| A + A -
Connexion     
 + Créer un compte ?
Rejoignez notre cercle de poetes et d'auteurs anonymes. Lisez ou publiez en ligne
Afficher/Cacher la colonne
Accueil >> newbb >> Les Forums - Tous les messages

 Bas   Précédent   Suivant

« 1 ... 23 24 25 (26) 27 28 29 ... 60 »


#251 Nicolas Gilbert
Loriane Posté le : 16/11/2014 23:40
Le 16 novembre 1780 à Paris à 30 ans meurt Nicolas Joseph Florent Gilbert
Cliquez pour afficher l


né le 15 décembre 1750 dans le sud du Duché de Lorraine à Fontenoy-le-Château, poète lorrain francophone.
Après avoir vainement cherché à faire reconnaître son talent le Génie aux prises avec la fortune ou le Poète malheureux, 1772, il finit par trouver sa voie dans la satire antiphilosophique


En bref

Poète lorrain, Nicolas Gilbert doit une certaine réputation à la légende ou, plutôt, au mythe romantique du poète incompris, victime d'une société égoïste, tel que le représente Vigny dans Stello : on a fait de lui une sorte de Chatterton français. S'il est vrai qu'il est mort jeune, à vingt-neuf ans, il ne faut plus pour autant s'abuser aujourd'hui.
Gilbert naît à Fontenoy-le-Château Vosges, où son père agriculteur, marchand de grains, possède deux petites fermes, tout en exerçant les fonctions de maire 1742. Il fait une partie de ses études au fameux collège de l'Arc, à Dôle, puis il monte à Paris, à la conquête d'une gloire qu'il ne trouvera, de manière posthume, qu'au XIXe siècle. Bien reçu par d'Alembert, auquel il est recommandé par Mme de la Verpillière, femme du prévôt des marchands de Lyon, il aurait sans doute été gagné au parti philosophique, comme son compatriote Saint-Lambert. Il en fut autrement ; Gilbert entra dans le clan des réactionnaires, au côté de Fréron, l'illustre directeur de L'Année littéraire. Il publie, alors qu'il n'a pas vingt ans, un roman passé justement inaperçu, puis son Début poétique 1771. Il participe au concours annuel de l'Académie française, en proposant Le Poète malheureux ou le Génie aux prises avec la fortune 1772, aux épanchements plus ou moins autobiographiques, et une ode consacrée au Jugement dernier 1773, qui se termine par ces vers : L'Éternel a brisé son tonnerre inutile ; -Et, d'ailes et de faux dépouillé désormais, Sur les mondes détruits le temps dort immobile.
Ce sont deux échecs consécutifs le prix étant remporté deux fois par Jean-François La Harpe, fade poète, mais dévoué à la cabale philosophique dans les feuilles du Mercure de France qui sont ressentis par Gilbert comme deux humiliations. Après un séjour à Nancy, il se lance courageusement dans la satire, se montrant digne successeur de Juvénal, Régnier et Boileau, s'en prenant à Voltaire, Diderot, d'Alembert, La Harpe, et dénonçant avec violence, d'abord dans Le Dix-Huitième Siècle 1776 dédié à Fréron, ensuite dans Mon Apologie,1778, la licence de l'athéisme, la corruption des mœurs et la décadence littéraire de son temps : Parlerai-je d'Iris ? chacun la prône et l'aime ; -C'est un cœur, mais un cœur, -c'est l'humanité même. -Si d'un pied étourdi quelque jeune éventé -Frappe, en courant, -son chien qui jappe épouvanté, -La voilà qui se meurt de tendresse et d'alarmes ; -Un papillon souffrant lui fait verser des larmes : -Il est vrai ; mais aussi qu'à la mort condamné, Lalli soit en spectacle à l'échafaud traîné, -Elle ira la première à cette horrible fête -Acheter le plaisir de voir tomber sa tête.

Sa vie

Nicolas Joseph Florent Gilbert naît le 15 décembre 1750 à Fontenoy-le-Château actuellement dans les Vosges. Baptisé le lendemain il a pour marraine Marie Iroy et pour parrain, son grand-père, Nicolas Joseph Florent Blancheville dont il prend les prénoms. Son père, maire de Fontenoy-la-Côte, propriétaire de deux fermes, y exerce le métier de marchand de grains. Son éducation est confiée au curé du village, un jésuite qui, voyant en lui "un esprit apte à être éduqué", lui apprend le latin. Puis le jeune Nicolas part faire ses humanités au collège de l’Arc à Dole.
En 1768, à la mort de son père, il monte à Nancy, ancienne capitale du duché de Lorraine devenu Français en 1766, où il côtoie quelque temps les cercles littéraires. Il fréquente les salons de Darbès et ceux de du comte de Lupcourt et est reçu chez l'avocat Mandel. Il y fait ses débuts, avec un roman persan, les Familles de Darius et d’Éridame ou Statira et Amestris 1770 et quelques pièces poétiques, dont son début poétique, composé de trois héroïdes et, entre plusieurs odes, le Jugement dernier 1773.
Après 1770, il part pour Paris, avec en poche ses premiers vers, ainsi qu’une lettre, signée de Mme de La Verpillière, femme du prévôt des marchands de Lyon et mécène. Cette lettre recommande le jeune poète à D’Alembert. Il semble que D’Alembert, lui ayant promis une place de précepteur, n’honore pas cette espérance, et le reçoit d’ailleurs assez froidement :

Et ce froid d'Alembert, chancelier du Parnasse,
Qui se croit un grand homme et fit une préface

Nicolas Gilbert, Le Dix-huitième siècle

Gilbert se retrouve donc comme tant d’autres, reclus dans une mansarde, à tâcher de vivre de sa plume, misérablement en somme. Il fait publier ses premières pièces en vers en 1771 ; le volume est en butte à l’indifférence générale. Melchior Grimm écrit dans sa Correspondance littéraire : "M. Gilbert a donné, il y a quelque temps, un Début poétique qui n’a été lu de personne."
Il présente successivement en 1772, puis en 1773, deux pièces au concours de l’Académie française. Son œuvre Le Poète malheureux, emplie d’accents élégiaques, non dénuée d’un certain talent ou en tout cas, d’une certaine sensibilité, n’obtient pas même une mention ; c’est Jean-François de La Harpe, directeur du Mercure de France, qui reçoit le prix.
Sa deuxième pièce, L’Ode du Jugement Dernier, subit le même sort. Gilbert en concevra alors une haine certaine pour La Harpe en particulier, ainsi que pour les encyclopédistes, voire les philosophes en général, qui tiennent tout le Parnasse littéraire français : ainsi nomme-t-on à ce moment l’élite des écrivains. De son côté, La Harpe n’aura de cesse de tenir en mépris tout ce que produira Gilbert.
Probablement en 1774, par l’entremise de Baculard d’Arnaud, Gilbert rencontre Élie Fréron, qui dirige l'Année littéraire, pendant du Mercure de France. Gilbert assiste probablement à des dîners organisés par Fréron et s’engage à ses côtés, sans doute par rancœur envers le milieu littéraire parisien dans un premier temps. Grâce à la recommandation de Fréron, Gilbert obtint les faveurs de l’archevêché et plusieurs pensions, dont une du roi.

François de Neufchateau dans son poème Les Vosges, consacre une strophe à son compatriote :

Au rang des bons esprits dont j'exhume la gloire,
Dois-je placer Gilbert ? Parmi nous étant né
Du Dernier Jugement ce chantre infortuné,
L'indigence altéra son cerveau pindarique;
Il vendit au clergé sa plume satirique
Du talent le plus rare, ô malheureux emploi !
Sa muse, fléchissant sous cette affreuse loi,
Contre la raison même abuse de ses armes;
Mais ses derniers adieux nous font verser des larmes.

François de Neufchateau, 'Les Vosges'

En 1775 paraît sa première pièce majeure, qui marque son temps. C’est une satire en vers, Le Dix-huitième siècle, qui donne la caricature féroce de son temps ; la philosophie y est le principe de la chute des arts, de la perte des mœurs. Tout y est matière à charge — nous sommes bien dans une satire — : la bourgeoisie, la noblesse, le clergé libertin ; la littérature du moment y est passée au peigne fin. À la fin de la satire, le nom honni paraît enfin : Voltaire. Le Dix-huitième siècle est véritablement à sa parution, et pour reprendre une expression de Huysmans, un météore dans le champ littéraire de l’époque ; il n’est en effet pas vraiment de bon ton de se moquer de ceux qui sont à l’origine du Progrès, et pensionnés par les plus grandes têtes couronnées d’Europe. La critique se déchaîne, mais Grimm verra tout de même la marque d’un certain talent chez Gilbert. Vivement critiqué ou applaudi, il est indéniable qu’à partir de 1775, le jeune poète est une figure reconnue de la littérature en cette fin d’Ancien Régime.
C’est dans le genre satirique que Gilbert fera au reste fortune, durant le peu d’années qu’il lui reste à vivre. En 1776 — année de la mort de Fréron et de la reprise de l'Année littéraire par son fils —, paraît une Diatribe sur les prix académiques. Le poète n’a en effet pas oublié ses cuisants échecs aux prix de l’Académie quelques années auparavant, et fustige dans cette pièce en prose la teneur fade des œuvres primées au concours. Puis il fait publier en 1778 une défense de la satire, Mon apologie, dialogue en vers entre un philosophe nommé Psaphon, et Gilbert lui-même mis en scène ; c’est son deuxième succès du genre.
Peu avant sa mort, il écrit une Ode inspirée de plusieurs psaumes, plus généralement connue sous le nom d'Adieux à la vie, un poème dont la thématique pré-romantique sera reprise par Alfred de Vigny dans Stello et Chatterton.
Le 24 octobre 1780, après une chute de cheval qui occasionne une blessure à la tête Gilbert est conduit à l'Hôtel-Dieu de Paris. Suite de l’opération du trépan, l'ayant rendu fou, il avale la clef d'une cassette qui reste accrochée à l'œsophage Journal de médecine, janv. 1781, p. 82. il meurt le 16 novembre à seulement 29 ans, après, comme nous venons de le voir, avoir avalé une clé dans une crise de délire, anecdote qui, chargée pour beaucoup d’une très riche symbolique, vaudra par exemple à Toulet ce vers : Mourir comme Gilbert en avalant sa clé. Par une ironie du sort, cette mort insolite l'emporte alors qu'il vient d'attirer sur lui la protection de M. de Beaumont, archevêque de Paris, et celle du roi. On dit, sans jamais l'avoir prouvé, que trois pensions lui étaient échues : une de l'archevêché, une prélevée sur la cassette royale, une enfin, du Mercure. Ce fait peut être exact ; mais il se trouve fâcheusement mentionné dans les apocryphes Souvenirs de la marquise de Créquy édition de 1855, pp. 182-184, où tout ce qu'il y a d'indubitablement faux laisse planer de grands doutes sur ce qui pourrait bien être vrai.
Il fut inhumé le 17 novembre dans la grande cave de l'église Saint-Pierre-aux-Bœufs sur l'Île de la Cité avant d'être transféré au cimetière de Clamart à Paris.
Gilbert est mort à l'Hôtel-Dieu, trop tôt sans doute pour se faire un grand nom. Une trépanation, à la suite d'une chute de cheval, l'ayant rendu fou, il avale la clef d'une cassette qui reste accrochée à l'œsophage Journal de médecine, janv. 1781, p. 82. Par une ironie du sort, cette mort insolite l'emporte alors qu'il vient d'attirer sur lui la protection de M. de Beaumont, archevêque de Paris, et celle du roi. On dit, sans jamais l'avoir prouvé, que trois pensions lui étaient échues : une de l'archevêché, une prélevée sur la cassette royale, une enfin, du Mercure. Ce fait peut être exact ; mais il se trouve fâcheusement mentionné dans les apocryphes Souvenirs de la marquise de Créquy, où tout ce qu'il y a d'indubitablement faux laisse planer de grands doutes sur ce qui pourrait bien être vrai.

Il est certain toutefois qu'après plusieurs années de bohème, Gilbert meurt dans une relative aisance. Il loue un appartement, des meubles, et pratique l'équitation, fait peu commun pour l'époque. Quant à son Ode tirée des Psaumes XL, 1780, elle a été composée à Conflans-les-Carrières, dans la résidence de campagne de son protecteur ecclésiastique (elle est publiée dans le Journal de Paris, le 17 octobre), et non huit jours avant sa mort sur son lit d'hôpital, survenue le 16 novembre. Elle n'en demeure pas moins remarquable par des accents élégiaques fort rares dans ce siècle, et qui annoncent Chénier ou Lamartine : Au banquet de la vie, infortuné convive, / J'apparus un jour, et je meurs : / Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j'arrive, / Nul ne viendra verser des pleurs.
Il laisse, selon Van Bever, le souvenir d’un esprit chagrin et d’un génie malheureux

L’émergence d’un mythe

Toutefois, la mort de Gilbert ne signe pas l’oubli définitif de son nom. Il y a plusieurs seuils à passer pour assurer la postérité d’une œuvre ; la mort est un de ces seuils, et c’est bien malgré lui La Harpe qui va d’une manière ou d’une autre, permettre au nom de Gilbert de survivre, et de connaître une certaine fortune littéraire durant tout le siècle qui va suivre. La Harpe, tâchant une fois de plus de ridiculiser le poète, va effectivement rédiger une notice nécrologique qui paraîtra dans le Mercure de France en 1780, puis qu’il intégrera plus tard dans sa Correspondance littéraire, notice dans laquelle il relate dans ses moindres détails, la mort supposée du poète :
"Gilbert s’était logé à Charenton, dans le voisinage de la maison de campagne de M. de Beaumont, archevêque de Paris, car, en sa qualité d’apôtre de la religion, il se croyait obligé de faire sa cour au prélat, qui l’avait, en effet, recommandé à M. de Vergennes, et avait obtenu pour lui une des pensions que le ministre des Affaires étrangères peut prendre sur le privilège qu’il accorde aux papiers politiques. Il était allé chez l’archevêque, qui ne le reçut pas avec toute la distinction qu’il en attendait, et qui le fit manger avec ses secrétaires et ses valets de chambre. Gilbert, déjà mal disposé, fut tellement aigri de cette réception, qu’il rentra chez lui la tête absolument tournée. La fièvre le prit pendant la nuit, et le matin il alla, en chemise et en redingote, demander les sacrements au curé de Charenton, qui l’exhorta vainement à rentrer chez lui. Il courut de là chez l’archevêque, et la plupart des gens de la maison n’étant pas encore levés, il parvint jusqu’à la chambre de ce prélat, se roula par terre comme un possédé, en criant qu’on lui donnât les sacrements, qu’il allait mourir, et que les philosophes avaient gagné le curé de Charenton pour lui refuser les sacrements. L’archevêque, effrayé de ses cris et de ses convulsions, le fit porter à l’Hôtel-Dieu, dans la salle où l’on traite les fous. Là, sa folie ne fit qu’augmenter ; il faisait sa confession à haute voix ; et, comme un autre fou avait la manie de crier les arrêts du parlement, Gilbert criait de son côté que c’était lui qu’on allait pendre. Dans un de ces accès, il avala la clef de sa cassette, qui lui resta dans l’œsophage. Il mourut vingt-quatre heures après, ne pouvant pas être secouru, et s’accusant toujours lui-même, sans qu’il en faille pourtant rien conclure contre lui, car le cri de la folie n’est pas toujours celui de la conscience."
Ce texte, on le voit, nous présente Gilbert agonisant dans les affres de la folie. Ce n’est pas tout ; les détracteurs du poète accuseront le parti anti-philosophe d’avoir laissé mourir de faim leur supposé protégé. Ces légendes qui courent sur la mort de Gilbert sont toutefois fausses. Loin d’avoir agonisé sur un grabat d’hôpital, malheureux, pauvre et affamé comme on tente alors de la faire accroire, le poète, dans les dernières années de sa vie, reçoit plusieurs pensions : 800 livres du roi, 600 livres de Mesdames, 100 écus sur le Mercure de France, 500 livres de l’archevêché. Les dix louis qu'il aurait laissés par testament à un jeune soldat qui n’est autre que Bernadotte sont une légende.
Cette série de fables courant sur la mort du poète, loin de le desservir, lui permettent de passer à la postérité sous le signe du poète maudit, à l’exemple de Chatterton ou de Malfilâtre.

Postérité

De ce fait, Gilbert passe l’épreuve de la mort avec un certain succès, sous l’image du poète malheureux, maudit, rejeté par son siècle. Quoique le poète ait connu une gloire littéraire certaine durant sa vie, grâce à son œuvre satirique, ce sont ses œuvres plus personnelles qui lui assureront de quoi vivre dans les mémoires des siècles suivants, à savoir, Le Poète malheureux, et Les Adieux à la vie. Dès 1819, en effet, le Romantisme, en quête de figure tutélaire, reprend à son compte la part élégiaque de Gilbert, au même titre que la dimension de révolte présente dans l’œuvre de Chénier : les deux noms sont bien souvent associés dans la pensée des Romantiques. De Musset à Flaubert - qui est indéniablement Romantique par ses origines, cf. sa Correspondance, en passant par Vigny il est l’une des trois figures emblématiques du Stello, avec Chatterton et Chénier, ou encore Charles Nodier, Nodier édite les Œuvres complètes de Gilbert en 1826, tous reconnaissent l’influence certes mineure, mais bien présente, du poète dans leur inspiration, et l’âme du mouvement.
Le nom de Gilbert ne tombe définitivement dans l’oubli qu’à l’aube du XXe siècle, où le romantisme lui-même achève de tomber en désuétude.

Hommage

La ville de Fontenoy-le-Château lui a fait ériger une statue. La première statue érigée en 1898 était l'œuvre de la Duchesse d'Uzès. Elle fut retirée, pour être fondue, pendant la seconde guerre mondiale. Une nouvelle statue, l'actuelle, fut érigée en 1953.
Les villes de Nancy et d'Épinal ont donné le nom de Gilbert à une rue et Fontenoy à une place.
Dans les catacombes de Paris, le Sarcophage du Lacrymatoire dit Tombeau de Gilbert porte sur son socle les vers célèbres du poète: Au banquet de la vie, infortuné convive, j' apparus un jour et je meurs...

Œuvres

Les Familles de Darius et d'Hidarne La Haye et Paris, 2 vol., 1770
Début poétique Paris, 1771
Le Poète malheureux, ou Le Génie aux prises avec la fortune Paris, 1772
Le Jugement dernier Paris, 1773
Le Carnaval des auteurs ou les masques reconnus et punis Paris, 1773
Le Siècle (Paris, 1774
Éloge de Léopold, duc de Lorraine 1774
Le Dix-Huitième siècle Paris, 1775
Le Jubilé Paris, 1775
Mon Apologie Amsterdam, 1778
Ode sur la guerre présente, ou Le Combat d'Ouessant Paris, 1778
Ode imitée de plusieurs psaumes, dite Adieux à la vie 1780





b]Le 16 novembre 1780 à Paris à 30 ans meurt Nicolas Joseph Florent Gilbert

né le 15 décembre 1750 dans le sud du Duché de Lorraine à Fontenoy-le-Château, poète lorrain francophone.
Après avoir vainement cherché à faire reconnaître son talent le Génie aux prises avec la fortune ou le Poète malheureux, 1772, il finit par trouver sa voie dans la satire antiphilosophique


En bref

Poète lorrain, Nicolas Gilbert doit une certaine réputation à la légende ou, plutôt, au mythe romantique du poète incompris, victime d'une société égoïste, tel que le représente Vigny dans Stello : on a fait de lui une sorte de Chatterton français. S'il est vrai qu'il est mort jeune, à vingt-neuf ans, il ne faut plus pour autant s'abuser aujourd'hui.
Gilbert naît à Fontenoy-le-Château Vosges, où son père agriculteur, marchand de grains, possède deux petites fermes, tout en exerçant les fonctions de maire 1742. Il fait une partie de ses études au fameux collège de l'Arc, à Dôle, puis il monte à Paris, à la conquête d'une gloire qu'il ne trouvera, de manière posthume, qu'au XIXe siècle. Bien reçu par d'Alembert, auquel il est recommandé par Mme de la Verpillière, femme du prévôt des marchands de Lyon, il aurait sans doute été gagné au parti philosophique, comme son compatriote Saint-Lambert. Il en fut autrement ; Gilbert entra dans le clan des réactionnaires, au côté de Fréron, l'illustre directeur de L'Année littéraire. Il publie, alors qu'il n'a pas vingt ans, un roman passé justement inaperçu, puis son Début poétique 1771. Il participe au concours annuel de l'Académie française, en proposant Le Poète malheureux ou le Génie aux prises avec la fortune 1772, aux épanchements plus ou moins autobiographiques, et une ode consacrée au Jugement dernier 1773, qui se termine par ces vers : L'Éternel a brisé son tonnerre inutile ; -Et, d'ailes et de faux dépouillé désormais, Sur les mondes détruits le temps dort immobile.
Ce sont deux échecs consécutifs le prix étant remporté deux fois par Jean-François La Harpe, fade poète, mais dévoué à la cabale philosophique dans les feuilles du Mercure de France qui sont ressentis par Gilbert comme deux humiliations. Après un séjour à Nancy, il se lance courageusement dans la satire, se montrant digne successeur de Juvénal, Régnier et Boileau, s'en prenant à Voltaire, Diderot, d'Alembert, La Harpe, et dénonçant avec violence, d'abord dans Le Dix-Huitième Siècle 1776 dédié à Fréron, ensuite dans Mon Apologie,1778, la licence de l'athéisme, la corruption des mœurs et la décadence littéraire de son temps : Parlerai-je d'Iris ? chacun la prône et l'aime ; -C'est un cœur, mais un cœur, -c'est l'humanité même. -Si d'un pied étourdi quelque jeune éventé -Frappe, en courant, -son chien qui jappe épouvanté, -La voilà qui se meurt de tendresse et d'alarmes ; -Un papillon souffrant lui fait verser des larmes : -Il est vrai ; mais aussi qu'à la mort condamné, Lalli soit en spectacle à l'échafaud traîné, -Elle ira la première à cette horrible fête -Acheter le plaisir de voir tomber sa tête.

Sa vie

Nicolas Joseph Florent Gilbert naît le 15 décembre 1750 à Fontenoy-le-Château actuellement dans les Vosges. Baptisé le lendemain il a pour marraine Marie Iroy et pour parrain, son grand-père, Nicolas Joseph Florent Blancheville dont il prend les prénoms. Son père, maire de Fontenoy-la-Côte, propriétaire de deux fermes, y exerce le métier de marchand de grains. Son éducation est confiée au curé du village, un jésuite qui, voyant en lui "un esprit apte à être éduqué", lui apprend le latin. Puis le jeune Nicolas part faire ses humanités au collège de l’Arc à Dole.
En 1768, à la mort de son père, il monte à Nancy, ancienne capitale du duché de Lorraine devenu Français en 1766, où il côtoie quelque temps les cercles littéraires. Il fréquente les salons de Darbès et ceux de du comte de Lupcourt et est reçu chez l'avocat Mandel. Il y fait ses débuts, avec un roman persan, les Familles de Darius et d’Éridame ou Statira et Amestris 1770 et quelques pièces poétiques, dont son début poétique, composé de trois héroïdes et, entre plusieurs odes, le Jugement dernier 1773.
Après 1770, il part pour Paris, avec en poche ses premiers vers, ainsi qu’une lettre, signée de Mme de La Verpillière, femme du prévôt des marchands de Lyon et mécène. Cette lettre recommande le jeune poète à D’Alembert. Il semble que D’Alembert, lui ayant promis une place de précepteur, n’honore pas cette espérance, et le reçoit d’ailleurs assez froidement :

Et ce froid d'Alembert, chancelier du Parnasse,
Qui se croit un grand homme et fit une préface

Nicolas Gilbert, Le Dix-huitième siècle

Gilbert se retrouve donc comme tant d’autres, reclus dans une mansarde, à tâcher de vivre de sa plume, misérablement en somme. Il fait publier ses premières pièces en vers en 1771 ; le volume est en butte à l’indifférence générale. Melchior Grimm écrit dans sa Correspondance littéraire : "M. Gilbert a donné, il y a quelque temps, un Début poétique qui n’a été lu de personne."
Il présente successivement en 1772, puis en 1773, deux pièces au concours de l’Académie française. Son œuvre Le Poète malheureux, emplie d’accents élégiaques, non dénuée d’un certain talent ou en tout cas, d’une certaine sensibilité, n’obtient pas même une mention ; c’est Jean-François de La Harpe, directeur du Mercure de France, qui reçoit le prix.
Sa deuxième pièce, L’Ode du Jugement Dernier, subit le même sort. Gilbert en concevra alors une haine certaine pour La Harpe en particulier, ainsi que pour les encyclopédistes, voire les philosophes en général, qui tiennent tout le Parnasse littéraire français : ainsi nomme-t-on à ce moment l’élite des écrivains. De son côté, La Harpe n’aura de cesse de tenir en mépris tout ce que produira Gilbert.
Probablement en 1774, par l’entremise de Baculard d’Arnaud, Gilbert rencontre Élie Fréron, qui dirige l'Année littéraire, pendant du Mercure de France. Gilbert assiste probablement à des dîners organisés par Fréron et s’engage à ses côtés, sans doute par rancœur envers le milieu littéraire parisien dans un premier temps. Grâce à la recommandation de Fréron, Gilbert obtint les faveurs de l’archevêché et plusieurs pensions, dont une du roi.

François de Neufchateau dans son poème Les Vosges, consacre une strophe à son compatriote :

Au rang des bons esprits dont j'exhume la gloire,
Dois-je placer Gilbert ? Parmi nous étant né
Du Dernier Jugement ce chantre infortuné,
L'indigence altéra son cerveau pindarique;
Il vendit au clergé sa plume satirique
Du talent le plus rare, ô malheureux emploi !
Sa muse, fléchissant sous cette affreuse loi,
Contre la raison même abuse de ses armes;
Mais ses derniers adieux nous font verser des larmes.

François de Neufchateau, 'Les Vosges'

En 1775 paraît sa première pièce majeure, qui marque son temps. C’est une satire en vers, Le Dix-huitième siècle, qui donne la caricature féroce de son temps ; la philosophie y est le principe de la chute des arts, de la perte des mœurs. Tout y est matière à charge — nous sommes bien dans une satire — : la bourgeoisie, la noblesse, le clergé libertin ; la littérature du moment y est passée au peigne fin. À la fin de la satire, le nom honni paraît enfin : Voltaire. Le Dix-huitième siècle est véritablement à sa parution, et pour reprendre une expression de Huysmans, un météore dans le champ littéraire de l’époque ; il n’est en effet pas vraiment de bon ton de se moquer de ceux qui sont à l’origine du Progrès, et pensionnés par les plus grandes têtes couronnées d’Europe. La critique se déchaîne, mais Grimm verra tout de même la marque d’un certain talent chez Gilbert. Vivement critiqué ou applaudi, il est indéniable qu’à partir de 1775, le jeune poète est une figure reconnue de la littérature en cette fin d’Ancien Régime.
C’est dans le genre satirique que Gilbert fera au reste fortune, durant le peu d’années qu’il lui reste à vivre. En 1776 — année de la mort de Fréron et de la reprise de l'Année littéraire par son fils —, paraît une Diatribe sur les prix académiques. Le poète n’a en effet pas oublié ses cuisants échecs aux prix de l’Académie quelques années auparavant, et fustige dans cette pièce en prose la teneur fade des œuvres primées au concours. Puis il fait publier en 1778 une défense de la satire, Mon apologie, dialogue en vers entre un philosophe nommé Psaphon, et Gilbert lui-même mis en scène ; c’est son deuxième succès du genre.
Peu avant sa mort, il écrit une Ode inspirée de plusieurs psaumes, plus généralement connue sous le nom d'Adieux à la vie, un poème dont la thématique pré-romantique sera reprise par Alfred de Vigny dans Stello et Chatterton.
Le 24 octobre 1780, après une chute de cheval qui occasionne une blessure à la tête Gilbert est conduit à l'Hôtel-Dieu de Paris. Suite de l’opération du trépan, l'ayant rendu fou, il avale la clef d'une cassette qui reste accrochée à l'œsophage Journal de médecine, janv. 1781, p. 82. il meurt le 16 novembre à seulement 29 ans, après, comme nous venons de le voir, avoir avalé une clé dans une crise de délire, anecdote qui, chargée pour beaucoup d’une très riche symbolique, vaudra par exemple à Toulet ce vers : Mourir comme Gilbert en avalant sa clé. Par une ironie du sort, cette mort insolite l'emporte alors qu'il vient d'attirer sur lui la protection de M. de Beaumont, archevêque de Paris, et celle du roi. On dit, sans jamais l'avoir prouvé, que trois pensions lui étaient échues : une de l'archevêché, une prélevée sur la cassette royale, une enfin, du Mercure. Ce fait peut être exact ; mais il se trouve fâcheusement mentionné dans les apocryphes Souvenirs de la marquise de Créquy édition de 1855, pp. 182-184, où tout ce qu'il y a d'indubitablement faux laisse planer de grands doutes sur ce qui pourrait bien être vrai.
Il fut inhumé le 17 novembre dans la grande cave de l'église Saint-Pierre-aux-Bœufs sur l'Île de la Cité avant d'être transféré au cimetière de Clamart à Paris.
Gilbert est mort à l'Hôtel-Dieu, trop tôt sans doute pour se faire un grand nom. Une trépanation, à la suite d'une chute de cheval, l'ayant rendu fou, il avale la clef d'une cassette qui reste accrochée à l'œsophage Journal de médecine, janv. 1781, p. 82. Par une ironie du sort, cette mort insolite l'emporte alors qu'il vient d'attirer sur lui la protection de M. de Beaumont, archevêque de Paris, et celle du roi. On dit, sans jamais l'avoir prouvé, que trois pensions lui étaient échues : une de l'archevêché, une prélevée sur la cassette royale, une enfin, du Mercure. Ce fait peut être exact ; mais il se trouve fâcheusement mentionné dans les apocryphes Souvenirs de la marquise de Créquy, où tout ce qu'il y a d'indubitablement faux laisse planer de grands doutes sur ce qui pourrait bien être vrai.

Il est certain toutefois qu'après plusieurs années de bohème, Gilbert meurt dans une relative aisance. Il loue un appartement, des meubles, et pratique l'équitation, fait peu commun pour l'époque. Quant à son Ode tirée des Psaumes XL, 1780, elle a été composée à Conflans-les-Carrières, dans la résidence de campagne de son protecteur ecclésiastique (elle est publiée dans le Journal de Paris, le 17 octobre), et non huit jours avant sa mort sur son lit d'hôpital, survenue le 16 novembre. Elle n'en demeure pas moins remarquable par des accents élégiaques fort rares dans ce siècle, et qui annoncent Chénier ou Lamartine : Au banquet de la vie, infortuné convive, / J'apparus un jour, et je meurs : / Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j'arrive, / Nul ne viendra verser des pleurs.
Il laisse, selon Van Bever, le souvenir d’un esprit chagrin et d’un génie malheureux

L’émergence d’un mythe

Toutefois, la mort de Gilbert ne signe pas l’oubli définitif de son nom. Il y a plusieurs seuils à passer pour assurer la postérité d’une œuvre ; la mort est un de ces seuils, et c’est bien malgré lui La Harpe qui va d’une manière ou d’une autre, permettre au nom de Gilbert de survivre, et de connaître une certaine fortune littéraire durant tout le siècle qui va suivre. La Harpe, tâchant une fois de plus de ridiculiser le poète, va effectivement rédiger une notice nécrologique qui paraîtra dans le Mercure de France en 1780, puis qu’il intégrera plus tard dans sa Correspondance littéraire, notice dans laquelle il relate dans ses moindres détails, la mort supposée du poète :
"Gilbert s’était logé à Charenton, dans le voisinage de la maison de campagne de M. de Beaumont, archevêque de Paris, car, en sa qualité d’apôtre de la religion, il se croyait obligé de faire sa cour au prélat, qui l’avait, en effet, recommandé à M. de Vergennes, et avait obtenu pour lui une des pensions que le ministre des Affaires étrangères peut prendre sur le privilège qu’il accorde aux papiers politiques. Il était allé chez l’archevêque, qui ne le reçut pas avec toute la distinction qu’il en attendait, et qui le fit manger avec ses secrétaires et ses valets de chambre. Gilbert, déjà mal disposé, fut tellement aigri de cette réception, qu’il rentra chez lui la tête absolument tournée. La fièvre le prit pendant la nuit, et le matin il alla, en chemise et en redingote, demander les sacrements au curé de Charenton, qui l’exhorta vainement à rentrer chez lui. Il courut de là chez l’archevêque, et la plupart des gens de la maison n’étant pas encore levés, il parvint jusqu’à la chambre de ce prélat, se roula par terre comme un possédé, en criant qu’on lui donnât les sacrements, qu’il allait mourir, et que les philosophes avaient gagné le curé de Charenton pour lui refuser les sacrements. L’archevêque, effrayé de ses cris et de ses convulsions, le fit porter à l’Hôtel-Dieu, dans la salle où l’on traite les fous. Là, sa folie ne fit qu’augmenter ; il faisait sa confession à haute voix ; et, comme un autre fou avait la manie de crier les arrêts du parlement, Gilbert criait de son côté que c’était lui qu’on allait pendre. Dans un de ces accès, il avala la clef de sa cassette, qui lui resta dans l’œsophage. Il mourut vingt-quatre heures après, ne pouvant pas être secouru, et s’accusant toujours lui-même, sans qu’il en faille pourtant rien conclure contre lui, car le cri de la folie n’est pas toujours celui de la conscience."
Ce texte, on le voit, nous présente Gilbert agonisant dans les affres de la folie. Ce n’est pas tout ; les détracteurs du poète accuseront le parti anti-philosophe d’avoir laissé mourir de faim leur supposé protégé. Ces légendes qui courent sur la mort de Gilbert sont toutefois fausses. Loin d’avoir agonisé sur un grabat d’hôpital, malheureux, pauvre et affamé comme on tente alors de la faire accroire, le poète, dans les dernières années de sa vie, reçoit plusieurs pensions : 800 livres du roi, 600 livres de Mesdames, 100 écus sur le Mercure de France, 500 livres de l’archevêché. Les dix louis qu'il aurait laissés par testament à un jeune soldat qui n’est autre que Bernadotte sont une légende.
Cette série de fables courant sur la mort du poète, loin de le desservir, lui permettent de passer à la postérité sous le signe du poète maudit, à l’exemple de Chatterton ou de Malfilâtre.

Postérité

De ce fait, Gilbert passe l’épreuve de la mort avec un certain succès, sous l’image du poète malheureux, maudit, rejeté par son siècle. Quoique le poète ait connu une gloire littéraire certaine durant sa vie, grâce à son œuvre satirique, ce sont ses œuvres plus personnelles qui lui assureront de quoi vivre dans les mémoires des siècles suivants, à savoir, Le Poète malheureux, et Les Adieux à la vie. Dès 1819, en effet, le Romantisme, en quête de figure tutélaire, reprend à son compte la part élégiaque de Gilbert, au même titre que la dimension de révolte présente dans l’œuvre de Chénier : les deux noms sont bien souvent associés dans la pensée des Romantiques. De Musset à Flaubert - qui est indéniablement Romantique par ses origines, cf. sa Correspondance, en passant par Vigny il est l’une des trois figures emblématiques du Stello, avec Chatterton et Chénier, ou encore Charles Nodier, Nodier édite les Œuvres complètes de Gilbert en 1826, tous reconnaissent l’influence certes mineure, mais bien présente, du poète dans leur inspiration, et l’âme du mouvement.
Le nom de Gilbert ne tombe définitivement dans l’oubli qu’à l’aube du XXe siècle, où le romantisme lui-même achève de tomber en désuétude.

Hommage

La ville de Fontenoy-le-Château lui a fait ériger une statue. La première statue érigée en 1898 était l'œuvre de la Duchesse d'Uzès. Elle fut retirée, pour être fondue, pendant la seconde guerre mondiale. Une nouvelle statue, l'actuelle, fut érigée en 1953.
Les villes de Nancy et d'Épinal ont donné le nom de Gilbert à une rue et Fontenoy à une place.
Dans les catacombes de Paris, le Sarcophage du Lacrymatoire dit Tombeau de Gilbert porte sur son socle les vers célèbres du poète: Au banquet de la vie, infortuné convive, j' apparus un jour et je meurs...

Œuvres

Les Familles de Darius et d'Hidarne La Haye et Paris, 2 vol., 1770
Début poétique Paris, 1771
Le Poète malheureux, ou Le Génie aux prises avec la fortune Paris, 1772
Le Jugement dernier Paris, 1773
Le Carnaval des auteurs ou les masques reconnus et punis Paris, 1773
Le Siècle (Paris, 1774
Éloge de Léopold, duc de Lorraine 1774
Le Dix-Huitième siècle Paris, 1775
Le Jubilé Paris, 1775
Mon Apologie Amsterdam, 1778
Ode sur la guerre présente, ou Le Combat d'Ouessant Paris, 1778
Ode imitée de plusieurs psaumes, dite Adieux à la vie 1780

[/b]










Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l



[img width=600]http://t0.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcTfrkGHA0tEg7uTf8hfw0Bvloiz6KNJ4hqvM0i686xtyfKLgdF53q9Kpd6mGg[/img]

Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



#252 Charles Maurras 1
Loriane Posté le : 16/11/2014 18:06
Le 16 novembre 1952 meurt Charles Marie Photius Maurras
Cliquez pour afficher l


à 84 ans, à Saint-Symphorien-lès-Toursné le 20 avril 1868 à Martigues Bouches-du-Rhône, journaliste, essayiste, homme politique et poète de langue française etprovençale, théoricien du nationalisme intégral, du mouvement néoclassicisme, positivisme et royaliste auteur de poésie, essais et pamphlets il est membre de l'académie Française au fauteuil 16, on parle de style maurassien ou maurassienne. Ses Œuvres principales sont
Enquête sur la monarchie en 1900, Anthinéa en 1901, Kiel et Tanger en 1910, Mes idées politiques en 1937, L'ordre et le désordre en 1948
Écrivain provençal appartenant au Félibrige et agnostique dans sa jeunesse, il se rapproche ensuite des catholiques et dirige le journal L'Action française, fer de lance du mouvement Action française, autour de Léon Daudet, Jacques Bainville, et Maurice Pujo. Nationaliste et contre-révolutionnaire, l'Action française prône alors une monarchie héréditaire, antiparlementaire et décentralisée, mais également un antisémitisme d'État et devient le principal mouvement intellectuel et politique d'extrême droite sous la Troisième République.


En bref

Arrivant à Paris, après de brillantes études au collège religieux d'Aix, le jeune Charles Maurras, d'une famille de petite bourgeoisie provençale, débute obscurément dans le journalisme. Quatre ans plus tard, dans la royaliste Gazette de France, il fera vraiment ses premières armes ; mais de dix-huit à vingt-deux ans, ce qui le préoccupe surtout c'est la foi religieuse perdue et la fascination de la Grèce antique ; c'est, avant la lettre, son Pascal puni et son Voyage d'Athènes 1898.
Esthète, il fréquente bientôt les milieux intellectuels de la capitale, et se mêlent à ses propres réflexions les influences du dilettantisme de Renan, du pessimisme de Schopenhauer, du déterminisme de Taine. Mais d'autres maîtres vont agir sur lui : ce sont, après Anatole France qui endurcit son paganisme, Barrès qui le sensibilise au sens de la patrie, et Mistral qui stimule son amour du terroir et dont le jeune Maurras ne peut oublier l'action politique, tant à propos du régionalisme qu'à propos du choix monarchie-république à la suite de la chute du second Empire.
Le positivisme de Comte permet enfin à l'agnostique de définir un ordre moral et politique en dehors de toutes références religieuses. Enfin Maistre et Bonald apportent des arguments à son traditionalisme, cependant que Le Play et La Tour du Pin précisent ses idées sociales et familiales.
L'année 1895 est décisive pour Maurras. C'est celle de son voyage en Grèce d'où il rapportera Anthinéa, ouvrage que Maurras considérait comme fondamental pour l'expression de sa pensée politique, philosophique, esthétique et où il exprime ce que devrait être pour lui l'ordre du monde ; les premières éditions étant épuisées, Anthinéa fut réédité en 1919 après que l'auteur, pour éviter de compromettre le rapprochement de l'Action française et des catholiques, en eut retiré environ quatre pages, jugées violemment antireligieuses. Plus tard, il en tirera sa critique du romantisme, Barbarie et poésie 1925, Un débat sur le romantisme 1928 ; c'est aussi en 1895 que débute l'affaire Dreyfus qui aura pour Maurras des conséquences marquant l'essentiel de sa pensée politique ; à savoir que l'individu ne doit pas primer l'État, qu'il ne le peut qu'en démocratie et que, pour restaurer l'autorité de l'État, il faut à celui-ci la durée et l'unité de commandement, soit l'hérédité et la monarchie. C'est alors L'Enquête sur la monarchie 1901 qui définit un royalisme à la fois traditionnel et nouveau dans la ligne de la revue L'Action française, fondée par Pujo et Vaugeois en 1899 pour l'institution d'une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée .
Royalisme nouveau parce que Maurras, fidèle à sa pensée philosophique, ne croit pas au droit divin des rois. S'il prône la monarchie héréditaire, c'est que l'éducation lui semble primordiale dans la formation d'un roi comme dans celle d'un artisan ou d'un diplomate et quelle meilleure éducation que celle de la famille et du milieu ? Il s'agit en quelque sorte d'une famille de spécialistes, comme devrait l'être l'ensemble des familles françaises pour un meilleur rendement humain. Les théories monarchistes de Maurras trouvent une large part de leur fondement dans le scientisme, dans le positivisme de son maître à penser, Auguste Comte.
Désormais, la vie de Maurras est toute vouée à son activité de journaliste politique, surtout à partir de 1908, où, devenue un quotidien, L'Action française ne cessera de développer, et généralement sous la forme de violentes polémiques, la philosophie et la doctrine de son chef. Les principales étapes furent les suivantes : en politique extérieure, le journal est résolument germanophobe et mène une campagne pour la revanche de 1870, puis, après 1914, contre les traités de Versailles, jugés trop favorables à l'Allemagne, et contre le briandisme estimé trop européen ; en 1935, il milite pour une entente avec Mussolini, ensuite en faveur de Franco et des accords de Munich, en s'opposant, en 1939, à l'idée d'une guerre dont Maurras affirme l'impréparation. En 1940, quittant Paris pour Lyon, où il poursuit son œuvre de journaliste contre les dissidents de Londres et les collaborateurs de Paris, il s'attache à la politique de Pétain en qui il reconnaît l'homme d'État selon ses vœux. En politique intérieure, les attaques maurrassiennes ont deux cibles qui se confondent : la République d'une part, les juifs et les francs-maçons de l'autre, deux aspects du même dragon que le royaliste doit combattre sans merci et par tous les moyens.
Son talent littéraire donne à ses ouvrages théoriques une grande influence dans les milieux cultivés et conservateurs de France, et ses qualités de polémiste lui assurent une réelle audience dans d'autres, comme l'Académie française à laquelle il est élu le 9 juin 1938. Outre Léon Daudet et Jacques Bainville, Maurras compta parmi ses soutiens des intellectuels comme Georges Bernanos, Jacques Maritain, Thierry Maulnier, Philippe Ariès, Raoul Girardet et la droite littéraire de l'après-guerre Roger Nimier, Jacques Laurent, Michel Déon, Antoine Blondin en fut proche. Avec plus de dix mille articles publiés entre 1886 et 1952, il fut le journaliste politique et littéraire le plus prolifique de son siècle4.
Maurras soutint le régime de Vichy, ce qui lui valut d'être condamné pour intelligence avec l'ennemi à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale, le 28 janvier 1945. De cette dernière condamnation découla son exclusion automatique de l'Académie française qui attendit cependant son décès pour procéder à son remplacement. Il meurt en 1952.
Son image de théoricien d'un mouvement politique, due aux traditions savantes et à lui-même, a parfois masqué sa complexité originelle, quand il était un littérateur bohème lié aux avant-gardes, ayant une œuvre et des modes d'action très diversifiés.

Sa vie

En 1868, le 20 avril, naît à Martigues, au 13 quai Saint-Sébastien, Charles Marie Photius Maurras, en Provence. Il est le second fils de Jean Aristide Maurras 1811-1874, un percepteur aux convictions libérales, et de Marie, née Garnier, son épouse, profondément catholique. Ce couple de condition assez modeste se fait apprécier par les aides qu'il prodigue aux plus pauvres. Quelques mois avant la naissance de Charles, ils ont perdu leur premier fils, Romain, âgé de deux ans.
En 1872, la naissance de François Joseph Emile permet d'agrandir la famille. La famille Maurras s'est installée à Martigues au XVIIe siècle ; elle était originaire du pays gavot Haut Var, au sud de Gréoulx, près de Saint-Julien-le-Montagnier.
En 1873, Charles est mis à l'école communale : sa famille est épatée par sa vivacité, ses dons et sa capacité à réciter l'histoire sainte et l'histoire romaine mais il est réprimandé quand il rapporte du provençal à la maison. Charles Maurras écrira que s'il lui était donné de revivre une période de se vie, ce serait sa petite enfance.
Le 3 janvier 1874, il devient orphelin de père10. À six ans, Charles part vivre avec sa mère et son petit frère à Aix-en-Provence.
En octobre 1876, Charles entre en classe de huitième au collège catholique, à Aix-en-Provence, rue Lacépède. À la fin de la septième, il obtient onze prix et pendant quatre ans, il remporte le premier prix de latin.
En 1879, promu élève d'honneur, il reçoit le premier prix d'instruction religieuse mais ce n'est pas un élève sage et il a souvent des sautes d'humeur. Malhabile en mathématiques et en anglais, le latin et le grec le ravissent. Au collège, il se lie avec Xavier de Magallon, auquel le lie une passion pour la poésie et Alfred de Musset, puis il s'enthousiasme pour Frédéric Mistral.
À quatorze ans, il est, soudain, atteint de surdité, cela dégrade aussi ses capacités vocales. Désespéré, le jeune Charles voit s'effondrer tous ses projets, dont celui d'entrer à l'École navale comme le père de sa mère. L'abbé Jean-Baptiste Penon, futur évêque de Moulins et premier latiniste et helléniste du diocèse, propose à Mme Maurras d'aider son fils et celui-ci dira que cette offre spontanée fut la grande bénédiction de sa vie. L'abbé Penon donne des cours particuliers au jeune Charles, ce qui lui permet de revenir parfois au collège pour des cours de rhétorique et philosophie. Alors que Maurras est en révolte contre sa surdité, la lecture de Pascal, qu'il assimile au dolorisme, contribue à lui faire perdre la foi. La perte de la foi et sa surdité le désespèrent et le conduisent à une tentative de suicide qui échouera et n'est connue que par des témoignages indirects.
En 1884, il se raccroche progressivement à la vie et est désigné par ses maîtres, avec quelques-uns de ses amis et condisciples, pour donner des conférences organisées au collège du Sacré-Cœur : Charles Maurras y prononce sa première conférence, qui est aussi son premier texte publié, sur saint Thomas d'Aquin étudiant et lecteur de l'Université à Paris23. La même année, il est reçu – avec mention – à son premier baccalauréat, en 1884, où il excelle en latin et en grec. Il approfondit alors ses lectures philosophiques, s'intéresse à Hippolyte Taine et Ernest Renan qui, pourtant éloignés des milieux cléricaux, remettent en cause l'héritage révolutionnaire et les vagues d'idéalisme qui ont conduit plusieurs fois la France à la défaite et à la Terreur depuis la Révolution.
En 1885, après un échec au second baccalauréat en juillet du fait d'une copie de philosophie jugée trop thomiste, Charles Maurras est admis en novembre de la même année avec la mention Bien : il est reçu en premier en sciences et en philosophie25. L’abbé Penon incite Charles Maurras à monter à Paris car il souhaite l’introduire dans les revues et journaux qu’il connaît, ce qui amène la famille Maurras à quitter Martigues et à s'installer à Paris le 2 décembre 1885.

Période de formation avant l'Action française

Avant la création de l'Action française, Charles Maurras approfondit ses questionnements métaphysiques, s'implique dans la vie littéraire et enrichit sa réflexion politique tout en se lançant dans le journalisme.
Réflexion philosophique
Charles s’inscrit en histoire à la faculté des lettres de Paris, rencontre l’historien orléaniste Paul Thureau-Dangin mais ne peut suivre les cours du fait de son infirmité. En revanche, il se montre un bourreau de travail : lectures innombrables à la bibliothèque Sainte-Geneviève, à l’Arsenal, à la Sorbonne, annotations et rédactions d’articles, perfectionnement de son latin, notamment pour éviter les traductions de Lucrèce en alexandrins qui lui font mal à force de le faire rire.
Maurras écrit dans La Réforme sociale, revue conduite par le sociologue Frédéric Le Play, qui développe une analyse de la société moderne critiquant l’individualisme et prônant des idées corporatistes et familiales dans l’esprit des encycliques papales ; il écrit également pendant cinq ans dans les Annales de philosophie chrétienne, revue dont l’ambition est de combiner la théologie du Docteur Angélique et les idées modernes issues de Lamennais. Entre 1886 et 1888, il collabore au Polybiblion littéraire pour des comptes-rendus d’ouvrages sociologiques ; à partir de l'automne 1886, il rédige aussi le feuilleton bibliographique, Les livres de la semaine de L’Instruction publique, revue de l’enseignement supérieur d’inspiration conservatrice et libérale jusqu’en 1890.
La tournure de sa pensée est encouragée par l’atmosphère intellectuelle du temps qui oscille entre le déterminisme kantien et le pessimisme de Schopenhauer. Il affirme : Le nœud de tous les doutes peut être tranché en un point : en résolvant les problèmes de causalité. ... L’unique mobile de ma vie est l’espoir de rencontrer la vérité.
Entre 1886 et 1889, son questionnement philosophique s'amplifie comme le dialogue épistolaire entre le jeune homme et l’abbé Penon qui tente de le guider vers l’aperception de l’origine divine de la causalité première mais Maurras bute sur la substitution des témoignages de la tradition chrétienne aux preuves rationnelles. Il reconnaît être troublé par la philosophie kantienne de la connaissance ; tout en admirant la méthode géométrique de saint Thomas, il qualifie d’ enfantine la théorie scolastique de la connaissance. Charles Maurras dialogue avec l’abbé Huvelin, vicaire de l’église Saint-Augustin, animal convertisseur selon l’expression de Pierre Boutang, avec des amis séminaristes, avec des philosophes catholiques comme Maurice Blondel et Léon Ollé-Laprune qui ont apprécié ses articles ; mais son exigence de la certitude scientifique empêche Maurras de rencontrer la foi : tiraillé entre le travail de la raison et le désir de certitude religieuse, son agnosticisme se renforce. Ne trouvant pas la foi, Charles Maurras trouve la paix intellectuelle dans la distraction de la littérature car la poésie l’éblouit et dans la méthode positiviste car l’histoire et la philosophie le passionnent.

