibérien s'abat sur l'ensemble du front albanais. Sous le feu des batteries d'artillerie italiennes qui pilonnent les lignes grecques, Elytis reste cloué au sol pendant deux heures, blessé au dos par des éclats d'obus. Puis, dans les conditions d'hygiène déplorables qui prévalent dans cette guerre, il est victime d'un cas sévère de typhus. Évacué sur l'hôpital de Ioannina le 26 février 1941, il lutte pendant plus d'un mois contre la mort ; il a témoigné lui-même de cet épisode dramatique : Faute d'antibiotiques à cette époque, la seule chance de salut contre le typhus résidait dans la résistance de l'organisme. Il fallait patienter, immobile, avec de la glace sur le ventre et quelques cuillerées de lait ou de jus d'orange pour toute nourriture, pendant les jours interminables où durait une fièvre de 40° qui ne baissait pas. Après une phase d'inconscience et de délire, où les médecins l'ont cru perdu, Elytis se rétablit.

Dans l'avant-garde littéraire

À partir d'avril 1941, la Grèce, occupée par les Allemands, les Italiens et les Bulgares, sombre dans la guerre et la famine ; les pelotons d'exécution et les déportations achèvent de ravager la population. Intellectuels et poètes ont à cœur de résister avec les armes de l'esprit. Elytis, poursuivant sa convalescence, participe à de nombreuses réunions, clandestines ou publiques, visant à exalter dans le peuple les valeurs helléniques. Il assure également la promotion de l'avant-garde littéraire.
C'est ainsi qu'à l'initiative du professeur Constantin Tsatsos et de Georges Katsimbalis est fondé, au début de 1942, le Cercle Palamas. Ce mouvement réunit des professeurs d'Université et des hommes de lettres, parmi lesquels Elytis, tout juste âgé de trente ans, est le plus jeune. Il donne là une lecture publique de son essai sur La véritable figure d'Andréas Kalvos et son audace lyrique. Ce poète, que la jeunesse découvre et lit avec passion, fait l'objet de débats à l'Université d'Athènes. Andréas Karantonis, Nikos Gatsos et Elytis y participent au milieu d'une foule d'étudiants qui ont envahi l'amphithéâtre, les couloirs et les escaliers : le public, dont l'orgueil national est blessé par l'Occupation, a soif de "Grécité".
En 1943, les réunions clandestines, en petit comité chez des amis, connaissent aussi un grand succès : derrière les fenêtres fermées aux vitres occultées par du papier, une jeunesse privée de tout vibre à la voix grave de Katsimbalis lisant les vers de Kostis Palamas. C'est dans ces instants qu'elle éprouve le plus intensément la fierté de l'hellénisme. Le même sentiment s'exprime à la mort de ce grand poète : il reçoit des funérailles nationales le 28 février 1943, auxquelles Elytis assiste au milieu de la foule ; sur sa tombe, Angelos Sikelianos déclame un poème en hommage au défunt, puis tous les participants entonnent l'hymne national grec, transformant ainsi les funérailles en une manifestation d'hostilité à l'occupant allemand.
En ces temps de malheur, la poésie n'est pas un jeu futile, mais le dernier refuge de l'espérance. Face à l'occupant allemand, les vers de Friedrich Hölderlin sur la Grèce prennent une résonance particulière dans l'esprit d'Elytis, tandis qu'Eluard et Aragon offrent un exemple encourageant de Résistance qui dépasse les frontières. Elytis découvre à cette époque la poésie de Federico Garcia Lorca, auquel il consacre, l'année suivante, un article. Il compose aussi de nouveaux poèmes : dans la nuit de l'Occupation, Soleil Premier, publié en 1943, adopte un titre symbolique, et est suivi de Variations sur un rayon. En 1944, il publie le Chant héroïque et funèbre pour un sous-lieutenant tombé en Albanie. Ce long poème de près de 300 vers, inspiré par son expérience personnelle des combats durant la guerre italo-grecque, soulève dans le public l'enthousiasme réservé aux grands poètes nationaux. En 1946, sept poèmes inspirés par l'Occupation sont réunis sous le titre La Grâce dans les voies du loup, mais ils passent presque inaperçus.
À Athènes, le café Loumidis est devenu le lieu de rendez-vous de la jeunesse et le centre du marché noir. C'est là, au cours d'une réunion entre amis, qu'Elytis fait la connaissance du compositeur Manos Hadjidakis : la musique va désormais nouer avec la poésie grecque une alliance féconde.
Les soirées littéraires sont nombreuses, mais les plus célèbres se tiennent au domicile d'Andréas Embirikos : tous les jeudis soir, les poètes y donnent des lectures publiques de leurs dernières créations, interrompues parfois par le hurlement des sirènes sonnant l'alarme, ou par le bruit des batteries anti-aériennes ; le succès de ces soirées ne se dément pas pendant toute la durée de l'Occupation.
La poésie moderne continue cependant d'être attaquée, et pour la défendre, Elytis doit se faire le théoricien de l'avant-garde littéraire dans la revue des Lettres Nouvelles. Il publie d'abord l'essai Art, Chance, Audace consacré au Surréalisme et à l'année 1935. Ces trois mots deviennent aussitôt le signe de ralliement de la jeunesse. Il entame ensuite un débat philosophique avec le professeur Tsatsos sur le sens et les associations d'idées dans la poésie nouvelle. Puis, à partir de Noël 1943, et tout au long de l'année 1944, en collaboration avec la revue des Nouvelles Artistiques, il organise auprès des poètes et des critiques, une grande enquête, suivie d'un large débat sur les problèmes posés par l'art et la poésie modernes. Elytis publie à cette occasion une série d'essais qui dressent un état général de la question, mais mettent aussi un terme au mouvement littéraire commencé en 1935 avec le Surréalisme. En témoigne le titre significatif du dernier de ses articles, Bilan et nouveau départ, où il résume, en 1945, les conclusions à tirer de cette enquête. Un chapitre se clôt : dix ans de combats en faveur de l'avant-garde littéraire prennent ainsi fin ; parallèlement, la revue des Lettres Nouvelles, qui fut l'organe de ce combat, disparaît, en proie aux difficultés, après les troubles politiques suscités par les événements de décembre 1944. C'est vraiment toute une époque qui s'achève.

La crise intellectuelle

Après les bouleversements opérés dans la sensibilité par la révolution surréaliste et par la guerre, Elytis comprend qu'il est temps, pour la poésie lyrique, d'entrer dans une phase classique. Il constate d'ailleurs que cette évolution a déjà eu lieu en France avec Saint-John Perse et René Char, en Angleterre avec Dylan Thomas, et au Mexique avec Octavio Paz. La période qui s'ouvre pour Elytis est donc celle d'une quête inlassable pour ouvrir à la poésie de nouveaux chemins de création.
Au lendemain de la guerre, dans un pays en ruines, les intellectuels grecs considèrent qu'il est de leur devoir d'œuvrer en faveur du peuple. En 1945, Elytis accepte donc, avec le soutien de Georges Séféris, d'assumer la direction des programmes à la Radiodiffusion Nationale, nouvellement créée. Parallèlement, il se propose de tenir une rubrique régulière dans le journal Liberté, afin d'éclairer l'opinion publique sur les problèmes brûlants du pays. Mais constatant son échec, il met un terme à cette activité au bout de quelques semaines, et donne également sa démission du poste de Directeur de la Radio, en juillet 1946.
La guerre civile qui éclate en Grèce en 1946, sévit jusqu'en 1949, et le pays sombre dans une affreuse misère. Elytis cesse d'écrire, mais éprouve le besoin d'agir. Son amour de la peinture l'incite à tenir une rubrique de critique d'art dans le journal Le Quotidien. Mais il est mal accepté par les artistes, et lui-même est déçu par les expositions de peinture de cette époque, qu'il juge trop médiocres. Il conserve cependant cette rubrique jusqu'en février 1948. Il prend alors la décision importante de quitter la Grèce, totalement ravagée par une guerre civile meurtrière. Il arrive en Suisse au début de février 1948, et s'installe presque aussitôt après à Paris.
Venir en France, qu'Elytis considère comme le berceau de la culture et sa seconde patrie, c'est se rapprocher des sources de la poésie moderne. Réduit au silence depuis 1945, il cherche par tous les moyens à découvrir une nouvelle poétique. Il parcourt les librairies de Saint-Germain-des-Prés, fréquente les cafés des Deux Magots et de « Mabillon », visite les ateliers de ses amis, peintres et poètes. Il suit également en auditeur libre des cours de philosophie à la Sorbonne. Surtout, il rencontre tous les plus grands poètes de cette époque, à commencer par les Surréalistes : auprès de Tristan Tzara, Benjamin Péret, Philippe Soupault, André Breton et Paul Éluard, il engage de longues discussions sur la situation de la poésie. Mais celle-ci a bien changé : c'est maintenant Jacques Prévert qui est à la mode, au grand désespoir de Pierre Reverdy et de Pierre-Jean Jouve. Au domicile de Paul Éluard, Elytis constate que ce dernier a enrôlé sa poésie sous la bannière du Parti communiste français, qui le sollicite directement par téléphone. Cette poésie engagée au service d'un parti politique met André Breton en fureur : c'est à ses yeux une trahison des buts du Surréalisme. Quant à Breton lui-même, Elytis considère qu'il ne s'est pas adapté au nouveau contexte littéraire, ce qui le met dans une impasse. La poésie française, en déclin, n'offre donc aucune perspective à sa quête de renouveau. Déçu de ne rien retirer de ces contacts, il avoue : J'ai littéralement mijoté dans mon jus pendant trois ans et demi tout entiers.
La mode est en effet à l'existentialisme et à la philosophie de l'absurde. Elytis voit de pseudo-intellectuels flâner dans Saint-Germain-des-Prés avec un snobisme frivole qui l'indispose profondément. Rien, décidément, dans le Paris de 1948, ne parvient à le retenir. Il s'enferme dans sa chambre, pour échapper à un climat général qui lui est totalement étranger, et il lit le Phédon de Platon : Je traversais en plein une crise, écrit-il, dont les premiers symptômes étaient apparus quatre ans plus tôt vers la fin de l'Occupation, lorsque le Grec s'éveillait en moi. Il pressent alors que la langue grecque correspond à une morale et à une manière de sentir qui, de Platon à Solomos se sont perpétuées, sans obstacle et sans altération.
Cet esprit grec, tout à l'opposé de l'existentialisme sartrien, deux écrivains français l'admirent profondément : c'est René Char, qui à cette époque a déjà composé son Hymne à voix basse en faveur des insurgés grecs, et Albert Camus, qui a fait de la Grèce la patrie de son âme et le symbole le plus pur de la pensée de midi. Tous deux manifestent à Elytis leur fraternelle amitié et leur compréhension. Ils lui proposent de rédiger un article pour la revue Empédocle, fondée en avril 1949, dans laquelle ils mènent ensemble le combat en faveur d'un humanisme grec, baigné par la lumière de la nature méditerranéenne. L'article d'Elytis, qui devait s'intituler Pour un lyrisme d'inventions architecturales et de métaphysique solaire, n'a jamais été écrit, mais la réflexion théorique d'Elytis sur ce que doit être la structure d'un poème commence à faire son chemin. Cette réflexion se développe aussi en direction de l'art et de la peinture, complémentaires de la poésie selon Elytis.
Car il fait à cette époque la connaissance de deux éditeurs d'art, Christian Zervos, qui publie les Cahiers d'Art, et Tériade, son compatriote de Mytilène, qui édite la revue Verve. Au même moment il est élu membre de l'Association Internationale des Critiques d'Art, et en 1949 il participe à leur première Conférence internationale qui se tient à Paris. Durant l'été, il séjourne dans la propriété de Tériade, la célèbre "Villa Natacha" à Saint-Jean-Cap-Ferrat, et grâce à lui, se lie d'amitié avec les plus grands peintres, entre autres Picasso, Léger, Matisse, Giacometti et Chagall. Impressionné par le peintre espagnol, il écrit une Ode à Picasso. En 1950, son intérêt pour l'art s'approfondit lors d'un voyage en Espagne où il visite les grands centres culturels. À Malaga, il rencontre les parents de Picasso, et l'été venu, retrouve la Côte d'Azur. De décembre 1950 à mai 1951, il séjourne en Angleterre, accordant des entretiens à la B.B.C. et visitant les universités d'Oxford et de Cambridge. Il effectue ensuite un court séjour en Italie où il visite Venise, Ravenne, Florence, Pise et Rome, et où il fait la connaissance du peintre Giorgio de Chirico. Ces voyages et ces rencontres, ainsi que la participation à un séminaire à l'Abbaye de Royaumont, orientent la réflexion théorique d'Elytis vers une multitude de sujets, entre autres l'Orient et l'Occident, la mission de la poésie moderne et le problème de la forme : Mes tiroirs, mes étagères, mes valises débordaient des notes que j'avais prises, écrit-il. De tout ce ramassis de notes, il songe à faire un essai, sous le titre Sept Lettres de Royaumont, dont la rédaction est achevée durant l'été 1951. Mais il n'a pas composé un seul poème. C'est Picasso, par son exemple, qui va le ramener à la poésie et le tirer, selon ses propres termes, de tout cet embrouillement d'idées.
Elytis passe en effet l'été 1951 dans la "Villa Natacha" à Saint-Jean-Cap-Ferrat, et a ainsi l'occasion de vivre quelques jours dans l'intimité familiale de Picasso à Vallauris. Il découvre un véritable méditerranéen qui pratique, dans la simplicité et la joie de vivre, le culte du soleil et de l'amour. Il voit un homme qui vit torse nu et en short, qui marche à quatre pattes pour amuser sa petite fille, Paloma, et qui va se baigner à Golfe-Juan. La sensualité qui prédomine dans l'œuvre et l'art de vivre de Picasso font écho au dialogue qu'Elytis entretient au même moment avec Matisse : ce dernier achève la décoration de la Chapelle du Rosaire de Vence, et se montre très soucieux d'y faire pénétrer la lumière du soleil32. Loin de l'existentialisme, du nihilisme et des philosophies du désespoir dans lesquels se morfond l'Europe, c'est décidément aux impressions sensorielles et à la vie elle-même qu'il faut revenir. Galvanisé par l'exemple vivifiant de Picasso, il quitte Vallauris, et de retour à la "Villa Natacha", il rédige d'un seul jet l'article Équivalences chez Picasso. L'issue à la crise, dans laquelle Elytis a été plongé durant quatre ans, est enfin trouvée. Quelques jours plus tard, il s'embarque à Marseille pour rentrer en Grèce, après avoir jeté à la poubelle toutes ses notes manuscrites.

Le théâtre et la poésie

De retour en Grèce en septembre 1951, Elytis devient membre d'un jury littéraire, le « Groupe des Douze, qui décerne chaque année un prix à un écrivain. L'essentiel de son temps est désormais consacré à la poésie et au théâtre. Pendant quelque temps, il retrouve les fonctions de Directeur des programmes à la Radiodiffusion Nationale, mais il referme rapidement cette parenthèse, en démissionnant de ce poste en mai 1954.
Il s'installe dans le quartier de Kifissia, à Athènes, et travaille pour le théâtre : il devient membre du Conseil d'administration du "Théâtre d'Art", fondé par le metteur en scène grec Karolos Koun, auquel il consacre un article, en 1959, pour fêter ses vingt-cinq ans de théâtre. Pour Karolos Koun, il traduit Le cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht. Il traduit aussi Ondine de Jean Giraudoux, pièce représentée en 1956 au Théâtre National d'Athènes. Il préside également le Conseil d'Administration du "Ballet-Théâtre".
Parallèlement, il poursuit la rédaction de deux importants poèmes : Six plus un remords pour le ciel, achevé dans sa seconde version en 1958, et surtout Axion Esti, monument poétique qui l'occupe depuis plus de sept ans. Des extraits d'Axion Esti sont d'abord publiés dans la Revue d'Art, mais l'accueil des critiques est défavorable, et Elytis en est profondément déçu. Achevé en décembre 1959, le poème est publié en 1960, et marque le début de la gloire d'Elytis : à présent l'opinion a évolué, d'importants critiques littéraires manifestent un intérêt grandissant pour son œuvre et multiplient les études à son sujet. Axion Esti est couronné la même année par le Grand Prix National de Poésie. La vie privée du poète est cependant marquée par deux deuils qui l'affectent douloureusement : après une grave maladie, son frère Constantin meurt le 15 juillet 196033, et sa mère décède le 19 septembre de la même année.

La notoriété internationale

La renommée d'Elytis connaît durant cette période un retentissement international qui se traduit par des invitations à effectuer des visites à l'étranger, par des distinctions honorifiques, et par le succès de son œuvre. En même temps, les traductions de cette œuvre se multiplient à travers le monde, tandis que se développe la fécondité de la veine artistique et littéraire du poète.

Voyages à l'étranger

Le premier de ces déplacements à l'étranger le conduit aux États-Unis à l'invitation du Département d'État américain. Il y séjourne de fin mars à juin 1961, visitant New York, où il retrouve le poète Nikitas Randos qui y a émigré, mais aussi Washington, La Nouvelle-Orléans, Los Angeles, San Francisco, Chicago et Boston.
L'année suivante, en mai 1962, il participe aux Rencontres internationales de la Culture à Rome. Et en décembre, c'est le gouvernement soviétique qui l'invite, en même temps qu'Andréas Embiríkos et Georges Théotokas. Tous trois visitent Odessa, Moscou, où Elytis accorde une interview, et Léningrad.
En 1965, à l'invitation de l 'Union des Écrivains bulgares, il visite Sofia en compagnie de Georges Théotokas et raconte ainsi la scène : On nous fait monter sur une estrade en bois. À côté de nous, sur une plus grande estrade, le conseil des ministres au grand complet, et à sa droite, à un rang analogue au nôtre, le corps diplomatique, à ce qu'on me dit. Partout des drapeaux, des inscriptions, des fleurs ... Nous applaudissons continuellement ou nous agitons les mains, pour saluer et manifester notre participation à cette fête merveilleusement pacifique.
En 1966, il effectue un voyage privé en France, s'arrêtant à Paris puis visitant le Midi. En février 1967, il se rend en Égypte où il visite Alexandrie, Louxor, Le Caire et Assouan. Peu après son retour en Grèce, le coup d'État militaire du 21 avril 1967 amène au pouvoir la junte des Colonels. Elytis se tient alors à l'écart de la vie publique, se consacrant à un travail de traduction et de peinture. Il décide finalement de s'exiler, le 3 mai 1969, pour s'installer à Paris, 7 rue de l'Éperon. Il anime des séminaires de philologie et de littérature à la Sorbonne.

À la fin du printemps 1970, il effectue un séjour de quatre mois à Chypre, où il rencontre Monseigneur Makarios III.

Étés en Grèce

Ces nombreux voyages à l'étranger n'éloignent pas Elytis très longtemps de la Grèce, et surtout de la mer Égée, car fidèle à son habitude, il se réserve la période estivale, et chaque année, il passe l'été dans une île grecque différente, revenant souvent à Spetses, Andros, Sériphos ou Rhodes. À Mytilène, il se rend plusieurs fois pour mener à bien le projet conçu en commun avec Tériade d'édifier un musée consacré au peintre Théophilos. L'idée est née en juillet 1961, lorsqu'Elytis découvre l'exposition consacrée à ce peintre qui se tient au Louvre. Il se rend aussitôt après à Mytilène pour y chercher, à la demande de Tériade, un terrain à vendre. Il y revient durant l'été 1962, en compagnie de Tériade, et ensemble, ils arpentent les collines de l'île à la recherche de l'emplacement idéal pour le futur musée. Les étés suivants, avec l'aide du peintre Yannis Tsarouchis et de l'architecte Yannoullellis35, Elytis et Tériade choisissent les matériaux, et étudient la question du volume des salles et de leur luminosité. À la fin des travaux, en juillet 1965, les deux amis organisent une courte cérémonie religieuse dans la chapelle voisine.

Distinctions et succès

Si les pays étrangers s'intéressent à Elytis durant cette période, la Grèce le met aussi à l'honneur : en 1965, le roi Constantin II l'élève au rang de Commandeur dans l'Ordre du Phénix. Sous la dictature des colonels, en 1971, le Grand Prix de Littérature lui est attribué mais Elytis le refuse. En 1975, il devient citoyen d'honneur de l'île de Mytilène, et la même année, il est fait docteur honoris causa de l'Université de Thessalonique. Le succès populaire se confirme aussi : la collaboration entre Elytis et le compositeur Mikis Théodorakis aboutit à l'oratorio "Axion Esti", présenté au cinéma Rex à Athènes le 19 octobre 1964. C'est un immense succès. L'oratorio est interprété de nouveau en 1976 à l'Odéon d'Hérode Atticus puis au Théâtre du Lycabette. Désormais, l'œuvre poétique d'Elytis peut courir sur les lèvres du grand public : elle est portée par la voix des chanteurs les plus populaires, et interprétée par les comédiens du Théâtre National dans différents montages de poèmes.

Une veine artistique féconde

Sans attendre la chute du régime des Colonels, Elytis met fin à son exil volontaire en France ; il rentre en Grèce le 6 juillet 1971. À partir de cette date, sa production littéraire et artistique connaît une floraison exceptionnelle dans tous les domaines. En 1971 paraissent deux importants recueils de poèmes : Le Monogramme et L'arbre de lumière et la quatorzième Beauté suivis en 1972 par le recueil de chansons Les R d'Éros ; il publie aussi plusieurs grands poèmes : Mort et Résurrection de Constantin Paléologue 1971, Soleil Soléiculteur 1972, Villa Natacha 1973, Le Phyllomancien 1973 et Marie des Brumes 1978. Son œuvre en prose s'accroît aussi avec la publication de l'important recueil d'essais Cartes sur table en 1974, et la rédaction de nombreux articles d'importance majeure, entre autres La magie de Papadiamantis 1975, Romanos le Mélode 1975 et Rapport à Andréas Embirikos 1977. Il produit nombre de gouaches et de collages, accorde de nombreux entretiens dans divers journaux et fait paraître plusieurs éditions d'art à tirage limité auxquelles collaborent Picasso, le sculpteur Koulentianos ou le graveur Dimitris. Il revient en 1976 sur ses traductions de plusieurs poètes français, ainsi que de Giuseppe Ungaretti, de Federico Garcia Lorca et de Maïakovski. Cette activité débordante ne l'empêche pas d'assumer aussi les fonctions de Président du Conseil d'Administration de la Radio et Télévision grecques, de 1974 à 1977, et de siéger comme membre au Conseil d'Administration du Théâtre National.

La gloire du Prix Nobel

Le 18 octobre 1979, le prix Nobel de littérature est attribué à Elytis, avec la mention suivante : Pour sa poésie qui, sur le fond de la tradition grecque, dépeint avec une force sensuelle et une clarté intellectuelle, le combat de l'homme moderne pour la liberté et la créativité. Le 8 décembre 1979, le nouveau lauréat prononce en français son discours de réception du Prix Nobel ; il reçoit des mains du roi Charles XVI Gustave de Suède la médaille et le diplôme Nobel, qui sont légués, en 1980, au Musée Benaki à Athènes. Le 10 décembre suivant, au cours du Banquet Nobel, il prononce une allocution de remerciement, comparant le voyage d'Ulysse dont il lui a été donné de porter le nom à sa propre aventure poétique : En me consacrant, à mon tour, pendant plus de quarante ans, à la poésie, je n'ai rien fait d'autre. Je parcours des mers fabuleuses, je m'instruis en diverses haltes.
Les honneurs à son égard se multiplient ensuite dans toute l'Europe. En Grèce, il est reçu par le Président de la République hellénique, Constantin Caramanlis, et le Parlement grec, siégeant dans une séance extraordinaire, lui rend un hommage solennel. En France, en 1980, il est fait docteur honoris causa de l'Université de Paris ; il prononce à cette occasion une allocution36 dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, évoquant son parcours de poète : « Les ressources indispensables pour ne pas me perdre en route dans la grande aventure de la poésie, je les ai acquises en me mettant, dès mon enfance, à l'école de la poésie française. Et je m'empresse d'ajouter : la meilleure école qui soit ... Le dialogue, les courants, les questions, les écoles littéraires, le renfort des théories, tout s'est développé dans cette ville, qui conserve à juste titre la prééminence intellectuelle en Europe. La même année, il se rend en Espagne à l'invitation du Premier Ministre, Adolfo Suarez, et il est reçu à l'Académie Royale de Madrid. En Angleterre, il est fait docteur honoris causa de l'Université de Londres, en 1981, et la médaille d'argent Benson lui est décernée par la Société Royale de Littérature. En Italie, un hommage solennel lui est rendu par l'Université de Rome : il prononce une importante allocution, envisageant l'avenir de l'Union Européenne comme la nécessaire synthèse de son triple héritage historique37 : Nous savons que l'idéal européen ne pourra pas se réaliser s'il ne prend pas appui, clairement, sur son socle spirituel, sur les bases des civilisations grecque et romaine, c'est-à-dire la Démocratie et le Droit, à quoi il faut ajouter l'esprit apporté par le christianisme.
Simultanément, il poursuit son exploration d'une poésie sans frontières : des origines de la poésie lyrique dans l'Antiquité grecque, en passant par l'époque hellénistique, les débuts du christianisme et les lettrés byzantins, Elytis embrasse de son regard le vaste champ de la poésie grecque dont il se plaît à effacer les limites temporelles. Après Trois poèmes sous pavillon de fortune parus en 1982, il publie Journal d'un invisible Avril, en 1985, tout en travaillant à une recomposition en grec moderne des fragments de Sappho, en qui il reconnaît une contemporaine. En 1986, il traduit en grec moderne l'Apocalypse de saint Jean et la même année fait paraître Le petit marinier. L'année suivante il traduit en grec moderne les épigrammes de Krinagoras, poète né à Mytilène au Ier siècle av. J.-C. qui vécut à la cour d'Auguste et d'Octavie à Rome.

Deuxième Prix Nobel grec 1979, après Georges Séféris, Odysseus Elytis est sans doute un des poètes majeurs de la Grèce contemporaine. Sa réputation de poète de la mer Égée ne doit pas tromper. Ce n'est pas, bien entendu, dans la peinture statique du paysage grec ni dans la présence de quelques thèmes persistants îles, mer, soleil, jeunes filles, etc. que réside l'importance de cette œuvre polyvalente, mais dans un effort d'unité profonde où la poésie joint la nature, l'histoire et la liberté. Pur poète lyrique, Elytis combine l'acuité du regard avec la force de l'imagination et la fraîcheur du sentiment. En dernière analyse, le surréalisme ne lui a révélé qu'une aptitude qui lui était propre : celle d'unir et de transformer les choses à la fois
Elytis appartient à une génération de novateurs, celle de 1930, et il s'oriente dès ses débuts vers une expression poétique d'avant-garde. Le hasard lui rend service de façon significative : un jour, dans une librairie athénienne, il tombe sur un livre de Paul Eluard. Au demeurant, l'an 1935 est une date importante non seulement pour la littérature néo-hellénique en général apparition officielle du surréalisme en Grèce avec un recueil de poèmes d'A. Embirikos, parution de la revue Les Lettres nouvelles, mais aussi pour le jeune poète en particulier, révélation de la nature grecque, publication de ses premiers vers. C'est ainsi que commence une œuvre féconde, dans laquelle il distingue lui-même trois périodes
La première est celle des Orientations 1940 et de Soleil le premier 1943. Elle consacre la priorité de la nature et des métamorphoses. On dirait ici que, à l'instar du jeune Sikélianos, Elytis prend son premier bain cosmique dans la mer grecque, sous la lumière éblouissante d'un soleil placé au centre de son univers. Mais il ne faut pas sous-estimer l'apport du surréalisme : en réalité, la métaphore l'emporte sur la comparaison. Les choses ne se ressemblent pas, ne sont pas les unes comme les autres ; elles se transforment et s'identifient, elles se confondent les unes avec les autres.
C'est à la guerre, cependant, qu'Elytis doit son passage à une nouvelle étape qui, sans l'amener à se renier, rend de plus en plus sensible dans son œuvre la présence de l'histoire. Les expériences personnelles du poète, qui fut combattant de la guerre gréco-italienne 1940-1941, n'y sont certainement pas pour rien. Elles apparaissent aussi bien dans Chant héroïque et funèbre pour un sous-lieutenant tombé en Albanie 1945 que dans Axion esti 1959. Mais ces deux œuvres, séparées par un long silence public du poète, s'opposent sur plusieurs points. Ce qui dans la première est encore un contact immédiat avec l'événement devient dans la seconde rapport profond à la diachronie. Œuvre de synthèse à l'architecture tripartite et qui tire profit de la poésie ecclésiastique et moderne à la fois, Axion esti marque sans doute dans la création d'Elytis une étape importante : le poète se transforme sans perdre son aptitude à rester le même.
Cette aptitude se manifeste non seulement dans Six Plus Un Remords pour le ciel 1960, mais aussi dans les poésies plus récentes telles que L'Arbre de lumière et la quatorzième beauté (1971), Maria Néphéli (1978). Il publie également des essais sur la littérature et sur les écrivains qui lui sont proches : Cartes sur table (1974) et Seconde Écriture (1976). Ce qu'Elytis appelle « métaphysique solaire » et qui marque sa troisième période n'est sans doute pas étranger à un certain nombre d'expériences personnelles et collectives : dictature des colonels en Grèce, mai 1968, deuxième séjour du poète à Paris (1969-1972). C'est en ce sens qu'il achève d'émanciper son œuvre de toute limite pour la mettre au service de la liberté : « Je considère la poésie comme une source d'innocence pleine de forces révolutionnaires. Ma mission est de diriger ces forces contre un monde que ma conscience ne peut accepter, de façon à ce que je puisse, à travers des métamorphoses successives, mettre ce monde en accord avec mes rêves » (1975).

Un surréaliste non orthodoxe

Mettre le monde en accord avec ses rêves ? Mais Elytis s'y applique avec zèle depuis qu'il écrit. Révolutionnaire dans le sens le plus large du terme, il ne cesse de songer à des changements profonds :
J'ai brassé les horizons dans la chaux et, d'une main lente mais sûre, bâti les quatre murs de mon futur. Il est, dis-je, grand temps que l'impudicité accède à la sacralité et dans un Couvent de Lumière garantisse l'instant suprême où le vent déchira une nuée légère sur l'arbre des extrémités de la terre.
Surréaliste peu enclin à la politique et assez respectueux de la tradition grecque, Elytis n'est pas un partisan de l'écriture automatique ; bien au contraire, depuis sa jeunesse il considère que, pour maîtriser la matière poétique, « il faut toujours une intervention consciente » (1938). Esprit pictural (la peinture occupe dans sa vie la deuxième place après la poésie), il transforme ses impressions en images dans lesquelles la présence d'éléments contraires semble être moins motivée par un effet de contraste que par un besoin d'« unité de tout ». Visionnaire et voyant, il appartient à la famille des poètes qu'il traduit, et entretient des rapports privilégiés avec la poésie française : Rimbaud, Lautréamont, Eluard... Dans son œuvre, le miracle est aussi réel que la lumière est transparente. Chantre de l'amour et de la mer, païen et chrétien à la fois, Elytis n'a cessé d'honorer « la sainteté des sens » et d'affirmer sa vision « biologique » des choses, son optimisme et sa foi profonde en l'avenir de l'homme.

La solitude et la fin

Les dernières années de la vie d'Elytis sont marquées par un retrait progressif de la vie publique, dû à la maladie : il souffre depuis plusieurs années d'anémie hémolytique et d'infections pulmonaires qui l'obligent à de fréquentes hospitalisations. Ainsi, en 1988, il doit renoncer à se rendre à Paris pour l'inauguration d'une exposition qui lui est consacrée au Centre Georges Pompidou.
Il reste néanmoins entouré par ses plus proches amis, et par la compagne des treize dernières années de sa vie, la poétesse Ioulita Iliopoulou. Et il ne cesse pas d'écrire : en 1990, la prose poétique de "Voie Privée" s'accompagne de 81 gouaches, aquarelles et dessins. En 1991, paraît le poème "Dit de Juillet" avec des photographies de la jeunesse d'Elytis. Les essais et discours des années 1972 à 1992 sont publiés dans l'important recueil "Blanc-seing". En 1993, dans une lettre rendue publique, il apporte son soutien à Antónis Samarás qui vient de créer un nouveau parti politique, le Printemps politique. L'œuvre du crépuscule de sa vie, toute de méditation et de contemplation devant la nature, laisse s'exhaler, malgré lui, un parfum de tristesse dont témoignent les titres des derniers recueils : "Les Elégies d'Oxopétra", "A l'ouest du chagrin", et "Le jardin des illusions", publiés en 1995.
Celui qui s'était attaché à « habiter poétiquement ce monde », selon le vœu de Hölderlin, souhaitant, avant de mourir, que son départ soit entouré d'un profond silence chrétien, s'éteint à son domicile d'Athènes, victime d'un arrêt cardiaque, le 18 mars 1996.

