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Isaac Asimov
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Le 6 avril 1992 à New York aux États-Unis meurt à 72 ans,

Isaac Asimov, Исаак Юдович Озимов


né vers le 2 janvier 1920 à Petrovitchi en Russie, écrivain américain, naturalisé en 1928, surtout connu pour ses œuvres de science-fiction et ses livres de vulgarisation scientifique, il appartient au mouvement " The Futurians", Mensa
dans le GenreScience-fiction, vulgarisation scientifique, il est distingué du Prix Nebula, Prix Hugo, Prix Locus, Prix E. E. Smith Memorial, Prix Damon Knight Memorial Grand Master, ses Œuvres principales sont, Les Robots et Le Cycle de Fondation
Sa carrière se partage entre la biochimie, la vulgarisation scientifique et la science-fiction. Commencée en 1940, sa série des Robots comporte des recueils de nouvelles d'intérêt inégal qui font toutefois échapper le thème à l'exotisme de la ferraille clinquante. Son chef-d'œuvre reste la trilogie Fondation 1942, Fondation et Empire 1944, Seconde Fondation 1949, à laquelle il ajoutera suites et préludes dans les années 1980 ; dans le même univers sont également situés Tyrann et les Courants de l'espace 1952. Fortement marqué par les thèses de Toynbee sur l'histoire, Asimov laisse transparaître une doctrine politique qui impute à la science toutes les possibilités de progrès et implique une volonté naïve et inquiétante de programmation sociale absolue qui rappelle les utopies classiques les Dieux eux-mêmes, 1972 ; la Fin de l'éternité, 1975. Cette foi dans le progrès se réduit à une tentative d'abolir l'angoisse de l'imprévisible et de l'inconnu en façonnant l'univers à l'image de l'homme du XXe s. les Cavernes d'acier, 1954 ; Face aux feux du soleil, 1957.