Activité littéraire

En 1886, Maurras découvre Mistral dans le texte ; il rêve de constituer une anthologie de poésie et de prose provençales et commence un travail de documentation dans ce but33.
En 1887, se définissant comme un pur contemplatif et un solitaire dans le goût sinon de l'école de Spinoza et s'investit dans La Réforme sociale avec pas moins de cent soixante-dix articles jusqu'en juin 1891. Le 23 décembre 1887, il entre au quotidien catholique L’Observateur français dont il deviendra secrétaire de rédaction en octobre 1888 et auquel donnera cent-soixante quatorze articles mais cette grande activité ne fait refluer son amour et sa nostalgie de la Provence. Très vite, le jeune homme rencontre des félibres comme Paul Arène et Albert Tournier.
En 1888, il obtient le prix du Félibrige pour un éloge du poète provençal Théodore Aubanel, il devient membre de cette académie qui s’est fixée comme objectif la restauration de la langue et de la culture d’oc. Durant l’été de la même année, il fait la connaissance de son compatriote Frédéric Mistral, puis, en décembre, du Lorrain Maurice Barrès. À l'âge de vingt ans, il est un des membres les plus influents du Félibrige. Pétri de culture classique Virgile, Lucrèce, Racine et moderne Musset, Lamartine, Mistral, le jeune Maurras éprouve aussi un amour infini pour sa Provence natale.
En 1889, il rencontre Frédéric Amouretti lors des Fêtes félibréennes de Sceaux et devient le secrétaire du Félibrige de Paris. Il publie son premier ouvrage, consacré à Aubanel et devient journaliste littéraire.
En 1890, il rencontre Jean Moréas et devient le théoricien de l'École romane, fondée par le poète du Pèlerin passionné, prônant un néo-classicisme peu enclin à l'académisme. Maurras cherchera à rapprocher félibres et poètes romans. La même année, il ébauche un vaste chant épique de trois mille alexandrins, rassemblés sous le titre de Théocléa et inspiré par la figure de Pythagore en qui il voit le plus grand moraliste de l'Antiquité. Il se lie d'amitié à Anatole France, ce qui contribue au renforcement de son agnosticisme. Il travaille avec ses amis à faire connaître les poètes provençaux au public parisien et à établir des ponts entre symbolisme et provençalisme, notamment en travaillant à un numéro spécial de La Plume.
En 1891, il consacre son deuxième essai critique au poète Jean Moréas, le chef de file de l’École romane, qui lui a été présenté l’année précédente. Il prépare également un court traité visant à établir une doctrine de vivre et de mourir, La Merveille du monde, qui ramasse la recherche philosophique du jeune Maurras mais ne l'achève pas.
Au début de 1892, il rédige la déclaration des Jeunes Félibres fédéralistes qui, soutenue par Mistral, est lue par Frédéric Amouretti. Il ne s’agit plus seulement de défendre culturellement la Provence, mais d’engager une politique de haute lutte qui vise à donner un destin à cette terre et à son peuple.
En 1894, Maurras publie Le Chemin de paradis, mythes et fabliaux.
Jusqu'en 1898, c'est dans la Revue encyclopédique que Maurras livre la plupart de ses articles littéraires : il chronique ainsi les œuvres de Paul Bourget, Jules Lemaitre, Jean Psichari, Willy, Jules Tellier, Gabriele D'Annunzio, Paul Adam, Tristan Bernard, Marcel Schwob, Frédéric Plessis, Jean de Tinan, Remy de Gourmont, Stuart Merrill, Jean Moréas, Hugues Rebell, Pierre Louÿs, Marcel Proust, Henri de Régnier, Pierre Quillard… Dans un article du 1er janvier 1895 de la Revue encyclopédique, le jeune Martégal, qui a lu et analysé l'œuvre de Verlaine, décèle dans les écrits de l’ancien décadent un retour vers le classicisme qu’il salue et contextualise

Évolution politique

Avant sa conversion au monarchisme en 1896, la réflexion politique de Charles Maurras se développe progressivement. De 1885 à 1889, Charles Maurras ne s'intéresse qu'à la philosophie mais le centenaire de la Révolution et le boulangisme qu'il soutient du bout des lèvres ainsi que des recherches historiques en Provence le conduisent à centrer sa réflexion sur la politique.
En 1889, lors du centenaire de la Révolution française, une ébullition historique et philosophique contraste avec la célébration officielle ; des penseurs de différentes tendances, monarchistes, libéraux, conservateurs, catholiques, positivistes mènent une réflexion critique sur les principes revendiquées par la République et qui selon eux menacent le destin français : Ernest Renan affirme que le jour où la France a coupé la tête de son roi, elle a commis un suicide, Edmond Scherer analyse les limites de la démocratie, Émile Montégut parle de la banqueroute de la Révolution. Colloques, publications, débats dans la presse marquent l'anticentenaire intellectuel auquel Maurras participe en suggérant aux hommes les plus intelligents après les cris de triomphe officiels, de douloureux examens de conscience. Charles Maurras, ancien rédacteur de La Réforme sociale fonde sa critique de la Révolution en suivant les développements de l'école de Frédéric Le Play : elle dresse un bilan négatif de la révolution en défendant un programme fondé sur la famille, la hiérarchie sociale, la commune, la participation des citoyens à leur administration, l'indépendance du gouvernement par rapport aux divisions de l'opinion.
De fait, s'il est hostile à la Révolution, il est encore républicain et concède que la République est le meilleur gouvernement pour la France. Il fonde alors sa critique de la philosophie politique de Jean-Jacques Rousseau sur les analyses de Pierre Laffitte qui en soulignent les contradictions plus que sur les théories de Louis de Bonald et de Joseph de Maistre.
Cependant, il est fondamentalement attaché à la décentralisation : en août 1889, se rendant aux archives de Martigues pour une analyse des documents remontant à cent ans en arrière, il découvre les systèmes coutumiers et empiriques, des mécanismes de protection sociale et de solidarité, servant de relais et de protection entre l'individu et l'État central, certains obsolètes mais d'autres utiles et vivaces. Pour Maurras, avec la centralisation, la République n'a pas fait des Français des citoyens mais des administrés. Il développe à l'opposé de l'image de l'historiographie révolutionnaire d'un roi au pouvoir illimité, une image paternelle nourrie de bienveillance et de savoir-faire au sommet d'un État fort mais limité.
En 1894, se rapproche du nationalisme en collaborant à la La Cocarde de Maurice Barrès.
En 1895, Maurras amorce sa conversion au principe monarchique, suivant une démarche intellectuelle se combinant avec le respect pour la personne du comte de Paris. Jusque là il s'est accommodé d'un sentiment politique conservateur, acceptant volontiers de travailler avec des démocrates et des socialistes. Son patriotisme est viscéral, mais cela ne constitue pas une originalité, la gauche de l'époque articulant généralement le discours sur la justice sociale avec l'impératif patriotique et les austères valeurs républicaines50. L'échec de la décentralisation dans le cadre républicain, l'inefficacité du régime parlementaire dans le domaine primordial de la politique étrangère face au danger allemand, l'admiration qu'il porte comme homme d'ordre et de tradition pour le système britannique qui a établi l'équilibre politique et social du peuple de Grande-Bretagne, la lecture de Démosthène et du rôle de la démocratie dans l'effondrement de la Grèce, constituent autant de thèmes de réflexion qui l'inclinent au royalisme en 1895. Il accepte alors de collaborer au journal royaliste Le Soleil.
Du 8 avril au 3 mai 1896, La Gazette de France le charge de couvrir comme reporter les premiers jeux Olympiques modernes, à Athènes. Se basant sur les exemples allemands et anglais, il en revient convaincu que le régime monarchique rend plus fortes les nations qui l'adoptent.

Naissance de l'Action française

En avril 1898, Henri Vaugeois et Maurice Pujo fondent un « Comité d'Action française », qui ne compte aucun royaliste et vise en prévision des élections à ranimer l'esprit de 1875 en instaurant une République patriote conforme au nationalisme originel de la révolution ; républicains, ils avaient participé à l'union pour l'Action morale de Paul Desjardins, groupement d'inspiration kantienne, attaché à faire triompher la morale et la vertu dans les affaires publiques ; Vaugeois se veut l'héritier consciencieux du républicanisme révolutionnaire, auquel le relie la mémoire de son grand-oncle conventionnel ; Maurras rejoint ce groupe même s'il aurait préféré le nom d'intérêt commun à celui d'Action française, moins poignant mais plus précis.
En septembre 1898, Maurras se range dans le camp des antidreyfusards, participant à la campagne contre le capitaine Alfred Dreyfus. Il fait l'éloge d'Hubert Henry, qui avait fabriqué plusieurs faux pour faire croire à la culpabilité du capitaine Dreyfus. Revenant sur l'Affaire Dreyfus en 1930, Maurras dira : Je ne veux pas rentrer dans le vieux débat, innocent ou coupable. Mon premier avis là-dessus avait été que, si Dreyfus était innocent, il fallait le nommer maréchal de France, mais fusiller une douzaine de ses principaux défenseurs pour le triple tort qu'ils faisaient à la France, à la paix et à la raison. Il avait écrit en décembre 1898 à Maurice Barrès : Le parti de Dreyfus mériterait qu'on le fusillât tout entier comme insurgé. Léon de Montesquiou rappellera le rôle crucial de l'Affaire Dreyfus dans la naissance de l'Action française qui s'était fixé comme objectif de lutter contre la trahison, non pas tant la trahison de Dreyfus que celle des Dreyfusards. Il s'agit pour l'Action française de défendre l'armée comme première condition de vie du pays et des hommes qui le composent contre une justice qui lui porterait tort. Pour Maurras, l'Affaire et la mise en cause de l'armée nuisent à la préparation d'une guerre inévitable, où il s'agit de retrouver des provinces perdues ; cette polémique ferait perdre de vue au pays le réalisme politique dans un contexte international menaçant. Maurras prétend ainsi défendre la raison d'État en soutenant l'armée coûte que coûte pour éviter le désastre d'une nouvelle guerre perdue contre l'Allemagne. Il affirme les lois d'un réalisme politique fondé sur un mélange de machiavélisme raisonné et de froide prudence car, selon lui, la confusion entre morale et politique peut engendrer des tragédies pires que les injustices qu'elle prétend corriger. Maurras combat moins le capitaine Dreyfus comme personne que le dreyfusisme comme courant d'opinion qui fragiliserait un pays entouré de grands carnassiers.
En janvier 1899, Maurras rencontre ce groupe puis rejoint la revue l’Action française, fondée par Maurice Pujo et Henri Vaugeois ; en novembre 1899, sa stratégie et son ambition prennent corps : convertir au royalisme tous les nationalistes français à l'heure où le nationalisme est associé au nom de Déroulède et Barrès ; il devient l'inspirateur de la mouvance gravitant autour de la revue qu'il convertit du nationalisme républicain au nationalisme royaliste et au milieu de 1901, la revue est en passe de devenir monarchiste. En revanche, le débat tourne court avec les antisémites de La Libre Parole qui refusent la royauté et préfèrent rester républicains.
En 1905, il fonde la Ligue d'Action française – dont Henri Vaugeois est le président et Léon de Montesquiou le secrétaire général – pour lever des fonds en faveur de L'Action française, devenue l'organe de presse du mouvement. Maurras publie L’Avenir de l’intelligence, qui met en garde contre le règne de l’argent et son emprise sur les intellectuels. Jules Monnerot, François Huguenin, Élisabeth Lévy ont placé haut ce livre, préparé par quinze ans de fréquentation des milieux littéraires et politiques, manifeste pour la liberté de l'esprit, précurseur d'Orwell et Bernanos, voire de la critique situationniste.
En 1906, l’Institut d’action française voit le jour et, en mars 1908, paraît le premier numéro du quotidien L’Action Française, né de la transformation de la revue mensuelle du même nom créée neuf ans plus tôt.
En 1909, Maurras publie, ensuite, une deuxième édition de sa célèbre Enquête sur la monarchie, dans laquelle il se prononce en faveur d’une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée.
En 1911, il préside le Cercle Proudhon, lancé par de jeunes monarchistes hostiles au capitalisme libéral et appelant à l’union avec le courant syndicaliste révolutionnaire inspiré par Georges Sorel. Il reste, cependant, davantage influencé par les conceptions corporatistes et associationnistes du catholique social René de la Tour du Pin.
La campagne de l'Action française contre l'Allemagne commence tôt, dès avant la guerre : en 1911, à l'occasion de la crise d'Agadir, Léon Daudet lance des accusations contre les firmes traitant avec l'Allemagne les laiteries Maggi-Kub par exemple et mène des campagnes de boycottage. L'Action française ne souhaite pas la guerre, mais elle veut, si elle intervient, contribuer à l'unité des Français dans la lutte ; elle dénonce les antimilitaristes dont l'action concrète se traduit selon elle par un affaiblissement de la France, au risque d'une hécatombe de la jeunesse française en cas probable de guerre.

La Première Guerre mondiale

Dans l'immédiat avant-guerre, Maurras pointe avec angoisse les effets de la politique de ses adversaires ; selon lui, les campagnes dreyfusardes ont occasionné l'affaiblissement de l'armée, notamment par le démembrement du Deuxième bureau, ce qui participera à l'impréparation de la France et fait que l'Allemagne sait qu'elle combattra un ennemi borgne. Dans Kiel et Tanger, il vitupère un régime qui ne sait contrer ni les aléas de l'opinion et qui vit de ses divisions, forcément néfaste pour tout pays cerné d'ennemis : au bas mot, en termes concerts, la faiblesse du régime doit nous représenter 500 000 jeunes Français couchés froids et sanglants, sur leur terre mal défendue. En 1913, il écrit : La République nous a mis en retard sur l'Europe entière : nous en sommes à percevoir l'utilité d'une armée forte et d'une marine puissante … à l'heure où les organisations ennemies sont prêtes.
Maurras note au contraire la rapidité des directions impériales allemandes où l'aristocratie et l'institution monarchique jouent comme des forces génératrices de compétence et de production ; il souligne la supériorité institutionnelle de l'Allemagne : Nous avons perdu quarante ans à entrechoquer les syndicats patronaux et les syndicats ouvriers dans la fumée d'une lutte des classes singulièrement favorable au concurrent et à l'ennemi germanique ; pendant ce temps, Guillaume II négociait entre ses socialistes, ses armateurs et ses financiers, dont les forces uniques, se faisant notre parasite, fructifiaient à nos dépens.
Il soutient alors toutes les initiatives permettant le renforcement de la France et Louis Barthou dira à Pujo à propos de la loi des trois ans de service militaire : sans vos Camelots du roi, je n'aurais jamais pu la faire passer. Inversement, Maurras dénonce les campagnes antimilitaristes des socialistes contre la folie des armements qui n'auront selon lui pour conséquence que de conduire au massacre de la jeunesse française : comme Tardieu et Poincaré, il s'oppose aux conséquences concrètes de l'utopisme pacifiste et de l'irréalisme des internationalistes et dénonce la faiblesse des budgets militaires.
En 1914, il s'insurge contre l'idée répandue par ses adversaires que Raoul Villain est d'Action Française alors qu'il fut membre du Sillon et avant-tout un déséquilibré69. Il constate l'impuissance des théories niant le fait national et le manque de réalisme des socialistes qui avaient conçu l'avenir suivant un développement unilinéaire …, les faits nationaux devant se décomposer.
Dès la déclaration de guerre, il appelle ses partisans à l'union nationale et renonce à la lutte systématique contre le régime républicain comme y invite le duc d'Orléans dans un appel solennel dans L'écho de Paris du 23 avril 1914. Comme preuve de sa bonne volonté, Maurras supprime le chiffre 444 en une du journal, qui renvoyait au décret qui avait innocenté71. Il soutient le gouvernement radical de Viviani et même Aristide Briand, bête noire de l'Action française ou Albert Thomas ancien rédacteur de L'Humanité et ministre des armements.
L'Action française dénonce les industriels traitant avec l'Allemagne. Il en résulte de nombreux procès en diffamation, dont un conduit à la confiscation du quotidien pendant une semaine. Des descentes de police dans les locaux du journal ont lieu de même que des perquisitions chez Charles Maurras, Marius Plateau ou encore Maxime Real del Sarte. En octobre 1917, au cours de l'une de ces perquisitions, diverses armes sont saisies. Le journal de l'Action française tourne alors en dérision ce complot des panoplies, le gouvernement recule et, en novembre 1917, Clemenceau remplacera Painlevé mis en minorité avec l'appui de l'Action française.
En avril 1917, L'Action française lance une campagne en faveur des soldats et de leurs familles ; Maurras défend la création d'une caisse de primes militaires qui associera le combattant aux produits de la Victoire ; ce projet reçoit le soutien de Poincaré et l'État autorisera en juin 1918 la souscription lancée par l'action française. De même, Maurras se met à la disposition de Poincaré pour combattre l'influence germanique en Espagne, en particulier dans les milieux catalans.
C'est avec l'appui de l'Action française qu'en novembre 1917 Georges Clemenceau est nommé à la tête du gouvernement en dépit de la réticence de Maurras pour ce jacobin anticlérical et qui refusé l'offre de paix séparée proposé par l'impératrice Zita ; néanmoins, Clemenceau cherche l'appui moral de l'Action française via l'entremise du député royaliste Jules Delahaye.

L'entre-deux-guerres Le renforcement du prestige de Maurras

La Grande guerre est pour Charles Maurras une période de développement de l'audience de son journal et de sa pensée. En 1917, le journal voit son nombre d'abonnés augmenter de 7500. Le journal comptait 1500 lecteurs en 1908, 22 000 en 1912, 30 000 en 1913, et tire à 156 000 exemplaires en 1918. Les souscriptions augmentent également, ce qui permet en 1917 à L'Action française de quitter son local de la Chaussée d'Antin dans lequel elle avait emménagé en 1908 pour la rue de Rome. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Charles Maurras et son mouvement bénéficient d'un grand prestige dans l'opinion publique, bien au-delà de son courant politique y compris dans l'établissement politique républicain.
D'après Bainville, dans les milieux républicains et radicaux, on dit alors que Maurras, en restaurant la grande discussion politique en France a rendu un immense service à la République elle-même en l'obligeant à faire son examen de conscience76. Poincaré se justifie de sa politique auprès en écrivant à Maurras et le félicite de délicieuse préface de Trois aspects du président Wilson, elle aussi chargée de pensée et illuminée de raison française. Le 1er mars 1925, élu Prince ces écrivains » par les membres de La plume », succédant ainsi à Anatole France.
Cette popularité de l'Action française au lendemain de la Grande guerre se traduit par l'élection de Léon Daudet comme député de Paris à la Chambre bleue horizon ou par la publication par Henri Massis dans Le Figaro du 19 juillet 1919 d'un manifeste Pour un parti de l'intelligence signé par cinquante-quatre personnalités dont Daniel Halévy, Francis Jammes, Jacques Maritain.
Cependant, un grand nombre des espoirs militants et dirigeants de l'Action française sont tombés et Maurras leur rendra hommage dans Tombeaux en 1921 : Henry Cellerier, André du Fresnois, Pierre Gilbert, Léon de Montesquiou, Lionel des Rieux, Jean-Marc Bernard, Albert Bertrand-Mistral, vingt-et-un rédacteurs de la Revue critique comme Joachim Gasquet, Octave de Barral, Henry Lagrange, Augustin Cochin.
L'assassinat de Marius Plateau en 1923, celui d'Ernest Berger en 1925 et d'autres attentats commis contre l'Action française contribuent aussi à créer un élan de solidarité autour de Charles Maurras, dont témoignent les paroles de Jacques Maritain : L'idée des dangers que vous courez, rend encore plus cher au cœur de tous ceux qui aiment la France et l'intelligence.

Critique de la paix de Versailles

Pour Maurras, la république répare mal la guerre, ne peut la gagner qu'en renonçant à elle-même et assure mal la paix ; reprenant la formule de l'historien socialiste Alphonse Aulard, la guerre a été gagnée par des procédés de dictature monarchique qui ont permis de rattraper les erreurs de l'avant-guerre mais au prix de la mort d'un million cinq cent mille Français, trois fois plus qu'annoncé dans Kiel et Tanger.
En 1918, Maurras réclame donc une paix française qui serve le mieux les intérêts de la nation : la division de l'Allemagne, l'annexion du Landau et de la Sarre, un protectorat français sur la Rhénanie.
L'Action française se prononce contre l'application sans discernement du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. S'il salue la visite de Wilson au Pape, ses Quatorze points le scandalisent par leur naïveté utopique car nulle revanche du droit n'est sérieuse sans un équilibre du fait. Là où les politiques parlent de droit, de morale, de générosité, l'école de l'Action française réaffirme la nécessité du réalisme pour parvenir aux équilibres internationaux.
Maurras affirme que si on ne démembre pas l'Allemagne, celle-ci réclamera le couloir de Danzig ; il prétend que la crainte du bolchevisme n'est pas une raison suffisante pour permettre à l'Allemagne de se réorganiser. Maurras est favorable aux indemnités de guerre qui permettent de remettre la France à flot tout en affaiblissant l'Allemagne. En effet, selon l'analyse de Jacques Bainville, l'Allemagne et la Russie soviétique sont les ennemis de la France, et son seul allié possible est l'Italie. La paix doit affaiblir l'Allemagne au point de permettre à la France de s'appuyer sur des troupes régulières accomplissant un temps de service long et de ne plus recourir à la conscription. L'immédiat après-guerre est marqué par des appels renouvelés à la vigilance face à l'Allemagne.

Le 6 février 1934 et ses conséquences

Lors de la crise du 6 février 1934, Maurras se trouve rue du Boccador avec Marie de Roux : pour lui la manifestation contre la corruption du régime, dont deux morts sur trois seront royalistes, ne peut déboucher sur le coup de force car les nationalistes non royalistes ne suivraient pas l'Action française et le préalable au renversement du régime est absent : l’armée, la police, l’administration n’ont pas été infiltrées, ce qui aurait nécessité des mois de préparation et un personnel spécifique dont l’Action française était dépourvue ; de plus, la perspective d'une guerre civile lui répugne.
Après le 6 février 1934, si L'Action française gagne dix mille abonnés de plus, Maurras perd le magistère de la rébellion contre le régime auprès de certains des militants qui la quittent alors comme Pierre de Bénouville, Jacques Renouvin, Michel de Camaret. Le comte de Paris est également déçu et le 6 février le déterminera à s'émanciper.
De plus, si les années 1930 voient éclore une nouvelle génération de nouveaux jeunes penseurs maurrassiens comme Thierry Maulnier, Jean-Pierre Maxence, Jean de Fabrègues, ceux-ci n’hésiteront pas à prendre du recul par rapport au vieux maître, critiquant notamment son nationalisme — vu par eux comme étroit — et son évolution conservatrice – qu’ils estiment inadaptée aux nouveaux enjeux sociaux. L'échec du 6 février les confortera dans cette prise de distance.

Emprisonnement

Le 13 février 1936, passant en automobile à proximité du cortège des funérailles de l’historien Jacques Bainville, boulevard Saint-Germain, à Paris, Léon Blum est pris à partie par d’anciens camelots du roi : la Ligue d’action française, les camelots et la Fédération nationale des étudiants d’action française sont dissous par le gouvernement intérimaire, dirigé par le radical Albert Sarraut. Fulminant dans ses articles contre ces mesures et les députés favorables aux sanctions contre l’Italie risquant de pousser celle-ci à une alliance avec l'Allemagne aux conséquences qu'il prévoit désastreuses pour la France, Maurras est condamné à quatre mois de prison ferme. Il réagit en menaçant Léon Blum pour le jour où sa politique nous aura amené la guerre impie qu’il rêve contre nos compagnons d’armes italiens. Ce jour-là, il ne faudra pas le manquer. Déjà, dans L'Action française du 9 avril 1935, Maurras écrivait à propos de Léon Blum : C’est un monstre de la République démocratique. C’est un hircocerf de la dialectique heimatlos. Détritus humain à traiter comme tel… … C’est un homme à fusiller, mais dans le dos.Le 21 juillet 1936, il est condamné à huit mois de prison ferme et effectue sa peine à la prison de la Santé.
Les maurrassiens s'indignent d'une condamnation qu'ils jugent politique, en rappelant que dans Le Populaire, on avait écrit un an plus tôt que si la guerre était déclarée, les mobilisés abattront MM. Béraud et Maurras comme des chiens.De fait, Maurras reçoit de très nombreuses marques de soutien dont celui du pape Pie XI et de mère Agnès, sœur aînée de sainte Thérèse de Lisieux et supérieure du Carmel ; de cent députés et sénateurs alsaciens signeront une protestation. Le 8 juillet 1937, entre quarante à soixante mille personnes, viennent rendre hommage à Maurras à l’occasion de sa libération au Vélodrome d’Hiver en présence de la maréchale Joffre.
Pendant sa captivité, Charles Maurras écrit chaque jour son article politique pour L’Action Française ainsi que plusieurs ouvrages : Les Vergers sur la mer, Dans Arles aux temps des fées, Devant l’Allemagne éternelle, la Dentelle du rempart et Mes idées politiques.

Entrée à l'Académie française

Entretemps, Maurras a été élu à l’Académie française au fauteuil de l’avocat Henri-Robert. Après un premier échec en 1923 contre Charles Jonnart, il est élu à l’Académie française le 9 juin 1938 au fauteuil 16, succédant à Henri-Robert, par 20 voix contre 12 à Fernand Gregh ; il fut reçu le 8 juin de l’année suivante par Henry Bordeaux.

Mise en garde contre l'hitlérisme

Dès 1922, Maurras a des informations précises sur Hitler en provenance d'un agent secret à Munich par le président Raymond Poincaré91. Dès lors, s'il dénonce le pangermanisme de la classe politique allemande de la République de Weimar, comme celui de Stresemann favorable à l'Anschluss, il attire régulièrement l'attention de ses lecteurs sur les dangers propres du national-socialisme : ainsi, en 1924, il dénonce la déroute des Wittelsbach au profit du racisme antisémite du NSDAP et le rapide accroissement du bloc dit raciste sorti de terre en quelques mois et fondé ou échafaudé sur de vieilles imaginations périmées avec sa philosophie abracadabrante de la Race et du Sang.
En 1930, Maurras dénonce l’abandon de Mayence par l’armée française et titre Le crime contre la Patrie là où Léon Blum écrit la paix est faite. La même année, L’Action française publie une série d'articles sur le parti national-socialiste allemand, présentée comme « un des plus grand dangers pour la France, alors que le 1er janvier 1933, Le Populaire annonce sa prochaine disparition.
L'obsession de la menace hitlérienne se traduit par l'ouverture du journal à des officiers d’État-major signant parfois sous pseudonyme : comme chroniqueurs militaires, ils suivront l’évolution du budget militaire allemand avec une inquiétude croissante jusqu’au désastre. En 1932, le général Weygand, proche de l'Action française, dénonce dans ses rapports secrets la politique de désarmement menée par la gauche : L’armée française est descendue au plus bas niveau que permette la sécurité de la France mais son légalisme l'empêche d'exprimer publiquement sa proximité avec Maurras.
En 1933, Maurras écrit : Quoi que fassent ces barbares, il suffit d’appartenir au monde officiel, au monde de la gauche française, pour incliner à leur offrir de l’encens, le pain, le sel et la génuflexion. Maurras voit dans l’arrivée d’Hitler au pouvoir la confirmation de ses pronostics et dénonce le prohitlérisme : Le halo du prohitlérisme joue autour de ces brigandages, les défend et les auréole, ce qui permet aux forces de Hitler un rapide, puissant et formidable accroissement continu. Nous aurons laissé dépouiller et envahir nos amis.
En 1934, après la nuit des longs couteaux, il dénonce l’abattoir hitlérien et félicite la presse britannique énergique dans sa condamnation et annonce le pacte germano-soviétique : Je le répète : il n’y a pas de plus grand danger que l’hitlérisme et le soviétisme. À égalité ! Et ces égaux-là sont faits pour s’entendre. La carte le confirme. L’avenir le vérifiera. Pour Maurras, il n’y a pas de ménagement possible avec Hitler : l’invasion progressive du centre et de l’est européen entraînera celui de la Belgique et donc la soumission de la France à un géant écrasant le continent de sa puissance. Maurras, Bainville et Daudet rivalisent de démonstrations et d’accents polémiques pour que la France s'arme suffisamment pour se défendre et éventuellement attaquer préventivement. La menace allemande constitue le fil rouge de ses préoccupations : dans ses écrits, les débats intérieurs lui sont subordonnés : la politique étrangère qu’il défend consiste à ménager les puissances secondaires d’Europe, celles que menacent l’URSS et le Reich allemand : Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie. Il exalte l’union des pays latins France, Italie, Espagne, Roumanie avec la Grande-Bretagne, la Hongrie, la Pologne.
En 1936, Maurras écrit la préface de l'ouvrage contre le nazisme de la comtesse Joachim de Dreux-Brézé qui sera sa maîtresse106 ; il y déplore l'assassinat de Dollfuss par les nationaux-socialistes. Le 7 mars 1936, le Reich occupe la Rhénanie et alors que la plupart des journaux appellent au calme et que le gouvernement à six semaines des élections refuse de réagir, L’Action française réclame une riposte militaire immédiate.
En 1937, il publie Devant l’Allemagne éternelle, sous-titré « Chronique d’une résistance; il rassemble quarante ans d’écrits sur l’Allemagne, le pangermanisme et l’influence allemande en France.
Maurras essaie de détourner Mussolini de l'alliance avec Hitler : la supériorité générique qu’invoque l’hitlérisme se formule par rapport à ce que l’on appelle les races latines et, comme il n’y a pas de race latine sur ce qu’il faut appeler l’esprit latin. Mussolini doit savoir cela aussi bien que nous, il l’oublie, il veut l’oublier. Mais l’oubli se paie cher L’erreur. Pour Maurras, le tort italien est déterminé par la conduite de Londres et Paris, qui par leurs sanctions contre l’Italie ont poussé cette dernière à fauter ; pour Maurras, le Front populaire, en plaçant l’antifascisme avant la politique équilibre, contribue à renforcer l’Allemagne et à préparer des lendemains douloureux au pays : il attaque violemment Léon Blum et ceux qui ont mené des campagnes de désarmement lorsque la France était plus puissante que l’Allemagne et veulent désormais engager une guerre incertaine pour des raisons idéologiques alors que la France n’a plus les moyens de la victoire.
En 1938, il défend les accords de Munich, non qu’il soit devenu favorable à un rapprochement avec l’Allemagne, mais car il estime que la France n’est pas prête militairement et court à la défaite ; il accepte les accords comme une défaite sanctionnant les erreurs de la politique étrangère de la République, tout en appelant au réarmement. Il s'agit d'éviter de déclencher prématurément une guerre pour des raisons de doctrine et de préparer la France à l'affronter avec de vraies chances de succès : cette position se veut le contraire d'une position germanophile, il s'agit d'appliquer le si vis pacem, para bellum, de ne pas lâcher la Pologne mais de sauver d'abord la France pour sauver l'avenir polonais.
En 1939, Maurras titre La mort d’un peuple » quand les Allemands envahissent la Tchécoslovaquie dont il a admiré la renaissance littéraire et se lamente que l'on n'ait pas écouté vingt ans de mises en garde. Il ne veut pas la guerre car il croit que la France a toutes les chances de la perdre, comme l'écrit le colonel Gauché du Deuxième Bureau : « Jamais, à aucune période de son histoire, la France ne s'est engagée dans une guerre dans des conditions aussi défavorables. Mais il affirme que si elle advient, elle devra être menée avec détermination. Inquiet, il prend diverses initiatives pour renforcer les chances de la France.
Il lance une campagne de souscription en faveur de l’aviation militaire : vingt quotidiens parisiens, cinquante journaux de province le rejoignent mais Daladier s’y oppose.
Il écrit à Franco afin de le convaincre de détourner l’Italie de l’alliance avec l’Allemagne. Maurras a salué la victoire de Franco, gage de sécurité contre le communisme et les persécutions contre les catholiques et dont il pense qu’elle ne peut être que l’ennemie de l’Allemagne. L'obsession allemande a d'ailleurs influé sur la position de Maurras quant à la guerre civile espagnole : il a soutenu les insurgés mais, à l'arrivée du Front populaire, il défend une neutralité de principe pour éviter une entrée en guerre officielle de l'Allemagne aux côté de Franco qui le satelliserait et ruinerait la politique méditerranéenne de la France. La victoire acquise et ce danger écarté, le pari stratégique de Maurras sera confirmé dans les faits : Franco refusera la possibilité à Hitler de traverser le territoire espagnol pour envahir l'Afrique du Nord, ce qui aura un impact important sur l'issue de la guerre.
En liaison avec des intellectuels britanniques, il prône l’alliance avec l’Angleterre jusqu’à l’extrême limite du possible.
Il soutient le gouvernement républicain d'Édouard Daladier dans sa volonté d'interdire le parti communiste dont des militants ont participé à des opérations de sabotage au profit de l'Allemagne nationale-socialiste.
En 1940, un message en caractères énormes ouvre le journal : Le chien enragé de l’Europe, les hordes allemandes envahissent la Hollande, la Belgique, le Luxembourg. Maurras écrit : Nous avons devant nous une horde bestiale et, menant cette horde, l’individu qui en est la plus complète expression. Nous avons affaire à ce que l’Allemagne a de plus sauvagement barbare, c’est-à-dire une cupidité sans mesure et des ambitions que rien ne peut modérer. … Nul avenir ne nous est permis que dans le bonheur des armes.

La Seconde Guerre mondiale

Dès que la guerre est déclarée, le 3 septembre 1939, Charles Maurras reprend les accents bellicistes de l’Union sacrée. Apportant, jusqu’aux derniers combats de juin 1940, un soutien sans faille à l’effort de guerre, il approuve, comme la quasi-totalité des Français, l’armistice. Maurras est regardé comme un adversaire par les autorités d'occupation qui font piller par la Gestapo les bureaux de l'Action française et placent certains livres de Maurras sur la liste Otto des livres interdits ; en 1943, le haut responsable des forces d'occupation en France, le conseiller Schleier, place Maurras parmi les personnes à arrêter en cas de débarquement.

Nature et formes du soutien au Maréchal Pétain

Maurras décide d'apporter son soutien au Maréchal Pétain. La victoire allemande sur la France le désespère et il dira au moment de l'arrivée de soldats allemands en Provence voir réalisé le « cauchemar de son existence. La raison principale de ce soutien est la recherche de l'unité française comme condition du redressement et donc de la revanche contre l'Allemagne, indépendamment de toute considération idéologique.
Maurras affirme lui-même que le soutien au gouvernement Pétain est de même nature que celui apporté aux gouvernements républicains de la Première guerre mondiale ; à Pierre Gaxotte, il déclare : Je soutiens Pétain comme j’ai soutenu tous les gouvernements pendant la guerre de 1914-1918; ce soutien procède de la volonté de sauver l'unité française coûte que coûte car elle est la condition de l'Espérance. À Pierre Boutang, il affirme que l'unité française est un outil de revanche. Pour Maurras, le vainqueur de Verdun ne peut que défendre les intérêts du peuple français et toute dissidence affaiblit la France et compromet son rétablissement. Le soutien à Pétain est alors général : il est notamment estimé de Léon Blum à cause de sa réputation de soldat républicain, contrairement à Weygand ou Lyautey, jugés monarchistes. Dans cette optique, le soutien à Vichy n'est donc pas originellement un choix idéologique, ni tactique, c'est une donnée, posée au-dessus de toute référence, par l'exigence de l'unité du pays. Ce soutien se veut de même nature que celui que Maurras a apporté à la Troisième république pendant la Première Guerre mondiale contre les monarchies traditionnelles allemande et autrichienne, il s'agit de faire le choix de l'union sacrée qui passe par le soutien à l'État. Dans les deux cas, c'est le souci de l'unité française qui prime mais, autant après 1918, ce soutien au gouvernement français aura été profitable au prestige et l'influence de l'Action française, autant après 1945, il aura des conséquences désastreuses sur l'aura de Maurras, en ruinant le crédit d'un demi-siècle d'aventure intellectuelle, en occultant tout un mouvement varié de pensée que l'on ne peut réduire par amalgame au régime de Vichy.
Pour Maurras, la France demeure et n'a besoin ni de l'Angleterre, ni de l'Allemagne pour être ; ceux qui le croient et rejoignent ce qu'il appelle le clan des yes et le clan de ja, deviennent des agents de l'étranger : ce thème est celui de la France seule. À l'été 1940, malgré les conseils de Pierre Gaxotte, Maurras fait reparaître L'Action française à Lyon, avec en tête le slogan La France seule.
Maurras apprécie également l'idée d'une remise en cause des idées démocratiques et la défaite a eu le bon résultat de nous débarrasser de nos démocrates. En effet, pour Maurras, l'invasion et l'occupation du territoire français sont le résultat de l'application de la politique révolutionnaire et de la rupture avec la sagesse de la politique étrangère de l'Ancien Régime, en 1940 comme en 1814, 1815, 1870. Maurras a d'ailleurs déclaré au préfet de la Vienne : Que voulez-vous, monsieur le Préfet, soixante-dix ans de démocratie, ça se paie ! La divine surprise n'est pas la victoire de l'Allemagne comme certains ont cherché à le faire croire à la Libération mais l'accession au pouvoir du Maréchal Pétain. En effet, sur certains plans, des convergences peuvent être détectées entre les thèmes de la Révolution nationale et ceux de l'Action française. En septembre 1940, lorsque le maréchal Pétain lui demande sa conception de la Révolution nationale, il répond un bon corps d'officiers et un bon clergé, une position qu'il appelle : défendre l'héritage en l'absence d'héritier. Il parle d'une divine surprise à propos de l'accession au pouvoir du Maréchal Pétain. Il soutient le régime de Vichy, non la politique de collaboration car il est un nationaliste profondément germanophobe mais certains aspects du discours de la Révolution nationale. Il se félicita par exemple de l'abolition par Vichy du décret Crémieux très mal vu des populations musulmanes.
Mais ce soutien va surtout à la personne du Maréchal Pétain et non à tous les dirigeants ou toute la politique de Vichy : Maurras fêta le renvoi de Laval dans les locaux de L'Action française. Maurras chercha à user de son influence auprès des dirigeants de Vichy comme il le fit auprès de Raymond Poincaré pour contrer les mesures qui lui semblaient mauvaises. Au cours des mois de juillet et août 1940, il joue de ses relations auprès du maréchal Pétain qu’il rencontre le 27 juillet pour faire échec au projet de parti unique lancé par Marcel Déat. Il écrit que de toute évidence, Marcel Déat est égaré par l’exemple de l’Allemagne et de l’Italie 141. À un journaliste japonais, Marcel Déat confiera qu’il s’est heurté par-dessus tout dans son projet d'État totalitaire et de nouvel ordre européen à la résistance de l’Action française. Maurras s'oppose à toute orientation germanophile ; il voit dans les partisans de la collaboration les continuateurs de Jaurès et Briand et note comme l’un des hauts responsables nazis en France, Schleier, que la grande majorité des partisans de la politique de collaboration vient de la gauche française : Déat, Doriot, Pucheu, Marion, Laval, une grande partie de l’ancien personnel briandiste.
La question de l'influence de la pensée de Maurras sur l'idéologie et la politique de Vichy est débattue par l'historiographie : pour Loubet del Bayle, Vichy se situe à l'intersection des idées du technocratisme planiste, d'Action française, du catholicisme social, du personnalisme. L'influence propre de l'Action française est difficile à identifier et isoler ; certains nient l'influence de la pensée de Maurras comme Limore Yagil ; d'autres, comme François Huguenin, voient dans Vichy l'héritière de l'esprit des années 1930 et d'abord de ses rejets, rejets dont certains se retrouvent aussi dans la Résistance : antiparlementarisme, anticapitalisme, anti-individualisme, anticommunisme. Simon Epstein rappelle que Vichy n'attend pas longtemps pour se délester d'une bonne partie de ses maurrassiens : dès 1941, Raphaël Alibert, ministre de la Justice, Paul Baudouin ministre des affaires étrangères en 1941, Georges Groussard, ancien cagoulard qui commande les groupes de protection de Vichy et qui procéda à l'arrestation de Laval trop favorable à l'Allemagne et s'orienta vers la Résistance quittent Vichy. Ceux qui ne sont pas partis quitteront le gouvernement lors du retour de Laval en 1942 : Pierre Caziot, Serge Huard, Yves Bouthillier, René Gillouin, Henry du Moulin de Labarthète, Xavier Vallat, c'est-à-dire avant l'entrée des partisans d'une franche collaboration avec l'Allemagne nationale-socialiste. Ces Maurassiens étaient mal vus des amis de Pierre Laval qui les accusent d'avoir favorisé son renvoi, des Allemands qui n'apprécient pas leur hostilité à la collaboration, des collaborationnistes qui les accusent d'être réactionnaires à l'intérieur et germanophobes à l'extérieur. Les Dreyfusards collaborateurs tels Armand Charpentier et René de la Marmande attaquèrent régulièrement ses positions. Les pacifistes des années 1920 reprochaient à Maurras d'être hostile au rapprochement franco-allemand. Devenus collaborateurs, ces pacifistes témoigneront de ténacité idéologique et constance argumentaire, puisqu'ils lui feront le même reproche sous l'Occupation. Néanmoins, certains opposants à Pétain et à ses soutiens voudront faire de Maurras l'apologiste inconditionnel du gouvernement du maréchal Pétain.
Après la Seconde Guerre mondiale, Charles Maurras fera le point sur ses rapports avec Philippe Pétain et démentira avoir exercé une influence sur lui : après avoir rappelé qu'ils se voyaient à peine avant 1939, il protesta contre la fable intéressée qui fait de moi une espèce d'inspirateur ou d'Éminence grise du Maréchal. Sa doctrine est sa doctrine. Elle reste républicaine. La mienne est restée royaliste. Elles ont des contacts parce qu'elles tendent à réformer les mêmes situations vicieuses et à remédier aux mêmes faiblesses de l'État. … L'identité des problèmes ainsi posée rend compte de la parenté des solutions. L'épouvantable détresse des temps ne pouvait étouffer l'espérance que me donnait le remplacement du pouvoir civil impersonnel et irresponsable, par un pouvoir personnel, nominatif, unitaire et militaire.

Division des partisans de Maurras

Pendant l'occupation, les membres et anciens proches de l'Action française se divisèrent en trois groupes opposés : celui des maurrassiens orthodoxes soutenant le régime de Vichy conduit par le maréchal Pétain, celui des collaborationnistes et ouvertement pro-allemands tels Robert Brasillach, Charles Lesca, Louis Darquier de Pellepoix ou Joseph Darnand, celui des résistants contre les nazis tels Honoré d'Estienne d'Orves, Michel de Camaret, Henri d'Astier de la Vigerie, Gilbert Renault, Pierre Bénouville, Daniel Cordier ou Jacques Renouvin.
Il n'y a pas de statistiques sur la répartition de ces trois groupes mais, à l'époque, l'idée que les dirigeants suivent Maurras dans son soutien à Pétain mais qu'une majorité des sympathisants maurrassiens soutient la Résistance contre l'avis de Maurras est répandue. Pierre Mendès France soutiendra cette position155 : L’Action française, sous l’influence directe de Maurras, suit Vichy, mais là encore, la principale partie des troupes a abandonné les chefs. Comme la plupart des anciens Croix-de-feu, les militants de l’Action française, surtout les éléments jeunes, sont aujourd’hui antiallemands et absolument hostiles à la soumission à l’occupant. Le colonel Rémy dira que sa décision de résister résulta de son imprégnation de la pensée de Maurras : Le réflexe qui m'a fait partir pour l'Angleterre le 18 juin 1940 trouvait son origine dans l'enseignement que, depuis vingt ans, je recevais quotidiennement sous sa signature. Si les maurrassiens résistants affirment parfois comme le colonel Rémy que leur engagement dans la résistance résulte d'une application de la pensée de Maurras, ceux qui ont rejoint le collaborationnisme reconnaissent qu'ils ont rompu avec l'essence de sa pensée comme Lucien Rebatet qui se déchaînera contre Maurras dans de nombreux écrits ou comme Robert Brasillach que Maurras refusera de revoir.
La diversité des parcours posés entre 1940 et 1945 relève parfois du tempérament, voire du hasard des événements : la grille idéologique ne permet souvent pas d'expliquer seule tant de prises de positions différentes, ni d'analyser des choix.

Hostilité aux collaborationnistes

L'écrivain Jean Grenier note au sujet de l'agence de presse Inter-France que Charles Maurras est tout à fait opposé au groupe de journalistes "qui a fondé l'agence de presse Inter-France germanophile."
L'anglophobie de Maurras ne compensait pas aux yeux des Allemands sa germanophobie virulente, ce qui lui valut en 1942 d'être mis au rang des incorrigibles ennemis de l'Allemagne aux côtés de Massis, Claudel et Mauriac par le docteur Payr, dirigeant de l'Amt Schrifttum, dépendant de l'Office Rosenbeg, quand il rend compte de la littérature française. Le conseiller Schleier dénonce dans une note au ministre Ribbentrop son comportement fondamental d'antiallemand. Maurras rompt avec Brasillach, en 1941, quand celui-ci envisage de refaire paraître Je suis partout à Paris :Je ne reverrai jamais les gens qui admettent de faire des tractations avec les Allemands.
Les collaborationnistes Marcel Déat, Robert Brasillach, Lucien Rebatet se déchaîneront en attaques contre Maurras ; Rebatet écrit que Maurras est de tous les Français celui qui détestait le plus profondément l'Allemagne, s'insurge contre les propos de Maurras qui qualifie le Führer de possédé, condamne la germanophobie aveugle et maniaquede L'Action française.
Le collaborationniste Pierre-Antoine Cousteau dira après la guerre : " Maurras m’inspirait une horreur sacrée, uniquement parce qu’il faisait de la pérennité des guerres franco-allemandes la base de son système et que j’étais déjà convaincu c’est le seul point sur lequel je n’ai jamais varié que l’Europe ne serait jamais viable sans entente franco-allemande, que c’était le premier de tous les problèmes, le seul vraiment important, celui dont dépendait la guerre et la paix, la vie et la mort. "

Lire la suite -> http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=7228#forumpost7228
.