Œuvres d'Élytis en français

Equivalences chez Picasso, revue Verve, Vol. VII, 1951, n°25-26
Six plus un remords pour le ciel, Traduction Jacques Lacarrière, Fata Morgana, 1977
Les clepsydres de l’inconnu, éditions Fata Morgana, 1980
Marie des Brumes, Traduction Xavier Bordes et Robert Longueville, F.Maspero, 1982
Le monogramme, Traduction Natalie Depraz éditions Fata Morgana, 1997
Le monogramme, Traduction de Xavier Bordes et Robert Longueville
Belle et étrange patrie, Calligraphie de Lalou, Orange. Grandir 1998
Pierre Reverdy entre la Grèce et Solesmes, traduction Georges Spyridaki, Fata Morgana, 1998
Temps enchaîné et Temps délié, Traduction Malamati Soufarapis, l'Echoppe, 2000
Autoportraits, éditions Fata Morgana, 2002,
Axion Esti suivi de l'Arbre lucide et la quatorzième beauté, et de Journal d'un invisible avril, traduction de Xavier Bordes et Robert Longueville.
Voie privée, Traduction Malamati Soufarapis avec trois temperas de l'auteur, l'Echoppe, Paris, 2003
Vingt-quatre heures pour toujours, Traduction Malamati Soufarapis, l'Echoppe, 2004
Les Stèles du Céramique, Traduction Malamati Soufarapis, l'Echoppe, 2005
Le petit navigateur, Traduction par Malamati Soufarapis de trois séquences seulement du poème, l'Echoppe, 2006
En avant lente, Traduction Malamati Soufarapis, l'Echoppe, 2008

Essais et adaptations en grec

Οδυσσέας Ελύτης, Εν Λευκώ (Blanc-seing), Ίκαρος, πέμπτη έκδοση, 1999,
Οδυσσέας Ελύτης, Ανοιχτά Χαρτιά (Cartes sur Table), Ίκαρος, έκτη έκδοση, 2004,
Adaptation-recomposition en grec moderne des fragments de Sappho de Mytilène.
Οδυσσέας Ελύτης, Αυτοπροσωπογραφία σε λόγο προφορικό, Ύψιλον βιβλία, Αθήνα 2000

Bibliographie

(de) Hans Rudolf Hilty, Odysseus Elytis, ein griechischer Lyriker unsere Tage, Neue Zürcher Zeitung, Zürich, 17 juillet 1960
(fr) La Nouvelle Revue Française, Paris, juin 1970, no 18, p. 884-887
(fr) Nicolas Svoronos, Histoire de la Grèce moderne, 3e édition mise à jour, P.U.F. 1972
(el) Γ.Π.Σαββίδης, Πάνω Νερά, Ερμής, 1973, p. 142-155.
(el) K.Θ.Δημαρά, Ιστορία της Νεοελληνικής λογοτεχνίας, έκτη έκδοση, Ίκαρος, 1975
(en) Books Abroad, Norman, Oklahoma, tome 49, no 4 Automne 1975, p. 625-716 : articles entre autres de Robert Jouanny, Ivar Ivask et Lawrence Durrell.
(el) Mario Vitti, Οδυσσέας Ελύτης. Βιβλιογραφία 1935-1971, συνεργασία Αγγελικής Γαβαθά, Ίκαρος, 1977
(el) Τάσος Λιγνάδης, Το Άξιον Εστί του Ελύτη, Εισαγωγή, σχολιασμός, ανάλυση. 3η έκδοση, 1977
(fr) Dimitri T. Analis, Six plus un remords pour le ciel. Poèmes d'Odysseus Elytis in Les Nouvelles Littéraires, Paris, no 2617, 5-12 janvier 1978
(el) Kimon Fraier, Άξιον Εστί, το Τίμημα. Εισαγωγή στην ποίηση του Οδυσσέα Ελύτη, Κέδρος, 1978
(el) Οδυσσέας Ελύτης, σύγχρονοι ποιητές, Εκλογή 1935-1977, έκτη έκδοση, ΑΚΜΩΝ, Αθήνα, 1979.
(fr) "Odysséas Elytis, un Méditerranéen universel", ouvrage collectif édité à l'occasion de l'exposition Odysséas Elytis, organisée au Centre Pompidou en 1988, Bibliothèque Publique d'Information / Centre Georges Pompidou, Éditions Clancier-Guenaud, Paris, 1988

Liens
http://youtu.be/7vBdngd4TGA Poème chanté en grec
http://youtu.be/OZwjoPyk_ew
http://youtu.be/ncjenmnN4ew Poéme de Elytiss chanté et dit par Angélique Ionatos
http://youtu.be/s0ERRNccIwE?list=PL5866FCF2113B8587 Elytiss et Théodorakis


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#263 Jules Barbey D'Aurevilly
Loriane Posté le : 31/10/2014 20:15
Le 2 novembre 1808 naît Jules Amédée Barbey d’Aurevilly,

à Saint-Sauveur-le-Vicomte, en Normandie, écrivain français, mort, à 80 ans le 23 avril 1889 à Paris. Surnommé le Connétable des lettres, il a contribué à animer la vie littéraire française de la seconde moitié du XIXe siècle. Il a été à la fois romancier, nouvelliste, essayiste, poète, critique littéraire, journaliste, dandy, et polémiste.Il appartient au mouvement réalisme, fantastique, surnaturalisme, dandysme, ses Œuvres principales sont, Les Diaboliques, L'Ensorcelée, Une vieille maîtresse, Le Chevalier Des Touches, Un prêtre marié, il est entouré de Charles Baudelaire, Honoré de Balzac et Guillaume-Stanislas Trébutien
Né au sein d’une ancienne famille normande, Jules Barbey d’Aurevilly baigne dès son plus jeune âge dans les idées catholiques, monarchistes et contre-révolutionnaires. Un moment républicain et démocrate, Barbey finit, sous l’influence de Joseph de Maistre, par adhérer à un monarchisme intransigeant, méprisant les évolutions et les valeurs d’un siècle bourgeois. Il revient au catholicisme vers 1846 et se fait le défenseur acharné de l’ultramontanisme et de l’absolutisme, tout en menant une vie élégante et désordonnée de dandy. Il théorise d'ailleurs, avant Baudelaire, cette attitude de vie dans son essai sur le dandysme et George Brummell. Ses choix idéologiques nourriront une œuvre littéraire, d’une grande originalité, fortement marquée par la foi catholique et le péché.
À côté de ses textes de polémiste, qui se caractérisent par une critique de la modernité, du positivisme ou des hypocrisies du parti catholique, on retient surtout, même s'ils ont eu une diffusion assez limitée, ses romans et nouvelles, mélangeant des éléments du romantisme, du fantastique, ou du surnaturalisme, du réalisme historique et du symbolisme décadent. Son œuvre dépeint les ravages de la passion charnelle, Une vieille maîtresse en 1851, filiale, Un prêtre marié, 1865 ; Une histoire sans nom, 1882, politique, Le Chevalier des Touches, 1864 ou mystique, L’Ensorcelée, 1855. Son œuvre la plus célèbre aujourd'hui est son recueil de nouvelles Les Diaboliques, paru tardivement en 1874, dans lesquelles l’insolite et la transgression, plongeant le lecteur dans un univers ambigu, ont valu à leur auteur d’être accusé d’immoralisme.
Son œuvre a été saluée par Baudelaire et plusieurs écrivains ont loué son talent extravagant, notamment à la fin de sa vie, mais Hugo, Flaubert ou Zola ne l'appréciaient pas. Ses héritiers ont pour nom Léon Bloy, Joris-Karl Huysmans, Octave Mirbeau ou Paul Bourget et sa vision du catholicisme exercera une profonde influence sur l’œuvre de Bernanos

En bref

On ne peut aisément situer ni définir Barbey d'Aurevilly. Par les dates de sa vie, il touche aux deux mouvements littéraires extrêmes du XIXe siècle, le romantisme et le symbolisme ; il semble prolonger l'un et, par certains aspects de son œuvre, annoncer l'autre. Personnage contradictoire, il a laissé de soi une image complexe, ou plutôt des images opposées dont la critique a quelque peine à tirer un portrait : celle d'un dandy un peu ridicule, celle d'un critique brutal et dogmatique, appuyant ses condamnations violentes sur un catholicisme étroit, celle d'un romancier régionaliste, attiré par le passé de sa Normandie natale et par la chouannerie qui flatte son royalisme, celle aussi d'un créateur qui pousse ses personnages aux limites de la révolte, du satanisme et du blasphème.
Jules Barbey d'Aurevilly est né le 2 novembre 1808, à Saint-Sauveur-le-Vicomte, petite ville du Cotentin. S'il ne descendait pas, comme on l'a longtemps prétendu, de Louis XV, il appartenait à une famille aisée, très officiellement anoblie vers le milieu du XVIIIe siècle. La Révolution avait brusquement interrompu cette ascension sociale. L'enfant vécut au milieu des rêves, des regrets et des rancœurs. La Restauration même parut tiède à de tels royalistes qui s'enfermèrent dans leur mauvaise humeur. Des études traditionnelles et assez sérieuses, une licence de droit faite à Caen sont les concessions qu'il fait à sa famille. En 1833, il se libère grâce à un petit héritage, et vient s'installer à Paris. L'héritage dilapidé, il tentera de se faire une place dans la littérature ; il lui faudra plus de quinze ans pour connaître son premier succès, avec la publication simultanée d'un pamphlet, Les Prophètes du passé, et d'un roman, Une vieille maîtresse. C'était en 1851 ; il avait déjà collaboré à divers journaux, pour des articles politiques ou de la critique littéraire ; il mène alors une vive campagne en faveur du rétablissement de l'Empire. L'année suivante, il entre au Pays, journal officieux dont il rédigera le feuilleton littéraire pendant plus de dix ans. Son bonapartisme était du royalisme résigné, son catholicisme intransigeant irritait ; il se maintint non sans difficulté dans ce journal jusqu'à 1862. Les années qui suivent le rejettent à l'agitation : il collabore à de « petits journaux », généralement d'opposition, Le Figaro, Le Nain jaune, Le Parlement... publiant de la critique, des feuilletons de théâtre, des articles polémiques (Les Médaillons de l'Académie, Les Ridicules du temps, Les Vieilles Actrices...). Son œuvre romanesque se développe parallèlement : L'Ensorcelée, 1852 ; Le Chevalier des Touches, 1863 ; Un prêtre marié, 1864. Après la mort de son grand ennemi, Sainte-Beuve, il est chargé de la critique littéraire au Constitutionnel. La vie s'apaise, la violence profonde demeure, dans de nouvelles polémiques politiques en 1872, en 1880 ; dans l'œuvre romanesque : Les Diaboliques, publiées en 1874, sont déférées au Parquet, le procès évité non sans peine. Dans les dernières années de sa vie, la réputation et l'autorité lui sont enfin venues. Autour de celui que quelques-uns appellent « le Connétable des lettres » se réunissent de jeunes écrivains, des amis, ou simplement des admirateurs : Léon Bloy, Paul Bourget, Peladan, Jean Lorrain, Rollinat... Les dernières heures sont tristes, et bien connues : la baronne de Bouglon, l'Ange blanc, à qui, trente-cinq ans plus tôt, d'Aurevilly s'était fiancé, dispute l'héritage de l'écrivain à Louise Read, secrétaire et amie des dernières années.

Sa vie

Jules-Amédée Barbey naît le 2 novembre 1808, le jour des Morts, à Saint-Sauveur-le-Vicomte, commune française située dans le département de la Manche et la région Basse-Normandie. Jules est l’aîné d'une fratrie de quatre enfants : Léon né en 1809, Édouard né en 1810, Ernest né en 1811. Son père Théophile Barbey appartient à une famille dont la présence à Saint-Sauveur est attestée dès la fin du XIVe siècle. La famille Barbey accède à la noblesse en 1756, lorsque Vincent Barbey, avocat au bailliage de Valognes, acquiert une charge. Sa mère Ernestine Ango, issue d’une famille de bonne bourgeoisie installée à Caen au XVIe siècle est la fille du dernier bailli de Saint-Sauveur.
L’enfance de Barbey se déroule entre Saint-Sauveur, Valognes et le bord de mer à Carteret, dans une atmosphère conservatrice et ultra : la Révolution a durement touché les deux familles. Les Barbey vivent dans l’attente du retour à la monarchie, au milieu des souvenirs et des vieilles coutumes normandes. Jules grandit entre une mère peu aimante et un père austère. Il est attentif aux récits de coin du feu de sa vieille bonne Jeanne Roussel et de Louise Lucas-Lablaierie, sa grand-mère : les exploits plus ou moins mythiques de son oncle le chevalier de Montressel, qui se serait illustré lors des guerres de la chouannerie, impressionnent l’enfant.

Les années de formation

En 1816, l’admission de Jules est refusée à l'école militaire. Il poursuit ses études au collège de Valognes. En 1818, il habite chez son oncle le docteur Pontas-Duméril, un esprit libéral qui encourage l’émancipation intellectuelle et morale de son neveu - dans les Diaboliques, Barbey peindra son oncle sous les traits du docteur Torty. Cet ancien maire de Valognes attise son imagination lorsqu’il lui confie les détails intimes et croustillants des personnalités de la ville - le dessous des cartes de la haute société valognaise. Son cousin Edelestand du Méril, un poète et philosophe érudit, lui communique son admiration pour Walter Scott, Lord Byron, Robert Burns, ainsi que son goût pour l’histoire et la métaphysique.
En 1823, Barbey compose sa première œuvre, une élégie Aux héros des Thermopyles, dédiée à Casimir Delavigne et qu’il publie l’année d’après. Il compose dans la foulée un recueil de vers, qu’en 1825 il brûle de dépit faute d’avoir pu l’éditer. En 1827, il entre en classe de rhétorique au collège Stanislas à Paris. Il y rencontre Maurice de Guérin avec lequel il noue une amitié. Après son baccalauréat en 1829, il rentre à Saint-Sauveur la tête pleine d’idées politiques et religieuses nouvelles, contraires à celles de sa famille. Il souhaite ardemment, contre la volonté de son père, entamer une carrière militaire mais il cède et accepte de faire son droit à l'université de Caen. À la mort de son oncle Jean-François Barbey d’Aurevilly, il refuse temporairement, par conviction républicaine, de reprendre la particule.

L’élan romantique de la jeunesse

Vers 1830, Barbey rencontre Guillaume-Stanislas Trébutien, libraire à Caen et correspondant essentiel, et tombe amoureux de Louise du Méril, la femme de son cousin Alfred. Leur liaison est incertaine et c’est pour Barbey l’époque de sa vie la plus malheureuse. Il est alors très marqué par l’influence des romantiques. En 1831, il écrit sa première nouvelle Le Cachet d’Onyx, inédite jusqu’en 1919, et dont il réutilisera le dénouement dans Un dîner d’athées, puis Léa en 1832, publiée dans l’éphémère Revue de Caen qu’il a fondée avec Trébutien et Edelestand du Méril.
En juillet 1833, Barbey soutient sa thèse, Des causes qui suspendent le cours de la prescription, puis s’installe à Paris où il retrouve Maurice de Guérin. Il fonde en 1834 une Revue critique de la philosophie, des sciences et de la littérature avec Trébutien et du Méril, où il publie pendant quelques mois des articles de critique littéraire. Il retourne à Caen en décembre dans l’espoir de revoir Louise et écrit là-bas en une nuit La Bague d’Annibal, poème en prose d’inspiration byronienne, qui ne trouve acquéreur qu’en 1842. En 1835, il compose un autre poème en prose, Amaïdée, publié en 1889, et un roman, Germaine ou La Pitié, qui deviendra Ce qui ne meurt pas en 1883. En 1836, il rédige les deux premiers Memoranda à l’intention de Guérin et rompt avec sa famille.

Le dandy : Sardanapale d’Aurevilly

De retour à Paris, Barbey vit sur l’héritage de son oncle et rêve d’une carrière politique en lisant nombre d’ouvrages historiques. Il collabore au Nouvelliste, un journal politique, rencontre Hugo et se lie avec Eugénie de Guérin - la très dévote sœur de Maurice. Ses ambitions mondaines l’amènent à composer un personnage de parfait dandy : il s’applique à se froidir, se perfectionne dans l’art de la toilette, fréquente Roger de Beauvoir et le café Tortoni, cultive l’ironie, l’art de l’épigramme et le mystère. Il mène une vie désordonnée : il se jette dans les fêtes et les plaisirs, les soirées noyées dans l’alcool et enchaîne les passades. Il consomme du laudanum pour s’endormirnote 11 et ses amis le surnomment Roi des ribauds ou encore Sardanapale d’Aurevilly.
Rouge aux lèvres, rose sur les joues, les cheveux teints passant du noir au bronze suivant la date de la teinture, des bagues à la main, un corps massif sanglé dans une redingote juponnée, cravate verte et gilet diapré, Barbey d'Aurevilly surprit ses contemporains. Mais son œuvre, singulièrement originale, étonne encore, pour autant que, en dépit de ses artifices et de ses effets voulus, elle unit l'éclat de l'imagination à la richesse d'un verbe romantique et raffiné.

Du dandysme et de George Brummell.

Ses causeries spirituelles lui valent de nombreuses conquêtes et lui ouvrent les portes des salons - il fréquente avidement celui de la marquise Armance du Vallon, qu’il entreprend de séduire. Cette bataille l’occupe quotidiennement pendant quelques mois, sans succès : elle se révèle plus dandy que lui. Elle lui inspire une longue nouvelle, L’amour impossible, tragédie de boudoir publiée en 1841 et qui passe inaperçue. La mort de Guérin en 1839 l’affecte profondément. Il fréquente le salon à tendance catholique et légitimiste de la baronne Amaury de Maistre, nièce par alliance de Joseph de Maistre, et en 1842 il collabore au Globe, un journal politique qui publie sa Bague d’Annibal remaniée. On le détache à Dieppe, faire campagne pour le baron Levavasseur, armateur à la fortune considérable, et qui possède des parts dans le journal. En 1843 il collabore au Moniteur de la Mode sous le pseudonyme de Maximilienne de Syrène et commence son étude sur George Brummell. Il entretient une liaison avec une mystérieuse Vellini, la future héroïne d'Une vieille maîtresse. Du dandysme et de George Brummell paraît en 1845, édité à une trentaine d’exemplaires. L’œuvre est un succès de salon. Il commence un autre ouvrage sur le dandysme, le Traité de la princesse, manuel de séduction sous forme d’aphorismes, inspiré du Prince de Machiavel. Il le reprendra souvent pour l’enrichir mais l’ensemble restera inachevé.

Le retour à l’enfance et au catholicisme

Après une tentative infructueuse pour collaborer à la Revue des deux Mondes, puis au Journal des Débats, Barbey passe les années 1845/46 à sa Vieille maîtresse. Il en compose la moitié avant de connaître une panne d’inspiration passagère. Fin 1846 il voyage dans le centre de la France en quête de fonds pour un projet de Société catholique. Il passe un mois dans le Forez, à Bourg-Argental, théâtre de la future Histoire sans nom, et réapparaît assagi à la fin de l’année : même s’il ne pratique pas encore, la lecture de Joseph de Maistre, sa rencontre avec Eugénie de Guérin, ses échanges avec son frère Léon Barbey d’Aurevilly, qui a embrassé la prêtrise, ont amorcé sa conversion. La lecture des Docteurs du jour devant la famille de Raymond Brucker, paru en 1844, et dans lequel l’auteur raconte son propre retour au catholicisme, a pu aussi jouer un rôle important. Le retour au catholicisme lui renouvelle l’inspiration : l’écrivain de 38 ans qui sent au même moment resurgir le passé lointain et les impressions de l’enfance reprend son roman dans de nouvelles dispositions. Il place la seconde partie non plus à Paris mais en Normandie, dans le Carteret de sa jeunesse.
La Revue du Monde catholique, journal ultramontain dont il est rédacteur en chef, l’occupe constamment en 1847. Il achève son roman à la fin de l’année, mais ne peut le publier : la Révolution de 1848 perturbe les délais de parution. Dans la confusion qui suit les journées de février, il tente de s’adapter à la nouvelle situation et va jusqu’à présider un club d’ouvriers durant quelques semaines. La revue cesse de paraître et Barbey, écœuré par le présent, se retire dans la solitude pour préparer des œuvres très différentes, mais toutes en rapport avec le passé. Il passe le reste de l’année et une partie de 1849 à lire et se documenter. Il révise Une vieille maîtresse, en même temps qu’il prépare un grand article sur Jacques II Stuart et Les prophètes du passé - essai de philosophie politique sur Joseph de Maistre, Louis de Bonald, François-René de Chateaubriand, Félicité de Lamennais et Antoine Blanc de Saint-Bonnet - ces hommes supérieurs « qui cherchent les lois sociales là où elles sont, c’est-à-dire dans l’étude de l’histoire et la contemplation des vérités éternelles. Il conçoit dans sa retraite le plan d’une série de romans au titre d’ensemble Ouest - il veut être le Walter Scott de la Normandie. Ricochets de conversation : Le dessous de cartes d’une partie de whist, la première des Diaboliques, est publiée en 1850.

Le critique littéraire et le romancier

En 1851 paraissent simultanément Une vieille maîtresse et Les Prophètes du passé - œuvres très contrastées qui étonnent la critique : on comprend mal que le même écrivain livre en même temps un pamphlet catholique et monarchiste et un roman de mœurs aux pages sensuelles et passionnées. La parution d’Une vieille maîtresse est l’occasion de soulever le problème du roman catholique, de la morale et de l’art. La même année Barbey rencontre chez Mme de Maistre Françoise Émilie Sommervogel, baronne de Bouglon, veuve du baron Rufin de Bouglon. Celle qu’il surnomme l’Ange blanc va dominer sa vie pour les dix années à venir. Elle trouve le talent de son fiancé trop féroce: il se modère pour Le Chevalier des Touches, roman historique sur un héros chouan, commencé l’année suivante. Il rentre au Pays, un journal bonapartiste, en 1852. Au départ il s’y occupe de critique littéraire en attendant de se voir confier une chronique politique. Il restera 10 ans à cet office. L'Ensorcelée, l’histoire du retour à son village d’un prêtre chouan défiguré par une tentative de suicide, est publiée cette même année en feuilleton puis en volume en 1854, mais passe inaperçue. Baudelaire toutefois considère ce roman comme un chef-d’œuvre. Les deux hommes se rencontrent à cette époque. Il publie aussi des Poésies. En 1855, Barbey se tourne vers la pratique religieuse. Il publie avec Trébutien les Reliquiae de son amie Eugénie de Guérin, décédée en 1848 et commence Un prêtre marié, roman frénétique mettant en scène un prêtre impie et sa fille. En 1856, à l’occasion d’un voyage en Normandie et de sa réconciliation avec ses parents, il écrit le troisième Memorandum. Il publie une critique audacieuse contre Les Contemplations de Victor Hugo, gloire intouchable.
Par ses articles, il contribue à faire découvrir Stendhal et à réhabiliter Balzac. Il défend également Les Fleurs du mal de Baudelaire et consacre à Madame Bovary de Flaubert une critique favorable mais sévère. Il déclare son goût pour les romantiques et n’hésite pas à tailler en pièces le réalisme, le naturalisme et les parnassiens : Champfleury, Jules et Edmond de Goncourt, Banville, Leconte de Lisle, et plus tard Émile Zola figurent parmi ses cibles. En 1858, il fonde Le Réveil, un journal littéraire, catholique et gouvernemental. Les articles qu’il publie lui valent des inimitiés : Sainte-Beuve, Pontmartin, Veuillot. Il fait encore parler de lui avec Une vieille maîtresse : l’œuvre est rééditée et crée le scandale.
En 1860, il s’installe au 25, rue Rousselet à Paris, qui sera jusqu’à sa mort son tournebride de sous-lieutenant, et publie le 1er volume des Œuvres et les hommes, vaste ensemble de recueils critiques où il entend juger la pensée, les actes et la littérature de son temps. En 1862, ses articles contre Les Misérables créent le scandale. Il quitte Le Pays à la suite d’un autre article contre Sainte-Beuve et part quelques mois travailler à ses romans chez Mme de Bouglon à la Bastide-d’Armagnac. En 1863, une chronique au Figaro qui ridiculise Buloz et la Revue des deux Mondes lui vaut un procès. Il persévère et s’en prend à l’Académie en publiant dans le Nain jaune les Quarante médaillons de l’Académie, pamphlet contre les membres de l’Institut. Le Chevalier des Touches paraît la même année, Un prêtre marié paraît l’année suivante. Le dernier Memorandum est composé en 1864, à l’occasion d’un voyage à Saint-Sauveur.
En 1865, il quitte définitivement Le Pays et retourne au Nain jaune, devenu démocrate et anticlérical. Ses opinions sont diamétralement opposées à celles du journal, mais on le laisse libre de ses propos. Il y publie les Ridicules du temps et des articles de critique dramatique. Cette collaboration dure quatre ans. En 1867, il rencontre Léon Bloy, qui devient rapidement son disciple. En 1869, il entre au Constitutionnel où il s’occupera jusqu'à sa mort de critique littéraire. Les années suivantes, il alterne vie parisienne et séjours plus ou moins prolongés en Normandie. Paul Bourget raconte qu'il ne gagna alors rien de plus que les 500 francs par mois pour ses articles au Constitutionnel. À la fin du siège en 1871, il retourne à Valognes où il achève Les Diaboliques. Il entretient la flamme polémiste en publiant des articles antirépublicains.

Le connétable des lettres

Les Diaboliques sont publiées en novembre 1874. Les exemplaires sont immédiatement saisis et l’auteur est poursuivi pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, et complicité. Barbey fait intervenir Arsène Houssaye et Gambetta pour éviter le procès. Il accepte de retirer l’ouvrage de la vente et le juge d'instruction conclut au non-lieu. L’œuvre sera rééditée en 1883 avec une préface, ajoutée par précaution. Durant les années qui suivent, il se rapproche de la génération montante : Bloy, Vallès, Daudet, Bourget, Rollinat, Jean Lorrain, Richepin, Péladan, Huysmans, Coppée, Hello, Uzanne, Octave Mirbeau... ainsi que d’écrivains autrefois éreintés : Banville, Hérédia, Taine. Edmond de Goncourt l’inscrit sur une des premières listes de l’Académie des Dix. En 1878, il publie Les Bas-bleus, cinquième volume des Œuvres et les hommes, consacré aux femmes qui écrivent, car les femmes qui écrivent ne sont plus des femmes. Ce sont des hommes - du moins de prétention - et manqués.
En 1879, il rencontre Louise Read, sa dernière amie et celle qui va se dévouer à sa gloire. En 1880, il publie Goethe et Diderot, un pamphlet. Une histoire sans nom, autre roman catholique dans lequel un moine capucin qui prêche l’Enfer croise la route d’une jeune fille innocente et somnambule, paraît en 1882 - c’est un succès. Il collabore au Gil Blas et publie en 1883 deux histoires d’inceste et d’adultère : Retour de Valognes, Une page d’histoire et Ce qui ne meurt pas, un roman écrit presque 50 ans plus tôt.
Il donne également les troisième et quatrième Memorandum. En 1884, il publie des poésies, Les Rythmes oubliés et ses derniers articles de critique - il salue notamment A rebours le roman-manifeste fin de siècle de Huysmans. Malade du foie, il continue de fréquenter les salons de la baronne de Poilly, des Daudet et des Hayem, où ses causeries émerveillent. Il soutient les débuts à la scène de la jeune Marthe Brandès. En 1888, il publie Léa, l’une de ses premières nouvelles, puis Amaïdée en 1889, avant de tomber malade. Il s’éteint le 23 avril 1889. Les circonstances de sa mort vaudront de violentes attaques autour de son testament, Louise Read est instituée légataire universelle, en mai 1891, du journal La France sous la plume du Sâr Joséphin Peladan, et un procès de ce dernier à l’encontre de Léon Bloy et de Léon Deschamps rédacteur en chef de la revue La Plume. La quasi-totalité de la presse d’alors salue la condamnation du Sâr en octobre 1891. L’écrivain normand est inhumé au cimetière Montparnasse avant d’être transféré en 1926 au château de Saint-Sauveur-le-Vicomte. C’est Louise Read qui poursuivra la publication des Œuvres et les hommes.

Les influences et modèles Les modèles romantiques

Dans ses premières œuvres, Barbey imite souvent les romantiques. Son premier poème Aux héros des Thermopyles est dans la manière de Casimir Delavigne, alors le chantre des vaincus, auquel il est dédié. Les modèles lui servent souvent de repoussoir, il crée par opposition : Le cachet d’onyx est inspiré de la jalousie d'Othello, de Julie et des théories de Madame de Staël, Corinne. Germaine ou La pitié, Ce qui ne meurt pas est influencé par Lélia de George Sand, La bague d’Annibal par Musset, Mardoche. Une vieille maîtresse est l’antithèse complète de Adolphe de Benjamin Constant et de Leone Leoni George Sand, à laquelle il emprunte son sujet - l’amour d’une femme pour un amant dont elle découvre peu à peu la dépravation. La lecture de Stendhal en 1839, pendant qu’il compose L’amour impossible, le marque profondément : il admire la sécheresse et la netteté de l’analyse. Les patriotes écossais des Chroniques de la Canongate de Walter Scott lui inspirent vers 1850 l’idée d’une série de romans normands sur la chouannerie, dont le titre collectif devait être Ouest.

Lord Byron

Barbey, dès son plus jeune âge, est un passionné de Lord Byron : Byron et Alfieri, n’ont que trop empoisonné les dix premières années de ma jeunesse. Ils ont été à la fois ma morphine et mon émétique. Byron domine son imagination, aucun écrivain n’aura sur lui une influence aussi profonde : C’est dans Byron que j’ai appris à lire littérairement. Il possède les œuvres complètes et en anglais du poète de Childe Harold, et les connaît à la virgule près.
Les héros de Byron, sombres figures de la Force blessée au cœur, qui ont ce charme de la goutte de lumière dans l’ombre et d’une seule vertu parmi plusieurs vices, l’ensorcellent et influencent les personnages de ses romans : Jehoël de La Croix-Jugan dans l'Ensorcelée, Monsieur Jacques du Chevalier des Touches, Sombreval dans Un prêtre marié.
Le couple de Satan et de l’Ange, thème satanique très présent chez Byron, mais également chez Vigny, Éloa, est récurrent chez Barbey : Jehoël de La Croix-Jugan et Jeanne Le Hardouey, L'Ensorcelée, Hermangarde et Vellini, Une vieille maîtresse, Sombreval et sa fille Calixte, Un prêtre marié. Les personnages de prêtre coupable et impénitent symbolisent la chute de l'ange et Satan. Comme lui, ils pèchent contre l'esprit et choisissent la damnation : La Croix-Jugan, Sombreval, mais aussi le père Riculf (Une histoire sans nom) supportent comme le Manfred de Byron une malédiction et le poids d'une lourde faute.

