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Le marquis de Sade
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Donatien-Alphonse-François de Sade naît à Paris le 2 juin 1740, meurt à Paris le 2 décembre 1814. Il est le descendant d'une vieille et prestigieuse famille de l'aristocratie de Provence. Homme de lettres, romancier, philosophe et révolutionnaire français, il dérange par la violence de son oeuvre, oeuvre incomparable à aucune autre.
Celle-ci occupera toujours une place en marge de la littérature Française. Cette œuvre entièrement consacrée à un certain érotisme, associé à des actes de violence et de cruauté (fustigations, tortures, meurtres, incestes, viols, etc.) restera très longtemps vouées aux gémonies, tant elle ne peut être mise entre toutes les mains.
Lire Sade n'est jamais une lecture anodine. Mais outre ces dérèglements , insultes aux bonnes moeurs, il ajoute à ses écrits l'expression d'un athéisme virulent et donc ce rejet de la morale Chrétienne est un des thèmes les plus récurrents de ses écrits.
Pour ces raisons un puissant anathème a mis l’ensemble de cette oeuvre à l'index,elle restera occultée et clandestine pendant tout le XIXe siècle, elle fut en effet longtemps interdite et diabolisée, et elle sera redécouverte et réhabilitée au XXe siècle par Jean-Jacques Pauvert qui le sort de la clandestinité en publiant ouvertement ses œuvres sous son nom d'éditeur, et ceci malgré la censure officielle dont il triomphe par un procès en appel en 1957.
La dernière étape vers la reconnaissance est sans doute représentée par l’entrée de Sade dans la Bibliothèque de la Pléiade en 1990.
Son nom est passé depuis lors à la postérité sous forme de substantif.
Dès 1834, le néologisme « sadisme », qui fait référence aux actes de cruauté décrits dans ses œuvres, figure dans un dictionnaire ; le mot finit par être transposé dans toutes les langues. Malgré cette sortie timide du purgatoire, il faut dire que pour qui cherche une oeuvre de Sade sur internet, ne se verra proposer que des extraits relativement courts, quelques fragments, tout comme si le côté dérangeant du récit et des scènes décrites entraînaient une auto-censure, alors que d'autre part, en raison de l'évolution des moeurs et d'une plus grande acception de la sexualité, il est aujourd'hui possible de trouver Sade en édition de poche c'est à dire dans un format très populaire et donc accessible.
La frilosité de la société devant ces écrits, disons même le vrai malaise qu'induit la lecture des ouvrages de Sade semble, plus qu'à une sexualité débridée, dû en fait à la cruauté et la violence dérangeante et quelque peu pathologique de ces récits.
Cependant l'écriture audacieuse est puissante, le style est énergique et la langue est belle mais rien de tout cela n'est anodin et cette lecture ne peut que s'adresser à des personnes averties.
Malgré tout le regard, je dirais pour ma part, la haine des femmes peut-être vite insoutenable et ne peut laisser indifférent.
La violence de la vision des femmes chosifiées, torturées, objet de cruauté pose, à notre société actuelle, outre la question de la sexualité, outre celle de la violence, la question moderne du regard sur "la femme" .
Maîtrisant parfaitement la langue française, le Marquis de Sade alterne dans ses ouvrages les scènes pornographiques souvent extrêmes et les dissertations philosophiques.
Dans "Dialogue entre un prêtre et un moribond" (1782), il affirme un athéisme absolu et ne laissera plus passer une occasion de l'afficher dans ses écrits.
En raison de ces discours philosophiques à caractère révolutionnaire qui traversent cette oeuvre, celle-ci n'est plus lue sous le seul angle "superficiel du sadisme" et de la pornographie, mais sous sa fonction libératrice en s'attaquant aux hypocrisies de la société et à la pensée dominante.
Le marquis de Sade défend les vices au nom de la nature, en en faisant apparaître les contradictions. Son imagination souvent outrancière est perçue comme le désir de libérer l'homme de ses contraintes. Il peut être considéré comme l'un des grands écrivains français et un philosophe qui va jusqu'au bout de ses pensées et aux limites de leurs conséquences logiques.

Sa vie

Sade naît à Paris le 2 juin 1740 à l’hôtel de Condé, de Jean Baptiste, comte de Sade, héritier de la maison de Sade, l'une des plus anciennes maisons de Provence, seigneur de Saumane et de Lacoste, coseigneur de Mazan, et de Marie Éléonore de Maillé (1712-1777), parente et " dame d’accompagnement " de la princesse de Condé.
Baptisé à Saint-Sulpice, les parents, parrain et marraine s’étant fait représenter par des officiers de maison, il reçoit par erreur les prénoms de Donatien Alphonse François au lieu de Donatien Aldonse Louis. Le marquis utilise dans la plupart de ses actes officiels les prénoms qui lui étaient destinés, entretenant une confusion qui aura des conséquences fâcheuses lors de sa demande de radiation sur la liste des émigrés.
Sur le blason de la maison de Sade, l’aigle impérial à deux têtes, privilège obtenu par Elzéar de Sade lors de la visite de l’empereur Sigismond à Avignon en 1415.
A 14 ans, il entre dans une école militaire réservée aux fils de la plus ancienne noblesse et, sous-lieutenant un an plus tard, participe à la guerre de Sept ans contre la Prusse. Il y brille par son courage, mais aussi par son goût pour la débauche. Revenu, en 1763, avec le grade de capitaine, il fréquente les actrices de théâtre et les courtisanes. Son père, pour y mettre fin, cherche à le marier au plus vite.


Marquis ou comte ?

Il reçoit le titre de marquis, selon l’usage de la famille que Sade rappelle dans une lettre à sa femme de janvier 1784 et qui veut que le chef de famille prenne le titre de comte, et l’aîné de ses fils, du vivant de son père, celui de marquis. En fait, il s’agit là de titres de courtoisie, sans érection par lettres patentes du fief de Sade en fief de dignité et, si Sade est bien qualifié par ses contemporains de marquis jusqu’à la mort de son père en 1767, après celle-ci, il est indifféremment traité de marquis ou de comte : le parlement d'Aix, dans sa condamnation de 1772, lui donne le titre de "marquis de Sade" ainsi que le conseil de famille, réuni en 1787 par ordonnance du Châtelet de Paris ; il est incarcéré à la Bastille en 1784 sous le nom de "sieur marquis de Sade " ; l’inscription de la pierre tombale de sa femme porte la mention de "Mme Renée-Pélagie de Montreuil, marquise de Sade " ; mais il est enfermé à Charenton en 1789 sous le nom de " comte de Sade" et son acte de décès de 1814 le qualifie de "comte de Sade ". Quant à Sade lui-même, à partir de 1800 et jusqu'à la fin de sa vie, il signe " D.-A.-F. Sade ", sans prétention à un titre quel qu'il soit ni même à une particule : sur l'en-tête de son testament figure : " Donatien-Alphonse-François Sade, homme de lettres ".
Le père du marquis
Le père de Sade est, par droit d’aînesse, le chef de la famille. Il a deux frères, Jean-Louis-Balthazar, commandeur de l’ordre de Malte, puis bailli et grand prieur de Toulouse, et Jacques-François, abbé commendataire d’Ébreuil. Quatre sœurs vivent en religion. La cinquième épouse le marquis de Villeneuve-Martignan qui fit construire à Avignon le bel hôtel seigneurial aujourd'hui musée Calvet, à l'entrée duquel on peut encore voir le blason des Sade. Donatien aima et admira son père autant qu’il ignora sa mère tenue à l’écart par son mari avant de se retirer dans un couvent. Homme d’esprit, grand séducteur, prodigue et libertin, avant de revenir à la religion à l’approche de la cinquantaine, le père du marquis, est le premier Sade à quitter la Provence et à s’aventurer à la Cour. Il devient le favori et le confident du prince de Condé qui gouverne la France pendant deux ans à la mort du Régent. À vingt-cinq ans, ses maîtresses se comptent parmi les plus grands noms de la cour : la propre sœur du prince de Condé, Mlle de Charolais, ancienne maîtresse royale, les duchesses de La Trémoille, de Clermont, jusqu’à la jeune princesse de Condé, de vingt-deux ans moins âgée que son mari et très surveillée par ce dernier, pour la conquête de laquelle il épousera en 1733 la fille de sa dame d’honneur, Mlle de Maillé de Carman, sans fortune, mais alliée à la branche cadette des Bourbon-Condé. Assez lié, comme son frère l'abbé avec Voltaire, il a des prétentions littéraires. Capitaine de dragons dans le régiment du prince, puis aide de camp du Maréchal de Villars pendant les campagnes de 1734-1735, il obtient du roi en 1739 la charge de lieutenant général des provinces de Bresse, Bugey, Valromey et Gex qu’il achète 135 000 livres et qui lui rapporte en gratifications 10 200 livres par an. Il se lance dans la diplomatie, se voit confier une négociation secrète à la cour de Londres, est nommé ambassadeur à la cour de Russie, nomination remise en cause à la mort du tsar Pierre II, puis ministre plénipotentiaire auprès de l'Électeur de Cologne. Sa conduite pendant son ambassade, puis une imprudente attaque contre la maîtresse du roi, lui vaudra le ressentiment de Louis XV et il ne sera plus employé que pour des postes sans conséquence
Éducation
Donatien passe les trois premières années de sa vie à l’hôtel de Condé éloigné de ses parents. Élevé avec la conviction d’appartenir à une espèce supérieure, sa nature despotique et violente se révèle très tôt :
" Allié par ma mère, à tout ce que le royaume avait de plus grand ; tenant, par mon père, à tout ce que la province de Languedoc pouvait avoir de plus distingué ; né à Paris dans le sein du luxe et de l’abondance, je crus, dès que je pus raisonner, que la nature et la fortune se réunissaient pour me combler de leurs dons ; je le crus, parce qu’on avait la sottise de me le dire, et ce préjugé ridicule me rendit hautain, despote et colère ; il semblait que tout dût me céder, que l’univers entier dût flatter mes caprices, et qu’il n’appartenait qu’à moi seul et d’en former et de les satisfaire. "
De quatre à dix ans, son éducation est confiée à son oncle, l’abbé Jacques-François de Sade, qui l’héberge au château de Saumane près de L'Isle-sur-la-Sorgue, où il s’est retiré après une existence mondaine.
Abbé commendataire d’Ébreuil dans le Bourbonnais, ce cadet de famille avait embrassé l’état ecclésiastique, devenant vicaire général de l’archevêque de Toulouse, puis de celui de Narbonne, en 1735. Chargé, par les états de Languedoc, d’une mission à la cour, il avait résidé plusieurs années à Paris, et s'est lié d’amitié avec Voltaire avec qui il correspondit au moins jusqu’en 1765 ("Vous qui b… mieux que Pétrarque/ Et rimez aussi bien que lui " lui écrit ce dernier) et avec Émilie du Châtelet. Historien de Pétrarque," moins un abbé qu’un seigneur curieux de toutes choses, et singulièrement d’antiquités et d’histoire" selon Maurice Heine (il y a à Saumane une bibliothèque enrichie par l’abbé, un médaillier et un cabinet d’histoire naturelle que le marquis aura toujours fort à cœur de conserver), ce sybarite selon un autre biographe, aime vivre et bien vivre, s’entourant de livres et de femmes.
À dix ans, Donatien entre au collège Louis-le-Grand que dirigent les pères jésuites, établissement alors le mieux fréquenté et le plus cher de la capitale. Les représentations théâtrales organisées par les pères sont sans doute à l’origine de la passion de Sade pour l’art du comédien et la littérature dramatique.
Capitaine au régiment de Bourgogne cavalerie
Il a à peine quatorze ans lorsqu’il est reçu à l’École des chevaux-légers de la garde du roi, en garnison à Versailles, qui n’accepte que des jeunes gens de la plus ancienne noblesse. À dix-sept ans, il obtient une commission de cornette (officier porte-drapeau), au régiment des carabiniers du comte de Provence, frère du futur Louis XVI, et prend part à la guerre de Sept Ans contre la Prusse. À dix-neuf ans, il est reçu comme capitaine au régiment de Bourgogne cavalerie avec l’appréciation suivante : « joint de la naissance et du bien à beaucoup d’esprit ; a l’honneur d’appartenir à M. le prince de Condé par Madame sa mère qui est Maillé-Brézé."
"Fort dérangé, mais fort brave. " La seule appréciation retrouvée sur ses états de service en 1763 montre que le jeune homme a été un cavalier courageux. Mais il a déjà la pire réputation. Il est joueur, prodigue et débauché. Il fréquente les coulisses des théâtres et les maisons des proxénètes. « Il est assurément peu de plus mauvaises écoles que celles des garnisons, peu où un jeune homme corrompe plus tôt et son ton et ses mœurs », écrit-il lui-même dans Aline et Valcour. Pour se débarrasser d’un fils qu’il sent "capable de faire toutes sortes de sottises ", le comte de Sade lui cherche une riche héritière.
Donatien voudrait épouser Laure de Lauris-Castellane, héritière d’une vieille famille du Luberon dont il est amoureux fou et avec qui il a une liaison. Les deux familles se connaissent bien, le grand-père du marquis et M. de Lauris ont été syndics de la noblesse du Comtat Venaissin mais Mlle de Lauris est réticente et le comte a fixé son choix sur l’héritière des Montreuil. "Tous les autres mariages ont rompu sur sa très mauvaise réputation" écrit-il

Mariage

Le 17 mai 1763, le mariage du marquis et de Renée-Pélagie, fille aînée de Cordier de Montreuil, président honoraire à la cour des Aides de Paris, de petite noblesse de robe, mais dont la fortune dépasse largement celle des Sade, est célébré à Paris en l'église Saint-Roch. Les conditions financières ont été âprement négociées par le comte de Sade et la présidente de Montreuil, femme énergique et autoritaire. Il n'existe pas de portrait de Renée-Pélagie. Le comte de Sade la décrit ainsi à sa sœur : "Je n'ai pas trouvé la petite laide, dimanche ; elle est fort bien faite, la gorge fort jolie, le bras et la main fort blanche. Rien de choquant, un caractère charmant."

La correspondance familiale montre, sans aucun doute possible, que le marquis et la nouvelle marquise se sont entendus à peu près parfaitement." Il est très bien avec sa femme. Tant que cela durera, je lui passerai tout le reste" (le comte à l’abbé, juin 1763). " eur tendre amitié paraît bien réciproque " (madame de Montreuil à l’abbé en août). Renée-Pélagie aima son mari tant qu’elle le put, jusqu’au bout de ses forces. Mais le marquis a plusieurs vies. Il continue de fréquenter les bordels, comme celui de la Brissault, et abrite ses nombreuses aventures dans des maisons qu'il loue à Paris, à Versailles et à Arcueil.
Quatre mois après son mariage, il est enfermé au donjon de Vincennes sur ordre du Roi à la suite d'une plainte déposée par une fille galante, Jeanne Testard . " Petite maison louée, meubles pris à crédit, débauche outrée qu’on allait y faire froidement, tout seul, impiété horrible dont les filles ont cru être obligées de faire leur déposition.", écrit le comte de Sade à son frère l’abbé en novembre 1763. Son intervention et celle des Montreuil le font libérer et assigner à résidence jusqu’en septembre 1764 au château d’Échauffour en Normandie chez ses beaux-parents.
Il succède à son père dans la charge de lieutenant général aux provinces de Bresse, Bugey, Valromey et Gex. Il se rend à Dijon pour prononcer le discours de réception devant le parlement de Bourgogne. De retour à Paris, il a des liaisons avec des actrices connues pour leurs amours vénales avec de grands seigneurs : Mlle Colet, dont il tombe amoureux, Mlle Dorville, Mlle Le Clair, Mlle Beauvoisin, qu’il amène à La Coste, où il la laisse passer pour sa femme au grand scandale de sa famille. Il réplique assez brutalement à une de ses tantes, l’abbesse de Saint-Benoît, qui lui adresse une lettre de remontrance :
« Vos reproches sont peu ménagés, ma chère tante. À vous parler vrai, je ne m’attendais pas à trouver dans la bouche d’une sainte religieuse des termes aussi forts. Je ne permets, ne souffre, ni n’autorise, que l’on prenne pour ma femme la personne qui est chez moi. Quand une de vos tantes, mariée comme moi, vivait ici publiquement avec un amoureux, regardiez-vous déjà La Coste comme un lieu maudit ? Je ne fais pas plus de mal qu’elle, et nous en ferons fort peu tous deux. Quant à celui de qui vous tenez ce que vous me dites (son oncle, l’abbé de Sade, qui réside au château de Saumane), tout prêtre qu’il est, il a toujours un couple de gueuses chez lui ; excusez, je me sers des mêmes termes que vous ; est-ce un sérail que son château, non, c’est mieux, c’est un b…
Pardonnez mes travers, c’est l’esprit de famille que je prends, et si j’ai un reproche à me faire, c’est d’avoir eu le malheur d’y être né. Dieu me garde de tous les ridicules et vices dont elle fourmille. Je me croirais presque vertueux si Dieu me fait grâce de n’en adopter qu’une partie. Recevez, ma chère tante, les assurances de mon respect"
En 1767, son père, le comte de Sade, meurt. Le prince de Condé et la princesse de Conti acceptent d’être les parrains de son premier fils, Louis-Marie.
Depuis la fin 1764, il est surveillé par la police. " Il était essentiel, même politiquement, que le magistrat chargé de la police de Paris, sût ce qui se passait chez les personnes notoirement galantes et dans les maisons de débauche. " (Le Noir, successeur de Sartine à la lieutenance générale de police de Paris). Il apparaît dans les rapports de l’inspecteur Marais qui vont devenir, avec les lettres de Mme de Montreuil, les principales sources sur la vie du marquis à cette période. L’inspecteur Marais note dans un rapport de 1764 : "J’ai fort recommandé à la Brissault, sans m’en expliquer davantage, de ne pas lui donner de filles pour aller avec lui en petites maisons. ». Le 16 octobre 1767, il prévient : « On ne tardera pas à entendre parler encore des horreurs du comte de Sade. »

Scandales
La vie littéraire du nom de Sade commence par les scandales.
Arcueil



Maison d'Arcueil où Sade fit venir Rose Keller, le dimanche de Pâques, 3 avril 1768
On apprend, au printemps 1768, qu’un marquis a abusé de la pauvreté d'une veuve de trente ans, Rose Keller, demandant l'aumône place des Victoires : il a abordé la mendiante, lui a proposé une place de gouvernante et, sur son acceptation, l'a entraînée dans sa petite maison d'Arcueil. Là, il lui a fait visiter la maison, jusqu'à l'entraîner dans une chambre où il l'a attachée sur un lit, fouettée cruellement, enduit ses blessures de pommade et recommencé jusqu'à atteindre l'orgasme en la menaçant de la tuer si elle ne cessait de crier. Pour conclure, il l'a contrainte, puisque c'était le Dimanche de Pâques (sans doute Sade n'a-t-il pas choisi ce jour au hasard), à des pratiques blasphématoires. L’imaginaire collectif multiplie les détails qui viennent pimenter la relation des faits tandis que Restif de la Bretonne contribue à la mauvaise réputation du marquis en transformant la scène de flagellation en séance de vivisection. La rue et les salons s’émeuvent. La lettre de Madame du Deffand à Horace Walpole le 12 avril 1768 en témoigne. Rose réussit à s'enfuir par la fenêtre et à ameuter tout le village. La famille, Sade et Montreuil réunis, se mobilisent pour soustraire Sade à la justice commune et le placer sous la juridiction royale. Pendant sept mois, il est incarcéré au château de Saumur, puis à celui de Pierre-Scise. La plaignante reçoit de l’argent. L’affaire est jugée au Parlement en juin et le roi, à la demande de la comtesse de Sade — le comte étant mort un an plus tôt — fait libérer le coupable en novembre, mais lui enjoint de se retirer dans ses terres.

L'affaire de Marseille

En 1769, Sade est en Provence. Bals et comédies se succèdent à La Coste. En mai, naît à Paris son deuxième fils, Donatien-Claude-Armand, chevalier de Sade. Fin septembre, il voyage un mois en Hollande : Bruxelles, Rotterdam, La Haye, Amsterdam, peut-être pour y vendre un texte érotique. L'année suivante, il part pour l’armée pour y prendre ses fonctions de capitaine-commandant au régiment de Bourgogne cavalerie, mais l’officier supérieur qui le reçoit refuse de lui laisser prendre son commandement. En 1771, il vend sa charge de capitaine commandant. Sa carrière militaire est terminée. Naissance de sa fille Madeleine Laure. Il passe la première semaine de septembre à la prison parisienne pour dettes de For-l'Évêque. Début novembre, il est à Lacoste avec sa femme, ses trois enfants, et sa jeune belle-sœur de dix-neuf ans, Anne-Prospère de Launey, chanoinesse séculière chez les bénédictines, avec laquelle il va avoir une liaison violente et passionnée.


Le château de Mazan



Anne-Prospère de Launey.
" Je jure à M. le marquis de Sade, mon amant, de n’être jamais qu’à lui… "
Sade a trente ans. Il mange la dot de sa femme et ses revenus. Il fait réparer son château de Lacoste (bien dégradé) de quarante-deux pièces, donne libre cours à sa passion pour la comédie : construction d’un théâtre à Mazan, aménagement de celui de Lacoste, embauche de comédiens. Il envoie des invitations à la noblesse des environs à des fêtes et à des représentations théâtrales dont il est le régisseur et le maître de scène. Nous avons le programme des vingt-cinq soirées théâtrales qui étaient prévues du 3 mai au 22 octobre 1772 à Lacoste et à Mazan et qui seront interrompues le 27 juin par l’affaire de Marseille : des pièces de Voltaire, Destouches, Chamfort, Gresset, Regnard, Sedaine, Le Père de famille de Diderot. Il remporte un franc succès et toutes et tous le trouvent "fort séduisant, d’une élégance extrême, une jolie voix, des talents, beaucoup de philosophie dans l’esprit". L’argent fait défaut, il s’endette pour payer ses " folles dépenses " (Mme de Montreuil). " Si sa passion dure, elle l’aura bientôt ruinée. " (abbé de Sade).


Portrait imaginaire du xixe siècle, par H. Biberstein : Sade soumis aux quatre vents des suggestions diaboliques
Tout aurait pu tomber dans l’oubli si le scandale n’avait à nouveau éclaté en juin 1772. L’affaire de Marseille succède à celle d’Arcueil. Il ne s’agit plus cette fois d’une fille mais de quatre. Le marquis a proposé à ses partenaires sexuelles des pastilles à la cantharide. Deux filles se croient empoisonnées, les autres sont malades. Comme en 1768, la rumeur enfle. Le récit des Mémoires secrets de Bachaumont daté du 25 juillet 1772 en témoigne. L’aphrodisiaque est présenté dans l’opinion comme un poison. La participation active du valet justifie l’accusation de sodomie, punie alors du bûcher. La condamnation du parlement de Provence est cette fois la peine de mort pour empoisonnement et sodomie à l'encontre du marquis et de son valet.
Sade s’enfuit en Italie avec sa jeune belle-sœur. Les amants sont à Venise fin juillet, visitent quelques autres villes d’Italie, puis la chanoinesse rentre brusquement en France à la suite d’une infidélité du marquis``. Ce dernier a fixé sa résidence en Savoie, mais le roi de Sardaigne le fait arrêter le 8 décembre 1772 à Chambéry à la demande de sa famille et incarcérer au fort de Miolans. Mme de Sade achète des gardiens et le fait évader le 30 avril 1773. Réfugié clandestinement dans son château — officiellement il est à l’étranger — le marquis échappe aux recherches, prenant le large quand il y a des alertes. Le 16 décembre 1773, un ordre du Roi enjoint au lieutenant général de police de s’assurer de sa personne. Dans la nuit du 6 janvier 1774, un exempt suivi de quatre archers et d’une troupe de cavaliers de la maréchaussée envahit le château. Sans résultat. En mars, Sade prend la route de l’Italie, déguisé en curé "M. le curé a très bien fait son voyage à ce que dit le voiturier, excepté que la corde du bac où il était ayant cassé sur la Durance que l’on passe pour aller s’embarquer à Marseille, les passagers voulaient se confesser.", écrit Madame de Sade le 19 mars. L’idée de devenir confesseur a dû intéresser Sade, malgré son manque d’entrain, commente Jean-Jacques Pauvert.

Le château de La Coste



Le château familial de La Coste bâti sur l’un des contreforts du Luberon, pillé à la Révolution, puis vendu.
La marquise et sa mère travaillent à obtenir la cassation de l’arrêt d’Aix, mais l’affaire de Marseille l’a cette fois coupé de son milieu. L'affaire des petites filles va le couper de sa famille.
"Nous sommes décidés, par mille raisons, à voir très peu de monde cet hiver… " écrit le marquis en novembre 1774 . Il a recruté à Lyon et à Vienne comme domestiques cinq " très jeunes " filles et un jeune secrétaire ainsi que « trois autres filles d’âge et d’état à ne point être redemandées par leurs parents" auxquelles s’ajoute l’ancienne domesticité. Mais bientôt les parents déposent une plainte "pour enlèvement fait à leur insu et par séduction ". Une procédure criminelle est ouverte à Lyon. Le scandale est cette fois étouffé par la famille (toutes les pièces de la procédure ont disparu), mais l’affaire des petites filles nous est connue par les lettres conservées par le notaire Gaufridy , publiées en 1929 par Paul Bourdin. "Les lettres du fonds Gaufridy ne disent pas tout, écrit ce dernier, mais elles montrent nettement ce que la prudence de la famille et les ordres du roi ont dérobé à la légende du marquis. Ce n’est pas dans les affaires trop célèbres de la Keller et de Marseille, mais dans les égarements domestiques de M. de Sade qu’il faut chercher la cause d’un emprisonnement qui va durer près de quatorze années et qui commence au moment même où l’on poursuit l’absolution judiciaire des anciens scandales. On verra par la suite avec quel soin madame de Montreuil s’est préoccupée de faire disparaître les traces de ces orgies. L’affaire est grave car le marquis a de nouveau joué du canif. Une des enfants, la plus endommagée, est conduite en secret à Saumane chez l’abbé de Sade qui se montre très embarrassé de sa garde et, sur les propos de la petite victime, accuse nettement son neveu. Une autre fille, Marie Tussin, du hameau de Villeneuve-de-Marc, a été placée dans un couvent de Caderousse, d’où elle se sauvera quelques mois plus tard. Le marquis prépare une réfutation en règle de ce qu’a dit l’enfant confiée à l’abbé, mais elle n’est pas la seule à avoir parlé. Les fillettes d’ailleurs n’accusent point la marquise et parlent au contraire d’elle « comme étant la première victime d’une fureur qu’on ne peut regarder que comme folie ". Leurs propos sont d’autant plus dangereux qu’elles portent, sur leurs corps et sur leurs bras, les preuves de leurs dires. Les priapées de la Coste ont peut-être inspiré les fantaisies littéraires des Cent vingt jours de Sodome, mais le canevas établi par le marquis passe de loin ces froides amplifications. C’est un sabbat mené à bave-bouche avec le concours de l’office. Gothon y a probablement chevauché le balai sans entrer dans la danse, mais Nanon, y a pris une part dont elle va rester toute alourdie ; les petites ravaudeuses de la marquise y ont livré leur peau au jeu des boutonnières et le jeune secrétaire a dû y faire la partie de flûte."
Pour changer d'air, le marquis reprend la route de l'Italie le 17 juillet 1775 sous le nom de comte de Mazan. Il reste à Florence jusqu’au 21 octobre, puis se rend à Rome. De janvier à mai 1776, il est à Naples ; il fait expédier à Marseille deux grandes caisses pleines de curiosités et d’antiquailles, mais il s’ennuie en Italie. Son retour en août à Lacoste fait surgir de nouvelles menaces. Le 17 janvier, le père d’une jeune servante (que M. et Mme de Sade ont rebaptisé Justine !) vient réclamer sa fille et tire sur Sade. " Il a dit qu’il lui avait été dit qu’il pouvait me tuer en toute assurance et qu’il ne lui arriverait rien » s’indigne Sade à Gaufridy. Contre les avis de son entourage provençal (l’avocat aixois Reinaud qui a prévu l’événement écrit à Gaufridy le 8 février : " le marquis donne dans le pot au noir comme un nigaud. Sur ma parole, le mois ne s’écoule point que notre champion soit coffré à Paris. » Peu de jours après, il demande si notre Priape respire toujours le bon air ), le marquis décide de se rendre à Paris fin janvier.
Il est arrêté dans la capitale le 13 février 1777 et incarcéré au château de Vincennes par lettre de cachet, à l’instigation de sa belle-mère, Madame de Montreuil. Cette mesure lui évite l’exécution, mais l’enferme dans une prison en attendant le bon vouloir du gouvernement et de la famille. Or la famille a maintenant peur de ses excès. Elle a soin de faire casser la condamnation à mort par le parlement de Provence (le marquis profitera de son transfert à Aix pour s’évader une nouvelle fois et se réfugier à Lacoste ; il sera repris au bout de quarante jours), mais sans faire remettre le coupable en liberté.
Treize années de captivité (Vincennes, Bastille, Charenton)


Sade est emprisonné dans le donjon de VIncennes en 1777, puis de 1778 à 1784, puis est transféré à la Bastille en 1784



A la Bastille, Sade est enfermé, au 2e puis au 6e étage de la tour Liberté
" Le plus honnête, le plus franc et le plus délicat des hommes, le plus compatissant, le plus bienfaisant, idolâtre de mes enfants, pour le bonheur desquels je me mettrais au feu. Voilà mes vertus. Pour quant à mes vices : impérieux, colère, emporté, extrême en tout, d'un dérèglement d'imagination sur les mœurs qui de la vie n'a eu son pareil, athée jusqu'au fanatisme, en deux mots me voilà, et encore un coup, ou tuez-moi ou prenez-moi comme cela ; car je ne changerai pas "
Tel est le portrait que Sade trace de lui-même, dans une lettre à sa femme de septembre 1783. Et il ajoute :
"Si, comme vous le dites, on met ma liberté au prix du sacrifice de mes principes ou de mes goûts, nous pouvons nous dire un éternel adieu, car je sacrifierais, plutôt qu’eux, mille vies et mille libertés, si je les avais."
Sade a trente-huit ans. Il restera onze ans enfermé, à Vincennes puis à la Bastille. À Vincennes, il est "enfermé dans une tour sous dix-neuf portes de fer, recevant le jour par deux petites fenêtres garnies d’une vingtaine de barreaux chacune ". Il devient pour ses geôliers Monsieur le 6, d'après son numéro de cellule (que l'on visite encore aujourd'hui) selon l’usage dans les forteresses royales. À la Bastille, il est enfermé, au 2e puis au 6e étage de la tour Liberté. Chaque tour comporte 4, 5 ou 6 chambres superposées, généralement octogonales, de 6 à 7 mètres de largeur, avec environ 5 mètres sous plafond et une grande fenêtre barrée d'une triple grille. Comme à Vincennes, il devient la Deuxième Liberté.
Il a droit à un traitement de faveur, payant une forte pension. Mme de Montreuil, sa famille attendent de lui une conduite assagie pour faire abréger sa détention. Ce sera tout le contraire : altercation avec d’autres prisonniers dont Mirabeau, violences verbales et physiques, menaces, lettres ordurières à sa belle-mère et même à sa femme qui lui est pourtant entièrement dévouée. La présidente de Montreuil ne juge pas possible une libération. En 1785, sa femme écrit : " M. de Sade, c’est toujours la même chose : il ne peut retenir sa plume et cela lui fait un tort incroyable." " L’effervescence de caractère ne change point » souligne Mme de Montreuil, " n long accès de folie furieuse " note Le Noir, traité dans une lettre de juillet 1783 de " foutu ganache" et de "protecteur-né des bordels de la capitale".
La libération devenant improbable, la rage s’éternise dans ses lettres de Vincennes et de la Bastille :
"Depuis que je ne puis plus lire ni écrire (de janvier à juillet 83, Sade perd presque totalement l’usage d’un œil), voilà le cent onzième supplice que j’invente pour elle (sa belle-mère Madame de Montreuil). Ce matin, je la voyais écorchée vive, traînée sur des chardons et jetée ensuite dans une cuve de vinaigre. Et je lui disais : exécrable créature, voilà, pour avoir vendu ton gendre à des bourreaux ! Voilà, pour avoir ruiné et déshonoré ton gendre ! Voilà, pour lui avoir fait perdre les plus belles années de sa vie, quand il ne tenait qu’à toi de le sauver après son jugement !
" Ma façon de penser, dites-vous, ne peut être approuvée. Eh, que m'importe ! Bien fou est celui qui adopte une façon de penser pour les autres ! Ma façon de penser est le fruit de mes réflexions; elle tient à mon existence, à mon organisation. Je ne suis pas le maître de la changer ; je le serais, que je ne le ferais pas. Cette façon de penser que vous blâmez fait l'unique consolation de ma vie ; elle allège toutes mes peines en prison et j'y tiens plus qu'à la vie. Ce n'est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c'est celle des autres.
Ce qui n’exclut pas chez le prisonnier Sade le recours à l’ironie :
"Si j'avais eu Monsieur le 6 à guérir, je m'y serais pris bien différemment, car au lieu de l'enfermer avec des anthropophages, je l'aurais clôturé avec des filles ; je lui en aurais fourni en si bon nombre que le diable m'emporte si, depuis sept ans qu'il est là, l'huile de la lampe n'était pas consumée ! Quand on a un cheval trop fougueux, on le galope dans les terres labourées ; on ne l'enferme pas à l'écurie.Monsieur le 6, au milieu d'un sérail, serait devenu l'ami des femmes ; uniquement occupé de servir les dames et de satisfaire leurs délicats désirs, Monsieur le 6 aurait sacrifié tous les siens. Et voilà comme, dans le sein du vice, je l'aurais ramené à la vertu !
Ou lorsque l'administration pénitentiaire lui refuse les Confessions de Jean-Jacques Rousseau :
" Me refuser les Confessions de Jean-Jacques est encore une excellente chose, surtout après m'avoir envoyé Lucrèce et les dialogues de Voltaire ; ça prouve un grand discernement, une judiciaire profonde dans vos directeurs. Hélas ! ils me font bien de l'honneur, de croire qu'un auteur déiste puisse être un mauvais livre pour moi ; je voudrais bien en être encore là. Vous n'êtes pas sublimes dans vos moyens de cure, Messieurs les directeurs ! .Ayez le bon sens de comprendre que Rousseau peut être un auteur dangereux pour de lourds bigots de votre espèce, et qu'il devient un excellent livre pour moi. Jean-Jacques est à mon égard ce qu'est pour vous une Imitation de Jésus-Christ. La morale et la religion de Rousseau sont des choses sévères pour moi, et je les lis quand je veux m'édifier. Vous avez imaginé faire merveille, je le parierais, en me réduisant à une abstinence atroce sur le péché de la chair. Eh bien, vous vous êtes trompés : vous avez échauffé ma tête, vous m'avez fait former des fantômes qu'il faudra que je réalise"
Sans oublier des accès de folâtrerie dignes de Molière, ainsi sa réplique à son valet La Jeunesse le 8 octobre 1779 :
" Tu fais l'insolent, mon fils ! Si j'étais là je te rosserais… Comment, vieux jean foutre de singe, visage de chiendent barbouillé de jus de mûre, échalas de la vigne de Noé, arête de la baleine de Jonas, vieille allumette de briquet de bordel, chandelle rance de vingt-quatre à la livre, sangle pourrie du baudet de ma femme, Ah, vieille citrouille confite dans du jus de punaise, troisième corne de la tête du diable, figure de morue allongée comme les deux oreilles d'une huître, savate de maquerelle, linge sale des choses rouges de Milli Printemps ( Mlle de Rousset ), si je te tenais, comme je t'en frotterais avec ton sale groin de pomme cuite qui ressemble à des marrons qui brûlent, pour t'apprendre à mentir de la sorte. "
L’incarcération l’amène à chercher dans l’imaginaire des compensations à ce que sa situation a de frustrant. Son interminable captivité excite jusqu’à la folie son imagination. Condamné pour débauches outrées, il se lance dans une œuvre littéraire qui s’en prend aux puissances sociales que sont la religion et la morale. "En prison entre un homme, il en sort un écrivain." note Simone de Beauvoir.