#253 Charles Maurras 2
Loriane Posté le : 16/11/2014 18:05
Hostilité aux résistants

Par hantise de la guerre civile, Maurras se proclame antigaulliste et qualifie les résistants de terroristes, appelant à la répression la plus violente contre eux : Il exigeait des otages et des exécutions, il recommandait la mise à mort des gaullistes faits prisonniers, sans autre forme de procès, il déclarait que si la peine de mort n'était pas suffisante pour mettre un terme aux activités des gaullistes, il fallait se saisir des membres de leur famille comme otages et exécuter ceux-ci .
Maurras écrit en 1944 que si les Anglo-Américains devaient gagner, cela signifierait le retour des francs-maçons, des Juifs et de tout le personnel politique éliminé en 1940, et que soutenir les Alliés serait prendre parti du mauvais côté. Dans une lettre à Jean Arfel en 1948, Maurras affirme qu'il y avait une part de feinte destinée à tromper les Allemands dans son hostilité aux gaullistes et aux maquisards et le souci d'éviter une guerre civile en France : Mon escrime quotidienne contre les collaborationnistes et philoboches était toujours accompagnée, comme sa feinte protectrice, d'une pointe contre le Gaullisme et les maquisards, feinte qui a toujours trompé les Allemands à leur grand détriment …. Je voulais tout tenter, à tout prix, pour épargner à la France le malheur de redevenir un champ de bataille et pour obtenir qu'elle fût libérée autrement que par la guerre sur le territoire national.
Yves Chiron et François Huguenin affirment que le jeu de la censure allemande fait qu'il est imprudent d'interpréter la pensée de Maurras et d'avoir une idée juste de ses réactions en se référant à ses écrits pendant la guerre

La Libération

En 1944, Charles Maurras maintient sa méfiance pour la France Libre qu'il pense manipulée par Moscou. Le débarquement de Normandie le déconcerte à cause de la destruction des villes françaises par des bombardements massifs ; en revanche, celui d’Italie le réjouit car il obéit à une progression inoffensive pour les populations.
Après le débarquement, il préconise de ne rien faire pour aggraver les maux publics car il craint plus que tout la guerre civile : cette position attentiste est scandaleuse selon les collaborationnistes mais elle ne satisfait pas non plus les résistants ; Maurras ne veut rien faire pour empêcher que la libération puisse se faire et laisser au Maréchal Pétain la possibilité de négocier avec les libérateurs, illusion qu’il partage avec l’amiral Auphan en tractation secrète avec les Américains. Maurras exulte lorsqu’il apprend la libération de Paris et le 3 septembre 1944, il arrose l’événement chez son ami Henri Rambaud, ivre de joie et de vin ; mais les communistes saccagent ses bureaux le 6 septembre et le 9 septembre, il est arrêté à l'instigation d'Yves Farge, lui-même proche du parti : il faudra deux mois pour que Maurras prenne connaissance de son inculpation et son procès commencera le 24 janvier 1945.
Pendant son procès, au cours duquel sera mise en avant sa critique de la résistance gaulliste et communiste, Charles Maurras rappellera quelques-unes de ses positions d'ennemi de toujours de l'Allemagne et de l'hitlérisme et des résistants comme Georges Gaudy ou le capitaine Darcel témoigneront en sa faveur :
Dans une conférence au café Neuf de Lyon, le 3 février 1943, Maurras proclama publiquement que l’Allemagne restait pour la France l’ennemi no 1, la censure empêchant que ses prises de position soient publiées.
S’il a approuvé dans un premier temps la création de la Milice comme une police qui protégerait les gens contre les attentats communistes qui visaient indifféremment de vrais collaborationnistes et des pétainistes antiallemands, il la désapprouva énergiquement dès qu’il appris que son commandement était soumis à l’autorité allemande et interdit à ses partisans de s’y engager, ; de fait, les miliciens réquisitionnèrent ses bureaux et lui firent une figure féroce.
À un correspondant qui lui proposait d'annoncer une exposition antisoviétique dans L'Action française, il répondit que ce n'étaient pas les Russes qui occupaient la France et que si on organisait une exposition antiallemande, il en rendrait compte dans ses articles.
Il met en avant que ses articles visaient à tromper la censure pour mieux faire passer un message antiallemand ; ainsi, le 12 février 1943, il montre l’impossibilité d’intégrer la France dans un ensemble européen et pour son partisan Pierre Boutang, il ne pouvait y avoir alors de tract clandestin plus utile contre l’occupant.
Concernant l'antisémitisme, il dira qu'il ignorait qu'en février 1944, désigner un Juif à l'attention publique, c'était le désigner lui ou sa famille aux représailles de l'occupant, à la spoliation et aux camps de concentration, peut-être à la torture ou à la mort. Il dira également que ses invectives étaient des menaces et ne résultaient pas d'une volonté de nuire physiquement, affirmation dont François Huguenin juge qu'elle peut paraître intolérable mais qui demeure plausible compte tenu du milieu confiné dans lequel vivait Maurras à Lyon et de la vieille habitude pratiquée par Maurras de l'invective violente jamais suivie d'effet. C’est en 1945 que Maurras apprendra l’horreur des camps et qu’il prononcera des paroles de compassion. Il a été cependant ému par la mort de Georges Mandel assassiné par des miliciens : il lui consacre dans L'Action française du 21 juillet 1944 un article fleuve à la fois critique et élogieux, rappelant ses divergences tout en déplorant la mort d’un homme qu’il a rencontré plusieurs fois depuis 1918, qui a rendu par son entremise un service aux Orléans.
Le 28 janvier 1945, la cour de justice de Lyon déclare Charles Maurras coupable de haute trahison et d'intelligence avec l'ennemi et le condamne à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale.
Maurras commenta sa condamnation par une exclamation célèbre :" C'est la revanche de Dreyfus !". Selon Eugen Weber, le procès qui dura seulement trois jours fut un procès politique : les jurés ont été choisis sur une liste établie par des ennemis politiques de Maurras, les vices de forme et les trucages ont été nombreux, le motif choisi est le plus infamant et le plus contradictoire avec le sens de sa vie et pour ses partisans le régime condamne celui qui n'a cessé de le mettre en face de ses responsabilités et lui fait payer le prix de ses propres erreurs
De sa condamnation, article 21 de l'ordonnance du 26 décembre 1944, découle son exclusion automatique de l'Académie française, l'ordonnance prévoit l'exclusion de l'Institut. Conformément à la loi, l'Académie déclare vacant le siège de Maurras lors de la séance du 1er février 1945 mais, selon la décision du secrétaire perpétuel Georges Duhamel, ne procède pas au vote de radiation. L’Académie décida de ne procéder à l'élection du remplaçant de Maurras qu'après son décès, ce qui ne sera pas le cas pour les académiciens collaborationnistes comme Abel Bonnard et Abel Hermant, remplacés de leur vivant.

L'après Seconde Guerre mondiale

Entre 1945 et 1952, Charles Maurras publia quelques-uns de ses textes les plus importants. Bien qu'affaibli, il collabore sous le pseudonyme d'Octave Martin à Aspects de la France, journal fondé par des maurrassiens en 1947, à la suite de l'interdiction de l'Action française. Il dénonce l'épuration et s'en prend particulièrement à François de Menthon, pour avoir été le ministre de la Justice du Gouvernement provisoire de la République française. Ses dernières années, passées en grande partie à la prison de Clairvaux, furent aussi l'occasion d'une introspection sur la question de la Résistance ou du traitement infligé aux Juifs pendant la guerre.
Ainsi, en 1948, il fait part de son admiration pour l'épopée Leclerc et pour les « belles pages du maquis et reconnaît une erreur dont il a conscience et tente d'excuser : il n'a pas su distinguer dans l'ensemble de la Résistance et son incapacité à voir clair découlerait alors de l'obsession de la mort de la France, crispation défensive qui lui fit ignorer les perspectives — minces au début, puis plus larges — d'une victoire possible.
Tout en continuant d'affirmer la nécessité d'un antisémitisme d'État du fait que les Juifs posséderaient une nationalité propre qu'il reconnaît glorieuse mais différente de la française, il s'oppose à Maurice Bardèche sur le drame de la déportation : « Français ou non, bons ou mauvais habitants de la France, les Juifs déportés par l'Allemagne étaient pourtant sujets ou hôtes de l'État français, et l'Allemagne ne pouvait pas toucher à eux sans nous toucher ; la fierté, la justice, la souveraineté de la France devaient étendre sur eux une main protectrice.
Le 10 août 1951, Charles Maurras est transféré à l’hôtel-Dieu de Troyes. Il publie peu après plusieurs ouvrages : Jarres de Biot – où il redit sa fidélité au fédéralisme, revendiquant même la qualité de plus ancien fédéraliste de France –, À mes vieux oliviers et Tragi-comédie de ma surdité.
Le 21 mars 1952, bénéficiant d'une grâce médicale accordée par le président de la République Vincent Auriol, grâce réclamée maintes fois par l'écrivain Henry Bordeaux, auprès du président, par divers courriers, Charles Maurras est transféré à la clinique Saint-Grégoire de Saint-Symphorien-lès-Tours. Quelques mois avant sa mort, Maurras écrivait qu’il n’avait pas fait un pas dans la direction des choses éternelles ; les théologiens qui l’entouraient ne cessaient d’espérer un signe de conversion, mais Maurras était las de cet empressement et souhaitait qu’on mît fin à cette volonté obstinée de donner à boire à un âne qui n’a plus soif. Cependant, il meurt le 16 novembre 1952, après avoir reçu les derniers sacrements et plusieurs témoins ont attesté de la profondeur de sa conversion à l'article de la mort.

Idées politique Maurrassisme.

La principale originalité de Maurras réside dans le fait qu’il a réalisé avec toutes les apparences de la rigueur la plus absolue, l’amalgame de deux tendances jusqu’alors bien distinctes : le traditionalisme contre-révolutionnaire et le nationalisme. Ses travaux ont particulièrement marqué la droite française, incluant l'extrême droite, succès dû au fait qu'il parvint à théoriser un très grand nombre des idées politiques défendues par les différentes familles politiques de droite en une seule et unique doctrine cohérente en apparence. Trois autres raisons sont mises en avant pour expliquer le rayonnement du nationalisme intégral :
Le nationalisme intégral se présente comme un ensemble parfaitement cohérent ; c'est avec le marxisme la seule doctrine s’offrant aux esprits soucieux de rigueur et ennemis de l’opportunisme ; d'après l'historien Alain-Gérard Slama, l'efficacité de Maurras tient justement dans le rassemblement intellectuellement ordonné d'idées provenant de divers courants de droite alors que les familles politiques de droite étaient jusqu'alors caractérisées par leur seule opposition à la gauche ;
Le nationalisme intégral est une doctrine d’opposition radicale qui peut séduire ceux qui éprouvent un profond dégoût pour le monde dans lequel ils sont condamnés à vivre ;
Le nationalisme intégral est défendu par des revues de grande qualité sur le plan intellectuel ; l'incontestable qualité littéraire de L'Action française, son intérêt apporté au cinéma, la densité, la liberté de ton et de goût de ses pages critiques, la confiance faite à de très jeunes gens comme Boutang, Maulnier, Brasillach contribuent au succès d'un quotidien dont Marcel Proust disait en 1920 qu’il lui était impossible d’en lire un autre.

La politique naturelle

Charles Maurras est le fondateur du nationalisme positiviste. Au sentimentalisme barrésien s'oppose le positivisme maurrassien. Le martéga considère la politique comme une science. Sa politique naturelle se veut une politique scientifique, fondée sur le réel, objectivement observable et descriptible, c'est-à-dire une politique fondée sur la biologie et sur l'histoire. Pour Maurras comme pour tous les théoriciens de la contre-Révolution, Burke, Maistre, Ernest Taine, la nature se confond avec l'histoire. Lorsqu'il écrit que les sociétés sont des faits de nature et de nécessité, il veut dire qu'il faut se conformer aux leçons de l'histoire : Notre maîtresse en politique c'est l'expérience.
De telles affirmations ne sont pas neuves mais ce qui distingue Maurras de Maistre et des théocrates sur ce plan, c'est le recours à la biologie ; ici se manifeste l'influence du comtisme et du darwinisme. Un des développements de Mes idées politiques est intitulé De la biologie à la politique. Si Maurras préconise le recours à la monarchie, ce n'est nullement parce qu'il croit au droit divin des rois. Il ne prend pas en compte cet argument théologique et prétend ne recourir qu'à des arguments scientifiques : la biologie moderne a découvert la sélection naturelle, c'est donc que la démocratie égalitaire est condamnée par la science ; les théories transformistes mettent au premier plan le principe de continuité : quel régime mieux que la monarchie peut incarner la continuité nationale ?
Pour Maurras, l'État est menacé de perdre l'indépendance de son pouvoir de décision et de son arbitrage ; il lui manque d'être ab-solutus, sans lien de dépendance avec des partis qui tendent à compromettre le service qu'il doit rendre à l'ensemble de la nation et non à l'une ou l'autre de ses composantes. Sa conception du bien commun et de la raison d'État doit aussi à une certaine lecture de saint Thomas d'Aquin et de l'encyclique diuturnum que ses maîtres d'Aix avaient publié dans La Semaine religieuse et ainsi commentée : une société ne peut exister ni être conçue sans qu'il y ait quelqu'un pour modérer les volontés de chacun de façon à ramener la pluralité à une sorte d'unité, et pour leur donner l'impulsion, selon le droit et l'ordre, vers le bien commun.
D'où la position centrale du nationalisme intégral dans ses idées politiques. Celles-ci sont les bases de son soutien tant au royalisme français qu'à l'Église catholique et au Vatican. Cependant, il n'avait aucune loyauté personnelle envers la maison d'Orléans, et était un agnostique convaincu, jusqu'au retour au catholicisme à la fin de sa vie.
Inégalité, justice et démocratie
Dans l'avant-propos de son ouvrage Mes idées politiques, Charles Maurras entend définir le domaine au sein duquel la notion de justice a un sens car pour lui de nombreuses erreurs politiques procèdent d'une extension abusive de ce domaine : L'erreur est de parler justice qui est vertu ou discipline des volontés, à propos de ces arrangements qui sont supérieurs ou inférieurs à toute convention volontaire des hommes. Quand le portefaix de la chanson marseillaise se plaint de n'être pas sorti des braies d'un négociant ou d'un baron, sur qui va peser son reproche ? À qui peut aller son grief ? Dieu est trop haut, et la Nature indifférente. Le même garçon aurait raison de se plaindre de n'avoir pas reçu le dû de son travail ou de subir quelque loi qui l'en dépouille ou qui l'empêche de le gagner. Telle est la zone où ce grand nom de justice a un sens.
Pour Maurras, l'inégalité peut être bienfaisante en ce qu'elle permet une répartition protectrice des rôles et il doit s'agir pour l'État non soumis à la démagogie de les organiser au bénéfice de tous ; il est vain de vouloir supprimer les inégalités, cela est même dangereux du fait des effets secondaires pires que le mal que l'on prétend résoudre : Les iniquités à poursuivre, à châtier, à réprimer, sont fabriquées par la main de l'homme, et c'est sur elles que s'exerce le rôle normal d'un État politique dans une société qu'il veut juste. Et, bien qu'il ait, certes, lui, État, à observer les devoirs de la justice dans l'exercice de chacune de ses fonctions, ce n'est point par justice, mais en raison d'autres obligations qu'il doit viser, dans la faible mesure de ses pouvoirs, à modérer et à régler le jeu des forces individuelles ou collectives qui lui sont confiées. Mais il ne peut gérer l'intérêt public qu'à la condition d'utiliser avec une passion lucide les ressorts variés de la nature sociale, tels qu'ils sont, tels qu'ils jouent, tels qu'ils rendent service. L'État doit se garder de prétendre à la tâche impossible de les réviser et de les changer ; c'est un mauvais prétexte que la justice sociale : elle est le petit nom de l'égalité. L'État politique doit éviter de s'attaquer aux infrastructures de l'état social qu'il ne peut pas atteindre et qu'il n'atteindra pas, mais contre lesquelles ses entreprises imbéciles peuvent causer de généreuses blessures à ses sujets et à lui-même. Les griefs imaginaires élevés, au nom de l'égalité, contre une Nature des choses parfaitement irresponsable ont l'effet régulier de faire perdre de vue les torts, réels ceux-là, de responsables criminels : pillards, escrocs et flibustiers, qui sont les profiteurs de toutes les révolutions.… Quant aux biens imaginaires attendus de l'Égalité, ils feront souffrir tout le monde. La démocratie, en les promettant, ne parvient qu'à priver injustement le corps social des biens réels qui sortiraient, je ne dis pas du libre jeu, mais du bon usage des inégalités naturelles pour le profit et pour le progrès de chacun.
Maurras voit dans la république démocratique un régime démesuré où la démagogie égalitaire inspirée par une fausse conception de la justice fragilise les murailles de la cité et finit par emporter les degrés de la civilisation. Dans la démocratie, Maurras discerne un régime entropique d’élimination de la polis à laquelle se substitue une société amorphe d'individus égaux et épars, point sur lequel il rejoint Tocqueville.Prise en fait la démocratie c'est le mal, la démocratie c'est la mort. Le gouvernement du nombre tend à la désorganisation du pays. Il détruit par nécessité tout ce qui le tempère, tout ce qui diffère de soir : religion, famille, tradition, classes, organisation de tout genre. Toute démocratie isole et étiole l'individu, développe l’État au-delà de la sphère qui est propre à l’État. Mais dans la Sphère où l’État devrait être roi, elle lui enlève le ressort, l'énergie, même l’existence. … Nous n'avons plus d’État, nous n'avons que des administrations.
Maurras ne rejette pas le suffrage universel, il invite ses lecteurs à ne pas être des émigrés de l'intérieur et à jouer le rôle des institutions et du suffrage universel qu’il s’agit non de supprimer mais de le rendre exact et utile en en changeant la compétence : ne pas diriger la nation mais la représenter. Abolir la République au sommet de l’État et l’établir où elle n’est pas, dans les états professionnels, municipaux et régionaux. Maurras demande à ses lecteurs de jouer au maximum le jeu des institutions, il faut voter à toutes les élections : le mot d'ordre est celui du moindre mal.

Le nationalisme maurrassien

Le nationalisme maurrassien se veut contre-révolutionnaire, rationnel, réaliste, germanophobe, non ethniciste et conforme à la conception française de la nation.
Le nationalisme de Charles Maurras contrairement à celui de Péguy qui assume l'ensemble de la tradition française, ou à celui de Barrès qui ne récuse pas l'héritage de la Révolution, rejette l'héritage de 1789. Son nationalisme intégral rejetait tout principe démocratique qu'il jugeait contraire à l’inégalité protectrice, et critiquait les conséquences de la Révolution française : il prônait le retour à une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée. Le nationalisme de Maurras se veut intégral en ce que la monarchie fait partie selon lui de l'essence de la nation et de la tradition françaises. Maurras rejette le nationalisme de Paul Déroulède et son égalitarisme mystique, ancré sur les images de l'An II et 1848. Le royalisme est le nationalisme intégral car sans roi, tout ce que veulent conserver les nationalistes s'affaiblira d'abord et périra ensuite.
En contraste également avec Maurice Barrès, théoricien d'une sorte de nationalisme romantique basé sur l'ego, Maurras prétendait baser sa conception du nationalisme sur la raison plus que sur les sentiments, sur la loyauté et sur la foi. Mais Maurras exaltera la pensée de Maurice Barrès en ce que celle-ci est le fruit d'une évolution profonde ; partant des doutes et des confusions du moi, elle prit peu à peu conscience de la nation, de la tradition et de la sociabilité, qui la déterminent et l'élèvent : le culte du moi aboutit à une piété du nous.
La nation est pour Maurras une réalité avant d'être une idée ; il s'agit de dissocier le mot nation de son acception révolutionnaire : L'idée de nation n'est pas une nuée ; elle est la représentation en termes abstrait d'une forte réalité. La nation est le plus vaste des cercles communautaires qui soient au temporel solides et complets. Brisez-le et vous dénudez l'individu. Il perdra toute sa défense, tous ses appuis tous ses concours.
Le nationalisme de Charles Maurras est fondamentalement germanophobe ; Maurras, comme Fustel de Coulanges, était très hostile à l'idée de l'origine franque de la noblesse française et à la tendance à écrire l'histoire de France selon la méthode allemande. La méfiance à l'égard de l'Allemagne se traduit par une vigilance sur la politique de ce pays ; Walter Benjamin note à cet égard que l’orientation de l’Action française lui semble finalement la seule qui permette sans s’abêtir, de scruter les détails de la politique allemande.
Cette hostilité à l'Allemagne induit une méfiance à l'égard de tout ce qui peut détourner la France de la Revanche ; en particulier, Maurras est opposé aux conquêtes coloniales de la Troisième république ; le nationalisme maurrassien n'est pas impérialiste et Maurras se décrira à Barrès, comme un vieil adversaire de la politique coloniale.
Par ailleurs, le nationalisme maurrassien n'est pas antibritannique ; Maurras s'inquiète ainsi de l'antibritannisme qui pourrait détourner de la Revanche. Maurras admire l'élan vital de l'Angleterre qui concilie sagement le cosmopolitisme et le mieux défendu des nationalismes. Il rappelle son goût ancien et très vif pour Shakespeare qu'en 1890, il avait nommé un grand Italien, tant son œuvre est selon lui mue par la tradition latine et par Machiavel. Le peuple anglais lui apporte une image de ce que les Français ne sont plus, fiers dans leur roi d'être ce qu'ils sont :C'est qu'en Angleterre les choses sont à leur place.
La théorie nationale de Maurras rejette le messianisme et l'ethnicisme que l'on retrouve chez les nationalistes allemands héritiers de Fichte. La nation qu'il décrit correspond à l'acception politique et historique de Renan dans Qu'est-ce qu'une nation ?, aux hiérarchies vivantes que Taine décrit dans Les Origines de la France contemporaine, aux amitiés décrites par Bossuet.
Le nationalisme maurrassien se veut un réalisme opposé aux idéalismes naïfs et utopies internationalistes qui par leur irréalisme sont des pourvoyeurs de cimetières.
Le nationalisme d'Action française est à la fois militariste, c'est-à-dire pour le renforcement permanent de l'armée afin que dans l'éventualité d'une guerre, la nation soit victorieuse et souffre le moins possible, mais pacifiste, c'est-à-dire qu'économe du sang français, elle ne prône la guerre que si la France est en position de l'emporter et pour éviter un péril grave pour elle. L'Action française ne sera pas favorable au déclenchement des hostilités, ni en 1914, ni en 1939, la France n'étant pas prête pour gagner selon elle ; en revanche, elle prônera une intervention militaire en 1936 contre l'Allemagne afin d'empêcher qu'elle ne devienne dangereuse et conquérante. Pour l'Action française, ce ne sont pas les nationalisme qui sont fauteurs de guerre mais les impérialismes.

Le royalisme maurrassien

Maurras entend dépasser le nationalisme, doctrine rendue nécessaire par les temps, en l'ouvrant à ce qui théoriquement ne procède pas d'un parti, à ce qui seul peut décrire l'unité politique d'une nation, au-dessus des opinions : le principe royal. On ne restaure la monarchie non pour elle-même mais pour ce qu'elle peut apporter à la nation. La conclusion de Maurras est le nationalisme intégral, c’est-à-dire la monarchie : sans la monarchie, la nation périra. Le fameux « politique d’abord » ne signifie pas que l’économie a moins d’importance que la politique, mais qu’il faut commencer par réformer les institutions : « Ne pas se tromper sur le sens de politique d’abord. L’économie est plus importante que la politique. Elle doit donc venir après la politique, comme la fin vient après le moyen. » La monarchie selon Maurras est traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée.
Les deux caractères, traditionnelle et héréditaire, résultent immédiatement de la politique naturelle. Tradition veut dire transmission, transmission d’un héritage. Maurras parle du devoir d’héritier ainsi que du devoir de léguer et de tester. Il souligne les bienfaits de l’institution parentale : Les seuls gouvernements qui vivent longuement, écrit-il dans la préface de Mes idées politiques, les seuls qui soient prospères, sont, toujours et partout, publiquement fondés sur la forte prépondérance déférée à l’institution parentale. Il est partisan d’une noblesse héréditaire, il conseille aux fils de diplomates d’être diplomate, aux fils de commerçants d’être commerçant, etc. La mobilité sociale lui paraît provoquer une déperdition du rendement humain, expression dont il se sert dans L’Enquête sur la Monarchie. Pour Maurras, le gouvernement légitime, le bon gouvernement c’est celui qui fait ce qu’il a à faire, celui qui fait le bien, celui qui réussit l’œuvre du bien public. Sa légitimité se vérifie à son utilité. Or, le souci vigilant de l’intérêt public est selon lui cruellement dispersé dans la démocratie alors qu'en monarchie il est rassemblé dans la personne du souverain : Ce que le prince aura de cœur et d’âme, ce qu’aura d’esprit, grand, petit ou moyen, offrira un point de concentration à la conscience publique : le mélange d’égoïsme innocent et d’altruisme spontané inhérent aux réactions d’une conscience de roi, ce que Bossuet nomme son patriotisme inné, se confondra psychologiquement avec l’exercice moral de des devoirs d’État : le possesseur de la couronne héréditaire en est aussi le serf, il y est attaché comme à une glèbe sublime qu’il lui faut labourer pour vivre et pour durer. La nation a intérêt à être dirigé par un dirigeant dont les intérêts coïncident avec les siens et dont l'égoïsme privé devient une vertu publique. L'égoïsme des politiciens tend à s'identifier avec celui des partis, celui du Roi tend à s'identifier avec celui de la Patrie.
La doctrine de Maurras est antidémocratique et antiparlementaire. Sur ce thème, il affirme que l'histoire prouve qu’une république fondée sur les aléas de la démocratie parlementaire est incapable d’avoir une politique étrangère cohérente dans la durée ou du moins d’avoir les moyens de sa politique : les intérêts à court terme des partis passent avant les intérêts à long terme de la patrie. Il s’en prend au respect du nombre et au mythe de l’égalité devant la loi l’inégalité est pour lui naturelle et bienfaisante, au principe de l’élection contrairement à ce que croient les démocrates, le suffrage universel est conservateur, au culte de l’individualisme. Il dénonce le panjurisme démocratique, qui ne tient aucun compte des réalités. Il attaque avec une particulière violence les instituteurs, les Juifs, les démocrates chrétiens. Il affirme qu’il n’y a pas un Progrès mais des progrès, pas une Liberté mais des libertés : Qu’est-ce donc qu’une liberté ? - Un pouvoir. D’autre part Maurras déteste le règne de l’argent, non pas les financiers et les capitalistes en tant que tels, mais l'influence illégitime qu'ils peuvent chercher à exercer sur l'État. Il souligne les liens entre démocratie et capitalisme ; son traditionalisme est opposé au pouvoir exclusif de la bourgeoisie ; sur ce point, il est d’accord avec Péguy et sa doctrine est en harmonie avec les sentiments des hobereaux plus ou moins ruinés qui constituaient souvent les cadres locaux de L’Action française.
Maurras est un adversaire de la centralisation napoléonienne. Il estime en effet que cette centralisation, qui a pour conséquence l’étatisme et la bureaucratie rejoignant ainsi les idées de Proudhon, est inhérente au régime démocratique. Il affirme que les républiques ne durent que par la centralisation, seules les monarchies étant assez fortes pour décentraliser. Maurras dénonce l'utilisation insidieuse du mot décentralisation par l'État, qui lui permet de déconcentrer son pouvoir tout en se donnant un prestige de liberté : à quoi bon créer des universités en province si l'État central les commande entièrement. Comme Maurice Barrès, Charles Maurras exalte la vie locale comme la condition même du fait politique et du civisme, annihilée ou atrophiée par la centralisation : c'est par le biais décentralisateur et fédéraliste, par la défense des traditions locales que doit s'effectuer le passage d'un nationalisme jacobin, égalitaire et étatiste, à un nationalisme historique et patrimonial appuyé sur les diversités de la nation française, hostile à l'emprise de l'État central : Il n'est guère enviable d'être mené comme un troupeau, à coup de règlements généraux, de circulaires contradictoires, ni d'être une organisation toute militaire. Pour Maurras, il faut refonder l'État, un État véritable : l'État redevenu la Fédération des régions autonomes, la région, la province redevenues une Fédération de communes ; et le commune, enfin, premier centre et berceau de la vie sociale. Pour Maurras, il ne s'agit pas de faire revivre les anciennes provinces de l'Ancien Régime car leur découpage a varié d'un siècle par l'effet des traités, des donations, des mariages, des coutumes du droit féodal à l'autre mais de réfléchir au projet de création régions épousant les désirs de la nature, ses vœux, ses tendances. Décentralisation territoriale sans doute, mais aussi et surtout décentralisation professionnelle, c’est-à-dire corporatisme : il faut redonner une vie nouvelle aux corps de métier, à toutes ces communautés naturelles dont l’ensemble forme une nation.
Charles Maurras est hostile à l'influence politique sur le royalisme du romantisme dans lequel il voit une manifestation d'un esprit incompatible au génie gréco-latin, à l'esprit d'ordre et de clarté qui soit selon lui animer l'esprit français. Il s'en prend en particulier à Chateaubriand dont la pensée ne constitue pas pour les royalistes français un appui solide ; il ne méconnaît pas le génie littéraire de l'homme mais il perçoit que Chateaubriand n'aime la monarchie qu'au passé : Chateaubriand n'a jamais cherché dans la mort et dans le passé, le transmissible, le fécond, le traditionnel, l'éternel : mais le passé, comme passé, et la mort, comme mort, furent ses uniques plaisirs. Il a habitué ses lecteurs à l'idée que la monarchie aussi belle qu'elle soit, n'était au fond qu'un beau souvenir, sans voir ce qu'elle pourrait apporter dans le futur.

Critique de la Révolution française et de ses sources

Charles Maurras était hanté par l'idée de décadence, partiellement inspirée par ses lectures d'Hippolyte Taine et d'Ernest Renan. Comme ses derniers, il pensait ainsi que la décadence de la France trouvait son origine dans la Révolution de 1789 ; la Révolution française, écrivait-il dans L’Observateur, était objectivement négative et destructive par les massacres, les guerres, la terreur, l'instabilité politique, le désordre international, la destruction du patrimoine artistique et culturel dont elle fut la cause.
L'origine de la Révolution se trouve selon lui dans les Lumières et à la Réforme ; il décrivait la source du mal comme étant des idées suisses, une référence à la nation adoptive de Calvin et la patrie de Jean-Jacques Rousseau. Ce dernier incarnait la rupture avec le classicisme que Maurras considérait comme l'expression du génie grec et latin, ce qui se ressent nettement dans ses recueils de poèmes, notamment La Musique intérieure et La Balance intérieure. La critique du protestantisme est thème récurrents de ses écrits : ainsi quand il définit la notion de Civilisation et son principe dans ses Œuvres Capitales, il affirme que la Réforme a eu pour effet le recul de la Civilisation. Il ajoutait que la Révolution n'était que l'œuvre de la Réforme en ce que l'esprit protestant symbolise selon lui l'individualisme exacerbé, destructeur du lien social et politique, tel qu'Auguste Comte le décrit et le condamne. Il y aura toutefois une composante protestante à l'Action française dont Jacques Delebecque et Henri Boegner sont les plus connus. Maurras tempèrera son antiprotestantisme par la suite et se livrera à la mort du géographe protestant Onésime Reclus à son panégyrique, regrettant sa rencontre manquée avec lui.
Pour Maurras, la Révolution française avait contribué à instaurer le règne de l'étranger et de l' Anti-France, qu'il définissait comme les quatre États confédérés des Protestants, Juifs, Francs-maçons, et métèques. En effet, pour lui, Protestants, Juifs et Francs-maçons étaient comme des étrangers internes dont les intérêts en tant que communautés influentes ne coïncidaient pas avec ceux de la France.
La pensée de Maurras est également caractérisée par un militantisme antimaçonnique. À propos de la franc-maçonnerie, il écrit dans son Dictionnaire politique et critique : Si la franc-maçonnerie était jadis un esprit, d’ailleurs absurde, une pensée, d’ailleurs erronée, une propagande, d’ailleurs funeste, pour un corps d’idées désintéressées ; n’est aujourd'hui plus animé ni soutenu que par la communauté des ambitions grégaires et des appétits individuels.
Maurras pensait ainsi que la Réforme, les Lumières, et la Révolution française ont eu pour effet l'invasion de la philosophie individualiste dans la cité française. Les citoyens la composant se préoccupant, d'après Maurras, avant tout de leur sort personnel avant de s'émouvoir de l'intérêt commun, celui de la nation. Il croyait alors que cette préoccupation individualiste et antinationale était la cause d'effets indésirables sur la France ; la démocratie et le libéralisme ne faisant qu'empirer les choses.

Différences avec les traditions orléaniste et légitimiste

Même si Maurras prônait un retour à la monarchie, par bien des aspects son royalisme ne correspondait pas à la tradition monarchiste française orléaniste, ou à la critique de la Révolution de type légitimiste. Son antiparlementarisme l'éloignait de l'orléanisme et son soutien à la monarchie et au catholicisme étaient explicitement pragmatiques et non fondés sur une conception providentialiste ou religieuse caractéristique du légitimisme.
L'hostilité de Maurras à la Révolution se combinait avec une admiration pour le philosophe positiviste Auguste Comte dans laquelle il trouvait une contre-balance à l'idéalisme allemand et qui l'éloignait de la tradition légitimiste. Du comtisme, Maurras ne retient ni la théorie des trois âges, ni la religion du Grand Être, ni la filiation avec l'athéisme philosophique mais l'idée que l’Église catholique a joué un rôle bénéfique pour la civilisation, la société et l'homme indépendamment de l'affirmation personnelle de foi226. Contrairement au royalisme légitimiste qui met en avant la providence divine, Maurras se borne à vouloir chercher les lois de l'évolution des sociétés et non ses causes premières qu'il ne prétend pas identifier.
Certaines intuitions de Maurras à propos du langage annoncent le structuralisme et se détachent de toute recherche métaphysique : Ce qui pense en nous, avant nous, c'est le langage humain, qui est, non notre œuvre personnelle, mais l'œuvre de l'humanité, c'est aussi la raison humaine, qui nous a précédés, qui nous entoure et nous devance.
D'autres influences incluant Frédéric Le Play lui permirent d'associer rationalisme et empirisme, pour aboutir au concept d' empirisme organisateur, principe politique monarchique permettant de sauvegarder ce qu'il y a de meilleur dans le passé.
Alors que les légitimistes rechignaient à s'engager vraiment dans l'action politique, se retranchant dans un conservatisme catholique intransigeant et une indifférence à l'égard du monde moderne considéré comme mauvais du fait de sa contamination par l'esprit révolutionnaire, Maurras était préparé à s'engager entièrement dans l'action politique, par des manières autant orthodoxes que non orthodoxes les Camelots du roi de l'Action française étaient fréquemment impliqués dans des bagarres de rue contre des opposants de gauche, tout comme les membres du Sillon de Marc Sangnier. Sa devise était politique d'abord .

Politique sociale

En dépit de l'appui mesuré et prudent qu'il donna au Cercle Proudhon, cercle d'intellectuels divers et indépendants, Charles Maurras défendit une politique sociale plus proche de celle de René de La Tour du Pin ; Maurras ne fait pas comme Georges Sorel et Édouard Berth le procès systématique de la bourgeoisie où il voit un appui possible. À la lutte des classes, Maurras préfère opposer comme en Angleterre, une forme de solidarité nationale dont le roi peut constituer la clef de voûte.
À l'opposé d'une politique de masse, il aspire à l'épanouissement de corps intermédiaires librement organisés et non étatiques, l'égoïsme de chacun tournant au bénéfice de tous. Les thèmes sociaux que traite Charles Maurras sont en concordance avec le catholicisme social et avec le magistère de l’Église tout en relevant également d'une stratégie politique pour arracher à la gauche son emprise sur la classe ouvrière.
Comme l'Action française, le cercle Proudhon est décentralisateur et fédéraliste, et insiste sur le rôle de la raison et de l'empirisme ; il se trouve loin de l'irrationalisme, du jeunisme du populisme, de l'intégration des masses dans la vie nationale qui caractériseront par exemple les ambitions du fascisme italien, gonflé par les conséquences sociales de la guerre. Charles Maurras veilla cependant à ce que le cercle Proudhon ne soit pas intégré à l'Action française : il rejetait en effet le juridisme contractualiste de Proudhon, qui représente pour lui un point de départ plutôt qu'une conclusion : Je ne dirai jamais : lisez Proudhon à qui a débuté par la doctrine réaliste et traditionnelle, mais je n'hésiterai pas à donner ce conseil à quiconque ayant connu les nuées de l'économie libérale ou collectiviste, ayant posé en termes juridiques ou métaphysiques le problème de la structure sociale, a besoin de retrouver les choses vivantes sous les signes sophistiqués ou sophistiqueurs ! Il y a dans Proudhon un fort goût des réalités qui peut éclairer bien des hommes.

Antisémitisme d'État

Charles Maurras hérite de la pensée de La Tour du Pin le principe de la lutte contre les États dans l'État et il l'applique à ce qu'il appelle les « quatre États confédérés » juif, protestant, franc-maçon et métèque étranger, expression qu'il reprend cependant à Henri Vaugeois qui l'utilise en juin 1899 ; Maurras souhaite que l'État ne soit plus soumis à l'influence de ces quatre États confédérés qui défendent leur intérêt et non celui de la nation. Contre l’hérédité de sang juif, il faut l’hérédité de naissance française, et ramassée, concentrée, signifiée dans une race, la plus vieille, la plus glorieuse et la plus active possible. … Décentralisée contre le métèque, antiparlementaire contre le maçon, traditionnelle contre les influences protestantes, héréditaire enfin contre la race juive, la monarchie se définit, on le voit bien, par les besoins du pays. Nous nous sommes formés en carré parce qu’on attaquait la patrie de quatre côtés.
Le problème juif est pour Maurras que l'intérêt juif rentre fatalement en concurrence avec l'intérêt français et que si la France dans un régime fédéraliste peut être une fédération de peuples autonomes dans le cadre des provinces, il ne peut en être autrement des Juifs qui n'ont pas de sol à eux en France et qui en possèdent de droit un hors de France en Palestine. Chaque ligueur de l'Action française devait prêter un serment disant notamment : Seule, la Monarchie assure le salut public et, répondant de l’ordre, prévient les maux publics que l’antisémitisme et le nationalisme dénoncent. Selon Laurent Joly, la lutte antijuive est au cœur du combat contre la République. Jusque-là, l’AF était une association d’intellectuels qui se réunissaient au café de Flore et lançaient leurs mots d'ordre dans une revue paraissant tous les quinze jours. Dorénavant, le mouvement dispose de troupes préparées à l'agitation et au coup de poing. La doctrine est fixée, la stratégie également : ces combats prendront pour cible privilégiée les Juifs.
De fait, le discours antisémite n'est au moment de la naissance de l'Action française pas l'apanage des courants de pensée réactionnaires ou nationalistes ; François Huguenin, analysant l’antisémitisme de Maurras, rappelle que Voltaire évoqua Le plus abominable peuple de la Terre, que Marx développa dans La Question juive et Le Capital un antisémitisme farouche ; il affirme que Jaurès et Clemenceau auront contre les Juifs des formules que jamais Maurras n'osera.
Maurras n'écrira pas de livre spécifique sur la question juive mais dénoncera régulièrement l'influence juive en recourant à la violence verbale qui caractérise son style polémique, courante à son époque et qui touchait autant les non-Juifs. Ainsi, il déploya, avec ses principaux collaborateurs, une grande virulence, allant régulièrement jusqu'à la menace de mort explicite. Maurras publia ainsi une lettre ouverte à Abraham Schrameck, ministre de l'Intérieur, en 1925, après l'assassinat de plusieurs dirigeants de l'Action française comme Marius Plateau : Ce serait sans haine et sans crainte que je donnerais l'ordre de répandre votre sang de chien si vous abusiez du pouvoir public pour répandre du sang français répandu sous les balles et les couteaux des bandits de Moscou que vous aimez, ce qui lui valut d'être condamné pour menace de mort. Il récivide en 1935 et 1936 contre Léon Blum, avant comme après la nomination de celui-ci à la présidence du Conseil :
Ce Juif allemand naturalisé, ou fils de naturalisé, la famille Blum était française de plein droit depuis 1791, qui disait aux Français en pleine Chambre qu’il les haïssait Blum n'a jamais dit cela, n’est pas à traiter comme une personne naturelle. C’est un monstre de la République démocratique. Et c’est un hircocerf de la dialectique heimatlos. Détritus humain à traiter comme tel… L’heure est assez tragique pour comporter la réunion d’une cour martiale qui ne saurait fléchir. M. Reibel demande la peine de mort pour les espions. Est-elle imméritée pour les traîtres ? Vous me direz qu’un traître doit être de notre pays : M. Blum en est-il ? Il suffit qu’il ait usurpé notre nationalité pour la décomposer et la démembrer. Cet acte de volonté, pire qu’un acte de naissance, aggrave son cas. C’est un homme à fusiller, mais dans le dos.
C'est en tant que Juif qu'il faut voir, concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum. Ce dernier verbe paraîtra un peu fort de café : je me hâte d'ajouter qu'il ne faudra abattre physiquement Blum que le jour où sa politique nous aura amené la guerre impie qu'il rêve contre nos compagnons d'armes italiens. Ce jour-là, il est vrai, il ne faudra pas le manquer.
Certes, Maurras ne réservait pas, dans le deuxième cas, sa menace au seul Léon Blum mais contre l'ensemble des parlementaires partisans de sanction contre l'Italie fasciste, qui avait envahi l'Éthiopie, en violation de la charte de la Société des Nations ; mais, outre que seul Léon Blum fut victime d'une agression physique par des maurrassiens, en février 1936, du 6 au 21 juin 1936, au moins sept manchettes de L'Action française sont des attaques antisémites visant le gouvernement de Front populaire. De même, après l'attaque verbale de Xavier Vallat contre Léon Blum, ce fut essentiellement la presse d'Action française, Maurras en tête, qui fit de la surenchère antisémite. Déjà, en 1911, la plupart des articles publiés par Maurras cette année-là contenaient des attaques antisémites et une vingtaine étaient spécifiquement consacrés à la question juive. En 1938 que l'antisémitisme de Maurras franchit un palier lorsqu'il écrit : Le Juif veut votre peau. Vous ne la lui donnerez pas ! Mais nous l’engageons à prendre garde à la sienne, s’il lui arrive de nous faire accéder au massacre universel.

L'antisémitisme d'État de Maurras occupe cependant une place modeste dans son œuvre selon Léon Poliakov qui évoque les bons Juifs qu'avait distingués Maurras par leur engagement dans la Grande Guerre, comme Pierre David et René Groos, Juif d'Action française, pour qui la Monarchie, par le recours au Roi justicier et conciliateur, peut seule résoudre le problème juif.Pour François Huguenin, il n'y a pas chez Maurras, ni dans l'ensemble de la rédaction de L'Action française, une plus grande hostilité à la communauté juive qu'aux protestants, et qui sous-tendrait un racisme fondamental. Inversement, pour Laurent Joly, Chez Charles Maurras, la haine du Juif occupe une place prépondérante tant dans son univers mental que dans la construction politique qu’il a élaborée. Et il est exagéré de mettre, comme on le fait souvent, son antisémitisme sur le même plan que ses sentiments à l’égard des protestants et des francs-maçons, et de ne le considérer que comme une conséquence de son idéologie antilibérale et monarchiste. Habituellement virulent contre ses adversaires politiques, Maurras peut modérer son point de vue vis-à-vis des protestants, comme les Monod par exemple. Il ne manifestera jamais la même clémence à l’égard d’un Juif. Ce dernier peut rendre des services à la nation, il ne sera jamais un vrai Français. Laurent Joly s'appuie en particulier sur deux citations de Maurras. L'une à propos des protestants : Nous n’attaquons pas les protestants ; nous nous défendons contre eux, ce qui n’est pas la même chose. Nous n’avons jamais demandé d’exclure les protestants de l’unité française, nous ne leur avons jamais promis le statut des Juifs. L'autre à propos des francs-maçons et des protestants à la fois : Nous en avons à leur gouvernement et à leur tyrannie, non à leur existence contrairement aux Juifs. S. Giocanti argue que Charles Maurras eut des propos positifs sur des politiciens juifs comme Benjamin Disraeli, mais Disraeli s'était converti au christianisme.
Charles Maurras est conscient du problème éthique posé par l'antisémitisme biologique : en 1937, il affirme : L'antisémitisme est un mal, si l'on entend par là cet antisémitisme de peau qui aboutit au pogrom et qui refuse de considérer dans le Juif une créature humaine pétrie de bien et de mal, dans laquelle le bien peut dominer. On ne me fera pas démordre d'une amitié naturelle pour les Juifs bien nés. Lors de la promulgation du statut des Juifs, Charles Maurras insistera sur cette distinction entre l'antisémitisme de peau et l’antisémitisme d'État ; Maurras condamne l'antisémitisme racial et biologique et affirme que l'État ne doit en vouloir ni à la foi religieuse des Israélites, ni à leur sang, ni à leur bien. En 1941, il réaffirme la spécificité de son antisémitisme d'État : On pose bien mal la question. Il ne s'agit pas de flétrir une race. Il s'agit de garder un peuple, le peuple français, du voisinage d'une peuple, qui, d'ensemble, vit en lui comme un corps distinct de lui …. Le sang juif alors ? Non. Ce n'est pas quelque chose d'essentiellement physique. C'est l'état historique d'un membre du peuple juif, le fait d'avoir vécu et de vivre lié à cette communauté, tantôt grandie, tantôt abaissée, toujours vivace. Dans sa Philosophie de l'antisémitisme, Michel Herszlikowicz affirme que Maurras avait compris les dangers du racisme et des mouvements de masse mais que son erreur consiste dans l'idée que l'antisémitisme peut devenir une conception dépouillée de toute sentimentalité et de toute brutalité. Inversement, pour Ralph Schor, dans la pratique, le maître à penser de l'Action française ne différait guère des autres antisémites ; la différence était théorique. De fait, Maurras prône pour les Juifs un statut personnel, la protection et la justice mais leur refuse l'accès aux fonctions publiques. Selon Stéphane Giocanti, cet antisémitisme se veut moins grossier que d'autres, en condamnant les théories pseudo-scientifiques, et en rejetant la haine ordurière que l'on trouve chez Édouard Drumont et il se présente comme une construction plus rationnelle et apte à séduire un public bourgeois, sensible à la bonne conscience. Toutefois, encore en 1911, Maurras qualifiait Drumont de maître génial et de grand Français qui a posé la difficile question de l’antisémitisme d’État.Maurras ajoutait : Le Juif d’Algérie, le Juif d’Alsace, le Juif de Roumanie sont des microbes sociaux. Le Juif de France est microbe d’État : ce n’est pas le crasseux individu à houppelande prêtant à la petite semaine, portant ses exactions sur les pauvres gens du village ; le Juif d’ici opère en grand et en secret.Et en 1907, l'Action française avait tenté de racheter La Libre Parole, journal de Drumont, car l'AF, à ce moment-là, ambitionne de se poser en successeur légitime du père de La France juive Drumont Selon Jean Touchard et Louis Bodin, l'antisémitisme de Charles Maurras, de L'Action française en général, et de quelques autres auteurs d'extrême droite atteignit en 1936 un degré de violence qui fait paraître modérés les écrits d'Édouard Drumont.
Refusant le racisme et l'antisémitisme biologique, Charles Maurras reçut des témoignages de fidélité de juifs français, comme celui du sergent Pierre David que Maurras nommera le héros juif d'Action française. D'autres juifs deviendront des ligueurs d'Action française comme Marc Boasson, Georges et Pierre-Marius Zadoc, Raoul-Charles Lehman, le professeur René Riquier, les écrivains Louis Latzarus et René Groos. En 1914 le journal publie l'éloge funèbre d'Abraham Bloch, grand rabbin de Lyon, tué au cours de la bataille de la Marne.
Pour Maurras, l'antisémitisme est un instrument, un ressort dialectique et insurrectionnel, une idée à la fois contre-révolutionnaire et naturaliste, un levier qui permet de mobiliser les énergies contre l'installation de la démocratie libérale, vision qu'il partage avec des syndicalistes révolutionnaires de l'extrême gauche engagés dans la lutte insurrectionnelle.
Certains maurrassiens théorisent l'antisémitisme ; ainsi, Octave Tauxier, pour qui l'antisémitisme, en manifestant que les communautés d'intérêt existent, agissent et vivent pour leur compte, ruine par les faits la théorie révolutionnaire jacobine refusant l'homme de chair mais concevant un homme abstrait comme une unité raisonnable forçant sa nature rebelle aux groupements que seule la tradition rend stable. Léon de Montesquiou déclare : Le Juif est l’agent destructeur de notre foi et de la patrie. Nous sommes prêts à sacrifier nos existences pour débarrasser la France des Juifs.Léon Daudet ajoute : La guerre est déclarée comme en 1870.… C’est une guerre franco-juive. Une première bataille a été livrée, elle a été gagnée ; il s’agit de continuer.Daudet écrit aussi, dans le contexte du Front populaire :
Du fait de la République, régime de l’étranger, nous subissons actuellement trois invasions : la russe, l’allemande, et notamment la juive allemande, l’espagnole. La crapule de ces trois nations s’infiltre et s’installe chez nous. Elle y pille, elle y corrompt et elle y assassine. Ce mouvement immonde, et qui va en accélérant, annonce la guerre. Il date de loin, de l’affaire du traître Dreyfus. La domination d’un Juif rabbinique, Léon Blum, totalement étranger à nos mœurs, coutumes et façons de comprendre et de ressentir, multiplie actuellement le danger par dix.
D’autres maurrassiens sont indifférents à ce thème et ne sont pas antisémites, comme Jacques Bainville sous la plume desquels on ne trouve aucun texte antijuif.

Maurras et les dictatures européennes non communistes, le fascisme

Pour François Huguenin, comprendre la position de Maurras face au fascisme nécessite de prendre en compte trois ordres de préoccupation autonomes parfois confondus : celui de la politique extérieure, celui de l'idéologie, celui de la réussite révolutionnaire.
Sur le plan de la technique de la prise de pouvoir, les maurrassiens seront impressionnés par la capacité du fascisme à mettre fin au désordre démocratique libéral.
Sur le plan de la politique extérieure, Maurras ne cessera de prôner face au péril allemand une union latine englobant la France, l'Italie, l'Espagne et le Portugal. En 1935, Maurras s'opposera aux sanctions contre le régime fasciste pour empêcher de pousser Mussolini à s'allier avec Hitler, alors que Mussolini souhaitait initialement contrer l'expansion du national-socialisme en liaison avec les alliés de l'Italie pendant la Première Guerre mondiale comme la France. L'idéologie ne dicte par cette volonté d'alliance orientée contre l'Allemagne qui explique la discrétion des critiques de Maurras contre le fascisme italien, critiques pourtant contenues dans l'anti-étatisme de Maurras.
Sur le plan idéologique, Maurras met en garde contre une trop grande admiration de Mussolini et sa position évolue avec l'évolution du fascisme ; au tout début du fascisme, avant le développement de l'étatisme et la théorisation par le fascisme du totalitarisme, Maurras souligne la parenté entre certaines de ses idées et celles du mouvement de Mussolini ; mais dès 1928, il écrit : C'est la naïveté courante. Ceux qui la formulent et la propagent innocemment ne se rendent pas compte qu'une action d'ordre et de progrès comme celle du fascisme italien suppose une base solide et stable, que la Monarchie fournit et qu'un certain degré d'aristocratie, ou, si l'on veut, d'antidémocratie doit encore la soutenir. Comme Massis, Maurras s'inquiétera des lois scolaires du fascisme. Quand en 1932, Mussolini déclare qu'en dehors de l'État, rien de ce qui est humain ou spirituel n'a une valeur quelconque, Maurras dénonce une conception aux antipodes de sa pensée : rappelant le double impératif de fortifier l'État et d'assurer la liberté des groupes sociaux intermédiaires, il réaffirme combien les partisans du nationalisme intégral ne sont pas étatistes.
Le souci de ménager l'Italie pour éviter qu'elle ne s'engage militairement avec l'Allemagne et l'admiration de la réussite d'un coup de force tranchant avec l'impuissance des nationalistes français expliquent la faible insistance à souligner les divergences importantes avec le fascisme italien.
Charles Maurras, dans sa réflexion centrée sur la France, n'a jamais pris la peine de réfuter les expériences politiques étrangères, ce qui vaut pour le marxisme comme pour le fascisme et l'Action française s’accommodera pour l'étranger de régimes dont elle ne voudrait pas pour la France. C'est à un de ses disciples, Thierry Maulnier, que reviendra de dénoncer le fascisme, comme si l'attraction fasciste était plus sensible pour un homme de sa génération que pour un homme comme Maurras ; Thierry Maulnier multipliera dans le quotidien de Maurras ou dans d'autres publications les écrits contre le fascisme, ce collectivisme autoritaire, religieux, total et désolant et la civilisation française. De façon générale, nombre de maurrassiens ont affirmé que la pensée de Maurras les avaient prémunis de l'attraction du fascisme ; dans les années 1990, Raoul Girardet dira : Même ébréchée, la doctrine maurrassienne constituait à cet égard une barrière solide : la conception totalitaire de l'État et de la société lui était complètement étrangère.