Joseph de Maistre

Joseph de Maistre est un des plus fermes partisans de la contre-révolution et un ennemi des Lumières. Il soutient l'ultramontanisme, la théocratie et l'absolutisme. Barbey découvre Les soirées de Saint-Pétersbourg vers la fin 1838. Il se délecte de la lecture de cet ouvrage qui coupe la respiration à force d'idées et d'images, à la métaphysique toute puissante. Il lui consacre ensuite une série d'études importantes : Maistre figure au premier rang, avec Bonald, des Prophètes du passé, 1851. Il lui rend hommage lors de la parution en 1853 des Mémoires de Mallet du Pan, puis en 1858 et 1860 lors de la publication de la Correspondance diplomatique, enfin en 1870 lors de la parution de ses Œuvres inédites. Les connivences de Maistre et de Barbey sont à la fois éthique, métaphysique et esthétique.
Sur le plan moral, Maistre fait preuve d'une extrême rigueur dogmatique qui le conduit à légitimer l'Inquisition et à défendre le rôle social du bourreau. Ce goût de la posture provocante et polémique se retrouve chez Barbey. Maistre combat également l'idée, selon lui néfaste à toute critique, de distinguer la personne des opinions qu'elle formule dans ses écrits. Barbey sera fidèle à ce principe dans ses critiques littéraires.
La métaphysique de Maistre accorde une large place au mal, dont l'origine est la Chute de l'homme. Le dogme de la réversibilité, souffrance volontaire des hommes offerte à Dieu pour appeler la miséricorde et la rédemption de leurs frères, est considéré par Maistre comme l'une des vérités les plus importantes de l'ordre spirituel. Maistre affirme la possibilité pour tout innocent d'acquitter par sa souffrance le crime des coupables : toute vie étant coupable par nature, tout être vivant étant souillé par la Chute, il lui est possible de répondre à la place d'un autre, et même d'un crime qu'il n'a pas commis. Cette idée de réversibilité se retrouve dans Un prêtre marié. La nouvelle Le bonheur dans le crime illustre une autre idée maistrienne.
Les deux écrivains partagent certaines valeurs esthétiques, opposées à la modernité littéraire : Barbey d'Aurevilly comme Joseph de Maistre affirment la supériorité des classiques et de la tradition littéraire française du xviie siècle sur les écrivains de leur temps. Tous deux ils citent la Bible et les Pères de l'Eglise. Barbey critique subordonne comme de Maistre la création au vrai et au bien, idéal de Beauté classique. Enfin le style net et énergique, parsemé d'ironie de l'écrivain savoyard, plaît à Barbey dont le style partage les mêmes caractéristiques.
Les contemporains avaient remarqué l'influence de Maistre sur Barbey. Pontmartin ironisera sur le paradoxe de cette parenté littéraire entre les deux hommes qui conduit Barbey à penser comme M. de Maistre et à écrire comme le marquis de Sade.
Barbey sera aussi influencé par la pensée d'un disciple de Joseph de Maistre, le philosophe Antoine Blanc de Saint-Bonnet, auquel il va consacrer un chapitre des Prophètes du passé et plusieurs articles élogieux. C'est Barbey qui fera connaître ce métaphysicien à Léon Bloy.

Honoré de Balzac

C'est vers 1849 que Barbey d'Aurevilly découvre La Comédie humaine. Immédiatement, il déclare admirer leur auteur comme les Alpes. Il se charge de l'édition de ses Pensées et maximes, recueil d'aphorismes sélectionnés dans son œuvre et publié en 1854. Il prend sa défense en 1857 dans Le Pays, en réponse à une attaque de La Revue des Deux Mondes. Le 1er février sa veuve lui envoie une lettre de remerciement et le médaillon de son mari par David d'Angers.
Des œuvres comme La vieille fille ou Le Réquisitionnaire vont l'aider à trouver sa voie. La lecture de Balzac lui enseigne tout ce que sa propre expérience renferme de thèmes romanesques, notamment la peinture de la vie provinciale, l'atmosphère des petites villes et leurs drames secrets. Barbey a hérité de Balzac son esthétique de la nouvelle - ce qu'il nomme le dessous de cartes ou le fantastique de la réalité : vectorisation implacable vers un évènement, la nouvelle est comme un roman en raccourci, jeu du dehors et du dedans, plongée dans les mystères et faux-semblants de la conscience, révélation de la face cachée des faits et des individus - autant de procédés que l'on retrouve dans Les Diaboliques. L'oralité est très présente dans les œuvres des deux auteurs. Elle permet des effets de réverbération, de carambolage, et démultiplient les perspectives. Les Diaboliques s'appelaient primitivement Ricochets de conversation, en référence à Une conversation entre onze heures et minuit.

Le roman aurevillien Un écrivain normand

Dès Une vieille maîtresse, les récits de Barbey se déroulent systématiquement dans sa Normandie natale. Cela fait-il de Barbey d'Aurevilly un écrivain normand, et de ses romans des romans de terroir ?
La Normandie, ses paysages, ses coutumes, son histoire tiennent une grande place dans ses romans. Les poissonniers dans Une vieille maîtresse y parlent comme des poissonniers véritables, c'est-à-dire en patois normand. Dans L'Ensorcelée, son roman suivant, et malgré les objections de ses amis Trébutien et Baudelaire, l'emploi du patois est plus accentué encore : on n'y parle pas normand du bout des lèvres. Cette langue devient un élément essentiel de son esthétique : les langues sont le clavier des Artistes, le moule-à-balles du Génie dans lequel il coule l'or. La poésie pour lui n'existe qu'au fond de la réalité et la réalité parle patois.
Barbey demeure fidèle à son pays. L'évocation des paysages de cette région donnent de la profondeur à ses romans. La lande de Lessay dans L'Ensorcelée, l'étang du Quesnoy dans Un prêtre marié, Valognes sont au centre du récit, et ces romans ne pourraient pas se situer ailleurs. Ces paysages ne sont pas des cadres choisis et adaptés en fonction d'une histoire, ils proviennent des souvenirs de l'écrivain, et ne sont pas toujours fidèles à la réalité.
La Normandie et la vie provinciale, fortement associées à ses impressions de l'enfance, est un atout majeur de son talent : Le premier Milieu dans lequel ont trempé les poètes, voilà l'éducation ineffaçable, la véritable origine de leur genre de talent, ce qui damasquine et fourbit leur acier, ce qui en décide le fil et les reflets. Dès qu'il y revient, qu'il fait cette découverte aux alentours de 1850, il devient grand romancier et écrit successivement la fin d'Une vieille maîtresse, Le dessous de cartes d'une partie de whist et L'Ensorcelée.
Les personnages des oeuvres de Barbey emprunte souvent à des personnalités marquantes, aujourd'hui encore identifiables, de la vie valognaise ou de ses environs à l'époque de la Restauration. Ainsi André Chastain a-t-il pu établir la figure du véritable docteur Blény, l'un des convive dans A un diner d'athée. Le baron Fierdrap du Chevalier Destouches, pécheur impénitent, avait pour modèle Thomas François de Beaudrap dont l'inventaire après décès répertorie tout un arsenal de pécheur. Et toujours les noms des personnages des romans sont normands, "aromatiquement normands." Et quand il ne peut recourir à ses propres souvenirs, il fait appel à Trébutien comme pour l'évocation de la lande de Lessay ou pour le personnage de Destouches.
Mais ces emprunts au réel sont toujours passés au filtre de l'imagination. Selon sa propre formule, Barbey travaille "le pinceau trempée dans la sanguine concentrée du souvenir".

Un romancier catholique

Barbey d'Aurevilly développe lui-même sa théorie du roman catholique en 1866 dans la préface d'Une vieille maîtresse alors rééditée, œuvre pour laquelle son catholicisme est mis en cause. Barbey se défend en rappelant que le catholicisme n'a rien de prude, de bégueule, de pédant, d'inquiet, que le catholicisme est la science du Bien et du Mal, et que son but a été de montrer non seulement les ivresses de la passion, mais ses esclavages.
Barbey estime avoir peint la passion telle qu'elle est et telle qu'il l'a vue, mais qu'en la peignant, il l'a à toute page de son livre condamnée. Il n'a fait que l'exprimer. Un catholique peut-il toucher au roman et à la passion ? Barbey estime que l'art est permis par le catholicisme, il est même encouragé et protégé par lui. Le catholicisme absout le procédé de l'art qui consiste à ne rien diminuer du péché ou du crime qu'on avait pour but d'exprimer. Quand on lui reproche l'immoralité de son livre, Barbey oppose que la moralité de l'artiste est dans la force et la vérité de sa peinture : en étant vrai, l'artiste est suffisamment moral.
Sa théorie du roman catholique se retrouve dans ses romans où le personnage du prêtre est omniprésent : l'abbé Jéhoël de La Croix-Jugan, L'Ensorcelée, Jean Sombreval Un prêtre marié, le père Riculf, Une histoire sans nom. Les Diaboliques, où s'épanouissent à chaque page le Mal, les passions et le sadisme, sont l'illustration parfaite de ces idées.

L'œuvre critique

Avec les vingt volumes des Œuvres et les hommes, Barbey d'Aurevilly a voulu dresser l'inventaire intellectuel du xixe siècle. Sa critique littéraire est une grande chasse à la sottise. Injustes souvent, mais toujours logiques et en concordance avec ses principes, ses jugements sont légitimés par le talent et par le courage.
Ses victimes portent des noms illustres : Victor Hugo, George Sand, Madame de Staël, Jules Michelet, Mérimée, Ernest Renan, Théophile Gautier, Flaubert, les Goncourt, Émile Zola. Les Parnassiens, les bas-bleus, l'école naturaliste ont fait les frais de sa plume. Il est également l'auteur de plusieurs pamphlets contre Buloz, l'Académie française, et Sainte-Beuve - à travers Goethe et Diderot. Les rééditions d'auteurs classiques lui donnent l'occasion de stigmatiser la philosophie des Lumières, responsable du positivisme, du matérialisme et de l'idéologie dominante du progrès, qui heurtent son catholicisme et son idéal.
Mais il voit juste lorsqu'il défend Les Fleurs du mal, Baudelaire, Madame Bovary, Flaubert, les œuvres de Balzac et celles de Stendhal, Emaux et camées, Gautier, A rebours Huysmans.

Une critique d'humeur

Barbey d'Aurevilly vint à la critique littéraire par nécessité, ne pouvant obtenir la rédaction politique qu'il souhaitait ; il s'y habitua sans s'y complaire jamais, et y mit toute sa violence, ses colères, son goût de la bataille. Des éreintements célèbres marquent les étapes de sa carrière : Les Contemplations, Les Misérables, L'Éducation sentimentale, les romans de Zola... Ils ont fait oublier un peu que Barbey d'Aurevilly défendait Balzac, Stendhal, Baudelaire... En apparence, sa critique est dogmatique, strictement et parfois étroitement catholique, intransigeante. Le mouvement vrai est autre, c'est une critique d'humeur, d'instinct, de goût. Même s'il n'en a pas toujours conscience, Barbey cherche dans une œuvre la sensibilité dont elle témoigne. L'accord ou le désaccord sur ce plan profond décide du jugement : ainsi peut-il critiquer des écrivains catholiques et faire l'éloge de Stendhal. La passion, l'esprit, la grâce sont ses critères plus que l'orthodoxie. Non qu'il y soit insensible, mais elle lui importe pour confirmer un jugement, non pour le fonder. Les oppositions se situent à un autre niveau que celui des idées. Détestant la démocratie, la philanthropie, la fadeur, le matérialisme qui réduit la littérature au réalisme, il eut plus de haines que d'admirations. Il ne le regrettait nullement, aimant la bataille – tempérament agressif qui se définit plus aisément dans l'opposition. L'éreintement peut d'ailleurs n'être pas incompréhensif : il a admirablement compris Madame Bovary ou La Faute de l'abbé Mouret, par exemple, même si la sécheresse apparente de Flaubert le heurte, ou si le naturalisme de Zola le met hors de lui. Un style capricieux, imagé et violent, soutient admirablement cette critique.

Les passions déchaînées

On voit mieux comment une telle critique s'accorde à l'œuvre romanesque qui l'emporte de beaucoup sur elle. On peut l'envisager dans son déroulement : une lente maturation à travers les premières nouvelles, Le Cachet d'onyx, 1831 ; Léa, 1832 ; La Bague d'Annibal, 1843 ; un roman psychologique et mondain, L'Amour impossible, 1841. La conversion, qui est retour à la foi et aux souvenirs de l'enfance, se produit au cours de la composition d'Une vieille maîtresse 1845-1850, dont la seconde partie annonce l'œuvre postérieure : L'Ensorcelée, Le Chevalier des Touches, Un prêtre marié, Les Diaboliques, Une histoire sans nom 1882.
On a beaucoup parlé du normandisme de Barbey d'Aurevilly, trait profond, mais qu'il faut bien comprendre. Il a voulu peindre la Normandie, revenir dans certains romans à l'histoire de la chouannerie normande : les lieux étaient ceux de son enfance, chargés pour lui d'émotions et de souvenirs ; l'atmosphère convenait aux passions déchaînées qu'il souhaitait peindre. Seul Le Chevalier des Touches reste fidèle à cette conception historique du roman. L'Ensorcelée y échappe, qui est l'aventure d'un prêtre, ancien chouan – héros luciférien – et d'une femme qui s'éprend de lui et en meurt. Le même type de héros se retrouve dans Un prêtre marié, et le même amour impossible entre les deux jeunes gens. Toutes Les Diaboliques présentent des passions violentes : amour, vengeance, crime... Tous les héros de Barbey – ce trait donne à l'œuvre son unité – sont enfermés dans une insurmontable solitude ; tous, sauf deux, les personnages du Bonheur dans le crime ; encore la retrouvent-ils, plus profonde, dans la complicité.
Amour impossible, solitude, inquiétude et angoisse... des thèmes modernes dominent cette œuvre romanesque. Au-delà du romantisme, qui les avait déjà exploités, d'Aurevilly les situe dans un univers religieux où ils prennent toute leur force tragique. Paradoxalement, c'est en effet le catholicisme qui introduit dans cette œuvre l'élément tragique ; la solitude n'y est plus seulement l'impossible communication des êtres, elle est aussi l'angoisse de l'homme qui sent Dieu inaccessible. Univers du péché, univers janséniste, on l'a dit souvent. La grâce en est absente. Il reste à mourir dans une déréliction totale, comme cette sainte, Calixte, à la fin d'Un prêtre marié ou à se dresser dans une attitude blasphématoire qui est encore affirmation de Dieu. Le blasphème et le sacrilège, note le romancier, n'ont de sens que si l'on croit en Dieu.
Ces grands mouvements donnent son sens vrai à une œuvre qui doit beaucoup encore à l'imagerie romantique, qui a subi très profondément l'influence de Byron ou même celle de Walter Scott. En dépit de ces traits d'époque et de son dandysme, Barbey d'Aurevilly est un des premiers représentants de ce qu'on appellera plus tard le « roman métaphysique.

Le théoricien du dandysme

Sous le pseudonyme de Maximilienne de Syrène, Barbey signe en 1843 des impertinences raffinées dans le Moniteur de la Mode, ainsi qu'un article intitulé De l'élégance. S'appuyant sur une biographie de George Brummell qui vient de paraître à Londres, il en extrait quelques anecdotes et le prend pour prétexte afin d'écrire le récit de son propre dandysme. Du dandysme et de George Brummell paraît en 1845. Il est réédité et augmenté en 1861, puis en 1879, enrichi d'un texte consacré à Lauzun et intitulé Un dandy d'avant les dandys.
Il y développe et analyse les principes du dandysme, plus intellectuels que vestimentaires, le dandy n'étant pas un habit qui marche tout seul. Le dandysme est une manière d'être tout en nuances, qui résulte d'un état de lutte sans fin entre la convenance et l'ennui. Le dandy est le souverain futile d'un monde futile et se caractérise par l'absence d'émotion, l'horreur de la nature, l'audace et l'impertinence, la passion du luxe, l'artificialité, et le besoin d'individualité.
Cet essai est l'un des trois principaux sur la question, avec le Traité de la vie élégante de Balzac et Le Peintre de la vie moderne de Baudelaire.

Barbey d'Aurevilly et la postérité Réception de ses contemporains

Barbey d'Aurevilly a fait l'objet de critiques contrastées. Presque tous s'accordent à trouver dans son art originalité et noblesse. Sainte-Beuve le juge homme d'un talent brillant et fier, d'une intelligence haute et qui va au grand, une plume de laquelle on peut dire sans flatterie qu'elle ressemble souvent à une épée. Lamartine, lorsqu'il le rencontre, après l'avoir lu, déclare qu'il est le Duc de Guise des belles-lettres françaises. Pour Baudelaire, c'est un vrai catholique, évoquant la passion pour la vaincre, chantant, pleurant et criant au milieu de l'orage, planté comme Ajax sur un rocher de désolation. Paul de Saint-Victor : le polémiste intraitable est en même temps un écrivain de l'originalité la plus fière. Jules Vallès lui trouve un talent bizarre, tourmenté et fier. Maupassant trouve dans ses œuvres quelques merveilles. Edmond de Goncourt émet des réserves, mais l'inscrit dans ses premières listes de l'Académie en projet.
Ceux qu'il a éreintés par ses articles lui rendent en général la politesse. Victor Hugo le pastiche en le surnommant Barbey d'or vieilli. La légende veut qu'il ait composé un vers inédit en l'honneur du critique : Barbey d'Aurevilly, formidable imbécile !. Flaubert dans sa correspondance en parle franchement comme de son ennemi. Il juge Les Diaboliques à se tordre de rire et trouve qu'on ne va pas plus loin dans le grotesque involontaire. Zola le rejoint et trouve qu'il a deux ou trois siècles de retard. Il condamne son attitude au moment des poursuites contre Les Diaboliques, lorsque Barbey accepte de retirer son œuvre de la vente.
Sa personnalité inspire au moins par deux fois les romanciers : le personnage de Franchemont, apparaissant dans Charles Demailly des frères Goncourt, un roman sur les hommes de lettres, en est inspiré. Le Connétable des lettres sert également de modèle à Monsieur de Bougrelon, roman de Jean Lorrain.

La génération symboliste et décadente

Paul Verlaine déplore les systèmes mais ne peut s'empêcher de lui reconnaître un style de race et une manière originale. Il admire la profusion des images souvent réussies et toujours poétiques, des hardiesses parfois heureuses, et jamais vulgaires. Jean Lorrain le trouve admirablement taillé pour la génération littéraire fin de siècle. Pour Huysmans, il fut le seul artiste, au sens pur du mot, que produisit le catholicisme de ce temps, ainsi qu'un grand prosateur et un romancier admirable. Dans A rebours, il fait figurer ses œuvres parmi les préférées de la bibliothèque élitiste de Des Esseintes. Pour Rémy de Gourmont, Barbey d'Aurevilly est l'une des figures les plus originales de la littérature du dix-neuvième siècle, qui excitera longtemps la curiosité et restera longtemps un de ces classiques singuliers et comme souterrains qui sont la véritable vie de la littérature française.

Jugements posthumes

Julien Green lit Les Diaboliques avec une admiration étonnée. Paul Morand préface en 1967 Une vieille maîtresse. Marcel Proust, dans La Prisonnière, rend hommage à l'œuvre romanesque de l'écrivain normand après avoir affirmé que la preuve du génie n'est pas dans le contenu de l'œuvre mais dans la qualité inconnue d'un monde unique révélé par l'artiste. On trouve chez Barbey d'Aurevilly une réalité cachée révélée par une trace matérielle, la rougeur physiologique de l'Ensorcelée, d'Aimée de Spens, de la Clotte, la main du Rideau cramoisi, les vieux usages, les vieilles coutumes, les vieux mots, les métiers anciens et singuliers derrières lesquels il y a le Passé, l'histoire orale faite par les pâtres du terroir, les nobles cités normandes parfumées d'Angleterre et jolies comme un village d'Écosse, la cause de malédictions contre lesquelles on ne peut rien, la Vellini, le Berger, une même sensation d'anxiété dans un passage, que ce soit la femme cherchant son mari dans une Vieille Maîtresse, ou le mari, dans l'Ensorcelée, parcourant la lande, l'Ensorcelée elle-même au sortir de la messe. L'exemple de Barbey illustre parfaitement, selon Proust, une certaine monotonie propre à tous les grands littérateurs, qui n'ont jamais jamais fait qu'une seule œuvre, ou plutôt réfracté à travers des milieux divers une même beauté qu'ils apportent au monde.

Éditions et adaptations

Ses œuvres romanesques ont fait l'objet d'une édition complète en deux volumes dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Son œuvre critique est rééditée aux Belles Lettres, tandis que les Archives Karéline s'est chargée récemment de l'œuvre poétique.
Ses nouvelles et romans ont fait l'objet d'une douzaine d'adaptations à l'écran. La plus récente, Une vieille maîtresse, présentée à Cannes en 2007, est l'œuvre de Catherine Breillat.
Jacques Debout a adapté au théâtre, sous le titre de Sombreval, le roman Un prêtre marié, créé à Paris le 5 février 1932. Le bonheur dans le crime, l'une des six Diaboliques, a inspiré en 2003 une bande dessinée, Hauteclaire, du nom de son héroïne.
En 2012, Mathilde Bertrand rassemble dans un seul volume les lettres de Jules Barbey d'Aurevilly à Trebution concernant Louise Trolley, dont Trebutien est éperdument amoureux. L'idée avait été suggérée par Barbey d'Aurevilly lui-même dans sa lettre du 4 avril 1857.

Musée et œuvres commémoratives

Le 28 juin 1925 est inauguré, dans le vieux château de Saint-Sauveur-le-Vicomte, un musée en l'honneur de l'écrivain. Fondé par Louis Yver, qui en sera le premier conservateur, le musée est réinstallé après la guerre au logis Robessard, à la suite de l'occupation du château par les Allemands. Il déménage une troisième fois en 1989, et réintègre la maison familiale de Saint-Sauveur. On y trouve réunis la plupart des objets mobiliers et souvenirs ayant appartenu à Barbey d'Aurevilly. Sa dernière demeure, le 25 de la rue Rousselet à Paris, est décorée d'une plaque. Le collège de Saint-Sauveur-le-Vicomte et un collège de Rouen, situé au 39, boulevard de la Marne, portent son nom, de même qu'à Paris en 1910, l'avenue Barbey-d'Aurevilly du Champ de Mars percée en 1907. Diverses manifestations, dont plusieurs à l'initiative du musée Barbey d'Aurevilly ou en liaison avec lui et les municipalités de Saint-Sauveur-le-Vicomte et de Valognes, ont été organisées à l'occasion du bicentenaire de la naissance de l'écrivain en 2008. Une plaque en marbre est accrochée à la maison qu'il occupait à Caen de 1831 à 1834 quand il était étudiant à la faculté de droit.

Le syndrome de Ferjol

Dans son roman Une histoire sans nom, Barbey met en scène une jeune fille, Lasthénie de Ferjol, qui éprouve le besoin de se rendre volontairement malade en se faisant saigner pour évacuer de grandes quantités de sang. Cette pathologie, connue sous le nom de syndrome de Lasthénie de Ferjol, a fait l'objet d'études médicales.

Œuvres

Manuscrit des Diaboliques

Romans

Une vieille maîtresse, 1851
L'Ensorcelée90, 1852
Le Chevalier Des Touches, Alphonse Lemerre, Paris, 1879 ─ L’édition originale a paru en 1864.
Un prêtre marié, 1865
Une histoire sans nom, 1882
Ce qui ne meurt pas, 1884

Nouvelles

Le Cachet d'onyx, composé en 1831
Léa, 1832
L'Amour impossible, 1841
La Bague d'Annibal, 1842
Le Dessous de cartes d'une partie de whist, 1850 reprise dans les Diaboliques
Le Plus Bel Amour de Don Juan, 1867 reprise dans les Diaboliques
Une page d'histoire, 1882 (Sous le titre Retour de Valognes. Un poème inédit de Lord Byron), 1886

Recueil de nouvelles

Les Diaboliques, 1874

Poésies

Ode aux héros des Thermopyles, 1825
Poussières, 1854
Amaïdée, 1889
Rythmes oubliés, 1897

Essais et textes critiques

Du Dandysme et de Georges Brummel, 1845
Les Prophètes du passé, 1851
Les Œuvres et les hommes 1860-1909
Les Quarante Médaillons de l'Académie, 1864 ;
Les Ridicules du temps, 1883
Pensées détachées, Fragments sur les femmes, 1889
Polémiques d'hier, 1889
Dernières Polémiques, 1891
Goethe et Diderot, 1913
L'Europe des écrivains recueil d'articles rassemblés en 2000
Le Traité de la Princesse ou la Princesse Maltraitée, éditions du Sandre, 2012, texte établi par Mathilde Bertrand.
Le texte est établi à partir de la correspondance de Barbey d'Aurevilly avec Trebutien.

Mémoires, notes et correspondance

Correspondance générale 1824-1888, 9 volumes de 1980 à 1989
Memoranda, Journal intime 1836-1864
Disjecta membra cahier de notes La Connaissance 1925.
Omnia cahier de notes Grasset 2008.

Liens

http://www.ina.fr/video/CPC09000126/b ... eorge-brummell-video.html Olivier Barrot présente
http://www.ina.fr/video/CPB77052380/u ... ur-de-jeunesse-video.html un amour de jeunesse
http://youtu.be/DrPLOd66pz4 Une vieille maïtresse
http://www.ina.fr/video/CPA81058743/u ... toire-sans-nom-video.html Histoire sans nom


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#264 Edouard Bourdet
Loriane Posté le : 25/10/2014 23:18
Le 26 octobre 1887 à Saint-Germain-en-Laye naît Édouard Bourdet,

mort le 17 janvier 1945 à Paris, auteur dramatique et journaliste français.
Auteur dramatique français, Édouard Bourdet fait ses débuts, en 1910, avec Le Rubicon. Mais pas plus cette pièce que L'Homme enchaîné 1923 ne connaissent le succès. La Prisonnière 1926 aborde un sujet difficile, la souffrance d'une femme damnée, et l'auteur le traite avec beaucoup d'habileté et l'audace qu'il s'est permise dans le choix du thème est pleinement acceptée par un très large public. Sa hardiesse est en effet tempérée par un constant souci d'honnêteté ; il accumule ainsi de justes observations qui donnent à ses développements une apparence de rigueur, celle qui faisait défaut au sujet. Cette formule du succès, Édouard Bourdet va continuer à l'exploiter dans une longue série de pièces qui font de lui l'un des principaux fournisseurs du théâtre de boulevard entre les deux guerres. En 1927, il poursuit sa satire des mœurs et des vices de son époque en étudiant la condition de l'écrivain : Vient de paraître. Il décrit avec beaucoup de cruauté la manière dont on fait un prix littéraire, depuis le choix par l'écrivain d'un sujet commercial jusqu'au lancement publicitaire du livre et de son auteur. L'argent et la combine règnent en maîtres dans les milieux de l'édition, et cette critique impitoyable et joyeuse pourrait tout aussi bien s'adresser à d'autres milieux intellectuels ou artistiques. L'auteur le souhaite sans aucun doute, dans son intention de saisir une ambiance générale du temps. Dans Le Sexe faible 1929, il nous montre des hommes à la recherche de femmes qui les entretiennent.
Mais, peu à peu, il s'oriente vers un théâtre où le comique se taille la plus belle part. Hyménée 1941 n'a plus la valeur de témoignage de ses premières pièces. L'audace de la comédie de mœurs disparaît et son habileté s'établit à présent dans l'analyse d'une psychologie complexe, et assez conformiste. Mais il ne s'agit peut-être pas d'une véritable différence par rapport à ses débuts : sa prudence consistait à confondre satire et morale, par là même à garantir son succès.
Édouard Bourdet eut aussi une activité tout à fait novatrice en tant qu'administrateur de la Comédie-Française de 1936 à 1940.

Sa vie

Édouard Bourdet est le fils de Fernand Bourdet 1853-1906, ingénieur, et de Marguerite Vallée 1860-1908, descendant par sa mère du ministre Georges Pléville Le Pelley.
Il se marie en janvier 1909 avec Catherine Pozzi 1883-1934, poétesse et femme de lettres. Ils ont un fils, Claude Bourdet, divorcent en 1920, et Bourdet épouse Denise Rémon 20 juin 1892 - 11 octobre 1967, la fille de Maurice Rémon, qu'il a connue à Royan.
Bourdet voit jouer sa première pièce de théâtre en 1910, Le Rubicon, et continue avec La Cage ouverte qui a moins de succès. Il fait la guerre dans les chasseurs à pied ; démobilisé en 1919, il ne reprend son activité dramatique que trois ans plus tard.
Pendant cette période, il devient correspondant en Angleterre, pour L'Écho de Paris et critique dramatique. Mais pas plus que ses pièces d'avant-guerre, L'Homme enchaîné en 1923, ne connait le succès.
La Prisonnière, en 1926, aborde un sujet difficile, la souffrance d'une femme damnée. L'auteur le traite avec beaucoup d'habileté et l'audace qu'il s'est permis dans le choix du thème est pleinement acceptée par le public. Sa hardiesse est en effet tempérée par un constant souci d'honnêteté ; il accumule ainsi de justes observations qui donnent à ses développements une apparence de rigueur, celle qui faisait défaut au sujet. Colette écrira : Mais Édouard Bourdet est jeune, et n'a pas sujet d'être timide devant la réussite. En outre, il est doué d'une vocation patiente et tranquille.
Bourdet devient l'un des principaux fournisseurs du théâtre de boulevard de l'entre-deux-guerres. En 1927, dans la pièce Vient de paraître, il n'est pas tendre avec certains de ses contemporains. Les prix littéraires, le choix par les écrivains de sujets dans un but commercial et le lancement publicitaire d'un livre et d'un auteur sont montrés dans cette pièce pour le théâtre de boulevard.
Quand Bourdet a écrit Vient de Paraître, il a demandé à son ami Jean Giraudoux de l'emmener rue des Saints-Pères, et il est resté un après-midi à observer cette faune.Dans Le Sexe faible 1929, il fait le portrait de ces hommes à la recherche de femmes qui les entretiennent.
Fric-Frac est une pièce de théâtre jouée en 1936 et adaptée au cinéma en 1939. Arletty déclarera bien des années après la mort de Bourdet : À propos de Fric-Frac, on a toujours un peu tendance à oublier l'auteur, Édouard Bourdet. Fric-Frac est une des grandes pièces de Bourdet. C'est un grand succès commercial.
Avant la Seconde Guerre Mondiale, il se bat en duel avec Henri Bernstein, son rival dans le même genre théâtral, duel qui permet à Bernstein de connaître un regain d'intérêt de la part du public.

Bourdet est également l'ami de Paul Claudel et de Jean Giraudoux et tient un salon littéraire avec sa femme Denise.

Administrateur de la Comédie-Française

En 1936, considéré comme un des maîtres du théâtre de boulevard de l'entre-deux-guerres, il est nommé administrateur de la Comédie-Française par Jean Zay, ministre de la culture du Front populaire. Cette nomination lui vaut de sérieuses inimitiés. Robert Brasillach parle du nouveau führer du Théâtre-Français. S'il avoue : j'ai beaucoup trop ri à une ou deux pièces de M. Bourdet, il critique néanmoins le choix de Jean Zay qui s'est porté sur : l'auteur de tant de vaudevilles agréables pour le mettre à la tête de la Comédie-Française .
Brasillach se trompe toutefois lourdement quand il affirme que : Par la force des choses, on donnera bien à M. Jouvet ou à M. Copeau, de temps à autre, une œuvre ancienne à monter. Mais la vieille garde sera toujours là, protégée par M. Bourdet.
Bourdet, nouvel administrateur général convoque aussitôt Pierre Dux, triple les mensualités des comédiens, décide que les pièces soient désormais choisies par l'Administrateur seul, et la désignation des acteurs pour chaque rôle dépendra exclusivement de l'Administrateur et des metteurs en scène officiels. Il redresse la Comédie-Française avec Gaston Baty, Jacques Copeau, Charles Dullin et Louis Jouvet.
Il a une activité tout à fait novatrice en tant qu'administrateur, fonction qu'il occupe du 15 octobre 1936 au 27 décembre 1940. Louis Chaigne écrira : On ne peut nommer Édouard Bourdet sans rappeler qu'il fut un remarquable administrateur du Théâtre-Français de 1936 à 1940. Édouard Bourdet quitte ses fonctions lorsque le maréchal Pétain prend le pouvoir.
En 1939, grâce à Édouard Bourdet, le jeune Gérard Oury, pensionnaire de la Comédie-Française, obtiendra son premier rôle dans la pièce Britannicus en remplacement d'un acteur mobilisé.