Sade est embastillé


Le 22 octobre 1785, il entreprend la mise au net des brouillons des Cent Vingt Journées de Sodome, sa première grande œuvre, un « gigantesque catalogue de perversions " selon Jean Paulhan. Afin d’éviter la saisie de l’ouvrage, il en recopie le texte d’une écriture minuscule et serrée sur 33 feuillets de 11,5 cm collés bout à bout et formant une bande de 12 m de long, remplie des deux côtés.
Le 2 juillet 1789, " il s’est mis hier à midi à sa fenêtre, et a crié de toutes ses forces, et a été entendu de tout le voisinage et des passants, qu’on égorgeait, qu’on assassinait les prisonniers de la Bastille, et qu’il fallait venir à leur secours " rapporte le marquis de Launay, gouverneur de la Bastille qui obtient le transfert de "cet être que rien ne peut réduire " à Charenton, alors hospice de malades mentaux tenus par les frères de la Charité. On ne lui laisse rien emporter. " Plus de cent louis de meubles, six cents volumes dont quelques-uns fort chers et, ce qui est irréparable, quinze volumes de mes ouvrages manuscrits furent mis sous le scellé du commissaire de la Bastille." La forteresse ayant été prise, pillée et démolie, Sade ne retrouvera ni le manuscrit, ni les brouillons. La perte d’un tel ouvrage lui fera verser des "larmes de sang ".
Gilbert Lely a reconstitué l'itinéraire du manuscrit qui a été trouvé dans la chambre même du marquis, à la Bastille, par Arnoux de Saint-Maximin. Il devient la possession de la famille de Villeneuve-Trans qui le conservera pendant trois générations. À la fin du xixe siècle, il est vendu à un psychiatre berlinois Iwan Bloch, qui publiera en 1904, sous le pseudonyme d’Eugène Dühren, une première version comportant de nombreuses erreurs de transcription. En 1929, Maurice Heine, mandaté par le célèbre couple de mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles — cette dernière née Bischoffsheim étant une descendante du marquis — rachète le manuscrit et en publie, de 1931 à 1935, une version, qui, en raison de sa qualité, doit être considérée comme la véritable originale. En 1985, le manuscrit est vendu par une descendante du vicomte, à Genève, au collectionneur de livres rares Gérard Nordmann (1930-1992). Il a été exposé pour la première fois en 2004, à la Fondation Martin Bodmer, près de Genève.

Sade pendant la Révolution


Sade met sa plume au service de la Section des Piques. Le 2 novembre 1792, il lit son Idée sur le mode de la sanction des lois qui lui vaut les félicitations de ses collègues ; on en décide l’impression et l’envoi aux autres sections.
Rendu à la liberté le 2 avril 1790 par l’abolition des lettres de cachet, Sade s’installe à Paris. Il a cinquante ans. Il est méconnaissable, physiquement marqué par ces treize années. Il a prodigieusement grossi. "J’ai acquis, faute d’exercice, une corpulence si énorme qu’à peine puis-je me remuer." reconnaît-il.
La marquise, réfugiée dans un couvent, demande la séparation de corps et l’obtient. Il fait la connaissance de Marie-Constance Quesnet, " Sensible ", une comédienne de 33 ans qui ne le quittera plus jusqu’à sa mort. Il n’aspire plus qu’à couler des jours paisibles d’homme de lettres, vivant bourgeoisement des revenus de ses terres de Provence. Les dévergondages de son imagination, il les réserve désormais à son œuvre. Dès que je serai libre, avait-il prévenu en 1782, " ce sera avec une bien grande satisfaction que, me relivrant à mon seul genre, je quitterai les pinceaux de Molière pour ceux de l’Arétin ".
Ses fils émigrent, il ne les suit pas. Il essaie de faire jouer ses pièces sans grand succès. Sa qualité de ci-devant le rend a priori suspect. Pour survivre, il se lance dans la cause populaire et met ses talents d'homme de lettres au service de sa section de la place Vendôme, la section des Piques — à laquelle appartient Robespierre (et les Montreuil ! Sade ne profitera pas de cet retournement de situation pour se venger de sa belle-mère qui l'a fait enfermer à Vincennes et à la Bastille ; bien au contraire, il sauvera ses beaux-parents pendant sa présidence de section)
En 1792, " Louis Sade, homme de lettres " est nommé secrétaire, puis en juillet 1793, président de sa section. Le 9 octobre 1793, il prononce le Discours aux mânes de Marat et de Le Peletier lors de la cérémonie organisée en hommage aux deux "martyrs de la liberté ". Entraîné par le succès de ses harangues et de ses pétitions, emporté par sa ferveur athée, il prend des positions extrêmes en matière de déchristianisation, au moment où le mouvement va être désavoué par Robespierre et les sans-culottes les plus radicaux éliminés de la scène (les Hébertistes vont être exécutés le 24 mars).
Le 15 novembre, il est chargé de rédiger et de lire à la Convention, en présence de Robespierre qui déteste l'athéisme et les mascarades antireligieuses, une pétition sur l'abandon des « illusions religieuses » au nom de six sections :
« Législateurs, le règne de la philosophie vient anéantir enfin celui de l'imposture. Envoyons la courtisane de Galilée se reposer de la peine qu’elle eut de nous faire croire, pendant dix-huit siècles, qu’une femme peut enfanter sans cesser d’être vierge ! Congédions aussi tous ses acolytes ; ce n’est plus auprès du temple de la Raison que nous pouvons révérer encore des Sulpice ou des Paul, des Magdeleine ou des Catherine.."
Il s'expose imprudemment en cette occasion. " Sa masse considérable était-elle couverte d’une chasuble ? Tient-il la crosse en main ? A-t-il posé la mitre sur ses cheveux presque blancs ? Au moins – c’était pratiquement obligatoire en novembre 93, dans sa position, un bonnet rouge ?" se demande Pauvert. Une semaine plus tard, Robespierre répond dans son Discours pour la liberté des cultes prononcé au club des Jacobins : " Nous déjouerons dans leurs marches contre-révolutionnaires ces hommes qui n'ont eu d'autre mérite que celui de se parer d'un zèle anti-religieux… Oui, tous ces hommes faux sont criminels, et nous les punirons malgré leur apparent patriotisme." Lever écrit : " Robespierre et Sade ! Le premier, cravaté de roideur vertueuse ne pouvait que mépriser l'adiposité de son collègue de section. Ce prototype du voluptueux lui inspira sûrement, dès la première rencontre, un insupportable dégoût. L'antipathie de Robespierre dut se changer en haine après la pétition du 15 novembre" Le 8 décembre, Sade est incarcéré aux Madelonnettes comme suspect. En janvier 1794, il est transféré aux Carmes, puis à Saint-Lazare. Le 27 mars, Constance Quesnet réussit à le faire transférer à Picpus, dans une maison de santé hébergeant de riches « suspects » incarcérés dans différentes prisons de Paris que l’on faisait passer pour malades, la maison Coignard, voisine et concurrente de la pension Belhomme que Sade qualifie en 1794 de paradis terrestre.
Le 26 juillet (8 thermidor) il est condamné à mort par Fouquier-Tinville pour intelligences et correspondances avec les ennemis de la République avec vingt-huit autres accusés. Le lendemain (9 thermidor), l’huissier du Tribunal se transporte dans les diverses maisons d’arrêt de Paris pour les saisir au corps, mais cinq d’entre eux manquent à l’appel, dont Sade. Il est sauvé par la chute de Robespierre et quitte Picpus le 15 octobre. À quoi doit-il d’avoir échappé à la guillotine ? au désordre des dossiers et à l’encombrement des prisons comme le pense Lely, ou aux démarches et aux pots-de-vin de Constance Quesnet qui a des amis37 au Comité de sûreté générale, comme le croient ses deux plus récents biographes Pauvert et Lever ? On en est réduit aux hypothèses.
" Ma détention nationale, la guillotine sous les yeux, écrit Sade à son homme d’affaires provençal le 21 janvier 1795, m’a fait cent fois plus de mal que ne m’en avaient fait toutes les bastilles imaginables."
En 1795, il publie Aline et Valcour " par le citoyen S***" et la Philosophie dans le boudoir suivie de la mention « Ouvrage posthume de l’auteur de Justine". En 1796, il vend le château de La Coste au député du Vaucluse Rovère. Il voyage en Provence avec Constance Quesnet de mai à septembre 1797 pour essayer de vendre les propriétés qui lui restent mais son nom se trouve par erreur sur la liste des émigrés du Vaucluse, l'administration le confondant avec son fils Louis-Marie qui a émigré, ce qui place ses biens sous séquestre et le prive de ses principaux revenus. Sa situation s’est considérablement dégradée. Aux abois, couvert de dettes, il doit gagner sa vie.
La production d’ouvrages clandestins pornographiques devient pour Sade une bénéfique ressource financière : en 1799, La Nouvelle Justine suivi de l’Histoire de Juliette, sa sœur, qu’il désavoue farouchement, lui permet de payer ses dettes les plus criardes. Les saisies de l’ouvrage n’interviendront qu’un an après sa sortie, mais déjà, l’étau se resserre. La presse se déchaîne contre lui et persiste à lui attribuer Justine en dépit de ses dénégations.
On lit dans l'Ami des lois du 29 août 1799 : "On assure que de Sade est mort. Le nom seul de cet infâme écrivain exhale une odeur cadavéreuse qui tue la vertu et inspire l’horreur : il est auteur de Justine ou les Malheurs de la vertu. Le cœur le plus dépravé, l’esprit le plus dégradé, l’imagination la plus bizarrement obscène ne peuvent rien inventer qui outrage autant la raison, la pudeur, l’humanité."


"Justine, l' œuvre emblématique


Certaines figures de fiction ont accompagné leur créateur tout au long de leur vie : comme Faust pour Goethe ou Le Mariage de Figaro pour Beaumarchais, c’est le cas de Justine pour Sade.
En mars 1791, une lettre de Sade à Reinaud, son avocat à Aix, annonce en ces termes la sortie prochaine de Justine : " On imprime actuellement un roman de moi, mais trop immoral pour être envoyé à un homme aussi pieux, aussi décent que vous. J’avais besoin d’argent, mon éditeur me le demandait bien poivré, et je lui ai fait capable d’empester le diable. On l’appelle Justine ou les Malheurs de la vertu. Brûlez-le et ne le lisez point s’il tombe entre vos mains : je le renie."
Une première version, Les Infortunes de la vertu, est rédigée à la Bastille en 1787. Par étapes successives, l’auteur ajoute de nouveaux épisodes scabreux qu’il fait se succéder les uns aux autres, comme un feuilleton.
Deux volumes en 1791, pas moins de dix volumes illustrés de cent gravures pornographiques en 1799 sous le Directoire, " la plus importante entreprise de librairie pornographique clandestine jamais vue dans le monde " selon Jean-Jacques Pauvert, sous le titre de La Nouvelle Justine ou les malheurs de la vertu, suivie de l’Histoire de Juliette, sa sœur.
Le livre scandalise, mais surtout il fait peur : très vite on sent que la subversion l’emporte sur l’obscénité. C’est pourquoi les contemporains lui refusent ce minimum de tolérance dont bénéficient ordinairement les écrits licencieux. Justine, on la rejette en bloc, sans appel, on voudrait la voir anéantie. L’œuvre marque la naissance de la mythologie sadienne.


Treize ans chez les fous.



Bonaparte jetant Justine au feu (attribué à P. Cousturier) :
" le livre le plus abominable qu’ait enfanté l’imagination la plus dépravée ".
(Mémorial de Sainte-Hélène, t. II, Gallimard, Pléiade, 1948, p. 540)
Le 6 mars 1801 une descente de police a lieu dans les bureaux de son imprimeur. Le Consulat a remplacé le Directoire. Le Premier Consul Bonaparte négocie la réconciliation de la France et de la papauté et prépare la réouverture de Notre-Dame. On est plus chatouilleux sur les questions de morale. Sade est arrêté. Il va être interné, sans jugement, de façon totalement arbitraire, à Sainte-Pélagie. En 1803, son attitude provoque des plaintes qui obligent les autorités à le faire transférer le 14 mars à Bicêtre, la " Bastille de la canaille ", séjour trop infamant pour la famille qui obtient le 27 avril un nouveau transfert à l'asile de Charenton comme fou. Comme il jouissait de toutes ses facultés mentales, on invoqua l’obsession sexuelle : « Cet homme incorrigible, écrit le préfet Dubois, est dans un état perpétuel de démence libertine. »
Il reste, dans les Souvenirs de Charles Nodier, un portrait de Sade au moment de son transfert : "Un de ces messieurs se leva de très bonne heure parce qu’il allait être transféré, et qu’il en était prévenu. Je ne remarquai d’abord en lui qu’une obésité énorme, qui gênait assez ses mouvements pour l’empêcher de déployer un reste de grâce et d’élégance dont on retrouvait les traces dans l’ensemble de ses manières et dans son langage. Ses yeux fatigués conservaient cependant je ne sais quoi de brillant et de fin, qui s’y ranimait de temps à autre comme une étincelle expirante sur un charbon éteint" À Charenton, il jouit de conditions privilégiées. Il occupe une chambre agréable que prolonge une petite bibliothèque, le tout donnant sur la verdure du côté de la Marne. Il se promène dans le parc à volonté, tient table ouverte, reçoit chez lui certains malades ou leur rend visite. Constance Quesnet, se faisant passer pour sa fille naturelle, vient le rejoindre en août 1804 et occupe une chambre voisine. Aussitôt enfermé, et pendant des années, il proteste et s’agite. Il fait l’objet d’une étroite surveillance. Sa chambre est régulièrement visitée par les services de police, chargés de saisir tout manuscrit licencieux qui pourrait s’y trouver. Le 5 juin 1807, la police saisit un manuscrit, Les Journées de Florbelle, « dix volumes d’atrocités, de blasphèmes, de scélératesse, allant au-delà des horreurs de Justine et de Juliette" écrit le préfet Dubois à son ministre Fouché.
Sade sympathise avec le directeur de Charenton, M. de Coulmier. Ce dernier avait toujours cru aux vertus thérapeutiques du spectacle sur les maladies mentales. De son côté, le marquis nourrissait une passion sans bornes pour le théâtre. Il va devenir l’ordonnateur de fêtes qui défrayèrent la chronique de l’époque.
Coulmier fait construire un véritable théâtre. En face de la scène s’élèvent des gradins destinés à recevoir une quarantaine de malades mentaux, choisis parmi les moins agités. Le reste de la salle peut recevoir environ deux cents spectateurs, exclusivement recrutés sur invitation. Très vite, il devient du dernier chic d’être convié aux spectacles de Charenton. La distribution des pièces comporte en général un petit nombre d’aliénés, les autres rôles étant tenus soit par des comédiens professionnels, soit par des amateurs avertis comme M. de Sade ou Marie-Constance Quesnet. Le marquis compose des pièces pour le théâtre et dirige les répétitions.
Le médecin-chef, en désaccord avec le directeur, estime que la place de Sade n’est pas à l’hôpital mais " dans une maison de sûreté ou un château fort ". La liberté dont il jouit à Charenton est trop grande. Sade n’est pas fou mais rend fou. La société ne peut espérer le soigner, elle doit le soumettre à « la séquestration la plus sévère". En 1808, le préfet Dubois ordonne son transfert au fort de Ham. La famille intervient auprès de Fouché qui révoque l’ordre et autorise Sade à demeurer à Charenton.
En 1810, Sade a soixante-dix ans. Mais l’auteur de Justine fait toujours peur aux autorités. Le nouveau ministre de l’Intérieur, le comte de Montalivet, resserre la surveillance : "considérant que le sieur de Sade est atteint de la plus dangereuse des folies ; que ses communications avec les autres habitués de la maison offrent des dangers incalculables ; que ses écrits ne sont pas moins insensés que ses paroles et sa conduite; il sera placé dans un local entièrement séparé, de manière que toute communication lui soit interdite sous quelque prétexte que ce soit. On aura le plus grand soin de lui interdire tout usage de crayons, d’encre, de plumes et de papier. "
On dispose d'une description physique de Sade, âgé de soixante-douze ans, dans les mémoires de Mlle Flore, artiste au théâtre des Variétés : "Il avait une assez belle tête un peu longue, les coins de la bouche retombaient avec un sourire dédaigneux. Ses yeux, petits mais brillants, étaient dissimulés sous une forte arcade qu'ombrageaient d'épais sourcils"

Sade meurt en 1814. Quelques années auparavant, il avait demandé dans son testament à être enterré dans un bois de sa terre de la Malmaison, près d'Épernon :
"… La fosse une fois recouverte, il sera semé dessus des glands, afin que par la suite le terrain de ladite fosse se trouvant regarni, et le taillis se retrouvant fourré comme il l'était auparavant, les traces de ma tombe disparaissent de dessus la surface de la terre, comme je me flatte que ma mémoire s'effacera de l'esprit des hommes. "
Sa terre de la Malmaison étant vendue, il est enterré dans le cimetière de la maison de Charenton. La fosse est recouverte d’une pierre sur laquelle aucun nom n'est gravé.


De Sade au sadisme


Sade disparu, son patronyme, synonyme d’infamie, entre assez vite dans le langage commun comme substantif et adjectif. Le néologisme " sadisme " apparaît dès 1834 dans le Dictionnaire universel de Boiste comme " aberration épouvantable de la débauche : système monstrueux et antisocial qui révolte la nature."
" Voilà un nom que tout le monde sait et que personne ne prononce ; la main tremble en l’écrivant, et quand on le prononce les oreilles vous tintent d’un son lugubre " peut-on lire dans un dictionnaire de 1857 à l’article Sade. « Non seulement cet homme prêche l’orgie, mais il prêche le vol, le parricide, le sacrilège, la profanation des tombeaux, l’infanticide, toutes les horreurs. Il a prévu et inventé des crimes que le code pénal n’a pas prévus ; il a imaginé des tortures que l’Inquisition n’a pas devinées. "
C’est Krafft-Ebing, médecin allemand, qui donne, à la fin du XIXe siècle, un statut scientifique au concept de sadisme, comme antonyme de masochisme pour désigner une perversion sexuelle dans laquelle la satisfaction est liée à la souffrance ou à l’humiliation infligée à autrui.


Auteur clandestin

L'œuvre de Sade restera interdite pendant un siècle et demi. En 1957 encore, dans le procès Sade, Jean-Jacques Pauvert, éditeur de Justine, défendu par Maurice Garçon avec comme témoins Georges Bataille, Jean Cocteau et Jean Paulhan, sera condamné par la chambre correctionnelle de Paris « à la confiscation et la destruction des ouvrages saisis ».
Mais des éditions circulent sous le manteau, surtout à partir du Second Empire, époque des premières rééditions clandestines, destinées à un public averti et élitiste. « Génération après génération, la révolte des jeunes écrivains du xixe et du xxe siècle se nourrit de la fiction sadienne » écrit Michel Delon dans son introduction aux Œuvres de la Pléiade.
Sainte-Beuve en avertit les abonnés de La Revue des Deux Mondes en 1843 : " J’oserai affirmer, sans crainte d’être démenti, que Byron et de Sade (je demande pardon du rapprochement) ont peut-être été les deux plus grands inspirateurs de nos modernes, l’un affiché et visible, l’autre clandestin – pas trop clandestin. En lisant certains de nos romanciers en vogue, si vous voulez le fond du coffre, l’escalier secret de l’alcôve, ne perdez jamais cette dernière clé."
Flaubert est un grand lecteur de Sade. " Arrive. Je t’attends. Je m’arrangerai pour procurer à mes hôtes un de Sade complet ! Il y en aura des volumes sur les tables de nuit ! " écrit-il à Théophile Gautier le 30 mai 1857.
Les Goncourt notent dans leur Journal :
" C’est étonnant, ce de Sade, on le trouve à tous les bouts de Flaubert comme un horizon (10 avril 1860) … Causeries sur de Sade, auquel revient toujours, comme fasciné, l’esprit de Flaubert : " c’est le dernier mot du catholicisme, dit-il. Je m’explique : c’est l’esprit de l’Inquisition, l’esprit de torture, l’esprit de l’Église du Moyen Âge, l’horreur de la nature (20 janvier 1860)… Visite de Flaubert. – Il y a vraiment chez Flaubert une obsession de de Sade. Il va jusqu’à dire, dans ses plus beaux paradoxes, qu’il est le dernier mot du catholicisme (9 avril 1861). »
Baudelaire écrit dans Projets et notes diverses : " II faut toujours en revenir à de Sade, c'est-à-dire à l'Homme Naturel, pour expliquer le mal. " Les Fleurs du mal suggère ce quatrain à Verlaine :
Je compare ces vers étranges
Aux étranges vers que ferait
Un marquis de Sade discret
Qui saurait la langue des anges
Dans À Rebours, Huysmans consacre plusieurs pages au sadisme, « ce bâtard du catholicisme ».


Réhabilitation

Le tournant a lieu au début du xxe siècle, période où s’amorce un processus de libération des corps et des sexes et où l’érotisme se manifeste en littérature par des catalogues d’ « art érotique » et des traités d’éducation sexuelle. Sade suscite l'intérêt des scientifiques et des romanciers en raison du caractère précurseur de sa démarche.
Un psychiatre allemand Iwan Bloch, sous le pseudonyme d’Eugen Dühren, publie en 1901, simultanément à Berlin et à Paris, Le Marquis de Sade et son temps, et en 1904 le rouleau retrouvé des Cent Vingt Journées de Sodome. Il fait de l’œuvre sadienne un document exemplaire sur les perversions sexuelles, « un objet de l’histoire et de la civilisation autant que de la science médicale » tout en rapprochant les excès sadiens de la dégénérescence française du temps.


Article de Paul Éluard dans le numéro 8 du 1er décembre 1926 de La Révolution surréaliste :


" D.A.F. de Sade, écrivain fantastique et révolutionnaire ".
Apollinaire est le premier à faire paraître, en 1909, une anthologie, en choisissant des textes sadiens très prudents et en insistant sur les réflexions morales et politiques plutôt que sur les éléments scabreux. En même temps, à l’image d’un débauché capable des pires excès et au cas pathologique qui intrigue la science médicale, il substitue un portrait psychologique, à dimension humaine, où sont valorisés le savoir immense et le courage de " l’esprit le plus libre qui ait jamais existé ", d’un homme non " abominable ", trop longtemps nié alors qu’« il pourrait bien dominer le xxe siècle ".
À la suite d’Apollinaire, les surréalistes, se réclamant d’une logique de liberté et de frénésie, intègrent Sade, « prisonnier de tous les régimes " dans leur Panthéon. Sa présence est extraordinaire dans toutes leurs activités depuis le début. C’est Desnos qui écrit en 1923 : "Toutes nos aspirations actuelles ont été essentiellement formulées par Sade quand, le premier, il donna la vie sexuelle intégrale comme base à la vie sensible et intelligente " (De l’érotisme). C’est André Breton disant : " Sade est surréaliste dans le sadisme. " C’est Éluard en 1926 reconnaissant : " Trois hommes ont aidé ma pensée à se libérer d’elle-même : le marquis de Sade, le comte de Lautréamont et André Breton. "
Pour les surréalistes, Sade est un révolutionnaire et un anarchiste. Ses discours politiques — pourtant en partie opportunistes et de circonstance — font de lui un apôtre de la liberté et de la Révolution.
Le portrait imaginaire de Man Ray (1938), profil sculpté dans les pierres de la Bastille sur fond de Révolution en marche, symbolise cette vision que tout le xixe siècle et une grande partie du xxe siècle, jusqu’au graffiti de mai 68, " Sadiques de tous les pays, popularisez les luttes du divin marquis », se sont plu à répandre.
Mais Sade est l’écrivain de tous les paradoxes : après la Seconde Guerre mondiale et la découverte des camps de concentration, on le fait passer sans transition du communisme au nazisme :
éQue Sade n’ait pas été personnellement un terroriste, que son œuvre ait une valeur humaine profonde, n’empêcheront pas tous ceux qui ont donné une adhésion plus ou moins grande aux thèses du marquis de devoir envisager, sans hypocrisie, la réalité des camps d’extermination avec leurs horreurs non plus enfermées dans la tête d’un homme, mais pratiquées par des milliers de fanatiques. Les charniers complètent les philosophies, si désagréable que cela puisse être " ; écrit Raymond Queneau dans Bâtons, chiffres et lettres (1965), tandis que Simone de Beauvoir se demande : "Faut-il brûler Sade ? "
Après-guerre sont publiés sur la pensée sadienne, souvent par des philosophes, des textes qui font date : Sade mon prochain de Pierre Klossowski paraît en 1947, Lautréamont et Sade de Maurice Blanchot en 1949, La littérature et le mal puis " Sade, l’homme souverain » dans L’Érotisme, de Georges Bataille en 1957. Dans les années 1960, Sade devient, aux yeux de nombreux intellectuels français, un opérateur majeur de la " transgression " . Michel Foucault souligne et théorise l’importance de la figure de Sade dans l’ Histoire de la folie (1961), Les Mots et les choses (1966) et la « Présentation des Œuvres complètes de Bataille " (1970). Jacques Lacan publie Kant avec Sade en 1963. " La pensée de Sade " fait l’objet d’un numéro spécial de la revue Tel Quel, datée de l’hiver 1967 où figurent des textes de Philippe Sollers ("Sade dans le texte "), de Pierre Klossowski (" Sade ou le philosophe scélérat "), de Roland Barthes "L’arbre du crime "), d’Hubert Damisch "L’écriture sans mesure ".
Roland Barthes écrit en 1971 Sade, Fourier, Loyola et, dans La chambre claire (1980), il éclaire l’expérience du modèle photographique par le texte sadien. Sollers se fait l’auteur, en 1989, d’une œuvre apocryphe de Sade intitulée Contre l’Être suprême, pamphlet politique et philosophique.

Grands éditeurs et biographes


En 1929, Paul Bourdin est le premier à publier – avec une introduction, des annales et des notes – l’importante Correspondance inédite du marquis de Sade, de ses proches et de ses familiers, conservée par le notaire d'Apt Gaufridy, régisseur des biens des Sade en Provence pendant vingt-six ans et homme de confiance du marquis, de Mme de Sade et de Mme de Montreuil. Sans ces lettres, aujourd’hui disparues, dont les vers commençaient à faire " de la dentelle " et qui donnent l’histoire presque journalière de sa famille depuis le début de 1774 jusqu’en 1800, les grandes biographies de Sade n’auraient pu être aussi complètes.
Maurice Heine (1884-1940), un compagnon de route des surréalistes, dévoue sa vie à la connaissance et à l’édition de Sade. Il publie en 1931 la première transcription rigoureuse des Cent Vingt Journées en 360 exemplaires " aux dépens des bibliophiles souscripteurs ". Auparavant, il découvre et publie en 1926 le Dialogue d’un prêtre et d’un moribond, composé par Sade à la prison de Vincennes, et les Historiettes, Contes et fabliaux, ainsi que la première version de Justine, les Infortunes de la vertu (1930). Il exhume les procédures d’Arcueil et de Marseille. En 1933, il donne une nouvelle anthologie, toujours réservée à des amateurs.
la suite -> http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=1832#forumpost1832

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Posté le : 02/12/2012 12:27
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Romain Gary/Ajar
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Romain Gary l'homme double ou la multiplicité des talents. Emile Ajar/Romain Gary, Romain Gary/Emile Ajar, deux prix Goncourt sur une seule tête. L'exploit impossible, inattendu, si improbable s'est produit en dépit des règles et conditions d'attribution du Goncourt qui prévoient qu'il ne soit attribué qu'une seule fois par auteur, personne semble-t-il n'avait reconnu ce prestidigitateur de l'écriture. Et oui ! un Romain Gary pouvait en cacher un autre, et ainsi nous vîmes le prix suprême récompenser deux auteurs qui n'était en fait, Oh surprise! qu'un seul homme. Qui l'eut cru ? "Deux en un" promet la triviale publicité commerciale, Romain-Emile Gary-Ajar l'a fait. Janus, Athor, sigma Orionis ... cette étoile de l'art littéraire rejoint le panthéon des étoiles doubles. Etoile qui fut très certainement aussi, triple, quadruple ou plus en encore, le mystère du nombre de pseudonymes qui abritèrent ce talent reste derrière l'écrivain comme une trace aussi lumineuse qu'énigmatique de son passage parmi nous.