Lire la suite -> http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=7227#forumpost7227


#254 Charles Maurras 3
Loriane Posté le : 16/11/2014 18:00
Son oeuvre

Les activités politiques ne diminuent en rien l'œuvre littéraire où s'ajoutent, aux analyses politiques, les ouvrages du félibre toujours présent en Maurras, comme Musique intérieure 1925, recueil de poèmes. Et quand il connaît la prison, en 1935, à la suite des menaces de mort qu'il avait adressées aux parlementaires coupables d'avoir voté les sanctions contre Mussolini à l'occasion de la guerre d'Éthiopie, non seulement il continue à rédiger son article quotidien, mais il élabore largement des ouvrages qui deviendront Mes Idées politiques 1937, bilan synthétique de sa doctrine, Arles au temps des fées 1937, Les Vergers sur la mer 1937, Devant l'Allemagne éternelle 1937, Jeanne d'Arc, Louis XIV, Napoléon 1937.
Son art de la polémique, son talent littéraire et la participation constante de l'Action française en tête de l'agitation des ligues donnèrent à Maurras, surtout dans le milieu étudiant, une large audience. Des hommes aussi différents que Daudet et Massis, Brasillach et Bernanos, sans oublier Pierre Gaxotte, Jacques Maritain, Thierry Maulnier, Kléber Haedens et, au début de l'Action française, Barrès, Henri Bordeaux, Jacques Bainville, Paul Bourget se trouvèrent un moment rassemblés sous l'étendard maurrassien. Mais comme Maritain en 1926, Bernanos en 1932, Brasillach en 1941, beaucoup le quittèrent, soit en raison de sa doctrine sur le christianisme judaïsant, Le Venin juif de l'Évangile, soit en raison de son antisémitisme qui prenait trop souvent les apparences du racisme, soit en raison de ses atermoiements devant toute entreprise de conquête du pouvoir, soit encore à la suite de la condamnation de Rome. Dès avant 1914, l'Église s'inquiétait en effet de l'influence sur les esprits chrétiens de ce maître qui, tout en proclamant son respect et son admiration pour elle, demeurait un agnostique, alors qu'il dirigeait un journal et un mouvement surtout composés de catholiques. Pour Maurras, l'Église n'était qu'une autorité utile pour l'ordre, un temple des définitions du savoir. Déjà ses principaux ouvrages avaient été mis à l'Index quand, en 1926, le Vatican condamna son mouvement : lecture du journal et appartenance au mouvement d'Action française étaient interdites sous peine d'être exclu des sacrements. Le coup fut durement ressenti, et il était trop tard pour que le journal retrouvât vraiment toute son influence ; la rupture avec le prétendant, Henri, comte de Paris, qui « pour ne pas compromettre les chances de la monarchie se désolidarisait de ses supporters nov. 1937 lui portait un nouveau coup. En 1939, à la suite des articles de Maurras sur la guerre d'Espagne, Pie XII abrogea la condamnation prononcée par Pie XI.
Arrêté en septembre 1944, Maurras est jugé et condamné à la dégradation civique et à la détention perpétuelle. À Riom puis à Clairvaux, il poursuit son œuvre tant politique que littéraire en écrivant L'Ordre et le désordre 1948, Le Parapluie de Marianne 1948, Pour un jeune Français 1949, Mon jardin qui s'est souvenu 1949, Le Beau Jeu des reviviscences 1952. Ayant obtenu une grâce en raison de sa santé, il achève, avant de mourir à la clinique de Tours et ayant retrouvé la foi de son enfance, un livre sur Pie X et un recueil de poèmes.

Maurras et le national-socialisme

La condamnation du national-socialisme se fonde sur une série d'arguments se situant à différents niveaux d'analyse.
Maurras dénonce le racisme depuis le début de son activité politique : Nous ne pouvions manquer, ici d’être particulièrement sensibles : le racisme est notre vieil ennemi intellectuel ; dès 1900, ses maîtres français et anglais, Gobineau, Vacher de Lapouge, Houston Chamberlain, avaient été fortement signalés par nous à la défiance des esprits sérieux et des nationalistes sincères. Charles Maurras écrit en 1933 : Nous ne croyons pas aux nigauderies du racisme. Maurras traite de basses sottises les idées de Joseph de Gobineau et de Georges Vacher de Lapouge et rappelle : J'ai, pour mon compte, toujours pris garde de séparer les réflexions sur l'hérédité politique et économique d'avec les généralisations vagues, aventureuses et captieuses sur la stricte hérédité physiologique. Pour Maurras : Nous sommes des nationalistes. Nous ne sommes pas des nationalistes allemands. Nous n'avons aucune doctrine qui nous soit commune avec eux. Toutes les falsifications, tous les abus de textes peuvent être tentés : on ne fera pas de nous des racistes ou des gobinistes. Maurras écrit à propos du nazisme : l’entreprise raciste est certainement une folie pure et sans issue.
Maurras précise sa critique métaphysique du nazisme en soulignant fondements fichtéens : il dénonce l’image de l’homme allemand défini par Fichte, initiateur du narcissisme originel et fondamental où Hitler se retrouve ; Maurras insiste sur l'horreur fichtéenne d'Hitler pour le fédéralisme, sa démagogie métaphysique, son déisme à la Robespierre. Maurras est un des rares à souligner la dimension et l’inversion théologique du nazisme, son imitation caricaturale et perverse d’Israël et comme Alain Besançon, il voit le national-socialisme procéder à une contrefaçon fichtéenne de la notion de peuple élu. Dès le début des années 1930, Maurras et l'Action française mettent en garde contre le messianisme du nationalisme allemand dont le national-socialisme est l'expression accomplira jusqu'à la folie la logique dominatrice.
Le nationalisme de Maurras est héritier de Fustel de Coulanges et de Renan, historique et politique, on n'y trouve ni linguisticisme, ni racisme : politique d’abord ! … Entre tous, l’élément biologique est le plus faiblement considéré et le moins sérieusement déterminé. Dès lors, ces déterminations vagues d’une part, ces faibles déterminations d’autre part, ne peuvent porter qu’un effet : l’exaltation des fanatismes d’où sortent les exagérations que le Vatican dénonçait l’autre jour, et l’encouragement aux méprises et aux malentendus.
Sa critique du national-socialisme est aussi fondée sur le fait que celui-ci est selon lui un aboutissement logique du rousseauisme et de la démagogie démocratique : dans De Demos à César, il analyse l’évolution des régimes contemporains et discerne les liens de continuité entre la société démocratique et les tyrannies bolcheviques ou nazies, le prolongement que le despote moderne fournit au moi rousseauiste, en absorbant l’individu dans la collectivité
Bien qu'agnostique Maurras défend la civilisation catholique et il perçoit dans le nazisme un ennemi du catholicisme et de ses valeurs : lorsque le pape Pie XI promulgue Mit Brennender Sorge, le 25 mars 1937, Maurras approuve avec enthousiasme et précise sa position : Tous les esprits impartiaux qui ont étudié le nationalisme français, même intégral, surtout intégral, savent combien il est profondément hostile à ce que l'Encyclique d'hier appelle la théorie du sol et du sang, théorie métaphysique, bien entendu, qui substitue aux relations normales et objectives des hommes, au jeu naturel des apports collectifs nationaux et professionnels, une distribution toute subjective fondée sur les races et sur les climats, dérivée du principe que l'Homme allemand all-man est l'Homme par excellence, le tout de l'Homme, et de ce que Luther incarna cet Homme dans l'histoire politique et dans l'histoire des religions. Les maurrassiens dénonceront le national-socialisme à la lumière d'une critique plus générale de l'esprit allemand.
Sa critique du national-socialisme est aussi une critique implicite du totalitarisme. C’est la nation que Maurras défend et pas l’idolâtrie de son État : un nationalisme n’est pas un nationalisme exagéré ni mal compris quand il exclut naturellement l’étatisme. Il discerne dans le totalitarisme une usurpation de l’État sur la société : Quand l’autorité de l’État est substituée à celle du foyer, à l’autorité domestique, quand elle usurpe les autorités qui président naturellement à la vie locale, quand elle envahit les régulateurs autonomes de la vie des métiers et des professions, quand l’État tue ou blesse, ou paralyse les fonctions provinciales indispensables à la vie et au bon ordre du pays, quand il se mêle des affaires de la conscience religieuse et qu’il empiète sur l’Église, alors ce débordement d’un État centralisé et centralisateur nous inspire une horreur véritable : nous ne concevons pas de pire ennemi.
Maurras s’inquiète de ce que certains pourraient voir dans l’Allemagne un rempart contre le communisme, il y voit un piège politique : Les cornichons conservateurs … qui prendraient Hitler pour un sauveur de l’ordre – de l’ordre français - sont certainement coupables d’un crime devant l’esprit au moins égal à celui de nos moscoutaires. Il note même que l’intrigue hitlérienne est plus dangereuse que celle des Soviets. En avril 1936, Maurras dénonce le péril national-socialiste et le déclare même pire pour la France que le péril communiste : Hitler est encore notre ennemi numéro 1. Moscou est bien moins dangereux.
Maurras dénonce Hitler qu'il appelait le chien enragé de l'Europe car son idéologie est porteuse de barbarie ; il s’en prend à la presse qui travaille à créer pour cette gloire de primate, un cercle de respect béant et d’inhibition ahurie à l’égard du dictateur walkyrien.Face à la barbarie nazie, Maurras écrit : Ce ne peut être en vain que la France a été pendant des siècles la civilisatrice et l’institutrice du monde. Elle a le devoir de ne pas renoncer à ce rôle. Hitler prépare la barbarisation méthodique de l'Europe.
Il alerte les Français sur l'eugénisme : Le 1er janvier 1934, une certaine loi sur la stérilisation est entrée en vigueur ; si elle joue contre l’indigène du Reich, croit-on que l’étranger s’en défendra facilement ? Afin de mettre en garde les Français sur ce qui les attend, il réclame une traduction non expurgée de Mein Kampf, dont certains passages laissant prévoir les ambitions hitlériennes avaient été censurés dans la version française.
Toutefois, il écrit dans L'Action française du 28 août 1942 : Avec toute la France, les prisonniers heureusement libérés remercient M. Hitler.

Maurras et la colonisation

Maurras est hostile à l'expansion coloniale impulsée par les gouvernements républicains qui détourne de la Revanche contre l'Allemagne et disperses ses forces ; de plus, il est hostile à la politique jacobine et républicaine d'assimilation qui vise à imposer la culture française à des peuples ayant leur propre culture. Comme Lyautey, il pense qu'il faut faire aimer la France et non imposer la culture française au nom d'un universalisme abstrait.
Cette dernière conception attire à lui des faveurs dans les élites des peuples colonisés ; ainsi, Ferhat Abbas, est d’abord un algérien maurrassien : il est le fondateur de L’Action algérienne, organe se réclamant du nationalisme intégral et se battant pour l’adoption de propositions concrètes : toutes vont dans le sens de la démocratie locale et organisée, la seule forme de démocratie pour laquelle Maurras militait, parce que d’après lui, elle est la seule vraiment réelle : autonomie des corporations indigènes locales et régionales, autonomie en matière de réglementation sociale et économique, suffrage universel dans les élections municipales, large représentation de corporations, des communes, des notables et chefs indigènes, constituant une assemblée auprès du gouvernement français : En 1920, écrit Abbas, les hommes de ma génération avaient vingt ans, personnellement je me mis à penser que l’Algérie ressemblait à la France d’ancien régime à la veille de 1789. Il n’y a rien dans le Livre saint qui puisse empêcher un Algérien musulman d’être nationalement un Français … au cœur loyal conscient de sa solidarité nationale. Parmi l’élite musulmane d’Algérie, Ferhat Abbas n'est pas le seul soutien de l’Action française : on compte parmi eux Hachemi Cherief, qui sera plus tard le conseiller juridique de Mohammed V et l’avocat de Ben Bella, ainsi que des Kabyles, gênés par la prépondérance arabe et attirés par la vision décentralisatrice de Charles Maurras.
S'il fut hostile à l'expansion coloniale, Maurras fut ensuite hostile à la liquidation brutale de l'empire colonial français après la Seconde Guerre mondiale, préjudiciable selon lui autant aux intérêts de la France qu'à ceux des peuples colonisés.

Maurras et le catholicisme

Les rapports de Charles Maurras avec le catholicisme et avec l'Église catholique ont évolué avec le temps
Dans son enfance et jusqu'à son adolescence, il reçoit une éducation religieuse marquée par la foi de sa mère qu'il partage.
Lors de son adolescence, sa surdité et la révolte qu'elle génère puis la difficulté à consolider sa foi par des arguments rationnels en plus de témoignages de la tradition chrétienne contribuent à la lui faire perdre.
Lors de ses premières années à Paris, désireux de préciser sa position sur le plan religieux, il noue un dialogue avec des théologiens, des philosophes, des prêtres, des séminaristes qui cherchent à le convertir mais n'y parviennent pas.
Dans la dernière décennie du XIXe siècle, la déception qui en découle conjugué à une hostilité croissante à l'esprit et l'influence hébraïques conduisent siècle à publier des textes empreints d'hostilité au christianisme au sein duquel il prétend distinguer ce qui relève de l'esprit juif et ce qui relève de l'esprit gréco-latin. Il ne croit pas aux dogmes de l'Église, ni aux Évangiles, écrits, selon son expression, par quatre obscurs juifs. Cependant, il persiste à admirer et aimer l'Église catholique pour être parvenue à concilier bien des dangereux apprentissages de la Bible dont il soupçonnait qu'ils avaient conduit à l'émergence des erreurs révolutionnaires en France et en Europe. L'interprétation de Maurras à propos de la Bible fut alors critiquée fermement par bien des membres du clergé. Dans Le chemin de Paradis, il guerroie contre la version la plus révolutionnaire du christianisme. Maurras s'avouant alors impuissant à croire affirmait néanmoins respecter la croyance religieuse : Je n'ai pas été dédaigneux de la foi ! On ne dédaigne pas ce qu'on a tant cherché. On ne traite pas sans respect la faculté de croire quand on l'estime aussi naturelle à l'homme et plus nécessaire que la raison.

Naissance de l'Action française

Dans les années 1900, sans retrouver la foi, Maurras se rapproche du catholicisme et renforce son soutien à l'Église catholique.
Il subit tout d'abord sous l'influence de Léon de Montesquiou, de Louis Dimier, de prêtres comme le bénédictin Dom Besse et de l'abbé de Pascal, tous désireux de le rapprocher du catholicisme voire de faire renaître en lui la foi.
Il s'appuie sur Auguste Comte qui lui permet d'étudier la réalité sociale, de penser la politique en l'absence de foi, tout en admirant le catholicisme. Il n'y a alors plus sous sa plume d'attaques indirectes contre le christianisme, d'autant que sa mère très croyante lit tout ce qu'il écrit ; il perçoit dans la morphologie historique du catholicisme un principe de paix et de civilisation. Maurras voit dans l'Église le grand principe d'ordre qui arrache l'homme à l'individualisme, qui discipline les intelligences et les sensibilités. Maurras, amenant des Français de toutes origines à raisonner ainsi, en a conduit plusieurs à considérer le catholicisme comme le bien pour la France, voire à retrouver la foi.
Il s'appuie sur le lien historique entre le catholicisme et la tradition et l'identité françaises ; n'ayant jamais cessé de soutenir l'influence et le prestige de l'Église catholique comme composante politique, parce qu'elle était intimement liée à l'Histoire de France et que sa structure hiérarchique et son élite cléricale reflétaient l'image qu'il se faisait de la société idéale. Il considérait que l'Église devait être le mortier chargé d'unir la France, et la chaîne chargée de lier tous les Français. L'Action française se veut ouverte à tous : croyants, positivistes, sceptiques ; mais elle affirmait clairement que tout Français patriote se devait de défendre le catholicisme comme religion historique du peuple français.
Il s'engage fougueusement et sincèrement aux côtés de l'Église chaque fois que celle-ci se sent persécutée : affaire des Fiches, interdiction aux religieux d'enseigner, Inventaires, interventions de l'armée dans les monastères, exil de milliers de moines et de religieux, prescription aux instituteurs de dénigrer le christianisme renvoyé avec la monarchie dans les ténèbres de l'histoire de France.
Il s'en prend au laïcisme n'était pas une pure neutralité mais procédait d'une métaphysique d'État intolérante, véritable théologie d'autant plus ardente, fanatique, féroce, qu'elle évite de prononcer le nom de Dieu.
Il laisse voir dans ses écrits que son silence sur la foi et le surnaturel est suspensif et qu'il respecte la foi en autrui : La libre pensée ne consiste qu'à délier l'individu, elle dit : de ses chaînes ; nous disons : des ses points d'appui, de ses aides et des ses contreforts.
Ces prises de position firent que Maurras fut suivi par bien des monarchistes : à la suite des inventaires, deux officiers chassés de l'armée, Bernard de Vesins et Robert de Boisfleury rejoignent l'Action française comme le jeune Bernanos qui assimile les Camelots du roi à une nouvelle chevalerie chrétienne. Beaucoup d'ecclésiastiques sont déduits par le mouvement dont des assomptionnistes. En dépit de différences essentielles, il y a une coïncidence entre la métaphysique de l'Ordre chez Maurras et celle de saint Thomas. Ce soutien de milieux catholiques joua un rôle important dans le rayonnement de l'Action française et attira vers Maurras des théologiens comme Jacques Maritain. Dès sa naissance, l'Action française est apparue comme l'alliée du catholicisme antimoderne et du renouveau thomiste et comme un recours face à l'anticléricalisme croissant des républicains. L'Action française est nourrie par le catholicisme social d'Albert de Mun et de René La Tour du Pin et Charles Maurras loua le Syllabus, catalogue des erreurs modernes établi en1864 par le pape Pie IX.

Rapport avec le Sillon

En 1904, Maurras regarda avec sympathie la création par trois anciens du collège Stanislas à Paris, dont Marc Sangnier, du mouvement du Sillon afin de former des groupes pour faire rayonner les forces morales et sociales du catholicisme. Un rapprochement entre le Sillon et l'Action française eut alors lieu : pour Firmin Braconnier, les deux organisations ont le même but : le perfectionnement moral, intellectuel et social de la personnalité humaine rejetées ensemble par la gauche. Mais en dépit d'échanges de haut niveau et au début fort aimables, les deux hommes ne s'entendirent pas, Marc Sangnier voulant opposer le positivisme et le christianisme social, ce que Maurras percevait comme un faux dilemme car :
retrouver les lois naturelles par l'observation des faits et par l'expérience historique ne saurait contredire les justifications métaphysiques qui en constituent pour les chrétiens le vrai fondement ; car le positivisme, pour l'Action française, n'était nullement une doctrine d'explication mais seulement une méthode de constatation ; c'est en constatant que la monarchie héréditaire était le régime le plus conforme aux conditions naturelles, historiques, géographiques, psychologiques de la France que Maurras était devenu monarchiste : Les lois naturelles existent, écrivait-il ; un croyant doit donc considérer l'oubli de ces lois comme une négligence impie. Il les respecte d'autant plus qu'il les nomme l'ouvrage d'une Providence et d'une bonté éternelles.
le christianisme social se retrouve davantage dans l'Action française que dans le Sillon : s'il y a de nombreux chrétiens sociaux dans les rangs de l'Action française, c'est précisément car les chrétiens sociaux ont toujours préconisé l'organisation d'institutions permanentes, capables de secourir la faiblesse des hommes ; or, pour Maurras, Marc Sangnier croyait qu'il fallait d'abord donner à l'individu une âme de saint avant de vouloir modifier les institutions. Dans cette optique Marc Sangnier est le continuateur du préjugé individualiste qui avait engendré la question sociale et contre lequel les catholiques sociaux, de Villeneuve-Bargemont à Albert de Mun et au marquis de La Tour du Pin avaient toujours réagi.
Le fondateur du Sillon s'expliqua sur sa conception de la démocratie, régime qui doit « porter au maximum la conscience et la responsabilité de chacun. Il se défendait d'avoir voulu se fonder sur une unanimité de saints, une minorité lui suffisait : Les forces sociales sont en général orientées vers des intérêts particuliers, dès lors, nécessairement contradictoires et tendant à se neutraliser … Il suffit donc que quelques forces affranchies du déterminisme brutal de l'intérêt particulier soient orientées vers l'intérêt général pour que la résultante de ces forces, bien que numériquement inférieure à la somme de toutes les autres forces, soit pourtant supérieure à leur résultat mécanique. Et quel sera le centre d'attraction ? Le Christ est pour nous cette force, la seule que nous sachions victorieusement capable d'identifier l'intérêt général et l'intérêt particulier. Et d'expliquer : plus il y aura de citoyens conscients et responsables, mieux sera réalisé l'idéal démocratique. Cet optimisme suscita les objections renouvelées de Maurras, pour qui :
Rêver, en oubliant le péché originel, d'un État dont le fondement serait la vertu est irréaliste. Si la vertu est nécessaire et si la chrétienté a suscité de grands élans d'héroïsme et de sainteté, ce fut dans le respect de la vénérable sagesse de l'Église, laquelle, sachant que la seule prédication du bien ne saurait suffire à transformer une société, a toujours voulu multiplier, pour encadrer l'individu, les habitudes, les institutions, les communautés qui le portaient à surmonter ses penchants égoïstes ; pour Maurras, s'il faut des élites morales, il faut aussi des chefs capables, eux, par la place qu'ils occupent, de savoir exactement en quoi consiste l'intérêt général car sinon les efforts de l'élite de saints risquent d'être vains.
Être sublime à jet continu, héroïque à perpétuité, tendre et bander son cœur sans repos et dans la multitude des ouvrages inférieurs qui, tout en exigeant de la conscience et du désintéressement veulent surtout la clairvoyance, l'habileté, la compétence, la grande habitude technique, s'interdire tous les mobiles naturels et s'imposer d'être toujours surnaturel, nous savons que cela n'est pas au pouvoir des meilleurs. Maurras voit dans la démocratie de Sangnier une autre forme de celle de Rousseau, qui pensaient que le perfectionnement moral par l'accroissement de la liberté individuelle rendrait les hommes de plus en plus aptes au seul régime démocratique : Si la république réclame beaucoup de vertu de la part des républicains, cela tient à ce qu'elle est un gouvernement faible et grossier … et que sa pauvreté naturelle ne saurait être compensée que par la bonté des individus.
Ainsi, si Charles Maurras et Marc Sangnier cherchèrent à surmonter leurs différends, la tentative échoua. Les partisans du Sillon verront dans la condamnation de leur mouvement par le Pape Pie X, qui l'accusait de convoyer la Révolution l'œil fixé sur une chimère, le résultat de l'influence de théologiens proches de l'Action française. À leur tour les maurrassiens prétendront que les hommes du Sillon se vengèrent en cherchant à faire condamner l'Action française. L'essentiel de ses échanges entre les deux hommes fut publié dans Le Dilemme de Marc Sangnier.
Rapport avec la papauté : la condamnation de l'Action française et sa levée
Sous Léon XIII, et en dépit du ralliement de 1893, essentiellement tactique, l'Église catholique continuait de se méfier de la République française, régime né de la Terreur, dont les soutiens travaillaient à l'extirpation de la religion de la sphère sociale et politique. La doctrine politique de Léon XIII n'excluait pas la monarchie comme forme possible de régime, conformément à la théologie de saint Thomas d'Aquin qui la recommande et sur laquelle s'appuie largement le magistère de l'Église. En 1901, Maurras fut frappé par une encyclique de ce pape suggérant qu'une monarchie pouvait sous certaines conditions correspondre aux exigences de la démocratie chrétienne au sens où ce texte l'entend : une société organisée mais tournée vers Dieu.
Sous Pie X, les relations avec la papauté se développèrent. Louis Dimier fut reçu par le Pape Pie X et ce voyage fut reçu par Maurras et ses amis comme un encouragement exaltant. Pie X s'opposa à ceux qui voulait condamner globalement Maurras à cause de certains écrits témoignant de son agnosticisme et d'une métaphysique non chrétienne.
Sous Pie XI, son agnosticisme suscita l'inquiétude d'une part de la hiérarchie catholique et en 1926, le pape Pie XI classa certains écrits de Maurras dans la catégorie des Livres Interdits et condamna la lecture du journal L'Action française. Cette condamnation du pape fut un grand choc pour bon nombre de ses partisans, qui comprenaient un nombre considérable de membres du clergé français, et causa un grand préjudice à l'Action française. Elle fut levée cependant par Pie XII en 1939, un an après que Maurras fut élu à l'Académie française.
Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer la condamnation de l'Action française par Pie XI puis sa réhabiliation par Pie XII. La pensée de Maurras ayant peu évolué pendant le quart de siècle pendant lequel l'Action française ne fit l'objet d'aucun blâme, des raisons liées au contexte politique et géopolitique ont été mises en avant. En 1921, la République a rétabli les relations diplomatiques avec le Saint-Siège et Pie XI préconise une politique d’apaisement systématique avec l’Allemagne : il approuve les accords de Locarno et l’entrée de l’Allemagne à la SDN, contrairement à Maurras qui les dénonce avec virulence car pouvant contribuer au renforcement et donc aux possibilités de revanche de l'Allemagne. L'Action française entre en opposition avec les objectifs de la diplomatie papale. En plus du contexte, un élément déclencheur provoque l'inquiétude de certains ecclésiastiques face à une influence jugée grandissante : dans une enquête de Louvain, les jeunes catholiques disent être fidèles à la Bible et à Maurras comme s’il était possible de les mettre sur le même plan ; mais une part du haut clergé français, des associations, des ordres religieux quelques-uns des principaux théologiens soutiennent Maurras en dépit des réserves qu’ils témoignent vis-à-vos de certains aspects de sa pensée. Pie XI entend néanmoins balancer l’influence prépondérante détenue au sein de l’Église par l’épiscopat nomme du temps de Pie X et de la réaction antimoderniste et son désir d’avoir les mains libres pour développer des mouvements d’action catholique du type de la JOC et de la JAC est fort.
Le Pape chargea alors le cardinal Andrieu de mettre en garde les fidèles contre l'Action française : celui-ci, qui avait chaleureusement remercié Maurras en 1915 pour l'envoi de L'Étang de Berre, qualifié de monument de piété tendre, lui disant qu'il défendait l'Église avec autant de courage que de talent, prétendait désormais percevoir chez lui l'athéisme, l'agnosticisme, l'antichristianisme, un antimoralisme individuel et social ; ces accusations publiées dans La Semaine religieuse d'août 1926 furent perçue comme excessives et Maurras et les siens furent rassurés par les soutiens dont ils bénéficièrent ; cependant, loin d'adopter une attitude soumise et humble, Maurras fit bruyamment savoir que si la soumission à l’autorité romaine doit être totale sur le plan spirituel, si celle-ci intervient dans le domaine politique de manière critiquable, alors la résistance s’impose sur le terrain. Réagissant à une allocution papale mettant indirectement en garde contre l'influence de l'Action française en décembre 1926, conseillés par plusieurs théologiens, les dirigeants catholiques de l’Action française publièrent une déclaration maladroite intitulée Non possumus » qui fit d’eux des rebelles alors qu'ils s'y identifiaient aux premiers martyrs chrétiens. La condamnation fut publiée par décret de la Congrégation du Saint-Office tombe le 29 décembre 1926 : elle touchait Le Chemin de Paradis, Anthinéa, Les Amants de Venise, Trois idées politiques, L'Avenir de l'Intelligence, ouvrages présentant un caractère naturaliste au sens métaphysique et dont certains aspects peuvent être qualifiés de philo-païens, ainsi que le quotidien.
Appliquée par les évêques et les prêtres, la condamnation fut ressentie comme une blessure, une injustice et un drame par de nombreux croyants y compris au plus haut niveau de l'Église : pour le cardinal Billot, la condamnation fut une heure de la puissance des ténèbres Le 19 décembre 1927, il remit au pape sa pourpre cardinalice et se retire dans un monastère. Paradoxalement, elle ramena à l'Action française plusieurs catholiques comme Georges Bernanos qui dans Comœdia et La Vie catholique en prit la défense Maurras. La condamnation ne condamnait ni le royalisme ni le nationalisme. Bien que de nombreux catholiques firent le choix de rester à l'Action française, la condamnation affaiblit le mouvement.
Charles Maurras contesta avoir fait de l'adhésion à tous ses écrits une condition adhésion à l’Action française : jamais son positivisme et son naturalisme, d'ailleurs partiels, n’ont constitué des articles de foi pour les militants. Il ne fondait pas sa doctrine politique sur des conceptions philosophiques morales ou religieuses. On pouvait critiquer tel ou tel point de sa pensée mais non la rejeter en bloc. En 1919, dans la nouvelle version d’Anthinéa, il n’avait pas hésité à supprimer un chapitre entier pour ne pas heurter les catholiques. Il rappela que l'Action française avait contribué à ramener à la foi de nombreux français : dès 1913, Bernard de Vesins avait établi une liste de militants et abonnés entrés dans les ordres, tel André Sortais qui devint abbé général des Cisterciens réformés, afin d'illustrer le fait que le mouvement maurrassien fut une pépinière pour l’église.
Sous Pie XII, la condamnation sera levée ; il fut sans doute pris en compte que si Maurras avait été véritablement pleinement païen, sa rébellion eût été plus totale et sa vindicte antichrétienne eût trouvé de quoi se nourrir. Les tractations avaient commencé sous Pie XI qui ne rejeta pas Maurras et qui lui écrira même lorsqu'il fut emprisonné.

Liens avec le carmel de Lisieux

La pensée de Maurras quant à la religion et sa philosophie ne fut jamais une chose figée et homogène ; ses doutes n'ont pas éteint en lui l'espérance de la foi ; c'est ce que qu'il explique dans une lettre non envoyée au père Doncœur, il expliquera avoir volontairement tu les doutes et tourments liés à la question de la foi et pourquoi il a gardé dans le tête-à-tête solitaire de sa conscience et de sa pensée ses doutes, rechutes et angoisses philosophiques et religieuses. Maurras eût eu tout intérêt à se convertir et donc à feindre la conversion ; les gains pour lui ou son mouvement eussent été énormes mais il ne le fit pas et en cela il est l'homme intègre décrit par ses opposants catholiques comme Marc Sangnier. Comme Maritain le lui prédit, la condamnation fit renaître en lui le désir de retrouver la foi.
De fait, nombreux furent ceux qui prièrent pour sa conversion. En 1926, à l’heure de la condamnation, une jeune fille dont Maurras avait connu la mère entra au Carmel de Lisieux en offrant sa vie pour la conversion de Maurras. En 1936, lorsque cette carmélite mourut, en 1936, mère Agnès, sœur aînée de sainte Thérèse de Lisieux et supérieure du Carmel, écrivit une lettre à Maurras pour lui révéler le sens de cette mort et pour lui promettre d’intervenir auprès de Pie XI au sujet de la condamnation ; il s'ensuivra une correspondance suivie. De fait, Pie XI écrivit à Maurras pour lui apporter son soutien quand il fut emprisonné en 1937. Et Maurras lui répondit qu'à sa libération il irait se recueillir à Lisieux sur le tombeau de Celle dont les Sœurs et les Filles m’ont entrouvert un monde de beauté et de charité toujours en fleur, comme le mystique rosier de la petite et grande sainte Thérèse de l’Enfant Jésus Après la seconde guerre mondiale, les liens avec le Carmel de Lisieux se poursuivirent : il correspondit avec sœur Marie-Madelaine de Saint-Jospeh. En 1948, le carmel lui envoie une image de sainte Thérèse avec une prière de Mère Agnès : Ô Thérèse, Illuminez votre pèlerin et sanctifiez le dans la vérité. Le carmel lui envoie également les dix volumes de L’Année liturgique de Dom Guéranger.

Mort

Dans ses dernières années, Maurras confia à des prêtres comme l’abbé Van Den Hout, fondateur de La Revue catholique des idées et des faits en Belgique, la souffrance qu’il ressent dans la perte de la foi. Son agnosticisme est un agnosticisme insatisfait. Ceci transparaît dans ses dernières œuvres poétiques où il exprime l'idée que rétiens : la miséricorde de Dieu dépasse sa justice, autrement dit le symbole de la justice divine n’est pas la balance mais le don infini : Chère Âme, croyez-vous aux célestes balances ? Cet instrument d’airain n’est rêvé que d’en bas ; Du très Haut, du très Bon, du Très Beau ne s’élance Que l’or du bien parfait qu’il ne mesure pas.
Tous les témoignages attestent que les derniers mois de Maurras ont été marqués par le désir de croire et le 13 novembre 1952, il fait demander l’extrême onction. La question du retour de Maurras a la foi a longtemps constitué le fil directeur de la critique maurrassienne. Ivan Barko, en 1961, trouva plus intéressant d’imaginer un Maurras agnostique que jusqu’à la fin et ne conservant de l'extrême onction que la ritualité. Selon Stéphane Giocanti, une telle interprétation ne tient pas compte de l’extrême probité de l’homme à l’égard d’une foi qu’il mit toute sa vie à vouloir retrouver intacte, ayant la défiance de la moindre simulation.
Certains démocrates-chrétiens ont cherché à accréditer la thèse de la conversion inventée rétrospectivement, mais le témoignage et les commentaires de Gustave Thibon, penseur chrétien rigoureux et épris d’absolu atteste la réalité de l'expérience mystique finale de Maurras. Thibon n'a pu faire entrer la moindre complaisance dans le mouvement spirituel qu’il a discerné chez Maurras : Je n'en finirais pas d'évoquer ce que fut pour moi le contact avec Maurras : je l'ai vu deux fois à Tours et je l'entends encore me parler de Dieu et de la vie éternelle avec cette plénitude irréfutable qui jaillit de l'expérience intérieure. J'ai rencontré beaucoup de théologiens dans ma vie : aucun d'eux ne m'a donné, en fait de nourriture spirituelle, le quart de ce que j'ai reçu de cet "athée" ! Toute la différence entre le géographe et l'explorateur Luiqui préfère l’athée qui cherche Dieu au croyant installé dans les apparences de la foi.
Maurras parvint à suivre la cérémonie de l'extrême-onction avec attention et il récite le confiteor. Vers 23h30, le 15 novembre, il demanda son chapelet et selon ses proches, ses dernières paroles furent un alexandrin : Pour la première fois, j’entends quelqu’un venir. Il meurt le matin du 16 novembre 1952.
L’abbé Giraud confiera au poète ardéchois Charles Forot sa réaction devant la mort de Maurras : Je revois, très souvent, mon inoubliable entretien avec le grand protégé de la Petite Thérèse. Sa fin chrétienne si édifiante ne m’a point surpris… Je l’attendais avec la plus totale confiance. … Lisieux ne l’oublie pas non plus, et son souvenir est souvent évoqué dans mon courrier par sœur Madeleine de Saint-Joseph, qui fut pour lui, l’ange gardien visible.

L’influence de Charles Maurras En France sur les intellectuels français

En tant que penseur, Charles Maurras exerça une très grande influence sur la vie intellectuelle de la France : il fut à l'origine de nombreuses aventures intellectuelles et littéraires. De nombreux auteurs ou hommes politiques ont subi l'influence de Maurras sans nécessairement se réclamer de lui.
En 1908, année de la fondation du quotidien L'Action française, les jeunes intellectuels maurrassiens se regroupaient autour de la Revue critique des idées et des livres, qui fut jusqu'en 1914 la grande rivale de la NRF d'André Gide. La revue défendait l'idée d'un classicisme moderne , s'ouvrait aux théories nouvelles Henri Bergson, Georges Sorel… et formait une nouvelle génération de critiques et d'historiens. Pendant l'entre-deux-guerres, l'expérience de la Revue Critique se poursuivit dans un grand nombre de revues : Revue universelle, Latinité, Réaction pour l'ordre, La Revue du siècle…
Le démocrate-chrétien Jacques Maritain était aussi proche de Maurras avant la condamnation du pape, et critiqua la démocratie dans l'un de ses premiers écrits, Une opinion sur Charles Maurras ou Le Devoir des Catholiques.
Chez les psychanalystes, Élisabeth Roudinesco a montré que Maurras a constitué une étape dans la genèse de la pensée de Jacques Lacan : ce dernier rencontra personnellement Maurras et participa à des réunions d’action française ; Lacan trouva chez son aîné un certain héritage positiviste, l’idée que la société se composait plus de familles que d’individus, l’insistance sur la longue durée au détriment de l’événementiel, l’inanité des convulsions révolutionnaires et l’importance primordiale du langage : Partant de Maurras, il arrivait ainsi à Freud, pour rappeler … combien la tradition, malgré les apparences, pouvait favoriser le progrès. Il faut également citer Édouard Pichon, le maître de Françoise Dolto, qui dans les années 1930 fera de la pensée maurrassienne l’axe de son combat pour la constitution d’un freudisme français.
Chez les libéraux, Daniel Halévy ou Pierre Lasserre ont subi le pouvoir d'attraction politique et philosophique du Maurrassisme alors qu'a priori leur héritage politique ne les prédisposait pas à être séduit par un penseur contre-révolutionnaire.
Dans les milieux littéraires, le climat patriotique de la première guerre mondiale, le prestige de Maurras et la qualité de son quotidien font que Henri Ghéon, Alfred Drouin, Marcel Proust, André Gide, Augustin Cochin, Auguste Rodin, Guillaume Apollinaire lisent tous L'Action française. Anna de Noailles prie Maurras de croire à ses sentiments de profonde admiration. Les années 1920 correspondent à l'apogée littéraire de Maurras avec une force d'attraction dont Jean Paulhan témoigne : Maurras ne nous laisse pas le droit en politique d'être médiocres ou simplement moyens. L'apogée littéraire se traduit par le portrait que publie Albert Thibaudet dan la série Trente ans de vie française à la NRF, où Les Idées de Charles Maurras précèdent La Vie de Maurice Barrès et Le bergsonisme. Cette monographie est un livre important puisqu'en formulant objections et réserves, il éclaire la partie supérieure de la pensée et de l'œuvre de Maurras, celle qui sort du poids du quotidien et échappe au discours partisan et polémique.
Après la première guerre mondiale, il reçoit en abondance des lettres pleines de respect et d'admiration d'Arnold Van Gennep, Gabriel Marcel, René Grousset, Colette, Marguerite Yourcenar, Montherlant, Charles Ferdinand Ramuz, Paul Valéry ; le jeune Malraux à écrire une notice pour la réédition de Mademoiselle Monck et exprime son envie de rencontrer Maurras.
Charles Maurras eut une forte influence parmi les étudiants et la jeunesse intellectuelle de l'entre-deux-guerres : quand Jean-Baptiste Biaggi, futur compagnon de De Gaulle accueille Maurras au nom des étudiants en droit de Paris, il a autour de lui Pierre Messmer, Edgar Faure, Edmond Michelet et parmi les Camelots du Roi, on compte François Périer et Michel Déon ; Maurras reçoit Des témoignages d'admiration de Pierre Fresnay et Elvire Popesco et est entouré par les jeunes Raoul Girardet, François Léger, François Sentein, Roland Laudenbach, Philippe Ariès ; Maurras aime s'entourer de jeunes dont il pressent le talent et il prend pour secrétaires particuliers Pierre Gaxotte et Georges Dumézil, l'un le jour l’autre la nuit.

Maurras et De Gaulle

Avant la Seconde Guerre mondiale, il semble que Charles de Gaulle, dont le père lisait L'Action française et se qualifiait de monarchiste de regret et qui discuta avec le comte de Paris de la possibilité d'une restauration de la royauté, ait été influencé par l'Action française et que cette dernière l'ait considéré avant la France libre avec sympathie.
En 1924, Charles de Gaulle dédicaça La Discorde chez l'Ennemi à Maurras en lui témoignant ses respectueux hommages.
Au printemps 1934, sous l'égide du cercle Fustel de Coulanges, une vitrine de l’Action française, Charles de Gaulle prononça une série de conférences à la Sorbonne. De Gaulle savait qu’il avait dans l’Action française un allié attentif ; le 1er juin 1934, l'Action française consacra un article élogieux à Vers l’armée de métier qui défendait le principe d’une armée professionnelle très compétente et mobile se superposant à l’armée conscrite ; Le Populaire et Léon Blum suspectèrent le danger d’un coup d’État et c’est dans L’Action française que l’ouvrage fit l’objet du seul encadré publicitaire auquel il eut droit. De Gaulle écrira à Hubert de Lagarde, chroniqueur militaire de L'Action française : Monsieur Charles Maurras apporte son puissant concours à l'Armée de métier. Au vrai, il y a longtemps qu'il le fait par le corps de ses doctrines. Voulez-vous me dire s'il a lu mon livre que j'ai eu l'honneur de lui adresser au mois de mai ? Maurras avait découvert de Gaulle en lisant un article de La Revue hebdomadaire et s'était exclamé : Quelle confirmation de nos idées les plus générales sur l'armée !
Après la guerre Maurras ignorait si De Gaulle avait écrit sous pseudonyme dans l'Action française.
En 1940, la nomination au grade de général de Charles de Gaulle provoqua la jubilation de Charles Maurras dans L'Action française des 1er et 3 juin 1940 ; Maurras y qualifia de Gaulle de pénétrant philosophe militaire et affirmait avoir voulu rester discret à son endroit pour ne pas le gêner notamment : Sa thèse nous paraissait suffisamment contraire à la bêtise démocratique pour ne pas ajouter à ces tares intrinsèques, la tare intrinsèque de notre appui. Mieux valait ne pas compromettre quelqu'un que, déjà, ses idées compromettaient toutes seules.
Paul Reynaud, qui rencontra en captivité en Allemagne la sœur du général de Gaulle, Marie-Agnès Caillau, affirme que selon elle le chef de la France libre serait resté maurrassien jusqu'aux accords de Munich, soit seulement un an avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale : Très franche, intelligente et bonne, elle nous raconte que Charles était monarchiste, qu'il défendait Maurras contre son frère Pierre jusqu'à en avoir les larmes aux yeux dans une discussion. Mais au moment de Munich, il a désapprouvé entièrement l'attitude de Maurras.
Christian Pineau dira à André Gillois que le général avait reconnu devant lui qu’il avait été inscrit à l’Action française et qu’il s’était rallié à la République pour ne pas aller contre le sentiment des Français.
De Gaulle dit à Claude Guy qu'il n'aimait pas la révolution française : À entendre les républicains, la France a commencé à retentir en 1789 ! Incroyable dérision : c'est au contraire depuis 1789 que nous n'avons cessé de décliner. Il confia également à Alain Peyrefitte son peu d'enthousiasme pour la république : Je n'aime pas la république pour la république. Mais comme les Français y sont attachés, j'ai toujours pensé qu'il n'y avait pas d'autre choix. Il lui confia également en 1962, alors qu'il annonçait une initiative pour assurer la continuité de l'État, qu'un roi pourrait être utile à la France : Ce qu'il faudrait à la France, c'est un roi.
Charles de Gaulle dira à plusieurs témoins à propos de Charles Maurras : Maurras est un homme qui est devenu fou à force d'avoir raison. De fait, selon Claude Mauriac, chef du secrétariat particulier du général de Gaulle à la Libération, ce dernier porta une très grande attention au sort du théoricien du nationalisme intégral ; il interviendra ainsi pour que Maurras ne passe pas devant la cour de justice de Lyon en septembre 1944, mais devant la Haute Cour, réputée plus indulgente. Le 13 mai 1958, Jean-Baptiste Biaggi fit remarquer à de Gaulle que d’autres et lui-même devaient leur nationalisme à Charles Maurras, ce dont le général convint, regrettant que Maurras l'ait critiqué : Aussi bien, je n’ai jamais rien dit contre lui. Que ne m’a-t-il imité ! Charles Maurras en voudra toujours à de Gaulle d'avoir rompu avec Pétain.

À l'étranger

Maurras et l'Action française ont exercé une influence sur différents penseurs se réclamant d'un nationalisme se voulant contre-révolutionnaire et chrétien dans le monde.
En Grande-Bretagne, Charles Maurras fut suivi et admiré par des écrivains et philosophes et a plusieurs correspondants britanniques, universitaires ou directeurs de revue ; en 1917, il a été sollicité par Huntley Carter du New Age et de The Egoist. Plusieurs de ses poèmes furent traduits et publiés en Grande-Bretagne où Maurras a de nombreux lecteurs parmi les High Church de l'anglicanisme et les milieux conservateurs. On compte parmi ses lecteurs T.S. Eliot ou T.E. Hulme. Eliot trouva les raisons de son antifascisme chez Maurras : son antilibéralisme est traditionaliste, au bénéfice d’une certaine idée de la monarchie et de la hiérarchie. Music within me, qui reprend en traduction les pièces principales de La Musique intérieure paraîtra en 1946, sous la houlette du comte G.W.V. Potcoki de Montalk, directeur et fondateur de la The Right Review. La condamnation de 1926 eut ainsi des effets jusqu'en Grande-Bretagne où elle détourna du catholicisme des partisans de la High Church, déçus par le juridisme romain : la conversion de T.S. Eliot à l’anglicanisme, l’éloignement du catholicisme de personnalité comme Ambrose Bebb sont liés à cet événement. Eliot inséra une citation en Français de L’Avenir de l’intelligence dans son poème Coriolan qu’il tenait pour un maître livre pour sa satyre des honneurs officiels.
Au Mexique, Jesús Guiza y Acevedo, surnommé le petit Maurras, et l'historien Carlos Pereyra.
En Espagne, il existe un mouvement proche de l'Action française Cultura Española et sa revue Acción Española.
Au Pérou, le marquis de Montealegre de Aulestia a été influencé par Maurras. Ce grand penseur réactionnaire péruvien, admiratif de sa doctrine monarchique, le rencontre en 1913.
En Argentine, le militaire argentin Juan Carlos Onganía, tout comme Alejandro Agustín Lanusse, avaient participé aux Cursillos de la Cristiandad, ainsi que les Dominicains Antonio Imbert Barrera et Elias Wessin y Wessin, opposants militaires à la restauration de la Constitution de 1963.
Au Portugal, António de Oliveira Salazar qui gouverna le pays de 1932 à 1968 admirait Maurras même s'il n'était pas monarchiste et il fit par de ses condoléances à sa mort.

Vie personnelle Caractère

Pour Stéphane Giocanti, l’image d’un Maurras froid et austère est un contre-sens ; il a au contraire un caractère sanguin et contrasté : à la fois tendre et violent, contemplatif et actif, patient et impatient, tantôt inflexible et obstiné, tantôt bon et généreux ; sachant à l'occasion reconnaître ses torts, pardonner et s’effacer devant les autres, il est tour à tour exaspérant et charmant : Il peut s’entêter, se raidir, entrer dans des colères, devenir une teigne, quitte à le regretter ensuite comme Bossuet Il a la frénésie de la discussion et de la dialectique car il a la passion de la vérité, de l’ordre, de l’unité. Il a l’intransigeance et la fierté d’un homme de la fin du dix-neuvième siècle qui ne revient pas sur sa parole et réserve ses doutes pour lui-même. Il s’engage radicalement et est prêt à mourir pour la Cause d’autant qu’il engage les autres dans son périple. Généreux vis-à-vis de ses amis d’une fidélité en amitié, il peut être un amant passionné, un charmeur blaguant, diseur de vers et buveur de bon vin. Très sensible aux femmes, il s’affirme bon causeur caustique, pétillant et aimant la complicité des dames élégantes.
Il suscita des attachement très forts et reçut d’innombrables marques de fidélité et d’admiration : ainsi, avant de gagner l’horizon polaire avec l’explorateur Roald Amundsen, deux pilotes survolant la maison de leur maître lâchèrent sur le jardin une pluie de pétales de roses, message de fidélité placé sous le signe de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Pierre Gaxotte écrivit à son propos : Maurras était en pleine force, insensible à la fatigue, aux incommodités, aux menaces, aux dangers. On était pris d'abord par son regard, où rayonnaient l'intelligence, l'autorité, l'énergie le courage, la bienveillance, une attention extrême et parfois la gaieté. Mais on était conquis aussi par sa jeunesse, son ardeur, son alacrité
Charles Maurras qui aimait la simplicité et avait le sens de la pauvreté, gagnait volontairement moins que le plus petit ouvrier qualifié de son journal ; après 1940, il versa ses droits d'auteur à une œuvre de prisonniers.

Famille

Le 22 novembre 1925, lors d’une réunion organisée par l'Action française en réaction à la victoire du Cartel des Gauches à Luna Park où trente mille personne se rendent, Charles Maurras a la préscience de la mort de son frère. Il apprend le lendemain la mort au Tonkin du médecin et chirurgien Joseph Maurras, qui donnait une chronique médicale à L'Action française très suivie par la profession. Il télégraphie à sa belle sœur Henriette qu’il adopte son neveu Jaques et ses nièces Hélène et Jeanne ; il logera son neveu avec sa mère avenue Mozart et leur trouvera un précepteur, l’abbé Rupert ; Jacques sera bachelier au lycée Janson-de-Sailly, diplômé de l’École libre des sciences politiques, licencié en droit. Maurras était également le parrain de François Daudet, un des fils de Léon Daudet.