Pendant l'occupation allemande

Pendant l'occupation allemande, même s'il n'est plus administrateur de la Comédie-Française, Bourdet ne s'engage pas dans la Résistance et la lutte active. Son fils, Claude Bourdet en est un peu déçu, même s'il sait que son père est favorable aux idées de la Résistance.
Hyménée, en 1941, n'a plus l'audace de ses comédies de mœurs qui faisaient une description implacable des milieux de la grande bourgeoise, comme dans Les temps difficiles, ou abordaient des thèmes jusqu'alors peu traités, comme l'homosexualité dans La prisonnière. Hyménée est une pièce de théâtre où le comique se taille la plus belle part, mais la prudence lui permet juste de confondre satire et morale. L'humaniste, l'auteur d'avant-guerre, nommé par Jean Zay, est beaucoup moins polémique, car les temps sont difficiles.
Pierre Fresnay met en scène et joue, au Théâtre-Français, Père, une nouvelle comédie, en trois actes, et Vient de paraître en 1942 et 1944.
Bourdet a toutefois choisi de renoncer à ses fonctions; ainsi, il n'aura pas eu à se séparer de sociétaires jugés "indésirables" pour d'odieux prétextes ou à programmer des tournées de troupes allemandes à la Comédie-Française.

Décès

Sa mort survient brutalement en 1945, à la suite d'une embolie. Des artistes comme Jean Cocteau lui rendront hommage.
Son œuvre imposante sera admirée par un Pierre Fresnay, un Louis Jouvet, un Pierre Dux.
Bourdet fut enterré au cimetière de Passy avec sa femme Denise.

Pièces de théâtre

1910 : Le Rubicon
1912 : La Cage ouverte, Théâtre Michel
1922 : L'Heure du berger10.
1923 : L'Homme enchaîné, pièce en 3 actes, Théâtre Femina, 7 novembre
1926 : La Prisonnière, jouée à Londres, à New York et à Vienne
1927 : Vient de paraître, comédie en 4 actes, Théâtre de la Michodière, 25 novembre
1929 : Le Sexe faible, comédie en 3 actes qui tient l'affiche longtemps au Théâtre de la Michodière, 10 décembre, et est représenté aussi à Berlin
1932 : La Fleur des pois, comédie en 4 actes, Théâtre de la Michodière, 4 octobre
1934 : Les Temps difficiles, pièce en 4 actes, Théâtre de la Michodière, 30 janvier
1935 : Margot, pièce en 2 actes, Théâtre Marigny, 26 novembre, avec dans les rôles titres MM. Pierre Fresnay et Jacques Dumesnil et Mme Yvonne Printemps. La mise en scène était de Pierre Fresnay et la musique de scène de Georges Auric et Francis Poulenc
1936 : Fric-Frac, pièce en 5 actes, Théâtre de la Michodière, 15 octobre
1941 : Hyménée, pièce en 4 actes, Théâtre de la Michodière, 7 mai
1942 : Père, Théâtre de la Michodière, 15 décembre

Metteur en scène

1938 : Le Vieil Homme de Georges de Porto-Riche, Comédie-Française

Filmographie

1933 : Le Sexe faible de Robert Siodmak, scénario et dialogues d'après sa pièce

Liens

http://youtu.be/BoUqGP9IVbQ Les temps difficiles, théâtre 1966
http://youtu.be/Ay7Pnnh-oC8 Fric Frac Théâtre Marigny 1971
http://youtu.be/ZgL99-H0UeM Duel à l'épée Henri Bernstein vs Edouard Bourdet
http://youtu.be/bq63P5QcemU Vient de paraître
http://www.ina.fr/video/I00019193/mad ... -francaise-2-2-video.html Madeleine Renaud parle de E. Bourdet


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#265 John Le Carré
Loriane Posté le : 18/10/2014 21:03
Le 19 octobre 1931 à Poole dans le Dorset Angleterre naît John le Carré

né David John Moore Cornwell, romancier britannique Durant les années 1950 et 1960, Cornwell a travaillé pour le MI-5 et le MI6 et a commencé à écrire des romans sous le pseudonyme de John Le Carré. Son troisième roman, L'Espion qui venait du froid 1963, est devenu un best-seller international et demeure l'une de ses œuvres les plus connues. Il reçoit pour distinction le Prix Edgar-Allan-Poe du meilleur roman 1965
Ses Œuvres principales sont L'Espion qui venait du froid, La Taupe, Comme un collégien, Les Gens de Smiley, Le Tailleur de Panama, La Constance du jardinier.


En bref

Si, dans A Perfect Spy, Un pur espion, 1986, John Le Carré a mis le plus intime de lui-même, on comprendra aisément qu'il ait toujours voué une cordiale détestation au héros de Ian Fleming, le fameux 007, le moins secret des agents secrets, qu'il tançait en ces termes : Bond est le type même du transfuge potentiel, parce que si Moscou lui avait offert plus d'argent, de meilleurs alcools et de plus jolies filles, il serait passé directement à l'Est ! Ce qui est aller un peu vite en besogne au regard des taupes anglaises elles-mêmes dont les Philby, Mac Lean, Burgess demeurent les figures emblématiques et bien réelles, qui ont abondamment nourri l'inspiration de Le Carré. iL a étudié à l'université de Berne en Suisse de 1948 à 1949 et à l'université d'Oxford au Royaume-Uni, puis enseigna quelque temps au collège d'Eton avant de rejoindre le Foreign Office pendant cinq ans. Il a été recruté par le MI6 alors qu'il était en poste à Hambourg, il écrivit son premier roman L'Appel du mort en 1961, étant toujours en service actif. Sa carrière au sein du service de renseignement britannique prit fin après que sa couverture fut compromise par un agent double, Kim Philby, œuvrant pour le KGB.

Sa vie

David John Moore Cornwell naît le 19 octobre 1931 à Poole, dans le Dorset. John le Carré dit qu'il n'a pas connu sa mère, qui l'a abandonné quand il avait cinq ans, jusqu'à leur re-connaissance quand il eut 21 ans. Sa relation avec son père fut difficile. L'homme, qui avait été emprisonné pour fraude à l'assurance, était un associé des jumeaux Kray faisant partie des criminels les plus en vue à Londres dans les années 1950-1960 et était continuellement endetté. Ce père l'envoya dans des écoles privées pour les sortir de ce milieu.Il fréquente la très réputée Sherborne School avant d'aller étudier l'allemand à l'université de Berne, d'accomplir son service militaire dans l'Intelligence Corps où il est approché par le Secret Intelligence Service, plus spécifiquement le Military Intelligence, departement 6. Versé aux archives, il est chargé de classer les dossiers de traitement des agents, poste clé s'il en est pour ses futurs romans. En 1952, il reprend ses études au Lincoln College d'Oxford qu'il quitte, à la suite de la faillite de son père, homme d'affaires, avant de les reprendre trois ans plus tard et d'obtenir son diplôme. Il enseigne ensuite à la célèbre école d'Eton avant de rejoindre le corps diplomatique où il exercera comme deuxième secrétaire à l'ambassade de Grande-Bretagne à Bonn puis au consulat de Hambourg. Au même titre que d'autres fonctionnaires recrutés par le S.I.S., il est affecté à un service où, selon le Foreign Office, le travail ne commence qu'après la fermeture des bureaux de l'ambassade et dont seul l'ambassadeur sait ce qu'ils font....
C'est à cette époque qu'il écrit, sous le pseudonyme de John Le Carré deux courts romans : Call for the Dead L'Appel du mort, 1961 et A murder of quality, Chandelles noires, 1962, sortes de galops d'essai dans lesquels apparaît d'emblée George Smiley, celui qui deviendra à la fois son porte-parole et son fer de lance, n'oublions pas que to get a square signifie régler ses comptes et que Le Carré est la traduction littérale de the square, dans sa longue et persévérante évocation de ce qu'est le monde trouble et souterrain du renseignement et, plus spécifiquement encore, dans sa quadrature du Cirque, surnom donné aux services secrets britanniques, domiciliés à Cambridge Circus, à Londres. Parmi les multiples portraits de Smiley ; celui-ci ne dépareille pas la collection : Petit, bedonnant et à tout le moins entre deux âges ..., un de ces humbles de Londres à qui le royaume des cieux n'appartient pas. Il avait les jambes courtes, la démarche rien moins qu'agile .... Son manteau, qui vous sentait un peu le veuf, était de ce tissu noir et mou qui semblait avoir été conçu pour retenir l'humidité... En fait de veuvage, le disgracieux Smiley est l'époux de la très belle Ann Sercombe. Il n'a, pour ainsi dire, pas d'amis mais des collaborateurs fidèles et compétents, qui lui sont dévoués corps et âme. Présent dans huit romans six au titre de protagoniste majeur, deux comme figurants, on a un peu trop vite écrit qu'il était l'anti-James Bond par excellence.

Des agents troubles

Certes, son aspect physique et son comportement font de lui l'antithèse du héros de Fleming. D'ailleurs, Smiley n'est pas un héros. Rien qu'un soldat de l'ombre, un pion parmi d'autres qui, face au bondissant 007, apparaît comme un chevalier à bien triste figure. Mais il n'est ni le premier ni le dernier dans ce cas. Avant lui, les protagonistes des romans de Buchan, Conrad, Maugham, Ambler et plus encore Greene ne faisaient pas non plus dans le clinquant. Il en va de même pour Harry Palmer, l'agent sans nom qu'imagine Len Deighton, contemporain de Le Carré. Néanmoins, tous ou presque ont un point commun : sauver l'humanité du Mal en faisant, au passage, triompher la civilisation occidentale. Chez James Bond, le côté propagandiste, dans ses démêlés avec l'ennemi, dénommé Spectre, image empruntée à Marx et Engels pour désigner la peur du communisme qui hantait l'Europe du XIXe siècle et corollairement ses classes dirigeantes est abondamment masqué sous une masse de métaphores tapageuses. Avec Smiley, la propagande est plus subtile. L'auteur nous invite à nous débattre avec son besogneux protagoniste dans les eaux troubles et les faux-semblants du monde du renseignement. Rien ne nous est épargné : coups bas, trahisons, mensonges, illusions perdues... Mais quand il s'agira de le confronter à son ennemi intime, le dénommé Karla, chef de l'espionnage extérieur soviétique, ici appelé le Centre dans la trilogie qui lui est consacrée et qui se compose de Tinker, Taylor, Soldier and Spy La Taupe, 1974, The Honourable Schoolboy Comme un collégien, 1977 et Smiley's People Les Gens de Smiley, 1980 il finira – cela va de soi – par en venir à bout.

L'histoire mue mais ne meurt pas

C'est une des raisons pour lesquelles on accordera une nette préférence aux protagonistes de A Small Town in Germany, Une petite ville en Allemagne, 1968 qui cernent autrement mieux les mille et un fils d'une toile où les gibiers peuvent devenir proies ; au jeune blanc-bec crédule et au vieux cheval de retour de The Looking Glass War, Le Miroir aux espions, 1965 à qui l'on fait prendre les vessies crevées du Service pour des lanternes presque magiques en les propulsant vers des objectifs qui les dépassent ; et surtout à l'Alec Leamas, le douloureux héros de The Spy who Came in From the Cold, L'Espion qui venait du froid, 1963, le chef-d'œuvre de Le Carré. Grugé par ceux de son propre camp, il finira au pied du mur, victime presque consentante des balles venues d'en face. Tout autre, quoique victime elle aussi, est Charlie, The Little Drummer Girl, La Petite fille au tambour, 1983, actrice engagée malgré elle dans le combat sans merci que se livrent services secrets israéliens et O.L.P. Il s'agit là d'un des plus sobres et des plus efficaces romans de l'auteur depuis L'Espion...
Avec la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide, il semble que la disparition du monde auquel Le Carré se référait ait plus ou moins tari sa source d'inspiration. Car il y avait sans doute autre chose à élaborer que cet éloge poussif de la perestroïka avec Russia House, La Maison Russie, 1989, autre chose à ressasser que le blanchiment d'argent par les mafias russes avec Single and Single, Single et Single, 1999. Quant au diplomate britannique de The Constant Gardener, La Constance du jardinier, 2000 aurait-il seulement levé le petit doigt contre la multinationale pharmaceutique à laquelle il s'attaque, si son épouse n'avait été assassinée ?
Ainsi, nous voilà passés sans transition d'un monde où l'auteur invitait son lecteur à mettre le nez à la fenêtre en lui donnant l'impression de se mêler de ce qui ne le regarde pas, à un monde de la bonne conscience où l'impression que tout finit par se savoir serait à l'ordre du jour. La chute du Mur de Berlin n'a pas ralenti et encore moins achevé le cours de l’Histoire. Les romans ultérieurs de John Le Carré vont s’attacher à décrypter les signes de cette nouvelle réalité, comme dans Un traître à notre goût, 2011, Our Kind of Traitor ou Une vérité si délicate 2013, A Delicate Truth.
John le Carré est l'auteur de nombreux romans d'espionnage se déroulant dans le contexte de la Guerre froide, en particulier ceux mettant en scène George Smiley dans la Trilogie de Karla, La Taupe, Comme un collégien, Les Gens de Smiley et dans d'autres romans.
Son œuvre est à l'opposé de la mythologie de l'espion à la James Bond : ses héros sont bien plus complexes et beaucoup plus discrets. La structure de ses romans est très élaborée et l'action n'y tient qu'une place réduite. Le Carré a trouvé, après la fin de la Guerre froide, à élargir son inspiration vers des sujets plus contemporains.
En 2008, il reçoit le titre de docteur honoris causa de l'université de Berne3.

Il vit actuellement en Cornouailles.

Positions politiques

En janvier 2003, The Times a publié un article de John Le Carré, " Les États-Unis sont devenus fous", qui condamne la guerre à venir en Irak. Il juge ainsi que "la manière dont Bush et sa junte ont réussi à dévier la colère de l'Amérique, de Ben Laden à Saddam Hussein, est l'un des meilleurs tours de passe-passe de relations publiques de l'histoire".
En 2006, il a contribué avec un article à un volume d'essais politiques intitulé Pas une mort de plus. Le livre est très critique envers la guerre d'Irak. Il reviendra par la suite sur le rôle des services secrets américains et anglais dans le déclenchement de cette guerre.
Depuis la fin de la guerre froide, John Le Carré s'est exprimé à plusieurs reprises de manière critique envers l'OTAN : Et il faudrait surtout se débarrasser de ce dinosaure qu'est l'OTAN. Cessons de nous croire, nous, Européens, en opposition avec la Russie, et rapprochons-nous d'elle. Il condamne de manière générale l'inféodation du Royaume-Uni vis-à-vis des États-Unis : " ...notre politique étrangère se décide à Washington. Et il n’y a rien de plus triste. Il faut parvenir à nous détacher enfin de cette emprise ".

Éditeurs

En 2009, John le Carré quitte Hodder & Stoughton, son éditeur anglais depuis 38 ans, pour le groupe Penguin et Viking Press5.

Œuvres

1961 : L'Appel du mort Call for the Dead
1962 : Chandelles noires A Murder of Quality
1963 : L'Espion qui venait du froid The Spy who Came in from the Cold
1965 : Le Miroir aux espions The Looking-Glass War
1968 : Une petite ville en Allemagne A Small Town in Germany
1970 : Le Bout du voyage End of the Line, théâtre
1971 : Un amant naïf et sentimental The Naive and Sentimental Lover
1974 : La Taupe Tinker, Tailor, Soldier, Spy
1977 : Comme un collégien The Honourable Schoolboy James Tait Black Memorial Prize
1980 : Les Gens de Smiley Smiley's People
1983 : La Petite Fille au tambour The Little Drummmer Girl
1986 : Un pur espion A Perfect Spy
1989 : La Maison Russie The Russia House
1991 : Le Voyageur secret The Secret Pilgrim
1991 : Une paix insoutenable The Good Soldier, essai
1993 : Le Directeur de nuit The Night Manager
1995 : Notre jeu Our Game - 1995
1996 : Le Tailleur de Panama The Tailor of Panama
1999 : Single & Single Single & Single
2001 : La Constance du jardinier The Constant Gardener
2003 : Une amitié absolue Absolute Friends
2006 : Le Chant de la mission The Mission Song
2008 : Un homme très recherché A Most Wanted Ma
2011 : Un traître à notre goût Our Kind of Traitor
2013 : Une vérité si délicate A Delicate Truth
Depuis La Maison Russie 1989, ses ouvrages sont traduits en français par Mimi Perrin et sa fille Isabelle Perrin et depuis Un traître à notre goût 2011 par Isabelle Perrin.

Adaptations

Deux des romans de la Trilogie de Karla, La Taupe et Les Gens de Smiley, ont été adaptés par la BBC en séries télévisées. Le rôle de Smiley est tenu par Alec Guinness.

Adaptations au cinéma :

Le Miroir aux espions The Looking Glass War en 1969 par de Frank Pierson avec Christopher Jones et Anthony Hopkins.
L'Espion qui venait du froid The Spy Who Came in From the Cold en 1965 par Martin Ritt avec Richard Burton.
M.15 demande protection The Deadly affair, adaptation du roman L'appel du mort, un fim de Sidney Lumet, avec James Mason, Simone Signoret, Maximilian Schell.
La Petite Fille au tambour The Little Drummer Girl en 1984 par George Roy Hill, avec Diane Keaton, Yorgo Voyagis, et Klaus Kinski.
La Maison Russie The Russia House en 1990 par Fred Schepisi avec Michelle Pfeiffer et Sean Connery.
Le Tailleur de Panama The Tailor of Panama en 2001 par John Boorman avec Pierce Brosnan et Jamie Lee Curtis.
The Constant Gardener The Constant Gardener en 2005 par Fernando Meirelles avec Ralph Fiennes.
La Taupe Tinker, Tailor, Soldier, Spy en 2011 par Tomas Alfredson, avec Gary Oldman, John Hurt et Colin Firth.
Un homme très recherché A Most Wanted Man en 2013 par Anton Corbijn

Liens

http://youtu.be/89FHIGL3N54 Interview (anglais)
http://www.ina.fr/video/I12104903/joh ... re-et-l-argent-video.html interviewJohn Le Carré et l'argent
http://www.ina.fr/video/I04100797/joh ... ir-aux-espions-video.html Interview
http://www.ina.fr/video/I08217980/joh ... son-pseudonyme-video.html A propos se son pseudo


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#266 Thomas Browne
Loriane Posté le : 18/10/2014 19:51
Le 19 octobre 1605 à Londres en Angleterre naît Thomas Browne

mort le 19 octobre 1682 à Norwich en Angleterre, écrivain anglican anglais dont les œuvres couvrent une large palette de domaines incluant la médecine, la religion, la science, la sociologie et l'ésotérisme.
Écrivain et médecin anglais Londres 1605 – Norwich 1682
Royaliste anobli en 1644, apôtre de la tolérance, passionné d'horticulture et obsédé par la mort, il crée, avec un encyclopédisme fantasque, le genre de l'essai familier et érudit que reprendront Coleridge, Lamb et De Quincey. Découvreur du paganisme enfoui sous la culture chrétienne, Browne exprime son mysticisme dans des allégories comme Religio Medici, 1642 ; Pseudodoxia Epidemica, 1646 ; le Jardin de Cyrus, 1658 ; Hydriotaphia, les Urnes funéraires, 1658.

Esprit très éclectique, Thomas Browne se passionna pour la médecine comme pour l'archéologie ; homme très religieux, il offrit un exemple quasi unique de tolérance, en dépit de ses prises de position très affirmées, à une époque où les débats d'idées ne permettaient guère que l'on ménageât ses adversaires en religion. Écrivain très élégant, soucieux de ses effets rhétoriques et rythmiques, attentif à l'équilibre et à l'architecture de ses phrases, amoureux du bel effet voire de l'artifice, il ne négligea rien non plus pour mettre en valeur son savoir.

En bref

Thomas Browne était le fils d'un riche marchand de tissus. Il entra à Oxford en 1623, devint titulaire d'une licence puis d'une maîtrise de lettres, respectivement en 1626 et en 1629. Son goût, cependant, le portait vers la médecine. Il passa ainsi un an en France, à la prestigieuse faculté de médecine de Montpellier. C'est là qu'il découvrit la théorie du vitalisme, c'est-à-dire la croyance en un principe vital, indépendant de l'âme, qui donne vie, mouvement et chaleur à la matière vivante et donc au corps humain tout entier. C'est aussi à Montpellier qu'il observa avec consternation l'intolérance de ses coreligionnaires à l'endroit des processions catholiques. Il se rendit l'année suivante à Padoue où il étudia l'anatomie et la chirurgie et où l'on commençait à se démarquer, parfois avec mépris, des enseignements jusqu'alors inattaquables de Galien. En 1633, Browne fréquenta l'université de Leyde, en Hollande, où il étudia la chimie, matière alors négligée. C'est là qu'il devint docteur en médecine avant de regagner l'Angleterre la même année. Il s'installa près de Halifax, dans le Yorkshire, en 1635, en tant que praticien, puis à Norwich, en 1637. C'est à cette époque qu'il commença la rédaction de son ouvrage principal, Religio medici. Ce livre, que Browne décrit comme un ouvrage personnel à sa seule intention, n'était pas destiné à l'édition. Il fut cependant publié à son insu, par un ami indélicat, en 1642, ce qui obligea Browne à le publier, cette fois-ci officiellement, l'année suivante.

Sa vie

Thomas Browne est né le 19 octobre 1605 à Cheapside, Londres. Son père meurt en 1613.
Il fait ses études à l'université d'Oxford. Il obtient son Bachelor of Arts en 1626 à Pembroke College, et son Master of Arts en 1629. Il étudie ensuite la médecine à Montpellier, Padoue et Leyde où il est diplômé en décembre 1633.
Il s'installe comme médecin près de Halifax, puis Norwich à partir de 1637, année où son diplôme de médecin est reconnu par l'université d'Oxford. Il se marie en 1641.
Religio medici est la réflexion d'un homme de science, d'un médecin, sur la religion. On distinguera deux aspects principaux dans cette œuvre : d'une part, la croyance en la coexistence possible de la science et de la religion ; Browne estime que la première éclaire les lois établies de la nature, le principe premier de celle-ci se trouvant en Dieu dont les desseins s'accomplissent dans le monde visible des phénomènes ; d'autre part, la conviction profonde que la vérité est à rechercher dans un esprit de tolérance, et non pas en promulguant des anathèmes. Proche de la pensée du théologien hollandais Jacob Arminius (1560-1609) opposé à la brutalité du dogme calviniste de la prédestination, confiant en la liberté et le libre-arbitre de l'homme, Browne, cependant fier d'appartenir à l'Église anglicane, incarnait une tendance souple du protestantisme, annonciatrice, dans une certaine mesure, de la future Broad Church, aile libérale de l'Église d'Angleterre. Traduit en latin, en hollandais et en français, Religio medici fut bientôt connu de toute l'Europe protestante et, comme toutes les publications non catholiques, fut mis à l'index par le Vatican.
En 1646, Browne publia un deuxième livre, Pseudodoxia epidemica, également connu sous le titre de Erreurs communes, consacré, après que Bacon eut ouvert la voie en ce sens, à la dénonciation des erreurs, superstitions et croyances fausses dont l'homme est souvent victime. Les rééditions en furent fréquentes. L'année 1658 vit la parution d'Hydriotaphia, suite de réflexions philosophiques et métaphysiques sur la mort et la destinée humaine, dont le point de départ est l'exhumation d'urnes funéraires découvertes dans le Norfolk. Cette œuvre fut publiée en même temps qu'un autre essai, Le Jardin de Cyrus, réflexion originale sur la figure géométrique du quinconce, analysé du point de vue de l'histoire, de l'histoire de l'art, de la botanique et même de la magie.

Fait chevalier par le roi Charles II, de passage à Norwich, qui entendait récompenser les mérites de Browne, médecin et homme de lettres désormais célèbre, ainsi que sa fidélité à la monarchie lors des évènements révolutionnaires, Browne passa le reste de sa vie dans cette même ville où il mourut le 19 octobre 1682. Lettre à un ami, écrite à l'occasion de la mort d'un ami intime, et Morale chrétienne, œuvre au style gnomique et lapidaire, furent publiés à titre posthume, respectivement en 1690 et en 1716.

Son époque

Il vécut lors de la Première Révolution anglaise.
Il est un contemporain de l'éditeur et journaliste Théophraste Renaudot qui a créé le premier périodique français.
C'est aussi l'époque de la contre-réforme catholique et ses écrits ont un retentissement jusque dans les empires portugais et espagnols.

Son œuvre

Il s'est fait connaître par un ouvrage intitulé la Religion du médecin 1642 qui fut traduit en français par Nicolas Lefèvre en 1668.
Il a aussi écrit un essai sur les erreurs vulgaires : Enquiries into vulgar and common errors 1646 traduit en français par Souchay en 1733. Dans cet essai, il s'est attaqué aux idées reçues et aux croyances populaires, selon lui erronées, en tentant de comprendre le processus qui leur a donné naissance. Il s'en est pris, en particulier, aux arguments de l'époque voulant que les noirs soient faits pour le travail manuel dans le cadre de l'esclavage en raison de la couleur de leur peau.
L'essai, publié en 1646, a fait parler de lui, car la population d'esclaves noirs à la Barbade était passée de 500 à 4000 personnes entre 1640 et 1645, avec l'installation des premières grandes plantations de canne à sucre.
Passionné de botanique, il fut par ailleurs le premier à faire ressortir la fréquence du nombre cinq dans les graines et les divisions des enveloppes florales. Les sociologues font remonter la constitution systématique de leur science, en Angleterre, à Thomas Browne.
Il a aussi écrit Lettre à un ami, 1re publication en 1690

Hommage

La nouvelle d'Edgar Poe intitulée Double Assassinat dans la rue Morgue 1841 s'ouvre par un extrait du texte Hydriotaphia, Urn Burial, or a Discourse of the Sepulchral Urns lately found in Norfolk de Thomas Browne Chapitre V :
Quelle chanson chantaient les sirènes ? Quel nom Achille avait-il pris quand il se cachait parmi les femmes ?
W.G. SEBALD cite et analyse l'œuvre de Thomas BROWNE dans son livre "Les Anneaux de Saturne" 1995
Jorge Luis Borges cite le Urn Burial de Browne sans spécifier le prénom de Thomas dans le dernier paragraphe de sa nouvelle "Uqbar, Tlön, Orbis Tertius", du livre Ficciones 1944.

Liens
http://youtu.be/BmOVxJkeRVg Sa vie
http://youtu.be/Gkf8uGEj9EQA Colloquy with God


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#267 Nathalie Sarraute
Loriane Posté le : 18/10/2014 18:49
Le 19 octobre 1999, à Paris meurt à 99 ans Nathalie Sarraute

Natalia Natacha devenue Natalie Tcherniak née à Ivanovo-Voznessensk, en Russie, le 5 juillet 1900, écrivain, romancière, dramaturge, avocat. française d'origine russe. Elle appartient au mouvement du Nouveau Roman, elle reçoit le prix International. Ses Œuvres principales sont Tropismes en 1939, L'Ère du soupçon en 1956, Les Fruits d'or en 1963, Enfance en 1983
Elle est la mère de Claude Sarraute, journaliste, romancière et comédienne, d'Anne Sarraute, assistante de réalisation, chef monteuse et secrétaire de rédaction de La Quinzaine littéraire et de Dominique Sarraute photographe.

En bref

Si l'on peut faire remonter au recueil de L'Ère du soupçon, paru en 1956, le rayonnement de l'œuvre de Nathalie Sarraute, l'une des plus neuves et des plus marquantes de notre époque, c'est parce que s'y trouve alors abordée pour la première fois l'idée d'une crise du roman, idée partagée par un certain nombre d'écrivains dont l'œuvre serait rangée sous l'étiquette du Nouveau Roman. Il ne s'agissait pourtant pas là d'un manifeste ni d'un programme dont les livres à venir ne seraient que l'application. L'origine de cette œuvre n'a rien de théorique ; il faut la chercher dans ces premiers textes, écrits entre 1932 et 1937, ces Tropismes qui constituent la substance vivante d'un patient travail d'exploration. À quel point ces actions intérieures, ces mouvements indéfinissables sont enracinés dans l'expérience de l'individu, le texte d'Enfance 1983 le révèle mieux que jamais : dans ce livre, en effet, l'entreprise de l'écriture remonte vers ce dont elle est issue, vers ces moments d'intensité qui subsistent dans les souvenirs d'enfance, vers ces impressions confuses et fondamentales que l'œuvre n'a cessé de désigner comme la source secrète de notre existence.

Sa vie

" Je ne suis rien d'autre que ce que j'ai écrit "

Russe par sa famille, française par son éducation, Nathalie Sarraute, née Natalia Ilinitchna Tcherniak, voit le jour le 5 juillet 1900 à Ivanovo-Voznessensk, près de Moscou, dans une famille de la bourgeoisie juive assimilée, aisée et cultivée. Son père, docteur ès sciences, y avait installé une usine de produits chimiques, sa mère était écrivain. Ses parents, Ilya Tcherniak et Pauline Chatounowski, divorcent alors qu'elle est âgée de deux ans. Sa mère l'emmène vivre avec elle à Genève, puis à Paris, où elles habitent dans le cinquième arrondissement, avec sa mère. Chaque année, elle passe un mois avec son père, soit en Russie soit en Suisse, elle fait des séjours en Russie jusqu'en 1909. A partir de cette date elle reste à Paris, cette fois avec son père, remarié à son tour. La France sera bien davantage qu'un pays d'adoption. Comme Enfance l'évoque, Natalia va à l'école maternelle de la rue des Feuillantines, puis au lycée Fénelon, c'est l'expérience de la scolarité, d'abord à l'école communale puis au lycée Fénelon, qui permet à l'enfant d'échapper à l'univers instable des sentiments non formulés, de se constituer par la maîtrise de la langue un monde propre et un refuge, d'y découvrir son pouvoir et son identité. . Ensuite Natalia Tcherniak ira de nouveau vivre en Russie, à Saint-Pétersbourg, avec sa mère et le nouveau mari de celle-ci, Nicolas Boretzki. Ilya Tcherniak, le père de Natalia, qui connaît des difficultés en Russie du fait de ses opinions politiques, sera quant à lui contraint d'émigrer à Paris. Il va créer une usine de matières colorantes à Vanves. La jeune Natalia grandit aussi près de son père à Paris et avec Véra, la seconde femme de son père, et bientôt sa demi-sœur Hélène, dite Lili. Cette période, entre 1909 et 1917, sera difficilement vécue par Nathalie Sarraute. Après une double licence, d'anglais et de droit, un séjour à Oxford en 1920-1921 pour y préparer un B.A., Nathalie s'inscrit comme stagiaire au Barreau et, en 1925, elle épouse un avocat, Raymond Sarraute. Mais l'activité professionnelle cédera bientôt la place à la lente élaboration d'une série de vingt-quatre textes brefs, Tropismes, point de départ et cœur de l'œuvre.
Elle reçoit une éducation cosmopolite et, avant de trouver sa voie, poursuit d'ailleurs des études diverses : elle étudie parallèlement l'anglais et l'histoire à Oxford, ensuite la sociologie à Berlin, puis fait des études de droit à Paris. Elle devient ensuite avocate, inscrite au barreau de Paris. En 1925, elle épouse Raymond Sarraute, avocat comme elle. Elle a alors 25 ans. De cette union naissent trois enfants : Claude née en 1927, Anne née en 1930 et Dominique.
Parallèlement, Nathalie Sarraute découvre la littérature du XXe siècle, spécialement avec Marcel Proust, James Joyce et Virginia Woolf, qui bouleversent sa conception du roman. En 1932, elle écrit les premiers textes de ce qui deviendra le recueil de courts textes Tropismes où elle analyse les réactions physiques spontanées imperceptibles, très ténues, en réponse à une stimulation :
mouvements indéfinissables qui glissent très rapidement aux limites de la conscience ; ils sont à l'origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu'il est possible de définir. Tropismes sera publié en 1939 et salué par Jean-Paul Sartre et Max Jacob."
En 1940, Nathalie Sarraute est radiée du barreau à la suite des lois anti-juives et décide de se consacrer alors à la littérature. Elle a 41 ans. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle héberge un temps Samuel Beckett, dramaturge du théâtre de "l'absurde" alors recherché par la Gestapo pour ses activités de résistance. Elle réussira à rester en Île-de-France avec plusieurs changements d'adresse et de faux papiers, elle sera contrainte de divorcer pour protéger Raymond d'une radiation du barreau.
En 1947, Jean-Paul Sartre écrit la préface de Portrait d'un inconnu, qui sera publié un an après par Robert Marin. Mais il lui faudra attendre la publication de Martereau 1953 pour commencer à connaître le succès. Le livre paraît chez Gallimard et elle restera désormais fidèle à cette maison d'édition.