Cependant il semble que la mystification de Gary devenu Ajar, ne serait pas passée inaperçue de tous. Didier Van Cauwelaert dans dans son roman autobiographique "Le Père adopté", rapporte qu'une étudiante de la Faculté de lettres de Nice qu'il prénomme Héléne aurait préparé, deux ans avant la révélation publique, un mémoire soutenant, au grand désarroi de ses professeurs, que Gary et Ajar étaient une seule et même personne.
De ce talent remarquable Jérôme Garcin, "du dictionnaire de la littérature française du 2Oème siècle" dit de Romain Gary :
"Très publique, l'œuvre de Gary est coulée dans une langue claire, aérée, énergique comme dans certaines pages d'Hemingway et inspirée comme dans celles d'un Kessel. L'écrivain va droit au but, pour atteindre à coup sûr son lecteur."
D'autre part, Romain Gary est avant un personnage aux multiples noms, soit, mais il est aussi un homme aux multiples facettes : il est écrivain, mais aussi diplomate, cinéaste, héros de la France libre,
"Romain Gary est un marionnettiste, un montreur de personnages ambigus, inventeur de fables à double sens, cœur sensible et sourire moqueur, " clown lyrique ", il manie les ficelles du métier en se tenant à distance pour juger de l’effet produit, se plaisant à étonner et à séduire".
Nous verrons qu'il est aussi un être souffrant en quête de son identité, de son double.
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Sa vie

Romain Gary, de son vrai nom Roman Kacew (prononcer katsief, russe : Кацев) naît dans une famille Juive ashkénaze, le 8 mai 1914 à Vilna dans le sous-gouvernement de Vilna dans Empire Russe, Vilna qui deviendra Wilno et appartiendra à la Pologne après la première guerre mondiale, pour devenir Vilnius en Lituanie.
Tout se passe comme si cette instabilité, comme si la multiplicité de noms successifs de sa ville de natale présageait déjà, de son goût futur pour les pseudonymes multiples.
Son père était négociant en fourrure et sa mère modiste et actrice.
Son père Arieh Leib Kacew et sa mère Mina Owczyńska se sépareront rapidement. Son père est le second mari de la mère de Roman. Alors que Roman est encore enfant, son père participe à la Première Guerre mondiale.
En 1915, alors que son père est mobilisé dans l'armée russe, le jeune garçon et sa mère sont déportés vers le centre de la Russie en tant que juifs des pays baltes que les Russes soupçonnent de faire de l'espionnage au profit des Allemands.
En 1921, à l'âge de sept ans, il retourne à Wilno, devenu territoire polonais depuis la guerre russo-polonaise de 1920 où il vit jusqu'en 1927.
Ses parents se séparent et, avec sa mère, il gagne Varsovie où il fréquente l'école polonaise et prend des cours particuliers de français pendant deux ans.
Son père est de retour au foyer mais après un bref séjour au domicile conjugal, celui-ci quitte son épouse en 1925 pour aller vivre avec une autre femme, avec qui il aura deux enfants (tous les quatre meurent durant la Seconde Guerre mondiale).
Roman, jeune garçon orphelin de son père, est élevé dans un environnement instable, par sa mère seule.
Après avoir divorcé en 1926, elle vit quelque temps chez ses parents à Święciany (Švenčionys), puis s’installe avec son fils dans sa famille à Varsovie (Pologne).
En 1928 ils quittent la Pologne pour la France.

Lorsque le jeune Roman Kacew s'installe à Nice avec sa mère, il vient d'avoir 14 ans. Sa mère finit par prendre la direction d'un hôtel respectable, la pension Mermonts. Le jeune garçon ne trouve pas un pays serein, mais grandit dans un climat pesant en raison de l'antisémitisme et de la xénophobie croissants en France.
Le jeune Roman étudie au lycée de Nice, sans toutefois être un élève particulièrement brillant, il est médiocre à l'exception des matières littéraires. Il se distingue essentiellement par des prix de composition française obtenus en 1931 et 1932, en revanche dans les autres matières, sa scolarité est sans grand éclat, excepté en allemand qu'il parle et écrit très correctement.

Romain Kacew , en 1936 déménage, après avoir fait un court séjour à Aix-en-Provence, il va s'installer à Paris pour étudier le droit, il va obtenir péniblement sa licence en 1938.|
En parallèle, il suit une préparation militaire. En attendant son incorporation dans l'armée française, Gary, au terme de médiocres études, bûche sa procédure.
Il révise au petit jour et passe l'essentiel de son temps à écrire. C'est à cette époque qu'il publie ses premières nouvelles dans Gringoire, un hebdomadaire qui s'oriente ensuite à l'extrême-droite Romain Gary, en désaccord avec cette orientation politique renonça courageusement aux généreuses rétributions du journal, lorsque celui-ci affichera des idées fascistes et antisémites.
Il écrit à la rédaction une lettre pour dire en substance : « je ne mange pas de ce pain-là"

Naturalisé Français en 1935, il est appelé en 1938 au service militaire dans l'aviation.
Il est élève observateur à Salon-de-Provence.
En juin 1940, la guerre est déclarée, il est à Bordeaux, il s'évade en avion jusqu'à Alger, et se rend à Casablanca d'où un cargo britannique l'emmène à Glasgow.
Homme d'action, il s'engage aussitôt dans les Forces aériennes françaises libres (FAFL).
C'est à cette exacte période que Roman Kacew prend le pseudonyme de Romain Gary comme nom de résistant, il choisit de s'appeler ainsi car "Gary" cela signifie "brûle, feu " en langue russe et que ce fut le nom d’actrice de sa mère.
Puis il sert au Moyen-Orient, en Libye, et à Koufra en février 1941, en Abyssinie puis en Syrie où il contracte le typhus.
Après sa convalescence, il sert dans la défense côtière de la Palestine où il participe à l'attaque d'un sous-marin.
En février 1943, il est rattaché en Grande-Bretagne au Groupe de bombardement Lorraine.
C'est à dire qu'il est affecté à la destruction des bases de lancement des V1.
Le lieutenant Gary se distingue particulièrement le 25 janvier 1944 alors qu'il commande une formation de six appareils. Il est blessé, son pilote Arnaud Langer est aveuglé, mais il guide ce dernier, le dirige, réussit le bombardement, et ramène son escadrille à sa base.
Il effectue sur le front de l'Ouest plus de 25 missions, totalisant plus de 65 heures de vol de guerre. Pour ces services rendus à la nation, il sera fait compagnon de la Libération et sera nommé capitaine de réserve à la fin de la guerre.
Après la fin des hostilités, héros de la France Libre, il est décoré de la Croix de la Libération le 18 juin 1944, et, le 14 juillet 1945, le général De Gaulle lui remet la Légion d'Honneur.
La paix revenue, il embrasse alors la carrière diplomatique en 1945.
Cette même année, paraît son premier roman "L'Education européenne".
Il quitte le Quai d'Orsay en 1961, après avoir représenté la France en Bulgarie, en Suisse, en Bolivie et aux Etats-Unis, il préside également à la Mission permanente de la France auprès des Nations unies de 1952 à 1954, puis il vivra aux états-unies, en qualité de consul général de France à Los Angeles de 1956 à 1960, date à laquelle il se met en congé du ministère des Affaires étrangères.
Pendant sa carrière diplomatique, il écrit de nombreuses œuvres, dont le roman "Les racines du ciel"
En 1956, Romain Gary obtient le Prix Goncourt pour ce roman "Les Racines du Ciel".
Il a épousé une écrivaine anglaise, Lesley Branch, et plus tard l'actrice américaine Jean Seberg, mais il divorce des deux femmes. Il a un fils né en 1962, Alexandre Diego Gary

Époux de l'actrice Jean Seberg de 1963 à 1970, Romain Gary est aussi lié au cinéma pour la réalisation de deux films "Les Oiseaux vont mourir au Pérou" (1968) et "Kill" (1971) ainsi que par des adaptations de ses œuvres, telles que "Clair de femme" (Costa-Gavras) ou "La Vie devant soi" (Moshé Mizrahi).
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Sa vie dans son oeuvre

En 1944, de retour de guerre, Romain Gary apprend que sa mère (Nina) est morte depuis trois ans alors qu'il recevait régulièrement des lettres de sa main.
"Elle avait écrit près de deux cent cinquante lettres qu'une de ses amies devait expédier...
il déclare : "Elle savait bien que je ne pouvais tenir debout sans me sentir soutenu par elle et elle avait pris ses précautions ..."
Parlant de lui-même il écrit : "...Qu'on veuille bien regarder attentivement le firmament après ma mort : on y verra aux côtés d'Orion, des Pléiades ou de la Grande Ourse une constellation nouvelle : celle du Roquet humain accroché de toutes ses dents à quelque nez céleste..."
"...Je n'ai pas démérité, j'ai tenu ma promesse et je continue...",
"...Je n'ai pas de bête chez moi, parce que je m'attache très facilement et, tout compte fait, je préfère m'attacher à l'Océan, qui ne meurt pas vite." Extraits de "La Promesse de l'Aube".

Les "Psys" n'ont pas manqué de poser la question du Père.
Sur l'identité de celui-ci, précisément, Romain reste dans l'incertitude. Etait-il le fils de Kacew (son véritable nom de famille), second mari de sa mère, dont celle-ci se sépara juste après sa naissance ? Etait-il, comme il le supposa, le fils d'Ivan Masjoukine, star du cinéma muet, dont il conservera toute sa vie près de lui la photographie ? Sa mère garda là-dessus le silence.

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Sa mort

Après la mort de Jean Seberg le 30/08/1979, Gary n'écrira plus. "L'Angoisse du Roi Salomon" et "Les Cerfs-Volants", qui paraissent respectivement fin 1979 et début 80, ont été écrits antérieurement.
Quand donc le Destin est accompli, et qu'Elle n'est plus là, le mot Fin peut être posé et la vie s'interrompre.
" F. Bondy : Qu'est-ce que c'était le bonheur, pour toi ?
R. Gary : C'est lorsque j'étais couché, j'écoutais, je guettais, et puis j'entendais la clé dans la serrure, la porte qui se refermait, j'entendais les paquets qu'elle ouvrait à la cuisine, elle m'appelait pour savoir si j'étais heureux... Je me souviens très bien.
F. Bondy : Et pour conclure ?
R. Gary : La nuit sera calme. "
En 1978, lors d'un entretien avec la journaliste Caroline Monney, lorsque celle-ci lui pose la question : "Vieillir ?", Romain Gary répond :
"Catastrophe. Mais ça ne m'arrivera pas. Jamais. J'imagine que ce doit être une chose atroce, mais comme moi, je suis incapable de vieillir, j'ai fait un pacte avec ce monsieur là-haut, vous connaissez ? J'ai fait un pacte avec lui aux termes duquel je ne vieillirai jamais"
Dans "La Promesse de l'Aube", Romain Gary dit se jeter parfois sur le tapis, se plier, se déplier, se replier, se tordre et se rouler, "mais mon corps tient bon et je ne parviens pas à m'en dépêtrer ..." Et dans "Pseudo" : "Alors je deviens un python, une souris blanche, un chien, n'importe quoi pour prouver que je n'ai aucun rapport.

"On peut mettre cela évidemment au compte d'une dépression nerveuse, venait-il d'écrire, mais alors il faut admettre que celle-ci dure depuis que j'ai l'âge d'homme et m'aura permis de mener à bien mon œuvre littéraire… Je me suis exprimé entièrement."

Le 2 décembre 1980, Romain Gary se donnait la mort.

L'après-midi du 2 décembre 1980, l'écrivain Romain Gary se glisse un revolver de calibre 38 dans la bouche et se donne la mort..à son domicile 108 rue du Bac.
Au pied de son lit, il laisse une note mystérieuse datée "Jour J" : "Aucun rapport avec Jean Seberg, y lit-on.
Les fervents du cœur brisé sont priés de s'adresser ailleurs." Son ancienne épouse, la célèbre Patricia de "A bout de souffle", de Jean-Luc Godard, et sortit en 1959 s'est suicidée un an plus tôt, le 30 août 1979.
Dans La Promesse de l'aube, Romain Gary raconte qu'il a eu, par trois fois, la tentation de se tuer. A d'autres occasions, il expliquera qu'il n'a jamais voulu vieillir.


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La mystification de l'homme aux deux Nobel


Romain se cherche différents pseudonymes avant d'opter, en 1940 à Londres, pour celui de "Gary" signifiant "brûle" (impératif d'un verbe russe, extrait d'une chanson tzigane : "Brûle, brûle, mon amour".
En 1974, Las d'être la cible de critiques le considérant réactionnaire, du fait de son passé de diplomate gaulliste, il invente une écriture vive et drôle, à rattacher au courant post-moderniste, sous le nom de plume d'Emile Ajar :"braise" en russe.
Il l'incarne, le déclare en la personne de Paul Pavlowitch, fils du frère de Nina Kacew, né en 1942, l'année même du décès de celle-ci.
Pendant sept ans, c'est son petit cousin, Paul Pavlowitch, qui prête ses traits à Emile Ajar, notamment auprès des éditeurs. Un document posthume révèle que, avec la complicité de son neveu Paul Pavlowitch, Gary se dissimulait sous le pseudonyme du mystérieux Emile Ajar, dont les romans Gros Câlin (1974), La vie devant soi (Prix Goncourt 1975), Pseudo (1976), L’angoisse du roi Salomon (1979), marquent un tel renouvellement d’écriture que la supercherie ne fut jamais découverte du vivant de l’auteur qui la révèle dans un testament, Vie et mort d’Emile Ajar (1981 posthume).
Romain Gary en créant l'auteur de sa propre écriture, se fait en quelque sorte le père de lui-même.
Je suis Emile Ajar, écrit-il dans "Pseudo"... Je suis le fils de mes propres oeuvres et le père des mêmes ! Je suis mon propre fils et mon propre père !
On retrouve ici, une confusion identitaire qui l'aura suivi sa vie durant.
Ce "Pseudo" va brouiller les cartes, car c'est Paul alias Emile qui est censé écrire ce livre sur lui-même et sur son oncle Gary.
Dans "Pseudo", Emile Ajar se présente comme un malade psychiatrique : La simulation, poussée à ce point, et assumée pendant des années avec tant de constance et de continuité, témoigne par son caractère obsessionnel de troubles authentiques de la personnalité…
Orphelin, il éprouve depuis l'enfance un sentiment de haine envers un parent éloigné, recherche caractérisée du Père ......
..J'ai signé le nouveau contrat comme le précédent : Emile Ajar. J'étais inquiet : ça faisait deux fois que j'utilisais le même nom, et j'ai une peur bleue de la mort. Mais le Docteur Christianssen m'avait rassuré. ;
"Allez-y, le destin ne vous cherchera pas plus sous le nom d'Ajar que sous un autre. Il s'en fout." (Extraits de "Pseudo").
Le destin, qui s'impose à l'être, quelle que soit sa lucidité et quels que soient ses efforts pour y échapper, serait-il donc ce qui n'a rien à faire du Nom ? Ou ce qui se détermine lorsque ce Nom reste en souffrance, ce qui n'est certainement pas identique à la forclusion
Dans "La nuit sera calme" , Romain Gary dit à François Bondy que sa mère ne lui a durant vingt-cinq ans pas dit un mot sur son père.
Alors... changer de Nom et choisir ceux de Gary, Ajar, "brûle", "braise"... qui signent et maintiennent l'amour ardent de la mère en même temps que son injonction !
Changer de Nom, comme le serpent change de peau, pour être différent et identique.
En 1975 "La vie devant soi" de Emile Ajar, reçoit les lauriers du prix le plus couru de Paris, le prix Goncourt.
En écrivant plusieurs romans sous le pseudonyme Emile Ajar/ Romain Gary est le seul écrivain à avoir reçu deux fois le prix Goncourt, en 1956 pour "Les Racines du ciel" sous le nom de Romain Gary, puis en 1975 pour "La Vie devant soi" sous le nom d'Emile Ajar.
Donc, deux prix Goncourt, grâce à cette extraordinaire supercherie, à cette fiction réalisée, que fut l'invention d'Emile Ajar personnalisé par son petit cousin Paul Pavlowitch, Romain Gary avait accompli son destin.
La "supercherie" ne sera donc mise au jour qu'à la mort tragique de l'écrivain. Mais Romain Gary, né Roman Kacew à Vilnius en Lituanie en 1914, a également écrit sous les noms de Lucien Brûlard, Fosco Sinibaldi ou encore Shatan Bogat.
L’élément unificateur du périple qui fut sa vie, la question centrale à propos de Gary est le problème de l’identité. Dans, sa vie, dans son œuvre, dans son apparence physique même, Gary n’a cessé de changer, de superposer les visages, les noms, les identités, finissant par écrire sa vie comme l’une des pièces de son œuvre.
Dans Vie et mort d’Emile Ajar le romancier s’explique sur sa " nostalgie de la jeunesse, du début, du premier livre, du recommencement ", son angoisse existentielle face à l’enfermement dans un personnage, son désir d’échapper à soi-même et son malin plaisir d’avoir joué un bon tour au " parisianisme " honni. " Je me suis bien amusé, au revoir et merci ".
Dans sa dernière lettre découverte à sa mort, cet homme "incendié de songes" conclut : "Je me suis enfin exprimé entièrement."
Et met le point d'orgue en signant : "Romain Gary".


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Honneurs et récompenses

Plaque en mémoire de Romain Gary apposée sur son domicile parisien au n° 108 de la rue du Bac
Le nom de Romain Gary a été donné à une promotion de l'École nationale d'administration (2003-2005) et en 2006 à la place Romain-Gary dans le 15e arrondissement de Paris

Autres noms connus....... Émile Ajar, Shatan Bogat, Fosco Sinibaldi
Activités ....................... diplomate, écrivain, cinéaste
Naissance....................... 8 mai 1914 Vilnius1, Empire russe
Décès ............................ 2 décembre 1980 (à 66 ans) Paris, France
Langue d'écriture ........... français, anglais
Genres ........................... romans, scénarios, films
Distinctions..................... Prix Goncourt (1956 et 1975)

Décorations :
Commandeur de la Légion d’honneur
Compagnon de la Libération (20 novembre 1944)
Croix de guerre 1939-1945 (2 citations)
Médaille de la Résistance
Médaille des blessés
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Œuvres de Romain Gary

De nombreuses œuvres ont été adaptées au cinéma, dont :
Clair de femme (1979) par Costa-Gavras
La Vie devant soi (1977) par Moshé Mizrahi, Oscar du meilleur film en langue étrangère
Lui-même a réalisé deux films :
1968 : Les oiseaux vont mourir au Pérou
1972 : Police Magnum (Kill!)

Écrits
Sous le nom de Romain Kacew
1935 : L'Orage (publié le 15 février 1935 dans Gringoire)
1935 : Une petite femme (publié le 24 mai 1935 dans Gringoire)
1937 : Le Vin des morts
Sous le nom de Romain Gary
1945 : Éducation européenne
1946 : Tulipe
1949 : Le Grand Vestiaire
1952 : Les Couleurs du jour
1956 : Les Racines du ciel (prix Goncourt)
1960 : La Promesse de l'aube
1961 : Johnnie Cœur (théâtre)
1962 : Gloire à nos illustres pionniers (nouvelles)
1963 : Lady L.
1965 : Adieu Gary Cooper (The Ski Bum)
1965 : Pour Sganarelle (Frère Océan 1) (essai)
1966 : Les Mangeurs d'étoiles (La Comédie américaine 1)
1967 : La Danse de Gengis Cohn (Frère Océan 2)
1968 : La Tête coupable (Frère Océan 3)
1969 : Adieu Gary Cooper (La Comédie américaine 2)
1970 : Chien blanc
1971 : Les Trésors de la mer Rouge
1972 : Europa
1973 : Les Enchanteurs
1974 : La nuit sera calme (entretien fictif)
1975 : Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable
1977 : Clair de femme
1977 : Charge d'âme
1979 : La Bonne Moitié (théâtre)
1979 : Les Clowns lyriques
1980 : Les Cerfs-volants
1981 : Vie et mort d'Émile Ajar (posthume)
1984 : L’Homme à la colombe (version posthume définitive)
Sous le pseudonyme de Fosco Sinibaldi
1958 : L’Homme à la colombe
Sous le pseudonyme de Shatan Bogat
1974 : Les Têtes de Stéphanie
Sous le pseudonyme d’Émile Ajar
1974 : Gros-Câlin
1975 : La Vie devant soi (prix Goncourt)
1976 : Pseudo
1979 : L’Angoisse du roi Salomon

Films
1968 : Les oiseaux vont mourir au Pérou
1972 : Police Magnum / Kill !

Gary/ Ajar
Autres noms Émile Ajar, Shatan Bogat, Fosco Sinibaldi
Activités diplomate, écrivain, cinéaste
Naissance 8 mai 1914
Vilnius1, Empire russe
Décès 2 décembre 1980 (à 66 ans)
Paris, France
Langue d'écriture français, anglais
Genres roman
Distinctions Prix Goncourt (1956 et 1975)

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Quelques opinions de lecteur de Gary/Ajar

Romain Gary ?Je n'ai que vaguement lu des textes de cet auteur,aux mutiples identités,elles aussi très accomplies.Les intellectuels des pays de l'est,de Dostoïevsky,Gogol,Tolstoy,à Kortchnoï,Marie Curie(deux prix Nobel)Soljenitzyne,Sakharov,etc.,furent des lutteurs de grands envergure(Sans oublier les formidables musiciens, peintres,sculpteurs,etc..)..

Un grand écrivain qui, malheureusement, malgré ses deux Goncourt n'a pas vraiment été reconnu, du moins de son vivant. franchement, comment le milieu littéraire a-t-il pu croire à ce petit cousin miraculeusement doué? fallait-ils méprisent Romain gary, eux les critiques pour y croire! On lui reprochait de n'être pas Saint-Ex, de n'être pas Malraux, de n'être pas Kessel, le trio des écrivains volants, pas de place pour le quatrième mousquetaire qui était pourtant bien leur égal!

Un authentique résistant, en politique et en humanisme, "compagnon" du Général de Gaulle, mais esprit trop indépendant pour se ranger comme ministrable ou suiveur, trop libre aussi intellectuellement pour se laisser abuser par le Communisme stalinien (et PCF de l'époque), et donc méprisé tant par l'intelligentsia de gauche que par les gaullistes et les communistes. Méconnu donc, mais sans doute un des plus intéressants écrivains de notre littérature. A découvrir ou à redéguster à toute heure.


Pour ceux (celles) qui n'ont jamais lu, ne pas se fier à son élocution, assez simple; son style est infiniment plus flamboya. On peut recommander un très beau livre ou Gary se livre, se délivre, s'enchaîne, se déchaîne, (comme Amsterdam de Brel)"Pour Sganarelle"; Tout y passe: la vie, la folie qui approche et fuit, le génie, tous les génies (Diable et Bon Dieu) la littérature convoquée, révoquée. Gary piégé. Qui piège. Un hymne à la création, frappé d'éclairage.



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liens


http://www.ina.fr/art-et-culture/litt ... s-racines-du-ciel.fr.html
http://www.ina.fr/art-et-culture/litt ... s-racines-du-ciel.fr.html

http://www.ina.fr/francais-litteratur ... mangeur-d-etoiles.fr.html

http://www.ina.fr/art-et-culture/litt ... jar-prix-goncourt.fr.html

http://www.ina.fr/art-et-culture/litt ... ary-et-emile-ajar.fr.html

http://www.ina.fr/francais-litteratur ... -propos-de-lady-l.fr.html

http://www.ina.fr/art-et-culture/litt ... jar-prix-goncourt.fr.html

http://www.ina.fr/art-et-culture/litt ... /annonce-goncourt.fr.html

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"Ajar, qui qu'il soit, on s'en fout"

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Posté le : 02/12/2012 11:57
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Mishima Yukio
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Le 25 Novembre 1970, Yukio Mishima de son vrai nom Hiraoka Kimitake, sublime étoile noire de la littérature Japonaise, se donne la mort par seppuku, suicide traditionnel japonais.
Cet écrivain "trouble et scandaleux", fascine par ses contractions, il est connu mondialement pour sa puissance littéraire exceptionnelle et pour la beauté de son écriture. IL est édité en orient et en occident, il aura sa vie durant préparé sa mort qu'il veut conforme à son désir de grandeur et digne de la "pureté" de l'âme japonaise.
De son enfance rigide et solitaire, auprès d'une grand mère sans faille, descendante d'une lignée de samouraï, il conservera sa vie durant les stigmates, réunies dans ses choix fascisants et dans une homosexualité douloureuse;
Il lie sa vie et son oeuvre, celles-ci se confondent à son identité japonaise dans sa quête d'absolu, dans son ambivalence sexuelle et son introspection de l'âme autant que dans sa haine de la psychanalyse, mais aussi nous retrouvons dans ses ouvrages son obsession de la souffrance et du masochisme. Il est aussi un provocateur et un combattant, un héros qui aura toujours le goût de la puissance.
Ce guerrier héros, est un des rares écrivains qui nous fait traverser la société japonaise dans son ensemble.
Son homosexualité condamnable dans la culture japonaise trouvera, selon lui, sa justification et son absolution dans sa pensée fasciste, plus conforme à la gloire samouraï.
Préoccupé de notre noirceur humaine, il fouille les "poubelles " de nos âmes les dépeint avec une esthétique redoutable, dans une écriture qui nous confond, car ce samouraï luttera toute sa vie et sa plume sera son sabre.
Sur ce point Marguerite yourcenar dira de lui :
" La façon dont chez Mishima les particules traditionnellement japonaises ont remonté à la surface et explosé dans sa mort font de lui... le témoin, et au sens étymologique du mot, le martyr du Japon héroïque qu'il a pour ainsi dire rejoint à contre courant ".
" Ce suicide a été, non comme le croient ceux qui n'ont jamais pensé pour eux-mêmes à telle conclusion, l'équivalent d'un flamboyant et presque facile beau geste, mais une montée exténuante vers ce que cet homme considérait, dans tous les sens du mot, comme sa fin propre. "


Dates de sa vie

Né le 14 janvier 1925 à Tokyo, Yukio Mishima, dont le véritable nom est Kimitake Hiraoka, est issu d'une famille de paysans.
A partir de l'âge de deux mois, il est pris en charge par sa grand-mère, Natsu, qui elle est issue d'une ancienne lignée de samouraïs. Dès cet instant, Mishima vivra en quasi permanence avec sa grand-mère. Ses contacts avec l'extérieur seront réduits au minimum jusqu'à l'âge de 12 ans...

Kimitake Hiraoka est plongé dès son enfance dans la littérature et le théâtre Kabuki dont sa grand-mère paternelle, issue d'une famille de samouraï, lui transmet la passion.
A l'âge de 5 ans, le petit Kimitake sait lire et écrire et commence déjà à composer ses premières poésies.
En Avril 1931, Mishima réussit sans difficultés l'examen d'entrée à l'école primaire. Ses premières années seront plutôt difficiles. L'enfant est décrit comme fragile, efféminé, et ne participe à aucune sortie ou autre activité de sa classe par interdiction de sa trop possessive grand-mère.

En Mars 1937, le jeune Kimitake a alors 12 ans.C'est à cette époque que le jeune garçon découvre les classiques japonais et des auteurs occidentaux tels que Wilde, Rilke, puis Radiguet. Il commence alors à rédiger des récits qu'il porte jusqu'à sa mort à sa mère, avec laquelle il entretient des liens passionnés.
Sa grand-mère Natsu accepte enfin de rendre l'enfant à ses parents du fait de ses problèmes de santé. Elle mourra d'ailleurs en janvier 1939

Aussitôt, Mishima cherche à prendre des contacts. Il entre dans un club littéraire scolaire en Avril 1937, et acquiert très vite une réputation tant auprès de ses camarades qu'auprès de ses professeurs.
Effectuant sa scolarité au Collège des Pairs, son talent littéraire est très vite remarqué. Invité à publier en feuilleton sa première œuvre importante, "La Forêt tout en fleurs," dans la revue Art et Culture, au sein du magazine "Shimizu". Il choisit pour l'occasion le pseudonyme Yukio Mishima, et fréquente le milieu de l'École romantique japonaise.
Puis Kimitake entreprend alors des études à la facultés des sciences juridiques de l'Université Impériale, provisoirement interrompues par la guerre.

En 1944, Mishima termine brillamment ses études dans l'école "Gakushu-in" en tête de sa classe. Cette place lui vaut de recevoir son diplôme ainsi qu'une montre en argent des mains même de l'empereur.
Cette rencontre marquera fortement Mishima.
Il entre alors à l'Université Impériale de Tokyo pour étudier la loi allemande par volonté de son père qui estimait le métier d'écrivain comme déshonorant.
Mishima se résigna à ce choix même s'il aurait préféré la littérature. A peine entré à l'Université, sa classe est entièrement mobilisée et affectée à une usine d'avions de guerre. Mishima se retrouve employé de bureau : il peut écrire !

En 1945, Mishima est convoqué pour être enrôlé dans l'armée.
Il jouera la comédie afin d'être déclaré inapte. Il est réformé pour raison de santé (le médecin le croira tuberculeux). Cette même année, sa soeur Mitsuko mourra de la Typhoïde.
Après la reddition de 1945, Mishima délaisse l'École romantique japonaise au profit du groupe de la revue Littérature Moderne.
Pourtant, le jeune homme fasciné par la mort est mal à l'aise dans le Japon d'après-guerre avec lequel il se sent « anachronique » de par ses goûts littéraires et sa façon d'écrire.
En 1946, il rencontre l'écrivain Yasunari Kawabata qui encourage la publication de ses manuscrits et devient son mentor. Les deux hommes s'apprécient et Kawabata fera beaucoup pour lancer la carrière de Mishima.
En particulier, il permettra à Mishima d'éditer ses oeuvres dans le magazine littéraire "Ningen".Après un bref passage au ministère des finances, Mishima décide de se consacrer exclusivement à sa carrière d'écrivain : "Confession d'un masque", une oeuvre biographique importante et parue à l'automne 1948, le révèle au public.

Après avoir passé le plus haut examen d'administration de l'Université, ainsi que le souhaitait son père, Mishima est proposé fin 1948 pour un poste au ministère des finances. Mishima n'y restera que 9 mois, choisissant de devenir écrivain à plein temps

En 1949, après le franc succès de"Confessions d'un Masque", à la suite de cette auto analyse psychologique, Mishima souhaite entamer une thérapie auprès d'un psychiatre. Mais après deux rendez-vous, il laissera cette idée de coté, et se détournera définitivement de toute forme de psychanalyse.

Dès 1950, Mishima fréquente des bars homosexuels, sous le prétexte de préparer "les amours interdites".
En 1951, Mishima obtient une autorisation spéciale qui va lui permettre de voyager à l'étranger.
Auteur prolifique, Mishima enchaîne nouvelles et romans parmi lesquels on peut citer "Amours interdites" : (1951), paru l'année de son premier voyage en Occident,
A partir de 1953, il se met à la boxe et... perd presque tous ses matchs ! Ces échecs le décide à se préoccuper de sa forme et Il commence à suivre un régime qu'il tiendra jusqu'à sa mort, puis, à la même époque, à son retour d'un voyage en Grèce, il se met à remodeler son corps chétif grâce à un entraînement très strict et notamment grâce à la pratique régulière des arts martiaux. Il se transforme physiquement.
Pourtant il continue de publier toujours régulièrement :
"Le Tumulte des flots" (1954) suivi de "Le Pavillon d'or" (1956) "Après le banquet" (1960).
Parallèlement, l'écrivain se consacre à la rédaction de ce qu'il appelle ses "divertissements ", récits populaires qui lui assurent un confort matériel.
De 1952 à 1958, Mishima aura beaucoup écrit, surtout de courtes histoires ou des nouvelles.
Dans le même temps il aura une aventure homosexuelle de longue durée et une relation brève avec une femme, Eiko.
En 1958, Yukio Mishima se marie avec Yoko Sugiyama, la fille d'un peintre traditionnel renommé de l'époque.
Il commence la même année la pratique du Kendo.
De ce mariage, Mishima aura deux enfants : une fille, Noriko, née en juin 1959, et un fils, Lichiro, venu au monde en Mai 1962. De nombreux témoignages décriront Mishima comme un père attentif.
En 1964 est publié "La Musique", roman dans lequel apparaît son aversion pour la psychanalyse..
Loin de se limiter au genre romanesque, Mishima poursuit également dans la voie du théâtre.
Il produit, essentiellement pour la compagnie théâtrale le Bungaku-za, une pièce par an, parmi lesquelles figurent ses "Cinq Nôs modernes".