Relations avec les femmes

Charles Maurras eut une vie sentimentale riche et intense. Il eut de nombreuses relations féminines qui se terminèrent par des ruptures en douceur : son air parfois triste conjugué à l’ardeur de son regard pouvaient plaire.
Dans les années 1890, Maurras a dû affronter la séparation de la belle Valentine de Saint-Pons, puis il a été l'amant de la bouillonnante Mme Paul Souday qu'il continua de fréquenter amicalement après leur séparation.
Il tomba ensuite amoureux de la comtesse de la Salle-Beaufort, la nièce de Gustave Janicot, qui travaillait avec lui à La Gazette de France et qu'il connaissait depuis 1892 : la jeune femme, mariée et mère de plusieurs enfants, cultivée et touchée par cet amour ardent, ne voulut pas tout abandonner pour lui, ce qui lui donnera des envies de suicide. Maurras ne rompait jamais avec les femmes : il correspondit avec la comtesse jusqu'en 1930.
En 1910 et jusqu'à son mariage, Pierre Chardon alias Mme Jules Stefani, née Rachel Legras fut l'amante de Maurras qui lui confia la publication de son Dictionnaire politique et critique, encyclopédie touchant tous les domaines auxquels Maurras toucha : politique littérature, histoire, sociologie philosophie.
En 1925, l’objet de ses sentiments amoureux fut Alice Gannat, intendant au collège des jeunes filles de la Légion d’honneur mais celle-ci ne consentit qu'à une relation amicale.
En 1928, il se lia avec la princesse Yvonne Rospigliosi, baronne de Villenfagne de Sorinnes 1887-1946 marié au prince Ferdandino Carlo Rospiglios ; celle-ci habita chez Maurras rue de Verneuil et ils connurent des amours tempétueuses.
Sa dernière amie fut Mme de Dreux-Brézé, qui s'installa dans un logement tout près de sa prison et avec laquelle il eut une correspondance suivie après la Seconde Guerre mondiale. Il eut également une liaison avec Mme Espinasse-Mongenet.
De façon générale, Charles Maurras aimait les femmes et cela se traduisit par des prises de position politiques : en 1910, il salua l'entrée des femmes dans le cycle des études supérieures : Représentez-vous ce que les 2 500 étudiantes de Paris nous annoncent d'artistes, de lettrées, d'avocats, de doctoresses et tout ce qu'elles vont faire d'imitatrices, étudiantes de demain, parmi les fillettes qui sautent à la corde ou préparent leur première communion363 ? Favorable au droit de vote des femmes, il rappelait que les femmes avaient voté sous Louis XVI dans les paroisses. Touchée par les pages que lui consacra Maurras, la poétesse saphique Renée Vivien compara Maurras à un Archange .

Œuvres

1889 : Théodore Aubanel
1891 : Jean Moréas
1894 : Le Chemin du Paradis, mythes et fabliaux [lire en ligne sur archive.org le texte de l'édition remaniée
1896-1899 : Le Voyage d'Athènes (Lettres des Jeux olympiques, GF-Flammarion, prés. Axel Tisserand, 2004
1898 : L'Idée de la décentralisation
1899 : Dictateur et Roi
1899 : Trois idées politiques – Chateaubriand, Michelet, Sainte-Beuve
1900 : Enquête sur la monarchie
1901 : Anthinéa – d'Athènes à Florence
1902 : Les Amants de Venise, George Sand et Musset (éd. Flammarion, 1992)
1905 : L'Avenir de l'intelligence
1906 : Le Dilemme de Marc Sangnier
1910 : Kiel et Tanger
1910 : Les idées royalistes
1910 : * (et Henri Dutrait-Crozon), Si le coup de force est possible, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1910. Repris dans Charles Maurras, Enquête sur la monarchie, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1924; 1928 et 1937, Paris, Fayard; édition Kontre Kulture 2012.
1912 : La Politique religieuse (repris dans La démocratie religieuse, Nouvelles Éditions Latines, prés. Jean Madiran, 2008, contient aussi Le Dilemme de Marc Sangnier et L'Action française et la religion catholique
1914 : L'Action française et la religion catholique
1915 : L'Étang de Berre [lire en ligne sur archive.org]
1916 : Quand les Français ne s'aimaient pas
1916-1918 : Les Conditions de la victoire, 4 volumes [lire en ligne sur archive.org, vol. 1], vol. 2, vol. 3
1917 : Le Pape, la guerre et la paix
1920 : Le Conseil de Dante
1921 : Tombeaux
1922 : Inscriptions
1923 : Les Nuits d'épreuve tiré à 1 200 exemplaires, particulièrement rare
1923 : Poètes
1924 : L'Allée des philosophes
1925 : La Musique intérieure
1925 : Barbarie et poésie
1926 : La Bonne mort, conte, ill. par Paul Devaux tiré à 715 exemplaires
1926 : La Sagesse de Mistral (tiré à 530 exemplaires)
1927 : Lorsque Hugo eut les cent ans
1927 : La République de Martigues(tiré à 1 000 exemplaires)
1928 : Le Prince des nuées
1928 : Un débat sur le romantisme
1928 : Vers un art intellectuel
1928 : L'Anglais qui a connu la France
1929 : Corps glorieux ou Vertu de la perfection
1929 : Promenade italienne
1929 : Napoléon pour ou contre la France
1930 : De Démos à César
1930 : Corse et Provence
1930 : Quatre nuits de Provence
1931 : Triptyque de Paul Bourget
1931 : Le Quadrilatère
1931 : Au signe de Flore
1932 : Heures immortelles
1932-1933 : Dictionnaire politique et critique, 5 volumes
1935 : Prologue d'un essai sur la critique
1937 : Quatre poèmes d'Eurydice
1937 : L'Amitié de Platon
1937 : Jacques Bainville et Paul Bourget
1937 : Les vergers sur la mer
1937 : Jeanne d'Arc, Louis XIV, Napoléon
1937 : Devant l'Allemagne éternelle
1937 : Mes idées politiques
1937 : La Dentelle du Rempart
1940 : Pages africaines
1941 : Sans la muraille des cyprès
1941 : Mistral
1941 : La Seule France
1942 : De la colère à la justice
1943 : Pour un réveil français
1943 : Vers l'Espagne de Franco
1944 : Poésie et vérité
1944 : Paysages mistraliens
1944 : Le Pain et le Vin
1945 : Au-devant de la nuit
1945 : L'Allemagne et nous
1947 : Les Deux Justices ou Notre J'accuse
1948 : L'ordre et le désordre (L'Herne, Carnets, 2007, précédé de L'Avenir du nationalisme français
1948 : Réflexions sur la Révolution de 1789
1948 : Maurice Barrès
1948 : Une promotion de Judas
1948 : Réponse à André Gide
1949 : Au Grand Juge de France
1949 : Le Cintre de Riom
1950 : Mon jardin qui s'est souvenu
1951 : Tragi-comédie de ma surdité
1951 : Vérité, justice, patrie (avec Maurice Pujo)
1952 : À mes vieux oliviers
1952 : La Balance intérieure
1952 : Le Beau Jeu des reviviscences
1952 : Le Bienheureux Pie X, sauveur de la France
1953 : Pascal puni
1958 : Lettres de prison (1944-1952)
1966 : Lettres passe-murailles, correspondance échangée avec Xavier Vallat
2007 : Dieu et le Roi – Correspondance entre Charles Maurras et l'abbé Penon (1883-1928), présentée par Axel Tisserand, Privat, coll. « Histoire », Paris, novembre 2007, 750 p. (ISBN 978-2-7089-6881-3)
2008 : L’ordre et le désordre, préface de François L'Yvonnet, coll. Carnets, L’Herne, Paris.
2010 : Soliloque du prisonnier, préface de François L'Yvonnet, coll. Carnets, L’Herne, Paris.
2011 : La bonne mort, préface de Boris Cyrulnik et présentation de Nicole Maurras, coll. Carnets, L’Herne, Paris.
Charles Maurras, majoral du Félibrige, a publié une grande partie de son œuvre en provençal utilisant la graphie mistralienne.

Liens

http://youtu.be/_ne4PGTtlCg Conférence de Hilaire de Crémiers
http://youtu.be/FbUak_IiUP4 Entretein avec Charles maurras
http://youtu.be/zc-gJ-R1HDA 2000 ans d'histoire Maurras 1
http://youtu.be/1dzOy0tHd7c 2000 ans d'Histoire Maurras 2
http://youtu.be/kKPgD9pSvL8 Histoire de l'action française
http://youtu.be/9uvxXgm2TWs Duel de Maurras et Paul de Cassagnac
http://youtu.be/kJgAaj2IyY4 L'action française et la culture



Cliquez pour afficher l


[img width=600]http://www.valeursactuelles.com/sites/default/files/styles/va-article/public/charles_maurras_redim.png?itok=dFwP8PqI[/img]

Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


[img width=600]http://www.cairn.info/loadimg.php?FILE=GEN/GEN_047/GEN_047_0062/fullGEN_idPAS_D_ISBN_pu2002-02s_sa05_art05_img005.jpg[/img]

Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


#255 Guillaume Apollinaire
Loriane Posté le : 09/11/2014 15:55
Le 9 Novembre 1918, à 38 ans meurt Guillaume Apollinaire

né Wilhelm Albert Włodzimierz Aleksander Apolinary Kostrowicki, herb. Wąż. Apollinaire est en réalité — jusqu'à sa naturalisation en 1916 — le 5e prénom de Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky, poète et écrivain français, Précurseur du surréalisme, cubisme, orphisme, esprit nouveau, né sujet polonais de l'Empire russe. D'après sa fiche militaire, il est né le 25 août 1880 à Rome.
Il est considéré comme l'un des poètes français les plus importants du début du XXe siècle, auteur de poèmes tels que Zone, La Chanson du mal-aimé, Mai ou encore, ayant fait l'objet de plusieurs adaptations en chanson au cours du siècle, Le Pont Mirabeau. Son œuvre érotique dont principalement un roman et de nombreux poèmes est également passée à la postérité. Il expérimenta un temps la pratique du calligramme terme de son invention, quoiqu'il ne soit pas l'inventeur du genre lui-même, désignant des poèmes écrits en forme de dessins et non de forme classique en vers et strophes. Il fut le chantre de nombreuses avant-gardes artistiques de son temps, notamment du cubisme à la gestation duquel il participa, et poète et théoricien de l'Esprit nouveau, et sans doute un précurseur majeur du surréalisme dont il a forgé le nom.

En bref

Venu à la littérature alors que s'achevait le symbolisme, mort à la veille de l'arrivée de Dada à Paris et de la naissance du surréalisme, sensible à toutes les formes de la nouveauté sans pour autant repousser la tradition, tendant une main à Verlaine et l'autre à Breton, Apollinaire illustre la mutation qui s'est opérée dans la poésie française entre 1900 et 1920.
D'autre part, curieux des choses de l'art, ami de nombreux peintres, il a été un des témoins les mieux placés et les plus attentifs de la révolution picturale qui, commencée avec le fauvisme, s'affirme dans le cubisme et porte en germe les développements de la peinture non figurative.
Il a été poète et critique d'art, mais aussi conteur, essayiste, chroniqueur ; par son œuvre comme par sa personnalité, il se place au carrefour des principales tendances esthétiques qui traversent le XXe siècle.
Deux traits résument sa personnalité : mobilité et disponibilité. Une mobilité dont il a doué son héros Croniamantal : Son visage extrêmement mobile, écrit-il, paraissait tour à tour plein de joie ou d'inquiétude. Lui-même s'est dit très gai avec de soudaines tristesses. Ce sont ces tristesses qui donnent à sa poésie un accent de mélancolie douloureuse, quand notamment il s'abandonne au sentiment de la fuite du temps et de la vanité de toutes choses. Mais la gaieté n'est jamais loin ; elle reparaît au hasard d'une image, d'une rencontre, et parfois s'élargit démesurément, jusqu'à éclater dans une véritable ébriété lyrique.
Avec cette mobilité, sa constante disponibilité entretient un incessant dialogue. Elle le protège d'un repli sur lui-même par une insatiable curiosité devant le spectacle de la vie et de sa variété, comme devant le monde inépuisable des livres : car chose vue et chose lue offrent un égal attrait à son imagination – ce que n'ont pas compris ceux qui l'accusent d'être un poète livresque. Non, a-t-il écrit, il ne faut pas voir de tristesse dans mon œuvre, mais la vie même, avec une constante et consciente volupté de vivre, de connaître, de voir, de savoir et d'exprimer. C'est aussi cette disponibilité qui l'incite à chercher spontanément le commerce des autres ; l'amitié, l'amour sont nécessaires à sa vie, et c'est pourquoi il souffre tant de se sentir mal-aimé. Elle fait encore la qualité de sa critique, toute de sympathie éclairante, et elle nous permet de comprendre qu'il n'ait jamais été l'homme d'une école ou d'une doctrine, mais ait su les accueillir toutes et s'approprier le meilleur de chacune.
L'œuvre poétique d'Apollinaire ne comporte pas seulement les deux grands recueils d'Alcools et de Calligrammes, ainsi que les plaquettes du Bestiaire et de Vitam impendere amori. De nombreux autres poèmes, inédits ou déjà publiés dans des revues, ont été rassemblés depuis sa mort sous les titres de Il y a 1925, Ombre de mon amour 1947 ; intitulés Poèmes à Lou dans les éditions ultérieures, Le Guetteur mélancolique 1952, ainsi que dans les Œuvres poétiques réunies par la Bibliothèque de la Pléiade 1978.
Dans Alcools voisinent des poèmes de jeunesse et des poèmes écrits en 1912. Près de la moitié du recueil se rattache au séjour en Allemagne de 1901-1902 et à ses suites sentimentales. Mais Apollinaire a renoncé à l'ordre chronologique ou à l'ordre thématique, pour disposer ses poèmes selon un subtil dosage des sujets et des techniques. Il crée ainsi un climat de mélancolie qui n'exclut ni l'enjouement et le regard amusé sur le monde, ni l'humour. S'ouvrant sur Zone, poème du souvenir et de la solitude, Alcools s'achève avec Vendémiaire dans un élan d'ivresse lyrique, en passant par des sommets représentés par La Chanson du mal-aimé, La Maison des morts, Le Voyageur, Le Brasier, Les Fiançailles. Apollinaire utilise les mètres les plus divers, avec une prédilection pour l'octosyllabe, pratique le vers libre sous toutes ses formes. Il préfère l'assonance au vers libre et se montre plus sensible au vers parlé qu'au vers écrit. La suppression de la ponctuation, à laquelle il procéda dans ce livre, parut en 1913 une audacieuse fantaisie ; cette innovation ne tendait, selon le poète, qu'à mettre en évidence la coulée et l'unité du vers.
Bien que les six parties de Calligrammes suivent un ordre assez rigoureusement chronologique, l'ouvrage est plus composite. La première partie rassemble les recherches de 1913-1914, lorsque Apollinaire se sentait en possession d'un ressort poétique que, de son propre aveu, il ne retrouva plus. C'est alors qu'il écrit des poèmes-conversations, qui veulent être une forme de poésie brute, des poèmes simultanés, en relation avec le simultanéisme des peintres ; il compose aussi des idéogrammes, qu'il ne tardera pas à appeler calligrammes, dans la tradition des poèmes figurés : la lettre, le mot sont disposés sur la page de façon à former un dessin, un visage, un jet d'eau, les grandes raies obliques de la pluie... Les parties suivantes sont consacrées à des poèmes de guerre et d'amour, dont les factures sont de la plus grande diversité. La dernière, La Tête étoilée, rassemble comme en un final les grands thèmes du recueil, stances secrètement mélancoliques de Tristesse d'une étoile, audacieuses revendications de La Victoire, prophétisme, humilité et tendresse de La Jolie Rousse.

Sa vie

Sa mère, Angelika Kostrowicka clan Wąż, ou Angelica de Wąż-Kostrowicky, est née à Nowogródek dans le grand-duché de Lituanie, appartenant à l'Empire russe, aujourd'hui Navahrudak en Biélorussie dans une famille de la noblesse polonaise. Vivant à Rome de ses charmes et du jeu, elle y a une grossesse non désirée.
Il naît le 25 août 18801 mais est déclaré à la mairie le 26 sous le nom italien d'emprunt Dulcigny, d'un père inconnu et d'une mère voulant rester anonyme, Angelika le reconnaissant quelques mois plus tard devant notaire sous le nom de Guglielmo Alberto Wladimiro Alessandroi Apollinare de Kostrowitzky. Selon l'hypothèse la plus probable, son père serait un officier italien, Francesco Flugi d'Aspermont. En 1882, elle lui donne comme frère ou demi-frère l'incertitude demeure Alberto Eugenio Giovanni. La famille s'installe à Monaco en 1887 où sa mère est fichée par la police comme femme galante sous le nom d'Olga de Kostrowitzky, gagnant probablement sa vie comme entraîneuse dans le nouveau casino. Guillaume est placé en pension et effectue ses études chez les Maristes au collège Saint-Charles de Monaco de 1887 à 1895 puis est inscrit aux lycées de Cannes et de Nice où il se révèle un bon élève, pieux et docile mais échoue au baccalauréat.
En 1899, il passe l'été dans la petite bourgade wallonne de Stavelot, un séjour quitté à la cloche de bois : ne pouvant payer la note de l'hôtel, Wilhelm et son demi-frère Alberto Eugenio Giovanni doivent quitter la ville en secret et à l'aube. L'épisode wallon féconde durablement son imagination et sa création. Ainsi, de cette époque date le souvenir des danses festives de cette contrée, C'est la maclotte qui sautille ..., dans Maria, celui des Hautes Fagnes, ainsi que l'emprunt au dialecte wallon.
En 1900, il s'installe à Paris, centre des arts et de la littérature européenne à l'époque. Vivant dans la précarité, sa mère lui demande pour gagner sa vie de passer un diplôme de sténographie et il devient employé de banque comme son demi-frère Alberto Eugenio Giovanni. Engagé un mois comme nègre de l'avocat Esnard pour écrire le roman-feuilleton Que faire ? dans Le Matin, Esnard refuse de le payer. Pour se venger, il séduit la jeune maîtresse de l'avocat.
En juillet 1901, il écrit son premier article pour Tabarin, hebdomadaire satirique dirigé par Ernest Gaillet, puis en septembre 1901 ses premiers poèmes dans la revue La Grande France sous son nom Wilhelm Kostrowiztky. De mai 1901 à 1902, il est précepteur pour la vicomtesse Élinor de Milhau, d'origine allemande et veuve d'un comte français. Il tombe amoureux de la gouvernante anglaise de ses enfants, Annie Playden, qui refuse ses avances. C'est alors la période rhénane dont ses recueils portent la trace, La Lorelei, Schinderhannes. De retour à Paris en août 1902, il garde le contact avec Annie et se rend auprès d'elle à deux reprises à Londres. Mais en 1905, elle part pour l'Amérique. Le poète célèbre la douleur de l'éconduit dans Annie, La Chanson du mal-aimé, L'Émigrant de Landor Road, Rhénanes.
Entre 1902 et 1907, il travaille pour divers organismes boursiers et parallèlement publie contes et poèmes dans des revues. Il prend à cette époque pour pseudonyme Apollinaire d'après le prénom de son grand-père maternel, Apollinaris, qui rappelle Apollon, dieu de la poésie. En 1907, il rencontre l'artiste peintre Marie Laurencin, avec qui il entretient une relation chaotique et orageuse. À cette même époque, il commence de vivre de sa plume. Il se lie d'amitié avec Pablo Picasso, Jean Metzinger, Paul Gordeaux, André Derain, Edmond-Marie Poullain, Maurice de Vlaminck et le Douanier Rousseau, se fait un nom de poète et de journaliste, de conférencier et de critique d'art à L'Intransigeant. En septembre 1911, accusé de complicité de vol de La Joconde parce qu'une de ses relations avait dérobé des statuettes au Louvre, il est emprisonné durant une semaine à la prison de la Santé ; cette expérience le marque. En 1913, il publie Alcools, somme de son travail poétique depuis 1898.
Il tente de s'engager dans l'armée française en août 1914, mais le conseil de révision ajourne sa demande car il n'a pas la nationalité française. Sa seconde demande en décembre 1914 est acceptée, ce qui lance sa procédure de naturalisation. Peu avant de s'engager, il tombe amoureux de Louise de Coligny-Châtillon, rencontrée à la Villa Baratier, dans les environs de Nice en septembre 1914 et la surnomme Lou. La comtesse est divorcée et mène une vie très libre. Guillaume Apollinaire s'éprend d'elle et la courtise d'abord en vain. Puis quand sa demande d'engagement est enfin acceptée et qu'il est envoyé à Nîmes, elle finit par accepter ses avances et part le rejoindre pendant une semaine, mais elle ne lui dissimule pas son attachement pour un homme qu'elle surnommait Toutou. Rapidement, Guillaume doit partir au front. Une correspondance naît de leur relation ; au dos des lettres qu'Apollinaire envoyait au début au rythme d'une par jour ou tous les deux jours, puis de plus en plus espacées, se trouvent des poèmes qui furent rassemblés plus tard sous le titre de Ombre de mon amour puis de Poèmes à Lou.

Sa déclaration d'amour, dans une lettre datée du 28 septembre 1914, commençait en ces termes : Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d'hier soir, j'éprouve maintenant moins de gêne à vous l'écrire. Je l'avais déjà senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m'avaient tant troublé que je m'en étais allé aussi tôt que possible afin d'éviter le vertige qu'ils me donnaient.
Mais la jeune femme ne l'aimera jamais, du moins comme il l'aurait voulu ; ils rompent en mars 1915 en se promettant de rester amis. Le 2 janvier 1915, il fait la connaissance de Madeleine Pagès dans un train. Il part avec le 38e régiment d'artillerie de campagne pour le front de Champagne le 4 avril 1915. Malgré les vicissitudes de l'existence en temps de guerre, il écrit dès qu'il le peut pour tenir et rester poète Case d'Armons, et une abondante correspondance avec Lou, Madeleine et ses nombreux amis. Il se fiance à Madeleine en août 1915.
Transféré à sa demande en novembre 1915 au 96e régiment d'infanterie avec le grade de sous-lieutenant dans le but de devenir officier, il est naturalisé français le 9 mars 1916 sous le nom de Guillaume Apollinaire.
Le brigadier Apollinaire est blessé à la tempe par un éclat d'obus le 17 mars 1916, alors qu'il lit le Mercure de France dans sa tranchée. Évacué à Paris, il est trépané le 10 mai 1916. À la fin de cette même année, ses amis organisent en son honneur un mémorable banquet dans l'Ancien Palais d'Orléans. En mars 1917, il crée le terme de sur-réalisme qui apparaît dans une de ses lettres à Paul Dermée. Après une longue convalescence, il se remet progressivement au travail, fait jouer sa pièce Les Mamelles de Tirésias sous-titrée Drame surréaliste en deux actes et un prologue en juin 1917 et publie Calligrammes en 1918. Il épouse Jacqueline, la jolie rousse du poème, à qui l'on doit de nombreuses publications posthumes.

Affaibli par sa blessure, Guillaume Apollinaire meurt chez lui au n°202 du boulevard Saint-Germain le 9 novembre 1918 de la grippe espagnole, grippe intestinale compliquée de congestion pulmonaire ainsi que l'écrit Paul Léautaud dans son journal du 11 novembre 1918. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise. Au passage de son cercueil, les Parisiens qui célèbrent la fin de la guerre crient À mort Guillaume !, faisant référence non au poète mais à l'empereur Guillaume II d'Allemagne qui a abdiqué le 9 novembre 1918, jour de la mort d'Apollinaire

La tombe de Guillaume Apollinaire au cimetière du Père-Lachaise, division 86, présente un monument-menhir conçu par Picasso et financé par la vente aux enchères de deux œuvres de Matisse et Picasso le 21 juin 1924. La tombe porte également une double épitaphe extraite du recueil Calligrammes, trois strophes discontinues de Colline, qui évoquent son projet poétique et sa mort, et un calligramme de tessons verts et blancs en forme de cœur qui se lit mon cœur pareil à une flamme renversée.

L'œuvre

Influencé par la poésie symboliste dans sa jeunesse, admiré de son vivant par les jeunes poètes qui formèrent plus tard le noyau du groupe surréaliste, Breton, Aragon, Soupault - Apollinaire est l'inventeur du terme surréalisme, il révéla très tôt une originalité qui l'affranchit de toute influence d'école et qui fit de lui un des précurseurs de la révolution littéraire de la première moitié du XXe siècle. Son art n’est fondé sur aucune théorie, mais sur un principe simple : l’acte de créer doit venir de l’imagination, de l’intuition, car il doit se rapprocher le plus de la vie, de la nature. Cette dernière est pour lui une source pure à laquelle on peut boire sans crainte de s’empoisonner. Mais l’artiste ne doit pas l’imiter, il doit la faire apparaître selon son propre point de vue, de cette façon, Apollon, Ades et Zeus se battirent, mais ce fut Athéna qui gagna parle d’un nouveau lyrisme. L’art doit alors s’affranchir de la réflexion pour pouvoir être poétique.
"Je suis partisan acharné d’exclure l’intervention de l’intelligence, c’est-à-dire de la philosophie et de la logique dans les manifestations de l’art. L’art doit avoir pour fondement la sincérité de l’émotion et la spontanéité de l’expression : l’une et l’autre sont en relation directe avec la vie qu’elles s’efforcent de magnifier esthétiquement dit Apollinaire. L’œuvre artistique est fausse en ceci qu'elle n'imite pas la nature, mais elle est douée d'une réalité propre, qui fait sa vérité."

Apollinaire se caractérise par un jeu subtil entre modernité et tradition. Il ne s’agit pas pour lui de se tourner vers le passé ou vers le futur, mais de suivre le mouvement du temps.
"On ne peut transporter partout avec soi le cadavre de son père, on l’abandonne en compagnie des autres morts. Et l’on se souvient, on le regrette, on en parle avec admiration. Et si on devient père, il ne faut pas s’attendre à ce qu’un de nos enfants veuille se doubler pour la vie de notre cadavre. Mais nos pieds ne se détachent qu’en vain du sol qui contient les morts" Méditations esthétiques, Partie I : Sur la peinture.

C’est ainsi que le calligramme substitue la linéarité à la simultanéité et constitue une création poétique visuelle qui unit la singularité du geste d'écriture à la reproductibilité de la page imprimée. Apollinaire prône un renouvellement formel constant, vers libre, monostiche, création lexicale, syncrétisme mythologique. Enfin, la poésie et l’art en général sont un moyen pour l’artiste de communiquer son expérience aux autres. C’est ainsi qu’en cherchant à exprimer ce qui lui est particulier, il réussit à accéder à l’universel. Enfin, Apollinaire rêve de former un mouvement poétique global, sans écoles, celui du début de XXe siècle, période de renouveau pour les arts et l'écriture, avec l'émergence du cubisme dans les années 1900, du futurisme italien en 1909 et du dadaïsme en 1916. Il donnera par ailleurs à la peinture de Robert Delaunay et Sonia Delaunay le terme d'orphisme, toujours référence dans l'histoire de l'art. Apollinaire entretient des liens d'amitié avec nombre d'artistes et les soutient dans leur parcours artistique, voir la conférence La phalange nouvelle, tels les peintres Pablo Picasso, Georges Braque, Henri Matisse et Henri Rousseau.
Son poème Zone a influencé le poète italien contemporain Carlo Bordini et le courant dit de "Poésie narrative".

Derrière l’œuvre du poète, on oublie souvent l’œuvre de conteur, en prose, avec des récits tels que Le Poète assassiné ou La Femme assise, qui montrent son éclectisme et sa volonté de donner un genre nouveau à la prose, en opposition au réalisme et au naturalisme en vogue à son époque.
À sa mort, on a retrouvé de nombreuses esquisses de romans ou de contes, qu'il n'a jamais eu le temps de traiter jusqu'au bout.

Autres recueils

Ni le Bestiaire dont les quatrains et les quintils allient fantaisie et confidence, ni Vitam impendere amori, adieu mélancolique à la jeunesse et à l'amour perdus, ne sont négligeables.
Quant aux recueils posthumes, Le Guetteur mélancolique et Il y a, ils contiennent surtout des pièces qui sont en marge des grandes œuvres. Les Poèmes à Lou, en revanche, extraits d'une correspondance publiée intégralement d'autre part, sont remarquables par leur liberté d'allure, qui conduit Apollinaire à une nouvelle expression poétique où l'image s'épanouit en une sorte d'ample verset.

Le théâtre

C'est à sa poésie qu'il convient de rattacher le théâtre d'Apollinaire. Dans Les Mamelles de Tirésias 1917, il a mis en application sa théorie de la valeur esthétique du rire et de la surprise, en traitant sous forme de farce le thème sérieux de la repopulation. À propos de cette pièce, il employa le terme de surréalisme pour définir une vision poétique qui, en fin de compte, avait toujours été la sienne : elle consiste en une transposition du réel qu'il a parfaitement définie en disant que quand l'homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Ce surréalisme, on le voit, n'a rien de commun avec celui de Breton.
Couleur du temps 1918 est au contraire une pièce grave, écrite en vers réguliers. Elle agite non sans force, dans une atmosphère de catastrophe cosmique, les grands problèmes de l'action, de la science et de la poésie, de la guerre, de l'amour, de l'idéal.

Caractères généraux de cette poésie

Apollinaire n'a jamais été un théoricien. La conférence qu'il fit en 1908 sur la jeune poésie révèle surtout un grand éclectisme. Celle de 1917, L'Esprit nouveau et les poètes, est un éloge de l'imagination et un acte de foi dans la force créatrice de la poésie. Toutes les écoles sont bonnes à ses yeux et les changements de front qu'on lui a parfois reprochés ne sont autre chose que l'attirance qu'elles ont successivement et même simultanément exercée sur lui.
Mais il reste lui-même dans chacune de ses métamorphoses, avec ses thèmes obsédants, la fuite du temps, l'échec de l'amour, la quête de soi, et aussi les séductions de la vie, l'attrait de l'insolite plus que de l'inconnu ; avec son langage également, son goût du mot rare et du calembour, son sens de l'incantation verbale, le registre étendu de ses images, qui va de la simple comparaison introduite par « comme » à l'image qui tire d'elle seule sa raison d'être et sa signification.
Il a le don de l'amalgame, peut-être parce qu'il est tellement sensible à la diversité de la vie. Nul comme lui ne sait unir le rare et le banal, l'exquis et le vulgaire ou l'obscène, la tendresse et l'ironie, la tradition et l'invention, et, quand il s'agit de ses propres œuvres, des pages anciennes aux trouvailles les plus récentes. Au chant de quelques-uns de ses meilleurs poèmes, La Chanson du mal-aimé, Le Pont Mirabeau, Marie, répondent les ruptures volontaires de rythmes, la discontinuité des images, bientôt toutes les créations de l'avant-garde.
On a dit qu'il fut le dernier élégiaque. Il faudrait ajouter qu'il eut un sens aigu du monde contemporain et qu'il est un précurseur des formes les plus modernes de la poésie. Son œuvre reste, à son image, variée comme un enchanteur qui sait varier ses métamorphoses.

L'œuvre de prose

Pendant longtemps mal connue parce qu'elle restait dispersée, à l'exception de quelques ouvrages, dans des revues et des journaux difficilement accessibles, elle est abondante et pleine de diversité.

Les contes

L'Enchanteur pourrissant, œuvre de jeunesse, doit être mis à part. C'est une composition complexe, à la fois lyrique et narrative, qui brasse, dans un décor légendaire où se confondent les époques et les mythologies, quelques thèmes essentiels : le temps et l'éternité, la toute-puissance du thaumaturge, la vanité de l'amour, la condition humaine...
Les contes sont presque tous réunis dans deux recueils, L'Hérésiarque et Cie et Le Poète assassiné. Ils se divisent en deux grandes tendances. Les uns sont une recherche amusée et gourmande de l'insolite : insolite de certains problèmes religieux, de situations étranges, de fantaisies scientifiques touchant à la science-fiction. Les autres se rapportent, de près ou de loin, à divers projets d'une œuvre autobiographique successivement abandonnés. Leur achèvement est Le Poète assassiné, le conte sensiblement plus long que les autres qui donne son nom au recueil publié en 1916. Dans le destin de Croniamantal, Apollinaire a fondu le réel et l'imaginaire en un récit à la fois humoristique et mythique, qui est sans doute la réussite de cet amalgame des tons auquel il se plaisait. À cet ouvrage ont été incorporés des éléments très divers, certains contemporains de L'Enchanteur pourrissant, d'autres provenant d'un roman avorté sur les anges, selon une technique de marqueterie qui lui est chère.
Enfin, La Femme assise, qui a paru au lendemain de sa mort, est un roman où s'entrelacent chroniques d'actualité sur 1914 et sur la guerre d'une part, fragments d'un roman inachevé sur les Mormons de l'autre.
Ajoutons qu'on ne néglige plus aujourd'hui ses deux romans publiés sous le manteau, Les Exploits d'un jeune don Juan et Les Onze Mille Verges, particulièrement ce dernier, où réapparaissent certains de ses thèmes fondamentaux.

Chroniques et critique

De ses premières collaborations à La Grande France ou à La Revue blanche jusqu'à la rubrique d'échos qu'il tint en 1918 dans L'Europe nouvelle, l'activité d'Apollinaire est pratiquement ininterrompue dans ce domaine : besogne alimentaire, a-t-on souvent dit ; mais bien plus, forme première d'une curiosité déjà définie.
Il n'a lui-même réuni en volume que quelques-unes de ses chroniques, dans Le Flâneur des deux rives (1918). Celles qu'il a données au Mercure de France de 1911 à sa mort ont été rassemblées en 1926 sous le titre d'Anecdotiques. On y reconnaît la variété, le pittoresque, la poésie qui sont la qualité de son regard.
À cet aspect de son œuvre se rattache un travail qui, tout en étant de compilation plus que d'érudition pure, ne lui a pas toujours paru négligeable. Il tenait certes pour peu de prix une anthologie du théâtre italien parue en 1910, une histoire des Trois don Juan, qui n'est qu'un démarquage de Tirso de Molina, Molière, Mérimée et Byron, ou un Perceval du XVIe siècle mis en langue moderne 1918. Mais, en 1914, il avait rassemblé les préfaces et les bibliographies qu'il avait établies pour les collections des Maîtres de l'amour et du Coffret du bibliophile auxquelles sa collaboration avait commencé en 1908 avec un Sade et un Arétin, et les notices qu'il avait faites dans L'Enfer de la Bibliothèque nationale, écrit en collaboration avec Fleuret et Perceau : ce devait être Les Diables amoureux, qui ne parut qu'en 1964. Cet ensemble révèle encore, plus qu'un goût pour les aberrations de l'amour, une inépuisable curiosité pour le pittoresque et l'inattendu de la vie.

La critique d'art

S'il écrit en 1905 un article pénétrant sur Picasso qu'il pourra reprendre tel quel en 1913 dans Les Peintres cubistes, en 1907 un autre sur Matisse, s'il préface en 1908 le catalogue de l'exposition Braque et contribue à faire connaître le douanier Rousseau, c'est en 1910 que commence la véritable carrière de critique d'art d'Apollinaire.
Entré à L'Intransigeant cette année-là, il y tient la chronique des expositions jusqu'en mars 1914 et passe ensuite à Paris-Journal. Ainsi il dispose pendant environ cinq ans d'une tribune presque quotidienne : la plupart de ses articles ont été réunis en 1960 dans Chroniques d'art. Cependant, c'est plutôt aux revues qu'il confie ses idées et celles de ses amis, surtout aux Soirées de Paris, dont il veut faire la tribune de l'art nouveau, et dans Der Sturm.
Il a très rapidement senti l'originalité de la peinture nouvelle. Mais il n'a utilisé qu'avec circonspection le terme de cubisme, plus attaché qu'il est à l'esprit créateur qu'à une doctrine systématique. Il n'emploie le mot qu'à la fin de 1911 et, dès octobre 1912, il parlera de l' écartèlement du cubisme et appellera orphique l'art contemporain. C'est que, dans le courant de 1912, il a pris conscience des développements possibles de la peinture, notamment avec Picabia et avec Robert Delaunay et sa femme Sonia. Ces derniers le conduisent notamment à entrevoir la naissance d'une peinture pure, totalement dégagée de toute référence au réel.
De cette attitude, Les Peintres cubistes, méditations esthétiques 1913 portent la trace. On n'y trouvera pas une théorie du cubisme, mais une intuition des destinées de la peinture depuis le fauvisme.
Jusqu'à la fin de sa vie, Apollinaire restera à la pointe de l'activité artistique, remarquant en particulier les recherches de « rythme coloré » de Léopold Survage et collaborant au bulletin de la galerie Paul Guillaume Les Arts à Paris.
Si dans ce domaine il n'est pas un technicien, il s'inscrit dans la lignée des écrivains qui, de Diderot à Baudelaire, ont « senti » la peinture et son évolution.
La poésie d'Apollinaire est-elle livresque ? Est-elle, selon le mot de Duhamel en 1913, marchandise de brocanteur, qui revend, mais ne fabrique pas ?
S'est-il laissé entraîner dans l'avant-garde par des amis plus audacieux, comme Cendrars, plus qu'il ne s'y lança lui-même ? Sa critique d'art n'est-elle qu'un ramassis d'opinions entendues dans les ateliers et plus ou moins bien assimilées ? S'est-il contenté de ne parler que de ses amis ?
Ces questions sont souvent abordées ; la tendance actuelle de la critique tend à mettre en valeur la pleine originalité créatrice d'Apollinaire.

Calligramme Poésie


Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée, illustré de gravures par Raoul Dufy, Deplanche, 1911. Cet ouvrage a également été illustré de lithographies en couleurs par Jean Picart Le Doux.
Alcools, recueil de poèmes composés entre 1898 et 1913, Mercure de France, 1913.
Vitam impendere amori, illustré par André Rouveyre, Mercure de France, 1917.
Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916, Mercure de France, 1918.

Aquarelliste

Il y a..., recueil posthume, Albert Messein, 1925.
Ombre de mon amour, poèmes adressés à Louise de Coligny-Châtillon, Cailler, 1947.
Poèmes secrets à Madeleine, édition pirate, 1949.
Le Guetteur mélancolique, poèmes inédits, Gallimard, 1952.
Poèmes à Lou, Cailler, recueils de poèmes pour Louise de Coligny-Châtillon, 1955.
Soldes, poèmes inédits, Fata Morgana, 1985
Et moi aussi je suis peintre, album d'idéogrammes lyriques coloriés, resté à l'état d'épreuve. Les idéogrammes seront insérés dans le recueil Calligrammes, Le temps qu'il fait, 2006.

Romans et contes

Mirely ou le Petit Trou pas cher, roman érotique écrit sous pseudonyme pour un libraire de la rue Saint-Roch à Paris, 1900 (ouvrage perdu).
Que faire ?, roman-feuilleton paru dans le journal Le Matin, signé Esnard, auquel G.A. sert de nègre.
Les Onze Mille Verges ou les Amours d'un hospodarNote 9, publié sous couverture muette, 1907.
L'Enchanteur pourrissant, illustré de gravures d'André Derain, Kahnweiler, 1909.
L'Hérésiarque et Cie, contes, Stock, 1910.
Les Exploits d'un jeune Don Juan, roman érotique, publié sous couverture muette, 1911. Le roman a été adapté au cinéma en 1987 par Gianfranco Mingozzi sous le même titre.
La Rome des Borgia, qui est en fait de la main de Dalize, Bibliothèque des Curieux, 1914.
La Fin de Babylone - L'Histoire romanesque 1/3, Bibliothèque des Curieux, 1914.
Les Trois Don Juan - L'Histoire romanesque 2/3, Bibliothèque de Curieux, 1915.
Le Poète assassiné, contes, L'Édition, Bibliothèque de Curieux, 1916.
La Femme assise, inachevé, édition posthume, Gallimard, 1920. Version digitale chez Gallica17
Les Épingles, contes, 1928.

Ouvrages critiques et chroniques

La Phalange nouvelle, conférence, 1909.
L'Œuvre du Marquis de Sade, pages choisies, introduction, essai bibliographique et notes, Paris, Bibliothèque des Curieux, 1909, première anthologie publiée en France sur le marquis de Sade.
Les Poèmes de l'année, conférence, 1909.
Les Poètes d'aujourd'hui, conférence, 1909.
Le Théâtre italien, encyclopédie littéraire illustrée, 1910
Pages d'histoire, chronique des grands siècles de France, chronique historique, 1912
La Peinture moderne, 1913.
Méditations esthétiques. Les Peintres cubistes, Eugène Figuière & Cie, Éditeurs, 1913.
L'Antitradition futuriste, manifeste synthèse, 1913.
L'Enfer de la Bibliothèque nationale avec Fernand Fleuret et Louis Perceau, Mercure de France, Paris, 1913 (2e édit. en 1919).
Le Flâneur des deux rives, chroniques, Éditions de la Sirène, 1918.
L'Œuvre poétique de Charles Baudelaire, introduction et notes à l'édition des Maîtres de l'amour, Collection des Classiques Galants, Paris, 1924.
Anecdotiques, notes de 1911 à 1918, édité post mortem chez Stock en 1926
Les Diables amoureux, recueil des travaux pour les Maîtres de l'Amour et le Coffret du bibliophile, Gallimard, 1964.

Références :

Œuvres en prose complètes. Tomes II et III, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 1991 et 1993.
Petites merveilles du quotidien, textes retrouvés, Fata Morgana, 1979.
Petites flâneries d'art, textes retrouvés, Fata Morgana, 1980.
Théâtre et cinéma
Les Mamelles de Tirésias, drame surréaliste en deux actes et un prologue, 1917.
La Bréhatine, scénario de cinéma écrit en collaboration avec André Billy, 191718.
Couleurs du temps, 1918, réédition 1949.
Casanova, comédie parodique, 1952.

Correspondance

Lettres à sa marraine 1915–1918, 1948.
Tendre comme le souvenir, lettres à Madeleine Pagès, 1952.
Lettres à Lou, édition de Michel Décaudin, Gallimard, 1969.
Lettres à Madeleine. Tendre comme le souvenir, édition revue et augmentée par Laurence Campa, Gallimard, 2005.
Correspondance avec les artistes, Gallimard, 2009.

Journal

Journal intime 1898-1918, édition de Michel Décaudin, fac-similé d'un cahier inédit d'Apollinaire, 1991.

Postérité

En 1941, un prix Guillaume-Apollinaire fut créé par Henri de Lescoët et était à l’origine destiné à permettre à des poètes de pouvoir partir en vacances. En 1951, la partie occidentale de la rue de l’Abbaye dans le 6e arrondissement de Paris est rebaptisée en hommage rue Guillaume-Apollinaire.

Un timbre postal, d'une valeur de 0.5+0.15 franc a été émis le 22 mai 1961 à l’effigie de Guillaume Apollinaire. L'oblitération Premier jour eut lieu à Paris le 20 mai.
En 1999, Rahmi Akdas publie une traduction en turc des Onze mille verges, sous le titre On Bir Bin Kirbaç. Il a été condamné à une forte amende pour publication obscène ou immorale, de nature à exciter et à exploiter le désir sexuel de la population et l'ouvrage a été saisi et détruit.
Son nom est cité sur les plaques commémoratives du Panthéon de Paris dans la liste des écrivains morts sous les drapeaux pendant la Première Guerre mondiale.

La Bibliothèque historique de la ville de Paris possède la bibliothèque personnelle de Guillaume Apollinaire, acquise par la ville en 1990, qui regroupe environ 5 000 ouvrages d'une très grande variété. Le don de Pierre-Marcel Adéma, premier biographe véritable d'Apollinaire ainsi que celui de Michel Décaudin, spécialiste de l'écrivain, qui offrit sa bibliothèque de travail, ont permis d'agrandir le fonds Guillaume Apollinaire.

Ce n'est que le 29 septembre 2013 que l’œuvre de Guillaume Apollinaire est entrée dans le domaine public, soit après 94 ans et 272 jours.

Adaptations de ses œuvres

Au cinéma
Les Onze Mille Verges, film français de Éric Lipmann, 1975.
Les Exploits d'un jeune Don Juan L'Iniziazione, adaptation cinématographique de Gianfranco Mingozzi, production franco-italienne, 1987.

En albums illustrés

Le Apollinaire, textes de Apollinaire, illustré par Aurélia Grandin, Mango, collection Dada, 2000
Les Onze Mille Verges, roman illustré par Tanino Liberatore, Drugstore, 2011
Il y a, poème illustré par Laurent Corvaisier, Paris, éditions Rue du monde, 2013

Bibliographie Essais

Claude Bonnefoy, Apollinaire, Classiques du 20e siècle, 1969
Laurence Campa, Apollinaire, Gallimard, NRF biographie, juin 2013

Bande dessinée

Julie Birmant texte, Clément Oubrerie dessin, Pablo, tome 2 : Guillaume Apollinaire, Paris, Dargaud, 2012

Liens
http://youtu.be/FQTpb0Tx0PQ Le pont Mirabeau dit par Guillaume Apollinaire
http://youtu.be/DvOeX9b4Tp4 Chanté par Marc Lavoine
http://youtu.be/q29zrWRkDc0 Le pont Mirabeau par Léo ferré
http://youtu.be/s2nMSTdTykA Il pleut poème
http://youtu.be/s8T03bg-ZaE Automne
http://youtu.be/hWYh92CvuvQ Marie chanté par Léo ferré

Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l



[img width=600]http://t2.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcQILwg7zsmbr6foNJXePzH5T1HR9FHJ8ItaIslCUKn5T0FOkCwHYWWb-zl9KA[/img]

Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l



#256 Imre Kertész
Loriane Posté le : 09/11/2014 01:43
Le 9 novembre 1929 naît à Budapest Imre Kertész

écrivain hongrois marié avec Magda Kertész, survivant des camps de concentration et lauréat du prix Nobel de littérature en 2002.
À travers une langue riche de métaphores, Kertész raconte, en évitant les effets pathétiques, les crimes atroces commis dans les camps de concentration. Au fil des pages, il soulève toutes les questions que le lecteur n'ose jamais poser, en conservant une distance vis-à-vis de son évocation. Le point de vue d'un adolescent, sans recul, étonné, soulève un problème essentiel à la fin du livre : peut-on survivre uniquement par une adaptation progressive ? Kertész considère qu'écrire un roman sur les camps qui n'irrite pas le lecteur le tromperait sur le sens de la réalité d'Auschwitz. Il s'agit bel et bien pour lui de faire comprendre, par le trouble que suscite le récit, cette monstruosité humaine.


En Bref

Déporté à 15 ans en camp de concentration Auschwitz, Buchenwald, Imre Kertész est un survivant de l'Holocauste. Devenu journaliste au lendemain de la guerre, puis traducteur d'auteurs et de penseurs allemands tels que Nietzsche et Freud, il se heurte au pouvoir en place dans son pays et n'y sera reconnu qu'après la chute du communisme en Europe de l'Est. Venu au roman pour témoigner de son mal Être sans destin, 1975, suivi du Refus et de Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, il dénoncera plus généralement l'oppression inhérente à toute forme de totalitarisme Un autre : chronique d'une métamorphose, 1997. Prix Nobel de littérature 2002.
Si Imre Kertész s'est vu décerner le prix Nobel de littérature en 2002, son œuvre n'a commencé à être reconnue que dans les années 1990, via notamment les traductions qui en ont été faites en Allemagne. Paradoxale, dérangeante, elle dresse, pour reprendre la formule de l'Académie suédoise, l'expérience fragile de l'individu contre l'arbitraire barbare de l'Histoire .
L'œuvre d'Imre Kertész est profondément marquée par son expérience des camps et par l'analyse de l'effet dévastateur des systèmes totalitaires sur l’homme. Dans son roman Être sans destin, l'auteur présente son héros, un adolescent juif de quinze ans, à l'esprit encore naïf, qui a été arrêté puis déporté dans un camp de concentration nazi. Là, il considère les événements qui s'y déroulent comme quelque chose de naturel compte tenu des circonstances : au lieu de la révolte, cette barbarie ne semble susciter en lui qu'indifférence celle-là même que Kertész retrouvera dans L'Étranger de Camus. L'impuissance des victimes se reflète clairement dans le cynisme méprisant des coupables.

Sa vie

Né dans une famille juive modeste, d'un père marchand de bois et d'une mère petite employée, Imre Kertész est déporté à Auschwitz en 1944, à l'âge de 15 ans, puis transféré à Buchenwald. Cette expérience douloureuse nourrit toute son œuvre, intimement liée à l'exorcisation de ce traumatisme. L'édification d'une patrie littéraire constitue le refuge d'un être qui constate l'absurdité du monde car on lui a un jour refusé le statut d'être humain. Ses ouvrages ouvrent une réflexion sur les conséquences dévastatrices du totalitarisme et la solitude de l'individu, condamné à la soumission et la souffrance silencieuse.
Revenu à Budapest en Hongrie, en 1945, il se retrouve seul, tous les membres de sa famille ayant disparu. En 1948, il commence à travailler comme journaliste. Mais le journal dans lequel il travaille devient l'organe officiel du Parti communiste en 1951, et Kertész est licencié. Il travaille alors quelque temps dans une usine, puis au service de presse du Ministère de l'Industrie.

Congédié à nouveau en 1953, il se consacre dès lors à l'écriture et à la traduction. La découverte de L'Étranger d'Albert Camus lui révèle, à 25 ans, sa vocation. La philosophie de l'absurde devient un modèle fondateur pour son œuvre. À partir de la fin des années 1950 et tout au long des années 1960, il écrit des comédies musicales pour gagner sa vie. Il traduit de nombreux auteurs de langue allemande comme Friedrich Nietzsche, Hugo von Hofmannsthal, Arthur Schnitzler, Sigmund Freud, Joseph Roth, Ludwig Wittgenstein et Elias Canetti qui ont une influence sur sa création littéraire. Dans les années 1960, il commence à écrire Être sans destin, récit d'inspiration autobiographique qu'il conçoit comme un « roman de formation à l'envers.
Ce roman sobre, distancié et parfois ironique sur la vie d'un jeune déporté hongrois, constitue le premier opus d'une trilogie sur la survie en camp de concentration. Il évoque notamment le point de vue de la victime dans l'histoire et son conditionnement occasionnel, voire banal, à l'entreprise de déshumanisation menée par l'Allemagne nazie. Cette acceptation passive et ordinaire de l'univers concentrationnaire peut être distinguée du témoignage de Primo Levi dans Si c'est un homme. L'ouvrage ne peut paraître qu'en 1975, pour un accueil assez modeste.
C'est seulement après sa réédition, en 1985, qu'il connaît le succès.
Tenu à l'écart par le régime communiste, Kertész ne commence à être reconnu comme un grand écrivain qu'à la fin des années 1980. Il obtient en 2002 le prix Nobel de littérature, pour une œuvre qui dresse l'expérience fragile de l'individu contre l'arbitraire barbare de l'histoire.
Aujourd'hui, il réside essentiellement à Berlin. En 2003, il est élu membre de l'Académie des arts de Berlin et reçoit en 2004 la croix de grand officier de l'Ordre du Mérite de la République fédérale d'Allemagne, Großen Bundesverdienstkreuz mit Stern. En 2011, il publie Sauvegarde, autoportrait d'un homme à l'hiver de sa vie, affrontant la maladie de Parkinson et le cancer de son épouse. Kertész y circonscrit réflexions littéraires et notes, souvenirs et anecdotes sur son parcours, notamment sa fuite vers l'Allemagne et l'antisémitisme dont il a à nouveau fait l'objet en Hongrie après son retour des camps.