En 1960, elle compte au nombre des signataires du Manifeste des 121.

En 1964, elle reçoit le Prix international de littérature pour son roman Les Fruits d'Or. C'est la consécration.
Parallèlement à son œuvre romanesque, elle commence à écrire pour le théâtre, à l'invitation d'une radio allemande. Le Silence paraîtra en 1964, Le Mensonge deux ans plus tard. Suivront Isma, C'est beau, Elle est là et Pour un oui ou pour un non. Ces pièces suscitent rapidement l'intérêt des metteurs en scène. Ainsi, Claude Régy crée Isma en 1970, puis C'est beau en 1975 et Elle est là en 1980 ; Jean-Louis Barrault crée en 1967 Le Silence et Le Mensonge à l'Odéon, pièces que montera plus tard Jacques Lassalle 1993 pour l'inauguration du Vieux Colombier en tant que deuxième salle de la Comédie-Française. Simone Benmussa adapte son autobiographie Enfance pour la scène 1984, à Paris Théâtre du Rond-Point, puis à New York sous le titre Childhood 1985 et crée ensuite Pour un oui ou pour un non création en France, 1986, Théâtre du Rond-Point - création mondiale à New York par S.B. sous le titre For no good reason 1985. Simone Benmussa réalise aussi le film Portrait de Nathalie Sarraute, avec Nathalie Sarraute production Centre Georges Pompidou et Éditions Gallimard, sélectionné dans "Perspectives du cinéma français" pour le Festival de Cannes de 1978.

Nathalie Sarraute meurt à Paris le 19 octobre 1999 alors qu'elle travaille à une septième pièce et est inhumée à Chérence, dans le Val-d'Oise.

Les enjeux de l'écriture

En 1956, Nathalie Sarraute publie l'Ère du soupçon, essai sur la littérature qui récuse les conventions traditionnelles du roman. Elle y décrit notamment la nature novatrice des œuvres de Woolf, de Kafka, de Proust, de Joyce et de Dostoïevski. Elle devient alors, avec Alain Robbe-Grillet, Michel Butor ou encore Claude Simon, une figure de proue du courant du nouveau roman.

Sarraute ambitionne d’atteindre une matière anonyme comme le sang, veut révéler le non-dit, le non-avoué, tout l’univers de la “sous-conversation”. N'a-t-on pas dit d'elle qu'elle s'était fixé pour objectif de peindre l'invisible ? Elle excelle à détecter les innombrables petits crimes que provoquent sur nous les paroles d’autrui. Ces paroles sont souvent anodines, leur force destructrice se cache sous la carapace des lieux communs, gentillesses d’usage, politesses… Nos apparences sans cesse dévoilent et masquent à la fois ces petits drames.

Le terme tropisme, emprunté au langage scientifique, désigne l'orientation des plantes en fonction de leur milieu. Chez Sarraute, qui a intitulé sa première publication Tropismes, ce vocable renvoie à des mouvements intérieurs presque insensibles dus à des causes extérieures: phrases stéréotypées, conventions sociales. Sous la banalité apparente de ces conventions langagières, il existe en effet des rapports humains complexes, des sentiments intenses, voire violents, sensations d'enfermement, d'angoisse, de panique. Sarraute les décrit comme des mouvements instinctifs, déclenchés par la présence d'autrui ou par les paroles des autres. Tropismes, refusé par Gallimard et par Grasset, ne sera reconnu par la critique qu'une quinzaine d'années après sa parution.

" Des mouvements qui émergeaient de la brume "

Les cinq années nécessaires à la rédaction de Tropismes semblent témoigner de la difficulté de l'entreprise. Il s'agissait de transcrire les impressions produites par des mouvements intérieurs, infimes et fugitifs, des affleurements incessants d'impulsions, de réactions, qui forment, aux limites mêmes de la conscience, la trame invisible de l'existence. Ces mouvements élémentaires, qui ne portent aucun nom et que Nathalie Sarraute baptisera d'un terme emprunté à la biologie, sont à l'origine de nos faits et gestes, de nos sentiments et de nos paroles. Antérieurs donc à tout langage, ils se développent dans ces régions marécageuses et obscures où l'écriture tentera de les rejoindre pour en exprimer la nature trouble et familière.
Le travail romanesque sera donc neuf en plusieurs sens. D'abord par l'objet poursuivi, ces « tropismes » qui ne se découvrent qu'au-delà des apparences et qui contraignent l'écrivain à déployer la vigilance d'un guetteur. Le but n'est pourtant pas d'approfondir grâce à eux l'analyse de certains caractères, de ces figures traditionnelles du roman que sont le jaloux, l'ambitieux ou l'amoureux. Ce malentendu ne peut qu'être le fait d'une lecture superficielle. Dans Portrait d'un inconnu 1948, sous le regard d'un narrateur obsédé par le couple formé par un vieil homme et sa fille, semblent se constituer des types familiers, l'avare égoïste, la fille sacrifiée. Est-ce de la psychologie ? À cette question posée par Sartre dans la Préface qu'il écrivit en 1947 pour cet anti-roman peut répondre le premier article de L'Ère du soupçon, De Dostoïevski à Kafka, paru en 1947 dans Les Temps modernes : l'écrivain doit-il vraiment choisir entre un roman psychologique, issu du maître russe, et un courant plus moderne, celui du roman métaphysique ? Dans celui-ci apparaîtrait l'homme absurde du XXe siècle, l'individu absent à lui-même et si réduit à ses seules apparences qu'il ne peut qu'être l'objet d'une description extérieure. S'il n'y a rien derrière cette surface, le roman doit renoncer à l'investigation psychologique comme à un instrument démodé.
Pourtant, l'alternative n'est pas fondée et l'écrivain l'abandonne dès lors que se pose de façon radicale la question de savoir ce qu'il poursuit par le langage de la fiction. Pour Nathalie Sarraute, d'un romancier à l'autre le but est toujours le même : c'est la mise au jour d'états inexplorés, d'états baladeurs, communs à tous les hommes, si instables et si universels que le personnage, qui n'en est au fond que le simple support, peut disparaître. Il faut donc renoncer au débat sur la nature psychologique du roman, ou modifier le sens de l'expression. Ce n'est pas sur le caractère d'un personnage que porte l'investigation soupçonneuse et passionnée d'un observateur, narrateur ou romancier, mais sur ces remous, ces fluctuations, ces tourbillons anonymes qui se dissimulent derrière la familiarité rassurante d'un type . Le caractère n'est pas cerné par le récit à force de pénétration, au contraire, il est dissous, désintégré, et le récit montre, derrière le bloc figé des apparences, l'informe, le non-nommé, le grouillement vivant, la matière secrète et vagabonde de toute existence.

" Plonger le lecteur dans le flot de ces drames souterrains "

Une autre nouveauté de ce travail est alors évidente. Si le principe de personnages aux caractères bien définis est remis en question, l'action dramatique, liée par tradition aux caractères des héros, ne peut que s'en trouver profondément modifiée. Elle se déplace de cette surface où semblent se dérouler les événements d'une fiction, vers ces palpitations souterraines dont les péripéties incessantes se découvrent plus riches et plus réelles. Ce sont les variations des tropismes, le nuage de leurs modifications, qui vont former la substance du récit. L'action traditionnelle éclate, disparaît. Une quantité de drames infimes la remplacent, dont le déroulement dans la conscience de quelques individus donnera au livre l'aspect oscillant, infini et pourtant ordonné de ce ciel qu'observent les astronomes.
Martereau 1953 et Le Planétarium 1959 témoigneront, comme Portrait d'un inconnu, d'une sorte de jeu entre deux niveaux de l'action et de la lecture. Celui des personnages, maintenus à titre de simples apparences, et celui de leurs soubassements. Dans Martereau, le neveu-narrateur, l'oncle, la tante, Martereau lui-même, peuvent être saisis tantôt de l'extérieur, figures banales et stéréotypées, tantôt dans l'agitation des tropismes qui se déroule à l'arrière-plan de leurs actes et de leurs paroles, ce qui annule toute possibilité d'un jugement à leur égard. Ce qu'ils sont échappe, et le plus réel, cette part d'innommé que recherchait l'écrivain pour l'investir dans du langage, se révèle justement le plus ambigu. Chaque récit en recommence l'exploration sans jamais la terminer. Martereau peut ainsi proposer quatre actions dramatiques concurrentes qui pourraient se dérouler derrière l'échange de phrases identiques au cours d'un même dialogue. De même, dans Le Planétarium, les fragments apparents d'une intrigue en sont plutôt la parodie : déposséder la tante Berthe de son appartement, décider de l'achat d'un fauteuil, approcher Germaine Lemaire, l'écrivain célèbre, et s'infiltrer dans sa coterie ne sont que les occasions, les prétextes d'une mise à jour vertigineuse : celle du flux et du reflux des courants contradictoires qui nous habitent.

" Ces instants privilégiés où tout se détraque "

Tout se déconstruit, les personnages et l'action se désintègrent, à chaque moment de l'observation l'objet se dérobe ou se retourne. Le récit n' avance pas ; de tous côtés s'ouvrent des abîmes où le lecteur s'enfonce sans en voir jamais la fin. Ce qui captive ce lecteur de Nathalie Sarraute, ce n'est donc plus la paroi lisse d'un caractère déterminé ni le mouvement familier d'un récit classique ; ce sont plutôt, on peut le soupçonner, ces failles, ces points de rupture où l'apparence se déchire tandis que s'écroulent les certitudes. Mais c'est au prix d'une vigilance constante, d'une sorte d'état de guet ou d'alerte, que l'écrivain parvient à communiquer au lecteur par l'invention de formes nouvelles.
Avec Les Fruits d'or, qui obtient en 1964 le prix international de Littérature, l'œuvre de Nathalie Sarraute semble en effet prendre un tournant. Dans ce texte où s'ébauchent et se défont des jugements critiques portés sur un livre, ce qui des apparences avait été jusqu'alors conservé disparaît. Plus de personnages, mais de simples pronoms, il, elle, eux, dans leurs tâtonnements intérieurs, leurs élans, leurs reculs. Mouvements presque tactiles auxquels se plient des phrases qui en imitent la démarche. Dans les premiers textes de Tropismes, l'écriture cherchait déjà les images capables d'éveiller chez le lecteur les mêmes impressions, de lui faire percevoir ces irradiations sensibles dont est porteur le moindre mot ; déjà l'ordre temporel était perturbé, ralenti à l'extrême, n'était plus celui de la vie réelle, mais celui d'un présent démesurément agrandi. Avec Les Fruits d'or, d'autres conventions disparaissent, comme celle d'un découpage du livre en chapitres. Les paragraphes se séparent les uns des autres, espacés par des intervalles, des blancs, qui marquent l'hésitation, la relance de la quête, l'ébranlement ou le retournement d'un point de vue. Et dans les phrases hachées, suspendues, cabrées semble se lire la difficulté d'approcher ces points fragiles de la surface, le danger d'y accéder par l'écriture, par le langage.
Car ce que l'œuvre circonscrit peu à peu, par une exploration de plus en plus fine de son territoire, c'est le rôle que joue la parole dans notre existence. Support de la communication, mais aussi instrument universel du jugement stéréotypé, de la manie de classer, du bavardage, du lieu commun, le langage va montrer tout à la fois qu'il est le grand responsable des apparences et le moyen de les dépasser.

" Quelque chose d'anodin, de familier au possible "

Fragments de phrases, rires, intonations, clichés, rumeurs, exclamations, silences : ce sont eux qui vont bientôt constituer l'univers du roman et celui du théâtre. Entre la vie et la mort 1968 essaie d'explorer le travail même d'un écrivain, cette relation difficile qu'il entretient avec les mots et avec la société ; Vous les entendez ? 1972, les perturbations profondes provoquées par un certain rire ; Disent les imbéciles 1976, l'influence de la construction factice de personnages sur la liberté de pensée. Partout le langage s'interroge sur son propre pouvoir, sur cette parole qui est l'arme quotidienne, insidieuse et efficace, d'innombrables petits crimes.
Dans l'œuvre écrite pour la scène, la recherche est identique. Nathalie Sarraute vient au théâtre en 1965, à la suite d'une commande de la radio allemande de Stuttgart. Ce seront Le Silence puis Le Mensonge, créés deux ans plus tard au théâtre de France dans une mise en scène de J.-L. Barrault. Les autres textes qui suivront manifestent souvent, par leur titre même, Isma, C'est beau, Pour un oui ou pour un non que le rôle principal est joué par un mot, par quelques mots, par une façon de les prononcer. Par ses tics, ses accents, ses réticences ou ses banalités, la parole est porteuse de drames qui se déclenchent à la première occasion. Il suffit d'un silence, d'un changement d'intonation pour qu'affleure cette sous-conversation qui se dissimule sous le bavardage. Par là se manifeste la force d'une écriture théâtrale qui tire d'elle-même, c'est-à-dire du dialogue et de ses ratés, les moments d'une action dramatique.
Si menaçant, trouble, explosif que soit ce pouvoir du langage, il semble pourtant, et l'œuvre en témoigne, qu'il soit aussi le moyen de combattre ses propres méfaits. Les mots, dont l'assemblage patient et nouveau tâchait de traduire cette part d'innommé que poursuit l'écrivain, sont aussi capables de combattre leur propre usure, leur lourdeur, leur tendance à pétrifier ce qui est vivant. L'Usage de la parole 1980 prend pour objet ces réactions imperceptibles produites en nous par les expressions les plus courantes : À très bientôt, Et pourquoi pas ?, Je ne comprends pas . C'est cet usage général, irresponsable et meurtrier de la parole que l'œuvre n'a cessé de dénoncer, soulevant la plaque de ciment » des conventions et des clichés, tâchant de cerner l'innommé, de déjouer les pièges de ce langage qui nous constitue.
Dans la déconstruction des formes traditionnelles du roman, Nathalie Sarraute rejoignait les préoccupations du groupe du Nouveau Roman. De toutes parts, cependant, son travail affirme sa singularité. Ce que semble chercher l'écriture, à travers les fragments d'un univers que les conventions ont cessé de souder, c'est l'épreuve de son propre pouvoir, la possibilité d'un usage vigilant, peut-être d'une innocence de la parole. Mais c'est aussi, depuis l'origine, la mise au jour de ces espaces intérieurs vers lesquels l'œuvre, patiemment, solitairement, ne cesse, livre après livre, de s'avancer à tâtons.

En 1983, Sarraute publie Enfance, qui fait revivre le monde disparu des émigrés russes à Paris au début du xxe siècle. Dans ce recueil de scènes isolées, l'auteur s'efforce de retrouver ce qui constitue sa personnalité, s'attachant en particulier à reconstituer ses premières rencontres avec les mots, le plaisir de la lecture et l'activité introspective de l'écriture. Écriture à deux voix, ce texte se présente sous la forme d'un dialogue entre l'écrivain et son double, qui soumet l'entreprise autobiographique à un contrôle à la fois constant et rigoureux. Ce qui n'empêche pas les inexactitudes comme l'anachronisme qui cite deux comédiennes avec un évident a posteriori : la première Véra Korene est en effet d'un an plus jeune qu'elle et la seconde entre tout juste au Français.

Œuvre

Romans

Portrait d'un inconnu, 1948, Robert Marin; réédition en 1956, Gallimard.
Martereau, 18 mai 1953, Gallimard.
Le Planétarium, 13 mai 1959, Gallimard.
Les Fruits d'or, 1963, Gallimard. Prix international de littérature.
Entre la vie et la mort, 22 avril 1968, Gallimard.
Vous les entendez ?, 17 janvier 1972, Gallimard coll. "Le Chemin".
"disent les imbéciles", 2 septembre 1976, Gallimard.
L'Usage de la parole, 8 février 1980, Gallimard.
Enfance, 1983, Gallimard.
Tu ne t'aimes pas, 1989, Gallimard.
Ici, 1995, Gallimard.
Œuvres complètes, 1996, Gallimard Bibliothèque de la Pléiade.
Ouvrez, 1997, Gallimard.

Théâtre

Le Silence, suivi de Le Mensonge, 1967, Gallimard.
Isma ou Ce qui s'appelle rien suivi de Le silence et Le mensonge, 1970, Gallimard coll. "Le Manteau d'Arlequin"
Théâtre contenant Elle est là E.O., Le Mensonge, Isma, C'est beau, 18 octobre 1978, Gallimard.
Pour un oui ou pour un non, 25 janvier 1982, Gallimard.

Essais

Tropismes, 1939, Denoël
L'Ère du soupçon, 1956, Gallimard coll. «Les Essais LXXX
Tropismes, 1957, Éditions de Minuit suppression d'un texte de l'édition originale de 1939 et ajout de six nouveaux
Paul Valéry et l'enfant d'éléphant, suivi de Flaubert le précurseur, 1986, Gallimard

Hommage

Une esplanade, séparant la halle Pajol de la rue Pajol dans le 18e arrondissement de Paris a été nommée Esplanade Nathalie-Sarraute en novembre 20132.

Liens
http://youtu.be/PMscmupgUn8 pour un oui, pour un non
http://youtu.be/v0cbEX118MA Tropismes
http://youtu.be/uovXq7Y-83M interview


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#268 Henri Michaux
Loriane Posté le : 18/10/2014 17:35
Le 19 octobre 1984, à 85 ans, meurt, à Namur Henri Michaux

l naît le 24 mai 1899 à Paris, écrivain, poète et peintre d'origine belge d'expression française. naturalisé français en 1955. ses Œuvres principales, Cas de folie circulaire en 1922, Un barbare en Asie en 1933, Plume en 1934
Henri Michaux passe son enfance dans une famille de chapeliers aisés, à Bruxelles, au 69 rue Defacqz. Après avoir séjourné dans un pensionnat de la région de Malines, il poursuit ses études à Bruxelles au Collège Saint-Michel, où il a pour condisciples Norge, Herman Closson et Camille Goemans.

En bref

Adolescent angoissé, ses premières expériences littéraires sont marquées par la fréquentation de Tolstoï et Dostoïevski. Même s'il lit beaucoup pendant ses études chez les jésuites, il ne s'oriente pas tout d'abord vers l'écriture mais vers la médecine, qu'il abandonnera assez vite pour s'engager comme matelot. Il navigue en 1920 et 1921, mais doit débarquer, son bateau étant désarmé. À peu près à la même époque, la découverte de Lautréamont le pousse à écrire. Il en sortira Cas de folie circulaire en 1922, premier texte qui donne déjà une idée de son style. Ensuite les écrits se succèdent Les Rêves et la Jambe en 1923, Qui je fus en 1927… et les styles se multiplient.
Dans les années 1920, il collabore activement à la revue d'avant-garde Le Disque VERT fondée par Franz Hellens.
Pendant cette période, il émigre à Paris. Dès lors, il ne cessera de renier tout ce qui le rattache à la Belgique. En revanche, il gardera jusqu'à la fin de sa vie une réelle affinité avec la France et avec Paris en particulier — même s'il ne cessera pas de voyager dans le monde entier.
À Paris, il se lie rapidement avec le poète Jules Supervielle avec qui il restera ami jusqu'à la mort de ce dernier. En 1936, ils voyagent en Uruguay chez Supervielle puis à Buenos Aires en Argentine pour le Congrès International du Pen Club International. Au cours de ce voyage, Michaux rencontre Susana Soca, femme de lettres uruguayenne avec qui il sera très lié. Il retrouve également Victoria Ocampo, la directrice de SUR.
À Paris, Michaux fut ami avec plusieurs personnes qui jouèrent un grand rôle dans le monde artistique, comme Brassaï, Claude Cahun, Jean Paulhan son éditeur à la NRF, le libraire-éditeur Jacques-Olivier Fourcade son ami le plus proche et correspondant, il l'embauchera comme conseiller littéraire, publiera Mes propriétés en 1929, et Nous deux encore en 1948 ; il favorise par ailleurs l'émergence d'une jeune génération de poètes dont Vincent La Soudière.
Outre les textes purement poétiques, il rédige des carnets de voyages réels, Ecuador en 1929, Un barbare en Asie en 1933 ou imaginaires, Ailleurs en 1948, parmi beaucoup d'autres, des récits de ses expériences avec les drogues, notamment la mescaline, Misérable Miracle en 1956 et le cannabis, Connaissance par les gouffres en 1961, des recueils d'aphorismes et de réflexions, Passages en 1950, Poteaux d'angle en 1971…, etc.
Bien que ses ouvrages les plus importants aient été publiés chez Gallimard, de nombreux petits recueils, parfois illustrés de ses dessins, ont été publiés à un faible tirage chez de petits éditeurs

Sa vie

Henri Michaux est né le 24 mai 1899 à Namur dans une famille bourgeoise ardennaise et wallonne. Enfant et adolescent maladif, rêveur, révolté contre son milieu familial, il boude la vie, existe en marge, s'évade dans la lecture. Il découvre les mystiques. À vingt ans, refusant toute intégration sociale, il renonce à poursuivre ses études de médecine et s'embarque comme simple matelot. Au bout d'un an d'aventures maritimes, il revient à Bruxelles. Il semble être définitivement un raté.
La lecture de Lautréamont lui révèle sa vocation d'écrivain. Il débute par des essais et des textes poétiques en prose où l'imagination cocasse et le style percutant révèlent déjà sa profonde originalité. Poète et peintre, Henri Michaux n'a quitté définitivement sa Belgique natale qu'à vingt-cinq ans et n'a été naturalisé français qu'à cinquante-cinq ans. Venu à Paris, il se lie avec Jean Paulhan, qui est le premier à comprendre et à apprécier son génie. Son premier livre, Qui je fus 1927, passe à peu près inaperçu. Un voyage en Amérique du Sud lui inspire Ecuador en 1929 ; quelques années plus tard, il rapporte d'un grand voyage en Inde et en Chine un autre journal de bord, Un barbare en Asie en 1932. Entre-temps, il a écrit ses premiers chefs-d'œuvre : Mes Propriétés en 1929 et Un certain Plume en 1930 ; repris sous le titre de Plume en 1938, nom d'un personnage falot, éternelle victime des hommes et des événements, qui incarne l'angoisse de vivre.
Dans les années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale, l'inspiration de Michaux s'approfondit. Il commence la description de ses pays imaginaires et il fixe les images du Lointain intérieur en 1938. En même temps, il se consacre de plus en plus au dessin et à la peinture et commence à exposer des aquarelles et des gouaches aussi étranges, pour le grand public, que ses poèmes. La publication, en 1941, d'une conférence de Gide, Découvrons Henri Michaux, marque le début de la notoriété. Mais c'est seulement après 1955, au moment où il entreprend d'expérimenter sur lui-même les effets des drogues hallucinogènes, notamment de la mescaline, qu'il obtient la consécration définitive. Cependant, fidèle à sa vocation de poète réfractaire, jaloux de son autonomie, soucieux d'échapper à toutes les aliénations, même celle de la gloire, il refuse, en 1965, le grand prix national des lettres.

De la révolte à L'aventure

Contemporain des surréalistes, Henri Michaux a cherché comme eux dans la poésie et dans l'art une aventure spirituelle comparable à certains égards à l'expérience mystique. Mais il se distingue nettement d'eux par le climat angoissé de son univers intérieur, par son esprit critique, sa curiosité intellectuelle, son refus de toute agitation tapageuse et de tout engagement idéologique. Il donne l'exemple de la plus grande liberté d'esprit dont un homme soit capable. Tenté, au début, de refuser la réalité pour s'évader dans l'imaginaire, il a finalement entrepris d'explorer le plus complètement possible, en tentant sur lui-même des expériences d'un caractère presque médical, le domaine mental de l'homme.
Qu'il s'agisse d'exprimer ses sentiments d'angoisse et de révolte, de raconter ses rêves, d'imaginer des histoires fantastiques, ou de rendre compte d'expériences psychologiques, Michaux le fait dans un style immédiatement reconnaissable et inimitable, sec, nerveux, haletant, saccadé, vibrant, qui traduit à la fois l'émotion et l'humour. Longtemps desservi par son originalité même, il est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands écrivains français. Il fut aussi un remarquable peintre, un des initiateurs du tachisme en France. L'évolution de son œuvre graphique, depuis les figures monstrueuses du début jusqu'aux signes, aux taches et aux dessins mescaliniens, sans être absolument liée à celle de son œuvre littéraire, va dans le même sens : de l'angoisse paralysante à l'ivresse de la découverte.

L'espace du dedans

Michaux se désintéresse de ce qui est extérieur : paysages, objets, réalités économiques, relations sociales, devenir historique. Son regard plonge à l'intérieur de lui-même, dans ce domaine incirconscrit et obscur où naissent les pensées, les rêves, les images, les impressions fugitives, les pulsions. Aucun écrivain peut-être n'a jamais porté une telle attention aux mouvements les plus ténus de la vie intérieure. Il dit de l'art de Paul Klee, avec qui il a d'incontestables affinités, qu'il nous communique le sentiment d'être « avec l'âme même d'une chrysalide.
Sa faculté maîtresse est l'imagination, mais une forme d'imagination qui refuse le pittoresque et la narration. Ce domaine de l'imaginaire, c'est ce qu'il appelle ses propriétés. Il est à la fois tout entier enclos dans son esprit et à la mesure de l'universel, puisqu'il est riche de millions de possibles. Ce que Michaux invente, ce n'est jamais une action, une intrigue il n'est pas un conteur, même dans Plume, mais des êtres et surtout des manières d'être. Au pays de la Magie ou dans celui des Meidosems (êtres filiformes et évanescents, il fait l'inventaire de nouvelles manières de vivre, d'aimer, de souffrir, de mourir.
L'imagination est source de trouble et d'angoisse, puisque c'est elle qui provoque les images obsédantes, sécrète les monstres, doue les objets et les êtres d'un pouvoir d'agression, fait du monde une perpétuelle menace pour le corps et la conscience de l'individu, également fragiles. Une grande partie de l'œuvre de Michaux exprime la terreur d'être envahi par les puissances environnantes du monde hostile. Mais l'imagination, qui est une force de destruction du moi, est en même temps un instrument de défense et une force de restructuration. Toute une autre partie de l'œuvre de Michaux montre les divers procédés d'intervention qui permettent au rêveur endormi ou éveillé de prendre sa revanche sur la réalité hostile, de corriger ou de compléter le monde dans le sens de ses plus secrets désirs. Dans cette perspective, la poésie et la peinture sont moins des moyens d'expression que des exorcismes.

La recherche de l'absolu

Michaux écrivait déjà dans son premier livre : Je ne peux pas me reposer, ma vie est une insomnie .... Ne serait-ce pas la prudence qui me tient éveillé, car cherchant, cherchant et cherchant, c'est dans tout indifféremment que j'ai chance de trouver ce que je cherche puisque ce que je cherche je ne le sais. Son entreprise consiste donc à tenter d'atteindre quelque chose qui se dérobe sans cesse et à quoi il ne lui est pas possible de renoncer sans que sa vie perde toute signification. Cette ferveur perpétuellement frustrée, ce désir qui aboie dans le noir, les mouvements de ce cerf-volant qui ne peut couper sa corde définissent la situation spirituelle de l'homme contemporain, à qui sa pensée analytique et sa culture désacralisée ne permettent plus de participer à l'Être. L'activité littéraire et artistique de Michaux, comme d'ailleurs toutes ses autres activités, est une entreprise de salut.
Dans sa jeunesse, la solution de la mystique chrétienne l'avait attiré. Plus tard, il a découvert la pensée de l'Inde et celle de la Chine, qui lui offrent des modèles et des techniques de méditation plus efficaces. Mais c'est finalement dans la poésie et dans l'art qu'il trouve la voie d'une réconciliation avec le monde et la vie. Il ne s'agit pas de trouver des solutions ou des réponses, mais de s'éveiller à la vraie vie, d'accéder au sens véritable du monde, qui est son mystère et son inépuisable nouveauté. Il faut retrouver l'esprit d'enfance : elle est l'âge d'or des questions et c'est de réponses que l'homme meurt. C'est encore à propos de Paul Klee que Michaux explique à quelles conditions l'art et la poésie permettent de dépasser la muraille de signes qui nous sépare du réel : Il suffit d'avoir gardé la conscience de vivre dans un monde d'énigmes, auquel c'est en énigmes aussi qu'il convient le mieux de répondre.

L'expérience de l'infini

Michaux avait jadis été tenté de recourir à la drogue notamment l'éther comme à un moyen de s'évader, de se retirer du monde, de vivre de l'autre côté. Plus tard, ce n'est plus l'évasion qu'il recherche, mais l'expérience. Il ne s'agit pas pour lui d'échapper à la condition humaine, mais d'en explorer toutes les possibilités. La drogue, qui donne des hallucinations et permet d'accéder à l'état second, est l'une des voies de l'aventure mentale dans laquelle le poète s'est engagé et qui consiste à se parcourir, à faire l'occupation progressive de tout son être en exploitant toutes ses facultés.
À partir de 1955, une partie de l'œuvre de Michaux va être consacrée à l'exploration de l'univers prodigieux que lui a révélé l'usage de drogues comme l'opium, le haschich, le L.S.D. et surtout la mescaline. Il montre que le drogué fait l'expérience de l'infini, mais aussi qu'il existe deux catégories, deux modalités de l'infini, dont l'une est le mal absolu et l'autre le bien absolu. Les titres des ouvrages qui décrivent les effets de la drogue : Misérable Miracle en 1956, L'Infini turbulent 1957, Paix dans les brisements, 1959, Connaissance par les gouffres en 1961, rendent compte du caractère essentiel de l'hallucination par le haschich ou de l'ivresse mescalinienne, qui est l'aliénation. Le drogué, comme le fou, est délogé de ses positions, chassé de lui-même, pris dans un « mécanisme d'infinité. Avec la perception juste de son corps, il a perdu sa demeure. Il ne retrouve plus le château de son être. L'expérience de la folie mescalinienne enseigne à la fois que l'infini est l'ennemi de l'homme et que, pourtant, l'homme est vulnérable à l'infini, qu'il y est poreux, parce que ça lui rappelle quelque chose et qu'il en vient. La finitude est conquise sur l'infini et la vie humaine normale est une oasis, une hernie de l'infini .
Il existe pourtant une autre forme de l'infini, dont Michaux a fait parfois, d'une manière inattendue, l'expérience bouleversante : un infini non plus de désorganisation et de turbulence, mais de complétude, de transcendance, l'unité retrouvée. C'est l'extase, semblable à celle des mystiques, par laquelle il se sent remis dans la circulation générale, rentré au bercail de l'universel et qui lui donne enfin accès à une démesure qui est la vraie mesure de l'homme, de l'homme insoupçonné.

Humour et poésie

L'originalité de l'art de Michaux, dans ses ouvrages littéraires comme dans ses peintures, tient à la fusion de deux éléments en apparence contradictoires, l'émotion et l'humour. D'un bout à l'autre de son œuvre, il n'y a guère de phrase ou de trait qui n'exprime l'émotion la plus intense. Souffrance, terreur, ou au contraire ferveur, l'émotion se traduit par des images fulgurantes, des cris, des rythmes haletants, des répétitions. Mais l'émotion apparaît rarement à l'état brut, et Michaux, en règle générale, ne la prend pas entièrement au sérieux. Il y a chez lui un refus d'être dupe, un besoin d'observer et de comprendre qui établissent une distance entre lui et ses propres sentiments. Placé dans une situation difficile, il utilise l'humour comme un moyen de prendre du recul et de se protéger. Il ne s'agit pas de rire ou de faire rire, mais de neutraliser l'émotion, soit par un détail ou un tour saugrenu, soit par un flegme apparent. L'exemple d'humour le plus connu et le plus caractéristique de Michaux, c'est le personnage de Plume, à qui il arrive toutes sortes de mésaventures surprenantes sans que cela modifie jamais sa résignation attristée et sans qu'il ose intervenir pour détourner le cours du destin.
Que ce soit dans les récits de voyages réels ou imaginaires, dans les rêves de vie plastique, où il invente la mitrailleuse à gifles ou la fronde à hommes, dans les réflexions et les aphorismes sur les sujets les plus divers, le ton de Michaux unit presque toujours la gravité et la fantaisie, la tension et la désinvolture.
De toute manière, écrire ou peindre n'est jamais pour lui un acte gratuit ou un divertissement, mais une sorte d'épreuve ascétique : Écrire, écrire : tuer, quoi. Il crée, dit-il encore, pour questionner, pour ausculter, pour approcher le problème d'être. En cela, il incarne la tentation la plus forte de l'art contemporain et se rattache à la tradition des poètes voleurs de feu. Il est l'un de ceux qui ont le mieux pressenti ce que pourrait être une nouvelle culture, intégrant à la pensée occidentale des éléments empruntés à l'Orient, et une nouvelle mesure de l'homme, plus vaste que la nôtre.