Mishima avait atteint le faîte de sa popularité à la fin des années cinquante.
Le court récit "Patriotisme", ainsi que la pièce "Un Jour trop tard," reflètent l'idéalisme, l'attachement aux valeurs traditionnelles du Japon et le désir de mort de leur auteur.

Dès 1966, Mishima commence à exprimer plus que jamais et publiquement son attachement au japon traditionnel, et donc au nationalisme.
Il écrit d'ailleurs à cette période plusieurs ouvrages sur ce thème, mais malgré son enthousiasme il verra la parution de "Patriotisme". provoquer quelques mouvements d'opposition.
L'écrivain Kenzaburo Oe s'opposera à la vision de Mishima en écrivant lui-même "17", un livre prônant une position radicalement opposée à celle de Mishima.
Mais loin d'être gêné Mishima apprécie ce genre d'opposition car il aime la provocation.
Il n'hésitera pas d'ailleurs à visiter dans leur propre fief les étudiants communistes de l'université de Tokyo quelques années plus tard.
En 1967, Mishima s'engage dans les "Forces d'Autodéfense du Japon" (JSDF) afin de se rapprocher du style de vie "samouraï" qu'il prône dans ses écrits.

Malgré tout, l'auteur du Pavillon d'or poursuit son œuvre littéraire. Outre plusieurs essais tel que "Mes Errances littéraires" (1963) et "Le Soleil et l'acier" (1968), il commence en 1965 l'œuvre la plus importante à ses yeux, un cycle de quatre romans intitulés :
"La Mer de la fertilité" ("Neige de printemps", "Chevaux échappés", "Le Temple de l'aube", "L'Ange en décomposition"), qu'il achèvera juste avant sa mort en 1970.
Les dernières années de sa vie sont également marquées par la rédaction de plusieurs pièces de théâtre, dont" Madame de Sade" (1965)," Mon ami Hitler "(1968),

En 1968, il affirme son engagement et il prolonge son action en fondant, après s'être entraîné secrètement durant un mois en 1967 dans les forces militaires d'auto-défense, son armée privée, "La Société du bouclier ".
Cette milice est une sorte de milice privée qu'il voue à la protection de l'empereur.
Elle est principalement constituée de jeunes hommes recrutés au sein de la JSDF. Au sein de cette société, Mishima applique pleinement sa philosophie.
Pour illustration, voici quel serment devaient prêter ses membres :


"Nous jurons dans l'esprit des vrais hommes de Yamato
de nous lever l'épée à la main
contre toute menace portant à notre culture ou à notre patrimoine."

Le 17 octobre 1968, Kawabata reçoit le prix nobel de littérature, tant convoité par Mishima.
"La Terrasse du roi lépreux" et "Le Lézard noir" sont publiés en 1969.
A partir de la fin de cette année 69, Mishima commence à préparer sa fin.
A l'image du Samouraï qui ne doit rien laisser derrière lui, Mishima organise tout, répartit ses droits d'auteur au sein de sa famille, et fait discrètement le tour de tous ses amis.
En Août 1970, il termine le dernier tome de son oeuvre majeure,
"La Mer de la fertilité" : "L'ange en décomposition". Il le conservera pour ne le délivrer à son éditeur que le jour de son Seppuku. Tout est prêt.
Le matin du 25 Novembre 1970, Yukio Mishima, accompagné de 4 membres de la Société du bouclier pénètrent à Ichigaya, le quartier général des forces d'autodéfense et prennent en otage le chef de corps.
Fort de cet otage, Mishima réclame l'écoute des militaires de la base, ainsi que des journalistes spécialement convoqués.
Il prononce alors un dernier discours réclamant la mobilisation des forces en présence pour la restauration du Japon traditionnel. Devant les huées de protestation, il écourtera celui-ci.
Une fois ce discours prononcé, Il est presque midi lorsque Mishima se retire.
Tout a été préparé, entouré de ses compagnons Mishima se donne la mort, de façon spectaculaire au quartier général des forces japonaises, dans une pièce du bâtiment il fait "Seppuku".: le suicide traditionnel par éventration et décapitation.

Les oeuvres

Mishima Yukio Cyber Museum (en anglais)
Emission de la NHK consacrée à Mishima (format RealPlayer). (en japonais)
Bibliographie des œuvres de Mishima Yukio traduites en français
Défense de la culture, dans Esprit, février 1973.
Essai sur Georges Bataille, extraits de Shōsetsu towa nanika, dans La Nouvelle Revue Française n°256.
La Mer et le soleil couchant, dans les Cahiers de l'Energumène n°2.
Papier journal, dans Nota Bene n°5.
Trois essais inédits, dans le Magazine littéraire n°169.
Correspondance (川端康成・三島由紀夫往復書簡, de 1945 à 1970)
Pèlerinage aux Trois Montagnes (三熊野詣, de 1946 à 1965), une sélection de ces textes est également disponible dans la collection Folio 2€ sous le titre Martyre.
Une Matinée d'amour pur (朝の純愛, 1946, 1947, 1948, 1948, 1948, 1949 et 1965)
Le Papillon (extrait) (蝶々, 1948), dans Le Tour du Monde en deux mille Butterfly
Confession d'un masque (仮面の告白, 1949)
Une Soif d'amour (愛の乾き, 1950)
Les Amours interdites (禁色, de 1950 à 1953)
Les Ailes (翼, 1951), dans Anthologie de nouvelles japonaises tome II
Hanjo (班女, 1952), théâtre Nô, dans France Asie n°170.
La Mort en été (真夏の死, de 1953 à 1960), une sélection de ces textes est également disponible dans la collection Folio 2€ sous le titre Dōjōji et autres nouvelles.
Le Tumulte des flots (潮騒, 1954)
Vacances d'un romancier (extrait) (小説家の休暇, 1955), dans Le roman japonais depuis 1945.
Le Pavillon d'or (金閣寺, 1956)
Cinq nôs modernes (近代能楽集, 1956)
Le Palais des fêtes (鹿鳴館, 1957)
Après le banquet (宴のあと, 1960)
L'Arbre des tropiques (熱帯樹, 1960)
Le Lézard noir (黒蜥蜴, 1961)
Le Marin rejeté par la mer (午後の曳航, 1963)
L'Ecole de la chair (肉体の学校, 1963)
Entretien sur le roman (1964), dans la Revue Europe n° 693/694. Entretien avec Ōe Kenzaburō.
Les Paons (孔雀, 1965), dans Anthologie de nouvelles japonaises tome III
Madame de Sade (サド侯爵夫人, 1965)
La Musique (音楽, 1965)
Du Fond des solitudes (荒野より, 1966), dans Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines tome I
Le Japon moderne et l'éthique samouraï (葉隠入門, 1967)
Le Soleil et l'acier (太陽と鉄, 1968)
Neige de printemps (春の雪, 1969), Mer de la fertilité I
Chevaux échappés (奔馬, 1969), Mer de la fertilité II
Le Temple de l'aube (暁の寺, 1970), Mer de la fertilité III
L'Ange en décomposition (天人五衰, 1970), Mer de la fertilité IV
Djisei (les deux derniers poèmes de Mishima) (辞世, 1970), dans La Nouvelle Revue Française

*********************** ************************
Extrait de "La mer de la fertilité"
"Neige de printemps"


C’est alors que l’incroyable se produisit. Sans rien changer à sa pose parfaitement protocolaire, la femme, tout à coup, ouvrit le col de son kimono. Mon oreille percevait presque le crissement de la soie frottée par l’envers raide de la ceinture. Deux seins de neige apparurent. Je retins mon souffle. Elle prit dans ses mains l’une des blanches et opulentes mamelles et je crus voir qu’elle se mettait à la pétrir. L’officier, toujours agenouillé devant sa compagne, tendit la tasse d’un noir profond.
Sans prétendre l’avoir, à la lettre, vu, j’eus du moins la sensation nette, comme si cela se fût déroulé sous mes yeux, du lait blanc et tiède giclant dans le thé dont l’écume verdâtre emplissait la tasse sombre – s’y apaisant bientôt en ne laissant plus traîner à la surface que de petites taches – ,de la face tranquille du breuvage troublé par la mousse laiteuse. L’homme éleva la tasse et but jusqu’à la dernière goutte cet étrange thé. La femme replaça ses seins dans le kimono.
Le dos raidi, nous regardions, fascinés. Plus tard, à repenser méthodiquement la chose, il nous parut qu’il devait s’agir de la cérémonie d’adieux d’un officier sur le point de partir au front et de la femme qui lui avait donné un enfant. Mais sur le moment, nous étions trop bouleversés pour trouver une explication quelconque. Si tendus étaient nos regards, nous n’eûmes pas le loisir de remarquer que le couple avait disparu de la pièce où ne restait plus que le grand tapis rouge.

Mishima
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par James Keith Vincent
L’article commence avec la constatation que le romancier Yukio Mishima est plus connu à l’extérieur du Japon comme écrivain « gay » alors qu’à l’intérieur du Japon il est connu pour ses tendances droitières. La coahabitation inconfortable de l’ « homosexualité » et du « fascisme » dans la figure de Mishima est ensuite discutée comme le symptôme d’une tendance plus générale du Japon d’après guerre : appréhender l’« homosexualité » et le « facisme » comme des exemples d’un investissement excessif dans les signes et dans la représentation en tant que tels. Le résultat est que les défenses psychiques contre le facisme empruntent souvent leur énergie à l’homophobie.
Tout part ici d’une simple observation à propos de l’un des romanciers les plus connus du Japon. Alors que Yukio Mishima est connu hors Japon d’abord comme un écrivain « gay », prenant place aux côtés d’Oscar Wilde et de Marcel Proust sur la fameuse peinture murale « gays et lesbiennes » du plafond de la Librairie Publique du Centre Gay et Lesbien de San Francisco, on s’en souvient au Japon d’abord pour sa dévotion anachronique aux positions politiques et esthétiques de droite. Les deux réputations de Yukio Mishima constituent ainsi un assemblage des « tendances » à la fois homosexuelle et fasciste. C’est un assemblage qui pourrait sembler contradictoire à quiconque connaît la répression brutale des homosexuels sous les régimes fascistes européens, mais qui néanmoins semble suggérer plus que ce que notre compréhension ordinaire des deux termes renferme, au Japon comme partout ailleurs.
Aux deux réputations de Mishima correspondent deux groupes de lecteurs dont on peut croire que chacun des deux se sentirait probablement en compagnie inconfortable dans l’autre groupe. Si les lecteurs gays de Mishima préfèrent se souvenir de lui pour sa description émouvante des horreurs du placard dans des romans comme Confession d’un masque, ses fans de droite préfèrent se rappeler sa dévotion à l’empereur comme garant absolu des valeurs culturelles dans son essai « Sur la Défense de la Culture », entre autres textes. Quoi qu’il en soit de la volonté de séparer les deux, sans doute Mishima vient-il incarner un assemblage de l’homosexualité et du fascisme dans le Japon moderne qui heurte la sensibilité mais excite la curiosité. Déjà en 1954, Mishima fit une allusion à la connexion entre les deux dans l’introduction à son opuscule « Sur le nouveau fascisme ». Mishima écrit que lorsqu’il apprit à un ami sa réputation nouvellement acquise dans la presse de gauche de « fasciste », celui-ci le félicita en ces termes : « Jusqu’à maintenant tu n’étais rien qu’un pédéraste, mais maintenant que les gens t’appellent fasciste, c’est comme si tu avais été élevé au rang de "iste". C’est plutôt bien » [1]. A la manière typique de Mishima, il nous dit que d’avoir été affublé d’un « iste », quel qu’il soit, a caressé son ego, et il continue en partageant avec le lecteur ce qu’il a appris de la lecture de quelques livres sur le fascisme.
La « promotion » de Mishima de pédéraste à fasciste évoque un continuum imaginaire entre les deux qui continue à hanter notre imagination historique du fascisme. En même temps, quoi qu’il en soit, la possibilité d’établir un tel continuum, requérant comme il se doit une pleine compréhension des signifiés des termes « pédérastie » (homosexualité) et « fascisme », est minée par la conversion de Mishima au point de les saisir comme signifiants dépourvus de contenu - comme rien de plus qu’une différence entre un « aste » et un « iste ». Cette tension entre une compréhension de l’homosexualité et du fascisme compris comme phénomènes intensifs et une présentation des deux comme signifiants vides a fait son temps non seulement avec l’essai qui suit cette remarque (qui était initialement intitulé « Est-ce que le fascisme existe ? »), mais plus généralement, ajouterai-je, dans la culture d’après-guerre. De fait, je soutiendrai que l’attribution d’un lien causal entre homosexualité et fascisme est en fin de compte en partie rendue possible par la façon dans laquelle homosexualité et fascisme ont tous deux été figurés comme crises dans le langage et la subjectivité, et cela dans le système de la représentation historique lui-même.
Dans l’étude plus large dont cet article est tiré j’ai eu recours à des textes par et autour de Yukio Mishima et Kenzaburô Ôe pour commencer à tirer les grandes lignes du déploiement littéraire de l’homophobie comme tout à la fois une substructure psychique du fascisme et un déplacement des inquiétudes concernant le langage et la représentation. Contenant une charge puissante d’énergies homoérotiques aussi bien qu’homophobes, et montrant un fort intérêt pour les relations entre la sexualité mâle et la politique, les travaux de ces auteurs - et les réactions qu’ils continuent de provoquer - ont beaucoup à nous dire sur cette problématique. Il va sans dire que Ôe et Mishima ne pourraient pas occuper de places plus différentes dans l’esprit du public. Dans ses travaux du début des années 60, comme le roman de 1959 Warera no jidai [Notre âge] ou des nouvelles comme Dix-sept (1960), Ôe répète plusieurs fois le portrait de personnages que l’homosexualité prédispose en quelque sorte à la politique d’extrême droite ou encore aux actions terroristes. Le principal protagoniste de Dix-sept est inspiré du jeune assassin de droite qui tua de manière spectaculaire le leader socialiste Asanuma Inejirô avec un sabre, en direct à la télévision, en octobre 1960. Dans l’histoire d’Ôe, le garçon est dépeint comme un masturbateur compulsif se vautrant dans la haine de soi et l’angoisse existentielle adolescente, haine et angoisse qui trouvent une échappatoire dans une relation obsessionnelle explicitement homoérotique avec la figure de l’empereur Shôwa. En réaction à cette histoire et à sa suite, Seiji shônen shisu (1961) [Mourut un garçon politique], comme on pouvait s’y attendre, Ôe dut subir des menaces sur sa vie et celle de sa famille de la part de membres furieux de l’extrême droite japonaise. Aussi, si Ôe est l’écrivain qui mit sa vie en danger pour combattre ce qu’il vit comme la contamination du politique par le sexuel (l’homosexuel), Mishima est celui qui releva le défi d’exaucer cette contamination. Le résultat est que, alors que Ôe vint incarner la conscience de la communauté intellectuelle de gauche d’après-guerre, Mishima devint l’écrivain que tout le monde aime à haïr. Je voudrai démontrer que c’est précisément dans ces différences dans la réception des deux auteurs que nous pouvons apercevoir les mécanismes des deux faces de la relation problématique entre homosexualité et fascisme.
Masao Miyoshi s’est attaché à élucider cette distinction dans son introduction à la traduction anglaise de Dix-sept et Sei-teki ningen [Homme sexuel] d’Ôe. Une fois allusion faite à la similarité thématique entre les nouvelles Dix-sept et Mourut un garçon politique d’Ôe et le roman de 1969 Chevaux échappés de Mishima (lesquels racontent pareillement l’histoire de jeunes assassins de droite), Miyoshi procède à la critique de ce dernier roman en y pointant ce qu’il appelle le « glamour stylisé d’une théâtralité de music-hall » à laquelle, nous dit-on, « Mishima était toujours sensible ». Il va ensuite réduire la signification d’une similarité entre les deux auteurs à une question d’originalité versus imitation. Miyoshi écrit : « Autant que je sache, personne n’a attiré l’attention sur les emprunts conséquents (à moins que ce ne soit du plagiat) de Mishima au travail antérieur de jeunes écrivains [Ôe]. En même temps, l’identification de Mishima au beau garçon [le protagoniste deChevaux échappés] est si irréfléchie et inconditionnelle que c’en est embarrassant. Son allégeance à la politique impériale, aussi, est tellement transparente que Chevaux échappés en est rendu quasiment illisible - sinon comme fragment de la biographie de Mishima. Ceci - l’auto-indulgence de Mishima et la discipline d’Ôe - pourrait être la plus grande différence entre les deux écrivains » .
La tonalité de pathologisation vicieuse de ce passage parle d’elle-même, mais elle nous met à portée de main un schéma éclairant du problème. Ôe, comme l’ « original » de la copie de Mishima, est crédité de s’être sérieusement confronté à la relation entre sexualité et politique. Grâce à ce que Miyoshi appelle sa « discipline », le travail d’Ôe est capable de transcender l’expérience personnelle de l’écrivain et d’acquérir une signification profonde, complexe et universelle. Comme tel il est une incarnation exemplaire du sujet démocratique libéral. Mishima, à l’opposé, est affligé d’une « théâtralité » superficielle, imitative, laquelle semblerait encore aggravée par son « identification au beau garçon si irréfléchie et inconditionnelle que c’en est embarrassant ». Ce type de harcèlement homophobe sans scrupule est omniprésent dans la critique de Mishima et, ici comme ailleurs, il nous fait juste nous demander qui est le plus embarrassé. Mais le plus important pour nous est la façon dont cette interprétation de Mishima coïncide implicitement avec l’espèce de pathologie qu’Ôe, et apparemment Miyoshi, attribueraient au fascisme lui-même. Mishima vient ainsi incarner dans son étrange personne la capitulation de la subjectivité et la « sensibilité » proprement fasciste à la représentation pure. Alors que la courageuse « discipline » d’Ôe lui permet de « représenter » la problématique du fascisme et ainsi de récupérer depuis sa critique des éléments pour la réflexion, l’efféminé Mishima « auto-indulgent » est trompé par l’ordre de représentation propre au fascisme - un ordre en fait caractérisé par l’effondrement de la distinction du sujet et de l’objet, distinction qui seule pourrait faire une représentation « vraie » possible. La remarque de Miyoshi implique que le désir homosexuel à déclinaison narcissique de Mishima lui a rendu impossible le maintien d’une distance critique à la « politique impériale » parce que sa subjectivité s’est fondue dans celle du « beau garçon [fasciste] ». La distinction entre l’écrivain et son matériel s’est défaite avec pour résultat que ce roman ne supporte plus d’être lu que comme une « biographie » - comme l’évolution d’une pathologie intimement liée à celle du fascisme lui-même. Si le travail d’Ôe peut être lu comme une critique de la sexualisation et de l’esthétisation de la politique appelée fascisme, la vie de Mishima est lue ici comme une promulgation et un signifiant de cette même sexualisation/esthétisation.

Dans un article intitulé « Tous les Japonais sont des pervers », Mishima nous livre la description suivante de ce qu’il voit comme la relation surdéterminante entre homosexualité et représentation : « Souvent dans le cas de l’homosexualité la question de la représentation de soi-même est une condition indispensable à la mise en œuvre de l’excitation sexuelle. En ce sens l’homosexualité est liée au narcissisme. Le fait que cette sorte de représentation de soi-même devienne un élément essentiel à l’échange de représentations avec le partenaire distingue le désir homosexuel de l’hétérosexualité. Dans un contexte hétérosexuel, parce que l’identité de chacun comme homme ou femme est un fait qui a sa propre évidence, la représentation de soi-même de chacune des personnes impliquées peut seulement avoir une signification secondaire. »
A en croire son titre, l’idée maîtresse de cet essai est consacrée à démontrer que l’identité de genre n’est en fait pas un « fait qui a sa propre évidence », ce qui laisserait croire que l’usage que fait ici Mishima de cette expression est à visée ironique. Quoi qu’il en soit, il nous a donné un résumé précis de la logique selon laquelle l’attachement affectif aux signes, comme une variante du narcissisme, serait spécifique au désir homosexuel. Ironiquement, la figure de Mishima lui-même viendra servir d’incarnation paradigmatique de l’homosexualité comme désir de représentation. C’est, je crois, exactement cette même logique qui fournira ainsi, à travers la figure de Mishima, le lien nécessaire à une compréhension du fascisme comme d’un phénomène homosexuel.
Une fois encore, c’est Mishima lui-même qui exprime le plus clairement ce lien dans son texte « Sur le nouveau fascisme ». Il démontre que la tendance récente des intellectuels de gauche à user du terme « fasciste » comme de l’ « insulte » suprême a achevé de décaper le mot de toute signification historiquement spécifique. Conséquemment, écrit Mishima, appeler quelqu’un du nom de fasciste n’a pas plus de signification que les expressions « idiot » ou « imbécile » communément usitées (316). Mishima poursuit alors en introduisant plus de complexité dans le terme par le passage en revue de l’émergence historique du fascisme en Europe de l’Ouest et en le distinguant des politiques japonaises contemporaines de droite. Alors que le fascisme européen était l’excroissance d’un nihilisme débilitant, la droite japonaise se caractérise par un optimisme naïf. « Le fascisme d’Europe de l’Ouest », alors, « est un événement historique radical de la première moitié du vingtième siècle. Comme tel il est difficile d’imaginer qu’il puisse à nouveau ressurgir sous la même forme » (321). Mais Mishima n’a pas plus tôt insisté sur la spécificité et l’impossibilité d’une répétition du fascisme européen qu’il entreprend aussitôt de démontrer que le fascisme est en réalité universel - que la menace du fascisme existe partout où l’état de la société produit le désespoir et que le Japon n’est pas exempt de cette menace. Dans un mouvement qui semblerait d’abord plutôt déconcertant, Mishima revient à la dénonciation d’individus comme fascistes avec laquelle il avait commencé son essai et lance un appel à la gauche japonaise pour arrêter d’utiliser ce terme d’une telle manière discriminante. « Si vous Messieurs persistez à répéter cette accusation, le résultat pourrait bien en être l’émergence non pas du pseudo-fascisme (celui que vos mots désignent) mais de la réalité même du fascisme » .
Takehiko Noguchi commence son Univers de Yukio Mishima par une discussion de la relation de Mishima avec l’écrivain de droite Fusao Hayashi. Pour Noguchi, ce fut l’identification de Mishima avec la figure de Hayashi, culminant dans son article de 1963 « Sur Fusao Hayashi », qui signala sa conversion à droite. Ce travail, qui au dire de Mishima lui-même était plus sur lui-même que sur Hayashi, était une tentative d’élaborer son propre idéal de virilité. En cela, il exprime une admiration foncière pour l’engagement de Hayashi dans ce qu’il appelle une « passion abstraite », à laquelle il atteignit comme un résultat du procédé galvanisant du tenkô, ou apostasie politique. Dans sa transformation de marxiste ardent profondément engagé dans le mouvement littéraire prolétarien à apologiste de droite de l’impérialisme japonais, Hayashi parvint à réaliser la relativité dernière de toute philosophie politique. C’est à travers l’abandon d’une adhésion à quelque philosophie politique que ce soit que Hayashi/Mishima arriva à épouser une passion abstraite d’un « idéal » représenté de manière ultime par la figure de l’empereur déifié. Noguchi écrit : « Dans ce cas, l’ "idéal" qui est recherché par Mishima, comme il joue le double rôle de Fusao Hayashi et de lui-même, n’est nullement un idéal spécifique, tangible ou concret, mais toujours un "idéal" arbitraire à mettre entre guillemets. Nous devons nous rappeler que la question n’est pas de savoir ce qu’est cet idéal en lui-même et pour lui-même, mais seulement d’agir avec cet idéal comme telos » .
Un « idéal » entre guillemets. Une fois encore nous voyons la notion de fascisme résulter d’une dévotion aux signes pour eux-mêmes. Dans un chapitre ultérieur consacré au roman de Mishima Confession d’un masque, Noguchi dessine le parallèle familier entre l’ « homosexualité » de Mishima et sa dévotion à l’empereur déifié comme un idéal abstrait vide de tout contenu. Noguchi se fie à une interprétation de ce roman comme portrait autobiographique de Mishima en jeune homme pour asseoir l’évidence que le passage sur le tard de Mishima à droite était contenu dans une tendance qui a toujours été là - dans la forme de la compréhension par Mishima de sa propre sexualité. Dans ce chapitre, Noguchi nous dit : « Une fois que la sexualité normale [hétérosexuelle] est définie comme "ce désir qui bouillonne d’être lui-même" et que le besoin de fuir son propre statut d’homosexuel exprime "un désir impossible, brûlant, de ne pas être moi-même", le problème est entièrement reformulé en termes ontologiques… A celui dont le corps est toujours habité du désir de se fuir soi-même, de "n’être pas moi", l’identité [dôitsuritsu] humaine stable, heureuse, de "qui est lui-même" est pour toujours étrangère » .
Pour le jeune Mishima, il semblerait que l’identité hétérosexuelle fournisse, à travers son « évidence en soi », le seul accès possible à une identité désirante. Dépourvue de cette « évidence en soi », l’identité homosexuelle est marquée seulement par un désir de n’être pas homosexuel. Ceci plonge le jeune Mishima dans un dilemme existentiel dont la seule sortie est de prétendre être autre chose que ce qu’il est - en tentant de passer pour un hétérosexuel dans ses relations avec Sonoko. Son homosexualité s’exprime alors à travers sa propre trahison dans la forme d’une « performance » obsessionnelle. Comme le dit le protagoniste de Confession d’un masque, « la culpabilité inconsciente de ce que je déformais ma nature propre aboutit alors à une stimulation insistante de ma tendance consciente à me mettre en scène » .
Dans ce passage le protagoniste fait l’expérience d’une sorte d’apostasie (tenkô) structurellement similaire à celle de Fusao Hayashi, dont Noguchi veut nous convaincre qu’elle fascina tellement Mishima plus tard. Un homosexuel dans une société homophobe, comme un marxiste dans une société fasciste, peut être forcé à prétendre être quelque chose qu’il n’est pas. Mais chemin faisant, cette « prétention » arrive à constituer le cœur même de son identité. Cette transformation alarmante lui suggéra un scepticisme tenace à l’endroit de la réalité. Noguchi montre que dans Confession d’un masqueMishima « emprunta la figure de ce jeune homme sexuellement perverti pour exprimer l’aliénation propre à la société d’après-guerre qui ne le quitta jamais » (108). C’est cette même aliénation qui justifiera sa prédisposition à la sorte d’ « ironie romantique » que Mishima trouvait lui-même tellement séduisante dans la figure de Hayashi. Mishima ne pourra en fin de compte revendiquer qu’une « passion abstraite » pour une « mise en scène interchangeable à l’infini ». Noguchi l’écrit bien dans le premier chapitre de son livre : « La passion abstraite de Mishima n’aurait pu exister sans le masque » (.
Bien sûr cette tentative obsessionnelle de s’évader des limites de son moi culminera dans ce à quoi fait référence Noguchi comme l’ironie ultime de l’ironie romantique. De là surgira une brèche béante dans le moi qui réclamera à grands cris d’être remplie. « La perfection de l’ironie », écrit Noguchi, « ne peut être atteinte qu’à travers l’abandon de l’ironie elle-même ». Et pour Mishima, cet abandon de l’ironie prendrait la forme d’une relation obsessionnelle à l’empereur. Noguchi conclut ce premier chapitre en des termes directement repris de Mishima dans son essai « sur Fusao Hayashi » : « Le plus vieux, le plus sombre, le "cœur japonais"essentiellement primitif » « a commencé à prendre possession de l’âme de Mishima »
Il importe de noter que Fusao Hayashi lui-même, dans un livre publié quatre ans après le suicide de Mishima, s’empresse de nier une quelconque relation entre l’homosexualité de Mishima et sa conversion à droite. De fait, il va jusqu’à nier fébrilement que Mishima ait été homosexuel. « Mishima répondit aux accusations de pédérastie qui lui furent faites en jouant à plein le rôle du pédéraste. Il fit, à rebours, des recherches sur l’homosexualité, mena des investigations dans les endroits où ces malades se rencontrent, s’engagea dans une forme d’expérimentation, et quand il eut trente-six ans il écrivitLes amours interdites, lequel nous apparaît un roman homosexuel. Mais exception faite de cette période précoce d’investigation et d’expérimentation, il n’approcha jamais du domaine des pédérastes. »
La rhétorique paranoïaque et les italiques qui abondent dans ce texte parlent d’eux-mêmes, mais un autre fait nous apparaît plus accablant encore : alors que le narrateur de Confession d’un masque proclamait que sa « nature » d’homosexuel lui enjoignait de « jouer » le rôle d’un hétérosexuel (ce qui incluait « l’étude minutieuse des romans » pour apprendre « ce que les garçons de mon âge pensent de la vie et comment ils se parlent entre eux »(), Hayashi inverse précisément les arguments pour exonérer son ami.

Si j’ai passé plus de temps à analyser ces tentatives variées de lier homosexualité et fascisme qu’à essayer de les réfuter, c’est parce que je me suis avisé que les chemins qui y sont empruntés produisent leur part de vérité. Il ne fait pas de doute que l’émergence historique et la menace persistante de ce que j’ai appelé ici le fascisme sont accompagnées par une certaine intensification des liens homosociaux entre hommes. Il est clair aussi que le fascisme s’accompagne d’une crise dans la représentation qui est en même temps une crise de l’ordre hétérosexuel dans lequel des identités stables sont maintenues à travers le renforcement de la différence (l’indifférence) sexuelle. Mais je ne peux conclure sans souligner le fait que ces critiques, toutes vraies en un sens, ne sont pas exemptes de complicité avec un idéal d’identité désirante masculiniste, hétérosexiste - avec toujours cette même logique menacée et menaçante qui dit que « Je suis qui je suis (un homme) en désirant qui je ne suis pas (une femme) ». Dans cet imaginaire, le désir homosexuel peut seulement se figurer comme désir du même et par conséquent comme un désir d’identité au bout du compte irréalisable. L’homosexuel en vient alors à porter le poids stigmatisant d’un fascisme interprété dans les mêmes termes. L’homosexuel, comme l’ écrit Andrew Hewitt, devient « le sujet/objet fétiche d’une théorie politique hétérosexuelle, parce qu’il sert la projection d’une perte effrayante de subjectivité. »
La question que la problématique de l’homofascisme nous force à poser, alors, est de savoir si la « subjectivité » telle que nous l’avons comprise jusqu’à maintenant a en fait encore un sens pour combattre le fascisme. Il se pourrait que, dans une société homosociale et homophobe comme celle dans laquelle nous vivons, le désir homosexuel représente un effondrement radical de la subjectivité. Mais cette conception de l’homosexualité n’est générée par rien d’autre qu’une inquiétude concernant l’instabilité foncière de l’hétérosexualité elle-même. Et il lui en coûte beaucoup de soutenir cette identité. Il semble juste de dire que le fascisme historique était, avant toute chose, un exemple effrayant d’un ordre homosocial désespéré déployant des mesures extrêmes pour consolider sa propre identité. Les études queer nous apprennent qu’identité et subjectivité, indépendamment de l’orientation sexuelle, sont toujours déjà en crise. Confrontés à cette réalité, nous avons deux choix : soit la désavouer dans une projection paranoïaque sur les femmes et les minorités, soit la comprendre comme une opportunité de reconnaître que toutes nos identités sont formées à travers un processus trouble d’ « identification ». On serait peut-être alors bien avisé d’accorder quelque crédit au célèbre homofasciste Mishima, et de se rappeler que non seulement « tous les Japonais », mais nous tous « sommes des pervers ».







liens :


http://youtu.be/80uhCUcoiKs Paul Strader sepukku de Mishima
http://youtu.be/lkNVlxsNROE une vie en 4 actes

http://www.youtube.com/watch?v=1WhSRH ... e&list=PL4330FC55FCA13D79 11 Vidéos
http://www.youtube.com/watch?v=1WhSRH ... e&list=PL4330FC55FCA13D79





On ne connait pas l'origine de cette forme de suicide, mais la légende veut que Minamoto no Tametomo soit le premier à avoir commis le Seppuku, en s'ouvrant le ventre, en 1156 après avoir tenté un coup d'état contre la capitale. Macabre pratique provenant de Chine et employées par les femmes afin de prouver qu'en n'étant pas enceinte, leur vertu restait intacte.