Style

La vision littéraire de Kertész se rapproche de Franz Kafka et de l'esthétique propre à la Mitteleuropa. Il est également lié à Camus et Samuel Beckett tant pour ses recherches narratives et formelles que pour le thème de l'absurde et du désespoir qui hantent son œuvre. Son expression fonctionne en périodes distinctes et joue du ressassement et de l'ironie mordante, parfois cruelle, mêlés à plusieurs références d'ordre historique, politique, philosophique et artistique. L'auteur se veut un styliste du verbe et combine témoignage autobiographique, délires, ambiguïté, considérations universelles et dimension analytique du langage, héritée de la tradition littéraire austro-allemande dont il est familier. Précise, riche en métaphores et suggestive, son écriture est marquée par le goût des parenthèses juxtaposées avec un aspect très plastique de la phrase au galbe raffiné.

Dans les deux autres romans de la trilogie, Le Refus, 1988 trad. franç. 2001 et Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, 1990, l'auteur approfondit l'expérience d'un juif hongrois qui n'a survécu aux camps que pour tomber dans un autre totalitarisme, celui de la dictature communiste. C'est là que Kertész comprend rétrospectivement les horreurs du nazisme et se sent obligé d'analyser le mépris pour l'être humain, tout en se voulant le prophète de nouvelles conditions de vie libres et décentes.
Dans Le Refus, qui évoque notamment la violente dénégation que provoque en Hongrie, dans les milieux littéraires, la parution d'Être sans destin, tout tourne autour de la figure rhétorique de la répétition, considérée comme une expérimentation réflexive. Un écrivain âgé, qui passe toute sa vie dans un logis minuscule et veut publier un texte sur les camps d'extermination, se heurte à un refus : le monde ne veut ni de lui, ni de son concept de la vérité. C'est la raison pour laquelle cet écrivain inventera une autre histoire, celle d'un journaliste qu'il jettera dans ce labyrinthe cruel qu'est la Hongrie stalinienne de l'après-guerre.

La langue comme recours

La langue de Kertész est très concise, et c'est d'abord par elle que tout est remis en question. Significativement, le premier mot de Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas est NON. Le narrateur y déploie un soliloque presque obsessionnel sur les souffrances, l'oubli, l'existence sur laquelle on ne saurait revenir. Une fois cependant, il essaie de quitter son petit logement et de se marier. Mais, trop marqué par les expériences de sa jeunesse, il refusera de donner un enfant à sa femme. Le NON initial traverse ainsi tout le roman, du début à la fin. Dépourvu de véritable récit, cette œuvre pourrait se réduire à être ce chant funèbre qui donne son titre au livre. Mais la virtuosité de Kertész libère le texte de son hermétisme sans espoir de réconciliation, permettant au narrateur d'évoquer l'importance des instincts et des contre-instincts qui orientent la vie.
Recourant à des images qui expriment sans cesse le doute, Kertész s'avère un grand maître de la langue. Celle-ci, certainement marquée par ses traductions de Wittgenstein, tend au discours philosophique. À la fois témoignage sur sa personnalité et véhicule de jugements universels, elle se veut une sorte de quintessence de la survie, avec tout ce que celle-ci peut avoir d'ambivalent. Dans un entretien il explique ainsi, à propos de son expérience des camps : À chaque fois que ce système, fondé sur la destruction de l'individu, marquait une pause, je ressentais du „bonheur„. Et j'en ressentais également lorsque je faisais cette expérience très intense de me sentir plus proche de la mort que de le vie.
Parmi les autres récits d'Imre Kertész, mentionnons Le Chercheur de traces 1997, trad. franç. 2003, Le Drapeau anglais 1991, trad. franç. 2005 et Liquidation 2003, trad. franç. 2004. Dans ses essais et son journal, tenu entre 1991 et 1995 Un autre. Chronique d'une métamorphose, 1997 ; trad. franç. 1999, suivi de Sauvegarde. Journal 2001-2003 2011, trad.franç. 2012, on relève les traces d'une tradition d'Europe centrale proche de celle qu'exprime la conception kafkaïenne du monde, ainsi que le principe selon lequel seule la langue, dans ce qu'elle possède d'indicible, permet à l'individu de survivre et au lecteur, peut-être, d'ouvrir les yeux. Enfin, dans Dossier K 2006, trad. franç. 2008, un livre de dialogues, l'écrivain revient sur l'essentiel de sa vie et de son œuvre.

Œuvres

Imre Kertész,
Sorstalanság 1975, Être sans destin, Arles, Actes Sud, 1998 voir critique.
A nyomkereső 1977, Le chercheur de traces, Arles, Actes Sud, 2003.
Detektívtörténet 1977, Roman policier, Arles, Actes Sud, 2006.
A kudarc 1988, Le Refus, Arles, Actes Sud, 2001.
Kaddis a meg nem született gyermekért 1990, Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, Arles, Actes Sud, 1995.
Az angol lobogó 1991, Le Drapeau anglais, Arles, Actes Sud, 2005.
Gályanapló, 1992, Journal de galère, Arles, Actes Sud, 2010.
Jegyzőkönyv, 1993, Procès verbal" dans "Le Drapeau anglais, Arles, Actes Sud 2010.
A holocaust mint kultúra 1993, L'Holocauste comme culture dans : L'Holocauste comme culture. Discours et essais, Arles, Actes Sud, 2009.
Valaki más: a változás krónikája 1997, Un autre, chronique d'une métamorphose, Arles, Actes Sud, 1999.
A gondolatnyi csend, amíg a kivégzőosztag újratölt, 1998.
A száműzött nyelv, 2001, L'Holocauste comme culture. Discours et essais, Arles, Actes Sud, 2009.
Felszámolás, 2003, Liquidation, Arles, Actes Sud, 2004.
A K. dosszié 2006, Dossier K, Arles, Actes Sud, 2008.
Mentés másként 2011, Sauvegarde. Journal 2001-2003, Arles, Actes Sud, 2012.

Citations

Les citations sont extraites de l'édition Babel et traduite en français du livre Le Refus.

" Il est également incroyable que la vue des fours crématoires... éveille en lui "l’impression d'une farce de potache" "

" Oui, si la mort est une absurdité, comment la vie pourrait-elle avoir un sens? Si la mort a un sens, à quoi bon vivre? Où ai-je perdu ma salutaire impersonnalité? Pourquoi ai-je écrit un roman et surtout, oui, surtout, y ai-je placé toute ma confiance? "

" Mon roman n'est rien d'autre qu'une réponse au monde, le seul type de réponse que, visiblement, je sois capable d'apporter. À qui aurais-je pu adresser ma réponse puisque, comme on le sait, Dieu est mort? Au néant, à mes frères humains inconnus au monde. Ce n'est pas devenu une prière, mais un roman. "

" Je ne vais pas me faire enfermer rien que pour devenir une attraction éphémère. "

" Celui qui vit sous le charme du destin, se libère du temps. "

" Puisque pour un écrivain il n'y a pas de couronne plus précieuse que l'aveuglement de son époque à son égard, et l'aveuglement accompagné du mutisme est une pierre précieuse de plus. "

" On prenait possession de ma conscience, elle était cernée de toutes parts : on m'éduquait. "


[img width=600]http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/86/Imre_Kert%C3%A9sz_(1929-)_Hungarian_writer_II._by_Csaba_Segesv%C3%A1ri.JPG[/img]

Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


#257 Emile Gaboriau 1
Loriane Posté le : 09/11/2014 01:41
Le 9 novembre 1832 à Saujon Charente naît Emile Gaboriau

mort, à 40 ans le 28 septembre 1873 à Paris, écrivain français, considéré comme le père du roman policier. Son personnage, l'enquêteur Lecoq, a influencé Conan Doyle pour la création de Sherlock Holmes. Il a lui-même été très influencé par Edgar Allan Poe. ses Œuvres principales
sont L'Affaire Lerouge en 1866, Le Crime d'Orcival en 1866, La Corde au cou en 1873

Gaboriau exerça divers métiers : clerc d'avoué, hussard en Afrique, chef d'écurie. Il s'engagea dans la cavalerie pour sept ans, mais résilia son contrat rapidement pour gagner Paris, où il rédigea des chroniques pour gagner sa vie. Il devint le secrétaire de Paul Féval, qui lui fit découvrir le journalisme.

Son premier roman, L'Affaire Lerouge, d'abord publié sans succès sous forme de feuilleton en 1863, devint très populaire en 1866. L'auteur y met en scène le Père Tabaret, dit Tirauclair, et introduit l'agent de la sécurité Lecoq, qui deviendra un commissaire célèbre et le personnage principal des romans suivants. Inspiré par le chef de la sûreté François Vidocq, déjà à l'origine du Vautrin de Balzac, il est le modèle du détective ingénieux qui, n'hésitant pas à se travestir, résout des énigmes par ses capacités déductives hors normes.
Ce dernier personnage devait inspirer Conan Doyle et Maurice Leblanc. Mais, à la différence de Sherlock Holmes, les enquêtes de Lecoq reposent sur des investigations plus réalistes, plus proches des progrès de la police scientifique de l'époque. Les romans policiers de Gaboriau font pénétrer l'intrigue dans les milieux sociaux, qu'ils décrivent d'une manière qu'on peut qualifier de naturaliste.
En cela, l'influence de Gaboriau sur le roman policier français reste très importante. Ses analyses psychologiques très fines, Le Crime d'Orcival ont inspiré jusqu'à Georges Simenon.
Après le succès de L'Affaire Lerouge, Gaboriau travailla comme feuilletoniste au Petit Journal. En 1872, il écrivit avec Jules-Émile-Baptiste Holstein une pièce de théâtre tirée de L'Affaire Lerouge.

Gaboriau mourut en 1873.

Romans

Son roman Monsieur Lecoq 1869 a été adapté au cinéma sous le même titre par Maurice Tourneur en 1914 et à la télévision dans une série télévisée portant également le même titre et diffusée par la Société Radio-Canada pendant la saison 1964-1965.

Frontispice de L'Affaire Lerouge, l'un des Archétypes du roman policier. Paru en 1866, le roman en était en 1870 à sa 9e édition
L'Ancien Figaro : études satiriques tirées du journal Le Figaro, préface et commentaires d'Émile Gaboriau, Paris, Dentu, 1861
Les Cotillons célèbres, Paris, Dentu, 1861
Le Treizième Hussards, Paris, Dentu, 1861
Mariages d'aventure comprenant Monsieur J.-D. de Saint-Roch ambassadeur matrimonial et Promesses de mariage, Paris, Dentu, 1862
Les Gens de Bureau, Paris, Dentu, 1862
Les Comédiennes adorées, Paris, Dentu, 1863
L'Affaire Lerouge, Paris, Dentu, 1866
D’abord publié en feuilleton en 1863 dans le journal Le Pays, où il passa inaperçu, il est repris en 1866 par le journal Le Soleil et remporte un immense succès.
Le Crime d'Orcival, Paris, Dentu, 1866
Paru, comme les romans suivants, dans Le Petit Journal.
Le Dossier no 113, Paris, Dentu, 1867
Les Esclaves de Paris, Paris, Dentu, 1868 en 2 Vol. Tome 1 "Le Chantage", Tome 2 "Le secret des Champdoce", Editeur L. Boulanger en 1 volume circa 1885
Monsieur Lecoq, Paris, Dentu, 1869 en 2 Vol. Tome 1 "L'Enquête", Tome 2 "L'honneur du nom", Editeur L. Boulanger en 1 volume circa 1885
La Vie infernale, Paris, Dentu, 1870 en 2 Vol. Tome 1: "Pascal et Marguerite", Tome 2: "Lia d'Argelès" ; réédition, France, Éditions Pascal Galodé, 2014.
La Dégringolade, Paris, Dentu, 1871 en 2 Vol. Tome 1 "Un mystère d'iniquité", Tome 2 "Les Maillefert" , Editeur L. Boulanger en 1 volume circa 1885.
La Clique dorée, Paris, Dentu, 1871
La Corde au cou, Paris, Dentu, 1873
L'Argent des autres, Paris, Dentu, 1873 en 2 Vol. Tome 1 "Les Hommes de Paille", Tome 2 "La Pêche en Eau Trouble"
Le Petit Vieux des Batignolles nouvelle posthume publiée en un volume avec les cinq autres nouvelles suivantes, Paris, Dentu 1876 :
Une disparition
Maudite maison
Casta vixit
La Soutane de Nessus
Bonheur passe richesse
Le Capitaine Coutanceau,Paris, Dentu, 1878, publication posthume
Les Amours d'une empoisonneuse, Paris, Dentu 1881, publication posthume

Le roman policier


L'expression roman policier a toujours constitué une dénomination réductrice, et les multiples tentatives faites pour le définir ou le codifier n'ont jamais été satisfaisantes – Edgar Allan Poe dans Genèse d'un poème , S. S. Van Dine, en 1928, dans un article de l'American Magazine. Dès sa naissance, ce genre littéraire est vite devenu insaisissable parce que multiforme et indéfinissable globalement. Sa nouvelle appellation argotique, le polar, qui s’impose à la fin des années 1960, qualifie d’abord les films policiers, puis, un peu plus tard, les romans. Polar viendrait du terme grec polis, qui désigne à la fois la cité, les institutions et la ville précisent Audrey Bonnemaison et Daniel Fondanèche dans leur essai, Le Polar, idées reçues 2009. Pour autant, l’utilisation de ce terme n’a pas davantage permis d’élaborer une définition de ce genre littéraire. Le polar, en effet, constitue un espace de créativité sans limite et il peut se décliner de diverses façons. Détection, suspense, étude de mœurs, noir, aventures, chronique sociale, politique-fiction, thriller, autant de types de récits différents qui, tous, peu ou prou se rattachent au tronc originel. Parfois, et de plus en plus souvent, le polar peut emprunter à plusieurs de ces sous-genres. Il lui arrive même aujourd'hui de s'acoquiner avec la science-fiction ou de flirter avec le roman historique. En fait, le polar n'a presque plus de frontières, car, au fil de sa chronologie, il s'est toujours trouvé des romanciers pour faire exploser les archétypes et explorer de nouvelles pistes. Un de leurs soucis premiers encore aujourd'hui dominant a été de dire le monde tel qu'il est et tel qu'il devient. En tentant de cerner le Mal, qu'il s'agisse du crime ou des pouvoirs visibles ou occultes qui manipulent la planète, le polar s'efforce de raconter l'homme, avec ses doutes, ses peurs, ses obsessions, ses angoisses et ses frustrations.
Durant les dernières décennies, le genre s'est encore davantage universalisé. Il a gagné un lectorat plus large et phagocyté d'autres genres littéraires. Il a donné naissance à de nouvelles œuvres fortes et encore plus diversifiées, en particulier en Amérique latine et dans les pays du nord de l'Europe. Il a aussi permis l'émergence d'un grand nombre de nouvelles romancières, et il n'y a rien d'étonnant si certaines d'entre elles ont choisi cette forme littéraire comme support revendicatif à leurs combats pour l'émancipation féminine.

Aux origines du roman policier

Le roman policier est peut-être né avec l'Œdipe roi de Sophocle. Œdipe mène l'enquête sur un crime ancien, l'assassinat du roi de Thèbes. Il découvrira le coupable : lui-même... l'enquêteur était le meurtrier. Plus traditionnellement, on fait remonter les débuts du genre au Zadig 1748 de Voltaire. Le héros y reconstitue, à partir de traces dans le sable, le signalement de la chienne de la reine. On invoque aussi une origine chinoise, à laquelle fait référence le juge Ti du sinologue hollandais Robert Van Gulik. Mais comme l’a relevé le critique britannique George Bates : Comment peut-on écrire du policier avant l’existence de la police ? En réalité, le roman policier date de la révolution industrielle, de l'accroissement de la population ouvrière dans les villes et de l'effroi qui en naquit. Le glissement de la classe laborieuse à la classe dangereuse, analysé en 1840 par Frégier, provoqua une peur dans la bourgeoisie, que traduisent bien Les Mystères de Paris 1842-1843 d'Eugène Sue et la fascination exercée par le poète-assassin Lacenaire. Face au péril : la police. Après la chute de l'Empire et celle de son tout-puissant ministre Fouché, cent pamphlets avaient dénoncé l'institution. Mais le combat était politique. Les Mémoires de Vidocq, en 1828, puis de nombreux ouvrages, dont les Mémoires tirés des archives de la police de Paris par Peuchet qui en fut le conservateur ils inspirèrent à Alexandre Dumas l'histoire du comte de Monte-Cristo, attirèrent l'attention sur la lutte contre le crime. La police, garante de l'ordre politique, devint aussi le rempart de la propriété. Le Corentin de Balzac, le Javert de Victor Hugo, le Salvator de Dumas sont autant de facettes d'un mythe nouveau : le policier. On notera que ces trois personnages sont inspirés des récits de Vidocq et de son parcours.
Un policier qui triomphe plus par l'intelligence que par la force. En reconstituant les restes de la jument à laquelle était attelée la charrette portant le baril de poudre qui avait explosé au passage de la voiture du Premier consul, Dubois, préfet de police de l'an VIII, remonta jusqu'aux auteurs de l'attentat, fondant de la sorte la police scientifique. C'est l'Américain Edgar Allan Poe 1809-1849 qui comprit le premier la leçon. Dans Double Assassinat dans la rue Morgue The Murders in the Rue Morgue publié en avril 1841 et que traduira Baudelaire, son héros, le chevalier Auguste C. Dupin, dandy parisien noctambule et aristocrate désargenté, apporte, par la seule force de son raisonnement, la solution de l' énigme, un crime commis de façon atroce dans un lieu clos. La Lettre volée The Purloined Letter, 1841 et Le Mystère de Marie Roget The Mystery of Marie Roget, novembre 1842 suivront. Ces trois histoires policières ont un point commun : elles se déroulent à Paris en hommage à François Vidocq, l'ancien bagnard devenu préfet de police. Au départ, elles proposent un mystère inexplicable ; à la fin, toutes les impossibilités ayant été écartées par le raisonnement, reste la solution juste. Si Edgar Poe est considéré comme l’auteur du premier texte policier dans le monde, le développement d’Internet a facilité la transmission de textes plus anciens et divers critiques contestent le choix de Poe comme premier auteur de polar. Quelques-uns estiment que cette place revient à Thomas de Quincey. Ce Britannique signa, à partir de 1827, une œuvre en quatre parties, De l’assassinat considéré comme un des Beaux Arts, qu’il acheva en 1854. Mademoiselle de Scudéry, un récit criminel publié en 1818 par E.T.A. Hoffmann, se déroule en 1860 dans un Paris où les crimes d’un tueur en série affolent la population. Ce court roman devrait, selon les critiques français, être considéré comme le premier du genre.

Le détective

Dans les histoires de Poe, le personnage essentiel est le détective. L'assassin importe peu et la victime encore moins. Le véritable héritier de Poe s'appelle Émile Gaboriau 1832-1873.
Secrétaire du romancier Paul Féval, Gaboriau se lie avec un ancien inspecteur de la sûreté, Tirabot, lequel lui inspire L'Affaire Lerouge 1866. Considéré comme le premier roman policier dans le monde, ce texte a pour protagoniste le père Tabaret, un inspecteur de la sûreté surnommé Tire-au-clair. Il enquête sur la mort de la veuve Célestine Lerouge, découverte égorgée dans sa maison, Porte d'Italie, secondé par un policier débutant du nom de Lecoq, sonorité qui fait songer à Vidocq. Personnage central des enquêtes suivantes Le Crime d'Orcival, 1866 ; Le Dossier 113, 1867 ; Monsieur Lecoq, 1868 ; et La Corde au cou, 1873, Lecoq est le premier policier à pratiquer des déductions logiques à partir de l'examen d'indices ou d'analyses scientifiques comme l'étude d'empreintes ou de moulages. Mais la même ambiguïté est de mise à propos de l’attribution à L’Affaire Lerouge de premier roman policier au monde. En effet, L’Assassinat du Pont-Rouge, publié à partir de 1855 dans La Revue de Paris, de Charles Barbara a souvent été comparé à Crime et châtiment de Dostoïevski, mais la reconnaissance n’a guère été plus loin.

L'influence de Gaboriau sera considérable. Son meilleur disciple reste Fortuné du Boisgobey 1821-1891, auteur de La Vieillesse de M. Lecoq 1877. Mais il faudrait citer aussi le Maximilien Heller 1871 d'Henry Cauvain 1847-1899 et la plupart des œuvres d'Eugène Chavette 1827-1902, comme La Chambre du crime 1875, Le Roi des limiers 1879, La Bande de la belle Alliette 1882, ou de Pierre Zaccone 1817-1895, notamment signataire de Maman Rocambole 1881 et du Crime de la rue Monge 1890.
Arthur Conan Doyle 1859-1930va pourtant surpasser ses rivaux en créant le plus célèbre des détectives, Sherlock Holmes. Pourquoi le locataire du 221 B Baker Street l'emporte-t-il sur ses prédécesseurs ? Parce qu'il est fils du positivisme qui domine la seconde moitié du XIXe siècle. C'est alors l'apothéose de l'esprit scientiste. On retrouve chez Holmes ce goût pour la compilation et la classification des données qui en fait le fils d'Auguste Comte, de Stuart Mill et de Darwin. Gaboriau a également inspiré le Néo-Zélandais Fergus Hume qui écrit, en 1886, à Melbourne, Le Mystère d’un hansom cab. Malgré ses qualités, l’ouvrage n’obtient pas le succès attendu et Hume en cède les droits à des investisseurs britanniques. L’ouvrage, publié à Londres en 1887, se vend à 340 000 exemplaires, davantage encore aux États-Unis. Il est le premier best-seller du genre.
Sherlock Holmes apparaît pour la première fois dans Une étude en rouge, en 1887. À la demande du public, les nouvelles et les romans publiés dans le Strand Magazine doivent à nouveau mettre en scène Holmes. Mais Doyle, lassé d'un personnage aussi encombrant sa préférence allait au roman historique, essaie de le faire mourir dans Le Dernier Problème The Memoirs of Sherlock Holmes. Devant le flot des protestations, il doit se résigner à le ressusciter. Au total, le cycle comprend, entre 1887 et 1927, quatre romans et cinquante-six nouvelles. Grâce à Conan Doyle, la vogue du roman policier va vite s'étendre et, dans le domaine de la littérature populaire, Holmes trouve un équivalent dans le personnage de Nick Carter. Cet enquêteur new-yorkais créé par John Coryell, dans le New York Weekly du 18 septembre 1886, soit un peu avant l'apparition du grand maître britannique, connaîtra plus de deux mille aventures dans les Dime Novels, ces fascicules populaires américains vendus dix cents. L'écrivain belge Jean Ray 1887-1964 poursuit la tradition à partir de 1932 avec Harry Dickson, surnommé le Sherlock Holmes américain bien qu'il vive à Londres. À un niveau supérieur figure le docteur John Thorndyke, enquêteur au savoir encyclopédique, créé par le Britannique Austin Freeman 1862-1943 dans L'Empreinte rouge The Red Thumb Mark, 1907, le premier d'un cycle de dix volumes. Plus haut encore, c'est le père Brown, détective du bon Dieu, imaginé en 1910 par le romancier et philosophe londonien Gilbert Keith Chesterton 1874-1936 et héros de cinquante et une nouvelles rassemblées dans cinq recueils dont La Clairvoyance du père Brown The Innocence of Father Brown, 1911 et La Sagesse du père Brown The Wisdom of Father Brown, 1914. Ce qui caractérise Brown, petit prêtre au visage rond et plat, c'est sa pratique du sacrement de la confession le Hitchcock de La Loi du silence I Confess est déjà là. Elle lui assure une excellente connaissance des ruses criminelles. Ces choses s'apprennent. Ce qui ne peut se faire à moins d'être prêtre. Les gens viennent et se racontent.
À retenir également : Le Vieil homme dans le coin, un des premiers détectives en chambre, créé en 1901 dans The Royal Magazine, par la baronne Emmuska Orczy – son héros, installé dans un salon de thé londonien, résout les énigmes que vient lui soumettre la jeune journaliste Polly Burton – ; le savant Van Dusen surnommé la Machine à penser », créé en 1905 Le Problème de la cellule 13 par l'Américain Jacques Futrelle qui disparaît lors du naufrage du Titanic ; le détective privé londonien Martin Hewitt, créé en 1894 et présent dans dix-neuf nouvelles d'Arthur Morrison ; Eugène Valmont, premier d’une lignée de détectives francophones vivant en Angleterre. Précurseur du personnage d’Hercule Poirot, cet homme plein de sang-froid et d’humour apparaît en 1906 sous la plume de l’Écossais Robert Barr, qui avait publié en 1892 une des premières parodies de Sherlock Holmes Adventures of Sherlaw Kombs. On peut aussi citer Ernest Bramah, créateur en 1914 du détective Max Carrados, devenu aveugle à la suite d’un accident de cheval. Aussi efficace que ses confrères, il est assisté par son domestique, Parkinson, et par le privé Louis Carlyle. Enfin et surtout, on retient Rouletabille, le personnage le plus célèbre de Gaston Leroux 1868-1927 qui apparaît en 1907 dans Le Mystère de la chambre jaune. Issu d'un milieu aisé, chroniqueur judiciaire et grand reporter, Leroux entend concurrencer sur leur terrain Poe et Doyle en reprenant un problème de chambre close. Mais, cette fois, il ne ménage aucune ouverture qui puisse permettre à un singe ou à un serpent de s'introduire dans la place. Il situe la solution dans une autre perspective, celle du temps. Les cris entendus n'accompagnent pas mais suivent l'agression. Le détective qui résout l'énigme est un pigiste au journal L'Époque, Rouletabille, qui, comme Dupin ou Holmes, fait appel au bon bout de la raison .
Conan Doyle avait produit avec Holmes un personnage dont la postérité ne devait pas s'éteindre. Le Philo Vance de Van Dine La Mystérieuse Affaire Benson, 1923 ; L'Assassinat du canari, 1927 ; les trois justiciers d'Edgar Wallace ; Hercule Poirot, le policier belge d'Agatha Christie ; Lord Peter Wimsey, de Dorothy Sayers ; l'inspecteur French, de Freeman Wills Crofts ; Ellery Queen pseudonyme de deux cousins, Lee et Dannay, qui apparaît en 1929 avec Le Mystère du chapeau de soie, et dont les aventures constituent un véritable cycle ; l'avocat Perry Mason, cher à Erle Stanley Gardner ; l'homme aux orchidées, Nero Wolfe, de Rex Stout : autant de descendants de Sherlock Holmes qui luttent victorieusement contre le crime.
Il arrive que le détective soit une femme miss Marple, chez Agatha Christie, un Chinois le célèbre Charlie Chan, imaginé par Earl derr Biggers, connu surtout pour ses fausses citations de Confucius, du type : Un homme sans ennemi est comme un chien sans puces ou un Japonais M. Moto, chez John Marquand ; le capitaine Bulldog Drummond de Sapper ; l'avocat Prosper Lepicq dans les romans pleins d'humour de Pierre Véry ; et le journaliste Doum lancé dans d'étranges enquêtes par Jean-Louis Bouquet ; sans négliger frère Boileau, création de Jacques Ouvard pseudonyme du prêtre Roger Guichardan ; le juge Allou de Noël Vindry ; et le commissaire Gilles, de Jacques Decrest. Le plus illustre demeure, bien sûr, le commissaire Maigret, policier de la P.J., le pas pesant, la pipe à la bouche, nourri de sandwiches et de bière, tel que l'a imaginé Simenon, et qui fait ses débuts dans Pietr le Letton, en 1931, un an après la mort de Conan Doyle. Point de raisonnement, de déduction savante chez Maigret, mais un effort pour comprendre la crise, le plus souvent psychologique, qui a conduit au drame.
De la défense de la société on est passé à la compréhension du criminel, mais le policier est toujours là, tout à la fois énergique et humain. Ses aventures conservent, même chez Simenon, une facture classique. Au départ, une énigme : la solution apportée sera logique mais inattendue pour le lecteur. Une règle reste assez suivie : le lecteur et le policier doivent avoir des chances égales de trouver la clé du mystère.
Des collections se créent : Le Masque, en 1927, qui accueille Agatha Christie, Steeman, Sax Rohmer, Valentin Williams, Léon Groc..., et l'Empreinte, en 1929, avec John Dickson Carr, qui ne dédaigne pas le fantastique, Crofts, Biggers, Ellery Queen...

Le criminel

En 1892, la France est touchée par une vague d'attentats anarchistes. Un an plus tard, Vaillant jette une bombe dans la salle des séances de la Chambre des députés. Des noms deviennent familiers au public : Ravachol, Bonnot et sa sinistre bande... Une nouvelle peur saisit les possédants. Dans Le Matin daté du 7 décembre 1909, Léon Sazie 1862-1939 crée Zigomar, l'un des premiers rois du crime de papier. Revêtu d'une cagoule rouge, il dirige en zozotant le gang des Z, za la vie, za la mort avec lequel il affronte l'inspecteur Paulin Broquet. Parfaite incarnation du mal, il précède le célèbre Fantômas 1911 que l'on présente ainsi :
Allongeant son ombre immense/
Sur le monde et sur Paris,
Quel est ce spectre aux yeux gris
Qui surgit dans le silence ?
Fantômas, serait-ce toi ?
Qui te dresses sur les toits ?
Qui est Fantômas ? Rien et tout, Personne mais cependant quelqu'un, Enfin, que fait-il ce quelqu'un ? Il fait peur.
Ainsi est présenté par ses auteurs, Pierre Souvestre 1874-1914 et Marcel Allain 1885-1969, celui qui se définit comme le maître de tout. Fantômas est le génie du mal. Et lorsqu'il disparaît en mer, dans La Fin de Fantômas en 1913, la France pousse un soupir de soulagement. Pas pour longtemps... Car, outre Sazie qui narre les exploits criminels de Zigomar jusqu'en 1924, Arthur Bernède 1871-1937 imagine Belphégor, le fantôme du Louvre, et Gaston Leroux crée Chéri-Bibi, le féroce bagnard marqué par le destin, Fatalitas ! , dit-il en toute occasion, descendant indirect du Rocambole de Ponson du Terrail.
Mais on découvre vite que, par son caractère individualiste, l'anarchiste ne met guère en péril la société. Du coup, il paraît même sympathique et l'intérêt des auteurs de roman policier va souvent se déplacer du justicier vers le criminel. Beau-frère de Conan Doyle, E. W. Hornung 1866-1921 ouvre la voie en lançant dans le Cassell's Magazine de juin 1898, l'anti-Holmes, le gentleman-cambrioleur A. J. Raffles, qui aura pour disciples le Loup solitaire de Louis J. Vance 1879-1933, Simon Templar dit le Saint, de Leslie Charteris 1907-1993, le Baron, un aventurier créé en 1937 par John Creasey 1908-1973.
Inspiré par l'anarchiste Marius Jacob qui ne tuait pas mais volait les riches pour le plus grand profit des organisations libertaires, voici que paraît en 1905, dans Je sais tout, le personnage d'Arsène Lupin, qui deviendra bientôt aussi populaire que d'Artagnan. L'éditeur Lafitte réussit à convaincre Maurice Leblanc 1864-1941 de donner une suite aux aventures de ce sympathique cambrioleur que frac et monocle transforment en homme du monde accompli sur les couvertures des fascicules dessinées par Léo Fontan. Le personnage de Lupin défie la société mais sans les démonstrations sanglantes de Fantômas ou le côté mal élevé des Pieds Nickelés. Il aura en conséquence de nombreux imitateurs : Edgar Pipe d'Arnould Galopin ; Samson Clairval de Francis Didelot ; le Pouce, l'Index et le Majeur de Jean Le Hallier ; et quelques décennies plus tard, en 1957, Terence Lane surnommé L'Ombre, d'Alain Page.
Ce n'est plus le chasseur mais le gibier qui va compter dans un type de roman criminel où l'énigme s'efface devant la traque et les efforts de l'assassin pour s'échapper. À cet égard, Francis Iles alias Anthony Berkeley Cox ouvre la voie avec Préméditation 1931, histoire d'un médecin assassin, et Complicité 1932 ou l'assassin vu par sa victime. Le procédé débouche sur le suspense où vont exceller des auteurs aussi différents que William Irish Lady Fantôme, 1942 ; La Sirène du Mississippi, 1947 ; J'ai épousé une ombre, 1948, Boileau et Narcejac, Celle qui n'était plus, 1952 ou Patricia Highsmith, L'Inconnu du Nord-Express, 1950.

Ni bons ni méchants

Le roman policier semblait figé dans un manichéisme fort simple entre bons policiers et méchants bandits lorsque Dashiell Hammett 1894-1961 puis, quelques années, plus tard Raymond Chandler 1894-1960 font éclater le genre en créant ce qu'on baptisera plus tard le roman noir ou encore hard-boiled. Après La Moisson rouge 1929 et Sang maudit 1929, deux enquêtes menées par le Continental Op dans un climat d'extrême violence, Le Faucon maltais 1930 a pour protagoniste le détective privé Sam Spade, un sauvage qui ne renonce pour rien au monde à appeler un chat un chat, selon la formule d'Ellery Queen. Ce roman confirme une rupture non seulement avec le style anglo-saxon classique remplacé ici par une écriture béhavioriste, mais aussi avec les règles morales du genre. Ancien détective privé à l'agence Pinkerton, Hammett se montre sans illusion sur l'individu, même s'il fut lié avec les milieux de la gauche américaine.
Chandler ira plus loin encore avec le personnage de Philip Marlowe Le Grand Sommeil, 1939. Le privé désabusé et cynique qui évolue aux confins de la légalité est, chez Chandler, un homme d'honneur qui mène son enquête dans un univers de policiers corrompus et de requins de la finance. Outre Le Grand Sommeil, le cycle Marlowe comprend Adieu ma jolie 1940, La Grande Fenêtre 1942, La Dame du lac 1943, Fais pas ta rosière 1949, The Long Good-Bye 1953 ; dont Sur un air de navaja constitue la première traduction amputée de cent pages, Charade pour écroulés Play Back, 1958 et Marlowe emménage 1989, ouvrage achevé par Robert B. Parker et dans lequel le détective se marie.
Dans divers écrits théoriques et dans ses lettres, Chandler s'est élevé contre le policier classique réservé « aux vieilles dames des deux sexes ou sans sexe du tout. Son monde est celui où personne ne peut marcher tranquillement le long d'une rue noire, parce que la loi et l'ordre sont des choses dont on parle mais qu'on ne met pas en pratique.
Le succès de Chandler et de Hammett a occulté l'œuvre de l'un des meilleurs connaisseurs de la pègre américaine : William Riley Burnett 1899-1982, auteur du Petit César 1929, récit de l'ascension et de la chute de César Bandello, caïd d'un gang italien de Chicago, puis de Quand la ville dort 1949, récit minutieux d'un hold-up et de ses conséquences. Il écrit scénarios et romans jusqu'à son dernier souffle et signe, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, son trente-cinquième et ultime ouvrage, l'excellent Good-Bye Chicago 1981. Cette école littéraire, au style sec, dépouillé, brutal, est plus ou moins appréciée en raison du réalisme qui imprègne ses œuvres. Chandler le redit : Les personnages, le cadre et l'atmosphère doivent être réalistes. Il doit s'agir de gens réels dans un monde réel... Et il ajoute : La solution du mystère doit échapper à un lecteur raisonnablement intelligent. L'énigme passe donc au second plan.
Finalement le roman noir va s'imposer avec quelques romanciers incontournables : James Cain Le facteur sonne toujours deux fois, 1934 ; Assurance sur la mort, 1936, Horace Mac Coy Un linceul n'a pas de poches, 1937, Johathan Latimer Quadrille à la morgue, 1936 ; Kenneth Millar débute sous son nom avant d’adopter le pseudonyme de Ross Macdonald et de créer une série vingt romans et quelques nouvelles consacrée au détective Lew Archer qui réside en Californie, à Santa Teresa. Celui-ci, incarné deux à fois au cinéma par le comédien Paul Newman, est, selon son créateur, un héros démocrate reflétant une image de l’Américain moyen, un personnage proche des films de Franck Capra. Il convient de noter aussi que Ross Macdonald est le premier à évoquer les crimes écologiques à propos de l’incendie d’une forêt L’Homme clandestin, 1971 et des dégâts provoqués par une nappe de mazout La Belle Endormie, 1973. Considérés comme de grands écrivains, ils donnent des lettres de noblesse au roman hard-boiled, mais il faut aussi des intermédiaires ceux-là sont britanniques sachant toucher un public populaire comme James Hadley Chase 1906-1985 avec Pas d'orchidées pour miss Blandish 1939 et avant lui Peter Cheyney 1896-1951, qui imagine l'agent du F.B.I. Lemmy Caution dans Cet homme est dangereux 1936. Ces deux faux Américains – Chase et Cheyney – vont devenir les best-sellers en France de la Série noire, collection fondée en 1945 par Marcel Duhamel, qui accueillera Jim Thompson, Ross MacDonald, David Goodis, Donald Westlake, Chester Himes, Ed McBain, Bill Pronzini...
N'oublions pas Mickey Spillane, dont la brutalité, le goût pour le sexe et la violence font sensation dans J'aurai ta peau 1949, où il impose le détective privé new-yorkais Mike Hammer, adepte de la vengeance et de la loi du talion, qui exécute les mauvais garçons en ajoutant ça économisera les frais de procès. Il suffit de comparer les romans de Spillane avec les affaires classées de Roy Vickers pour mesurer l'évolution que connaît alors le roman policier.

L'école française

Après la Seconde Guerre mondiale, le roman noir américain va influencer beaucoup de romanciers français et, plus tard, les générations des années 1970-1980. Mais les vrais pères du néo-polar sont sans aucun doute Léo Malet 1909-1996 et Frédéric Dard 1921-2000. Ancien surréaliste, Malet, en 1941, avait commencé à écrire, sous pseudonymes américains, des récits censés se dérouler aux États-Unis. Il innove deux ans plus tard avec 120, rue de la Gare 1943 et transpose l'univers du privé américain en France. Ce dernier prend l'apparence de Nestor Burma, un détective pittoresque et humain, qui va mener une foule d'enquêtes. À partir de 1954, Malet l'utilise dans une série ambitieuse, Les Nouveaux Mystères de Paris 1954-1958, dont chaque épisode se déroule dans un arrondissement de Paris. Si la saga ne fut jamais achevée (quinze arrondissements sur vingt furent visités, elle reste un étonnant témoignage sur le Paris des années 1950. Frédéric Dard commence en 1940 par publier des ouvrages sans rapport avec le genre policier, avant de signer, à partir de 1945, des romans noirs, durs et violents, en usant de divers pseudonymes. Mais c'est sous le nom de San Antonio qu'il va connaître le succès, grâce à sa série truculente consacrée au commissaire homonyme (Réglez-lui son compte, 1949 et à son acolyte, l'infâme Bérurier. S'ils ont marqué le genre, ces deux incontournables ne doivent pas occulter l'importance de l'œuvre de Jean Meckert 1910-1995 qui débute en 1942 à la N.R.F. avec Les Coups. À partir de 1950, sous le pseudonyme de John puis Jean Amila, il publie une série d'excellents romans noirs Ya pas de Bon Dieu ! ; La Lune d'Omaha ; Le Boucher des Hurlus... parfaite synthèse entre roman populiste français et roman noir américain. Si les préoccupations sociales d'Amila sont évidentes dans chacun de ses livres, il reste pour l'époque une exception. Aux quartiers populaires, la mode préfère l'exotisme de Pigalle et de ses gangsters parisiens. Albert Simonin 1905-1980, surnommé le Chateaubriand de la pègre, devient célèbre en recevant le prix des Deux Magots pour son chef-d'œuvre Touchez pas au grisbi 1953. Il récidive avec la trilogie du Hotu 1968, passionnante chronique sociale du milieu parisien des années 1920. Si cet autodidacte manie un argot coloré qui rend son style rare et inimitable, la plupart de ses épigones sont aujourd'hui oubliés, exception faite d'Auguste Le Breton Du rififi chez les hommes, 1953 ou de José Giovanni Le Deuxième Souffle, 1958.
Boileau et Narcejac théorisent sur le suspense, roman de la victime. Lorsqu'ils passent à la pratique, c'est le succès avec Celle qui n'était plus 1952 et D'entre les morts 1954, adaptés au cinéma par Henri-Georges Clouzot Les Diaboliques, 1955 et Alfred Hitchcock Vertigo, 1958. Ils explorent aussi la voie du pastiche Le Second Visage d'Arsène Lupin, 1975, comme Viard et Zacharias qui réécrivent Hamlet L'Embrumé, 1966. Une dizaine d'années plus tard, l'érudit René Réouven René Sussan imaginera de nouvelles enquêtes de Sherlock Holmes L'Assassin du boulevard, 1985. Cette verve parodique, lancée par Pierre Henri Cami avec Les Aventures de Loufock Holmes 1926, connaît de nombreux adeptes comme Jypé Carraud avec son détective Stanislas Perceneige Le Squelette cuit, 1950. Clarence Weff Alexandre Valletti dans Cent Briques et des tuiles 1964 imagine un gang qui dévalise un magasin en jetant la recette dans la hotte du père Noël. Jean-Pierre Ferrière fait enquêter deux vieilles filles, les sœurs Bodin, dans Cadavres en solde 1957. Fred Kassak Pierre Humblot passe du noir absolu (On n'enterre pas le dimanche, 1958 à la farce inspirée, avec Bonne Vie et meurtres 1969. Jusqu'à Georgius, le célèbre chanteur de café-concert, qui sous le pseudonyme de Jo Barnais propose une visite des grands lieux du music-hall parisien, devenus le théâtre d'une série de crimes Mort aux ténors, 1956. Dans ce domaine, la palme revient sans doute à Charles Exbrayat 1906-1989, sorte de touche-à-tout du polar, avec ses séries humoristiques consacrées à Romeo Tarchinini, commissaire à Vérone Chewing-gum et spaghettis, et à son amazone écossaise, la célèbre Imogène McCarthery Ne vous fâchez pas Imogène, 1959. Prolifique, Exbrayat excelle dans le polar chronique du terroir Le Clan Morembert, où s'illustrent Claude Courchay, Le Chemin de repentance, 1984 et Pierre Magnan, avec son commissaire Laviolette Le Sang des Atrides, 1978, et Pierre Pelot dont les personnages désemparés hantent la forêt vosgienne Le méchant qui danse, 1985 ; Natural Killer, 1985. Exbrayat sait aussi bâtir d'excellents suspens Vous souvenez-vous de Paco ?, 1958, un genre prisé par Jean-François Coatmeur, auteur de solides récits presque toujours ancrés dans la réalité sociale bretonne Nocturne pour mourir, 1959 ; Les Sirènes de minuit, 1976. Dans la même veine, Noël Calef publie en 1956 deux chefs-d'œuvre, Échec au porteur et Ascenseur pour l'échafaud, Michel Cousin, La Puce à l'oreille 1963, et Sébastien Japrisot, Piège pour Cendrillon 1962. Georges-Jean Arnaud et Michel Lebrun 1930-1996 ne se rattachent à aucun courant, sinon celui de la littérature populaire. Arnaud est prolifique. Avant l'émergence du roman noir social français, son œuvre adopte une tonalité contestataire. Il met souvent en scène de simples citoyens en butte à la violence et aux manipulations des divers pouvoirs qui mènent le monde. Michel Lebrun Le Géant, 1979, qui a abordé tous les styles, a été surnommé le pape du polar. Autodidacte érudit et théoricien, il a consacré beaucoup de son temps à réhabiliter le genre policier, souvent considéré comme mineur et méprisable.

Le roman noir français

Dès 1966, Francis Ryck Yves Delville, 1920-2007 apporte un ton inédit en créant dans ses ouvrages de type espionnage un personnage nouveau, marginal et contestataire, en proie au doute et à l'utopie Opération millibar. Cinq ans plus tard, Jean-Patrick Manchette 1942-1995 publie L'Affaire N'Gustro inspiré par l'enlèvement à Paris du leader de l'opposition marocaine Mehdi Ben Barka et surtout Nada 1972, une réflexion sur le terrorisme gauchiste. Puis avec Morgue pleine 1973 et Que d'os 1976, il met en scène un privé à la française, Eugène Tarpon, qui jette sur notre société un regard désabusé. Théoricien et esthète intransigeant, styliste exigeant il met au-dessus de tout la qualité de l'écriture, Manchette, en renouvelant la tradition béhavioriste américaine, donne un souffle novateur au genre tout entier. Son opus ultime, La Princesse de sang 1996, resté inachevé, est publié après sa mort, complété par son fils Doug Headline, qui signe aussi le scénario d’une bande dessinée homonyme avec le dessinateur Max Cabannes. Durant la même période, A.D.G. 1947-2004 décrit avec verve le Berry profond, La Nuit des grands chiens malades, 1972 et Jean Vautrin, le mal de vivre des banlieues-dortoirs durant une période électorale À bulletins rouges, 1973, la tyrannie d’un despote mexicain Le Roi des ordures, 1997 et la vengeance d’un affairiste, révolté d’avoir servi de bouc émissaire L’homme qui assassinait sa vie, 2001. Emmanuel Errer met en scène d'anciens mercenaires manipulés Descente en torche, 1974. Alain Demouzon explore la vie dans les lotissements modernes Bungalow, 1981, et Joseph Bialot 1923-2012 raconte un racket dans le quartier parisien de la confection Le Salon du prêt-à-saigner, 1978. Pierre Siniac 1928-2002, qui débute en 1960, publie quelques ouvrages subversifs comme Les Morfalous 1968, charge virulente contre l'armée, avant de créer Luj Inferman et La Cloducque, deux traîne-savates qui manifestent à l'égard de la société une amère lucidité.
Ce bouillonnement ne masque cependant pas une grave crise du lectorat qui se prolonge jusqu'au début des années 1980. Après un calme passager, de nouvelles collections Engrenage, Sanguine, Red Label accueillent de jeunes auteurs. Le souci de ces derniers est d'écrire des polars qui prennent en compte la réalité quotidienne française. Si ce procédé systématique a pu rimer avec médiocrité, le temps faisant son œuvre a retenu les meilleurs. L'un des premiers à se singulariser est Didier Daeninckx né en 1949, qui fait resurgir des épisodes occultés de l'histoire. Son Meurtres pour mémoire 1984 évoque le massacre d'Algériens à Paris durant la manifestation du 17 octobre 1961. Thierry Jonquet, adepte du fait-divers, tisse des récits de noires vengeances. Son cauchemardesque Mygale 1984 est inspiré d'une émission sur les transsexuels. Pour peindre des personnages souvent décalés, Michel Quint choisit le Nord Hôtel des deux roses, 1986 et Marc Villard le quartier de Barbès Rebelles de la nuit, 1987. Patrick Raynal éclaire les zones d'ombre de Nice Fenêtre sur femmes, 1988 ; Né de fils inconnu, 1995 et Jean-Paul Demure les turpitudes d'Aix-en-Provence Aix abrupto, 1987. Hervé Jaouen nous fait visiter les arcanes d'une banque bretonne en butte à des syndicalistes Le Crime du syndicat, 1984, alors que Jean-François Vilar se promène dans Paris, attentif à chaque trace et aux trahisons du temps qui passe Bastille tango, 1986. Gérard Delteil débute avec un thriller politique Solidarmoche, 1984. Jean-Bernard Pouy, dans un récit plein de fantaisie, évoque Rimbaud et Jeanne d'Arc Nous avons brûlé une sainte, 1984. Hugues Pagan, commissaire de son état, met en scène des policiers désabusés La Mort dans une voiture solitaire, 1982. Daniel Pennac inverse les stéréotypes en dotant son héros d'une famille nombreuse et d'un métier insolite, bouc émissaire professionnel la tétralogie Malaussène, 1985-1995.
Ce renouveau va se traduire par la création, en 1986, de la collection Rivages/Noir, dirigée par François Guérif. Celui-ci manifeste une exigence exemplaire en privilégiant les traductions intégrales et non plus tronquées, en valorisant les auteurs, la diversité d'inspiration et les qualités stylistiques. Le respect de ces principes et l'engouement du public pour cette collection conduisent à une modification du paysage éditorial, incitant d'autres collections, comme Le Masque ou La Série noire, à se renouveler. Cela fait bien l'affaire d'une nouvelle vague de romanciers parmi lesquels : Tonino Benacquista La Commedia des ratés, 1991, Jean-Hugues Oppel Ambernave, 1995, Daniel Picouly Les Larmes du chef, 1994, Pascal Dessaint, La vie n'est pas une punition, Jean-Jacques Reboux Le Massacre des innocents, Olivier Thiébaut L'Enfant de cœur, Michel Chevron Fille de sang et surtout Jean-Claude Izzo dont la trilogie consacrée à Fabien Montale, plébiscitée par le public, est une passionnante chronique de la ville de Marseille Total Kheops, 1995 ; Chourmo, 1996 ; Solea, 1998.
Le même phénomène est perceptible chez les auteurs féminins. Entre 1992 et 1997, plus d'une quarantaine d'entre elles publient au moins un roman. Les plus connues, souvent primées, choisissent le roman noir comme Stéphanie Benson Les Compagnons du loup, Nadine Monfils Une petite douceur meurtrière, Maud Tabachnik Le Festin de l'araignée, Sylvie Granotier Dodo, Pascale Fonteneau Otto, Dominique Manotti Sombre sentier, Claude Amoz Bois brûlé, Dominique Sylvain Vox, Chantal Pelletier, Le Chant du bouc, Laurence Biberfeld Le Chien de Solférino. Si Virginie Brac flirte avec le fantastique Cœur caillou pour évoquer certaines laideurs de ce monde, d'autres excellent dans le thriller comme Andrea Japp Le Sacrifice du papillon et Brigitte Aubert La Mort des bois, ou dans le polar historique comme Anne de Leseleuc, Claude Izner, Viviane Moore, Arlette Lebigre, Béatrice Nicodème, les sœurs Tran-Nhut ou Dominique Muller, à l'instar de quelques spécialistes masculins comme Jean Contrucci et ses mystères de Marseille, Marc Pailler, Jean-François Parot, Frédéric Fajardie et ses héros aux foulards rouges, Armand Cabasson et son épopée napoléonienne, Hervé Le Corre et la Commune de Paris L'Homme aux lèvres de saphir, 2004, thématique qui inspire à Vautrin Le Cri du peuple 1999, une fresque historique adaptée par Jacques Tardi en bandes dessinées, ou encore Patrick Boman avec son truculent Peabody, inspecteur de police quand l'Inde était encore colonie britannique. Un peu en marge de ces genres déterminés, Fred Vargas Debout les morts, 1995 ; Pars vite et reviens tard, 2001 apparaît comme un phénomène littéraire étonnant. Traduite dans plus de trente-cinq pays, récompensée par de nombreux prix non seulement en France, mais aussi en Allemagne et au Royaume-Uni, Vargas a bâti livre après livre un univers singulier au sein duquel son protagoniste, le commissaire Adamsberg, sorte de personnage lunaire, ne ressemble à aucun autre enquêteur. Le point de départ de chaque récit est insolite, voire déconcertant, tandis que l'écriture, où les aphorismes le disputent aux digressions et aux métaphores, est singulièrement jubilatoire.
Parmi les auteurs masculins, Paul Halter reste fidèle à l'énigme classique et aux problèmes de chambres closes La Lettre qui tue, tandis que Serge Brussolo se spécialise dans le thriller angoissant (Les Enfants du crépuscule. Et comme rien n'est jamais figé, certains lorgnent vers d'autres horizons, plus futuristes. Maurice Dantec cherche à savoir ce que sera le Mal au XXIe siècle Les Racines du mal, 1995, tandis que Paul Borelli raconte une enquête policière en 2021 dans un Marseille en pleine déglingue L'Ombre du chat. Sans doute faut-il voir là une piste nouvelle marquant l'influence de Philip K. Dick chez certains de nos écrivains. Mais force est de constater que cette voie amorcée depuis plus de dix ans n'a jamais été explorée depuis lors. Toutefois, plusieurs auteurs de science-fiction, et non des moindres, sont venus épisodiquement au polar. Yal Ayerdhal Transparences, 2004, Pierre Bordage Porteurs d’âmes, 2007, Roland Wagner avec sa série « Les Futurs Mystères de Paris 1998-2006.
En octobre 1995, Jean-Bernard Pouy et les éditions Baleine créent l'événement en imaginant le Poulpe. Ce personnage insolite est un jeune libertaire qui enquête sur des faits-divers. Chacune de ses aventures est confiée à un auteur différent, chevronné ou débutant. La série obtient à ses débuts un vrai succès public, mais l'absence de sélection dans les titres proposés provoque une désaffection des lecteurs. Si bien que, au bout de huit ans 1995-2003, la collection s'arrête avec 157 titres à son catalogue. Elle reprendra l’année suivante, puis, de façon décisive, en 2009 sous la houlette de Stefanie Delestré.
Le succès public du livre de Jean-Christophe Grangé, Les Rivières pourpres 1998, a contribué à l'émergence de jeunes auteurs de thrillers à la française. Parmi ces jeunes pousses dont les ventes ne laissent de surprendre, on peut citer : Maxime Chattam, Franck Thilliez, Éric Hossan, D.O.A, Philip Le Roy, Mikael Ollivier, Thierry Vieille, Caryl Férey dont le roman Zulu, qui témoigne sur les réalités sociales en Afrique du Sud, a été adapté au cinéma en 2013 avec Forest Whitaker et Orlando Bloom dans les rôles principaux.
Durant les dernières décennies, thriller et roman historique ont gagné d’autres adeptes : Jean-Luc Bizien et sa série avec l’aliéniste Simon Bloomberg pour protagoniste La Chambre mortuaire ; Fabrice Bourland rendant hommage à Edgard Poe La Dernière Enquête du chevalier Dupin ; Alexis Aubenque visitant une petite ville américaine en proie à une série de crimes Canyon Creek ; Jérôme Bucy mêlant écologie, piratage informatique et chauves-souris pour élucider des meurtres commis à Berlin-Est durant la guerre froide La Colonie des ténèbres ; Michel Bussi racontant l’affrontement entre deux familles qui se disputent un bébé de trois mois, unique rescapé d’un crash d’avion (Un avion sans elle. Mentionnons également Éric Cherrière mettant en scène une enfant torturée par un tueur, Mademoiselle Chance ; Sire Cédric innovant dans la veine fantastique lors des enquêtes d’Eva Svärta, policière albinos Le Premier Sang ; Nadine Monfils contant, humour belge en plus, les tribulations de mémé Cornemuse ; ou encore Gilles Bornais, Karin Giebel, Bernard Minier, ce dernier, déjà primé à diverses reprises, est traduit dans plusieurs pays d’Europe ainsi qu’aux Etats-Unis.
Toutefois, les tenants du roman noir restent appréciés d’un large public, pour les thèmes abordés mais également pour leurs qualités stylistiques. En première ligne, Marcus Malte Garden of love, Marin Ledun Les Visages écrasés, Jérémie Guez, Balancé dans les cordes, Olivier Truc, Le Dernier Lapon, Sylvain Forge, Le Vallon des Parques et Jean-Paul Jody La Position du missionnaire incarnent la continuité du genre avec d’autres auteurs, comme Romain Slocombe, Xavier-Marie Bonnot, Patrick Bard, André Fortin, Maurice Gouiran, Éric Halphen, Jacques-Olivier Bosco, Hugo Buan, Jean-Marie Dumarquez, Benoît Séverac, Paul Colize Belgique ou Gérard Streiff. Là encore, les femmes ne sont pas en reste : Ingrid Astier, Françoise Guérin, Elsa Marpeau, Elena Piacentini, Anne Rambach, Elisa Vix, Sophie Loubière, Anne Secret. Avec ces auteurs et des dizaines d’autres non cités, la source n’est pas prête de se tarir, d’autant que l’arrivée du numérique rend bien plus facile l’édition de textes.