Sagesse et contemplation

Un dernier massif est venu, dans la vieillesse, compléter l'œuvre. Tout ce qui précédait se trouve repris et dépassé sur chacun des deux versants, dont l'un est tourné vers la sagesse, l'autre vers la contemplation.
On trouvait déjà, çà et là, dans les ouvrages de l'âge mûr, des aphorismes, qui étaient d'un moraliste. Poteaux d'angle (1981 est un recueil de préceptes que le poète s'adresse à lui-même ; et la sagesse qu'ils contiennent se situe au-delà de toute sagesse. Michaux se défend d'être un gourou : Quoi qu'il arrive, ne te laisse jamais aller – faute suprême – à te croire maître, même pas un maître à mal penser. Il te reste beaucoup à faire, énormément, presque tout. La mort cueillera un fruit encore vert.
Comment le poète réfractaire pourrait-il enseigner autre chose que la liberté ? Les principes de sa morale sont l'authenticité et l'autonomie : être soi, être à soi. Mais cela conduirait au blocage du moi si cette sagesse n'était pas aussi un mouvement d'ouverture au monde et d'élan vers l'inconnu. Comment conserver quelque chose du prodigieux foisonnement des possibles, sinon en gardant une totale disponibilité ? Si tu ne t'es pas épaissi, si tu ne te crois pas devenu important..., alors peut-être l'Immense toujours là, le virtuel Infini se répandra de lui-même.
Dans Face à ce qui se dérobe 1975, Michaux décrivait la survenue de la contemplation. Elle ne peut naître que dans le silence. Une fois repoussés les variations et ce qui nourrit les variations : les informations, les communications, le prurit de la communication... on retrouve la Permanence, son rayonnement, l'autre vie, la contre-vie. Il est significatif que l'un de ses derniers textes soit la suite de poèmes intitulée Jours de Silence, recueillis dans Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions, 1981. Il ne décrit plus la contemplation mais la chante, la célèbre, avec la ferveur retrouvée des mystiques d'Occident et d'Orient.
Parallèlement au poète, parfois en discordance avec lui, le peintre Henri Michaux a connu lui aussi, dans sa vieillesse, l'accomplissement. Il a utilisé de nouvelles techniques pour jeter dans l'espace les lignes, les taches et les signes qui forment ce que Jean Grenier a appelé une architecture de l'impermanence.

Le peintre

Il est particulièrement difficile de donner à voir, à l'aide des mots, ce que Michaux, contre les mots, invente, de traduire sa vision au moyen d'un langage qu'il a voulu, justement, fuir dans l'image. Et il ne saurait être question de retracer, en quelques lignes, un itinéraire aussi sinueux que le sien, à travers tant de techniques diverses : huile, lavis, gouache, aquarelle, dessin, encre, acrylique. Tout au plus pourra-t-on s'interroger sur la nature de l'expérience plastique, chez Michaux, et indiquer les principales directions dans lesquelles elle s'est engagée.

Michaux nous apprend que, jusqu'en 1925, il haïssait la peinture, et le fait même de peindre. C'est qu'il n'y voyait encore qu'une façon de reproduire, de répéter le réel, l'abominable réalité ; il n'avait pas encore découvert qu'elle pouvait être, aussi, l'inventaire de l'invisible. Le recours à la peinture procède, chez lui, d'une instinctive méfiance à l'égard de l'énorme machinerie du langage, de ce que sa préexistence à toute démarche créatrice a de cruellement contraignant, pour l'homme des mots. Sans doute les images elles-mêmes tendent-elles à se constituer en système de signes, mais ce système n'est pas aussi strictement codifié, hiérarchisé ; il ne nous emprisonne pas dans un réseau aussi serré d'habitudes, de mécanismes, de structures. Il semble donc plus facile de rejoindre, à travers l'expérience picturale, le primitif et le primordial, d'entrer en contact, avec ce qu'on a de plus précieux, de plus replié, de plus vrai, de plus sien.
Si, en passant de la poésie à la peinture, Michaux change de gare de triage, s'il regarde le monde par une autre fenêtre, les motivations profondes de la démarche créatrice demeurent les mêmes. Peinture et dessin peuvent être tour à tour – ou à la fois – agression et exorcisme, approche tâtonnante de l'être et tentative de se parcourir ; ils partent, eux aussi, du même refus de toute imitation, du même projet de donner forme à l'informe.

L'une des voies qu'emprunte la recherche picturale devait tout naturellement conduire l'auteur du Voyage en Grande Garabagne au pays des monstres. Des monstres dont ne surgit souvent que le visage ou même des fragments de visage : inachevés, vacillants, blêmes, en proie à d'obscurs tropismes, présents-absents toujours en quête d'un ancrage, ils sont la projection d'un moi ou d'un non-moi que le peintre malmène avec une hargneuse impartialité – figures d'un monde hostile ou fantômes intérieurs.
L'une des premières tentatives de Michaux allait dans le sens d'une peinture calligraphique : une main aventureuse dessinait inlassablement, d'une ligne continue ou rarement interrompue, le simulacre d'une écriture inconnue. Michaux se lassa. Mais, bien plus tard, il devait reprendre, sous une forme un peu différente, sa recherche. De l'encre de Chine jaillissent alors, une à une, des créatures minuscules, à mi-chemin entre l'homme et la racine, qui s'égrènent, au fil des pages, en un alphabet de ténèbres. Un peu plus tard, elles s'avanceront deux par deux, prêtes pour le ballet du rut ou du duel. Puis elles se multiplieront, proliféreront, noircissant la feuille blanche de leur fourmillement innombrable, s'agglutinant en groupes compacts, mais toujours mobiles, toujours en train de se défaire, parcourus de mouvements rageurs, scandant des rythmes. Du combat du peintre contre le sale flot noir ont surgi, en foule, des visions de combat.
De l'expérience mescalinienne, du formidable spectacle optique qu'elle constitue, de l'envahissement total, sans rémission ni recours, qu'elle inaugure, procède un graphisme qui ne pouvait que se réduire à une série de sismogrammes : sans commune mesure avec l'immensité de l'événement qu'il enregistre, le dessin n'est plus alors, nous dit Michaux, qu' une sorte de traduction graphique du vibratoire auquel j'ai assisté ; de l'ampleur de l'invasion subie, son espace surpeuplé témoigne – de façon parfois terrifiante. Le dessin mescalinien se trouve constamment confronté à l'impossibilité de rendre le lieu sans lieu, la matière sans matérialité, l'espace sans limitation. Une inépuisable prolifération d'entrelacs, de brisements, de franges, de spirales, de zébrures, instaure le règne d'une infinie répétition, défiant tout effort du langage pour apposer un nom sur ce qui n'est jamais être ou objet, mais seulement flux et passage, ou, plus exactement, trace – simple trace et rien de plus – d'un flux et d'un passage.

Parallèlement à l'écriture, dès 1925, il commence à s'intéresser à la peinture et à tous les arts graphiques en général. Exposé pour la première fois en 1937, il ne cesse ensuite de travailler, au point même que sa production graphique prend en partie le pas sur sa production écrite. Durant toute sa vie, il pratiquera autant l'aquarelle que le dessin au crayon, la gouache que la gravure ou l'encre. Il s'intéresse également à la calligraphie qu'il utilisera dans nombre de ses œuvres.
En 1948, Henri Michaux perd sa femme Marie-Louise Termet de façon tragique, à la suite d'un accident domestique ; ce deuil lui inspirera la même année son texte Nous deux encore.

La pratique de l'écriture et du dessin se sont conjugués, notamment, lors de son expérimentation de la mescaline commencée en janvier 1955, à l'âge de 55 ans, alors que Michaux n'avait auparavant consommé aucune drogue mis à part de l'éther. En effet, la correspondance entre Jean Paulhan et Michaux montre déjà un intérêt pour la drogue hallucinogène dans le courant 19548; mais c'est au début du mois de janvier 1955 que Jean Paulhan et la poétesse suisse Edith Boissonnas se retrouvent chez Michaux pour faire l'expérience de la mescaline8 : cette expérience sera renouvelée à trois reprises et fera l'objet de publications chez chacun des participants : Rapport sur une expérience de Paulhan publié dans ses œuvres complètes, Mescaline de Boissonnas La NRF, mai 1955 et Misérable Miracle de Michaux Éditions du Rocher, 1956, dont le récit est complété par une quatrième expérience, qu'il mène sans ses deux acolytes, dans le courant 1955. Cette expérimentation, qui se prolongera jusque vers 1966 avec la parution des Grandes Épreuves de l'esprit, permet aussi de retrouver l'attrait de Michaux pour la médecine et en particulier la psychiatrie il a assisté de nombreuses fois et dans de nombreux pays à des présentations de malades dans des asiles. Ces expérimentations se déroulaient parfois sous la surveillance d'un médecin, en calculant précisément les doses ingérées, en tenant un protocole d'observation médical10 et en dessinant. Il s'agit d'une approche scientifique – l'auto-observation11 – de ces substances psychotropes Michaux expérimenta également le LSD et la psilocybine et de la création artistique qui peut en découler.
À la fin de sa vie, Michaux était considéré comme un artiste fuyant ses lecteurs et les journalistes, ce qui contraste avec les nombreux voyages qu'il a faits pour découvrir les peuples du monde, et avec les nombreux amis qu'il compta dans le monde artistique.
Henri Michaux fait partie des peintres réunis pour l'exposition L'envolée lyrique, Paris 1945-1956 présentée au Musée du Luxembourg Sénat, avril-août 2006 Sans titre, 1948; Six dessins pour 'Mouvements' , 1949; Sans titre, 1951, Dessin mescalinien, 1955 -

L'une de ses citations les plus connues est : Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers.

Œuvres

Cas de folie circulaire, 1922
Les Rêves et la Jambe, 1923
Fables des origines, Disque vert, 1923
Qui je fus, 1927
Mes propriétés, Fourcade, 1929
La Jetée, 1929
Ecuador, 1929
Un barbare en Asie, 1933
La nuit remue, 1935
Voyage en Grande Garabagne, 1936
La Ralentie, 1937
Lointain intérieur, 1938
Plume, 1938
Peintures. GLM, 1939
Au pays de la Magie, 1941
Arbres des Tropiques, 1942
L'Espace du dedans, 1944
Épreuves, exorcismes, 1940-1944
Ici, Poddema, 1946
Peintures et dessins. Le point du jour, 1946
Meidosems. Le point du jour, 1948.
Ailleurs, 1948
Nous deux encore.7 Lambert, 1948
La Vie dans les plis, 1949
Poésie pour pouvoir. Drouin, 1949
Passages, 1950
Mouvements, 1952
Face aux verrous, 1954
L'Infini turbulent, 1957
Paix dans les brisements, 1959
Connaissance par les gouffres, 1961
Vents et poussières, 1962
Postface à Plume et Lointain intérieur" "On est né de trop de mère..."1963
Désagrégation, 1965
Les Grandes Épreuves de l'esprit et les innombrables petites, 1966
Façons d'endormi, façons d'éveillé, 1969
Poteaux d'angle, 1971
Misérable Miracle La mescaline, 1972
En rêvant à partir de peintures énigmatiques, 1972
Émergences, résurgences, 1972
Bras cassé, 1973
Moments, traversées du temps, 1973
Quand tombent les toits, 1973
Par la voie des rythmes, 1974
Idéogrammes en Chine, 1975
Coups d'arrêt, 1975
Face à ce qui se dérobe, 1976
Les Ravagés, 1976
Jours de silence, 1978
Saisir, 1979
Une voie pour l'insubordination, 1980
Affrontements, 1981
Chemins recherchés, chemins perdus, transgressions, 1982
Les Commencements, 1983
Le Jardin exalté, 1983
Par surprise, 1983
Par des traits, 1984
Déplacements, dégagements, 1985 posthume
Rencontres (avec Paolo Marinotti), 1991posthume
Jeux d'encre. Trajet Zao Wou-Ki, 1993 posthume
En songeant à l'avenir, 1994 posthume
J'excuserais une assemblée anonyme..., 1994 posthume
À distance, 1996 posthume

Bibliographie

Collectif, Cahier Henri Michaux, dirigé par Raymond Bellour, L'Herne, coll. Cahiers de L'Herne, Paris, 1966, 528 p.
Chang-kyum Kim, Poétique de l'aphasie chez Henri Michaux, Éditions Visaje, Paris, 2007.
Serge Chamchinov, Henri Michaux : signes, gestes, mouvements(écriture et peinture, 1 ill., Éditions ANRT, Lille,
Raymond Bellour & Ysé Tran, Œuvres Complètes, Gallimard, coll. «La Pléiade », Paris, 1988,
Raymond Bellour, Henri Michaux ou Une mesure de l'être, Gallimard, coll. Essais
René Bertelé, Henri Michaux, Seghers, coll. Poètes d'aujourd'hui
Robert Bréchon, Michaux, Gallimard, coll. La Bibliothèque idéale
Per Bäckström, Enhet i mångfalden. Henri Michaux och det groteska, Lund: Ellerströms förlag, 2005.
Per Bäckström, Le grotesque dans l’œuvre d’Henri Michaux. Qui cache son fou, meurt sans voix, Paris: L’Harmattan, 2007.
Llewellyn Brown, L'Esthétique du pli dans l’œuvre de Henri Michaux, Caen: Lettres modernes Minard, 2007, 235 p.
Jean-Philippe Cazier :
Notes pour Henri Michaux, in Chimères no 17 ;
Peinture liquide , in Chaoïd no 6.
Odile Felgine, Henri Michaux, collection Polychrome, Ides et Calendes, Neuchâtel, 2006
Alain Jouffroy, Henri Michaux, éd. Georges Fall, coll. Le Musée de Poche, Paris, 1961, 102 p.
Maurice Imbert :
Henri Michaux. Les livres illustrés, La Hune éditeur, 1993 ;
Correspondance Adrienne Monnier et Henri Michaux, La Hune éditeur, 1999.
Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, Gallimard, Paris, 2004, 746 p.
Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, ADPF-Publications, Éditions des Affaires Étrangères, 1999, 62 p.
Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, écritures de soi, expatriations, Éditions José Corti, 1994, 585 p.
Jean-Michel Maulpoix, Michaux, passager clandestin, Champ Vallon, coll. champ poétique , 1984, 207 p.
Jean-Pierre Giusto, Maurice Mourier, Jean-Jacques Paul, Sur Henri Michaux, coll. Parcours, Presses Universitaires de Valenciennes, 1988
Ezéchiel Saad, Yi King, Mythe et Histoire, frontispice de Henri Michaux, couverture de Zao Wou-Ki, Édition Sophora, Paris 1989.
Farid Laroussi, Écritures du sujet : Michaux, Jabès, Gracq, Tournier, Éditions Sils Maria, 2006,
Claire Stoullig, Henri Michaux, le langage du peintre, le regard du poète, Galerie Thessa Herold Paris, 1994,
Claude Frontisi, Henri Michaux, le regard des autres, Galerie Thessa Herold Paris, 1999,
Rainer Michael Mason, Henri Michaux, les années de synthèse, 1965-1984, Galerie Thessa Herold
Anne-Christine Royère, Henri Michaux : voix et imaginaire des signes, Presses Sorbonne Nouvelle,
Pierre Vilar, Françoise Nicol et Gwénael Boutouillet, Conversations avec Henri Michaux, Cécile Defaut,

Liens

http://youtu.be/KapkrXp0tm4 biographie
http://youtu.be/O9vfJpLw9Oo Sa vie
http://youtu.be/IFKmeG_ivRI En route vers l'homme
http://youtu.be/3boYL0DKWYA poèmes lus


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#269 Henri Michaux
Loriane Posté le : 18/10/2014 17:33
Le 19 octobre 1984, à 85 ans, meurt, à Namur Henri Michaux

l naît le 24 mai 1899 à Paris, écrivain, poète et peintre d'origine belge d'expression française. naturalisé français en 1955. ses Œuvres principales, Cas de folie circulaire en 1922, Un barbare en Asie en 1933, Plume en 1934
Henri Michaux passe son enfance dans une famille de chapeliers aisés, à Bruxelles, au 69 rue Defacqz. Après avoir séjourné dans un pensionnat de la région de Malines, il poursuit ses études à Bruxelles au Collège Saint-Michel, où il a pour condisciples Norge, Herman Closson et Camille Goemans.

En bref

Adolescent angoissé, ses premières expériences littéraires sont marquées par la fréquentation de Tolstoï et Dostoïevski. Même s'il lit beaucoup pendant ses études chez les jésuites, il ne s'oriente pas tout d'abord vers l'écriture mais vers la médecine, qu'il abandonnera assez vite pour s'engager comme matelot. Il navigue en 1920 et 1921, mais doit débarquer, son bateau étant désarmé. À peu près à la même époque, la découverte de Lautréamont le pousse à écrire. Il en sortira Cas de folie circulaire en 1922, premier texte qui donne déjà une idée de son style. Ensuite les écrits se succèdent Les Rêves et la Jambe en 1923, Qui je fus en 1927… et les styles se multiplient.
Dans les années 1920, il collabore activement à la revue d'avant-garde Le Disque VERT fondée par Franz Hellens.
Pendant cette période, il émigre à Paris. Dès lors, il ne cessera de renier tout ce qui le rattache à la Belgique. En revanche, il gardera jusqu'à la fin de sa vie une réelle affinité avec la France et avec Paris en particulier — même s'il ne cessera pas de voyager dans le monde entier.
À Paris, il se lie rapidement avec le poète Jules Supervielle avec qui il restera ami jusqu'à la mort de ce dernier. En 1936, ils voyagent en Uruguay chez Supervielle puis à Buenos Aires en Argentine pour le Congrès International du Pen Club International. Au cours de ce voyage, Michaux rencontre Susana Soca, femme de lettres uruguayenne avec qui il sera très lié. Il retrouve également Victoria Ocampo, la directrice de SUR.
À Paris, Michaux fut ami avec plusieurs personnes qui jouèrent un grand rôle dans le monde artistique, comme Brassaï, Claude Cahun, Jean Paulhan son éditeur à la NRF, le libraire-éditeur Jacques-Olivier Fourcade son ami le plus proche et correspondant, il l'embauchera comme conseiller littéraire, publiera Mes propriétés en 1929, et Nous deux encore en 1948 ; il favorise par ailleurs l'émergence d'une jeune génération de poètes dont Vincent La Soudière.
Outre les textes purement poétiques, il rédige des carnets de voyages réels, Ecuador en 1929, Un barbare en Asie en 1933 ou imaginaires, Ailleurs en 1948, parmi beaucoup d'autres, des récits de ses expériences avec les drogues, notamment la mescaline, Misérable Miracle en 1956 et le cannabis, Connaissance par les gouffres en 1961, des recueils d'aphorismes et de réflexions, Passages en 1950, Poteaux d'angle en 1971…, etc.
Bien que ses ouvrages les plus importants aient été publiés chez Gallimard, de nombreux petits recueils, parfois illustrés de ses dessins, ont été publiés à un faible tirage chez de petits éditeurs

Sa vie

Henri Michaux est né le 24 mai 1899 à Namur dans une famille bourgeoise ardennaise et wallonne. Enfant et adolescent maladif, rêveur, révolté contre son milieu familial, il boude la vie, existe en marge, s'évade dans la lecture. Il découvre les mystiques. À vingt ans, refusant toute intégration sociale, il renonce à poursuivre ses études de médecine et s'embarque comme simple matelot. Au bout d'un an d'aventures maritimes, il revient à Bruxelles. Il semble être définitivement un raté.
La lecture de Lautréamont lui révèle sa vocation d'écrivain. Il débute par des essais et des textes poétiques en prose où l'imagination cocasse et le style percutant révèlent déjà sa profonde originalité. Poète et peintre, Henri Michaux n'a quitté définitivement sa Belgique natale qu'à vingt-cinq ans et n'a été naturalisé français qu'à cinquante-cinq ans. Venu à Paris, il se lie avec Jean Paulhan, qui est le premier à comprendre et à apprécier son génie. Son premier livre, Qui je fus 1927, passe à peu près inaperçu. Un voyage en Amérique du Sud lui inspire Ecuador en 1929 ; quelques années plus tard, il rapporte d'un grand voyage en Inde et en Chine un autre journal de bord, Un barbare en Asie en 1932. Entre-temps, il a écrit ses premiers chefs-d'œuvre : Mes Propriétés en 1929 et Un certain Plume en 1930 ; repris sous le titre de Plume en 1938, nom d'un personnage falot, éternelle victime des hommes et des événements, qui incarne l'angoisse de vivre.
Dans les années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale, l'inspiration de Michaux s'approfondit. Il commence la description de ses pays imaginaires et il fixe les images du Lointain intérieur en 1938. En même temps, il se consacre de plus en plus au dessin et à la peinture et commence à exposer des aquarelles et des gouaches aussi étranges, pour le grand public, que ses poèmes. La publication, en 1941, d'une conférence de Gide, Découvrons Henri Michaux, marque le début de la notoriété. Mais c'est seulement après 1955, au moment où il entreprend d'expérimenter sur lui-même les effets des drogues hallucinogènes, notamment de la mescaline, qu'il obtient la consécration définitive. Cependant, fidèle à sa vocation de poète réfractaire, jaloux de son autonomie, soucieux d'échapper à toutes les aliénations, même celle de la gloire, il refuse, en 1965, le grand prix national des lettres.

De la révolte à L'aventure

Contemporain des surréalistes, Henri Michaux a cherché comme eux dans la poésie et dans l'art une aventure spirituelle comparable à certains égards à l'expérience mystique. Mais il se distingue nettement d'eux par le climat angoissé de son univers intérieur, par son esprit critique, sa curiosité intellectuelle, son refus de toute agitation tapageuse et de tout engagement idéologique. Il donne l'exemple de la plus grande liberté d'esprit dont un homme soit capable. Tenté, au début, de refuser la réalité pour s'évader dans l'imaginaire, il a finalement entrepris d'explorer le plus complètement possible, en tentant sur lui-même des expériences d'un caractère presque médical, le domaine mental de l'homme.
Qu'il s'agisse d'exprimer ses sentiments d'angoisse et de révolte, de raconter ses rêves, d'imaginer des histoires fantastiques, ou de rendre compte d'expériences psychologiques, Michaux le fait dans un style immédiatement reconnaissable et inimitable, sec, nerveux, haletant, saccadé, vibrant, qui traduit à la fois l'émotion et l'humour. Longtemps desservi par son originalité même, il est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands écrivains français. Il fut aussi un remarquable peintre, un des initiateurs du tachisme en France. L'évolution de son œuvre graphique, depuis les figures monstrueuses du début jusqu'aux signes, aux taches et aux dessins mescaliniens, sans être absolument liée à celle de son œuvre littéraire, va dans le même sens : de l'angoisse paralysante à l'ivresse de la découverte.

L'espace du dedans

Michaux se désintéresse de ce qui est extérieur : paysages, objets, réalités économiques, relations sociales, devenir historique. Son regard plonge à l'intérieur de lui-même, dans ce domaine incirconscrit et obscur où naissent les pensées, les rêves, les images, les impressions fugitives, les pulsions. Aucun écrivain peut-être n'a jamais porté une telle attention aux mouvements les plus ténus de la vie intérieure. Il dit de l'art de Paul Klee, avec qui il a d'incontestables affinités, qu'il nous communique le sentiment d'être « avec l'âme même d'une chrysalide.
Sa faculté maîtresse est l'imagination, mais une forme d'imagination qui refuse le pittoresque et la narration. Ce domaine de l'imaginaire, c'est ce qu'il appelle ses propriétés. Il est à la fois tout entier enclos dans son esprit et à la mesure de l'universel, puisqu'il est riche de millions de possibles. Ce que Michaux invente, ce n'est jamais une action, une intrigue il n'est pas un conteur, même dans Plume, mais des êtres et surtout des manières d'être. Au pays de la Magie ou dans celui des Meidosems (êtres filiformes et évanescents, il fait l'inventaire de nouvelles manières de vivre, d'aimer, de souffrir, de mourir.
L'imagination est source de trouble et d'angoisse, puisque c'est elle qui provoque les images obsédantes, sécrète les monstres, doue les objets et les êtres d'un pouvoir d'agression, fait du monde une perpétuelle menace pour le corps et la conscience de l'individu, également fragiles. Une grande partie de l'œuvre de Michaux exprime la terreur d'être envahi par les puissances environnantes du monde hostile. Mais l'imagination, qui est une force de destruction du moi, est en même temps un instrument de défense et une force de restructuration. Toute une autre partie de l'œuvre de Michaux montre les divers procédés d'intervention qui permettent au rêveur endormi ou éveillé de prendre sa revanche sur la réalité hostile, de corriger ou de compléter le monde dans le sens de ses plus secrets désirs. Dans cette perspective, la poésie et la peinture sont moins des moyens d'expression que des exorcismes.

La recherche de l'absolu

Michaux écrivait déjà dans son premier livre : Je ne peux pas me reposer, ma vie est une insomnie .... Ne serait-ce pas la prudence qui me tient éveillé, car cherchant, cherchant et cherchant, c'est dans tout indifféremment que j'ai chance de trouver ce que je cherche puisque ce que je cherche je ne le sais. Son entreprise consiste donc à tenter d'atteindre quelque chose qui se dérobe sans cesse et à quoi il ne lui est pas possible de renoncer sans que sa vie perde toute signification. Cette ferveur perpétuellement frustrée, ce désir qui aboie dans le noir, les mouvements de ce cerf-volant qui ne peut couper sa corde définissent la situation spirituelle de l'homme contemporain, à qui sa pensée analytique et sa culture désacralisée ne permettent plus de participer à l'Être. L'activité littéraire et artistique de Michaux, comme d'ailleurs toutes ses autres activités, est une entreprise de salut.
Dans sa jeunesse, la solution de la mystique chrétienne l'avait attiré. Plus tard, il a découvert la pensée de l'Inde et celle de la Chine, qui lui offrent des modèles et des techniques de méditation plus efficaces. Mais c'est finalement dans la poésie et dans l'art qu'il trouve la voie d'une réconciliation avec le monde et la vie. Il ne s'agit pas de trouver des solutions ou des réponses, mais de s'éveiller à la vraie vie, d'accéder au sens véritable du monde, qui est son mystère et son inépuisable nouveauté. Il faut retrouver l'esprit d'enfance : elle est l'âge d'or des questions et c'est de réponses que l'homme meurt. C'est encore à propos de Paul Klee que Michaux explique à quelles conditions l'art et la poésie permettent de dépasser la muraille de signes qui nous sépare du réel : Il suffit d'avoir gardé la conscience de vivre dans un monde d'énigmes, auquel c'est en énigmes aussi qu'il convient le mieux de répondre.

L'expérience de l'infini

Michaux avait jadis été tenté de recourir à la drogue notamment l'éther comme à un moyen de s'évader, de se retirer du monde, de vivre de l'autre côté. Plus tard, ce n'est plus l'évasion qu'il recherche, mais l'expérience. Il ne s'agit pas pour lui d'échapper à la condition humaine, mais d'en explorer toutes les possibilités. La drogue, qui donne des hallucinations et permet d'accéder à l'état second, est l'une des voies de l'aventure mentale dans laquelle le poète s'est engagé et qui consiste à se parcourir, à faire l'occupation progressive de tout son être en exploitant toutes ses facultés.
À partir de 1955, une partie de l'œuvre de Michaux va être consacrée à l'exploration de l'univers prodigieux que lui a révélé l'usage de drogues comme l'opium, le haschich, le L.S.D. et surtout la mescaline. Il montre que le drogué fait l'expérience de l'infini, mais aussi qu'il existe deux catégories, deux modalités de l'infini, dont l'une est le mal absolu et l'autre le bien absolu. Les titres des ouvrages qui décrivent les effets de la drogue : Misérable Miracle en 1956, L'Infini turbulent 1957, Paix dans les brisements, 1959, Connaissance par les gouffres en 1961, rendent compte du caractère essentiel de l'hallucination par le haschich ou de l'ivresse mescalinienne, qui est l'aliénation. Le drogué, comme le fou, est délogé de ses positions, chassé de lui-même, pris dans un « mécanisme d'infinité. Avec la perception juste de son corps, il a perdu sa demeure. Il ne retrouve plus le château de son être. L'expérience de la folie mescalinienne enseigne à la fois que l'infini est l'ennemi de l'homme et que, pourtant, l'homme est vulnérable à l'infini, qu'il y est poreux, parce que ça lui rappelle quelque chose et qu'il en vient. La finitude est conquise sur l'infini et la vie humaine normale est une oasis, une hernie de l'infini .
Il existe pourtant une autre forme de l'infini, dont Michaux a fait parfois, d'une manière inattendue, l'expérience bouleversante : un infini non plus de désorganisation et de turbulence, mais de complétude, de transcendance, l'unité retrouvée. C'est l'extase, semblable à celle des mystiques, par laquelle il se sent remis dans la circulation générale, rentré au bercail de l'universel et qui lui donne enfin accès à une démesure qui est la vraie mesure de l'homme, de l'homme insoupçonné.

Humour et poésie

L'originalité de l'art de Michaux, dans ses ouvrages littéraires comme dans ses peintures, tient à la fusion de deux éléments en apparence contradictoires, l'émotion et l'humour. D'un bout à l'autre de son œuvre, il n'y a guère de phrase ou de trait qui n'exprime l'émotion la plus intense. Souffrance, terreur, ou au contraire ferveur, l'émotion se traduit par des images fulgurantes, des cris, des rythmes haletants, des répétitions. Mais l'émotion apparaît rarement à l'état brut, et Michaux, en règle générale, ne la prend pas entièrement au sérieux. Il y a chez lui un refus d'être dupe, un besoin d'observer et de comprendre qui établissent une distance entre lui et ses propres sentiments. Placé dans une situation difficile, il utilise l'humour comme un moyen de prendre du recul et de se protéger. Il ne s'agit pas de rire ou de faire rire, mais de neutraliser l'émotion, soit par un détail ou un tour saugrenu, soit par un flegme apparent. L'exemple d'humour le plus connu et le plus caractéristique de Michaux, c'est le personnage de Plume, à qui il arrive toutes sortes de mésaventures surprenantes sans que cela modifie jamais sa résignation attristée et sans qu'il ose intervenir pour détourner le cours du destin.
Que ce soit dans les récits de voyages réels ou imaginaires, dans les rêves de vie plastique, où il invente la mitrailleuse à gifles ou la fronde à hommes, dans les réflexions et les aphorismes sur les sujets les plus divers, le ton de Michaux unit presque toujours la gravité et la fantaisie, la tension et la désinvolture.
De toute manière, écrire ou peindre n'est jamais pour lui un acte gratuit ou un divertissement, mais une sorte d'épreuve ascétique : Écrire, écrire : tuer, quoi. Il crée, dit-il encore, pour questionner, pour ausculter, pour approcher le problème d'être. En cela, il incarne la tentation la plus forte de l'art contemporain et se rattache à la tradition des poètes voleurs de feu. Il est l'un de ceux qui ont le mieux pressenti ce que pourrait être une nouvelle culture, intégrant à la pensée occidentale des éléments empruntés à l'Orient, et une nouvelle mesure de l'homme, plus vaste que la nôtre.