Symboliquement, l'éventration avait pour but de prouver la sincérité et la loyauté de la personne, puisqu'elle était capable par cette forme de courage suprême de mettre son cœur à nue.

Le Haramesu, est un terme de respect pour désigner l'acte du Seppuku.

Le ventre est très intimement lié à la naissance et à la vie.

Au Japon, les différentes appellations montrent à quel point, le ventre est associé à la mort et en particulier au suicide.


Vers la fin du 17ème siècle, le Seppuku se ritualise :

La cérémonie du Seppuku se pratiquait généralement en public, et exigeait la présence obligatoire de trois personnes : le maître des cérémonies, garant que tout serait fait dans l'ordre.

Il comprend une incision de l'abdomen de gauche à droite et une légère incision vers le haut à la fin.

Certaines règles spécifiques doivent être respectées, particulièrement dans la cas d'un suicide ordonné par un seignneur ou les autorités.

L'esthétique fait partie du rituel, les tatamis sont bordés de blanc et le samourai doit s'y agenouiller en appui sur les talons, sur un coussin blanc.


Le rituel se pratiquait en kimono et s'exécutait de trois manières différentes, selon le rang social du guerrier.

Le guerrier de rang peu élevé devait présenter le tanto (poignard-sabre) sur un socle de bois et l'élever vers le ciel.

Il le baissait en inclinant la tête dans le même mouvement, tandis que dans le même temps le Kaishaku lui tranchait la tête d'un coup.

Le Kaishaku était celui qui était chargé de couper la tête du guerrier, généralement un bon ami, homme de confiance, expérimenté et bon sabreur car sa tâche était délicate. Il attend le moindre signe de celui-ci pour le décapiter au sabre et lui épargner une mort dans d'attoces souffrances (Monshi).

La décapitation avait souvent lieu bien avant que l'acte ne fut terminé.


Le guerrier de plus haut rang avait en plus un étoffe traditionnelle (utilisée pour essuyer le sang sur la lame après le combat), dont il enveloppait la lame pour la saisir sans la toucher à nu afin de garder pure cette lame qui devait "juger" son âme.

Il restait en position de "seiza", la lame sur la cuisse droite et inclinait simplement la tête pour faire signe au Kaishaku.

Le guerrier de très haut rang, ouvrait son kimono dans la phase finale pour laisser apparaître son ventre.

De sa main gauche, il désignait sur son ventre le point d'impact supposé de la lame.

Il faisait le geste de planter le tanto et le Kaishaku lui coupait la tête avant le contact. La décapitation permettait à l'âme de s'élever vers le cosmos, tandis que dans le hara-kiri effectif l'éventration réelle l'âme retourne à la terre.

A partir des guerres civiles sanguinaires du XII ème siècle, une méthode particulière de suicide s'associa à la tradition des Samourai (Le hara-kiri), et cette forme de supplice affreusement douloureuse que s'infligeaient les guerriers était la preuve manifeste que, malgré leur échec final, ils méritaient le respect de ses amis et de ses ennemis pour son courage physique, sa volonté et sa pureté de coeur.


Il existait quatre grandes raisons de se faire Seppuku :

- La défaite au combat : La défaite étant une perspective vraisemblable, et la capture un déshonneur insigne, il était logique que le suicide fût accepté comme une mort honorable pour le guerrier vaincu. Dès les toutes première chroniques japonaises, le suicide d'un combattant était considéré comme un moyen d'échapper à la honte, comme un acte courageux et honorable, et une preuve ultime de d'intégrité.

- Les remontrances (Kanshi) : Acte qui permettait parfois d'adresser ses plaintes à l'Empereur. Nobunaga Oda reçut un jour une lettre de reproches d'un des ses vassaux qui en commettant le Seppuku attira son attention sur la situation catastrophique du Japon.

- La sanction pénale (Tsumebara) : Instituée par les Shogun Tokugawa, elle permettait d'éviter la prison ou l'exil aux samourai. Privilège accordé à la classe des hauts fonctionnaires militaires, elle épargnait la honte au samouraï et à tout son clan. Cette condamnation capitale était réservée à la seule classe des guerriers et était interdite aux gens du peuple.

- L'accompagnement dans la mort (Junshi, l'équivalent d'Oibara) : Directement inspiré de la Chine, où cette pratique était répandue, elle était la seule raison qui ne faisait pas suite à un échec.

Lors de la mort de son seigneur, les samouraï prouvaient leur fidélité et leur attachement en suivant leur maître dans la mort. Cette pratique destructrice causa des pertes irréparables, ces Seppuku collectifs pouvant rassembler jusqu'à 500 guerriers, laissant leur clan exsangue et sans défense.

Symboliquement, l'éventration avait pour but de prouver la sincérité et la loyauté du samourai, puisqu'il était capable par cette forme de courage supréme de mettre son cœur à nue.



Il existe plusieurs terminologies pour désigner le suicide par éventration:


- Le Seppuku Suru : rituel d'auto-éventration.

- Le Harakiri ou Hara o kiru : forme la moins noble d'auto-éventration.

- Le Kappuku : littéralement "se couper le ventre".

- Le Oibara ou Tsuifuku : littéralement "le ventre qui suit", indique un suicide par Seppuku, afin de suivre son seigneur dans la mort, par fidélité en ouvrant son coeur.

- Le Hara o tsukamatsuru : faire offrande de son ventre aux Kami (dieux), connotation religieuse, forme très respectueuse et la plus noble.


Le Shogun Tokugawa promulgua un édit, en mai 1663 , pour mettre fin à cette pratique qui conduisait à une dépense inadmissible de vies humaines.

Le rituel du Seppuku se commettait en public, mais devant une assemblée restreinte. L'ensemble de la cérémonie était codifiée et le respect scrupuleux de ces codes était obligatoire.

Selon le rang et la personne qui se préparait à cette acte, le sabre qui mettait fin à cette cérémonie était brisé.

Les données étaient différentes sur le champ de bataille où le temps pressait, le guerrier précédait son geste d'un discours et si possible d'un poème d'adieu.

En temps de paix, le samouraï habillé de blanc, écrivait un poème, agenouillé sur un tatami et derrière des paravents préservant des regards.

Avec un poignard spécial (kusungobu) dont la lame est entourée de papier blanc, le samouraï pratiquait une double incision en croix dans l'abdomen. Une fois la deuxième incision pratiquée, un assistant (kaishaku) placé derrière lui, lui ôtait la tête rapidement d'un coup de sabre. La douleur insupportable était ainsi stoppée, une fois que le samouraï avait fait preuve de son courage

Le Seppuku fut officiellement interdit en 1868.



Les femmes n'avaient pas droit à ce cérémonial. Elles se coupaient la veine jugulaire avec un poignard (tanto) qu'elles possédaient toujours sur elles. Dans certains cas, avec une autre femme, elles se tuaient l'une l'autre en même temps.

Lors de la période féodale , « n'ayant pas le droit de se faire seppuku à la manière des hommes, les femmes se tranchaient la gorge avec un poignard après s'être entravé les jambes afin de garder dans la mort une attitude décente ».

Les rites cérémoniaux n'étaient pas les mêmes que pour les hommes. Contrairement au seppuku , le suicide féminin pouvait se pratiquer seul. La section la veine jugulaire ou l' artère carotide, entraînait une mort rapide. Le petit poignard utilisé était un tanto ou plutot un kaiken , plus petit, que la femme portait toujours sur elle. Cette pratique était normalement réservée aux femmes nobles et aux femmes de samouraï.



Cette forme de suicide ne s'effectuait que dans certaines situations :

En période de guerre, afin de préserver son honneur, avant l'arrivée des ennemis et en cas de défaite imminente.
Une épouse de samouraï était sous l'entière responsabilité de son époux, et non pas de son seigneur. Si son mari venait à mourir, elle pratiquait le jigai en guise de loyauté, afin de le rejoindre dans l'autre monde.
Parfois les servantes travaillant chez les familles nobles se donnaient la mort par jigai, suite à de cruelles intrigues ou en signe de loyauté envers leur maîtresse.
Dans les temps anciens, il était de coutume que les femmes d'officiers condamnés à mort les précèdent en pratiquant le jigai.
Chez les femmes de samouraï, en guise de protestation morale contre un mari dont le comportement serait intolérable.
Un des derniers fameux exemples de jigai est celui de la femme du général Nogi Maresuke , Nogi Shizuko, qui s'est suicidée de cette façon avec son mari qui lui s'est fait seppuku à la mort de l'empereur Meiji en 1912.

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Posté le : 25/11/2012 13:46
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Gérard Philipe
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BIOGRAPHIE par Emma :

Douloureuse histoire filiale
Gérard Philipe nait le 04 décembre 1922 dans une famille aisée de la région cannoise. Il est le fils de Marcel Philip, avocat et homme d’affaire qui possède un cabinet de contentieux juridique et de Marie Villette. Son frère aîné se prénomme Jean. Il passa toute sa scolarité dans des internats religieux, s'y montrant bon élève.
En 1936, son père, Marcel Philip, adhère au Parti populaire français et devient secrétaire de la fédération de Cannes, responsable du département des Alpes-Maritimes. Gérant pendant la guerre du Parc palace hôtel à Grasse, il y abrite l'état-major mussolinien. Ces faits de collaborations lui valent d’être interné en octobre 1944 au camp de Saint-Denis, il réussit à obtenir une libération conditionnelle ; cependant, le 24 décembre 1945, la cour de justice des Alpes-Maritimes le condamne à mort pour intelligence avec l'ennemi et appartenance à un groupe anti-national. Il s'enfuit en Espagne, et ne rentrera en France qu'après la loi d'amnistie de 1968. Tout en restant en contact avec son père, Gérard Philipe gardera toujours le silence sur ce drame familial.
C'est au contact des nombreux artistes réfugiés en zone libre que Gérard Philipe décide de son métier de comédien, et se lie avec des personnalités proches de la résistance qui influencent ses idées vers la gauche. Il ajoute un « e » à son nom pour obtenir treize lettres avec son nom et son prénom, chiffre porte-bonheur

Parcours de gloire d’un comédien de génie
En 1941, le réalisateur Marc Allégret lui fait passer une audition, en compagnie de son amie Danièle Delorme, et l’envoie prendre les cours d’art dramatique de Jean Wall et Jean Huet à Cannes. Le comédien Claude Dauphin le fait jouer au théâtre à partir de 1942 avec Une grande fille toute simple d’André Roussin au casino de Nice.
En 1942, Marc Allégret lui fait jouer une silhouette dans son film La Boîte aux rêves, réalisé par son frère Yves. En novembre de la même année, la zone libre est occupée par l’armée allemande.
En 1943, la famille Philip s’installe rue de Paradis, dans le 10e arrondissement de Paris, où Gérard s’inscrit au Conservatoire national supérieur d'art dramatique, suit les cours de Denis d'Inès puis de Georges Le Roy et obtient le second prix de comédie.
Gérard Philipe se fait connaître au théâtre, où il obtient son premier succès et la célébrité à l’âge de 20 ans, en pleine Seconde Guerre mondiale, dans le rôle de l’ange dans Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux en 1943.A la libération, il est déjà très célèbre.
Le succès de Gérard Philipe au théâtre est à son apogée dans le rôle de Caligula d’Albert Camus en 1945.
En 1947, il est le partenaire de Micheline Presle dans le film Le Diable au corps de Claude Autant-Lara et il accède au statut de célébrité du monde du spectacle français.

En 1943, il avait rencontré Nicole Foucarde, épouse de diplomate mais c'est seulement en 1946 qu'ils se connaissent vraiment et tombent amoureux. Elle divorce alors de son mari et devient l'épouse de Gérard Philipe. Femme très cultivée, elle exerce une influence positive sur Gérard Philipe. Partageant les mêmes idéaux, le couple s'engage politiquement. Ils ont deux enfants : Anne-Marie Philipe, née le 21 décembre 1954, devenue écrivain et comédienne elle aussi, et Olivier Philip, né 9 février 1956.
En 1952, pour le cinéma, il joue Fanfan dans Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque avec Gina Lollobrigida, ce qui lui vaut de devenir une icône populaire à travers le monde. Sa jeunesse et son charisme d'exception triomphent à l'écran au niveau international dans des films de Yves Allegret, Christian-Jaque, Marcel Carné, Claude Autant-Lara, René Clair, René Clément, Luis Bunuel, Roger Vadim etc.

Engagement politique et Théâtre National Populaire (TNP)
Gérard Philipe et son épouse deviennent tous deux compagnons de route du Parti communiste français. Il fut également membre du Conseil national du Mouvement pour la paix, présidé par Frédéric Joliot-Curie.
Acteur engagé, il est l'un des premiers à signer l'appel de Stockholm, en 1950, contre l’armement nucléaire en pleine guerre froide.
Le paysage théâtral de l'après-guerre est assez réduit, et le comédien doit s'employer dans un théâtre de boulevard pour subsister. De là l'idée de rejoindre Jean Vilar (fondateur du festival d’Avignon en 1947), qui se décrivit en cette fin 1950 comme un "metteur en scène sans troupe, un régisseur sans théâtre, un animateur sans argent." Engagé au Festival d'Avignon suivant au même tarif que l'ensemble de la troupe, il y interpréte les rôles du Cid de Corneille et du Prince de Hombourg - choix audacieux en ce temps-là : la pièce de Kleist contre la Prusse et son ordre guerrier.
Le succès de ce festival incite les pouvoirs publics à redonner vie au Théâtre national populaire (TNP) ; salle de théâtre fondée en 1920 et qui se donne pour vocation de rendre la création théâtrale accessible pour tous. Le palais de Chaillot n'étant pas encore prêt à l'abriter, il est provisoirement installé en banlieue, à Clichy, à Suresnes. L’entreprise est un succès, en grande partie grâce à la présence charismatique de Gérard Philipe. Jean Vilar lui écrivit : " Tu es le seul comédien de la génération de l'après-guerre qui ait compris sentimentalement le problème populaire... Car c'est ainsi, sentimentalement, qu'il faut le traiter, ce théâtre populaire. "
La mise en œuvre d'un théâtre populaire cristallise de violentes polémiques. Si la droite ironise sur le public très parisien qui afflue aux représentations en banlieue, le parti communiste, n'épargnent pas moins Jean Vilar de sa critique.
Cette expérience du théâtre de banlieue va néanmoins forger le comédien. Dix ans après sa mort, jean Vilar précise : "Il semble qu'il ait déjà le pressentiment de ce que doit être, de ce que va être le comédien moderne, ou du moins le comédien des théâtres populaires".
Dans les deux dernières années de sa vie, Gérard Philipe développe son engagement syndical : il devient président du Syndicat français des artistes-interprètes (SFA) où il se révèle grand responsable syndical pour les métiers artistiques du cinéma et du théâtre à partir de 1958. En tant que syndicaliste, il se soucie des questions de la précarités dans son corps de métier : ré-évaluation des bas salaires, du paiement des heures de répétitions, des retraites sont au cœur de ses préoccupations.
Ses valeurs le pousse à prôner une décentralisation de la culture, pour un meilleur accès de la province aux arts dramatique. Mais en 1959, il présente un projet de décentralisation dramatique et lyrique constituant huit régions autonomes dotées chacune de plusieurs troupes et financées à 40 % par l'Etat. Si André Malraux, le ministre des affaires culturelles, préféra s'appuyer sur l'implantation de maisons de la culture, ces idées firent néanmoins leur chemin. Surchargé de travail, peut-être déjà atteint par le cancer fulgurant qui l'emporta, Gérard Philipe démissionne de sa fonction en avril 1959, demeurant au Conseil syndical sur les instances de ses compagnons.

Disparition foudroyante de l’idole des jeunes
En 1959, le 25 novembre en pleine gloire, au sommet de sa popularité, alors qu'il vient de finir le tournage du film La fièvre monte à El Pao de Luis Buñuel au Mexique, il est emporté par un cancer du foie foudroyant à Paris, à l'âge de 36 ans, plongeant dans la tristesse ses nombreux admirateurs.
Conformément à ses dernières volontés, il est enterré dans le costume de Don Rodrigue (Le Cid de Corneille), au petit cimetière de Ramatuelle, près de Saint-Tropez.
A la mort de Gérard Philipe, Aragon lui rend un vibrant hommage dans France Nouvelle du 03 Décembre 1959 :
"Les siens l'ont emporté dans le ciel des dernières vacances, à Ramatuelle, près de la mer, pour qu'il soit à jamais le songe du sable et du soleil, hors des brouillards, et qu'il demeure éternellement la preuve de la jeunesse du monde.

Et le passant, tant il fera beau sur sa tombe, dira : non, Perdican n'est pas mort !

Simplement, il avait trop joué, il lui fallait se reposer d'un long sommeil."

(Note : Perdican est le personnage principal de « on ne badine pas avec l’amour », dernière pièce de théâtre interprétée par Gérard Philipe avant sa mort en 1959).


EMMA


FILM / THEATRE :

1942 (Théâtre)
Une grande fille toute simple .

1943
La boîte aux rêves, d'Yves Allégret,
figuration.

Les petites du quai aux fleurs, de Marc Allégret,
avec Danièle Delorme.

1943 (Théâtre)
Une jeune fille savait

Sodome et Gomorrhe

1944 (théâtre)
Au petit bonheur

1945
Le pays sans étoiles,
de Georges Lacombe, avec Jany Holt.

L'idiot, de Georges Lampin,
avec Edwige Feuillère.

1945 (théâtre)
Fédérigo
Caligula

1946
Le diable au corps,
de Claude Autant-Lara,
avec Micheline Presle.

Schéma d'une identification,
court métrage d'Alain Resnais.

Ouvert pour cause d'inventaire,
court métrage d'Alain Resnais.

1947
La Chartreuse de Parme,
de Christian-Jaque, avec Renée Faure.

1947 (théâtre)
Les épiphanies

1948
Une si jolie petite plage,
d'Yves Allégret, avec Madeleine Robinson.

Tous les chemins mènent à Rome,
de Jean Boyer, avec Micheline Presle.

1948 (théâtre)
K.M.X Labrador

1949
La beauté du diable,
de René Clair, avec Michel Simon.

La ronde,
de Max Ophüls, avec Simone Signoret.

1949(théâtre)
le figurant de la Gaîté

1950
Souvenirs perdus,
sketch "Une cravate de fourrure", de Christian-Jaque, avec Danièle Delorme.

Juliette ou la clé des songes,
de Marcel Carné, avec Suzanne Cloutier.

1951
Fanfan-la-Tulipe,
de Christian-Jaque, avec Gina Lollobrigida.

Les sept péchés capitaux, sketch "Le huitième péché",
de Georges Lacombe, avec Robert Dalban.

1951 (théâtre)
Le prince de Hombourg
La calendria
Le Cid
Mère courage


1952
Les Belles de nuit,
de René Clair, avec Gina Lollobrigida.

1952 (théâtre)
Nucléa
Lorenzaccio
La nouvelle mandragore


1953
Les orgueilleux,
d'Yves Allégret, avec Michèle Morgan.


Monsieur Ripois,
de René Clément, avec Joan Greenwood.

Si Versailles m'était conté,
de et avec Sacha Guitry.

Villa Borghese /
Les amants de la Villa Borghèse,
de Gianni Franciolini, avec Micheline Presle.


1953 (théâtre)
La tragédie du roi Richard II


1954
Le rouge et le noir,
de Claude Autant-Lara, avec Danielle Darrieux.


1954 (théâtre)
Ruy Blas

1955
Les grandes manœuvres,
de René Clair, avec Michèle Morgan.


La meilleure part,
d'Yves Allégret, avec Michèle Cordoue.


Si Paris nous était conté,
de et avec Sacha Guitry.

1956
Les aventures de Till l'Espiègle,
+ co-réalisation avec Joris Ivens, avec Nicole Berger.

Le Théâtre National Populaire,
court métrage de Georges Franju.

1957
Pot-bouille,
de Julien Duvivier, avec Anouk Aimée.


Montparnasse 19,
de Jacques Becker, avec Anouk Aimée.

1958
Le joueur,
de Claude Autant-Lara, avec Liselotte Pulver.


La vie à deux,
de Clément Duhour, avec Lilli Palmer.

1958 (théâtre)
Les caprices de Marianne


1959
Les liaisons dangereuses,
de Roger Vadim, avec Jeanne Moreau.

La fièvre monte à El Pao /
Los ambiciosos,
de Luis Buñuel, avec Maria Felix.

1959 (théâtre)
On ne badine pas avec l'amour




A VOIR / A ENTENDRE :

Le petit prince, lu par Gérard Philipe :

http://www.lepetitprince.com/oeuvre/p ... /ecouter-le-petit-prince/

Liberté de Paul Eluard, lu par Gérard Philipe :

http://www.dailymotion.com/video/xi0p ... erte-paul-eluard_creation

La mort du loup de Vigny, lu par Gérard Philipe :

http://www.youtube.com/watch?v=an4_fPZmhws

Extrait de Fanfan la Tulipe « Montez donc, que je vous taquine la rate ! »

http://www.youtube.com/watch?v=gizZgvJ33iQ







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Posté le : 25/11/2012 12:57

Edité par Loriane sur 26-11-2012 00:49:10
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Marcel Proust
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Le 18 Novembre 1922 nous quittait, à Paris, Marcel Proust. Il nous laissait une oeuvre littéraire prolifique, d'une exceptionnelle beauté. Ce rêveur, ce promeneur de la vie, nous offre son regard observateur en de longues phrases, ciselées précises et gracieuses, dans un style original, un style reconnaissable et si personnel.

Valentin Louis Georges Eugène Marcel Proust est né le 10 Juillet 1871, dans une famille bourgeoise et cultivée, dans le quartier d'Auteuil, devenu aujourd'hui le 16 éme arrondissement de Paris. Il naît dans la maison située au 96 rue La Fontaine propriété de son grand-oncle maternel Louis Weil. Son père Adrien Proust, né à Illiers en Eure et Loir, en 1834, était alors un médecin réputé, agrégé de médecine, spécialiste en hygiène, chef de service à l’hôpital de la Charité, et titulaire de la légion d'honneur. Il avait épousé l’année précédente Jeanne Weil fille d'un riche agent de change, née elle en 1849. Elle est issue d’une riche famille bourgeoise juive. Le deuxième enfant du couple Robert naît deux ans après Marcel, le 24 Mai 1873. il deviendra chirurgien.
La famille Proust qui résidait alors dans un appartement rue Roy, emménagea après cette deuxième naissance dans l’appartement 9 boulevard Malesherbes qui fut la résidence de Marcel Proust et de ses parents pendant presque trente ans.

Marcel Proust est un enfant chétif, sensible et il souffre des bronches. Il adore sa mère et dès son jeune âge il se montre très sociable. Un jour, vers l'âge de dix ans, il est pris d'une très grave crise d'asthme alors qu'il rentre d'une promenade au Bois de Boulogne avec ses parents, il étouffe, sa respiration ne revient pas. Son père le voit mourir. Un ultime sursaut le sauve. Voilà maintenant la menace qui plane sur l'enfant, et sur l'homme plus tard : la mort peut le saisir dès le retour du printemps, à la fin d'une promenade, n'importe quand, si une crise d'asthme est trop forte.

Proust grandit à Paris et à Illiers, dans lequel il passe la plupart de ses vacances.
De 1877 à 1880, Marcel Proust passe les vacances de Pâques et les vacances d’été chez son oncle et sa tante paternels Jules et Elisabeth Amiot à Illiers, village situé à vingt-cinq kilomètres au sud de Chartres. La sœur ainée d’Adrien Proust et son mari, commerçant en drap, habitent la maison du n°4 rue du Saint Esprit, aujourd’hui Maison de tante Léonie Musée Marcel Proust. Toute la famille fréquente également le jardin du Pré Catelan, jardin que l’oncle Jules Amiot passionné d’horticulture avait crée aux abords de la ville. Autant de lieux qui ont inspiré plus tard Marcel Proust écrivain. Ces séjours réguliers sont interrompus en 1881 après la première crise d’asthme de Marcel Proust. En effet les problèmes respiratoires de l’enfant vont avoir de fortes répercutions sur la vie quotidienne et les habitudes de la famille, dont l’arrêt des séjours à Illiers.
Toute sa vie il aura des difficultés respiratoires graves causées par l'asthme

Il est au début élève d'un petit cours primaire, le cours Pape-Carpentier, où il a pour condisciple Jacques Bizet, le fils du compositeur Georges Bizet et de son épouse Geneviève Halévy. Celle -ci tient d'abord un salon chez son oncle, où se réunissent des artistes, puis tiendra son propre salon, lorsqu'elle se remariera en 1886 avec l'avocat Émile Strauss, salon duquel Proust sera l'habitué.
Marcel Proust étudie ensuite à partir de 1822 au lycée Condorcet. Il redouble sa cinquième et est inscrit au tableau d'honneur pour la première fois en décembre 1884. Il est souvent absent à cause de sa santé fragile, mais il connaît déjà Victor Hugo et Musset par cœur, comme dans Jean Santeuil. Il est l'élève en philosophie d'Alphonse Darlu, et il se lie d'une amitié exaltée à l'adolescence avec Jacques Bizet.
Il est aussi ami avec Fernand Gregh et Daniel Halévy (le cousin de Jacques Bizet), avec qui il écrit dans des revues littéraires du lycée.

Le premier amour d'enfance et d'adolescence de l'écrivain est Marie de Bénardaky, fille d'un diplomate polonais, sujet de l'empire russe, elle fait partie d'un groupe avec qui il joue dans les jardins des Champs Élysées, le jeudi après-midi, Il y a là : Antoinette et Lucie Faure, filles du futur président de la république, Léon Brunschvicg, Paul Bénazet ou Maurice Herbette.
Il cessera de voir Marie de Bénardaky en 1887, les premiers essais d'aimer ou d'être aimé par quelqu'un d'autre que sa mère avaient donc échoué.
C'est la première « jeune fille », qu'il tentera de retrouver plus tard, une de "celles qu'il a perdue."
En 1982, Marcel Proust entre au lycée Condorcet, où malgré sa santé fragile, il a de brillants résultats et il obtient le baccalauréat en 1889.
Il passe ensuite un an d’engagement volontaire à Orléans


On n’aime que ce qu’on ne possède pas tout entier

Les premières tentatives littéraires de Proust datent des dernières années du lycée.
Plus tard, en 1892, Gregh fonde une petite revue, avec ses anciens condisciples de Condorcet, "Le Banquet", dont Proust est le collaborateur le plus assidu. C'est alors qu'il est introduit dans plusieurs salons parisiens et que commence sa réputation de snobisme.
Dès lors son ascension mondaine commence. Il est ami un peu plus tard avec Lucien Daudet, fils du romancier Alphonse Daudet, qui a six ans de moins que lui. L'adolescent est fasciné par le futur écrivain. Ils se sont rencontrés au cours de l'année 1899. Leur liaison au moins sentimentale est révélée par le journal de Jean Lorrain.
Mais cette période est également celle de l’entrée dans le monde littéraire , très jeune, il fréquente des salons aristocratiques où il rencontre artistes et écrivains,
En effet, Ses talents littéraires se manifestèrent dès le lycée et donc très jeune, il fréquente des salons aristocratiques où il rencontre artistes et écrivains, ce qui lui vaut une réputation de dilettante mondain. Il est un très rapidement un habitué des salons comme celui de Mme Arman, amie d'Anatole France. en 1890 Marcel Proust est également un habitué du salon de Mme Strauss, veuve de Georges Bizet et femme de l’avocat Emile Strauss, elle était aussi la mère de Jacques Bizet ami et camarade de lycée de Marcel Proust, en 1892 Jacques Emile Blanche commence son fameux portrait, en 1893 Proust intègre le salon de Madeleine Lemaire tenu dans son atelier de peintre rue Monceau où sont reçus des peintres, musiciens, acteurs et hommes de lettre. Il y fait la connaissance de Robert de Montesquiou connu alors comme dandy, poète, mécène et modèle du personnage de Des Esseintes dans À Rebours de Huysmans. L’année suivante c’est également chez Madeleine Lemaire qu’il rencontre Renaldo Hahn, musicien, pianiste et chanteur.
Sa famille fortunée lui assurera une vie facile et qui lui permet cette fréquentation des salons mondains tout en restant attaché à sa famille et notamment à sa grand-mère dont la mort, l'amène à réfléchir aux « intermittences du cœur ».
Et précisément pendant l'année 1889 la santé de sa grand-mère maternelle Adèle Weil se dégrade, et celle-ci décède en janvier 1890.

Cette même année, Marcel Proust commence des études de droit et de sciences politiques à la Faculté de droit et à l’école libre de Sciences Politiques de Paris.
En 1894, il passe ses vacances à Trouville et à Cabourg, région que l'on retrouvera dans la Recherche du Temps Perdu.

Profitant de sa fortune, il n'a pas d'emploi, et il se consacre à sa passion : l'écriture.
Ce dandy, auteur génial, commence à fréquenter les salons littéraires et collabore à la petite revue "Le Banquet"
Proust reprendra ses écrits publiés dans cette publication et fit paraître en 1896 son premier livre "Les Plaisirs et les Jours" , un recueil de nouvelles, d'essais et de poèmes en prose, portraits et nouvelles dans un style fin de siècle où son art se montre plein de promesses. Illustré par Madeleine Lemaire, dont Proust fréquente le salon avec son ami le compositeur Reynaldo Hahn.
Mais cette première publication connu peu de succès. Ce livre passe à peu près inaperçu et la critique l'accueille avec sévérité — notamment l'écrivain Jean Lorrain, réputé pour la férocité de ses jugements. Il en dit tant de mal qu'il se retrouve au petit matin sur un pré, un pistolet à la main. Face à lui, également un pistolet à la main : Marcel Proust, avec pour témoin le peintre Jean Béraud. Tout se termine sans blessures, mais non sans tristesse pour l'auteur débutant. Ce livre vaut à Proust une réputation de mondain dilettante qui ne se dissipera qu'après la publication des premiers tomes de "A la recherche du temps perdu".

D'autre part, Proust avait commencé en automne 1895 un roman qu'il n'acheva pas et abandonna vers novembre 1899.
Cette même année 1895 Marcel Proust commence également la rédaction de Jean Santeuil lors d’un séjour en Bretagne avec Renaldo Hahn, il entreprend l'écriture d'un roman mettant en scène un jeune homme qui évolue dans Paris, ce roman relate la vie d'un jeune homme épris de littérature dans le Paris mondain de la fin du XIXe siècle. On y retrouve l'évocation du séjour à Réveillon qu'il fait à l'automne, encore chez Mme Lemaire, dans son autre propriété.
Considéré comme une ébauche de "La Recherche du temps perdu", Jean Santeuil ne constitue pas un ensemble achevé. Proust y évoque notamment l'affaire Dreyfus, dont il fut l'un des témoins directs. Il est l'un des premiers à faire circuler une pétition favorable au capitaine français accusé de trahison et à la faire signer par Anatole France.
Il n'acheva pas ce roman et en abandonna l'écriture vers novembre 1899. Celui-ci ne fut publié qu'en 1952 sous le titre Jean Santeuil
En 1898, Après la publication de "J’accuse" d’Emile Zola et alors que l’affaire Dreyfus divise la France, Marcel Proust, soutenu par son frère mais contre l’opinion de son père, signe la première pétition d’intellectuels dreyfusards. Il se passionne pour l'affaire. Dans la famille Proust les deux fils s'opposent aux deux parents sur ce point. .

Après ce second échec, Marcel Proust n’est pas satisfait du manuscrit de Jean Santeuil, et il s'en détourne et il commence, sur les conseils de sa mère, alors qu’ils se trouvent tous deux en voyage à Venise, à traduire de l’anglais "La bible d’Amiens" de John Ruskin. Mais sa mauvaise connaissance de l'anglais le freine, en dépit de l'aide sa mère.
Proust consacrera plusieurs années à traduire et à commenter l'historien d'art anglais, John Ruskin.
Il publia plusieurs articles sur celui-ci et deux traductions:
Il va traduire, avec la bénediction de son père, qui constate le manque d'intérêt de son fils pour un emploi dans l'administration, et toujours avec l'aide de sa mère, "La Bible d'Amiens" (1904), de John Ruskin, et ce travail, ainsi que sa deuxième traduction, Sésame et les lys (1906), est salué par la critique, dont Henri Bergson.
Cependant, il semble que le choix des œuvres traduites ne se révèle pas heureux et l'ensemble est un échec éditorial.
C'est pourtant pour le futur écrivain un moment charnière où s'affirme sa personnalité. En effet, il accompagne ses traductions de notes abondantes et de préfaces longues et riches qui occupent une place presque aussi importante que le texte traduit.