L'évolution du genre aux États-Unis

La vague du récit hard-boiled domine encore durant les années 1950 avec une foule d'histoires de détective privé. Mais après guerre, face à la progression importante de la délinquance et de la criminalité, la police apparaît pour la majorité des citoyens comme la seule protection efficace dans la jungle urbaine. Cet état d'esprit favorise la naissance du police procedural procédure policière récit qui décrit de façon minutieuse et réaliste le travail quotidien d'une équipe d'enquêteurs professionnels. Parmi les spécialistes de ce genre, on trouve Lawrence Treat V comme victime, 1947, Hillary Waugh On recherche, 1952, William McGivern Coup de torchon, 1953, et surtout Ed McBain Du balai, 1956 qui publiera plus d'une cinquantaine de récits avec ses inspecteurs du 87, un commissariat new-yorkais. À partir de 1970, le détective privé refait surface. Comme dans les années 1920-1930, certains romanciers vont l'utiliser pour ausculter une société en proie au doute, traumatisée par le drame vietnamien et le gangstérisme politique. Parmi les plus convaincants : Bill Pronzini The Nameless, Roger Simon Moses Wine, Arthur Lyons Jacob Asch, Michael Collins Dan Fortune, Lawrence Block Matt Scudder, Robert Parker Spenser, Loren Estleman Amos Walker, et surtout James Crumley Milodragovitch. Les policiers dépeints par Joseph Wambaugh Patrouilles de nuit préfigurent ceux que James Ellroy mettra en scène quinze ans plus tard. Vers la même époque, Mary Higgins Clark renouvelle le suspense psychologique La Nuit du renard, suivie de quelques femmes de talent : Judith Kelman, Patricia MacDonald, Darian North, Jeannine Kadow et l’ancien médecin Tess Gerritsen L’Embaumeur.
Les années 1980-1990 sont marquées par l'émergence de romans d'une extrême violence. Thomas Harris Le Silence des agneaux, 1988, John Sandford La Proie de l'ombre, 1990, Patricia Cornwell Une mort sans nom, 1995 s'illustrent notamment sur le thème du tueur en série, qui devient un personnage récurrent de la fiction policière. Mais la révélation reste James Ellroy qui, après quelques ouvrages atypiques, laisse éclater son originalité stylistique et compose des reconstitutions historiques au souffle puissant, comme sa tétralogie sur le Los Angeles des années 1950 Le Dahlia noir, 1987 ou sa démythification des États-Unis des années 1958 à 1972 dans une trilogie historique où la politique est intimement liée au monde du crime. Le premier volume abonde en révélations surprenantes sur le clan Kennedy American Tabloid, 1955, tandis que le second American Death Trip, 2001, qui débute par l'assassinat du président, se poursuit au Vietnam où les boys s'enlisent dans une guerre inutile. Mais ce romancier d'exception ne doit pas cacher une foule de nouveaux venus qui se distinguent aussi par leur écriture et les thèmes qui les inspirent. Nick Tosches met en scène la lutte apocalyptique entre les triades asiatiques et la mafia Trinités, 1994 Elmore Leonard use de l'humour pour explorer le crime en Floride Punch Creole, 1992. Thomas Kelly rend compte sous l’ère Reagan de la collusion entre les mondes de l’entreprise, de la politique et du crime organisé Le Ventre de New York, 1997. Carl Hiaasen dénonce la destruction des côtes par les promoteurs Miami Park, 1991. Il invente le polar écologique, et Barry Gifford le road novel, Sailor et Lula, 1990, tandis que James Lee Burke traque le mal dans les bayous de Louisiane Prisonniers du ciel, 1992 et Joseph Kanon n’en fini pas de conter les méfaits de la chasse aux sorcières L’Ultime Trahison, 1998 ; L’Ami allemand, 2001.
Au cours des deux dernières décennies, d'autres romanciers à l'univers singulier, souvent empreint d'humour et de dérision, se sont révélés à un lectorat français toujours plus important au fil des années. Parmi les plus talentueux, citons Michael Connelly, Harry Crews, Kent Harrington, Daniel Woodrell, Robert Crais, George Pelecanos, Dennis Lehane Mystic River, James Grady Les Six Jours du condor, sans oublier Richard Price Ville noire, ville blanche que ses pairs classent en tête des dialoguistes de talent. Les révélations américaines récentes ont pour nom : Thomas H. Cook, dont le thème de prédilection reste les secrets de famille Au lieu-dit noir étang ; Don Winslow qui démasque les trafiquants de drogue La Griffe du chien ; Craig MacDonald dont le séduisant détective Hector Lassiter rencontre enfin Ernest Hemingway, son idole La phrase qui tue ; Craig Johnson, auteur d’une série consacré au shérif Walt Longmire, très marqué, brisé même par la vie Little Bird, 2009 ; et surtout la jeune Megan Abbott, docteur en littérature et dont les premiers romans ont été primés Red Room Lounge et Adieu Gloria.
Chez les vétérans figurait Robert Ludlum, conteur hors pair et spécialiste du thriller apocalyptique. Sa disparition en 2001 n'a pas empêché ses éditeurs de proposer régulièrement un nouvel ouvrage signé de lui et achevé, voir totalement écrit par un autre auteur. Le thriller se décline en diverses catégories qui constituent autant de sous-genres : techno-thriller Tom Clancy, médical Robin Cook, Michael Palmer, judiciaire John Grisham, John Lescroart, Philip Margolin, Lisa Scotteline, Scott Turow..., financier Stephen Frey, Gini Hartzman. Restent pas mal d'inclassables, comme Jerome Charyn et son commissaire juif new-yorkais atteint du ver solitaire Marilyn la dingue, 1976, Donald Goines, ancien dealer qui écrivit en prison d'âpres récits sur les drogués, Marc Behm qui met en scène une envoyée du diable en quête d'âmes perdues Crabe, et Donald Westlake 1933-2008, dont la loufoquerie dissimule une vision pessimiste des États-Unis. Chaque année voit ainsi naître de nouveaux talents qui traduisent la vigueur d'un genre qui peut aussi englober le récit de terreur, avec Dean Koontz Les Larmes du dragon, le suspense avec Harlan Coben Ne le dis à personne, ou encore et surtout Stephen King, best-seller absolu Jessie et 22-11-63.
Mais le phénomène le plus sensible reste l'émergence d'une nouvelle vague de romancières qui ont investi le roman noir. Dorothy Uhnak, la première, avait tracé la voie dès 1968 avec sa policière Christie Opara La Main à l'appât. Une dizaine d'années plus tard, cette exception devient la règle. Sue Grafton publie une série avec Kinsey Millhone, une privée de choc A comme alibi, tout comme Karen Kijewsky Quitter Kat, Linda Barnes Coyotte, Sara Paretsky et bien d'autres. Nevada Barr raconte la vie quotidienne d'Anna Pigeon, comme elle femme ranger, et Sandra Scoppettone se fait le chantre de l'homosexualité féminine Je te quitterai toujours. De manière plus classique, mais tout aussi insidieuse, Martha Grimes Le Mystère de Tarn House et Elizabeth George Un goût de cendres choisissent le cadre de l'Angleterre contemporaine pour tisser de sombres drames.

Lire la suite -> http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=7161#forumpost7161


#258 Emile Gaboriau 2
Loriane Posté le : 09/11/2014 01:39
Le roman policier britannique

L'origine du genre au Royaume-Uni reste en débat ; les uns citent Les Aventures de Caleb Williams 1794 de William Godwin, d'autres les Penny Dreadful sortes de Dime Novel à l'anglaise. Plus plausibles, les récits d'aventure de Wilkie Collins, petits chefs-d'œuvre de suspense La Dames en blanc, 1860 ; La Pierre de Lune, 1868 dans lequel apparaît le sergent Cuff, un policier de Scotland Yard, marquent les premiers pas du roman policier britannique. N'oublions pas l’œuvre imposante de Mary Elizabeth Braddon, auteur de plus de quatre-vingts romans et de deux cents nouvelles. Pionnière du récit criminel à la mode victorienne, elle est la première femme à avoir choisi un détective comme protagoniste, un certain Peters, sourd et muet, expert en déduction La Trace du serpent, 1860. On considère Le Secret de Lady Audley 1862 comme un de ses meilleurs titres. Parmi les curiosités de cette époque, retenons Le Grand Mystère du Bow 1892, excellente histoire de chambre close imaginée par Israel Zangwill, qui décrit les réalités sociales d'un quartier populaire de Londres. Une autre zone de cette ville, Saint John's Wood, est le point de départ de La Mémorable et Tragique Aventure de Mr Irwin Moyneux de J. Storer Clouston. Publié en France en 1911, ce chef-d’œuvre d’humour noir fut adapté en 1937 par Jacques Prévert pour Marcel Carné sous le titre Drôle de drame. Clôturons avec Voie sans issue, également titré L'Abîme, un excellent récit à quatre mains de Wilkie Collins et Charles Dickens. Ce dernier s'est
aussi distingué dans ce genre naissant avec Oliver Twist 1838 et son clan de criminels commandé par l'ignoble Fagin, Barnabé Rudge 1840 qui tourne autour de deux meurtres. Mentionnons également Bleak House 1853 avec l'inspecteur Buckett de Scotland Yard et Le Mystère d'Edwin Drood 1870, son dernier livre resté inachevé. Depuis de nombreuses années, on ne compte plus le nombre d'écrivains qui ont imaginé une fin possible pour ce roman.
Marqué à ses débuts par la detective fiction chère à l'école anglaise classique, le genre a évolué. La succession d'Agatha Christie, de Patricia Wenthworth et de Dorothy Sayers a été assurée par Phyllis Dorothy James, Péché originel, 1994. Son héros, Adam Dalgliesh, est un classique inspecteur de Scotland Yard, de surcroît poète. Sa modernité tient à la densité des personnages et au réalisme avec lequel elle met en scène la vie et ses passions destructrices. Ruth Rendell obéit elle aussi à des procèdures policières classiques sa série consacrée à l'inspecteur Reginald Wexford, mais elle reste imbattable dans le suspense psychologique L'Analphabète, 1977, à l'instar d'une Patricia Highsmith aux États-Unis. Ces deux championnes du best-seller ne sont pas seules à explorer les atmosphères vénéneuses de la campagne ou de la ville. L'école britannique est riche de Margaret Yorke, Frances Fyfield, Liza Cody, Sarah Dunant, June Thompson... Val McDermid Arrêts de jeu se démarque de ses consœurs avec son héroïne Kate Brannigan, détective privée à Manchester, et vire franchement au roman noir avec La Dernière Tentation 2002 et Quatre Garçons dans la nuit 2003, tout comme Lynda la Plante Coup de froid, Martina Cole, Une femme dangereuse et Minette Walters, qui utilise les ingrédients du roman d'énigme pour mieux le pervertir, en étudiant les relations des familles dépositaires de terribles secrets. Parmi les révélations féminines, Mo Hayder se fait remarquer dès son premier roman, Birdman 1999, dans lequel l'inspecteur Jack Caffery est confronté à un tueur en série qui enferme un oiseau vivant dans la cage thoracique de ses victimes. Son troisième opus, Tokyo 2004, tourne autour des massacres commis en 1937 par les Japonais dans la ville chinoise de Nankin.
Les romanciers britanniques sont plusieurs à avoir créé des séries de romans de procédure policière police procedural : Colin Dexter l'inspecteur Morse, Reginald Hill le superintendant Dalziel, Mark Billingham avec son inspecteur londonien Tom Thorpe, trapu, opiniâtre et fan de musique country une dizaine d’enquêtes entre Dernier Battement de cil, 2001 et 2013. Concluons cette liste avec un des plus passionnants, John Harvey l'inspecteur Resnick, qui a choisi comme cadre Nottingham, une ville en plein désarroi car elle serait le reflet de la situation de crise et de violence qui sévit dans le pays. Michael Dibdin 1947-2007 préfère des intrigues subtiles que résout en Italie son policier favori Aurelio Zen. D'autres auteurs sont apparus ces dernières années : Peter James aux scénarios tirés au cordeau ; Andrew Taylor, auteur de Requiem pour un ange, une trilogie unique car l'histoire est racontée en remontant le temps ; Stephen Booth, lui aussi auteur d'une trilogie de Peak District Black Dog, 2001 ; Peak Park, 2002 ; L'Aigle sanglant, 2004, où on découvre Ben Cooper, un policier attachant ; ou encore Jacqueline Winspear qui vit aux États-Unis dont l'héroïne, une femme de chambre à l'époque des suffragettes, devient détective. Les révélations britanniques de ces dernières années restent toutefois Tom Rob Smith et Roger Jon Ellory. Le premier a signé deux romans : Enfant 44 et Kolyma 2009 qui se déroulent durant les années 1950, dans une Union soviétique que la mort de Staline plonge dans le chaos. Son troisième roman, Agent 6 2011, explore les mêmes thèmes une dizaine d’années plus tard. Le second a séduit les lecteurs français avec une trilogie consacrée à la mafia, à la C.I.A. et à la police new-yorkaise, il publie Mauvaise Étoile 2011, un roman noir poignant situé au Texas en 1964. Une curiosité : J. K. Rowling, créatrice de la série Harry Potter achevée en 2007, a publié Une place à prendre 2012, ou comment une élection municipale fait basculer un village paisible dans la violence. Son deuxième polar, The Cuckoo's calling 2013, est paru sous le pseudonyme de Robert Galbraith.
En Écosse, Ian Rankin fait évoluer son inspecteur John Rebus dans la ville d'Edimbourg, tandis que Jack Laidlaw, créé par William McIlvaney, arpente les rues de Glasgow. Parmi les romanciers écossais, Philip Kerr fait ses gammes avec La Trilogie berlinoise 1989-1991, qui se déroule de l'avènement du nazisme à l'après-guerre. Devant le succès de ces récits historiques, Kerr a poursuivi quelques années après la saga de son détective Bernie Gunther, La Mort entre autres, 2006 ; Une douce flamme, 2008 ; Hôtel Adlon, 2009 ; Vert de gris, 2010 ; Prague fatale, 2011. On lui doit également une enquête menée à Saint-Pétersbourg sur un trafic d'éléments radioactifs Chambres froides, 1994 et trois récits de science-fiction policière : Une enquête philosophique 1993, où officie un tueur de tueurs en série ; La Tour d'Abraham 1995, où un ordinateur géant, destiné à régir la vie des gens en permanence, se dédouble et agresse les humains ; Le Sang des hommes 1998 imagine qu'en 2060 on peut déposer son sang à la banque s'il n'est pas contaminé. Il remplace l'étalon-or. Avec Les Chiffres de l'alchimiste 2002, Kerr est revenu au roman historique et met en scène Isaac Newton. L'école écossaise compte aussi Christopher Brookmyre qui débute avec Un matin de chien 1996, un roman noir dans lequel le journaliste Jack Parlabane se livre à une implacable autopsie de la réforme du système de santé imposée par le parti conservateur. Les politiciens sont aussi la cible de Iain Banks dans Un homme de glace 1993, tandis que John McLaren, dans Taxis noirs 1999, met en scène yuppies et dirigeants arrogants et machistes qui, pour accroître leur pouvoir et leurs revenus financiers, ne respectent aucune règle morale. Peter May, désormais installé en France, dans le Lot, déroule une partie de ses intrigues en Chine. Campbell Armstong 1944-2013 raconte les enquêtes de Lou Perlman, policier juif de Glasgow toujours en délicatesse avec sa hiérarchie. De son côté, Denise Mina, ex-enseignante en droit pénal à l’université de Glasgow, a publié une dizaine de romans, des nouvelles, des pièces pour le théâtre, d’autres pour la radio. Ses deux héroïnes sont la journaliste Patricia Paddy Mehan Le Champ du sang, 2005 ; La Mauvaise Heure, 2006 et l’inspectrice, puis commissaire Alex Morrow Le Silence de minuit, 2009 ; La Fin de la saison des guêpes, 2011.
En Irlande, Colin Bateman Divorce, Jack ! confronte le journaliste Starkey à des membres de l'I.R.A. qui ont sombré dans le banditisme. On retrouve par la suite Starkey dans les milieux de la boxe new-yorkaise L'Autruche de Manhattan. Daniel Easterman a choisi le thriller pour dénoncer les divers terrorismes qui ensanglantent le Moyen-Orient Le Jugement final et menacent la paix du monde Le Septième Sanctuaire. Actrice à ses débuts, elle incarna Vicky, l'héroïne de la série Doctor Who, 1964-1965, dramaturge, Maureen O'Brien crée une série avec l'inspecteur John Bright, petit homme chafouin qui, lors de sa première apparition Les fleurs sont faciles à tuer, 1987, enquête sur l'assassinat d'une star de la télévision. Déjà remarqué pour son roman Le Trépasseur, Eoin McNamee raconte les coulisses de l'accident qui, le 31 août 1997, coûta la vie à la princesse Diana 00 :23, pont de l'Alma, 2007.
Toutefois, les deux révélations irlandaises de ce début du XXIe siècle ont pour noms Ken Bruen et Sam Millar. Il semble évident que leur passé et les épreuves subies ont inspiré une partie de leurs œuvres respectives. En 1979, Ken Bruen, interpellé par erreur lors d'une rixe dans un bar de Rio, passera quatre mois dans une geôle brésilienne où il sera torturé. Son œuvre se compose de deux séries: la première, qui rend hommage à Ed McBain, est consacrée à "R&B" Roberts et Brant, tous deux policiers dans un quartier difficile de Londres; la seconde se déroule en majeure partie à Galway, ville natale de l'auteur, et met en scène Jack Taylor, un ancien flic devenu privé, personnage complexe, habité par un fort sentiment d'autodestruction Delirium tremens, 2001 ; Le Martyr des Magdalènes, 2003 ; Toxic blues, 2005.
Né à Belfast en 1958, Sam Millar rejoint l'I.R.A. à l'âge de quatorze ans. Emprisonné deux ans plus tard à Long Kesh, il y passe huit ans durant lesquels il subit brutalités et tortures. Réfugié aux États-Unis, il dévalise avec un complice un dépôt de la Brink's avec des armes en plastique et un véhicule défaillant. Leur butin dépasse 7 millions de dollars. Après avoir tenté de le donner à un prêtre qui secourt les pauvres, Millar est arrêté et de nouveau emprisonné. À sa libération, écrire s'assimile pour lui à une rédemption. Lauréat de plusieurs prix, il a publié une dizaine de titres dont Redemption Factory 2005, Poussière tu seras 2006 et On the Brinks 2009.
Originaire de Dublin, John Connolly connaît le succès avec son premier roman Tout ce qui meurt 1999, premier volet de la saga de Charlie Parker, un policier new-yorkais qui retrouve sa femme et sa fille assassinées. Il démissionne pour traquer le tueur, un psychopathe surnommé le voyageur. Parmi d'autres ouvrages de qualité, citons : Comment tuer un homme 2011, dans lequel Cari Gébler raconte comment en 1854 la famine a décimé l'Irlande ; Déjanté, premier polar de Hugo Hamilton prix Fémina 2004 avec Sang impur ; El Sid 2006 de Chris Haslam, comédie burlesque où un vétéran des Brigades intemationales repart en Espagne à la recherche d'un trésor de guerre ; Les Fantômes de Belfast de Stuart Neuville dont le protagoniste Gerry Fegan noie dans l'alcool son mal de vivre lorsque la paix est enfin revenue à Belfast, il est hanté par les victimes des attentats qu'il a commis ; Les Disparus de Dublin de Benjamin Black, pseudonyme avec lequel l'écrivain John Banville, fait une entrée remarquée dans le polar, est basé sur une enquête qui met en cause l'Église ; enfin, le journaliste Gene Kerrigan, dans À la petite semaine 2005, donne une image inattendue de l'Irlande d'aujourd'hui.
Moins doté que l'Écosse, le pays de Galles compte cependant deux romanciers talentueux. Le plus ancien, Bill James signe une série consacrée à un groupe de policiers tiraillés entre leur vie privée et les exigences de leur métier. Avec le recueil Cinq Pubs, deux bars et une boîte de nuit 1997, John Williams entame une trilogie noire consacrée à Cardiff, sa ville natale. À noter que l’écrivain Roald Dahl, natif du Pays de Galles, est l’auteur de nouvelles qui ont été adaptées par Alfred Hitchcock pour le petit écran, la plus célèbre restant Le Coup de gigot 1953.
En Angleterre aussi, le roman noir fait sa percée. Avec Ted Lewis 1940-1982 d'abord, un habitué de Soho et des bas-fonds dont les romans fournissent un panorama réaliste de la pègre londonienne des années 1960 Jack Carter, 1990. Robin Cook 1931-1994, qui a mené une vie d'aventurier avant de se fixer dans un village de l'Aveyron, prend le relais. Sa série, avec son enquêteur anonyme, d'une noirceur peu commune, est une réussite exemplaire dans l'exploration de la conscience des psychopathes, J'étais Dora Suarez, 1990. Son premier opus, Crème anglaise 1962, mettait en scène des mimiles de la haute société fraternisant avec la pègre de la capitale. Cette description du milieu londonien est vivace chez Anthony Frewin, London Blues, 1997, l'ancien assistant de Stanley Kubrick et plus encore dans la remarquable trilogie de Jake Arnott publiée de 1999 à 2003. Depuis la disparition de Lewis et de Cook, d'autres talents se sont manifestés : Nicholas Blincoe Acid Queen, Simon Kernick Mort mode d'emploi, Jonathan Triggell Jeux d'enfants, Charlie Williams Les Allongés, Colin Cotterill Le Déjeuner du coroner. Là encore, révélation de deux auteurs majeurs : le premier, Graham Hurley Les Anges brisés de Somerstown, 2002, créateur de l'inspecteur Joe Faraday de la police de Portsmouth dont les enquêtes captivantes sont pleines d'humanité. Le second, David Peace, qui vit et enseigne au Japon. Il est l'auteur de la tétralogie Red Riding Quartet, un grand cycle consacré à son Yorshire natal dont les quatre volumes ont pour titres : 1974, 1977, 1980, 1983. En nourrissant son récit de faits-divers réels, le romancier dresse un portrait décapant de l'Angleterre sur une décennie, avec une référence à la série de crimes commis par l'éventreur du Yorkshire, affaire qui bouleversa son enfance.

Ethnographie et histoire

Arthur Upfield, fasciné par le bush australien et la culture aborigène, a inventé l'inspecteur métis Napoléon Bonaparte La Branche coupée et suscité un émule, l'Américain Tony Hillerman, qui nous fait découvrir dans ses romans la civilisation des Indiens Navajo(Le Voleur de temps.
Le roman policier historique est sans doute né avec Robert Van Gulik, créateur au début des années 1960 d'une série consacrée au juge Ti, un magistrat qui vivait en Chine vers 650. L'Anglaise Ellis Peters a pris le relais avec Cadfael, un moine bénédictin, enquêteur en 1140. Depuis lors, le genre a fait florès. Anton Gill met en scène un scribe égyptien à l'époque de Toutankhamon, Candace Robb un archer du XIIIe siècle, Peter Lovesey fait renaître Édouard VII, etc. Quelques Françaises explorent le passé avec talent. Anne de Leseleuc raconte l'apogée de Rome avec son avocat gaulois Marcus Aper, Viviane Moore, le Moyen Âge par l'entremise de son chevalier breton Galeran de Lesneven, et Elena Arseneva, d'origine russe, l'époque du règne du prince Vladimir avec Artem, un boyard enquêteur à Kiev.
Le roman historique s'est développé avec plus ou moins de bonheur dans toute l'Europe, notamment au Royaume-Uni où un spécialiste comme Paul C. Doherty, créateur d'une série avec Hugh Corbett, espion d'Édouard II, utilise au moins cinq pseudonymes, Anna Apostolou, Ann Dukthas, Michael Clynes, C. L. Grace, Paul Harding, avec lesquels il crée autant de séries situées à des époques différentes. Citons encore Ian Morson, Kate Sedley, Margaret Frazer, Stephanie Barron, Bernard Bastable et surtout Edward Marston et la prolifique Anne Perry. À noter que, de 2004 à 2011, le romancier français Frédéric Lenormand a repris le personnage du juge Ti dans dix-huit aventures fort réussies. Puis avec La baronne meurt à cinq heures 2011, il a entamé une nouvelle série fort divertissante intitulée Voltaire mène l’enquête. Ce premier volume a reçu le prix Historia, prix Arsène Lupin et prix du zinc de Montmorillon. Désormais, le philosophe français traque chaque année un assassin : Meurtre dans le boudoir 2012, Le diable s’habille en Voltaire 2013 et Crimes et condiments 2014.
En Russie, Boris Akounine crée une série consacrée à un policier moscovite du XIXe siècle, Eraste Petrovitch Fandorine. On notera que le nom de cet enquêteur renvoie à celui du journaliste Fandor, personnage essentiel du cycle Fantômas. Le thriller historique a ses adeptes et plusieurs romanciers de qualité ont donné au genre ses lettres de noblesse. Citons l'Allemand Gisbert Haefs, poète, musicien, traducteur des chansons de Brassens dans son pays, qui met en scène Hannibal dans plusieurs ouvrages malheureusement inédits en France ; l'historien italien Valerio Massimo Manfredi, lui, s'intéresse à l'empire romain La Dernière Légion, consacre une trilogie à Alexandre le Grand puis revient à notre siècle avec un thriller où le personnage de William Blake, archéologue comme lui, met au jour le sarcophage de Moïse alors qu'un nouveau conflit israélo-arabe vient d'éclater Le Pharaon oublié. Sa consœur Danila Comastri Montanari Cave Canem explore l'Antiquité avec son sénateur romain Publius Aurélius Statius treize enquêtes de 1993 à 2007, tandis que Giulio Leoni envoie Dante enquêter sur un maître mosaïste retrouvé mort dans une église. Umberto Eco met en scène le conflit opposant des moines franciscains à l'autorité papale dans une intrigue où un mystérieux manuscrit est l'objet de toutes les convoitises Le Nom de la rose, 1980, tandis que Valerio Evangelisti signe une série consacrée à l'inquisiteur Nicolas Eymerich, inspiré par le célèbre Torquemada, avant de raconter la saga de Nostradamus Le Roman de Nostradamus.
L'Espagnol Ignacio Garcia Valino explore la Grèce antique des premiers philosophes Les Deux Morts de Socrate et Alfonso Mateo-Sagasta, deux fois récipiendaire du prix Espartaco, lance son héros, Isidoro Montemeyer, dans une enquête littéraire pour découvrir l'identité véritable du romancier qui publia une seconde partie du Don Quichotte, mettant en péril la suite que devait livrer Cervantès. Partout, l'originalité stylistique et la recherche d'un sujet inédit sont à l'ordre du jour.

Planète polar Päys Nordiques

Depuis la fin des années 1960, le roman policier à contenu social s'est développé dans de nombreux pays. En Suède, dès 1965, le couple formé par Maj Sjöwall et Per Wahlöö se livrait à une violente critique du « paradis suédois » avec une série de dix enquêtes menées par l'inspecteur Martin Beck et ses hommes. Ce changement radical au cœur d'une littérature policière jusque-là assez classique a généré, non seulement en Suède mais dans pratiquement tous les pays nordiques, plusieurs générations d'écrivains qui s'expriment de façon critique sur la société. Dans un registre proche du couple Sjöwall-Wahlöö qui l'a inspiré, on trouve Mankell Meurtriers sans visage dont la série qui a pour héros l'inspecteur Kurt Wallander obtient un grand succès en France, ce qui incite les éditeurs à accorder une place importante aux auteurs suédois. Parmi ceux qui sont traduits, Kjell-Olof Bornemark 1924-2006 débute avec un récit d'espionnage atypique La Roulette suédoise, 1982, puis il met en scène un laissé-pour-compte que son exclusion de la société va conduire à un geste fatal Coupable sans faute, 1989. Staffan Westerlund entame avec L'Institut de recherches 198 une série consacrée à Inga-Lisa, une avocate spécialisée dans la défense de l'environnement. Le criminologue G. W. Persson, conseiller auprès du ministre de la Justice, donne une trilogie sur le crime et le châtiment en Suède 1978-1982 avec comme protagoniste le policier Lars Martin Johansson, qui n'hésite pas à dévoiler les manipulations politico-financières et les corruptions de fonctionnaires. On retrouve Johansson vingt ans plus tard dans La Nuit du 28 février 2002 qui évoque l'assassinat jamais élucidé du Premier ministre Olof Palme en 1986. Ni ce dernier ni aucun des autres acteurs de ce drame n'est nommé. Mais, usant du roman à clé, l'auteur démontre comment l'incurie combinée du gouvernement, de la police et des services secrets a rendu possible ce meurtre et impossible sa résolution. Parmi les récents romanciers suédois, citons Ake Edwardson, créateur d'une série avec le commissaire Erik Winter de Göteborg, Liza Marklund qui, après avoir été grand reporter à la télévision, met en scène la journaliste Annika Bengtzon qui mène des enquêtes dangereuses, Studio Sex, tandis que sa consœur Karin Alvtegen (petite nièce d'Astrid Lindgren, la créatrice de Fifi Brindacier s'est fait connaître avec un thriller psychologique fort réussi Recherchée. La juriste Asa Larsson donne un beau portrait d'une avocate, Rebecka Martinsson, confrontée à une secte messianique lorsqu'elle retourne dans le village lapon de son enfance Horreur boréale. Issue du courant appartenant au roman prolétarien, Aino Trosell s'est orientée à partir de 1999 vers le roman policier tout en continuant à jeter un regard critique sur la société suédoise, comme le démontre Si le cœur bat encore 1998. Il s'agit du premier volet d'une trilogie, dont la protagoniste, Siv Bahlin, est aide-soignante dans une maison de retraite. Mais la trilogie qui a fait le plus parler d'elle a pour titre Millenium et pour auteur Stieg Larsson 1954-2004, mort prématurément peu après avoir achevé son manuscrit. Ces trois récits ont pour personnages centraux le journaliste Mikael Blomkvist et la sauvage Lisbeth Salander, placée sous tutelle, confrontés à de dangereux personnages. Une saga haletante et un succès public indéniable. Une autre série signée Camilla Läckberg a séduit le lectrorat français. Débutant avec La Princesse des glaces 2002, elle met en scène Erica Falck, une biographe de trente-cinq ans qui habite Fjällbacka, un petit port de pêche suédois et possède une grande expérience du crime. Compagne de l’inspecteur Patrik Hedström, elle l’épouse dans le quatrième volet de ses aventures, L’Oiseau de mauvais augure, 2006.

Aux Pays-Bas,

Janwillem Van de Wetering 1931-2008 recrée l'atmosphère d'un commissariat d'Amsterdam proche de celui d'Ed McBain, au moins à ses débuts. Car ces policiers bataves, adeptes de la pensée orientale, sont les plus zen du genre. Maître de la comédie policière, Elvin Post revendique l’influence des frères Coen, Jour de paie ; Faux et usage de faux ; Losers nés. À noter aussi en Belgique flamande, l’émergence de Pieter Aspe, désormais célèbre grâce au commissaire Van In et à son assistant, l’inspecteur Versavel, qui arpentent les rues de Bruges Le Message du pendu, 2002.

En Finlande,

une passionnante série de Matti Yrjänä Joensuu 1948-2011 nous plonge au cœur de la délinquance. L'action se déroule à Helsinki, avec l'inspecteur Timo Harjunpää Harjunpää et le fils du policier. De son côté, Leena Lehtolainen publie les enquêtes de Maria Kallio Mon Premier Meurtre, une femme policier très populaire chez les lecteurs finlandais. Le romancier américain James Thompson, qui habite ce pays depuis de nombreuses années, est l’auteur d’une série consacrée à Kari Vaara, inspecteur de la criminelle d’Helsinki qui débute avec La Nuit glaciale du Kaamos 2009. Dans l’épisode suivant, Meurtre en hiver polaire 2011, Vaara enquête sur un ancien héros soupçonné de crimes de guerre.

Chez les Danois,

Leif Davidsen La Femme de Bratislava s'est rendu célèbre par ses plongées dans l'histoire qu'il ausculte à la manière d'un Didier Daeninckx. En 2007, Jussi Adler-Olsen crée la sensation avec Miséricorde, première enquête du département V, composé d’un policier sur la touche, Carl Mørck, et de son assistant, Hafez el Assad, d’origine syrienne. Couronnée de plusieurs prix internationaux, cette première enquête a été suivie par Profanation (2008), Délivrance(2009), et Dossier 64 (2010). L’auteur a prévu une série de onze volumes. Frère et sœur, Søren et Løtte Hammer écrivent à quatre mains les enquêtes d’une brigade de policiers de Copenhague dirigée par l’inspecteur en chef Konrad Simonsen. Cette série débute avec Morte la bête 2010 puis Le Prix à payer (2010). Le troisième volet, Le Cercle des cœurs solitaires 2011, s’attarde sur la jeunesse de Simonsen et ses débuts dans la police, une plongée dans le passé marquée par les illusions perdues d’une génération. Enfin, le Finlandais Antti Tuomainen signe un best-seller dès son premier livre, La Dernière Pluie (2010), où un homme recherche sa femme journaliste, disparue alors qu’elle enquêtait sur un serial killer.
On doit lire également Flemming Jarlskov Coupe au carré, Peter Hoeg Smilla et l'amour de la neige et Dan Turell, dont le détective privé lorgne du côté de Hammett (Mortel Lundi, alors que celui du Norvégien Gunnar Staalesen Le Loup dans la bergerie fait plutôt penser au Philip Marlowe de Chandler. En parallèle à cette passionnante série, Staalesen a écrit la saga de sa ville natale Le Roman de Bergen, six volumes, tandis que Jo Nesbo est en tête des ventes avec L'Étoile du diable, ce signe qu'un tueur en série laisse auprès de ses victimes il leur coupe un doigt. Parmi les autres auteurs norvégiens, citons Ann Holt La Déesse aveugle, Karin Fossum Celui qui a peur du loup, Morten Harry Olsen Tiré au sort, Fredrik Skagen Black-Out, Kim Smage Sub Rosa et Pernille Rygg L'Effet papillon. Dernière révélation, Mikkel Birkegaard, auteur du best-seller La Librairie des ombres 2007, où les livres ont pouvoir de vie et de mort.

En Islande

La surprise vient d'Islande. Ce pays de 350 000 habitants compte maintenant de nombreux auteurs traduits à l'étranger : Olafur Haukur Simonarson Le Cadavre dans la voiture rouge, Arni Thorarinsson Le Temps de la sorcière, Olafur Johan Olafsson Absolution et le plus populaire à ce jour, Arnadur Indridason. Les enquêtes de son commissaire Erlandur dans La Cité des jarres, puis dans La Femme en vert et dans La Voix lui ont valu un succès international. D’autres auteurs depuis se sont manifestés : Steiner Bragi Installation, Stefan Mani Noir karma, Yrsa Sigurdardottir Ultimes rituels, Jon Hallur Stefansson L’Incendiaire, Kjell Westö Les Sept Livres de Helsingfors.

Allemagne et Autriche

L'école allemande est florissante avec Horst Bozetsky, Hansjorg Martin 1920-1990, Jürgen Alberts, Frank Goyke, Pieke Bierman, Jacob Arjouni 1964-2013 ou Bernhard Schlink. Affaires criminelles, racisme, déviances, scandales : leurs romans passent au crible l'histoire de l'Allemagne réunifiée. Citons encore Ingrid Noll et ses sombres intrigues familiales Confession d'une pharmacienne et Christian V. Ditfurth dont le protagoniste, un historien de Hambourg, le Pr Stachekmann, est confronté à la Stasi, quatorze ans après la chute du Mur de Berlin et la disparition de la R.D.A. Frappé d'aveuglement. Un thème qu'on retrouve dans Welcome OSSI de Wolfgang Brenner. D’autres voix se manifestent, comme celles d’Andrea Maria Schenkel, qui explore le passé La Ferme du crime, de Jan Costin Wagner, à qui la Finlande sert de décor Lumière dans une maison obscure, ou de Volker Kutscher, créateur du commissaire berlinois Gerson Rath, qui enquête dans un studio de cinéma suite à la mort de deux actrices La Mort muette. En Autriche, le plus brillant romancier est sans conteste Wolf Haas, créateur du détective privé Simon Brenner, bourru, totalement dépourvu de méthode et de flair. Ses enquêtes sont jubilatoires, en particulier Silentium, où il est confronté à des pratiques pédophiles dans un établissement scolaire dirigé par des religieux. Parmi les nouveaux venus, Heinrich Steinfeld Le Onzième Pion mêle pour le plus grand plaisir du lecteur ironie, aphorismes et la digression existentielle ; Richard Birkefeld et Goran Heichmeister explorent à quatre mains l’Allemagne des années 1930 ; Sebastian Fitzek est surnommé le numéro un du suspens. Mais il ne faut pas oublier aussi des romancières de talent comme dans les autres pays d’Europe : Nele Neuhaus, Alex Berg Zone de non droit, Tina Uebel La Vérité sur Frankie.

Italie

Après les années noires où la littérature policière avait été interdite par Mussolini, Giorgio Scerbanenco 1911-1969 fait figure de pionnier. Considéré comme le père du roman noir italien, il met en scène Duca Lamberti, radié du conseil de l'ordre des médecins pour euthanasie, et n'a pas son pareil pour décrire le banditisme organisé et les affaires louches à Milan Vénus privée, 1966. À la même époque, on peut également citer le duo formé par Carlo Fruttero et Franco Lucentini La Femme du dimanche, 1972, et Leonardo Sciascia, grand pourfendeur de la Mafia dont le roman Le Contexte 1971 a inspiré le film Cadavres exquis 1975 de Francesco Rosi. Un des vieux amis de Sciascia, tard venu à l'écriture, Andrea Camilleri, a su séduire le public européen avec son commissaire Montalbano qui évolue en Sicile, région natale de son créateur. Aujourd'hui, l'Italie compte des dizaines d'auteurs. Parmi les plus talentueux, citons Pino Cacucce, san Isidro football club, Carlo Lucarelli Guernica, Augusto De Angelis L'Hôtel des trois roses, Laura Grimaldi Le Soupçon, Santo Piazzese Le Souffle de l'avalanche, Andrea Pinketts Le Sens de la formule, Franco Mimmi Notre Agent en Judée, Margherita Oggero La Collègue tatouée, Renato Olivieri L'Affaire Kodra, Marcello Fois Plutôt mourir, Sandrone Dazieri Le Blues de Sandrone, Giorgio Todde, L'État des âmes, Piergiorgio di Cara Île noire, Bruno Arpaia Dernière Frontière, Nicoletta Vallorani La Fiancée de Zorro, Nino Filasto La Fiancée égyptienne, et le sénateur Giancarlo Carofiglio, Témoin involontaire... Trois chefs-d'œuvre : Macaroni 1997 de Loriano Macchiavelli et Francesco Guccini, évoque l'immigration italienne en France et imbrique de façon parfaite énigme, suspense et constat social. L'Immense Obscurité de la mort 2004 de Massimo Carlotto, où un prisonnier qui a tué lors d'un braquage une femme et son fils, formule quinze ans plus tard un recours en grâce. Il sollicite le pardon du mari et père des victimes : en résulte un tragique face à face, à l'épilogue déroutant. Romanzo criminale 2002, de Giancarlo de Cataldo, juge à la cour d'assises de Rome, est la chronique magistrale du monde du crime à Rome de 1978 à 1992. Enfin signalons deux auteurs singuliers : Gilda Piersanti auteur de plusieurs polars romains Vert palatino habite Paris depuis trente ans. Cesare Battisti, ancien membre d'un groupe armé exilé en France, en fuite pour échapper à l'extradition depuis 2004, a signé une dizaine de romans noirs dans lesquels il dénonce la lutte armée qui se retourne toujours contre ses auteurs. En 2012, il a obtenu l’asile politique au Brésil.

Espagne et Andorre

Peu avant la fin de la dictature franquiste, Jaume Fuster 1945-1998 publie Petit à petit l'oiseau fait son nid 1972, un roman noir qui illustre la liaison entre la bourgeoisie barcelonaise et la pègre des bas-fonds. Manuel Vazquez Montalbán 1939-2003, le Chandler catalan, prend le relais pour relancer le genre avec Pepe Carvalho, son détective épicurien. Francisco Gonzalez Ledesma, après avoir publié plus de 500 pulps sous le pseudonyme de Silver Kane, passe au roman. Certains s'apparentent à une chronique des années de la dictature Los Napoleones, d'autres appartiennent à la série consacrée à Ricardo Méndez, un commissaire de Barcelone, nostalgique et plein de compassion pour les faibles La Dame de Cachemire. Si Juan Madrid Cadeau de la maison et Andreu Martin Prothèse s'impliquent à leurs débuts dans des récits âpres et violents, Arturo Pérez-Reverte préfère choisir une voie plus intellectuelle et ludique Le Tableau du maître flamand.
Barcelone abrite de nombreux écrivains. Outre Fuster, Vazquez Montalbán, Gonzales Ledesma et Andreu Martín, dont les exploits du jeune détective Flanagan sont traduits dans toute l'Europe, on peut citer l'Argentin Raúl Argemí Les morts perdent toujours leurs chaussures qui traite de sujets politiques avec une folie baroque et un humour grinçant ; Eduardo Mendoza, ancien interprète à l'O.N.U., et son univers souvent burlesque Le Labyrinthe aux olives ; les féministes Alicia Gimenez Bartlett avec son désopilant tandem de policiers Petra Delicado et Fermín Garzon Le Jour des chiens et Maria Antonia Oliver Antipodes, créatrice d'Apolonia Guiu, détective privée barcelonaise ; Xavier Moret qui met en scène un écrivain raté Qui tient l'oseille tient le manche. Parmi les nouveaux venus, l’Argentin de Madrid, Carlos Salem, truffe ses romans d’humour et de situations burlesques comme l’histoire de ce tueur à gage dont le contrat se trouve dans un camp de nudistes, Nager sans se mouiller.
Signalons également l'œuvre importante de Mariano Sanchez Soler, Oasis pour l'O.A.S., auteur de plusieurs romans noirs qui ont pour protagonistes les inspecteurs Pulido et Galeote, ainsi que d'essais divers sur le fascisme, la corruption et la famille Franco. Il a aussi fait connaître sa ville natale d'Alicante en y organisant plusieurs manifestations littéraires autour du roman noir.
Le Pays basque compte au moins trois auteurs de qualité : Juan Bas Scorpions pressés, 2002 ; Vade retro Dimitri, 2012 ; Willy Uribe qui s’est fait connaître en France en 2012 avec Le Prix de mon père 2007, meilleur premier roman noir à la Semana de Gijon ; José Javier Abasolo Nul n'est innocent. La violence qui parfois s'exprime dans cette province a inspiré à Juan Antonio de Blas, L'Arbre de Guernica, dans lequel son humour acide et son goût pour la dérision n'épargnent personne. Citons encore Juan Marsé Boulevard du Guinardo, Lorenzo Silva (La Femme suspendue, Suso de Toro Land Rover. La fin des années 2000 a vu l'émergence de nouveaux romanciers de qualité : Ignacio del Valle primé pour son roman Empereurs des ténèbres 2006, qui se déroule en hiver 1943, durant la Seconde Guerre mondiale, au cœur de la division Azul envoyée par Franco pour aider l'armée allemande durant le siège de Leningrad ; Victor del Arbol, primé pour La Tristesse du Samouraï, une fresque d'une grande sensibilité qui raconte L'Espagne de décembre 1941 jusqu'à la tentative de coup d'état de 1981 ; le poète barcelonais Carlos Zanon qui a réussi avec son premier roman Soudain trop tard, 2009 ; enfin, Jerónimo Trístante est l'auteur d'une série historique située à Madrid, en 1877, avec le détective Victor Ros. On note le nombre accru de romancières, une évolution positive en peu d'années, parmi lesquelles : Cristina Fallait, première femme à remporter le prix Hammett pour son roman Deux Petites Filles 2011 où une journaliste visite les bas-fonds de Barcelone pour tenter de retrouver une petite fille kidnappée ; journaliste, Noemi G. Sabugal a signé L'Assassinat de Socrate 2010. Mentionnons également Rosa Ribas, Matilde Asensi, auteur de thrillers historiques, et enfin Su sana Vallejo, qui signe La Clé du secret, et Dolores Redondo pour Le Gardien invisible, premier volume de la trilogie dite de Baztán, une rivière où on retrouve des femmes assassinées.
À noter que l'académicien Antonio Muñoz Molina qui n'a pas hésité à écrire Pleine Lune, un roman de genre parfaitement réussi.
Même la principauté d'Andorre est touchée par l'épidémie du noir, avec Albert Salvado Le Rapt, le mort et le marseillais et Albert Villaro Chasse à l'ombre.