Sagesse et contemplation

Un dernier massif est venu, dans la vieillesse, compléter l'œuvre. Tout ce qui précédait se trouve repris et dépassé sur chacun des deux versants, dont l'un est tourné vers la sagesse, l'autre vers la contemplation.
On trouvait déjà, çà et là, dans les ouvrages de l'âge mûr, des aphorismes, qui étaient d'un moraliste. Poteaux d'angle (1981 est un recueil de préceptes que le poète s'adresse à lui-même ; et la sagesse qu'ils contiennent se situe au-delà de toute sagesse. Michaux se défend d'être un gourou : Quoi qu'il arrive, ne te laisse jamais aller – faute suprême – à te croire maître, même pas un maître à mal penser. Il te reste beaucoup à faire, énormément, presque tout. La mort cueillera un fruit encore vert.
Comment le poète réfractaire pourrait-il enseigner autre chose que la liberté ? Les principes de sa morale sont l'authenticité et l'autonomie : être soi, être à soi. Mais cela conduirait au blocage du moi si cette sagesse n'était pas aussi un mouvement d'ouverture au monde et d'élan vers l'inconnu. Comment conserver quelque chose du prodigieux foisonnement des possibles, sinon en gardant une totale disponibilité ? Si tu ne t'es pas épaissi, si tu ne te crois pas devenu important..., alors peut-être l'Immense toujours là, le virtuel Infini se répandra de lui-même.
Dans Face à ce qui se dérobe 1975, Michaux décrivait la survenue de la contemplation. Elle ne peut naître que dans le silence. Une fois repoussés les variations et ce qui nourrit les variations : les informations, les communications, le prurit de la communication... on retrouve la Permanence, son rayonnement, l'autre vie, la contre-vie. Il est significatif que l'un de ses derniers textes soit la suite de poèmes intitulée Jours de Silence, recueillis dans Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions, 1981. Il ne décrit plus la contemplation mais la chante, la célèbre, avec la ferveur retrouvée des mystiques d'Occident et d'Orient.
Parallèlement au poète, parfois en discordance avec lui, le peintre Henri Michaux a connu lui aussi, dans sa vieillesse, l'accomplissement. Il a utilisé de nouvelles techniques pour jeter dans l'espace les lignes, les taches et les signes qui forment ce que Jean Grenier a appelé une architecture de l'impermanence.

Le peintre

Il est particulièrement difficile de donner à voir, à l'aide des mots, ce que Michaux, contre les mots, invente, de traduire sa vision au moyen d'un langage qu'il a voulu, justement, fuir dans l'image. Et il ne saurait être question de retracer, en quelques lignes, un itinéraire aussi sinueux que le sien, à travers tant de techniques diverses : huile, lavis, gouache, aquarelle, dessin, encre, acrylique. Tout au plus pourra-t-on s'interroger sur la nature de l'expérience plastique, chez Michaux, et indiquer les principales directions dans lesquelles elle s'est engagée.

Michaux nous apprend que, jusqu'en 1925, il haïssait la peinture, et le fait même de peindre. C'est qu'il n'y voyait encore qu'une façon de reproduire, de répéter le réel, l'abominable réalité ; il n'avait pas encore découvert qu'elle pouvait être, aussi, l'inventaire de l'invisible. Le recours à la peinture procède, chez lui, d'une instinctive méfiance à l'égard de l'énorme machinerie du langage, de ce que sa préexistence à toute démarche créatrice a de cruellement contraignant, pour l'homme des mots. Sans doute les images elles-mêmes tendent-elles à se constituer en système de signes, mais ce système n'est pas aussi strictement codifié, hiérarchisé ; il ne nous emprisonne pas dans un réseau aussi serré d'habitudes, de mécanismes, de structures. Il semble donc plus facile de rejoindre, à travers l'expérience picturale, le primitif et le primordial, d'entrer en contact, avec ce qu'on a de plus précieux, de plus replié, de plus vrai, de plus sien.
Si, en passant de la poésie à la peinture, Michaux change de gare de triage, s'il regarde le monde par une autre fenêtre, les motivations profondes de la démarche créatrice demeurent les mêmes. Peinture et dessin peuvent être tour à tour – ou à la fois – agression et exorcisme, approche tâtonnante de l'être et tentative de se parcourir ; ils partent, eux aussi, du même refus de toute imitation, du même projet de donner forme à l'informe.

L'une des voies qu'emprunte la recherche picturale devait tout naturellement conduire l'auteur du Voyage en Grande Garabagne au pays des monstres. Des monstres dont ne surgit souvent que le visage ou même des fragments de visage : inachevés, vacillants, blêmes, en proie à d'obscurs tropismes, présents-absents toujours en quête d'un ancrage, ils sont la projection d'un moi ou d'un non-moi que le peintre malmène avec une hargneuse impartialité – figures d'un monde hostile ou fantômes intérieurs.
L'une des premières tentatives de Michaux allait dans le sens d'une peinture calligraphique : une main aventureuse dessinait inlassablement, d'une ligne continue ou rarement interrompue, le simulacre d'une écriture inconnue. Michaux se lassa. Mais, bien plus tard, il devait reprendre, sous une forme un peu différente, sa recherche. De l'encre de Chine jaillissent alors, une à une, des créatures minuscules, à mi-chemin entre l'homme et la racine, qui s'égrènent, au fil des pages, en un alphabet de ténèbres. Un peu plus tard, elles s'avanceront deux par deux, prêtes pour le ballet du rut ou du duel. Puis elles se multiplieront, proliféreront, noircissant la feuille blanche de leur fourmillement innombrable, s'agglutinant en groupes compacts, mais toujours mobiles, toujours en train de se défaire, parcourus de mouvements rageurs, scandant des rythmes. Du combat du peintre contre le sale flot noir ont surgi, en foule, des visions de combat.
De l'expérience mescalinienne, du formidable spectacle optique qu'elle constitue, de l'envahissement total, sans rémission ni recours, qu'elle inaugure, procède un graphisme qui ne pouvait que se réduire à une série de sismogrammes : sans commune mesure avec l'immensité de l'événement qu'il enregistre, le dessin n'est plus alors, nous dit Michaux, qu' une sorte de traduction graphique du vibratoire auquel j'ai assisté ; de l'ampleur de l'invasion subie, son espace surpeuplé témoigne – de façon parfois terrifiante. Le dessin mescalinien se trouve constamment confronté à l'impossibilité de rendre le lieu sans lieu, la matière sans matérialité, l'espace sans limitation. Une inépuisable prolifération d'entrelacs, de brisements, de franges, de spirales, de zébrures, instaure le règne d'une infinie répétition, défiant tout effort du langage pour apposer un nom sur ce qui n'est jamais être ou objet, mais seulement flux et passage, ou, plus exactement, trace – simple trace et rien de plus – d'un flux et d'un passage.

Parallèlement à l'écriture, dès 1925, il commence à s'intéresser à la peinture et à tous les arts graphiques en général. Exposé pour la première fois en 1937, il ne cesse ensuite de travailler, au point même que sa production graphique prend en partie le pas sur sa production écrite. Durant toute sa vie, il pratiquera autant l'aquarelle que le dessin au crayon, la gouache que la gravure ou l'encre. Il s'intéresse également à la calligraphie qu'il utilisera dans nombre de ses œuvres.
En 1948, Henri Michaux perd sa femme Marie-Louise Termet de façon tragique, à la suite d'un accident domestique ; ce deuil lui inspirera la même année son texte Nous deux encore.

La pratique de l'écriture et du dessin se sont conjugués, notamment, lors de son expérimentation de la mescaline commencée en janvier 1955, à l'âge de 55 ans, alors que Michaux n'avait auparavant consommé aucune drogue mis à part de l'éther. En effet, la correspondance entre Jean Paulhan et Michaux montre déjà un intérêt pour la drogue hallucinogène dans le courant 19548; mais c'est au début du mois de janvier 1955 que Jean Paulhan et la poétesse suisse Edith Boissonnas se retrouvent chez Michaux pour faire l'expérience de la mescaline8 : cette expérience sera renouvelée à trois reprises et fera l'objet de publications chez chacun des participants : Rapport sur une expérience de Paulhan publié dans ses œuvres complètes, Mescaline de Boissonnas La NRF, mai 1955 et Misérable Miracle de Michaux Éditions du Rocher, 1956, dont le récit est complété par une quatrième expérience, qu'il mène sans ses deux acolytes, dans le courant 1955. Cette expérimentation, qui se prolongera jusque vers 1966 avec la parution des Grandes Épreuves de l'esprit, permet aussi de retrouver l'attrait de Michaux pour la médecine et en particulier la psychiatrie il a assisté de nombreuses fois et dans de nombreux pays à des présentations de malades dans des asiles. Ces expérimentations se déroulaient parfois sous la surveillance d'un médecin, en calculant précisément les doses ingérées, en tenant un protocole d'observation médical10 et en dessinant. Il s'agit d'une approche scientifique – l'auto-observation11 – de ces substances psychotropes Michaux expérimenta également le LSD et la psilocybine et de la création artistique qui peut en découler.
À la fin de sa vie, Michaux était considéré comme un artiste fuyant ses lecteurs et les journalistes, ce qui contraste avec les nombreux voyages qu'il a faits pour découvrir les peuples du monde, et avec les nombreux amis qu'il compta dans le monde artistique.
Henri Michaux fait partie des peintres réunis pour l'exposition L'envolée lyrique, Paris 1945-1956 présentée au Musée du Luxembourg Sénat, avril-août 2006 Sans titre, 1948; Six dessins pour 'Mouvements' , 1949; Sans titre, 1951, Dessin mescalinien, 1955 -

L'une de ses citations les plus connues est : Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers.

Œuvres

Cas de folie circulaire, 1922
Les Rêves et la Jambe, 1923
Fables des origines, Disque vert, 1923
Qui je fus, 1927
Mes propriétés, Fourcade, 1929
La Jetée, 1929
Ecuador, 1929
Un barbare en Asie, 1933
La nuit remue, 1935
Voyage en Grande Garabagne, 1936
La Ralentie, 1937
Lointain intérieur, 1938
Plume, 1938
Peintures. GLM, 1939
Au pays de la Magie, 1941
Arbres des Tropiques, 1942
L'Espace du dedans, 1944
Épreuves, exorcismes, 1940-1944
Ici, Poddema, 1946
Peintures et dessins. Le point du jour, 1946
Meidosems. Le point du jour, 1948.
Ailleurs, 1948
Nous deux encore.7 Lambert, 1948
La Vie dans les plis, 1949
Poésie pour pouvoir. Drouin, 1949
Passages, 1950
Mouvements, 1952
Face aux verrous, 1954
L'Infini turbulent, 1957
Paix dans les brisements, 1959
Connaissance par les gouffres, 1961
Vents et poussières, 1962
Postface à Plume et Lointain intérieur" "On est né de trop de mère..."1963
Désagrégation, 1965
Les Grandes Épreuves de l'esprit et les innombrables petites, 1966
Façons d'endormi, façons d'éveillé, 1969
Poteaux d'angle, 1971
Misérable Miracle La mescaline, 1972
En rêvant à partir de peintures énigmatiques, 1972
Émergences, résurgences, 1972
Bras cassé, 1973
Moments, traversées du temps, 1973
Quand tombent les toits, 1973
Par la voie des rythmes, 1974
Idéogrammes en Chine, 1975
Coups d'arrêt, 1975
Face à ce qui se dérobe, 1976
Les Ravagés, 1976
Jours de silence, 1978
Saisir, 1979
Une voie pour l'insubordination, 1980
Affrontements, 1981
Chemins recherchés, chemins perdus, transgressions, 1982
Les Commencements, 1983
Le Jardin exalté, 1983
Par surprise, 1983
Par des traits, 1984
Déplacements, dégagements, 1985 posthume
Rencontres (avec Paolo Marinotti), 1991posthume
Jeux d'encre. Trajet Zao Wou-Ki, 1993 posthume
En songeant à l'avenir, 1994 posthume
J'excuserais une assemblée anonyme..., 1994 posthume
À distance, 1996 posthume

Bibliographie

Collectif, Cahier Henri Michaux, dirigé par Raymond Bellour, L'Herne, coll. Cahiers de L'Herne, Paris, 1966, 528 p.
Chang-kyum Kim, Poétique de l'aphasie chez Henri Michaux, Éditions Visaje, Paris, 2007.
Serge Chamchinov, Henri Michaux : signes, gestes, mouvements(écriture et peinture, 1 ill., Éditions ANRT, Lille,
Raymond Bellour & Ysé Tran, Œuvres Complètes, Gallimard, coll. «La Pléiade », Paris, 1988,
Raymond Bellour, Henri Michaux ou Une mesure de l'être, Gallimard, coll. Essais
René Bertelé, Henri Michaux, Seghers, coll. Poètes d'aujourd'hui
Robert Bréchon, Michaux, Gallimard, coll. La Bibliothèque idéale
Per Bäckström, Enhet i mångfalden. Henri Michaux och det groteska, Lund: Ellerströms förlag, 2005.
Per Bäckström, Le grotesque dans l’œuvre d’Henri Michaux. Qui cache son fou, meurt sans voix, Paris: L’Harmattan, 2007.
Llewellyn Brown, L'Esthétique du pli dans l’œuvre de Henri Michaux, Caen: Lettres modernes Minard, 2007, 235 p.
Jean-Philippe Cazier :
Notes pour Henri Michaux, in Chimères no 17 ;
Peinture liquide , in Chaoïd no 6.
Odile Felgine, Henri Michaux, collection Polychrome, Ides et Calendes, Neuchâtel, 2006
Alain Jouffroy, Henri Michaux, éd. Georges Fall, coll. Le Musée de Poche, Paris, 1961, 102 p.
Maurice Imbert :
Henri Michaux. Les livres illustrés, La Hune éditeur, 1993 ;
Correspondance Adrienne Monnier et Henri Michaux, La Hune éditeur, 1999.
Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, Gallimard, Paris, 2004, 746 p.
Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, ADPF-Publications, Éditions des Affaires Étrangères, 1999, 62 p.
Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, écritures de soi, expatriations, Éditions José Corti, 1994, 585 p.
Jean-Michel Maulpoix, Michaux, passager clandestin, Champ Vallon, coll. champ poétique , 1984, 207 p.
Jean-Pierre Giusto, Maurice Mourier, Jean-Jacques Paul, Sur Henri Michaux, coll. Parcours, Presses Universitaires de Valenciennes, 1988
Ezéchiel Saad, Yi King, Mythe et Histoire, frontispice de Henri Michaux, couverture de Zao Wou-Ki, Édition Sophora, Paris 1989.
Farid Laroussi, Écritures du sujet : Michaux, Jabès, Gracq, Tournier, Éditions Sils Maria, 2006,
Claire Stoullig, Henri Michaux, le langage du peintre, le regard du poète, Galerie Thessa Herold Paris, 1994,
Claude Frontisi, Henri Michaux, le regard des autres, Galerie Thessa Herold Paris, 1999,
Rainer Michael Mason, Henri Michaux, les années de synthèse, 1965-1984, Galerie Thessa Herold
Anne-Christine Royère, Henri Michaux : voix et imaginaire des signes, Presses Sorbonne Nouvelle,
Pierre Vilar, Françoise Nicol et Gwénael Boutouillet, Conversations avec Henri Michaux, Cécile Defaut,

Liens

http://youtu.be/KapkrXp0tm4 biographie
http://youtu.be/O9vfJpLw9Oo Sa vie
http://youtu.be/IFKmeG_ivRI En route vers l'homme
http://youtu.be/3boYL0DKWYA poèmes lus


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#270 Anatole France
Loriane Posté le : 11/10/2014 14:48
Le 12 octobre 1924 à 80 ans, à St Cyr sur Loire, meurt Anatole France

de son nom françois, Anatole Thibault, écrivain français, considéré comme l’un des plus grands de l'époque de la Troisième République, dont il a également été un des plus importants critiques littéraires, il reçoit le prix nobel de littérature en 1921 pour l'ensemble de son oeuvre., il est né le 16 avril 1844 à Paris. Il devient une des consciences les plus significatives de son temps en s’engageant en faveur de nombreuses causes sociales et politiques du début du XXe siècle.

En bref

Adaptées pour la télévision, entrées dans la collection de la Pléiade, les œuvres d'Anatole Thibault, dit France, attirent de nouveau l'attention. Elles permettent de revivre un grand morceau de l'histoire française, tout en posant des questions devenues très pressantes pour nous. On aima leur humour et leur élégance, dont on retrouve actuellement les mérites.
Anatole France, le dilettante, ne méconnaissons pas l'importance, dans la formation de France, des sceptiques grecs, des libertins ou de Voltaire. Mais c'est surtout à l'école des penseurs modernes qu'il se forme, pour proclamer l'exigence du libre exercice de la raison, la nécessité de séparer le spirituel du temporel, et l'intérêt qu'il faut porter à une science qui replace l'homme dans la nature : au plus haut degré certes de l'échelle actuelle des êtres, mais voué à la lutte pour la vie, et enfermé dans les limites de ses sens. Pessimisme fondamental, opposé aux doctrines de Rousseau et de ses disciples ; dans notre pensée imparfaite réside pourtant notre dignité. Telle est la doctrine que France met au point dans les articles grâce auxquels il gagne sa vie jusqu'à trente ans passés, et qui importe plus que son opposition passagère au second Empire. Pas plus que celui de Renan, on n'évalue justement le « dilettantisme de France si l'on n'aperçoit les fermes convictions sur lesquelles il repose, sous des dehors d'autant plus ondoyants que France est non pas un philosophe, mais un artiste. Un poète tout d'abord : le succès du prosateur a fait oublier que, jusqu'à trente-deux ans, l'écrivain a fait partie de l'école parnassienne, dans la mouvance de Louis Ménard. Il marque une préférence, destinée à un long avenir, pour les époques ambiguës, où paganisme et christianisme s'interpénètrent. Devenu un jeune maître après des débuts difficiles, il exclut du Parnasse contemporain Verlaine et Mallarmé. Déplaisant épisode dont se souviendra Valéry, mais auquel il convient de rendre ses proportions : France allait se réconcilier avec Mallarmé, et devenir, dans les années 1880, l'un des artisans de la fortune littéraire de Verlaine...
De 1877 à 1888 environ, France est tenté par une installation conformiste dans la société et dans la littérature. Il devient sous-bibliothécaire au Sénat, se marie, fait son chemin dans les salons. Le Crime de Sylvestre Bonnard le pose comme un ennemi des naturalistes ; Le Livre de mon ami est bien accueilli. En 1887, l'écrivain devient titulaire de la chronique de La Vie littéraire, dans Le Temps. C'est le sommet de sa déjà longue carrière de critique. Opposé à tout dogmatisme, il convie son lecteur à des promenades nonchalantes d'allure, mais plus balisées qu'il ne semble. Ce journal de bord, qui n'a pas été entièrement repris en volumes, exprime un art de vivre voluptueux et inquiet. France est prompt aux interrogations : qu'est-ce que l'histoire ? où va le monde moderne, si angoissé ? le Moi peut-il trouver une unité ? Il s'interroge lui-même, et il évolue : il se rapproche des symbolistes ; il écrit dès 1892 l'éloge de Zola, qu'il avait tant attaqué. Enfin, très attentif à son temps, il s'alarme de la crise d'âme que traverse la France. Son apaisement n'a donc été que passager.

Sa vie

Il est issu d’une famille modeste originaire du Maine-et-Loire: son père, François Noël Thibault, dit Noël France, né le 4 nivôse an XIV 25 décembre 1805 à Luigné, dans le canton de Thouarcé, a quitté son village en 1825 pour entrer dans l'armée.
Sous-officier légitimiste, il démissionne au lendemain de la Révolution de 1830. Il se marie le 29 février 1840 avec Antoinette Gallas à la mairie du 4e arrondissement de Paris. La même année, il devient propriétaire d'une librairie sise 6, rue de l'Oratoire du Louvre.
Il tient ensuite une librairie quai Malaquais au no 19, d’abord nommée Librairie France-Thibault, puis France tout court, spécialisée dans les ouvrages et documents sur la Révolution française, fréquentée par de nombreux écrivains et érudits, comme les frères Goncourt ; il s'installera en 1853 quai Voltaire no 9 .
François Anatole naît quai Malaquais en 1844. Élevé dans la bibliothèque paternelle, Anatole en garda le goût des livres et de l’érudition, ainsi qu’une connaissance intime de la période révolutionnaire, arrière-plan de plusieurs de ses romans et nouvelles, dont Les dieux ont soif qui est considéré comme son chef-d’œuvre. De 1844 à 1853, il habita l'hôtel particulier du 15 quai Malaquais.
De 1853 à 1862, France fait ses études à l’institution Sainte-Marie et au collège Stanislas. Il souffre d’être pauvre dans un milieu riche mais il est remarqué pour ses compositions, dont La Légende de sainte Radegonde qui sera éditée par la librairie France et publiée en revue. Il obtient son baccalauréat le 5 novembre 1864.
À partir du début des années 1860, il travaille pour diverses libraires et revues, mais refuse de prendre la suite de son père, qu'il juge très négativement
Sa carrière littéraire commence par la poésie ; amoureux de l’actrice Élise Devoyod, il lui dédie quelques poèmes, mais elle le repoussera en 1866.Les relations de France avec les femmes furent toujours difficiles. Ainsi avait-il, dans les années 1860, nourri un amour vain pour Elisa Rauline, puis pour Élise Devoyod

Il est disciple de Leconte de Lisle, avec qui il travaillera quelque temps comme bibliothécaire au Sénat.

En janvier 1867, il écrivit une apologie de la liberté cachée sous un éloge du Lyon Amoureux de Ponsard. Il fait partie du groupe du Parnasse à partir de 1867. En 1875, il intégra le comité chargé de préparer le troisième recueil du Parnasse contemporain.
La même année, il devient commis-surveillant à la Bibliothèque du Sénat, poste qu'il conserve jusqu'à sa démission, le 1er février 1890.

À la différence de la plupart de nos écrivains, Anatole France n'a pas reçu la culture comme un dû. Son père, paysan illettré jusqu'à vingt ans, devint un grand spécialiste de la Révolution française ; mais sa culture demeura lacunaire. Situation très particulière que celle du jeune Anatole : il grandit dans la librairie France, le nom fut pris par son père, au milieu des documents rares ; mais il connaît une vie étroite et gênée, et bientôt l'amertume d'être méprisé par ses riches camarades du collège Stanislas. Sa scolarité, traversée de quelques réussites, est en général médiocre. Mais il acquiert grâce à la librairie une culture très personnelle sur la Révolution, sur l'occultisme et sur la latinité tardive, dont il est aisé de saisir l'importance pour son œuvre. Les livres ont pour ce solitaire une présence charnelle autant qu'intellectuelle. La bibliothèque est un lieu d'élection de ses romans, qui nous présentent souvent des personnages d'érudits, Bonnard, Coignard, Bergeret. Mais ces personnages, sans cesse poussés par l'amour ou par la politique, nous montrent bien aussi que France mesure les limites d'un monde uniquement livresque. Les humiliations ressenties dans son enfance sont pour beaucoup dans cette attitude, ainsi que les déboires amoureux du jeune homme. Il fut repoussé par la comédienne Élise Devoyod, par une jeune fille qui entra au couvent, par d'autres encore. Voilà de quoi revenir sur quelques jugements bien hâtifs concernant l'écrivain. Auteur d'autobiographies charmantes ? Mais si, dans Le Livre de mon ami ou La Vie en fleur, nous lisons des témoignages authentiques sur l'amour que France portait à sa mère ou à Paris, les blessures sont cachées systématiquement, et l'enfance n'est si délicieuse que parce qu'elle est fabriquée. À l'inverse, Les Désirs de Jean Servien nous en présente une version noircie, qui force sur l'amertume. France, homme léger, changeant ? Mais le personnage de la comédienne aimée vers 1860 traverse son œuvre. En 1904 il prend encore, sur elle, dans Histoire comique, une revanche imaginaire ! L'anticléricalisme constant de France plonge lui aussi ses racines dans sa vie personnelle, alors qu'il se justifie philosophiquement par une étude de Renan, Taine et Darwin.
En 1876, il publie Les Noces corinthiennes chez Lemerre, éditeur pour lequel il rédige de nombreuses préfaces à des classiques Molière par exemple ainsi que pour Charavay ; certaines de ces préfaces seront réunies dans Le Génie Latin.

Anatole France se marie en 1877 avec Valérie Guérin de Sauville, petite-fille du Jean-Urbain Guérin, un miniaturiste de Louis XVI, voir famille Mesnil dont il aura une fille, Suzanne, née en 1881 et qui mourra en 1918; il la confie souvent dans son enfance à Mme de Martel, qui écrivait sous le nom de Gyp, restée proche à la fois de lui-même et de Mme France.

En 1888, il engage une liaison avec Madame Arman de Caillavet, qui tient un célèbre salon littéraire de la Troisième République ; cette liaison durera jusqu’à la mort de celle-ci en 1910, peu après une tentative de suicide à cause d'une autre liaison de France avec une actrice connue pendant un voyage en Amérique du Sud. Madame de Caillavet lui inspire Thaïs, 1890 et Le Lys rouge 1894. Après une ultime dispute avec sa femme, qui ne supporte pas cette liaison, France quitte le domicile conjugal de la rue Chalgrin un matin de juin 1892 et envoie une lettre de séparation à sa femme6. Le divorce sera prononcé à ses torts et dépens le 2 août 1893.

France s’est orienté tardivement vers le roman et connaît son premier succès public à 37 ans, en 1881, avec Le Crime de Sylvestre Bonnard, couronné par l’Académie française, œuvre remarquée pour son style optimiste et parfois féerique qui tranche avec le naturalisme qui règne alors.
Il devient en 1887 critique littéraire du prestigieux Temps.
Elu dès le premier tour avec 21 voix sur 34 présents, à l’Académie française le 23 janvier 1896, au fauteuil 38, où il succède à Ferdinand de Lesseps, il y est reçu le 24 décembre 1896.
Devenu un écrivain reconnu, influent et riche, France s’engage en faveur de nombreuses causes. Il tient plusieurs discours dénonçant le génocide arménien et soutient Archag Tchobanian, rejoint Émile Zola, avec qui il s’est réconcilié au début des années 1890, lors de l'affaire Dreyfus.
La maison d'Anatole France, 5 Villa Said, Paris. 1894-1924.
Après avoir refusé de se prononcer sur la culpabilité de Dreyfus, ce qui le classe parmi les révisionnistes dans un entretien accordé à L'Aurore le 23 novembre 1897, il est l'un des deux premiers avec Zola à signer, au lendemain de la publication de J'accuse, en janvier 1898, quasiment seul à l’Académie française, la première pétition dite des intellectuels demandant la révision du procès. Il dépose le 19 février 1898 comme témoin de moralité lors du procès Zola, il prononcera un discours lors des obsèques de l'écrivain, le 5 octobre 1902, quitte L'Écho de Paris, anti-révisionniste, en février 1899 et rejoint le 5 juillet suivant Le Figaro, conservateur et catholique, mais dreyfusard.
Il est le modèle de Bergotte dans l'œuvre de Proust, À la recherche du temps perdu.
En juillet 1898, il rend sa Légion d'honneur après que l'on a retiré celle d'Émile Zola et, de février 1900 à 1916, refuse de siéger sous la Coupole. Il participe à la fondation de la Ligue des droits de l'homme, dont il rejoint le Comité central en décembre 1904, après la démission de Joseph Reinach, scandalisé par l'affaire des fiches. Son engagement dreyfusard se retrouve dans les quatre tomes de son Histoire contemporaine, 1897 - 1901, chronique des mesquineries et des ridicules d’une préfecture de province au temps de l’Affaire. C’est dans cette œuvre qu’il forge les termes xénophobe et trublion.
Devenu un proche de Jean Jaurès, il préside le 27 novembre 1904 une manifestation du Parti socialiste français au Trocadéro et prononce un discours. France s’engage pour la séparation de l’Église et de l’État, pour les droits syndicaux, contre les bagnes militaires.
En 1906, lors d'un meeting il proteste fortement contre la "barbarie coloniale".
En 1909, il part pour l'Amérique du Sud faire une tournée de conférences sur Rabelais. S'éloignant de Léontine Arman de Caillavet, il a une liaison avec la comédienne Jeanne Brindeau, en tournée elle aussi avec des acteurs français. Rabelais est remplacé, au cours du voyage qui le mène à Lisbonne, Recife, Rio de Janeiro, Montevideo et Buenos Aires, par des conférences sur ses propres œuvres et sur la littérature contemporaine.
De retour à Paris, le lien avec Léontine, qui avait beaucoup souffert de cet éloignement, se reforme tant bien que mal, mais celle-ci meurt en janvier 1910, sans lui avoir réellement pardonné.
Au début de la Première Guerre mondiale, il écrit des textes guerriers et patriotes, qu’il regrettera par la suite : il dénonce la folie guerrière voulue par le système capitaliste dans le contexte de l'Union sacrée en déclarant "on croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels", mais milite en faveur d’une paix d’amitié entre Français et Allemands, ce qui suscitera l’indignation et l’hostilité, et lui vaudra des lettres d’insultes et des menaces de mort. Il prend position en 1919 contre le Traité de Versailles, signant la protestation du groupe Clarté intitulée Contre la paix injuste, et publiée dans L'Humanité, 22 juillet 1919.
Ami de Jaurès et de Pressensé, il collabore dès sa création à L'Humanité, en publiant Sur la pierre blanche dans les premiers numéros. Proche de la SFIO, il est plus tard critique envers le PCF. S’il écrit un Salut aux Soviets, dans L'Humanité de novembre 1922, il proteste contre les premiers procès faits aux socialistes révolutionnaires en envoyant un télégramme dès le 17 mars.
À partir de décembre 1922, il est exclu de toute collaboration aux journaux communistes. France, tout en adhérant aux idées socialistes, s’est ainsi tenu à l’écart des partis politiques, ce dont témoignent ses romans pessimistes sur la nature humaine, tels que L’Île des pingouins et surtout Les dieux ont soif, publié en 1912 qui, à cause de sa critique du climat de Terreur des idéaux utopistes, fut mal reçu par la gauche.
En 1920 il se marie à Saint-Cyr-sur-Loire, où il s'était installé en 1914, avec sa compagne Emma Laprévotte 1871-1930; " Je n'ai jamais trouvé d'endroit qui convint mieux au climat de mon coeur".
Il est lauréat en 1921 du prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre, et le reçoit à Stockholm le 10 décembre.
Anatole France en 1919 par le sculpteur Antoine Bourdelle au musée d'Orsay de Paris.
En 1922, l’ensemble de ses œuvres opera omnia fait l’objet d’une condamnation papale, décret de la Congrégation du Saint-Office du 31 mai 1922.
Pour son 80e anniversaire, au lendemain de la victoire du Cartel des gauches, il assiste à une manifestation publique donnée en son honneur le 24 mai 1924 au palais du Trocadéro.
Il meurt le soir du dimanche 12 octobre à La Béchellerie, commune de Saint-Cyr-sur-Loire, à 23 h 26; à l'annonce de sa mort, le Président de la Chambre des députés Paul Painlevé déclare : " Le niveau de l'intelligence humaine a baissé cette nuit-là."
Selon certains, André Bourin, 1992 France aurait souhaité être inhumé dans le petit cimetière de Saint-Cyr-sur-Loire, selon d'autres, Michel Corday, 1928, le sachant souvent inondé l'hiver, il préféra rejoindre la sépulture de ses parents au cimetière de Neuilly-sur-Seine.
Son corps, embaumé le 14 octobre, fut transféré à Paris pour des obsèques quasi-nationales et exposé Villa Saïd, où le président de la République, Gaston Doumergue vient lui rendre hommage dans la matinée du 17, suivi par le président du Conseil, Édouard Herriot.
En contradiction avec ses dispositions testamentaires, des obsèques nationales ont lieu à Paris le 18 octobre, et il est inhumé au cimetière ancien de Neuilly-sur-Seine auprès de ses parents.
Sa tombe, abandonnée et en piteux état, fut sauvée en 2000 par l'historien Frédéric de Berthier de Grandry, résidant alors à Neuilly-sur-Seine; cette procédure de sauvegarde sauva également la chapelle funéraire de Pierre Puvis de Chavannes, le peintre du Panthéon de Paris.
Sépulture A. France au cimetière ancien de Neuilly-sur-Seine. Division 1 alignement 320, tombe 8.
Le 19 novembre 1925, l'Académie française élit au siège de France, après quatre tours de scrutin, Paul Valéry, qui, reçu dix-neuf mois plus tard, ne prononce pas une fois, contrairement à l'usage, le nom de son prédécesseur dans l'éloge qu'il doit prononcer et le qualifie de "lecteur infini", et donc lecteur se perdant dans ses lectures...