Surtout, en traduisant Ruskin, Proust prend peu à peu ses distances avec celui-ci, au point de critiquer ses positions esthétiques. Cela est particulièrement perceptible dans le dernier chapitre de sa préface à La Bible d'Amiens qui tranche avec l'admiration qu'il exprime dans les trois premiers.
Il reproche notamment à Ruskin son idolâtrie esthétique, critique qu'il adressa également à Robert de Montesquiou et qu'il fit partager par Swann et Charlus dans La Recherche. Pour Proust, c'est dévoyer l'art que d'aimer une œuvre parce que tel écrivain en parle ; il faut l'aimer pour elle-même

Toujours grâce à la fortune familiale qui le libère des contingences matérielles, et qui lui assure une existence facile, il va fréquenter les meilleurs salons du milieu grand bourgeois et de l'aristocratie du Faubourg Saint-Germain et du Faubourg Saint-Honoré.
Il s'entoure de personnages connus, Il y fait la connaissance du fameux Robert de Montesquiou, grâce auquel il est introduit entre 1894 et le début des années 1900 dans des salons plus aristocratiques, comme celui de la comtesse Greffulhe, cousine du poète, de la princesse de Wagram, née Rothschild, de la comtesse d'Haussonville, etc. Il y accumule le matériau nécessaire à la construction de son œuvre : une conscience plongée en elle-même, qui recueille tout ce que le temps vécu y a laissé intact, et se met à reconstruire, à donner vie à ce qui fut ébauches et signes. Lent et patient travail de déchiffrage, comme s'il fallait en tirer le plan nécessaire et unique d'un genre qui n'a pas de précédent, qui n'aura pas de descendance : celui d'une cathédrale du temps. Pourtant, rien du gothique répétitif dans cette recherche, rien de pesant, de roman - rien du roman non plus, pas d'intrigue, d'exposition, de nœud, de dénouement.
Après ses cinq années d’étude, le 29 juin 1895, Proust passe le concours de bibliothécaire à la Mazarine, il est nommé attaché à la bibliothèque Mazarine.
Mais peu assidu au travail, il obtient un congé maladie après seulement quelques semaines de travail, il y fait quelques apparitions pendant les quatre mois qui suivent et demande finalement son congé.

En juillet, il passe des vacances à Kreuznach, ville d'eau allemande, avec sa mère, puis une quinzaine de jours à Saint-Germain-en-Laye, où il écrit une nouvelle, "La Mort de Baldassare Silvande", publiée dans La Revue hebdomadaire, le 29 octobre suivant et dédicacée à Reynaldo Hahn.
Il passe une partie de mois d'août avec Reynaldo Hahn dans la villa de Mme Lemaire dans sa villa de Dieppe.
Ensuite, en septembre, les deux amis partirent pour Belle-Île-en-Mer et Beg-Meil. C'est l'occasion de découvrir les paysages décrits par Renan. Il rentre à Paris mi-octobre.

En mai 1897, le grand oncle Louis Weil décède et la maison rue La Fontaine à Auteuil est
vendue, le parc divisé et l’intégralité de la propriété reconstruite.

En 1900, il abandonne son projet d'écriture et il fait, toujours, avec sa mère un voyage à Venise et à Padoue pour découvrir les œuvres d'art en suivant les pas de John Ruskin sur qui il publie des articles et dont, malgré tout, il tente encore de traduire certains ouvrages, mais sans succès. Puis Marcel Proust retournera sur la lagune, seul, en 1900 avant de se rendre en Hollande un an plus tard.
Son père, Adrien Proust meurt en 1903 d’une hémorragie cérébrale peu avant la parution de la traduction de "La bible d’Amiens".
Et sa mère, Jeanne Proust décède peu de temps après son mari en 1905 d’une crise d’urémie comme sa propre mère.
Profondément bouleversé par la mort de sa mère en septembre 1905, Proust interrompit quelques mois son activité littéraire.
Le deuil de sa mère l'affectera très profondément durant plusieurs années.

En 1906, après ces deux décès, Marcel Proust doit alors quitter l’appartement parental rue de Courcelles.
En août 1906, Marcel Proust s’installe à Versailles à l’hôtel des Réservoirs, et décide ensuite d’emménager dans un appartement situé au 102 boulevard Hausmann, dans un immeuble qui appartient à son oncle et à sa tante maternels dans un appartement tapissé de liège et hermétiquement clos. Il vit là en reclus.
Il échappe ainsi du même coup aux tentations d'un monde futile trop aimé et aux graminées tant redoutées.
En février 1907, il fit paraître dans le Figaro un article intitulé "Sentiments filiaux d'un parricide", où il esquisse l'analyse de deux éléments fondamentaux dans sa future psychologie : "la mémoire et la culpabilité".

D'autres articles parus en 1907-1908 sont considérés comme des travaux préliminaires à son roman, dans lequel ils seront intégrés plus tard.
Au début de l'année 1908, Proust écrivit pour le Figaro une série de pastiches imitant le style de Balzac, Michelet, Flaubert, Sainte-Beuve et autres prosateurs du XIXe siècle.
En même temps il se mit à travailler à un roman, tout en projetant d'écrire plusieurs essais de critique littéraire, artistique et sociologique.
L'un de ces essais devait être consacré à Sainte-Beuve. Peu à peu tous ces projets se fondirent en un seul.
Durant l'été 1909, l'essai "Contre Sainte-Beuve" est devenu un roman, que Proust ne cessa d'écrire qu'à sa mort.
Proust se consacre exclusivement à son œuvre. Il conçoit cet immense projet de faire revivre les jours enfuis dans un ouvrage intitulé "A la recherche du temps perdu".

Il commence à rédiger la première partie, "Du Côté de chez Swann".
Il travaille la nuit, se repose le jour et reste enfermé chez lui. Quelques extraits paraissent dans le Figaro, mais ce premier volume (environ sept cents pages), prêt à être publié en 1912, ne trouve pas d'éditeur.
Il sera notamment refusé chez Gallimard par André Gide qui se reprochera longtemps ce refus. Finalement Marcel Proust fait paraître "Du Côté de chez Swann", à compte d'auteur, chez Bernard Grasset en 1913.
Il annonce aussi pour l'année suivante la suite : "Du Côté des Guermantes" et "le Temps Retrouvé".
En mai 1913, la première partie du roman, "Du côté de chez Swann", fut publiée en novembre 1913, c'est alors que Proust adopta pour titre général de son oeuvre " À la recherche du temps perdu" .

Durant la guerre, Marcel Proust dîne au Ritz sous les bombardements, il fréquente Jean Cocteau, Paul Morand, invite le Quatuor Poulet à jouer à son domicile.
Mais en mai 1914, Proust vit un drame personnel, en la mort accidentelle d'Alfred Agostinelli qui était son ami depuis 1907.
C'est lors de son premier séjour à Cabourg en 1907, que Marcel Proust avait rencontré Alfred Agostinelli qui travaillait alors comme mécanicien pour la société de taxi de Jacques Bizet. Proust l'avait engagé d'abord comme chauffeur, et Il deviendra en 1913 son secrétaire, l’écrivain l’hébergeant chez lui.

Puis la France entre en guerre, mais en raison de son état de santé, Marcel Proust ne sera pas mobilisé.
Ce conflit mondial reportera à juin 1919 la parution de "À l'ombre des jeunes filles en fleurs", qui obtint le prix Goncourt le 10 Décembre suivant
A cette époque, Entre alors au service de Marcel Proust, Céleste Albaret, la jeune épouse d’un de ses chauffeurs (Odilon). Une grande complicité unira Marcel Proust à sa gouvernante, tout à la fois confidente et secrétaire, et ce jusqu’à sa mort.
En 1916, Marcel Proust change d’éditeur pour la Nouvelle Revue Française après les excuses de Gide. Il faudra pourtant attendre la fin de la première guerre mondiale pour voir paraître
" À l’ombre des jeunes filles en fleur", "Pastiche et mélanges" et "Du côté de chez Swann"
dans une nouvelle édition, le 27 juin 1919.

Cette même année l’écrivain devra de nouveau déménager, il est contraint de quitter l’appartement du 102 bd Haussmann, sa tante Amélie Weil ayant vendu l’immeuble à la banque Varin Bernier.
Marcel Proust est donc hébergé à partir du 30 mai chez son amie " Réjane", au 8 bis rue Laurent Pichat, et il en part finalement le 1er octobre pour un appartement meublé au 44 rue Hamelin.
Ce logement qui ne devait être que provisoire, sera en fait son dernier appartement.
Le 23 septembre 1920 M. Proust est nommé chevalier de la légion d’honneur.
Les 2 années suivantes il publie successivement les tomes 1 et 2 "Du Coté des Guermantes" ainsi que la première partie de "Sodome et Gomorrhe".
En avril 1922 paraissent la deuxième partie de "Sodome et Gomorrhe".


Il vit encore paraître trois volumes: "Le côté de Guermantes I" (octobre 1920), "Le côté de Guermantes II" - "Sodome et Gomorrhe I" (mai 1921), "Sodome et Gomorrhe II" (avril 1922). A l'occasion de cette publication Marcel Proust confit à Céleste Albaret qu'il a achevé l’écriture de son œuvre.

Mais en octobre 1922, alors qu’il termine la relecture des tirages de "La Prisonnière", Marcel Proust contracte une bronchite.
La maladie évolue en pneumonie dans les semaines suivantes.
Marcel Proust meurt épuisé, le 18 novembre 1922, de cette infection mal soignée : il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise à Paris, accompagné par une assistance nombreuse qui salue un écrivain d'importance que les générations suivantes placeront au plus haut en faisant de lui un véritable mythe littéraire.
Mais avant de s'éteindre, il avait demandé à Jacques Rivière et à son frère Robert de publier le reste de son œuvre qu'il avait achevée mais qu'il n'avait pu complètement relu.
Ainsi donc son frère, Robert Proust, aidé par Jacques Rivière puis par Jean Paulhan, directeurs de la Nouvelle Revue Française, firent publier en 1923 "La Prisonnière" ; en 1925, "Albertine disparue" ; en 1927, "Le Temps retrouvé".

L'oeuvre de Proust fut de son vivant l'objet de vives controverses entre ceux qui la devinaient géniale et ceux qui la proclamaient illisible.
Son homosexualité inavouable dans la société de l’époque est diffuse dans toute son œuvre.
Aujourd'hui elle est reconnue comme une oeuvre majeure de la littérature de langue française.
En effet l’œuvre romanesque de Marcel Proust est une réflexion majeure sur le temps et la mémoire affective comme sur les fonctions de l'art qui doit proposer ses propres mondes, mais c'est aussi une réflexion sur l’amour et la jalousie, avec un sentiment de l'échec et du vide de l'existence qui colore en gris la vision proustienne où l'homosexualité tient une place importante.
La Recherche constitue également une vaste comédie humaine de plus de deux cents acteurs.
Proust recrée des lieux révélateurs, qu'il s'agisse des lieux de l'enfance dans la maison de Tante Léonie à Combray ou des salons parisiens qui opposent les milieux aristocratiques et bourgeois, ces mondes étant traités parfois avec une plume acide par un auteur à la fois fasciné et ironique.
Ce théâtre social est animé par des personnages très divers dont Marcel Proust ne cache pas les traits comiques : ces figures sont souvent inspirées par des personnes réelles ce qui fait de "À la recherche du temps perdu" un roman à clés et le tableau d'une époque. La marque de Proust est aussi dans son style dont on remarque les phrases souvent longues, qui suivent la spirale de la création en train de se faire, cherchant à atteindre une totalité de la réalité qui échappe toujours.




Divers

Dans l''ordre de parution

Roman
.
Les Plaisirs et les Jours, Calmann-Lévy, 1896
La Bible d'Amiens, préface, traduction et notes de l'ouvrage de John Ruskin The Bible of Amiens, Mercure de France, 1904
« La mort des cathédrales », Le Figaro, 16 août 1904
Sésame et les lys, traduction de l'ouvrage de John Ruskin Sesame and Lilies, Mercure de France, 1906
Pastiches et Mélanges, NRF, 1919
Chroniques, 1927
Jean Santeuil, 1952
Contre Sainte-Beuve, 1954
Chardin et Rembrandt, Le Bruit du temps, 2009
Le Mensuel retrouvé, précédé de Marcel avant Proust de Jérôme Prieur (sous-titré Inédits), éditions des Busclats, novembre 2012
À la recherche du temps perdu
Du côté de chez Swann, Grasset, 1913
Partie 1 : Combray
Partie 2 : Un amour de Swann
Partie 3 : Noms de pays : le nom
À l'ombre des jeunes filles en fleurs, NRF, 1918, prix Goncourt
Partie 1 : Autour de Mme Swann
Partie 2 : Noms de pays : le pays
Le Côté de Guermantes I et II, NRF, 1921-1922
Sodome et Gomorrhe I et II, NRF, 1922-1923
La Prisonnière, NRF, 1923
Albertine disparue (La Fugitive), 1925
Le Temps retrouvé, NRF, 1927

Correspondance

Plusieurs volumes posthumes, publiés à partir de 1926.
Robert de Billy, Marcel Proust. Lettres et conversations, Paris, Éditions des Portiques, 1930
Une première édition en 6 tomes (classée par correspondants),
publiée par Robert Proust et Paul Brach : Correspondance générale (1930-1936).
Une grande édition de référence en 21 tomes, où les lettres des volumes précédents sont reprises, augmentées, dotées d'une annotation universitaire, et classées chronologiquement, par Philip Kolb : Correspondance (Plon, 1971-1993).
Une édition anthologique de l'édition de Ph. Kolb, corrigée et présentée par Françoise Leriche, avec de nouvelles lettres inédites : Marcel Proust, Lettres (Plon, 2004).
Musée Marcel Proust

Maison de Tante Léonie de Illiers-Combray en Eure-et-Loir où Proust passe ses vacances d'enfance entre 1877 et 1880.
Bibliographie

Ouvrages généraux sur Marcel Proust:

Pierre Abraham, Proust, Rieder, 1930
Maurice Bardèche, Marcel Proust romancier, Les Sept Couleurs, 1971
Samuel Beckett, Proust, essai composé en anglais en 1930, traduit en français par É. Fournier, Éditions de Minuit, 1990
Annick Bouillaguet, Brian G. Rogers (dir.), Dictionnaire Marcel Proust, Honoré Champion, coll. « Dictionnaires et références », 2004
Georges Cattaui, Marcel Proust, Proust et son Temps, Proust et le Temps, préface de Daniel-Rops, Julliard, 1953
Philippe Chardin, Proust ou le bonheur du petit personnage qui compare, Honoré Champion, 2006.
Philippe Chardin, Originalités proustiennes, Kimé, 2010.
Gilles Deleuze, Proust et les signes, PUF, 1970
Pietro Citati, La Colombe poignardée, Proust et la Recherche, Gallimard, 1997
Ghislain de Diesbach, Proust, Perrin, 1991
Roger Duchêne, L'Impossible Marcel Proust, Robert Laffont, 1994
Michel Erman, Marcel Proust, Fayard, 1994
Edmond Jaloux, Avec Marcel Proust, La Palatine, Genève, 1953
Ramon Fernandez (dir.), Hommage à Marcel Proust, Gallimard, coll. « Les Cahiers Marcel Proust », no 1, 1927
Ramon Fernandez, À la gloire de Proust, Éditions de La Nouvelle Revue Critique, 1943 ; rééd. Grasset sous le titre Proust, 2009 (ISBN 9782246075226).
Cyril Grunspan, Marcel Proust. Tout dire, Portaparole, 2005
Giovanni Macchia, L'Ange de la Nuit (Sur Proust), Gallimard, 1993
Diane de Margerie, Proust et l'obscur, Albin Michel, 2010
Claude Mauriac, Proust, coll. « Écrivains de toujours », Seuil, 1953
François Mauriac, Du côté de chez Proust, La Table ronde, 1947
Nathalie Mauriac Dyer, Proust inachevé, le dossier Albertine disparue, Honoré Champion, 2005
André Maurois, À la recherche de Marcel Proust, Hachette, 1949
André Maurois, Le Monde de Marcel Proust, Hachette, 1960
Mireille Naturel et Patricia Mante-Proust, Marcel Proust. L’Arche et la Colombe, Michel Lafon, 2012
George Painter, Marcel Proust, 2 vol., Mercure de France, 1966-1968, traduit de l'anglais et préfacé par Georges Cattaui ; édition revue, en un volume, corrigée et augmentée d'une nouvelle préface de l'auteur, Mercure de France, 1992
Christian Péchenard, Proust à Cabourg, Quai Voltaire 1992, Proust et son père, Quai Voltaire 1993, Proust et Céleste, La Table Ronde 1996. Ces trois ouvrages sont réunis en un volume Proust et les autres, La Table Ronde 1999
Gaëtan Picon, Lecture de Marcel Proust, Mercure de France, 1963
Léon Pierre-Quint, Marcel Proust, sa vie, son œuvre, Sagittaire, 1946
Jean-François Revel, Sur Proust, Grasset, coll. « Les Cahiers rouges », 1987
Jean-Pierre Richard, Proust et le monde sensible, Seuil, 1974
Ernest Seillière, Marcel Proust, Éditions de La Nouvelle Revue critique, 1931
Anne Simon, Proust ou le réel retrouvé, Paris, PUF, 2000
Jean-Yves Tadié, Marcel Proust, NRF/Biographie, Gallimard, 1996
Edmund White, Marcel Proust, Fides, 2001

Monographies

Céleste Albaret, Monsieur Proust, Robert Laffont, 1973
Jacques Bersani (éd.), Les Critiques de notre temps et Proust, Garnier, 1971
(en) Martine Beugnet et Marion Schmid, Proust at the Movies, Ashgate, Aldershot et Burlington, 2004, 261 p. (ISBN 0-75463541-4)
Catherine Bidou-Zachariasen, Proust sociologue. De la maison aristocratique au salon bourgeois, Descartes, 1997
Maurice Blanchot, « L'étonnante patience », chapitre consacré à Marcel Proust dans le Livre à venir, Gallimard, 1959
Évelyne Bloch-Dano, Madame Proust, biographie de la mère de Marcel Proust, Grasset, 2004
Alain de Botton, Comment Proust peut changer votre vie, trad. de l'anglais par Maryse Leynaud, Paris, Denoël, 1997
Brassaï, Marcel Proust sous l'emprise de la photographie, Gallimard, 1997
Alain Buisine, Proust et ses lettres, Presses Universitaires de Lille, coll. « Objet », 1983
Alain Buisine, Proust. Samedi 27 novembre 1909, Jean-Claude Lattès, coll. « Une journée particulière », 1991
(en) William C. Carter, Proust in Love, Yale University Press, New Haven et Londres, 2006, 266 p. (ISBN 0-300-10812-5)
Jean Clausel, Le Marcel de Proust, Portaparole, 2009
Antoine Compagnon, Proust entre deux siècles, Le Seuil, 1989
Joseph Czapski, Proust contre la déchéance : Conférence au camp de Griazowietz, Noir sur blanc, 2004 et 2011
Richard Davenport-Hines, Proust au Majestic, Grasset, 2008
Serge Doubrovsky, La Place de la madeleine, Écriture et fantasme chez Proust, Mercure de France, 1974
Robert Dreyfus, Souvenirs sur Marcel Proust (accompagnés de lettres inédites), Paris, Grasset, 1926
Clovis Duveau, Proust à Orléans, édité par les Musées d'Orléans, 1998.
Albert Feuillerat, Comment Marcel Proust a composé son roman, Slatkine, 1972 (1re édition 1934)
Louis Gautier-Vignal, Proust connu et inconnu, Robert Laffont, 1976
Anne Henry, Marcel Proust. Théories pour une esthétique, Klincksieck, 1983
Elisabeth Ladenson, Proust lesbien (préface A. Compagnon), Ed. EPEL 2004
Sylvaine Landes-Ferrali, Proust et le Grand Siècle, Gunter Narr Verlag, Tübingen
Franck Lhomeau et Alain Coelho, Marcel Proust à la recherche d'un éditeur, Olivier Orban, 1988
Léon Pierre-Quint, Comment travaillait Proust, Bibliographie, Les Cahiers Libres, 1928
Georges Poulet, L'Espace proustien, Gallimard, 1963
Jean Recanati, Profils juifs de Marcel Proust, Paris, Buchet-Chastel, 1979
Thomas A Ravier, Éloge du matricide : Essai sur Proust, Gallimard, coll. « L'Infini », Paris, 2008, 200 p. ((ISBN 978-2-07-078443-1))
Jacqueline Risset, Une certaine joie. Essai sur Proust, Éditions Hermann, 2009
Niels Soelberg, Recherche et Narration. Lecture narratologique de Proust, Copenhague, Museum Tusculanum Press, 2000
(en) Michael Sprinker, History and Ideology in Proust. « À la recherche de temps perdu » and the Third French Republic, London, Verso, 1998
Philippe Willemart, "Proust, poète et psychanalyste.Paris, L´Harmattan, 1999
Stéphane Zagdanski, Le Sexe de Proust, Gallimard, coll. « L'infini », 1994

Adaptations

Filmographie

Céleste, de Percy Adlon, film allemand avec pour personnage principal Céleste Albaret (1981).
Le Temps retrouvé, de Raoul Ruiz (1998).
Un amour de Swann, de Volker Schlöndorff (1984).
La Captive, de Chantal Akerman (2000).
À la recherche du temps perdu, téléfilm en deux parties de Nina Companéez (diffusé sur France 2 en février 2011).

Divers

Suso Cecchi d'Amico et Luchino Visconti : À la recherche du temps perdu, scénario d'après Marcel Proust, Persona, 1984.
Harold Pinter : Le Scénario Proust : À la recherche du temps perdu, avec la collaboration de Joseph Losey et Barbara Bray, traduction de l'anglais par Jean Pavans, scénario d'après Marcel Proust, Gallimard, Paris, 2003.
Stéphane Heuet : À la recherche du temps perdu, bande dessinée d'après Marcel Proust, 5 vol. parus, Delcourt, Tournai, Belgique, 1998-2008.
Alberto Lombardo, L'Air de rien, adaptation théâtrale de À la recherche du temps perdu sur la relation Albertine-Marcel, 1988.
Intégrale de À la recherche du temps perdu, lu par André Dussollier, Guillaume Gallienne, Michaël Lonsdale, Denis Podalydès, Robin Renucci et Lambert Wilson aux Éditions Thélème.
Texte intégral de l'édition Gallimard de À la recherche du temps perdu 1946-1947 en ligne sur Bibliothèque électronique du Québec
Livres d'artistes sur Marcel Proust
Marja Scholtens : À la recherche. Marcel Proust, livre de bibliophilie, xylographie, trois extraits de Marcel Proust traduits en néerlandais et la recette de madeleine, tirage 75 exemplaires sur papier simili-japon 80g/m², format 18,5x19,5 cm, Rotterdam, 2009.
Daniel Hees : Lindenblüten, livre de bibliophilie, extrait en allemand de Marcel Proust avec les eaux-fortes découpées (Radierschnipsel) de Daniel Hees, texte imprimé en caractères de plomb Palatino, portfolio, 43x57cm, tirage 60 exemplaires sur papier Hahnemühle-Büttenkarton 300g/m², Köln, 1984.
Andreas Hegewald : Franchement dit. Offen gesagt. , livre peint, 18x25cm, 2 encres de Chine et 2 aphorismes du livre Phrases vacantes d’Andreas Hegewald traduits en français par Anne Arc, typographie Janson, 4 exemplaires en français et 4 exemplaires en allemand, BUCHENpresse, Dresde, 2009.
Anne Arc : Marcel Proust, livre de gravures, 30,5x30,5 cm, collection "Laboratoire du Livre d’Artiste" (section "Temps"), tirage 12 exemplaires sur papier Canson noir 160g/m², Dives-sur-mer, 2009.
Anne Arc : Sur les traces de Marcel Proust. L'église de Balbec, livre peint, "leporello", 14x20cm, 8 pastels, 8 encres de Chine, texte manuscrit poétique À Temple de Dives d’Anne Arc, exemplaire unique, Dives-sur-mer, 2008.
Frédéric Joos : Marcel Proust. Sur la lecture, livre de bibliophilie, 20x28,5 cm, extrait de Sur la lecture, préface de Sésame et les Lys de John Ruskin, deux pointe-sèche sur zinc de Frédéric Joos, 7 exemplaires sur vélin BFK de Rives 250g/m². Ouistreham, 2009.
Frédéric Joos : Marcel Proust. Séjour à Venise, livre de bibliophilie, 33x24cm, extrait de À la recherche du temps perdu (VI-Albertine disparue/La Fugitive, Chapitre III: Séjour à Venise), pointe-sèche sur cuivre de Frédéric Joos, 5 exemplaires sur vélin BFK de Rives 250g/m². Ouistreham, 2009.
Dominique Dallot-Gogendeau: Sans titre, livre d’artiste, 30x29cm, extraits d‘œuvres de Marcel Proust (scription), collages, différents papiers faits main et papier Arches 450g/m², exemplaire unique, chez l'artiste, 2009.
Serge Chamchinov : Marcel Proust. Incipit, livre peint, 24x31 cm, incipit (et ses variantes) de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, manuscrit à l'encre de Chine et au pastel à l’huile par Serge Chamchinov, en feuilles dans deux jaquettes, couverture cartonnée, sur papier BFK Rives 300g/m² et Lokta 90g/m², chez l'artiste, 2008.
Serge Chamchinov : Swann dort sur ton lit, livre peint, 24x30 cm, 7 séquences, encre de Chine, légendes par Sophie Samson, 2011.
Serge Chamchinov : Le ciel de Beg-meil, Balbec, livre peint, 12x48 cm, recto-verso, sans texte, technique: découpage, 2011.
Nicolaus Werner : De la recherche de soi, trois livres peints ( Le Bonheur , Le Corps , Le Mort ), 31x43cm, cahiers d'artiste, encre de Chine, Wiesbaden, 2008.
Marc Vernier : Du côté de chez Swann, livre objet, 17x17cm, texte de Marcel Proust, conception et réalisation de Marc Vernier, technique mixte. Paris, 2009.
Marc Vernier : Sans titre, livre objet, 70x20cm, texte de Marcel Proust, conception et réalisation de Marc Vernier, technique mixte. Paris, 2009.
Sarah Wiame : Autour de Marcel Proust, livre de bibliophilie, collages, impressions et crayons sur quatre poèmes inédits de Danièle Corre, Paris, 2009.
Christiane Just : Lettre d'amour à Marcel Proust, livre de bibliophilie (bilingue franco-allemand), 21x14cm, texte de Marcel Proust "Der Gleichgütige" de l’édition Suhrkamp-Taschenbuch (1996) avec 3 linogravures de Christiane Just, tirage 10 exemplaires, BUCHENpresse, Dresde, 2009.
Léonore Fandol et Philippe Querel (Double Je) : À l'ombre de ? , livre-objet, 13,5x20cm, couverture ancienne cartonnée avec collage d'une tête en plâtre et d'une montre d'époque, encartage collé d'un vieil exemplaire déchiré de "À l'ombre des jeunes filles en fleurs" daté de 1919 et d'une page en fin d'ouvrage comportant un texte de Léonore Fandol écrit en juillet 2009.
Guillaume Landemaine: La recherche du temps perdu , 4 boîtes (livres objets): Asperges et Cattleya , À pied, à cheval, en vélo ou en voiture... , Pas de Catleya ce soir... , Proust et Gide. Une époque... , technique mixte, 55x65x10cm, 2009.





liens :

http://youtu.be/dhoqSH-VPaQ interview de Proust
http://youtu.be/e_0GOrwXX7I Dussolier lit Proust
http://youtu.be/113mXvH8Fc8 documentaire Proust
http://youtu.be/PAo8B2WQ3q8 le temps retrouvé extrait de film
http://youtu.be/_Uf0PLWcJmA Proust
http://youtu.be/bfpki_GYOvI un amour de swann
http://youtu.be/b9mFjA8L90Y un amour de swann film complet en espagnol
http://youtu.be/VfixUkdwsgs lecture de "A l'ombre des jeunes filles en fleurs"
http://youtu.be/Du-rsuaFye la recherche du temps perdu Nina copanez


http://youtu.be/C0mx-Aq9MIE Dave
http://youtu.be/u-F98knpuRQ le temps retrouvé sonate



http://www.ina.fr/art-et-culture/litt ... 904/marcel-proust.fr.html

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Posté le : 18/11/2012 13:09

Edité par Loriane sur 13-01-2013 17:47:11
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Fédor Dotoïevski
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Quand on demande à un Russe quel est le plus grand écrivain de son pays, il répond en général Pouchkine, parce qu’il est le premier en date, qu’il a créé la langue et qu’il a été le civilisateur qu’attendait la Russie lassée de sa propre barbarie. Posée à un occidental, la réponse à la même question eût hésité au début du XXème siècle entre Tolstoï et Dostoïevski De nos jours elle se déterminerait probablement pour Dostoïevski. Il est en effet le seul écrivain russe qui ait imprimé une modification profonde au champ entier de la littérature mondiale.
Il n’est pas de pays au XIXème siècle où la littérature soit prise plus au sérieux que dans la Russie. Ses débuts éclatants sous Nicolas Ier apportaient la preuve qu’elle était capable de civilisation, capable de tenir sa place en Europe. Le romantisme allemand prisait les oeuvres de civilisation : la Russie, à la grande fierté de Biélinski en est désormais pourvue. De plus l’écrivain se voyait chargé de la mission d’illustrer la place à part de la Russie en Europe.
Mais le géant de la littérature russe Pouchkine est mort depuis quarante-trois ans, quand, en 1880, l’autre géant Dostoïevski prononce un discours élogieux (Речь о Пушкине ) sur ce « prophète » :
« Pouchkine est un phénomène extraordinaire, et peut-être le phénomène unique de l’âme russe, a dit Gogol. J’ajouterai, pour ma part, que c’est un génie prophétique. Pouchkine apparaît juste à l’heure où nous semblons prendre conscience de nous-mêmes, un siècle environ après la grande réforme de Pierre, et sa venue contribue fortement à éclairer notre chemin. »
Et le moyt de la fin :
Les mots de la fin : « Pouchkine est mort dans tout l’épanouissement de son talent et il a emporté dans sa tombe la solution d’un grand problème. Tout ce que nous pouvons faire, c’est tenter de le résoudre.
Quel écrivain, plus profondément que Dostoievski, a sondé les passions humaines ? Et qui mieux que lui a su créer des caractères d’une telle complexité ?
Dostoievski est l’homme des sentiments démesurés. Il n’est à l’aise que dans l’exception. Il ne respire bien que dans la tempête. « Quant à moi, je n’ai jamais fait que pousser à ‘extrême, dans ma vie, ce que vous n’osiez pousser vous-mêmes qu’à moitié. » (Dostoievski par Henri Troyat)

Mieux encore, ces caractères ne sont pas figés ; ils évoluent, modelés par les évènements, tordus par le malheur, redressés jusqu’à la rédemption par l’expérience de leur crime ou la tragique prise de conscience de leurs actes.
Faut-il voir en Dostoievski un écrivain du plus noir pessimisme sur la nature humaine ou bien comme un écrivain convaincu que l’âme humaine dans la pire de ses déchéances recèle encore les ressources positives susceptibles de lui rendre sa dignité ?
Je crois que c’est sa propre vie qui peut nous proposer une réponse.
Personne ne niera je pense qu’une condamnation à mort commuée à la dernière minute précédant l’exécution en déportation au bagne, a forcément des effets déterminants sur la vie d’un homme , ni que 4 années passées dans l’enfer de Sibérie marquent un individu de façon indélébile.
Mais il n’est pas suffisant de s’attacher à ces évènements extrêmes pour comprendre quel sens à donner aux confessions de Raskolnikov, ni le respect que l’on doit au Prince Mychkine ; le diable habite-t-il davantage Stavroguine que Verkhovensky ? faut-il tourner en dérision Stepane Trophimovitch ?Quelle importance donner au discours du starets Zozime? Et laquelle des voix d’Ivan Karamazov a des accents plus sincères , celle du machiavélique instigateur du parricide ou celle du repenti, rendu fou par ses contradictions ?
Notre lecture est plus riche, lorsque modestement on peut en saisir quelques sources.
Les dilemmes affrontés et sans doute jamais totalement résolus de Dostoievski expliquent à mon sens ces caractères aux multiples facettes, dont les âmes oscillent entre le bien et le mal, entre mysticisme et athéisme , entre humilité et arrogance, entre Tsar et socialisme révolutionnaire, entre peuple et élite intellectuelle, entre une Russie ignorante et Slavophilie messianique ?
Ce qui est les états d’âmes d’un esprit au paroxysme des tourments métaphysiques ou philosophiques?
Est-ce un esprit révolté par l’injustice sociale mais persuadé de la vanité, de l'inutilité d’une quête d’un bonheur matériel au détriment du spirituel ?
Son intelligence exceptionnelle lui permettait d’embrasser d’un même coup d’œil le monde sous des angles trop vastes pour être contenus dans les théories trop étroites de la politique ; les idéologies déicides ne le satisfaisaient pas, pas plus que son Dieu permettant le viol d’une enfant.
Visionnaire, ses héros sont à sa mesure, capables du bien comme du pire, instruments d’un mal qui peut générer le bien, mais aussi d’un bien qui peut produire les pires catastrophes.