L'Europe et au-delà

Le développement de la littérature policière est un mouvement inéluctable qui touche chaque pays car son lectorat est de plus en plus vaste. Mais les ouvrages disponibles en France ne reflètent qu'imparfaitement cette évolution, dans la mesure où la majeure partie des traductions provient de pays anglo-saxons. Signalons toutefois que le roman policier et/ou noir a atteint l'Albanie avec Virion Graçi Le Paradis des fous, Fatos Kongoli Tirana Blues et le vétéran Ismaël Kadaré, auteur de Qui a ramené Doruntine ? et Le Dossier H. On trouve également des œuvres intéressantes en Bulgarie avec Emilia Dvorianova Passion, ou la Mort d'Alissa, en Grèce avec Sèrgios Gàkas La Piste de Salonique et Petros Markaris Le Che s'est suicidé, au Portugal avec José Cardoso Pires Ballade de la plage aux chiens, Miguel Miranda, primé pour Quand les vautours approchent, et l'excellent Francisco José Viegas, Un ciel trop bleu. La Russie se signale avec la prolifique Alexandra Marinina, Ne gênez pas le bourreau, l’humoriste Andreï Kourkov avec Le Pingouin 1996 et Le Caméléon 2000, deux romans métaphoriques qui dénoncent corruption et magouilles. Paulina Dachkova Les Pas légers de la folie, Julian Semionov Petrovka 38, Arkadi et Gueorgui Vaïner L'Évangile du bourreau, Andreï Rubanov Ciel orange, 2008 et Natalia Alexandrova Emmuré vivant, 2007. La révélation russe s'appelle Julia Latynina, journaliste économique, très critique sur le régime, elle a notamment publié entre 2005 et 2009 la trilogie du Caucase Caucase circus ; Gangrène ; La gloire n'est plus de ce temps, très sombre et caustique.
De la Turquie, on connaît quatre romanciers : deux femmes, Esmahan Aykol Meurtre à l'hôtel du Bosphore et Mine Kirikkanat, La Malédiction de Constantin ; et deux hommes, Mehmet Murat Somer On a tué Bisou!, et Celil Oker, créateur d'un détective privé turc dont les six enquêtes restent inédites en France. Née en Iran, Naïra Nahapetian a quitté son pays natal après la révolution islamique. Aujourd'hui journaliste économique, elle a publié deux romans où son héros, Narek Djamshidj, décrypte pour les lecteurs ce que signifie vivre en Iran.
Signe des temps, en avril 2008, la Série noire a publié Les Fantômes de Breslau, du Polonais Marek Krajewski. Quatre autres titres La Peste à Breslau ; Fin de monde à Breslau ; La Mort à Breslau ; Forteresse Breslau complètent une série consacrée à Eberhart Mock, sergent-chef de la brigade des mœurs. L'action se situe au début de 1920 pour les trois premiers épisodes, à une époque où la ville était sous occupation allemande. Un autre romancier polonais, Zygmunt Miloszewski, est apparu. Dans Les Impliqués 2007, son deuxième roman, lors d'une séance de thérapie collective à Varsovie, un participant est retrouvé assassiné. L'enquête marquera le moment où s'affronteront la Varsovie contemporaine et les crimes du passé.
On note également l'apparition de romans policiers issus de pays comme l'Arabie saoudite, avec Raja Alem. Née à la Mecque en 1970, elle a reçu le prix international du roman arabe pour Le Collier de la colombe. En Égypte, Ahmed Khaled Towfik, médecin et universitaire, signe Utopia, qui donne une vision cauchemardesque de son pays. En Israël, Matt Rees, journaliste à Jérusalem, initie les enquêtes d’Omar Youssef, détective à son corps défendant, tandis que Igal Shamir conte les exploits de Gal Knobel, violoniste et espion israélien Via Vaticana ; Le Violon d'Hitler, et qu’un agent secret est le protagoniste du deuxième roman de Yishaï Sarid, Le Poète de Gaza.

Amérique du Sud

En Amérique latine aussi, le roman noir se porte bien, au Mexique notamment avec Paco Ignacio Taibo II À quatre mains, Juan Hernández Luna Naufrage, Sergio González Rodríguez Des os dans le désert, Eduardo Monteverde Alvaro dans ses brumes, Joaquín Guerrero-Casasola, lauréat du prix 2007 de L'H Confidencial bibliothèque policière de Barcelone avec Ley Garrote, histoire d'un privé mexicain à la recherche d'une fille de bonne famille kidnappée. N'oublions pas Guillermo Arriaga, scénariste de plusieurs films remarquables Amours chiennes ; 21 grammes ; Trois Enterrements et auteur entre autres de L'Escadron guillotine 1994 et Le Bison de la nuit 2000.
Le roman noir a également suscité des œuvres passionnantes à Cuba avec Daniel Chavarria Un thé en Amazonie, Justo Vasco 1943-2006 ; L'Œil aux aguets Lorenzo Lunar La Boue et la mort, Amir Valle Jineteras, José Latour Nos Amis de La Havane et surtout Leonardo Padura Fuentes Les Brumes du passé, au Brésil avec Rubem Fonseca Du grand art, Aguinaldo Silva L'Homme qui acheta Rio et Patricia Melo O Matador, au Chili avec Luis Sepúlveda Un nom de torero, Ramon Díaz Eterovic La mort se lève tôt et Roberto Ampuero Le Rêveur de l'Atacama, en Colombie avec Santiago Gamboa Les Captifs du lys blanc et plus encore en Argentine où, après Osvaldo Soriano Je ne vous dis pas adieu, sont apparus Rolo Diez Le Pas du tigre, Enrique Medina Les Chiens de la nuit, Juan Sasturain Manuel des perdants, Sergio Sinay Le Tango du mal aimé, Mempo Giardinelli Les morts sont seuls, Juan Jose Saer L'Enquête. Outre sa diversité, la caractéristique de cette mouvance est d'avoir renouvelé le genre en lui faisant subir un traitement original dans chaque pays. Pour faire toucher du doigt les réalités sociales sud-américaines, tous ces merveilleux conteurs usent de la critique avec humour et dérision. Chacun a son style et pratique des constructions savantes. Certains se livrent au métissage et empruntent à d'autres types de récits aventure, espionnage, politique-fiction, etc.. Bref, partout imagination et fantaisie règnent en maître. Ce courant n'a pas fini de surprendre le lecteur.

Liens
http://youtu.be/HoaqKlQd2s8 La pêche en eau trouble

Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l




#259 Yvan Tourgueniev
Loriane Posté le : 09/11/2014 01:28
Le 9 novembre, 28 octobre 1818 à Orel naît Ivan Sergueïevitch Tourgueniev

en russe : Иван Сергеевич Тургенев écrivain, romancier, nouvelliste et dramaturge russe, mort le 3 septembre,à 64 ans 1883 à Bougival. Son nom était autrefois orthographié Tourguénieff ou Tourguéneff. Ses Œuvres principales sont "Un mois à la campagne" en 1850,
"Premier Amour " en 1860,Pères et Fils en 1862
Sa famille est aisée, et sa mère très autoritaire. Il vit de 1838 à 1841 à Berlin avant de retourner à Saint-Pétersbourg puis de partir pour Londres et de s'installer à Paris.
Fiodor Dostoïevski, qui le cite en épigraphe à sa nouvelle Les Nuits blanches, le caricaturera sous le nom de Karmazinov dans Les Démons.
Son roman le plus célèbre est Pères et Fils, qui met notamment en scène des nihilistes — dénomination qu'il popularise — et auxquels il oppose le héros positif.
Il se lia d’amitié avec de nombreux écrivains, comme Gustave Flaubert, Émile Zola, Victor Hugo, Guy de Maupassant, Alphonse Daudet, George Sand, Edmond de Goncourt, Prosper Mérimée, Alexandre Dumas ou Jules Verne, ainsi qu’avec des musiciens et compositeurs.


En Bref

Après avoir connu un immense succès européen, Tourguéniev souffre au XXe siècle d'une éclipse due au rayonnement de Dostoïevski, son cadet de trois ans, de Tolstoï, de Tchékhov. Ses romans agitent des questions idéologiques dépassées, ses descriptions ont pu paraître fades, ses personnages manquer de vigueur. Pourtant, de nouveaux signes d'intérêt se manifestent de divers côtés. La publication de plusieurs volumes de lettres, en totalité ou en partie inédites, jette des lueurs curieuses sur la sensibilité et les convictions de Tourguéniev. Sa vie comme son œuvre révèlent de profondes contradictions qu'il n'a pas tenté de résoudre directement, mais dont il a nourri, à des niveaux de conscience variables, la substance de sa création littéraire. Profondément artiste, au sens où l'était son ami Flaubert, il a su opérer la transmutation du banal, tantôt par l'accentuation caricaturale des traits ou des propos, tantôt par la grâce d'une poésie qui enveloppe d'un léger brouillard les êtres, les paysages et les sentiments.
Il fut longtemps l'écrivain russe le plus connu en France, et c'est lui qui a introduit auprès du public français le roman russe. Ce parfait Européen était russe dans l'âme : mais, rejeté par la droite et la gauche, il s'est retrouvé isolé dans son pays. Tandis qu'il était encensé en France, la gloire montante de Tolstoï, de Dostoïevski et de Tchekhov éclipsait la sienne, au point qu'il tomba dans l'oubli, ravalé au rang d'écrivain léger et superficiel. Pourtant, s'il n'est pas un penseur, Tourgueniev est un réel artiste, à la langue classique, qui a su peindre la nature, la campagne, les femmes russes, et a porté la nouvelle à un degré de perfection.
Ivan Serguéïévitch Tourguéniev 1818-1883 n'est qu'un jeune poète apprécié des connaisseurs lorsque paraît, en 1847, dans un numéro historique de la revue Le Contemporain – historique car c'est le premier qui paraît depuis la mort de son fondateur, Pouchkine, en 1837 –, un récit en prose Le Putois et Kalinytch, avec pour sous-titre Mémoires d'un chasseur, ajouté par l'un des rédacteurs de la revue. Le succès est immédiat et considérable. Il encourage Tourguéniev à écrire d'autres récits de la même veine, publiés pour la plupart dans Le Contemporain dix-sept récits en 1847-1848, quatre en 1850-1851 quatre autres récits de beaucoup postérieurs, dans les années 1870, donc après l'abolition du servage en 1861 s'ajoutant pour constituer l'édition définitive en 1874. À ce cycle de nouvelles il faut ajouter de multiples brouillons et esquisses, abandonnés pour des raisons d'ordre littéraire le souci de garder une unité de ton ou par prudence vis-à-vis de la censure.
On s'explique facilement l'accueil du grand public. Le réveil de la conscience nationale depuis un demi-siècle, l'évolution de la littérature, c'est l'époque du réalisme philanthropique, la faveur que connaissent alors en Europe les thèmes de la campagne et des paysans, enfin la terrible question du servage, dont l'abolition est pour Tourguéniev une cause sacrée, tout cela contribuait à faire des Mémoires d'un chasseur une œuvre propre à toucher la sensibilité et à provoquer les réflexions.
Mais ce succès est d'abord un effet de l'art. Propriétaire terrien et chasseur, bon connaisseur de la question du servage, Tourguéniev prend de la distance vis-à-vis de son objet : littéralement la plupart des récits ont été écrits lors de séjours en Occident mais aussi en tant qu'artiste : pour mieux lutter contre l'ennemi qu'est le servage, dit-il, en fait surtout pour trouver un ton nouveau, et recréer poétiquement une réalité complexe.
Lorsqu'il rentre en Russie en 1850, couronné des lauriers de son premier livre, Récits d'un chasseur, Tourgueniev reçoit un accueil enthousiaste : il est séduisant, riche et célèbre. Les cercles cultivés et libéraux de Saint-Pétersbourg s'arrachent le jeune auteur et cherchent à lui faire oublier la grande passion qui l'a retenu à Paris, Pauline Viardot. Les femmes lui adressent des icônes ; même le tsar a lu avec un intérêt mélangé d'inquiétude son recueil de nouvelles. Les Récits d'un chasseur bouleversent la Russie en lui révélant d'elle un visage nouveau : les aristocrates découvrent soudain entre deux bals que les moujiks peuvent aimer, rire ou raisonner comme eux, qu'ils souffrent de la brutalité des intendants et de l'ignorance des barines !
Le destin semble avoir comblé Tourgueniev. Pourtant, son histoire est celle d'un homme sans foyer, sans patrie, sans croyance. À mi-chemin entre deux mondes, il va décevoir l'un et l'autre : trop libéral pour les conservateurs, trop réactionnaire pour les futurs bolcheviks, trop russe pour les Français, trop français pour les Russes… On le prend pour un réformateur, c'est en réalité un sceptique qui refuse de s'engager et se comporte en éternel spectateur. On le prend pour un passionné, c'est un indécis qui préfère la sereine amitié aux orages de l'amour.
Au bord du nid d'un autre

Sa vie

Ivan Tourgueniev naît à Orel, à 350 km au sud de Moscou en 1818, de Serge Tourguéneff et Varvara Petrovna Loutovinova, ainsi qu'il apparaît par son acte de décès. Il est issu, côté paternel d’une haute noblesse de vieille souche d'origine tartare et côté maternel de moyenne noblesse, très riche, d'origine lithuanienne. Parmi ses ancêtres, on compte Pierre Tourgueniev, exécuté par le faux Dimitri en 1604 car il avait refusé de le reconnaître comme tsar, et Jacob Tourgueniev, attaché à la cour de Pierre le Grand. Les trois enfants - Nikolaï 1816-1879, Ivan et Sergueï 1821-1837- vivent dans la propriété de leur mère, Spasskoïe-Loutovinovo, à dix kilomètres au nord de Mtsensk. C’est là qu’Ivan s'initie à la chasse, échappant provisoirement à la tyrannie de sa mère. La nature joue d’ailleurs un grand rôle dans ses romans. Il est confié à des précepteurs russes et étrangers dont il reçoit une excellente éducation. Il apprend le français, l’allemand, l’anglais, le grec et le latin. Avec un serf, il commence à écrire ses premiers poèmes. Très tôt, il se rend compte de l’injustice des hommes des classes supérieures envers les serfs, injustice contre laquelle il se révoltera et se battra toute sa vie.

En 1827, il s’installe à Moscou. Pendant deux ans, il se prépare à entrer à l’université. En 1833, il s’inscrit à la faculté des Lettres à l’université de Moscou. En 1834, il fréquente la faculté de philosophie à Saint-Pétersbourg et rencontre Nicolas Gogol, qui est professeur d’histoire l'année suivante. Il termine ses études en 1836 et assiste en 1851 à la lecture par Gogol de son Revizor.
En 1837, après la mort d'Alexandre Pouchkine, il édite la correspondance de ce dernier et traduit plusieurs de ses poèmes avec Mérimée. L’année suivante, son fameux poème Le soir est publié dans une revue progressiste. Il part alors pour Berlin afin d'y poursuivre ses études et de voyager en Europe. Il revient en 1841 passer l’été chez sa mère. Il a une liaison avec une lingère, de laquelle naîtra sa fille Pélagie. Il devient fonctionnaire en 1843 et rencontre le critique Vissarion Belinski. Tourgueniev, admiratif, lui dédiera Pères et Fils.
Dès l'hiver 1843, Tourgueniev s’intéresse au théâtre italien auquel il s'abonne à Saint-Pétersbourg. Il y rencontre la célèbre mezzo-soprano Pauline Viardot avec laquelle il entretiendra une liaison jusqu’à sa mort. Cette période marque aussi le début de ses idées progressistes et le début de la censure de ses œuvres, notamment de ses pièces de théâtre, qui ne seront souvent jouées en Russie qu'après 1861.

De 1847 à 1850, Tourgueniev vit en France et publie beaucoup, dont le recueil Mémoires d’un chasseur et la pièce Un mois à la campagne. En 1850, il vit près de Paris dans le château de Courtavenel, propriété des Viardot, où réside Charles Gounod, l'auteur de l'opéra Faust. Il fréquente George Sand. La même année, Nicolas Ier exige le retour des Russes expatriés. Tourgueniev quitte la France et se voit retenu en Russie pendant la guerre de Crimée. Il récupère sa fille et l’envoie chez Pauline Viardot, en France. Celle-ci l’élève comme sa propre enfant.
La même année, deux courants de pensée s’affrontent : les slavophiles, qui refusent toute influence extérieure et sont très attachés aux coutumes russes, et les occidentalistes, qui sont favorables à une modernisation à l'occidentale.
En 1852, les Mémoires d'un chasseur sont publiées. Cette œuvre échappe à la censure malgré son caractère subversif, car elle relate la vie des paysans russes. Par la suite, Tourgueniev écope d'un mois de prison mais continue d’écrire ce qu'il pense du servage. Il est alors assigné à résidence. En 1853, Pauline Viardot revient faire une tournée de scène en Russie. Tourgueniev prend alors un faux passeport, part pour Moscou afin de la voir et lui remettre des manuscrits à publier en France. À la fin de l’année 1855, il reçoit le jeune Léon Tolstoï, alors officier, auquel il explique qu’il devrait écrire et non se battre. Il l’encourage dans ce sens.
En 1857, il est de retour à Paris où il rencontre Prosper Mérimée, écrit les préfaces de Pères et Fils et de Fumée et traduit plusieurs récits. Il fait la connaissance d'Alexandre Dumas et part pour Londres. Il lance le Fonds littéraire à la fin des années 1850. En 1860, il écrit Premier amour. Tourgueniev partage ses terres avec ses paysans et devient membre de l’académie des sciences. Le 9 février 1861, le servage est aboli. Tourgueniev publie Pères et Fils, ce qui peut symboliser le passage de l’ancienne à la nouvelle Russie. Il traduit en russe La Légende de saint Julien d’Hospitalier et collectera de l’argent pour faire ériger un monument à la mémoire de l'auteur.
Dans les années 1860, il publie beaucoup en France mais relativement peu en Russie. Les slavophiles gagnent leur combat contre les occidentalistes, ce qui l'incite à composer des récits dont l'action se situe en Europe ou qui usent des procédés propre au style fantastique.
Il rencontre Flaubert pour la première fois, le 28 février 1863, d'après le journal des Goncourt, et lui écrit dès le lendemain pour lui annoncer l'envoi de ses livres. Une amitié commence, dont la première trace apparaît dans la correspondance de Flaubert à la date du 2 avril 1863, après lecture desdits romans. Elle ne cessera qu'à la mort de Flaubert, le 8 mai 1880.
Dans les années 1870, il vit à Paris chez les Viardot. Il rencontre Zola, dont il publie les romans en Russie, Alphonse Daudet qu'il aide pour ses publications, Edmond de Goncourt seul, son frère Jules étant mort en cette année 1870, Jules Verne qu'il conseille pour l'élaboration de son roman Michel Strogoff publié par leur éditeur commun Pierre-Jules Hetzel. Il y rencontre aussi Flaubert, George Sand, les compositeurs Camille Saint-Saëns et Théodore Dubois, ainsi que les filles de la maison 1871-72, alors chanteuses, dont l'une, Claudie, entretint plus tard une captivante correspondance avec l'écrivain russe4. En 1875, Tourgueniev est élu vice-président au Congrès International de Littérature, aux côtés de Victor Hugo qu'il rencontre pour la première fois. À la fin des années 1870, Tourgueniev se fait construire une datcha à Bougival sur le même terrain que la propriété des Viardot, dans les environs de Paris. Il obtient en 1879 le titre de doctor à Oxford et l'on commence à jouer ses pièces en Europe. Il tombe gravement malade au début des années 1880, est opéré à Paris et retourne à Bougival en convalescence. Là, il dicte à Pauline Un incendie en mer et prophétise les événements de Russie.

Il meurt le 3 septembre 1883 en son domicile au n°16, rue de Mesmes à Bougival, et sera inhumé le 9 octobre 1883 à Saint-Pétersbourg, au cimetière Volkovo aux pieds de Belinski, selon son vœu.

L'oeuvre

Le plus enraciné des écrivains cosmopolites

À ne considérer que l'œuvre littéraire d'Ivan Serguéïévitch Tourguéniev, on est amené à voir en lui un écrivain typiquement russe : personnages, paysages, problèmes, tout y porte la marque nationale. Si l'on envisage d'autre part la formation intellectuelle de Tourguéniev, où la philosophie allemande occupe la place d'honneur, son attachement passionné qui dura quarante ans pour Pauline Viardot et sa famille, ses amitiés françaises ou allemandes et ses convictions occidentalistes, on verra en lui le plus européen des écrivains russes de son siècle. Les deux points de vue sont simultanément exacts : il naquit d'ailleurs à Orel et mourut à Bougival. Tourguéniev offre à de nombreux exemplaires la peinture d'un type social caractéristique de son temps, et dont il était lui-même un représentant achevé, celui du gentilhomme russe de moyenne condition, partageant son existence entre son domaine campagnard et Moscou, plutôt que Saint-Pétersbourg ou les capitales occidentales. Sa mère, la despotique Varvara Petrovna, faisait peser ses caprices sur ses deux fils et, à plus forte raison, sur les milliers de paysans qui peuplaient ses terres de Spasskoïé, dans la province d'Orel. Tourguéniev, plus pudique que Saltykov-Chtchédrine, s'est gardé de placer sa mère au centre d'un de ses ouvrages, mais plusieurs types de barynia dans son œuvre font allusion à ses travers d'esprit ou à ses méthodes de gouvernement, Moumou, 1851, Pounine et Babourine, 1874. La condition paysanne est évoquée par Tourguéniev d'après les expériences répétées que lui fournissaient ses séjours à Spasskoïé, d'abord en qualité de fils de la barynia, puis de maître du domaine, de chasseur, de voisin. Cette source d'inspiration anime toute la première partie de son œuvre, au centre de laquelle se détachent les Récits d'un chasseur Zapiski okhotnika, 1847-1852. Ces esquisses délicates qui évitaient toute déclamation et se bornaient en apparence à offrir des peintures anodines de la vie rustique dans un coin de Grande Russie, tendaient en réalité à montrer l'homme sous le moujik, ce qui suffisait à illustrer l'injustice criante de sa condition. Tourguéniev se défendit à bon droit contre les déductions politiques qu'on prétendait tirer de son ouvrage : la peinture de la réalité comportait sa propre vertu dénonciatrice.
Cette réalité provinciale russe, Tourguéniev l'a évoquée aussi dans ses comédies de 1851-1852, où l'on peut voir les esquisses du théâtre tchékhovien, et dans plusieurs romans : le plus caractéristique à cet égard est Le Nid de gentilshommes,Dvorianskoe gnezdo, 1858, que l'on pourrait prendre pour un roman slavophile, tant la raillerie vis-à-vis des fausses valeurs occidentales et l'éloge des traditions authentiquement russes y sont accentués. L' occidentalisme de Tourguéniev, comme celui de Herzen, n'exclut jamais une idéalisation sentimentale de la Russie et une mise en garde contre les engouements à l'égard de l'Europe.

Hommes de trop, héros et nihilistes

Ces gentilshommes de la province, désœuvrés, sans véritable culture ni vocation, Tourguéniev les montre victimes de leur indifférence à la réalité russe et de leur incapacité à se consacrer à une tâche productive : l'Hamlet du district de Chtchigry Gamlet ščigrovskogo ujezda, 1849 présente le premier homme inutile de son œuvre et sera suivi par le Journal d'un homme de trop, Dnevnik lišnego čeloveka, 1850 où le narrateur, Tchoulkatourine, se compare à l'écureuil enfermé dans une roue, puis par Une correspondance Perepiska, 1855, autre exemple frappant de la même aboulie, du même ennui accablant.
Des œuvres plus importantes traitent encore de la même question : comment sortir de soi-même, se rendre utile, contribuer au bonheur d'autrui ? Roudine Rudin, 1855 aborde pour la première fois le thème de l'action politique en montrant comment une nature douée pour exercer une influence entraînante et dynamique peut échouer par méconnaissance de soi-même et de son propre pays : Roudine n'est qu'un phraseur frotté de philosophie allemande, que Tourguéniev envoie rejoindre les hommes de trop , avant de le faire mourir sur une barricade parisienne en juin 1848. Portrait de l'écrivain autant que de Bakounine, son ami des années quarante disparu au fond de la Sibérie, le héros du premier roman de Tourguéniev pose, à la fin du règne de Nicolas Ier, en termes psychologiques et non idéologiques, le problème de l'engagement personnel.
Il en propose une solution de type romantique dans À la veille (Nakanune, 1858), où le jeune Insarov, un étudiant bulgare, quitte Moscou avec sa femme Hélène pour aller affranchir son pays par les armes ; la jeune femme s'accomplit par l'évasion d'un milieu familial insipide, par l'amour sans calcul et le sacrifice total, tandis qu'Insarov met en accord sa pensée, ses sentiments et sa conduite, en antithèse absolue avec Roudine.
Avec beaucoup plus de profondeur et de maîtrise artistique, Tourguéniev traite à nouveau ce problème qui lui tenait tant à cœur dans un véritable roman, d'architecture complexe, Pères et enfants Otcy i deti, 1862. Cette fois, il exprime son affection attendrie pour le passé patriarcal russe les parents de Bazarov, et une raillerie légère tempère à peine une sympathie profonde à l'égard des idées, du mode de vie et de la bonne volonté sociale des frères Kirsanov, les représentants des pères, face à Bazarov et à son jeune ami Arcade Kirsanov. Ce dernier, d'abord subjugué par la personnalité de Bazarov, se marie et gère raisonnablement son domaine en petit hobereau libéral, comme l'appelle Bazarov. Seul celui-ci incarne les aspirations de la nouvelle génération nihiliste, ainsi appelée d'un mot apparu dès 1829, mais dont Tourguéniev consacra l'usage. Du point de vue social, Bazarov est un raznotchiniets, un homme d'extraction modeste, résolu à servir le peuple. Son nihilisme signifie le refus des principes en vigueur dans la noblesse, la critique de toute forme d'autorité et l'adhésion à un empirisme positiviste : il étudie la médecine et dissèque des grenouilles. Ses façons sont rudes, parfois ridicules. Aussi Tourguéniev dut-il se défendre d'avoir voulu offenser la jeune génération, et les attaques lui vinrent de gauche comme de droite.
Cela ne l'empêcha pas de peindre d'autres figures de révolutionnaires : sans en faire d'aussi sombres figures que Dostoïevski dans Les Possédés, Tourguéniev les traite sans ménagements. Dans Fumée Dym, 1867 le révolutionnaire Goubarev, qualifié de slavophile, est ridiculisé et, avec lui, le populisme et son idéalisation puérile du moujik. Il est vrai que Tourguéniev montre encore plus de sévérité envers les généraux et les riches propriétaires, et retrouve même les accents de Tchaadaïev pour accuser la Russie tout entière de stérilité et d'impuissance créatrice.
Le dernier roman de Tourguéniev, Terres vierges Nov', 1877, présente avec plus de sympathie, sinon de compréhension, le grand élan qui anima la marche au peuple de milliers de jeunes gens ; mais son héros Nejdanov est réduit au suicide en raison de l'échec de ces tentatives et du déclin de sa foi révolutionnaire. Tourguéniev considère que l'avenir appartient non à ces romantiques du réalisme, hommes de trop à leur façon, mais à des hommes pratiques, à des techniciens avisés comme Solomine.

Le platonisme de Tourgueniev

Nourri dans sa jeunesse d'idéalisme hégélien, Tourguéniev a vécu l'avènement du positivisme et le passage du romantisme schillérien aux actions terroristes, dont l'assassinat d'Alexandre II 1881 marqua le point culminant. Libéral des années quarante, il resta hostile à la violence, et son idéalisme continua d'inspirer la plupart de ses personnages positifs , notamment les figures féminines.
Amoureux décevant de Tatiana, la sœur de Bakounine, amant fugitif d'une lingère de Spasskoïé qui lui donna une fille hors mariage, soupirant éternel auprès d'une Pauline Viardot plus attendrie sans doute que réellement éprise, enfin vieil homme attiré par le charme de l'actrice Savina ou la grâce mutine de Claudie Viardot, la seconde fille de Pauline et de Louis Viardot, Tourguéniev a vainement cherché toute sa vie le grand amour partagé. Et son œuvre abonde en exemples de faillites sentimentales provoquées par l'insuffisance, la dérobade, la fuite jusque dans la mort de l'un des partenaires, l'homme en général. Véra des Deux Amis, Maria Alexandrovna dans Une Correspondance, Natalie dans Roudine, Liza dans Le Nid de seigneurs, Mme Odintsova dans Pères et enfants, enfin et surtout la Marianne de Terres vierges se trouvent, de façon diverse, engagées dans des situations qui laissent apparaître l'inaptitude essentielle de celui qu'elles aiment à répondre à leur sentiment.
On ne dispose pas encore de l'étude nécessaire permettant d'approfondir le sens qu'il conviendrait de donner à cette particularité de l'œuvre de Tourguéniev. L'analyse poussée du rôle joué par sa mère dans la maturation affective de l'écrivain, les nouveautés apportées par les compléments à sa correspondance, l'examen, déjà amorcé par la thèse de H. Granjard, d'une relation probable entre vicissitudes sentimentales et variations idéologiques devraient contribuer à ranimer l'intérêt de l'époque actuelle pour la figure un peu pâlie du bon Moscove.

L'art comme refuge

Dans une lettre à Pauline de février 1855, Tourguéniev exprimait son amour en citant en entier un poème de Pouchkine, L'Adieu. Lui-même entama sa carrière littéraire par de nombreux poèmes, qu'il détruisit ultérieurement pour la plupart. Cette veine lyrique s'exprime en prose à partir des Récits d'un chasseur et ne cesse de se manifester çà et là, à travers les visions fantastiques d'Apparitions Prizraki, 1863, la méditation désespérée d'Assez Dovoljno, 1864, l'espérance surnaturelle du Chant de l'amour triomphant, Pesnj toržestvujuščej liubvi, 1881, significativement dédié à Flaubert, enfin les Poèmes en prose, Stikhotvorenija v proze, 1882, bilan désenchanté de toutes les illusions humaines, qui ne laisse subsister que la beauté, éternisée par l'œuvre d'art, et les virtualités de la précieuse langue russe. Testament d'un artiste du verbe, auteur de tableaux délicats, tel ce Pré Biéjine Bežin lug des Récits d'un chasseur, à la fois d'une simplicité raffinée et d'une exquise qualité poétique, comme l'avait noté E.-M. de Vogüé.
De tels passages, où, pour un moment, l'homme semble en accord avec la nature qui l'entoure, où tout paraît précieux parce que tout est éphémère, apparaissent même dans des romans voués à première lecture à des débats d'un autre ordre, le finale mélancolique du Nid de seigneurs, le jardin de Mme Odintsov dans Pères et enfants, l'épisode de Fimouchka et Fomouchka dans Terres vierges, etc., et inclinent le lecteur à voir en Tourguéniev un contemplatif ou un moraliste plutôt qu'un écrivain engagé au service d'une cause ou d'une idéologie. Tourguéniev, comme Gogol son maître ou Maupassant son disciple, a cherché à dépasser le réel sensible en laissant une place croissante au mystère, aux signes du destin et à l'angoisse devant la mort, Apparitions, 1863 ; Le Chien, 1866 ; La Montre, Le Rêve, 1876 ; Clara Militch, 1883 ; tout cela empêche de définir son art par une esthétique élémentaire comme celui de tant d'écrivains de son époque.
Slavophile et occidental, russe et européen, libéral et conservateur, romantique et réaliste, Tourguéniev est un témoin attachant et lucide du processus qui a amené la Russie patriarcale aux nécessaires et douloureux bouleversements du XXe siècle

Nouvelles agraires

Le premier récit, Le Putois et Kalinytch, illustre bien l'art de Tourguéniev. Il oppose deux portraits de paysans : le Putois, esprit positif, pratique, rationaliste est le père respecté d'une nombreuse famille ; il gère adroitement ses affaires, s'est affranchi de son maître, se montre curieux de récits sur la vie occidentale, qu'il juge en toute indépendance ; l'autre, Kalinytch, est plus intuitif, proche de la nature et des bêtes, un peu sorcier, idéaliste et tirant le diable par la queue. Mais, des deux moujiks amis, l'un n'est pas moins russe que l'autre.
Rien de moins systématique que les descriptions de Tourguéniev. Derrière chaque détail transparaît la variété des situations, selon le statut juridique, le terroir, la personnalité du maître, que le serf subit autrement que le paysan attaché à la terre ou celui qui paie redevance. Le tableau est sombre. Que de destins brisés ! Telle cette femme de chambre dévouée, renvoyée au village parce qu'elle a eu l'ingratitude d'avoir un amoureux Iermolaï et la Meunière. Maîtres oisifs aux lubies extravagantes Le Bureau, régisseurs fripons et exploiteurs, garde-chasse contraint de persécuter ses semblables Le Loup-garou : aucun n'échappe aux méfaits du servage. Parmi les intendants, les petits propriétaires, se dévoile aussi un long cortège de douleurs secrètes.
De ce tableau, pourtant, se dégage une impression de vie et d'harmonie. Grâce, d'abord, à la présence de la nature, dont Tourguéniev a aussitôt été consacré le grand peintre. On a admiré – et copié – la subtile souplesse de sa prose, la richesse discrète des images, sa science du rythme et des sonorités. De cet univers poétique le peuple participe : en s'intégrant dans un paysage dont il sait sentir et exprimer la magie enchanteresse Le Pré, par la création artistique Les Chanteurs, par sa beauté spirituelle, comme en témoigne la touchante sainteté de cette paralytique, naguère superbe jeune fille, qui est l'héroïne du dernier récit Reliques vivantes, 1874 : Elle chantait sans que l'expression inerte de son visage changeât, les yeux fixes même. Mais qu'elle résonnait de touchante façon cette pauvre voix qui s'efforçait, vacillante comme un filet de fumée, d'épancher toute son âme...

Hymne au peuple russe

Le personnage du narrateur s'insère naturellement dans une narration qui multiplie les angles d'approche : portraits, dialogues, confessions, etc. La liberté du chasseur-promeneur devient procédé artistique : proximité avec le lecteur cultivé, mais aussi distanciation, dilettantisme de l'artiste toujours ouvert à l'imprévu d'une rencontre ou d'une sensation, ambivalence du gentleman-farmer proche des paysans mais séparé aussi d'eux par un mur invisible. Enquête ethnographique, mythe d'une société agraire, retour au monde de l'enfance, hymne au peuple russe, présence/absence d'une unité brisée, toutes ces composantes se fondent dans une œuvre d'art qui, avec un sens pouchkinien de la mesure, vibre d'une profonde compassion.
Tourguéniev, un temps exilé sous prétexte d'un article nécrologique sur Gogol jugé trop dithyrambique, resta persuadé que la véritable raison de sa punition étaient les Mémoires d'un chasseur. Mais un premier recueil fut publié dès 1852 . Les récits, encore plus frappants une fois rassemblés en livre, eurent un grand retentissement dans l'opinion. Alexandre, le futur tsar libérateur, en fut vivement impressionné et l'écrivain Saltykov-Chtchédrine, bon connaisseur, en admira la force dénonciatrice.
Occidentaliste, l'auteur avait su trouver des accents pour une idéalisation discrète du peuple qui était proche de la sensibilité slavophile. Par son talent et la largeur de ses vues, il dépassait de très loin ses prédécesseurs et contemporains russes, tels Dahl et Grigorovitch. En Occident, où les romans villageois d'Auerbach et de George Sand avaient leur public fervent, il trouva une audience enthousiaste, et fut consacré comme l'un des classiques de la littérature européenne.

Œuvre Nouvelles

Statue de Tourgueniev à Saint-Pétersbourg, place du Manège

Ivan Tourguéniev à la chasse 1879, tableau de Dmitriev-Orenbourgski, collection privée
André Kolossov 1844
Les Trois Portraits 1846
Un bretteur 1847
Le Juif 1847
Petouchkov 1847
Mémoires d'un chasseur 1847, recueil de nouvelles. Édition définitive, et augmentée, en 1874.
I. Le Putois et Kalinytch 1847
II. Iermolaï et la Meunière 1847
III. L'Eau de framboise 1848
IV. Le Médecin de campagne 1848
V. Mon voisin Radilov 1847
VI. L'Odnodvorets Ovsianikov 1847
VII. Lgov 1847
VIII. Le Pré Béjine 1851
IX. Cassien de la belle Métcha 1851
X. Le Régisseur 1847
XI. Le Bureau 1847
XII. Le Loup-garou 1848
XIII. Deux gentilshommes campagnards 1852
XIV. Lébédiane 1848
XV. Tatiana Borissovna et son neveu (1848
XVI. La Mort 1848
XVII. Les Chanteurs 1850
XVIII. Pierre Pétrovitch Karataïev 1847
XIX. Le Rendez-vous 1850
XX. Le Hamlet du district de Chtchigry 1849
XXI. Tchertopkhanov et Nédopiouskine 1849
XXII. La Fin de Tchertopkhanov 1872
XXIII. Relique vivante 1874
XXIV. On vient 1874
Conclusion. La Forêt et la steppe 1849
Moumou 1852, nouvelle écrite alors que l'auteur est en détention dans une maison d'arrêt de Saint-Pétersbourg.
Les Eaux tranquilles 1854, parfois intitulée Un coin tranquille, ou encore L'antchar. Version définitive en 1856.
Deux amis (854
L'Auberge de grand chemin 1855
Une correspondance 1856
Jacques Passinkov 1856
Faust 1856
Excursion dans les grands-bois 1856
Assia ou Asya 1858
Premier Amour 1860, nouvelle en partie autobiographique.
Apparitions 1864, le premier récit fantastique de l'auteur.
Assez ! 1865
Le Chien 1866, nouvelle fantastique.
L'Infortunée 1869
Étrange Histoire 1870
Un roi Lear des steppes 1870
Pounine et Babourine 1874
La Montre 1875
Un rêve 1877, nouvelle fantastique
Le Chant de l'amour triomphant 1881, récit fantastique situé à Ferrare au XVIe siècle.
Clara Militch 1883, aussi connu sous le titre Après la mort. Récit d'un amour post-mortem.
La Caille 1883
L'Exécution de Troppmann (1870), 1ère traduction française de Isaac Pavlovsky, publiée dans ses Souvenirs sur Tourguéneff, Savine, 1887.

Romans

Roudine 1856
Nid de gentilhomme 1859
À la veille 1860
Pères et Fils 1862 Le chef-d'œuvre romanesque de l'auteur.
Fumée 1867
Eaux printanières 1871
Terres vierges 1877

Théâtre

L'Imprudence 1843
Sans argent 1846
Le fil rompt où il est mince 1848
Le Pain d'autrui 1848
Le Célibataire 1849
Un mois à la campagne, la pièce la plus célèbre de l'auteur, écrite en 1850, mais qui n'a été créée qu'en 1879.
La Provinciale
Le Déjeuner chez le maréchal
Conversation sur la grand-route
Un soir à Sorrente

Liens

http://youtu.be/XRidGOZYlWw Premier amour Tourgueniev
http://youtu.be/a2XgLJng12Y Un mois à la campagne
http://youtu.be/LJ1u9wldkcQ Le chant des fresnes


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l



#260 Carl Sagan
Loriane Posté le : 08/11/2014 21:48
Le 9 novembre 1934 à Brooklyn, New York, naît Carl Edward Sagan

mort, à 62 ans, le 20 décembre 1996 à 62 ans à Seattle, Washington, scientifique et astronome américain. Il est l'un des fondateurs de l'exobiologie. Il a mis en place le programme SETI de recherche d'intelligence extraterrestre et réalisé pour la télévision la série de vulgarisation scientifique Cosmos, diffusée sur plusieurs continents. Il est aussi renommé pour son scepticisme. Il reçoit le Oersted Medal en 1990, la NASA Distinguished Service Medal, le Prix Pulitzer 1978, le Prix Hugo, la National Academy of Sciences et le Prix Solstice.

En bref

Le conteur charismatique qui révéla au grand public les splendeurs et les mystères de l'Univers à travers livres et séries d'émissions télévisées ne doit pas éclipser l'homme de science, dont la contribution à la toute jeune planétologie demeure fondamentale.
Sa notoriété de vulgarisateur n'aura pas été sans lui attirer la suspicion de certains membres de la communauté scientifique, qui le trouvaient trop brillant et doté d'un trop grand sens des affaires. Force est cependant de constater que le pouvoir de conviction de Carl Sagan est à l'origine de l'engouement du public pour l'astronomie et l'espace dans les années 1970 et le début des années 1980.
Cofondateur et président de la Planetary Society – une organisation privée à but non lucratif chargée de promouvoir l'exploration planétaire –, consultant et conseiller de la N.A.S.A., il est distinguished visiting scientist du Jet Propulsion Laboratory, à Pasadena, en Californie. À ce titre, il fait partie des équipes scientifiques des missions martiennes Mariner-9 et Viking, de l'équipe d'imagerie de la mission Voyager vers les planètes géantes et de celle de la mission Galileo vers Jupiter. C'est lui qui a l'idée de doter les sondes Pioneer-10 et 11 et Voyager-1 et 2 de messages, plaques gravées de symboles pour les Pioneer ou vidéodisques pour les Voyager destinés à d'éventuelles civilisations extraterrestres ; il se fait le champion de la recherche de signaux radio qui auraient été émis par des civilisations éloignées.

Sa vie

Carl Edward Sagan naît le 9 novembre 1934 à Brooklyn New York ; son père est un immigré ukrainien, sa mère est d'origine austro-hongroise. Dès sa tendre enfance, il s'abreuve de livres scientifiques, se passionne pour l'astronomie et, selon ses propres dires, se drogue à la science-fiction.
Il commence, dans les années 1950, à s'intéresser à l'origine de la vie, une préoccupation qui ne l'abandonnera plus. En 1960, il obtient, à l'université de Chicago, un doctorat en astrophysique. Pendant un temps, il est assistant de recherche des généticiens Hermann JosephMuller et Joshua Lederberg, Prix Nobel de physiologie ou médecine en 1946 et en 1958, respectivement.
Carl Sagan était professeur et directeur de laboratoire à l'Université Cornell et a contribué à la plupart des missions automatiques d'exploration spatiale du système solaire. Il eut l'idée d'apposer sur les sondes un message inaltérable et universel qui pourrait être compris par une intelligence extraterrestre, la plaque de Pioneer. Il est également connu pour avoir coécrit un article annonçant les dangers de l'hiver nucléaire.

Les connaissances de Carl Sagan en astronomie et en biologie le conduisent à s'intéresser à un vaste éventail de problèmes : l'étude des atmosphères et des surfaces planétaires, l'histoire de la Terre, l'exobiologie... Il contribue à expliquer, avec le planétologue James B. Pollack la température élevée du sol et de l'atmosphère de Vénus, due à un effet de serre, les changements d'aspect saisonniers de Mars, du fait de violentes tempêtes de poussière et élucide la nature des aérosols de l'atmosphère de Titan, un des satellites de Saturne, la couleur rougeâtre de ces aérosols provient de molécules organiques complexes.
En 1968, il gagne l'université Cornell, à Ithaca, État de New York, où, en 1971, il est nommé professeur d'astronomie et de sciences spatiales et directeur du Laboratory for Planetary Studies, postes qu'il conservera jusqu'à sa mort. Son enthousiasme va y faire naître de nombreuses vocations : la plupart des grands noms de la recherche planétologique du dernier quart du XXe siècle furent ses étudiants ou ses proches collaborateurs. Carl Sagan sera président de la division des sciences planétaires de l'American Astronomical Society, et, durant douze ans, rédacteur en chef de la plus importantes des revues de planétologie, Icarus.

Au début des années 1970, il commence à vulgariser l'astronomie à la télévision, en particulier dans le « Tonight Show » de Johnny Carson, sur la chaîne N.B.C. Puis c'est le succès mondial : son livre Cosmos, issu de la série d'émissions télévisées du même nom, diffusée en 1980 aux États-Unis – pour laquelle il avait créé sa propre maison de production et qui sera couronnée par les Emmy et Peabody Awards –, prend la première place des best-sellers scientifiques. Sagan avait déjà reçu le prix Pulitzer de littérature en 1978 pour The Dragons of Eden, brillant essai sur l'émergence et la nature de l'intelligence humaine.
Il s'intéresse également à la protection de l'environnement et attire l'attention du monde sur les conséquences dramatiques d'une guerre nucléaire totale, qui aboutirait à ce qu'il appelle l'hiver nucléaire. Il se fait l'avocat de l'arrêt de toute expérimentation nucléaire et se présente comme un farouche opposant à l'initiative de défense stratégique de l'administration Reagan. Dans le même esprit, il œuvre au rapprochement et à la collaboration des agences spatiales américaine, européenne, soviétique puis russe. Il est également cofondateur du Committee for the Scientific Investigation of Claims of the Paranormal C.S.I.C.O.P..
Pendant la première guerre du Golfe, Sagan a prédit que la fumée engendrée par les bombardements américains des puits et raffineries de pétrole irakiens entraînerait des conséquences proches de l'hiver nucléaire. Au cours d'un débat, Fred Singer, en a prédit qu'au contraire les vents dissiperaient la fumée en quelques jours.
Sagan est surtout connu du grand public pour ses œuvres de vulgarisation scientifique. Il a écrit et raconté la série télévisée Cosmos, treize épisodes vues par 10 millions de téléspectateurs dans laquelle il développe, entre autres, un calendrier cosmique. Celui-ci sera souvent repris par la suite dans plusieurs livres et documentaires de vulgarisation de l'astronomie.
Il est également l'auteur de plusieurs livres de vulgarisation, dont Cosmos tiré de la série et Un point bleu pâle sur la place de l'Homme et de la Terre dans l'Univers. Il a aussi écrit un roman, Contact, qui fut adapté au cinéma. Ce livre a reçu le prix Locus du meilleur premier roman en 1986.
Sagan fut l'un des pères fondateurs d'un des groupes sceptiques américains, le Committee for Skeptical Inquiry, qui considère qu'aucune preuve de l'existence du paranormal n'a été apportée à ce jour. Son ouvrage The Demon-Haunted World est considéré comme un classique du scepticisme scientifique. Si son ouvrage UFO's - A scientific debate est ouvert à la possibilité que l'hypothèse extraterrestre puisse expliquer le phénomène ovni, il devint de plus en plus sceptique, au fur et à mesure qu'il vieillissait, vis-à-vis des prétentions de l'ufologie, voir à ce sujet le modèle sociopsychologique du phénomène ovni. Il critique énormément l'ufologie - en tant que pseudo-science - dans son dernier ouvrage, The Demon-Haunted World: Science As a Candle in the Dark.
En 1994, il attaque Apple pour avoir nommé le projet de développement du Macintosh 7100 "Carl Sagan". Les juges l'ont débouté, néanmoins Apple a décidé de renommer le projet en "BHA", pour "Butthead Astronome".
L'astéroïde 2709 Sagan a été nommé en son honneur, ainsi qu'un prix, le Carl Sagan Memorial Award.
Vision of Mars: A message to the Future
La mission Phoenix, qui a quitté la Terre le 4 août 2007, a emmené avec elle un message audio de Carl Sagan destiné aux futurs Martiens.
La mission a atterri sur Mars en mai 2008. Le message de Carl Sagan fait partie du mini-CD Vision of Mars : A message to the future, un projet de la Planetary Society, qui contient des romans et des nouvelles de science-fiction à propos de la planète rouge.
Atteint depuis longtemps de myélodysplasie, il meurt, à 62 ans, le 20 décembre 1996 au Fred Hutchinson Cancer Research Center de Seattle, État de Washington, après avoir lutté durant plus de deux ans contre une affection maligne de la moelle osseuse.

Bibliographie

UFO's - A scientific debate avec Thornton Page 1972, Cornell University Press, puis Barles & Noble 1996 - Livre tiré des déclarations préparées lors du Symposium sur les ovnis de l'AAAS les 26 et 27 décembre 1969 à Boston Massachusetts, où Sagan développe le chapitre consacré à l'HET et aux autres hypothèses pour expliquer les ovnis.
Carl Sagan trad. Vincent Bardet, Cosmic connection : L'Appel des étoiles Cosmic connection : an Extraterrestrial Perspective, Éditions du Seuil, coll. Points Sciences , chap. S14
Dragons of Eden ou Les Dragons de l'Éden, 1980, anglais ou français.
Cosmos, 1981, anglais ou français.
Shadows of Forgotten Ancestors, en collaboration avec Ann Druyan 1993, .
Pale Blue Dot: A Vision of the Human Future in Space, 1st edition 1994, Random House, New York.
The Cold and the Dark: The World After Nuclear War ou Le froid et les ténèbres: le monde après une guerre atomique en collaboration avec P. R. Ehrlich, D. Kennedy et W. Orr. Roberts, 1985.
Comète, Édition Calmann-Lévy, 1985, en collaboration avec Ann Druyan.
L'Hiver Nucléaire en collaboration avec Richard Turco, 1991.
Contact, 1985, roman qui donna lieu à l'adaptation cinématographique Contact de Robert Zemeckis et avec Jodie Foster,
Sagan, Carl, The Demon-Haunted World: Science As a Candle in the Dark, Ballantine Books, mars 1997.
Carl Sagan, Cosmic Connection: An Extraterrestrial Perspective, Cambridge Press,‎ 2000

Liens

http://youtu.be/HKQQAv5svkk Sagan Hawkings Clarke. (anglais)
http://youtu.be/Q9XbgTBbrlw Cosmos 1
http://youtu.be/UnURElCzGc0 Le cosmos 4éme dimension
http://youtu.be/fNh5_3CBH-0 Cosmos 4 ciel et enfer (anglais)
http://youtu.be/OrqWF2GmXE4 Contact musique




Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


[img width=600]http://t2.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcQ_4nT_NEwcfkF1sHBiO-f-Oa3WyVEKP5ipaVyLvRQaXcS3XepXu-aEeoJ_5g[/img]

Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l




 Haut
« 1 ... 23 24 25 (26) 27 28 29 ... 60 »




Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

Connexion
Identifiant :

Mot de passe :

Se souvenir de moi



Mot de passe perdu ?

Inscrivez-vous !
Partenaires
Sont en ligne
43 Personne(s) en ligne (30 Personne(s) connectée(s) sur Les Forums)

Utilisateur(s): 0
Invité(s): 43

Plus ...