Collectionneur d'art et bibliophile

"... Les sculptures antiques le ravissaient. Bien des fragments précieux ornent les murailles de la Béchellerie ... Son cabinet de travail de la villa Said était tout éclairé par un marbre, un torse de femme, acheté avec le comte Primoli en Italie dans un antre où l'on fabriquait de faux Botticelli ... Il avait collectionné des anges et des saints en bois sculpté, qu'il nommait plaisamment "ses bondieuseries" ... Mais il était très sévère sur l'authenticité du moindre objet .... Il connaissait tous les émois, toutes les alertes, de la chasse aux occasions. Je l'ai vu battre pas à pas le marché à la ferraille, sur les quais de Tours, soutenu par l'espoir de dénicher le gibier rare... les livres anciens le passionnaient tout particulièrement. Il sortait même de sa modestie ordinaire et il étalait complaisamment les signes originaux de ses livres rares. Il abondait toujours en anecdotes sur les amateurs "toujours, à dessein, vêtus comme des mendigots" et sur les antiquaires. Ce goût des rares et vieilles choses, il l'appliquait à l'aménagement de son logis ... son occupation préférée. Il surveillait de très près la pose des meubles et des tableaux, traquait la moindre hérésie ... accrochait lui-même des gravures, de menus médaillons.
Selon son ami et biographe Michel Corday, craignant les conséquences du climat humide de cette maison tourangelle ou celui de la région pour ses meubles et objets d'art, il fit transporter les plus précieux dans sa maison parisienne, dont hérita sa veuve. Aucun meuble, livre ou objet ayant appartenu à un écrivain quasiment vénéré de son vivant n'a subsisté dans sa dernière maison du fait que son petit-fils Lucien Psichari, employé subalterne de la maison Calmann-Lévy - éditeur de son grand'père - qui en hérita, dispersa ensuite peu à peu son contenu dont l'importante bibliothèque aménagée dans l'ancienne orangerie, par des envois ponctuels et discrets à l'hôtel des ventes de Vendôme; quant au corps de bibliothèque il tomba en morceaux dans les mains du menuisier local venu pour le récupérer... témoignage oral de Mme Michèle D., Saint-Cyr-sur-Loire, 23 septembre 2014.
"J'avais, comme tous les bibliophiles, un "Enfer" composé de volumes illustrés de gravures scabreuses. Eh bien, il ne m'en reste pas un seul. On m'a tout pris".à Michel Corday
Plusieurs ouvrages de France, dont un exemplaire d'épreuves de l'Anneau d'améthyste 1899 comportant de nombreuses corrections, avec un envoi à Lucien Guitry, et d'autres offerts au comédien ou à son fils Sacha, figurèrent dans la vente aux enchères publiques de la bibliothèque de celui-ci à Paris le 25 mars 1976 ; arch pers..
D'autres titres de l'écrivain figurèrent dans les catalogues 63, 65 et 75 du libraire Pierre Bérès arch. pers.; certains exemplaires d'éditions originales de Voltaire, que France collectionnait, et portant le cachet de cette propriété tourangelle, ont été présentés en vente publique par Sotheby's à Monaco les 13 et 14 avril 1986.
La Bibliothèque historique de la ville de Paris possède un fonds Anatole France composé de manuscrits de ses œuvres, de correspondances ainsi que de tous les livres de sa bibliothèque personnelle; ce fonds a été enrichi par dons et par acquisitions au cours du XXe siècle.

Son œuvre Thèmes et style

Les principaux thèmes de son œuvre en prose émergent du recueil Balthasar et du roman plusieurs fois remanié Le Crime de Sylvestre Bonnard. Marie-Claire Bancquart signale entre autres le personnage de l’érudit sensible, ridicule ou aimable, qui a sa vie derrière lui, la bibliothèque qui possède une présence charnelle, l’action et la justice. Ces thèmes sont particulièrement exposés dans des discours ou des conversations par des personnages tels que Sylvestre Bonnard, Jérôme Coignard et M. Bergeret. Le style de France, souvent qualifié de classique, se caractérise par une ironie amusée, parfois douce et aimable, parfois noire et cruelle, qui exprime son scepticisme foncier à l’égard de la nature humaine, de ses aspirations et de la connaissance, en particulier l’histoire.
L’œuvre de France tranche tant avec les courants littéraires de son temps, naturalisme qu’avec la politique française en matière d’éducation après la guerre franco-allemande de 1870. Contre l’éducation exclusivement scientifique prônée par Jean Macé ou Louis Figuier, il valorise la force réelle de l’imagination :
"Fermez-moi ce livre, mademoiselle Jeanne, laissez là, s’il vous plaît, " l’Oiseau bleu, couleur du temps que vous trouvez si aimable et qui vous fait pleurer, et étudiez vite l’éthérisation. Il serait beau qu’à sept ans vous n’eussiez pas encore une opinion faite sur la puissance anesthésique du protoxyde d’azote ! " M. Louis Figuier a découvert que les fées sont des êtres imaginaires. C’est pourquoi il ne peut souffrir qu’on parle d’elles aux enfants. Il leur parle du guano, qui n’a rien d’imaginaire. — Eh bien, docteur, les fées existent précisément parce qu’elles sont imaginaires. Elles existent dans les imaginations naïves et fraîches, naturellement ouvertes à la poésie toujours jeune des traditions populaires.
Il refuse le réalisme de Zola, qu’il juge brutal, et, à l’esprit scientifique en littérature, il oppose des écrivains comme Dickens et Sand, car, pour lui :
" L’artiste qui ne voit les choses qu’en laid n’a pas su les voir dans leurs rapports, avec leurs harmonies ...".
Toutefois, son attitude à l'égard de Zola évolue au début des années 1890 avec La Bête humaine, L'Argent et La Débâcle, auxquels il consacre des articles élogieux.
Ses œuvres comportent donc de nombreux éléments féériques et souvent proches du fantastique.
C’est dans le même esprit qu’il aborde l’histoire, se défiant des prétentions scientistes, non pour réduire cette discipline à une fable, mais pour souligner les incertitudes qui lui sont inhérentes. L’histoire est un thème qui revient souvent dans ses œuvres. Le style qu’il utilise pour en parler est caractéristique de l’ironie et de l’humour franciens :
"Si je confesse aujourd’hui mon erreur, si j’avoue l’enthousiasme inconcevable que m’inspira une conception tout à fait démesurée, je le fais dans l’intérêt des jeunes gens, qui apprendront, sur mon exemple, à vaincre l’imagination. Elle est notre plus cruelle ennemie. Tout savant qui n’a pas réussi à l’étouffer en lui est à jamais perdu pour l’érudition. Je frémis encore à la pensée des abîmes dans lesquels mon esprit aventureux allait me précipiter. J’étais à deux doigts de ce qu’on appelle l’histoire. Quelle chute ! J’allais tomber dans l’art. Car l’histoire n’est qu’un art, ou tout au plus une fausse science. Qui ne sait aujourd’hui que les historiens ont précédé les archéologues, comme les astrologues ont précédé les astronomes, comme les alchimistes ont précédé les chimistes, comme les singes ont précédé les hommes ? Dieu merci ! j’en fus quitte pour la peur."
France utilise plusieurs types d’ironie : il peut s’agir de faire parler naïvement des personnages en sorte que le lecteur en saisisse le ridicule ou bien d'exprimer avec loquacité l’antithèse de ce que l’auteur pense, en faisant sentir l’ineptie des propos tenus. Le premier genre d’humour est le plus léger et imprègne tout particulièrement L’Île des Pingouins, qualifiée de "chronique bouffonne de la France » par Marie-Claire Bancquart.
La seconde sorte d’humour se manifeste surtout par une ironie noire qu’illustre par exemple le conte 'Crainquebille', histoire d’une injustice sociale ; France fait ainsi dire à un personnage qui analyse le verdict inique prononcé par un juge :
"Ce dont il faut louer le président Bourriche, lui dit-il, c’est d’avoir su se défendre des vaines curiosités de l’esprit et se garder de cet orgueil intellectuel qui veut tout connaître. En opposant l’une à l’autre les dépositions contradictoires de l’agent Matra et du docteur David Matthieu, le juge serait entré dans une voie où l’on ne rencontre que le doute et l’incertitude. La méthode qui consiste à examiner les faits selon les règles de la critique est inconciliable avec la bonne administration de la justice. Si le magistrat avait l’imprudence de suivre cette méthode, ses jugements dépendraient de sa sagacité personnelle, qui le plus souvent est petite, et de l’infirmité humaine, qui est constante. Quelle en serait l’autorité ? On ne peut nier que la méthode historique est tout à fait impropre à lui procurer les certitudes dont il a besoin."

L'anticonformiste

Cet apaisement fait place à des mises en cause d'autant plus violentes que les premiers temps de la liaison commencée en 1888 avec Mme de Caillavet sont ceux d'un épanouissement charnel, et des affres de la jalousie. Le Lys rouge en donne une transposition qui a pu paraître trop mondaine ; France y parle, en 1893, d'un amour qui a déjà perdu sa première force. C'est ailleurs qu'on en peut trouver de puissants témoignages. La correspondance des amants masochistes permet de juger combien les personnages de Thaïs et de Jahel doivent à Mme de Caillavet, mais aussi combien toute la vision du monde exposée dans Thaïs et La Rôtisserie de la reine Pédauque est tributaire d'Éros, sans cesse uni à Thanatos. Vision païenne : les forces du désir sont les seules bonnes ; mais elles sont en butte aux hasards absurdes de cette terre, et à la mort. Des simples comme Thaïs ou Jacques Tournebroche peuvent trouver le bonheur, mais jamais les raffinés, les lucides comme Nicias ou Jérôme Coignard. L'aisance de l'écrivain, l'allure pittoresque de La Rôtisserie, qui transpose au XVIIIe siècle l'occultisme à la mode, ne doivent pas tromper. Il y a là, comme dans Le Jardin d'Épicure, un malaise existentiel.
L'anticonformisme de ces livres est visible. La querelle née autour du Disciple de Bourget, en 1889, contribue à précipiter France, contre Brunetière, dans le camp des adeptes du libre examen, et d'une science conçue comme relative, mais irremplaçable pour notre esprit. Depuis longtemps, France médite sur les faux témoignages de l'histoire pris en compte par notre crédulité. Jeanne d'Arc, dont l'inspiration est discutée par lui, apparaît dès 1876 dans ses écrits. On connaît le beau conte de L'Étui de nacre 1892 où Ponce Pilate est présenté comme un haut fonctionnaire, probe et malheureux, qui a tout oublié de Jésus. Impostures de l'histoire, impostures de l'actualité : le scandale de Panamá révèle en 1893 qu'on a demandé un faux témoignage à la femme d'un suspect. France n'avait jamais jusqu'alors laissé affleurer la politique dans son œuvre publiée. Maintenant, porté par sa vieille obsession, il se lance dans la lutte : Les Opinions de M. Jérôme Coignard sur les affaires de ce temps mettent en cause, de proche en proche, à travers une transposition transparente, toutes les institutions contemporaines. France ne croit pas à l'efficacité d'une éventuelle révolution, mais il est désormais âprement réformiste. Il y paraît même dans son discours de réception à l'Académie française, en 1896. France académicien : le très actif salon de Mme de Caillavet a servi ses ambitions littéraires. On y rencontre le jeune Marcel Proust, qui doit beaucoup à France pour la formation de sa pensée, et qui va lui aussi être dreyfusard.

France est le seul académicien qui se soit violemment déclaré en faveur de Dreyfus. On voit bien que ce n'est pas là l'effet d'une conversion soudaine. Quand, ayant entrepris des nouvelles sur la France du ralliement, nommées Histoire contemporaine, l'écrivain a connaissance de cette énorme affaire de faux, il prend parti avec courage et générosité, mais tout en suivant la pente de ses anciennes méditations. M. Bergeret devient son porte-parole dans le roman désormais paru semaine après semaine, en feuilletons d'actualité. Ce qui est vrai, c'est que l'Affaire précipite France dans une action devant laquelle il hésitait encore. Devenu l'ami de Jaurès, il milite à ses côtés, appelle à combattre pour l'avènement du socialisme, tout en exprimant pleinement son anticléricalisme contre une Église en majorité antidreyfusarde. Ces deux positions paraissent conciliables pendant la période du combisme, durant laquelle France fut l'écrivain officiel de la séparation de l'Église et de l'État.
Mais, bientôt, les anciens compagnons de lutte de l'Affaire s'opposent. France, tout en demeurant le militant d'une cause qu'il estime juste, va exprimer dans ses livres doutes et amertumes. Sur la pierre blanche 1905 admet la possibilité d'une société socialiste, du reste toujours soumise aux fatalités de la nature. L'Île des pingouins 1908 présente au contraire une vision désabusée, chaotique, de l'histoire, et l'hypothèse que notre civilisation parvenue à son absurde apogée se détruira elle-même. Les années qui précèdent la guerre voient évoluer l'esprit public d'une manière contraire aux vœux de France. Il traverse en outre une grave crise personnelle après son voyage en Argentine et la mort en 1910 de Mme de Caillavet désespérée par son infidélité. C'est alors qu'il publie le très beau roman Les dieux ont soif 1912, qui, à travers une reconstitution de la vie parisienne sous la Terreur, montre qu'à vouloir gouverner les hommes par des idées on en vient à une monstrueuse oppression de la parole non fondée. La Révolte des anges, 1913, qui transpose l'actualité en opéra bouffe, proclame qu'il n'y a pas de vrai changement sans une bien hypothétique conversion intérieure, une révolution morale. Romans d'un art de vivre menacé, peut-être même miné... Cette période est celle du déchirement.
La guerre éclate. Ayant déclaré qu'il espérait, après la victoire française, une réconciliation des peuples, France reçoit de telles menaces qu'il écrit une palinodie, puis se tait. Ses lettres montrent son désarroi. Après la guerre, il se reprend à espérer un changement de société ; s'il se refuse à prendre parti entre socialistes et communistes, il se tourne avec faveur vers la jeune révolution russe, jusqu'au premier des grands procès politiques, en 1923. Il s'élève contre lui : toujours, donc, l'exigence d'un examen personnel, qui lui vaut bien des attaques ! Il n'en est pas moins considéré par beaucoup, en cet après-guerre, comme le plus grand des écrivains français. Réputation consacrée en 1921 par le prix Nobel. Des obsèques officielles lui sont faites en 1924, le Cartel des gauches étant au pouvoir. Mais cette célébrité porte ombrage à plus d'un. D'autre part, il apparaît à juste titre comme un porteur éminent des valeurs de l'humanisme, qu'on veut croire dépassées. Cela explique et le pamphlet des surréalistes, et la désaffection de beaucoup d'intellectuels.
Les raisons contingentes de cette désaffection se sont éloignées, et nous avons connu trop de situations d'urgence pour que la méditation constante de France sur la nature et les périls du pouvoir ne nous semble pas singulièrement actuelle. Il a pratiqué sans cesse le scepticisme au sens philosophique, c'est-à-dire l'examen lucide de toutes les faces d'un problème. Cette attitude n'exclut pas les prises de parti ; elle les relativise, et les remet toujours en question. Elle n'est pas une attitude de facilité. On aimera chez France un écrivain très ouvert à son temps, sur le qui-vive, dans des limites qu'il refusa de transgresser : celles de l'humaine raison. On aimera encore, certains aimeront surtout, l'artiste très raffiné, le créateur de personnages qui resteront, et d'un mot : Trublion ..., l'écrivain au style pur et au rythme personnel. Ce sont des qualités qui attirèrent vers son œuvre Jules Renard, Huxley, Queneau et Supervielle.

Analyse de ses œuvres majeures

Le Crime de Sylvestre Bonnard

"Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut, est un historien et un philologue, doté d’une érudition non dénuée d’ironie : « Savoir n’est rien – dit-il un jour – imaginer est tout."
Il vit au milieu des livres, la cité des livres, mais se lance à la recherche, en Sicile et à Paris, du précieux manuscrit de La Légende dorée qu’il finit un jour par obtenir. Le hasard lui fait rencontrer la petite fille d’une femme qu’il a jadis aimée et, pour protéger l’enfant d’un tuteur abusif, il l’enlève. La jeune fille épousera par la suite un élève de M. Bonnard. Ce roman, qui fut jugé spirituel, généreux et tendre, fit connaître Anatole France.

Balthasar

Balthasar est le premier recueil de nouvelles publié par Anatole France.

Thaïs

Ce roman est considéré comme une étape importante dans l’art d’Anatole France.

Histoire contemporaine

À partir de 1895, France commença à écrire des chroniques pour L'Écho de Paris, sous le titre de Nouvelles ecclésiastiques. Ces textes formeront le début de Histoire contemporaine.
Autour d’un enseignant à l’université de Tourcoing, une tétralogie satirique de la société française sous la Troisième république, du boulangisme au début du xxe siècle.

L’Île des Pingouins

Il s’agit d’une histoire parodique de la France constituée de nombreuses allusions à l’histoire contemporaine.
Maël, un saint homme, aborde une île des mers hyperboréennes où l’a poussé une tempête. Trompé par sa mauvaise vue, Maël baptise des pingouins qu’il a pris pour des hommes. Dieu, après avoir consulté les docteurs de l’Église pour résoudre le problème théologique de savoir si les Pingouins baptisés sont de ce fait des créatures de Dieu, décide de transformer les pingouins en hommes. France décrit alors leur histoire, les origines, les temps anciens, le Moyen Âge, la Renaissance, les temps modernes et les temps futurs. Reflet de l’histoire de la France, l’histoire des Pingouins n’est qu’une suite de misères, de crimes et de folies. Cela est vrai de la nation pingouine comme de toutes les nations. L’affaire des quatre-vingt mille bottes de foin est ainsi une parodie de l’affaire Dreyfus. L’Histoire future décrit le monde contemporain et sa fuite en avant, un monde où le goût s’était perdu des jolies formes et des toilettes brillantes, où règne une laideur immense et régulière… La condition humaine alterne alors entre constructions démesurées, destructions et régressions : On ne trouvait jamais les maisons assez hautes... Quinze millions d’hommes travaillaient dans la ville géante... C’est l’histoire sans fin, cycle infernal qui, pour France, rend improbable l’idée d’une société future meilleure.

Les dieux ont soif

Les dieux ont soif est un roman paru en 1912, décrivant les années de la Terreur à Paris, France, entre l’an I et l'an II. Sur fond d’époque révolutionnaire, France, qui pensait d’abord écrire un livre sur l’inquisition, développe ses opinions sur la cruauté de la nature humaine et sur la dégénérescence des idéaux de lendemains meilleurs.
Le personnage principal, Évariste Gamelin, un révolutionnaire fanatique, et les autres personnages sont tous entraînés par la mécanique tragique d’un pouvoir absolu altéré de sang, et France les peint avec leurs soucis et leurs plaisirs quotidiens, avec parfois un sens du détail sordide qui révèle la perversité des instincts humains. Les acteurs et responsables de la Terreur, dirigeant le pays avec des idées abstraites, veulent faire le bonheur des hommes malgré eux. Évariste Gamelin, peintre raté, devient un juré du Tribunal révolutionnaire, condamnant à mort avec indifférence. Il sera victime lui aussi de cette logique terroriste. À côté de ce jeu du pouvoir et de la mort, la vie et la nature poursuivent leur cycle, incarné par la maîtresse de Gamelin, Élodie.
C’est un grand analyste d’illusions. Il en pénètre et en sonde les plus secrets replis comme s’il s’agissait de réalités faites de substances éternelles. Et c’est en quoi consiste son humanité : elle est l’expression de sa profonde et inaltérable compassion. Joseph Conrad

La Révolte des anges

"La révolte des anges" adopte un mode fantastique pour aborder un certain nombre de thèmes chers à Anatole France : la critique de l'Église catholique, de l'armée, et la complicité de ces deux institutions. L'ironie est souvent mordante et toujours efficace. L'histoire est simple : des anges rebellés contre Dieu descendent sur terre, à Paris précisément, pour préparer un coup d'État si l'on peut dire qui rétablira sur le trône du ciel celui que l'on nomme parfois le diable, mais qui est l'ange de lumière, le symbole de la connaissance libératrice... Les tribulations des anges dans le Paris de la IIIe République sont l'occasion d'une critique sociale féroce. Finalement, Lucifer renoncera à détrôner Dieu, car ainsi Lucifer deviendrait Dieu, et perdrait son influence sur la pensée libérée...

Jérôme Coignard

C'est le personnage central des roman la Reine Pédauque et des Opinions de Jérôme Coignard.

Influence et postérité

Anatole France fut considéré comme une autorité morale et littéraire de premier ordre. Il fut reconnu et apprécié par des écrivains et des personnalités comme Marcel Proust on pense qu'il fut l'un des modèles ayant inspiré Proust pour créer le personnage de l'écrivain Bergotte dans À la recherche du temps perdu, Marcel Schwob et Léon Blum. On le retrouve a contrario dans Sous le soleil de Satan, croqué à charge par Georges Bernanos dans le personnage de l'académicien Antoine Saint-Marin. Il était lu et exerçait une influence sur les écrivains qui refusaient le naturalisme, comme l’écrivain japonais Jun'ichirō Tanizaki, il fut la référence pour Roger Peyrefitte.
Ses œuvres furent publiées aux éditions Calmann-Lévy de 1925 à 1935. Anatole France fut également, de son vivant et quelque temps après sa mort, l'objet de nombreuses études.
Mais après sa mort, il fut la cible d'un pamphlet des surréalistes, Un cadavre, auquel participèrent Drieu La Rochelle et Aragon, auteur d'un texte intitulé : Avez vous déjà giflé un mort ? dans lequel il écrivait : Je tiens tout admirateur d'Anatole France pour un être dégradé. Pour lui, Anatole France était un exécrable histrion de l’esprit, représentant de l’ignominie française. André Gide le jugea un écrivain sans inquiétude qu'on épuise du premier coup.
La réputation de France devint ainsi celle d’un écrivain officiel au style classique et superficiel, auteur raisonnable et conciliant, complaisant et satisfait, voire niais, toutes qualités médiocres qu’incarnerait principalement M. Bergeret. Mais nombre de spécialistes de l’œuvre de France considèrent que ces jugements sont excessifs et injustes, ou qu’ils sont même le fruit de l’ignorance, car ils en négligent les éléments magiques, déraisonnables, bouffons, noirs ou païens. Pour eux, l’œuvre de France a souffert et souffre encore d’une image fallacieuse.
Reflétant cet oubli relatif et cette méconnaissance, les études franciennes sont aujourd’hui rares et ses œuvres, hormis parfois les plus connues, sont peu éditées.

Œuvres

Catalogue des œuvres d’Anatole France
Les œuvres d'Anatole France ont fait l'objet d'éditions d'ensemble :
Œuvres Complètes, Calmann-Lévy, 1925-1935
Marie-Claire Bancquart éd., Anatole France Œuvres, Gallimard, coll. La Pléiade , 1984-1994

Poésies

Les Poèmes dorés, 1873
Les Noces corinthiennes, 1876. Drame antique en vers

Romans et nouvelles

Jocaste et le Chat maigre, 1879
Le Crime de Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut, 1881. Prix Montyon de l’Académie française
Les Désirs de Jean Servien, 1882
Abeille, conte, 1883
Balthasar, 1889
Thaïs, 1890, PG. Cet ouvrage a fourni l’argument au ballet Thaïs de Jules Massenet.
L'Étui de nacre, 1892, recueil de contes
La Rôtisserie de la reine Pédauque, 1892
Les Opinions de Jérôme Coignard, 1893
Le Lys rouge, 1894
Le Jardin d’Épicure, 1894 2e édition revue et corrigée par l'auteur : 1922 PG;
Le Puits de Sainte Claire, 1895
Histoire contemporaine en quatre parties :
1. L'Orme du mail, 1897
2. Le Mannequin d'osier, 1897
3. L'Anneau d'améthyste, 1899
4. Monsieur Bergeret à Paris, 1901 PG
Clio, 1899 réédition sous le titre Sous l'invocation de Clio, 1921
L'Affaire Crainquebille, 1901
Le Procurateur de Judée, 1902
Histoire comique, 1903
Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables, 1904
Sur la pierre blanche, 190533, PG
L’Île des Pingouins, 1908, PG
Les Contes de Jacques Tournebroche, 1908
Les Sept Femmes de Barbe bleue et autres contes merveilleux, 1909
Les dieux ont soif , 1912
La Révolte des anges, 1914

Souvenirs

Le Livre de mon ami, 1885
Pierre Nozière, 1899
Le Petit Pierre, 1918
La Vie en fleur, 1922

Théâtre

Au petit bonheur, 1898. Pièce en un acte
Crainquebille, 1903
La Comédie de celui qui épousa une femme muette, 1908. Pièce en deux actes
Le Mannequin d'osier, 1897. Comédie adaptée du roman homonyme première représentation le 22 mars 1904

Histoire

Vie de Jeanne d'Arc, 1908

Critique littéraire

Alfred de Vigny, 1868
Le Château de Vaux-le-Vicomte, 1888. Préface de Jean Cordey. Rééditions : Calmann- Lévy, 1933 ; Presses du Village, 1987 ; archives pers. ;
Le Génie latin, 1913. Recueil de préfaces
La Vie littéraire, Paris, Calmann-Lévy, 1933. La préface de la "quatrième série" est datée de mai 1892.

Critique sociale

Crainquebille par Steinlen.
Opinions sociales, 1902
Le Parti noir, 1904
Vers les temps meilleurs, 1906. Recueil de discours et lettres en 3 tomes ; 3 portraits par Auguste Leroux
Sur la voie glorieuse, 1915
Trente ans de vie sociale en 4 tomes :
I. 1897-1904, 1949, commentaires de Claude Aveline
II. 1905-1908, 1953, commentaires de Claude Aveline
III. 1909-1914, 1964, commentaires de Claude Aveline et Henriette Psichari
IV. 1915-1924, 1973, commentaires de Claude Aveline et Henriette Psichari ; seconde édition.
Préface du livre de : Dr Oyon, Précis de l'affaire Dreyfus, Paris, Pages libres, 1903

Adaptations Théâtre

Crainquebille

Musique

Thaïs de Jules Massenet

Filmographie

Des adaptations au cinéma35 d'œuvres d'Anatole France ont été réalisées dès son vivant.
Il apparaît aussi dans un documentaire de Sacha Guitry, Ceux de chez nous 1915.

Films

1914 : Thais de Constance Crawley et Arthur Maude
1920 : Le Lys Rouge de Charles Maudru,
1922 : Crainquebille de Jacques Feyder, avec Françoise Rosay
1926 : Les dieux ont soif de Pierre Marodon
Téléfilms
1981 : Histoire contemporaine de Michel Boisrond, avec Claude Piéplu dans le rôle de Monsieur Bergeret,série de 4 téléfilms

Hommages


De nombreuses voies publiques, transports publics, établissements d'enseignement portent le nom d'Anatole France, parmi lesquels une station du métro de Rennes.
En 1937, la Poste française émet un timbre-poste à son effigie.$
Une statue de lui assis devant une petite colonnade orne le parc de la préfecture d'Indre-et- Loire.
Dans le cadre des 31èmes Journées Européennes du Patrimoine, la municipalité de Saint-Cyr-sur-Loire, l'association "Saint-Cyr; hommes et patrimoine" et le Conseil Général d'Indre-et-Loire ont organisé ces manifestations :
- le 19 septembre 2014, installation du buste de France en 1919 par Antoine Bourdelle le bronze du musée d'Orsay reproduit sur cette page, exemplaire en pierreinauguré en 1955 puis restauré, dans le parc du manoir de la Tour, espace à vocation littéraire qui honore les hommes de lettres illustres ayant séjourné dans la commune;
- le 20 septembre 2014, évocation musicale de sa vie et de son oeuvre avec musiques de Paul-Henri Busser et de Massénet dans le parc de La Perraudière mairie;
- du 20 au 28 septembre 2014, présentation dans la mairie de l'exposition "Anatole France, sa vie son oeuvre et ses dix ans à Saint-Cyr-sur-Loire" le magazine municipal Saint-Cyr présente... de septembre-décembre 2014, Anatole France "Pourquoi m'avez-vous oublié ?".

Citations

Monument aux morts de Mazaugues avec la phrase de Marx citée par Anatole France.
La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu'on l'aime de toute son âme, et qu'on n'est jamais tenté de lui être infidèle. Les Matinées de la Villa Saïd, 1921 ;
"Ah ! c'est que les mots sont des images, c'est qu'un dictionnaire c'est l'univers par ordre alphabétique. À bien prendre les choses, le dictionnaire est le livre par excellence". La Vie littéraire;
"Je vais vous dire ce que me rappellent, tous les ans, le ciel agité de l'automne, les premiers dîners à la lampe et les feuilles qui jaunissent dans les arbres qui frissonnent ; je vais vous dire ce que je vois quand je traverse le Luxembourg dans les premiers jours d'octobre, alors qu'il est un peu triste et plus beau que jamais ; car c'est le temps où les feuilles tombent une à une sur les blanches épaules des statues. Ce que je vois alors dans ce jardin c'est un petit bonhomme qui, les mains dans les poches et sa gibecière au dos, s'en va au collège en sautillant comme un moineau..." Le Livre de mon ami, chapitre X : Les humanités ;
"Le lecteur n'aime pas à être surpris. Il ne cherche jamais dans l'histoire que les sottises qu'il sait déjà. Si vous essayez de l'instruire, vous ne ferez que l'humilier et le fâcher. Ne tentez pas l'éclairer, il criera que vous insultez à ses croyances ... Un historien original est l'objet de la défiance, du mépris et du dégoût universel". L'Île des pingouins, préface ;
"De tous les vices qui peuvent perdre un homme d'État, la vertu est le plus funeste : elle pousse au crime" La Révolte des anges, chapitre XXI ;
"La guerre et le romantisme, fléaux effroyables ! Et quelle pitié de voir ces gens-ci nourrir un amour enfantin et furieux pour les fusils et les tambours ! " La Révolte des Anges, chapitre XXII ;
"Je ne connais ni juifs ni chrétiens. Je ne connais que des hommes, et je ne fais de distinction entre eux que de ceux qui sont justes et de ceux qui sont injustes. Qu'ils soient juifs ou chrétiens, il est difficile aux riches d'être équitables. Mais quand les lois seront justes, les hommes seront justes." Monsieur Bergeret à Paris, chapitre VII ;
"L'union des travailleurs fera la paix dans le monde, cette citation, faussement attribuée à France c'est une traduction de Marx, se trouve notamment sur le Monument aux morts pacifiste de Mazaugues dans le Var ;"
"On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels." Lettre ouverte à Marcel Cachin, L'Humanité, 18 juillet 1922 ; cité par Michel Corday das sa biographie 1928;
"Ma faiblesse m'est chère. Je tiens à mon imperfection comme à ma raison d'être". Le Jardin d'Épicure, 1894 ;
" Monsieur Dubois demanda à Madame Nozière quel était le jour le plus funeste de l'histoire. Madame Nozière ne le savait pas. C'est, lui dit Monsieur Dubois, le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l'art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque." La Vie en Fleur, 1922;
"Bénissons les livres, si la vie peut couler au milieu d'eux en une longue et douce enfance !" La Vie littéraire, tome 1, préface ;
"Mais parce que mes passions ne sont point de celles qui éclatent, dévastent et tuent, le vulgaire ne les voit pas." Le Crime de Sylvestre Bonnard, membre de l'Institut, 1881.
"C’était le seul homme de valeur à avoir accédé, durant la guerre, à un poste de haute responsabilité; mais on ne l’a pas écouté. Il a sincèrement voulu la paix et c’est la raison pour laquelle on n’eut pour lui que du mépris. On est ainsi passé à coté d’une splendide occasion". lettre de 1917 à propos de Charles 1er de Habsbourg.

Liens

http://youtu.be/r-ecpqBwn9 Anatole France par Guitry
http://youtu.be/FiOl6Ibt8cw 1 livre 1 jour; Anatole France dans la pléïade
Anatole France : Histoire contemporaine Histoire contemporaine .


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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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