Fédor Dostoïevski
Né le 11 novembre 1821, à Moscou, fils de Makhaïl Dostoïevski, médecin militaire alcoolique et violent (qui inspirera sans doute en partie le père karamazov) et de Maria Fédorovna Netchaiev, fille douce et résignée issue d’une famille bourgeoise,
Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski connaîtra une enfance difficile et maladive, il sera toute sa vie un grand nerveux sujet à l'épilepsie, habitant un petit logement à l’hôpital des Pauvres où son père travaille. Il a une enfance et une jeunesse difficile, des études réduites à une instruction primaire. il voit sa mère souffrir dans la résignation et son père être tué violemment. Son père refusant de l'aider financièrement, le jeune Fedor vit dans la misère pendant toutes ses études. Élève taciturne, il a du mal à s'intégrer. Après des études réduites, il rentre à 17 ans, suite à la mort de sa mère, à l'Académie du génie militaire de Saint-Pétersbourg d’où il ressortira en 1844 avec le grade de sous lieutenant. C’est durant sa formation militaire qu’il apprendra la mort de son père tué par des paysans de sa propriété.

Après une vie dissolue et sans le sous, il s’oriente vers l’écriture. Après quelques traductions, à 23 ans ( 1844) il publie son premier ouvrage loué par la critique, Les Pauvres gens, Bielinski s'écrie alors : « Un nouveau Gogol nous est né ! » Sa publication en 1846 lui vaut l'attention du poète Nekrassov mais d’abord encensé par la critique, il se voit ensuite considéré comme n’étant qu’un simple imitateur de Gogol. Il faut dire que Dostoïevski n'est pas à l'aise dans le milieu mondain. On l'appelle le « chevalier à la triste mine ». Par la suite, le Double et La Logeuse ne rencontre pas de succès, et il tombe dans le discrédit. Il fuit alors les cercles littéraires et dès 1847 il se lie avec un groupe de libéraux, le cercle de Petrachevski qui, clandestinement, tentait de préparer les paysans à la révolution socialiste. Il est alors arrêté et condamné à mort, peine commuée en 4 années d'emprisonnement suivies d'un exil en Sibérie de 5 années, il est déporté à Omsk en 1850 , « seulement » quatre ans grâce au tsar Alexandre III qui amnistie les condamnés politiques.. C'est une période éprouvante et déterminante pour son œuvre, dont Crime et châtiment. Il revient de Sibérie, diminué physiquement et moralement de ces travaux forcés (Souvenirs de la maison des morts) crises d'épilepsie, besoin de solitude et caractère farouche . Mais aussi changé par la lecture de l’Evangile et la découverte de la bonté de l’homme. Il est, à l'expiration de cette peine, intégré à l’armée comme simple troupier ou il servira 3 années avant d’être autorisé à regagner St Petersbourg où il fonde une revue.Lorsqu'il quitte le bagne en 1854, il est affecté dans un régiment de Sibérie, et il se remet alors à écrire. Il rencontre Maria Dimitrievna Isaeva.
En 1860, il obtient sa retraite de sous-lieutenant et peut rentrer à Saint-Pétersbourg. Il crée Le Temps. La revue est interdite en 1863. Malgré l'ouverture politique qui se développe avec le nouveau tsar Alexandre II (1855), des mouvements révolutionnaires violents se développent.
Il épouse en 1861 cette jeune veuve tuberculeuse, Mme Issaïew Maria Dimitrievna. Cette femme dépensière et le fils qu'elle a de son premier mariage ne le rendent pas heureux mais elle mourut quelques années plus tard. De plus, il est lui-même un joueur incorrigible qui sollicite des avances à ses éditeurs. À la mort de sa femme, en 1861 il rencontre Pauline Souslova puritaine mais passionnée et sensuelle (pré-incarnation de la "femme" des romans de Dostoïevski) de 1862 et 1863.Deux ans plus tard, sa femme et son frère décèdent. Couvert de dettes, l'écrivain se lance à corps perdu dans le voyage et le jeu, pour tenter de faire fortune à la roulette. Cette passion destructrice sera la source de son inspiration pour Le Joueur (1866) et L'adolescent (1875). Souslova refuse sa proposition de mariage. Dans sa fréquentation des casinos, il a perdu tout son argent et se voit ainsi contraint d’accélérer la rédaction de ses écrits (d'où parfois l'aspect décousu de certain de ses textes rédigés dans la précipitation). Il engage pour cela Ania Snitkina comme sténographe, jeune fille de 25 ans sa cadette qu’il épousera en 1866.qui lui sert de secrétaire, véritable collaboratrice de son œuvre, et qui, après sa mort, publiera une partie de sa correspondance. Sur le point d’être arrêté faute de pouvoir honorer ses dettes, il s’expatrie.Pendant quatre ans, Dostoïevski voyage, puis vit à Berlin, Varsovie, Paris

Cette période d'errance trouble durablement Dostoïevski. Plus le temps passe, plus il développe un profond mépris pour l'Europe et la démocratie. Pour lui, l'égalité démocratique accentue la violence des rapports entre les êtres humains.
De plus, en détruisant Dieu et le Roi, l'homme a, selon l'auteur, fait place nette pour la violence du matérialisme, de l'égoïsme et de l'individualisme.
Toutefois, il admire la liberté de la presse, ce qui est lié à la censure dont il a été victime en Russie. Depuis 1849 jusqu'en 1879 (date de la parution des Frères Karamazov), Dostoïevski vit sous la surveillance des services secrets du Tsar. Tout est contrôlé, jusqu'à son courrier, ses fréquentations et ses valises à la frontière.
En ce qui concerne la Russie, Dostoïevski se veut libéral et nationaliste. Il aime profondément sa nation et son peuple, et développe une véritable haine pour les usuriers russes.
En 1867, il épouse Anna Grigorievna Snitkine, qu'il avait engagée comme secrétaire. Elle n'a que vingt ans, mais permet d'améliorer la vie de l'écrivain et du ménage. Dostoïevski arrête de jouer et travaille beaucoup plus.
Il est donc en mesure de publier Crime et Châtiment, l'Idiot et Les Démons/Les Possédés.
Les Démons, justement, s'inspirent d'un fait divers sanglant, l'assassinat d'un membre du groupe révolutionnaire de Netchaïev.
L'œuvre romanesque de Dostoïevski se clôt par Les Frères Karamazov, un véritable chef d'œuvre qu'il publie à l'âge de 60 ans. Ce roman est un livre considérable, qui développe ses thèmes favoris de réflexion, à savoir la force irrationnelle de la passion et la question de l'existence de Dieu.
Le succès de ses écrits lui permettent néanmoins de mettre fin à cet exil. Quand il regagna la Russie en 1873, la réputation littéraire de Dostoïevski avait acquis une dimension et une ampleur internationales.

Le public et la critique ne s'y trompent pas, puisque le succès est immédiat et immense. Dostoïevski s'inscrit définitivement au panthéon des grands écrivains russes.
De plus, en 1880, l'écrivain encense le rôle de la Russie dans le monde à travers son livre Discours sur Pouchkine. Il devient alors un vrai héros national. Même ses anciens ennemis l'acclament.
Pendant toute la fin de sa vie, Dostoïevski s'affiche comme un fervent partisan de l'âme et du peuple russe, convaincu qu'il est du « génie russe », supérieur à celui des autres pays.
De plus, alors qu'il était agnostique auparavant, Dostoïevski évolue vers une ferveur croyante qui reconnaît le Christ comme prophète, même s'il s'inscrit hors des églises en tant qu'institutions.
Son oeuvre tourmentée, hantée par la recherche de l'authenticité, est à la fois un tableau réaliste du monde et une somme universelle et prophétique de l'âme humaine. Tant dans sa vie que dans son travail d'écriture, Dostoïevski a été aux prises avec une profonde inquiétude métaphysique, et habité par une foi ardente dans le Christ et le peuple russe. Sa carrière n'a cessé d'osciller entre exaltation et désillusion, et ce n'est que très tardivement qu'il a été reconnu.
à Saint-Pétersbourg, toute la population assiste à ses obsèques.

Dostoïevski meurt le 27 janvier 1881 à St Pétersbourg où il est enterré, toute la population est présente et assiste à son enterrement.|. Paradoxalement, après avoir mené une existence pauvre, trouble et souvent marginale, c'est trente mille personnes lui rendent un dernier hommage le jour de ses obsèques.




Comme pour Tolstoï, le succès de Dostoïévski tient tant à son art qu'à sa posture de moralisateur. Ainsi, tant dans sa vie que dans son travail d'écriture, Dostoïevski a été aux prises avec une profonde inquiétude métaphysique, et habité par une foi ardente dans le Christ et le peuple russe. Mûrie par l’expérience de la prison, la pensée moralisatrice de Dostoïevski transparaîtra alors dans tous ses écrits. Ainsi, tous les romans qui suivront reprendront la même thèse : en rejetant Dieu, il n’y a plus de moralité possible, tout étant permis par une loi sociale ne pouvant prétendre à être un absolu là où elle n’est que convention. Par cette posture morale, Dostoïevski remit fortement en cause les conceptions des radicaux et des nihilistes qui prévalaient alors dans le débat social. De ce fait, Dostoïevski se solidarisa avait ce qu’il y avait de plus rétrograde en se faisant notamment parfois le chantre le l’orthodoxie russe qui était selon lui « la vérité et le salut du peuple russe et de l’humanité » trahissant en cela le Christ pour le Tsar.

Quant à son art, Dostoïevski sera ce réaliste de l’intérieur, dépeignant dans ses écrits les âmes humaines dans leurs contradictions et leurs destinées tragiques. Il se plaît à dépeindre des malades, des souffrants, des victimes, à étudier les drames du crime et du remords. Les décors sont accessoires, la nature et les joies rares…. Les atmosphères sont dramatiques, angoissantes. Avec Dostoïevski, l’homme redevient un mystère, reconquiert sa complexité. Son œuvre s’oppose ainsi à la philosophie mécaniste et au déterminisme incapables de restituer l’homme dans sa pensée et ses motivations profondes : en replaçant l’inconscient, l’irrationnel, comme moteur de l’homme, Dostoïevski a enrichi notre vision de l’homme.




Citations :

52 citations de Fiodor Dostoïevski (1821-1881)

"La peur de l'ennemi détruit jusqu'à la rancune à son égard."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"La charité n'atteint pas son but parce qu'elle ne fait qu'augmenter la mendicité."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"Chacun ne peut juger que d'après soi-même."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"Un homme cultivé et honnête ne peut être vaniteux sans exiger beaucoup de lui-même."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Raisonner sur la sagesse et tâcher de s'élever jusqu'à elle, c'est là que doit tendre notre existence."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"L'amour est un trésor inestimable qu'il suffit à racheter tous les péchés du monde."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"Pardonne tout le mal que l'on t'a fait, et la paix véritable descendra en toi."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"Il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui se repent que pour dix justes qui persévèrent."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"L'homme, quels que soient ses péchés, ne peut épuiser la miséricorde divine."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"Il n'y a pas au monde un péché que Dieu refuse de pardonner à qui possède le vrai repentir."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"Si Dieu n'existe pas, tout est permis."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"Toute la science du monde ne vaut pas les larmes des enfants."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"On peut être pauvre et honnête homme."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"L'homme aime à ressasser ses malheurs, et pour ses bonheurs, il les oublie."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Où il n'y a pas d'amour, il n'y a pas de sagesse."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Un père aime toujours plus qu'une mère sa fille."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Le criminel, au moment où il accomplit son crime, est toujours un malade."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Crime et châtiment - 1866.
"La suffisance et le contentement de soi sont le propre des ânes."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"L'homme est sot ; quoi qu'on fasse pour lui, il est ingrat."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"L'homme n'a inventé Dieu qu'afin de pouvoir vivre sans se tuer."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"L'homme offensé va droit à son but comme va un taureau furieux cornes baissées."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Quand l'esprit de vengeance domine l'homme, il n'est plus accessible à aucun autre sentiment."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"C'est dans le désespoir que sont les plaisirs les plus ardents."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"La vie et le mensonge sont synonymes."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Bobok - 1873.
"Tout le monde en est là, c'est toujours de ses maladies qu'on se vante."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Un homme d'action est essentiellement borné."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Le mari et la femme sont leurs propres juges."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Quand le navire doit sombrer, les rats sont les premiers à le quitter."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"Il faut être un grand homme pour savoir résister même au bon sens."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"Aimer un être, c'est le voir comme Dieu a voulu qu'il soit."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"L'amour abstrait de l'humanité est presque toujours de l'égoïsme."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; L'idiot - 1868.
"Il n'y a qu'un moyen de salut : prends à ta charge tous les péchés des hommes."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"Comme il est doux de se réconcilier après la dispute !"
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"La souffrance est l'unique cause de la conscience."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Il n'y a pas de préjugés anodins."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"La peur de l'ennemi détruit jusqu'à la rancune à son égard."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"Le plus difficile dans la vie est de vivre et de ne pas mentir."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"Il y a toujours dans la charité quelque chose qui corrompt à jamais."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"Plus j'aime l'humanité en général, moins j'aime les gens en particulier, comme individus."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"Les jaloux sont les premiers à pardonner, toutes les femmes le savent."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"L'amour de l'humanité est une abstraction à travers laquelle on n'aime guère que soi."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; L'idiot - 1868.
"L'humanité pleine d'amour est une force redoutable, à nulle autre pareille."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"Si le juge était juste, peut-être le criminel ne serait pas coupable."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.
"Un être qui s'habitue à tout, voilà la meilleure définition qu'on puisse donner de l'homme."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Souvenirs de la maison des morts (1860-1862)
"Une erreur originale vaut peut-être mieux qu'une vérité banale."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Crime et châtiment - 1866.
"Le mariage est la mort morale de toute indépendance."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"Un homme conscient de lui-même peut-il se respecter tant soit peu ?"
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Là où l'amour n'existe pas, la raison, elle aussi, est absente."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les carnets du sous-sol - 1864.
"Toute société, pour se maintenir et vivre, a besoin absolument de respecter quelqu'un."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Journal d'un écrivain - 1873.
"Il n'y a que par le respect de soi-même qu'on force le respect des autres."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Humiliés et offensés - 1861.
"L'homme est malheureux parce qu'il ne sait pas qu'il est heureux."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les démons - 1871.
"Rien ne peut compenser une seule larme d'un seul enfant."
Citation de Fiodor Dostoïevski ; Les frères Karamazov - 1880.




Les oeuvres par date


1846 : Les Pauvres Gens
1846 : Le Double
1846 : Du danger de se livrer à des rêves ambitieux19
1846 : Un roman en neuf lettres
1846 : Monsieur Prokhartchine
1847 : La Logeuse (autre traduction : L'Hôtesse)
1847 : Les Annales de Pétersbourg
1848 : Polzounkov
1848 : La Femme d'un autre et le mari sous le lit
1848 : Un sapin de Noël et un mariage
1848 : Les Nuits blanches
1848 : Un cœur faible
1848 : Récits d'un vieux routier, comprenant :
Le Soldat en retraite20
Le Voleur honnête
1848 : Le Mari jaloux
1848-1849 : Nétotchka Nezvanova (inachevé)
1849 : Le Petit Héros
1859 : Le Rêve de l'oncle
1859 : Le Bourg de Stépantchikovo et sa population (autre traduction : Carnet d’un inconnu (Stépantchikovo))
1861 : Humiliés et offensés
1860-1862 : Souvenirs de la maison des morts (autre traduction : Les Carnets de la Maison Morte)
1862 : Une sale histoire
1863 : Notes d'hiver sur impressions d'été
1864 : Mémoires écrits dans un souterrain (autres traductions : Les Carnets du sous-sol, Le sous-sol, Manuscrit du souterrain)
1865 : Le Crocodile
1866 : Crime et Châtiment
1866 : Le Joueur
1868 : L'Idiot
1870 : L'Éternel Mari
1871 : Les Démons (autre traduction : Les Possédés)
1873 : Journal de l'écrivain :
Bobok
Petites Images
Le Quémandeur
1874 : Petites Images (en voyage)
1875 : L'Adolescent
1876 : Journal de l'écrivain :
Le Garçon « à la menotte »
Le Moujik Maréï
La Douce (autres traductions : Une femme douce, Douce, La Timide)
La Centenaire
1877 : Journal de l'écrivain :
Le Rêve d'un homme ridicule
1878 : Le Triton
1880 : Les Frères Karamazov
1880 : Discours sur Pouchkine
Correspondance[modifier]
Correspondance, en 3 tomes, Édition Bartillat, 2003. Intégrale présentée et annotée par Jacques Catteau ; traduite du russe par Anne Coldefy-Faucard





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Posté le : 11/11/2012 14:35
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Re: La terre de Emile Zola
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A mon avis plus de 80%.
Le prêtre de mon enfance, mon amour de "père A. Turck" m'a servi de père et m'a permis d'avoir un regard positif sur les hommes.
Je parlais avec sa soeur au téléphone il y a quelque mois, au détour de la conversation, elle a eu cette phrase :
" Oh avec tout ce que nous savons maintenant, je ne crois pas que mon frère se referait prêtre "
J'en suis intimement persuadée.
C'était un homme magnifique, mais c'était à Saint Denis la rouge dans les années 60, il n'y avait pas de place dans ces communes ouvrières pour la rigidité du catholicisme flamboyant. Si ils voulaient se maintenir ils avaient intérêt à se la jouer modeste.
C'était l'époque des prêtres ouvriers et les mécréants se multipliaient dans les rues.
Je viens de la Fnac, racheter les Trois villes, que je ne trouvais plus. J'aime relire des bouquins que j'avais oubliés, je mesure mes propres changements.
Sur le sujet de l'incroyance, il y a dans" le dialogue des carmélites" (dialogue et senario de G. Bernanos) avec Jeanne Moreau, une scène terrible. La mère supérieure, dure, intransigeante agonise et se met à hurler sa terreur, il n'y a rien, Dieu n'existe pas, tout ça c'était pour rien .... le doute suprême, effroyable.
Cette scène m'a marquée.

Posté le : 21/10/2012 18:23
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Re: La terre de Emile Zola
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Pierre Froment, le prêtre incroyant, le prêtre qui réalise (pas trop tard, heureusement !) qu'il n'a jamais vraiment eu la foi, mais qui continue quand même à faire son métier, parce qu'il faut bien que quelqu'un le fasse...

Je me demande combien de Pierre Froment il y a aujourd'hui dans le clergé ?

Posté le : 21/10/2012 16:59
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Alphonse de Lamartine
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Alphonse Marie Louis de Prat de Lamartine dit Alphonse de Lamartine, est né à Mâcon le 21 octobre 1790

et mort à Paris le 28 février 1869, poète, romancier, dramaturge et prosateur en même temps qu'un homme politique français, l'orateur d'exception qui proclama et dirigea la Deuxième République.
Il est l'une des plus grandes figures du romantisme en France.
Son père, Pierre de Lamartine (21 septembre 1752-Mâcon, 1840) est seigneur, chevalier de Pratz et, capitaine au régiment Dauphin-cavalerie, et sa mère Alix des Roys, " fille de l'intendant général de M. le duc d'Orléans".
Les dix premières années, passées à la campagne à Milly, sont influencées par la nature, ses sœurs, sa mère, et surtout par l'abbé Dumont, curé de Bussières, qui lui insuffle une grande ferveur religieuse, renforcée par les années qu'il passe au collège de Belley, pendant lesquelles il lit Chateaubriand, Virgile et Horace.
De retour à Milly, il commence à écrire de la poésie sous l'inspiration de l'Ossian de Baour-Lormian.
Puis, après une aventure sentimentale qui inquiète ses parents, il entame un voyage en Italie (1811-1812) pendant lequel il rencontre une jeune Napolitaine qui sera le modèle de sa Graziella.
Il s'essaye à la tragédie (Médée) et écrit ses premières élégies.
En 1814, il est quelque temps garde du corps de Louis XVIII une fois ce dernier intronisé : il se réfugie en Suisse au moment des Cent-Jours et finalement démissionne en 181510. Il revient à Milly, et mène une vie de gentleman campagnard. Seul garçon de sa famille, il doit recevoir en héritage les domaines de ses parents.
Sans y être obligé, il s'engage à indemniser ses sœurs par des rentes.


L'homme politique


En 1848, à l'occasion de la chute de Louis-Philippe et de la proclamation de la Seconde République, Lamartine fait partie de la Commission du gouvernement provisoire. Il est ainsi Ministre des Affaires étrangères de février à mai 1848.
Partisan d'une révolution politique, il est plus proche des libéraux que des partisans d'une réforme politique et sociale (Louis Blanc, Albert, etc.).
Le 25 février 1848, il s'oppose ainsi à l'adoption du drapeau rouge.
De concert avec François Arago, il mène une politique modérée.
C'est lui qui signe le décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848. Le 10 mai 1848, le gouvernement provisoire est remplacé par une commission exécutive, dont ont été exclus les plus à gauche (Louis Blanc, etc.).
Lamartine siège alors avec François Arago (également président de la Commission), Louis-Antoine Garnier-Pagès, Alexandre Auguste Ledru-Rollin et Pierre Marie de Saint-Georges.
Après la fermeture des Ateliers nationaux, décidée par la Commission exécutive, et les Journées de Juin, réprimées dans le sang par le général Cavaignac, la Commission démissionne.
Le 28 juin 1848, Cavaignac devient président du Conseil des ministres par intérim.
En décembre, Lamartine obtient juste 0,26 % lors de l'élection présidentielle qui porte au pouvoir Louis Napoléon Bonaparte. En avril-juin 1850, lors des débats parlementaires sur la loi de déportation politique, Lamartine s'oppose au choix des îles Marquises, bien qu'il ne fût pas opposé au principe même de la déportation.


Son inspiration politique et sociale

Dès 1830, la pensée politique et sociale de Lamartine va devenir un aspect essentiel de son œuvre. Légitimiste en 1820, il évolue peu à peu vers la gauche, mais voit un danger dans la disparition de la propriété : cette position ambiguë est intenable. En 1831, il est attaqué dans la revue Némésis : on lui reproche d'avilir sa muse en la faisant la servante de ses idées politiques.
Lamartine réplique, et dès cette période, son œuvre est de plus en plus marquée par ses idées.
Lamartine croit au progrès : l'histoire est en marche et les révolutions sont un moyen divin pour atteindre un objectif. La démocratie est la traduction politique de l'idéal évangélique.
Jocelyn, La Chute d'un ange, témoignent des préoccupations sociales de leur auteur, qui œuvre aussi pour la paix.


La pensée religieuse de Lamartine

Jocelyn, La Chute d'un ange, le Voyage en Orient révèlent la pensée religieuse de Lamartine. Son déisme est assez vague, mais le poète veut expurger la religion de la croyance aux miracles, de celle de l'enfer, etc. Cependant, certaines de ses œuvres seront mises à l'index. Sa foi en la Providence est contingente des vicissitudes de sa vie, mais le désir de servir Dieu est à chaque fois plus fort. La présence de figures romanesques et religieuses, telles l'Abbé Dumont, traversant son œuvre, participe de cette vision évangélique.
Regards sur l’œuvre
Maître du lyrisme romantique et chantre de l'amour,
de la nature et de la mort, Alphonse de Lamartine marque une étape importante dans l'histoire de la poésie française avec sa musique propre.
En effet "La révolution française de la poésie" peut être datée "des Méditations poétiques" de Lamartine : cette mince plaquette eut un effet à la fois détonant et fondateur dans la redéfinition lente de la poésie à laquelle procède le XIX siècle".
Lamartine, admiré par Hugo, Nodier ou Sainte-Beuve, disait de la poésie qu'elle était "de la raison chantée " et retrouva les accords d'un langage enthousiaste, c'est-à-dire d'une possible communion avec Dieu.
La poésie est chant de l'âme. Si ses élégies restent dans la lignée de celles de Chénier, Bertin ou Parny, ses méditations et ses poèmes métaphysiques (notamment " La Mort de Socrate " et " Le Désert ") sont le résultat d'une expérience nouvelle, qui ont pu faire dire à Rimbaud que
" Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille. "(Lettre du voyant.)

L'œuvre immense : 127 volumes —

propose parfois des textes moins reconnus (poèmes de circonstances par exemple ou de nombreux textes du Cours familier de littérature)6, mais on y reconnait le plus souvent l'expression d'un artiste, pour qui la poésie est " l'incarnation de ce que l'homme a de plus intime dans le cœur et de plus divin dans la pensée".
Certains de ses contemporains furent sévères avec lui, (Flaubert parle ainsi de " lyrisme poitrinaire "), mais il restera comme le grand restaurateur de l'inspiration lyrique.
La beauté de cette poésie suppose donc la profonde sympathie de son intime lecteur :
"La phrase fait secrètement entendre ce qu'elle fait discrètement voir et ressentir".
Quiconque la murmure se substitue à celui qui l'inventa et se met à confondre les automnes de son âme avec ceux de la nature car ils sont signes de la déploration qu'il y a en Dieu.
Telle aura été la visitation de Lamartine .
Son Voyage en Orient est avec celui de Nerval, après l'Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand, l'un des chefs-d’œuvre du récit de voyage.
Son titre complet, Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient (1832-1833), ou Notes d'un voyageur, souligne assez bien l'ambition littéraire de Lamartine, poète d'une nature illimitée dont la vision voluptueuse ouvre un espace immense à la rêverie, à une profonde méditation.
La poésie se rêve en effet le plus souvent chez Lamartine comme une coulée douce, d'ordre presque érotique, chargée tout à la fois de délivrer le moi et d'occuper en face de lui, disons presque de séduire, l'espace d'un paysage

Sous le second empire
La fin de la vie de Lamartine
est marquée par des problèmes d'argent, dus à sa générosité et à son goût pour les vastes domaines. Il revient un temps aux souvenirs de jeunesse avec Graziella, Raphaël, mais doit très vite faire de l'alimentaire. La qualité de ses œuvres s'en ressent rapidement, et désormais les productions à la mesure du poète, telles que La Vigne et la Maison (1857), seront rares. À la fin des années 1860, quasiment ruiné, il vend sa propriété à Milly et accepte l'aide d'un régime qu'il réprouve. C'est à Paris qu'il meurt en 1869, deux ans après une attaque l'ayant réduit à la paralysie.

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Sa vie résumée en date:

1790 Naissance, le 21 octobre, d'Alphonse de Lamartine. Son père, et sa mère sont des aristocrates et de fervents catholiques.
1797 La famille de Lamartine s'établit à Milly. Le poète conservera cette propriété jusqu'en 1860 et l'évoquera dans plusieurs de ses œuvres, notamment Milly et la Vigne et la Maison.
1811-1812 Lamartine voyage en Italie, entre autres à Naples où il entretient une liaison avec une Antoniella qui lui servira de modèle pour Graziella.
1812 Lamartine devient maire de Mâcon.
1814 Lamartine s'engage dans la garde de Louis XVIII.
1816 En octobre, le poète fréquente Julie Charles qui sera l'Elvire des Méditations et l'héroïne du Lac.
1817 En août, Lamartine attend en vain Julie Charles à Aix, là où les deux amants s'étaient donné rendez-vous. Ce n'est qu'en décembre, à Paris, que le poète apprend la mort de Mme Charles.
1820 En mars, Lamartine publie Les Méditations poétiques. Le 6 juin, il épouse une anglaise, Marianne-Élisa Birch. Le couple voyage en Italie où Lamartine a été nommé attaché d'ambassade.
1822 Naissance de Julia de Lamartine. La même année meurt Alphonse, le fils du poète, né l'année précédente.
1823 Publication des Nouvelles Méditations poétiques.
1825 Composition du Dernier Chant du pèlerinage d'Harold, inspiré par Byron.
1829 Le 5 novembre, Lamartine est élu à l'Académie française. Le 16 du même mois, sa mère meurt.
1830 Mise en vente des Harmonies poétiques et religieuses. En décembre, il publie un poème Contre la peine de Mort.
1831 Lamartine présente sa candidature comme député à Mâcon, à Bergues et à Toulon. C'est partout un échec.
1832 Publication des Révolutions. La même année, Lamartine va en Orient où il visite notamment le Saint-Sépulcre. C'est pendant ce voyage, à Beyrouth, que meurt Julia de Lamartine.
1836 Publication de Jocelyn. La même année, Jocelyn et Le Voyage en Orient sont mis à l'Index.
1837 Lamartine est élu député de Mâcon et de Bergues. Dans les années qui suivront, Lamartine luttera contre la peine de mort, pour la suppression de l'esclavage, pour la paix et, de façon plus générale, pour les démunis. A la Chambre des députés, ses discours auront de plus en plus d'influence.
1839 Mise en vente des Recueillements poétiques.
1840 Le 30 août meurt Pierre de Lamartine, le père du poète. Lamartine refuse un portefeuille ministériel dans le gouvernement de Guizot et, la même année, il s'oppose au retour des cendres de Napoléon.
1844 Lamartine entreprend un nouveau voyage en Italie.
1843-1847 Composition d'une Histoire des Girondins dans laquelle Lamartine chante la grandeur de la Révolution, allant jusqu'à, malgré son dégoût pour les excès de la Terreur, réhabiliter Robespierre.
1848 Le 24 février, Lamartine devient ministre des Affaires étrangères. En décembre, il pose sa candidature à la présidence de la République. Il ne recueille que 17 910 voix
1850 Première de Toussaint Louverture. En juin et juillet, Lamartine voyage en Turquie.
1856 Première édition du Cours familier de Littérature. C'est dans cette publication mensuelle que Lamartine fera paraître la Vigne et la Maison.
1860 Vente de Milly, la maison où Lamartine passa son enfance.
1869 Mort d'Alphonse de Lamartine, à Paris.

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Lamartine qui était-il ?

par Henri Guillemin



Un languide, n'est-ce pas ? Un mandoliniste assomant. Le pleurard à nacelle dont parlait Musset. Le responsable, comme disait Flaubert, de tous les embêtements bleuâtres du lyrisme poitrinaire.
Je sais bien que c'est là l'image usuelle que l'on se fait de Lamartine.
Il n'y en a pas de plus inexacte.

Oui, il a eu le tort de publier deux fois, coup sur coup (1820 et 1823), des vers où il prétendait "se mourrir". Il avait alors trente ans et il mourra presque octogénaire. Oui, sa prose est souvent molle, et son vocabulaire poétique fait, aujourd'hui, "fané", terriblement. Etranglé par la forme vieille, écrivait Rimbaud, en 1871. Mais le même rimbaud, dans la même phrase, ne l'en reconnaissait pas moins voyant. Et l'on sait que, pour Rimbaud, c'était là le mot clé. Pas de poésie sans "voyance". Lamartine "voyant", selon Rimbaud, est donc, à ses yeux, un poète authentique. Et je me souviens de Claudel 1942, un Claudel désœuvré, qui n'avait jamais lu Lamartine, qui s'y était mis parce qu'il ne savait quoi lire, et qui, tout stupéfait, fixant sur moi ses yuex gris, me disait, n'en revenant pas : "C'est tout de même vrai, ce Lamartine, avec ses défauts, un poète, oui, un poète..."

On songe toujours, quand il s'agit de lui, au Lac, devenu désastreux par "l'adaptation musicale" dont ce poème là fut victime. Et à l'Isolement et au Vallon, à tout ce qui permit à Jules Lemaitre de divertir son auditoire, jadis, en murmurant, avec ce sourire qui lui valait des adorations, que si Victor Hugo, c'est "Boum-Boum", Lamartine, hélas, c'est "Gnan-Gnan". A croire que l'on ne sait même pas que, si Lamartine est l'auteur des Méditations et de Jocelyn, il l'est aussi de ces Psaumes modernes (premier titre de ses Harmonies) où Novissima Verba répond mal à la définition susdite, et des Révolutions et des vers A Némésis et de cette extraordinaire Chute d'un ange qui n'est précisément pas de la guimauve. Une "corde d'airain", chez lui aussi. Une voix puissante et mâle. Et si c'est le même homme qui est capable d'écrire Le Désert et La Vigne et la Maison, c'est que "rien n'est si doux que ce qui est fort" (ces mots là sont de lui; on les trouve dans son Nouveau voyage en Orient, et c'est de l'océan qu'il s'agit).

Un païen qui avait besoin de soleil, qui ouvrait sa poitrine à tous les souffles de la terre et du ciel. Et en même temps un être incapable de borner ses vœux aux délices de l'assouvissement. Terrestre, terrien ("terreux", eût dit Péguy); et, à la fois, homme de désir, avec une réclamation en lui, viscérale, une revendication farouche de l'infini, de l'éternel, de ce qui est.

Il avait possédé des femmes et des femmes, quand, à vingt-six ans, un choc profond l'ébranle. celle qu'il tient maintenant dans ses bras va mourir. Elle le sait. Il le sait. Elle meurt en effet. (Il l'avait eue vivante, ardente, chaude et nue contre lui, au mois d'octobre 1816, pour la première fois, à Aix; en décembre de l'année suivante, on l'ensevelissait, à Paris). Commotion qui l'atteint jusqu'au fond de sa substance. Elle l'a "changé. Cette ferveur chrétienne qu'il avait connue, jadis, auprès d'une mère admirable qui savait lui rendre sensible la présence de Dieu, cette ferveur qui s'était éteinte sous les plaisirs, elle ressuscite. Un lien brisé qui se renoue. Une eau perdue qui se remet à sourdre. Lamartine se marie, résolu à faire de sa vie autre chose qu'une poursuite des "grands biens". Il veut un foyer, des enfants, et dire ce qu'il a désormais dans le cœur, son espérance, sa certitude.
Ses enfants lui seront arrachés. La mort de sa petite Julia, en décembre 1832, est pour lui un déchirement sans nom.

Il entre dans la lutte politique, allant - avec une lucidité exemplaire - vers un but dont ne se doutent guère ni ses ennemis ni ses amis. Ce châtelain de province a compris ce que ne veulent pas voir les gens de sa classe : que la vraie question, temporelle, est économique et sociale, et que l'oppression est la voie sûre vers l'explosion, et que l'ordre injuste est un désordre, et que le salut est dans la République et tout ce qu'elle contient d'implicite, qu'il faudra bien expliciter. On le prend, chez les conservateurs, pour un rusé au service de leurs intérêts; et quand on s'aperçoit, sur le fait, en mai 1848, et de manière le plus flagrante, qu'il n'est pas cet imposteur dupant la "canaille", que les possédants avaient d'abord applaudit, une marée de haine le submerge, un raz-de-marée. Falloux, Montalembert, Veuillot, et tous "ces athées de la nuance catholique", si bien dénudés par Victor Hugo, qui se précipitent, en 1848, vers une Foi qui leur fait entre eux hausser les épaules, mais qu'ils estiment bonne encore à préparer, chez les analphabètes, des générations d'esclaves résignés, tous ceux-là poursuivent Lamartine d'une fureur, d'une exécration inouïes.

Démuni, solitaire et le cœur broyé, Lamartine ne sait plus si c'est vrai, tout ce à quoi il a cru. Il ne le sait plus, mais il a décidé de faire, et de vivre, comme si c'était vrai. Pari jeté dans le noir. Faire comme si Dieu, le maître obscur, était le "bon Dieu". C'est cela, le secret de Lamartine, de la mort de sa fille jusqu'à sa propre mort. Et ces mots qu'il avait voulu qu'on gravât sur sa tombe : Speravit anima mea, ces mots flétrits, usés, comme on se trompe si l'on y voit la montée calme d'une fumée d'encens. C'est une flamme entrecoupée et violente. Un cri que cet homme s'arrache dans un coup de force permanent de sa volonté.

Henri GUILLEMIN

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Les Méditations poétiques

Les Méditations poétiques ont été publiées en 1820. Ces vingt-quatre pièces furent créées entre 1815 et 1820 et constituaient une sorte de journal intime des expériences vécues ces années-là par le poète, expériences dont la plus célèbre fut inspirée par Julie Charles, la femme évoquée par Lamartine dans Le Lac. À l'origine, les Méditations eurent un tel succès, en particulier au sein des milieux catholiques, qu'en moins d'un an sept éditions en furent faites. Même le roi de France et quelques-uns de ses ministres, Talleyrand notamment, en récitaient les vers. Au plan historique, l'importance de ce petit livre est également considérable, et il n'est pas inutile de rappeler que plusieurs lecteurs et critiques ont reconnu, dans les Méditations, la première oeuvre, avec celles de Chateaubriand, pleinement romantique de la littérature française.

Mais à quoi, justement, tient ce caractère romantique?

Rappelons d'abord que le poète, chez Lamartine, est un être seul, isolé, plus près de Dieu et de la Nature que de ses frères humains. Ajoutons que ce poète souffre d'une mélancolie, d'une maladie de l'âme qui annonce le Mal du siècle de Musset ou le spleen baudelairien. Il n'est pas non plus indifférent de noter que les épanchements de Lamartine - ceux qu'on entend dans Le Lac, L'Automne ou Le Vallon - ont cette qualité proprement romantique d'êtres nés de son expérience la plus intime, la plus personnelle, mais d'avoir en même temps pu rejoindre des générations entières de lecteurs où chacun prend cette expérience comme la sienne.

Parfois le style de Lamartine est emphatique, parfois aussi ses plaintes sont trop appuyées pour qu'on les sente parfaitement authentiques, mais n'est-ce pas justement ce sens de l'excès qui, au-delà de tout le reste, fait des Méditations l'un des recueils les plus typiquement romantiques qui soient ?

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Les poèmes des Harmonies poétiques et religieuses



Les poèmes des Harmonies poétiques et religieuses ont été composés entre 1825 et 1830 et ils furent publiés le 15 juin 1830. La plupart de ces pièces furent écrites à Florence, entre 1826 et 1828, là où Lamartine occupait un poste de secrétaire d'ambassade, et elles sont dans l'ensemble marquées par le bonheur spirituel et l'élévation vers Dieu (voir notamment là-dessus L'Hymne du matin et L'Hymne de l'enfant). Cette inspiration heureuse fut tempérée par davantage d'inquiétude à partir du retour du poète en France, vers la fin de 1828, d'autant plus que la mère de Lamartine mourut en 1829 (un poème comme Novissima Verba, qui n'a pas été reproduit ici, exprime bien ce désarroi).

Plusieurs lecteurs considèrent que c'est dans Les Harmonies poétiques et religieuses que Lamartine atteint son inspiration la plus haute, et il ne fait aucun doute que peu d'œuvres littéraires françaises expriment aussi bien que ce recueil l'aspiration vers Dieu, l'abandon au divin.

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Milly


En octobre 1794, la famille du chevalier de Pratz (Pierre de Lamartine, père du poète), qui avait épousé Alix des Roys, s'accroissant rapidement, il obtint de ses parents, de ses frères et sœurs, l'usage de la maison de Milly, construite en 1705 par son trisaïeul Jean-Baptiste, à une quinzaine de kilomètres de Mâcon. Cette petite propriété, dont les terres avaient, à cette époque, une superficie d'environ cinquante hectares, et s'étendaient sur les communes de Milly, Berzé-la-Ville et Saint Sorlin (La Roche Vineuse) fut le lieu de l'enfance du poète. En 1830 "ce bien de cœur plus que de terre" fut racheté par Lamartine à son beau-frère Montherot mais, criblé de dettes, il fut obligé "de signer la vente de la moëlle de mes os, ma terre et ma maison natale de Milly, à un prix de détresse qui ne présente ni la valeur morale ni la valeur matérielle. J'ai emporté avec larmes, en quittant le seuil, les vestiges de ma mère et les reliques de ma jeunesse" le 18 décembre 1860, moyennant le prix de 500.000 F à Monsieur Mazoyer, propriétaire à Cluny, qui, en 1861, l'échangea avec M. Th. Daux, notaire à Saint Sorlin contre un domaine situé à Saint Gengoux de Scissé; restée propriété de la famille de Monsieur Daux; elle appartient aujourd'hui à son arrière-petit-fils, Monsieur Sornay.
Milly a marqué profondément et pour toujours son âme d'enfant; sa mère l'y a élevé dans une foi ouverte et généreuse, lui inculquant l'amour de ses semblables, le devoir d'un altruisme agissant, l'amour de Dieu, non pas abstrait, mais à travers les beautés de la Création et des créatures. Elle lui a enseigné le respect de la vie et celui de la dignité de tous les hommes, fussent-ils les plus humbles. Milly resta pour lui l'arche sainte, le sanctuaire des images les plus chères du temps où sa mère vivait et l'enveloppait de son amour.
On trouve une minutieuse description de la Maison de Milly dans les "Confidences" (livre IV, chapitres V et VI), puis dans les "Mémoires inédits" (livre I, chapitre VI et suivants), une émouvante évocation de la vie qui l'animait au temps de la jeunesse du poète dans le dernier grand poème de Lamartine "La Vigne et la Maison", écrit à l'automne 1856, alors que l'inéluctable nécessité de la vendre lui apparaissait enfin; et c'est dans "Milly ou la terre natale" une des "Harmonies" écrite au début de 1827, qu'il évoque avec le plus d'amour cet humble village du Mâconnais, qui, en reconnaissance, a pris le nom de Milly-Lamartine et lui a élevé un buste en bronze devant la mairie.


Milly (ou la Terre natale)


Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie?
Dans son brillant exil mon cour en a frémi;
Il résonne de loin dans mon âme attendrie,
Comme les pas connus ou la voix d'un ami.

Montagnes que voilait le brouillard de l'automne,
Vallons que tapissait le givre du matin,
Saules dont l'émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,

Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide,
Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour
Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide,
Et, leur urne à la main, s'entretenaient du jour,

Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,
Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?

J'ai vu des cieux d'azur, où la nuit est sans voiles,
Dorés jusqu'au matin sous les pieds des étoiles,
Arrondir sur mon front dans leur arc infini
Leur dôme de cristal qu'aucun vent n'a terni !
J'ai vu des monts voilés de citrons et d'olives
Réfléchir dans les eaux leurs ombres fugitives,
Et dans leurs frais vallons, au souffle du zéphyr,
Bercer sur l'épi mûr le cep prêt à mûrir;
Sur des bords où les mers ont à peine un murmure,
J'ai vu des flots brillants l'onduleuse ceinture
Presser et relâcher dans l'azur de ses plis
De leurs caps dentelés les contours assouplis,
S'étendre dans le golfe en nappes de lumière,
Blanchir l'écueil fumant de gerbes de poussière,
Porter dans le lointain d'un occident vermeil
Des îles qui semblaient le lit d'or du soleil,

Ou s'ouvrant devant moi sans rideau, sans limite,
Me montrer l'infini que le mystère habite !
J'ai vu ces fiers sommets, pyramides des airs,
Où l'été repliait le manteau des hivers,
Jusqu'au sein des vallons descendant par étages,
Entrecouper leurs flancs de hameaux et d'ombrages,
De pics et de rochers ici se hérisser,
En pentes de gazon plus loin fuir et glisser,
Lancer en arcs fumants, avec un bruit de foudre,
Leurs torrents en écume et leurs fleuves en poudre,
Sur leurs flancs éclairés, obscurcis tour à tour,
Former des vagues d'ombre et des îles de jour,
Creuser de frais vallons que la pensée adore,
Remonter, redescendre, et remonter encore,
Puis des derniers degrés de leurs vastes remparts,
À travers les sapins et les chênes épars
Dans le miroir des lacs qui dorment sous leur ombre
Jeter leurs reflets verts ou leur image sombre,
Et sur le tiède azur de ces limpides eaux
Faire onduler leur neige et flotter leurs coteaux !
J'ai visité ces bords et ce divin asile
Qu'a choisis pour dormir l'ombre du doux Virgile,
Ces champs que la Sibylle à ses yeux déroula,
Et Cume et l'Élysée; et mon cœur n'est pas là ! ...

Mais il est sur la terre une montagne aride
Qui ne porte en ses flancs ni bois ni flot limpide,
Dont par l'effort des ans l'humble sommet miné,
Et sous son propre poids jour par jour incliné,
Dépouillé de son sol fuyant dans les ravines,
Garde à peine un buis sec qui montre ses racines,
Et se couvre partout de rocs prêts à crouler
Que sous son pied léger le chevreau fait rouler.
Ces débris par leur chute ont formé d'âge en âge
Un coteau qui décroît et, d'étage en étage,
Porte, à l'abri des murs dont ils sont étayés,
Quelques avares champs de nos sueurs payés,
Quelques ceps dont les bras, cherchant en vain l'érable,
Serpentent sur la terre ou rampent sur le sable,
Quelques buissons de ronce, où l'enfant des hameaux
Cueille un fruit oublié qu'il dispute aux oiseaux,
Où la maigre brebis des chaumières voisines
Broute en laissant sa laine en tribut aux épines;
Lieux que ni le doux bruit des eaux pendant l'été,
Ni le frémissement du feuillage agité,
Ni l'hymne aérien du rossignol qui veille,
Ne rappellent au cœur, n'enchantent pour l'oreille;
Mais que, sous les rayons d'un ciel toujours d'airain,
La cigale assourdit de son cri souterrain.
Il est dans ces déserts un toit rustique et sombre
Que la montagne seule abrite de son ombre,
Et dont les murs, battus par la pluie et les vents,
Portent leur âge écrit sous la mousse des ans.
Sur le seuil désuni de trois marches de pierre
Le hasard a planté les racines d'un lierre
Qui, redoublant cent fois ses nœuds entrelacés,
Cache l'affront du temps sous ses bras élancés,
Et, recourbant en arc sa volute runique,
Fait le seul ornement du champêtre portique.
Un jardin qui descend au revers d'un coteau
Y présente au couchant son sable altéré d'eau;
La pierre sans ciment, que l'hiver a noircie,
En borne tristement l'enceinte rétrécie;
La terre, que la bêche ouvre à chaque saison,
Y montre à nu son sein sans ombre et sans gazon;
Ni tapis émaillés, ni cintres de verdure,
Ni ruisseau sous des bois, ni fraîcheur, ni murmure;
Seulement sept tilleuls par le soc oubliés,
Protégeant un peu d'herbe étendue à leurs pieds,
Y versent dans l'automne une ombre tiède et rare,
D'autant plus douce au front sous un ciel plus avare;
Arbres dont le sommeil et des songes si beaux
Dans mon heureuse enfance habitaient les rameaux !
Dans le champêtre enclos qui soupire après l'onde,
Un puits dans le rocher cache son eau profonde,
Où le vieillard qui puise, après de longs efforts,
Dépose en gémissant son urne sur les bords;
Une aire où le fléau sur l'argile étendue
Bat à coups cadencés la gerbe répandue,
Où la blanche colombe et l'humble passereau
Se disputent l'épi qu'oublia le râteau
Et sur la terre épars des instruments rustiques,
Des jougs rompus, des chars dormant sous les portiques,
Des essieux dont l'ornière a brisé les rayons,
Et des socs émoussés qu'ont usés les sillons.

Rien n'y console l'œil de sa prison stérile,
Ni les dômes dorés d'une superbe ville,
Ni le chemin poudreux, ni le fleuve lointain,
Ni des toits blanchissants aux clartés du matin;
Seulement, répandus de distance en distance,
De sauvages abris qu'habite l'indigence,
Le long d'étroits sentiers en désordre semés,
Montrent leur toit de chaume et leurs murs enfumés,
Où le vieillard, assis au seuil de sa demeure,
Dans son berceau de jonc endort l'enfant qui pleure;
Enfin un sol sans ombre et des cieux sans couleur,
Et des vallons sans onde ! - Et c'est là qu'est mon cœur !
Ce sont là les séjours, les sites, les rivages
Dont mon âme attendrie évoque les images,
Et dont pendant les nuits mes songes les plus beaux
Pour enchanter mes yeux composent leurs tableaux !

Là chaque heure du jour, chaque aspect des montagnes,
Chaque son qui le soir s'élève des campagnes,
Chaque mois qui revient, comme un pas des saisons,
Reverdir ou faner les bois ou les gazons,
La lune qui décroît ou s'arrondit dans l'ombre,
L'étoile qui gravit sur la colline sombre,
Les troupeaux des hauts lieux chassés par les frimas,
Des coteaux aux vallons descendant pas à pas,
Le vent, l'épine en fleurs, l'herbe verte ou flétrie,
Le soc dans le sillon, l'onde dans la prairie,
Tout m'y parle une langue aux intimes accents
Dont les mots, entendus dans l'âme et dans les sens,
Sont des bruits, des parfums, des foudres, des orages,
Des rochers, des torrents, et ces douces images,
Et ces vieux souvenirs dormant au fond de nous,
Qu'un site nous conserve et qu'il nous rend plus doux.
Là mon cœur en tout lieu se retrouve lui-même !
Tout s'y souvient de moi, tout m'y connaît, tout m'aime !
Mon œil trouve un ami dans tout cet horizon,
Chaque arbre a son histoire et chaque pierre un nom.
Qu'importe que ce nom, comme Thèbe ou Palmire,
Ne nous rappelle pas les fastes d'un empire,
Le sang humain versé pour le choix des tyrans,
Ou ces fléaux de Dieu que l'homme appelle grands ?
Ce site où la pensée a rattaché sa trame,
Ces lieux encor tout pleins des fastes de notre âme,
Sont aussi grands pour nous que ces champs du destin
Où naquit, où tomba quelque empire incertain :
Rien n'est vil ! rien n'est grand ! l'âme en est la mesure
Un cœur palpite au nom de quelque humble masure,
Et sous les monuments des héros et des dieux
Le pasteur passe et siffle en détournant les yeux !

Voilà le banc rustique où s'asseyait mon père,
La salle où résonnait sa voix mâle et sévère,
Quand les pasteurs assis sur leurs socs renversés
Lui comptaient les sillons par chaque heure tracés,
Ou qu'encor palpitant des scènes de sa gloire,
De l'échafaud des rois il nous disait l'histoire,
Et, plein du grand combat qu'il avait combattu,
En racontant sa vie enseignait la vertu !
Voilà la place vide où ma mère à toute heure
Au plus léger soupir sortait de sa demeure,
Et, nous faisant porter ou la laine ou le pain,
Vêtissait l'indigence ou nourrissait la faim;
Voilà les toits de chaume où sa main attentive
Versait sur la blessure ou le miel ou l'olive,
Ouvrait près du chevet des vieillards expirants
Ce livre où l'espérance est permise aux mourants,
Recueillait leurs soupirs sur leur bouche oppressée,
Faisait tourner vers Dieu leur dernière pensée,
Et tenant par la main les plus jeunes de nous,
À la veuve, à l'enfant, qui tombaient à genoux,
Disait, en essuyant les pleurs de leurs paupières
Je vous donne un peu d'or, rendez-leur vos prières !
Voilà le seuil, à l'ombre, où son pied nous berçait,
La branche du figuier que sa main abaissait,
Voici l'étroit sentier où, quand l'airain sonore
Dans le temple lointain vibrait avec l'aurore,
Nous montions sur sa trace à l'autel du Seigneur
Offrir deux purs encens, innocence et bonheur !
C'est ici que sa voix pieuse et solennelle
Nous expliquait un Dieu que nous sentions en elle,
Et nous montrant l'épi dans son germe enfermé,
La grappe distillant son breuvage embaumé,
La génisse en lait pur changeant le suc des plantes,
Le rocher qui s'entrouvre aux sources ruisselantes,
La laine des brebis dérobée aux rameaux
Servant à tapisser les doux nids des oiseaux,
Et le soleil exact à ses douze demeures,
Partageant aux climats les saisons et les heures,
Et ces astres des nuits que Dieu seul peut compter,
Mondes où la pensée ose à peine monter,
Nous enseignait la foi par la reconnaissance,
Et faisait admirer à notre simple enfance
Comment l'astre et l'insecte invisible à nos yeux
Avaient, ainsi que nous, leur père dans les cieux !
Ces bruyères, ces champs, ces vignes, ces prairies,
Ont tous leurs souvenirs et leurs ombres chéries.
Là, mes sœurs folâtraient, et le vent dans leurs jeux
Les suivait en jouant avec leurs blonds cheveux !
Là, guidant les bergers aux sommets des collines,
J'allumais des bûchers de bois mort et d'épines,
Et mes yeux, suspendus aux flammes du foyer,
Passaient heure après heure à les voir ondoyer.
Là, contre la fureur de l'aquilon rapide
Le saule caverneux nous prêtait son tronc vide,
Et j'écoutais siffler dans son feuillage mort
Des brises dont mon âme a retenu l'accord.
Voilà le peuplier qui, penché sur l'abîme,
Dans la saison des nids nous berçait sur sa cime,
Le ruisseau dans les prés dont les dormantes eaux
Submergeaient lentement nos barques de roseaux,
Le chêne, le rocher, le moulin monotone,
Et le mur au soleil où, dans les jours d'automne,
Je venais sur la pierre, assis près des vieillards,
Suivre le jour qui meurt de mes derniers regards !
Tout est encor debout; tout renaît à sa place :
De nos pas sur le sable on suit encor la trace;
Rien ne manque à ces lieux qu'un cœur pour en jouir,
Mais, hélas ! l'heure baisse et va s'évanouir.

La vie a dispersé, comme l'épi sur l'aire,
Loin du champ paternel les enfants et la mère,
Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts
D'où l'hirondelle a fui pendant de longs hivers !
Déjà l'herbe qui croît sur les dalles antiques
Efface autour des murs les sentiers domestiques,
Et le lierre, flottant comme un manteau de deuil,
Couvre à demi la porte et rampe sur le seuil;
Bientôt peut-être... ! écarte, ô mon Dieu ! ce présage !
Bientôt un étranger, inconnu du village,
Viendra, l'or à la main, s'emparer de ces lieux
Qu'habite encor pour nous l'ombre de nos aïeux,
Et d'où nos souvenirs des berceaux et des tombes
S'enfuiront à sa voix, comme un nid de colombes
Dont la hache a fauché l'arbre dans les forêts,
Et qui ne savent plus où se poser après !

Ne permets pas, Seigneur, ce deuil et cet outrage !
Ne souffre pas, mon Dieu, que notre humble héritage
Passe de mains en mains troqué contre un vil prix,
Comme le toit du vice ou le champ des proscrits
Qu'un avide étranger vienne d'un pied superbe
Fouler l'humble sillon de nos berceaux sur l'herbe,
Dépouiller l'orphelin, grossir, compter son or
Aux lieux où l'indigence avait seule un trésor,
Et blasphémer ton nom sous ces mêmes portiques
Où ma mère à nos voix enseignait tes cantiques
Ah ! que plutôt cent fois, aux vents abandonné,
Le toit pende en lambeaux sur le mur incliné;
Que les fleurs du tombeau, les mauves, les épines,
Sur les parvis brisés germent dans les ruines !
Que le lézard dormant s'y réchauffe au soleil,
Que Philomèle y chante aux heures du sommeil,
Que l'humble passereau, les colombes fidèles,
Y rassemblent en paix leurs petits sous leurs ailes,
Et que l'oiseau du ciel vienne bâtir son nid
Aux lieux où l'innocence eut autrefois son lit !

Ah ! si le nombre écrit sous l'œil des destinées
Jusqu'aux cheveux blanchis prolonge mes années,
Puissé-je, heureux vieillard, y voir baisser mes jours
Parmi ces monuments de mes simples amours
Et quand ces toits bénis et ces tristes décombres
Ne seront plus pour moi peuplés que par des ombres,
Y retrouver au moins dans les noms, dans les lieux,
Tant d'êtres adorés disparus de mes yeux !
Et vous, qui survivrez à ma cendre glacée,
Si vous voulez charmer ma dernière pensée,
Un jour, élevez-moi... ! non ! ne m'élevez rien
Mais près des lieux où dort l'humble espoir du chrétien,
Creusez-moi dans ces champs la couche que j'envie
Et ce dernier sillon où germe une autre vie !
Étendez sur ma tête un lit d'herbes des champs
Que l'agneau du hameau broute encore au printemps,
Où l'oiseau, dont mes sœurs ont peuplé ces asiles,
Vienne aimer et chanter durant mes nuits tranquilles;
Là, pour marquer la place où vous m'allez coucher,
Rouez de la montagne un fragment de rocher;
Que nul ciseau surtout ne le taille et n'efface
La mousse des vieux jours qui brunit sa surface,
Et d'hiver en hiver incrustée à ses flancs,
Donne en lettre vivante une date à ses ans
Point de siècle ou de nom sur cette agreste page !
Devant l'éternité tout siècle est du même âge,
Et celui dont la voix réveille le trépas
Au défaut d'un vain nom ne nous oubliera pas !
Là, sous des cieux connus, sous les collines sombres,
Qui couvrirent jadis mon berceau de leurs ombres,
Plus près du sol natal, de l'air et du soleil,
D'un sommeil plus léger j'attendrai le réveil !
Là, ma cendre, mêlée à la terre qui m'aime,
Retrouvera la vie avant mon esprit même,
Verdira dans les prés, fleurira dans les fleurs,
Boira des nuits d'été les parfums et les pleurs;
Et, quand du jour sans soir la première étincelle
Viendra m'y réveiller pour l'aurore éternelle,
En ouvrant mes regards je reverrai des lieux
Adorés de mon cœur et connus de mes yeux,
Les pierres du hameau, le clocher, la montagne,
Le lit sec du torrent et l'aride campagne;
Et, rassemblant de l'œil tous les êtres chéris
Dont l'ombre près de moi dormait sous ces débris,
Avec des sœurs, un père et l'âme d'une mère,
Ne laissant plus de cendre en dépôt à la terre,
Comme le passager qui des vagues descend
Jette encore au navire un œil reconnaissant,
Nos voix diront ensemble à ces lieux pleins de charmes
L'adieu, le seul adieu qui n'aura point de larmes !


-----------------------------
Son Oeuvre :


Poésie
Méditations poétiques (1820) dont "Le Lac " et " L'Isolement "
La Mort de Socrate (1823)
Nouvelles Méditations poétiques (1823) dont " La Solitude " et " Les Préludes "(ce dernier poème fut mis en musique par Franz Liszt)
Le Dernier Chant du pèlerinage d'Harold (1825)
Épîtres (1825)
Harmonies poétiques et religieuses (1830) dont "Milly, ou la Terre natale"
Recueillements poétiques (1839)
Le Désert, ou l'Immatérialité de Dieu (1856)
La Vigne et la Maison (1857)
N.B. Ces œuvres, ainsi que les poèmes dramatiques (théâtre) et les romans en vers (Jocelyn et La Chute d'un ange) sont réunies dans les Œuvres poétiques de la Bibliothèque de la Pléiade aux éditions Gallimard (texte établi, annoté et présenté par Marius-François Guyard).

Romans en prose
Raphaël (1849)
Graziella (1849)
Le Tailleur de pierre de Saint-Point (1851)
Geneviève, histoire d'une servante (1851)
Fior d'Aliza (1863)
Antoniella (1867)
Épopées ou romans en vers
Jocelyn (1836), dont une version illustrée par Albert Besnard25
La Chute d'un ange (1838)

Théâtre
Médée (1813 ?, publié en 1873)
Saül (écrit en 1818 mais publié en 1861)
Toussaint Louverture (1850)

Histoire
Histoire des Girondins (1847)
Histoire de la Restauration, en huit volumes (1851)
Histoire des Constituants (1853),
Histoire de la Turquie (1853-1854), ce livre contient une Vie de Mahomet
Histoire de la Russie (1855).
Mémoires, autobiographies et récits de voyage
Voyage en Orient (1835)
Trois Mois au pouvoir (1848)
Histoire de la révolution de 1848 (1849)
Confidences contenant le récit de Graziella (1849)
Nouvelles Confidences contenant le poème des Visions (1851)
Nouveau Voyage en Orient (1850)
Mémoires inédits (1870)

Biographies
Le Civilisateur, Histoire de l'humanité par les grands hommes, trois tomes (1852 : "Jeanne d'Arc", "Homère", "Bernard de Palissy", "Christophe Colomb " ,"Cicéron ", "Gutemberg" ; 1853 : "Héloïse", "Fénelon", "Socrate", " Nelson", "Rustem", "Jacquard", "Cromwell" (Première et deuxième parties) ; 1854 : "Cromwell" (Troisième partie), "Guillaume Tell", " Bossuet", "Milton","Antar", "Mad. de Sévigné ")

Autres
Des destinées de la poésie (1834)
Sur la politique rationnelle (1831)
La vie de Mahomet (1854) [lire en ligne]
Lectures pour tous ou extraits des œuvres générales (1854)
Cours familier de littérature (1856)
Nombreux discours politiques

Correspondance
Correspondance d'Alphonse de Lamartine : deuxième série, 1807-1829.
Tome III, 1820-1823 (textes réunis, classés et annotés par Christian Croisille ; avec la collaboration de Marie-Renée Morin pour la correspondance Virieu).
– Paris : H. Champion, coll.
"Textes de littérature moderne et contemporaine"
Lamartine, lettres des années sombres (1853-1867),
Librairie de l'Université, Fribourg, 1942, 224 pages.
Lamartine, lettres inédites (1821-1851)
Aux Portes de France, Porrentruy, 1944, 118 pages.
Correspondance du 25 décembre 1867






Henri Guillemin parle de Lamartine :

http://youtu.be/Gnn1sK8J1ak L'homme politique

http://youtu.be/NQ81pt1Pgwc L' homme privé



A écouter :

Le poète en musique

http://youtu.be/qdD9-lP6jp8 l'automne
http://youtu.be/rWMqZWTaILk l'isolement un seul être vous manque et tout est dépeuplé
http://youtu.be/UH-VjNzGyvc la pensée des morts
http://youtu.be/i_-uREFvzyI la pensée des morts x
http://youtu.be/qdD9-lP6jp8 l'automne
http://youtu.be/vzaJu7BMaTg Chant d'amour de Bizet (baryton B Laplante)
http://youtu.be/vzaJu7BMaTg chant d'amour bizet C. Bartoldi
http://youtu.be/0DyjaovbYSQ Frantz Liszt Harmonies poétiques et religieuses hymne de l'enfant à son réveil
http://youtu.be/XQm0h0Ns1tM Liszt harmonies poétiques et religieuses Bénédiction de Dieu da,s la solitude 1
http://youtu.be/y_Q6Z3KCG9E LIszt harmonies poétiques et religieuses invocations
http://youtu.be/Ck0tmAYLp-0 Le lac par Niedermeyer
http://youtu.be/6lvakgrO_vA liszt hymne du matin




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Posté le : 21/10/2012 12:29
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Re: La terre de Emile Zola
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Tu me rafraîchis la mémoire . Triste révélation : j'avais complètement zappé Les trois villes, j'avais oublié l'abbé Pierre Froment. Et pourtant ce cycle est très important et contient comme tu le rappelles justement une analyse des moeurs, je dirais même de la folie religieuse qui m'avait réjouie lorsque je l'avais lu. C'est un souvenir lointain devenu flou. Il faut que je le retrouve dans mes bouquins, je veux le relire pour voir mes réactions aujourd'hui.
Merci

Posté le : 20/10/2012 17:03
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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