Enfant surdoué, lecteur passionné, il n'a de cesse d'apprendre, de découvrir et d'enseigner, ce qui le conduit à une double carrière d'enseignant en biochimie et d'écrivain.
Docteur ès sciences, passionné d'histoire, il n'a pas seulement écrit plusieurs centaines d'ouvrages de vulgarisation sur des sujets très divers, et près de cinq cents romans et nouvelles ; il a créé une histoire du futur galactique, au travers de laquelle il aborde, de façon métaphorique, les grands bouleversements du XXe siècle, influençant durablement les auteurs qui lui sont contemporains ainsi que ceux des générations suivantes.
Docteur ès sciences, passionné d'histoire, il n'a pas seulement écrit plusieurs centaines d'ouvrages de vulgarisation sur des sujets très divers, et près de cinq cents romans et nouvelles ; il a créé une histoire du futur galactique, au travers de laquelle il aborde, de façon métaphorique, les grands bouleversements du XXe siècle, influençant durablement les auteurs qui lui sont contemporains ainsi que ceux des générations suivantes.
Il laisse une œuvre monumentale
Dès onze ans, Isaac Asimov écrit. Ses premières nouvelles de science-fiction sont publiées en 1939. Dans la science-fiction des années 1930, le robot était dangereux, se retournant contre son créateur, à l'instar du Golem. Asimov rompt avec cette idée, imaginant un support physiologique, le cerveau positronique et un conditionnement psychologique les trois lois de la robotique qui s'énoncent ainsi :
Première loi : un robot ne peut ni porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger. Deuxième loi : un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la première loi. Troisième loi : un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi.
Asimov met en scène, dans des nouvelles drôles et tendres, des robots piégés par leur conditionnement et les ordres contradictoires qu'ils reçoivent. Dans The Caves of Steel 1954 ; Les Cavernes d'acier, 1970, les robots deviennent des êtres véritablement attachants. Les Terriens du futur vivent sous terre, dans d'immenses cités surpeuplées, contrairement aux habitants des riches Mondes extérieurs qui s'entourent d'une multitude de robots. Le détective Elijah Baley doit mener une enquête en compagnie de l'androïde Daneel R. Olivaw.
Au fil des romans suivants, les relations entre les deux personnages s'approfondissent et le robot R. Giskard, télépathe, fait son apparition. S'apercevant que les humains sont définitivement condamnés à régresser et que le seul moyen, pour eux, de survivre, réside dans l'émigration et la colonisation de nouvelles planètes, R. Giskard transmet son don de télépathie à R. Daneel et énonce la loi zéro de la robotique : Un robot ne peut ni nuire à l'humanité ni, restant passif, permettre que l'humanité souffre d'un mal. Les trois autres lois seront alors soumises à la loi zéro. R. Giskard peut donc provoquer l'irradiation irréversible de la Terre qui sera à l'origine d'une expansion coloniale à l'échelle galactique. Après cela, il ne peut que mourir, à cause du conflit de loyauté auquel a été soumis son cerveau positronique. Mais il a légué l'humanité à Daneel qui veillera sur elle dans les millénaires à venir.
La trilogie de Fondation a valu à son auteur, en 1966, le prix Hugo de la meilleure série de tous les temps. Dans un futur très lointain, l'Empire galactique s'effondre. Hari Seldon a inventé la psychohistoire qui permet de calculer les probabilités de différents avenirs. Il a prévu l'effondrement de l'Empire. Surtout, il a imaginé comment réduire la période d'anarchie qui s'ensuivrait. Les premiers textes relatent la vie d'exilés volontaires sur la planète Terminus, des décennies plus tard, vie rythmée par les apparitions d'hologrammes de Seldon aux moments clés de leur histoire. Dans les ouvrages suivants, un élément bouleverse les prédictions : le Mulet, un mutant aux capacités télépathiques, conquiert peu à peu la Galaxie. Mais la Seconde Fondation veille, éminence grise dont le but est de guider le déroulement des prévisions de la psychohistoire.
Isaac Asimov écrit ensuite des romans dans lesquels on voit Hari Seldon, jeune scientifique, jeter les bases de la psychohistoire avec l'aide de Daneel Olivaw, qui passe pour un humain. Ces prologues font le lien avec le cycle de Trantor qui comporte quelques textes situés à l'époque de l'Empire galactique. L'Encyclopaedia Galactica citée en exergue des chapitres commente l'action vue du futur où elle est devenue l'histoire officielle.
Isaac Asimov écrit jusqu'à la fin de sa vie des nouvelles, parfois très courtes, et des romans de science-fiction, abordant le voyage temporel, les univers parallèles et bien d'autres thèmes. Il rédige aussi des ouvrages de vulgarisation scientifique et des essais portant sur des sujets aussi divers que Shakespeare ou la Bible que, juif athée et rationaliste, il a lue tardivement. Il publie également des romans policiers à énigmes – il avoue un faible pour les histoires cérébrales– et des romans pour la jeunesse, sous le nom de Paul French, ou bien en collaboration avec sa seconde épouse Janet. Il dirige Asimov's Science Fiction Magazine, ainsi qu'un grand nombre d'anthologies.
Dès les années 1980, nombre d'auteurs écrivent des histoires inspirées du thème des robots positroniques ou de Fondation. Plusieurs nouvelles d'Asimov sont reprises en romans par Robert Silverberg. Mais son influence sur la science-fiction va plus loin ; au-delà des personnages et des décors, il a ouvert la voie à une littérature à la fois délassante et intelligente, chargée de sens et pourtant d'une logique et d'une limpidité sans égal.

Sa vie


Issu d’une famille juive, fils de Judah Asimov, Isaac naquit à Petrovitchi — près de Smolensk, en Russie — à une date inconnue, entre le 4 octobre 1919 et le 2 janvier 1920, c’est à cette date-ci qu'il célébrait son anniversaire, adulte. Pour des raisons mal définies et sur invitation de Joseph Berman, demi-frère de la mère d’Asimov, il émigra aux États-Unis au début de l'année 1923, à l'âge de trois ans, en compagnie de ses parents et de sa sœur cadette, Rachel.

À la maison, à Brooklyn, les parents ne parlaient russe que quand ses grandes oreilles ne devaient pas entendre : il n'apprit donc jamais la langue.
Asimov se définit comme un enfant prodige. Ses parents, qui, en Russie, étaient loin d'être illettrés, ne lisaient pas l'anglais ; il demanda l'aide d'enfants du voisinage et savait déjà lire à son entrée à l'école en septembre 1925. Il fut naturalisé Américain en 1928. Il passa sa jeunesse à travailler dans le magasin familial, où il eut l’occasion de lire les magazines de science-fiction que ses parents vendaient. Vers l’âge de onze ans, il commença à écrire ses premières nouvelles, il aurait déclaré avoir commencé à écrire pour enfin pouvoir conserver des livres sans que son père libraire ne les vende.
Ses études furent assez brillantes pour lui permettre, grâce à une bourse, d’entrer à l’université Columbia. Il passa d’abord une licence en sciences en 1939 avant d’obtenir une maîtrise en chimie en 1941 et, finalement, un doctorat en biochimie en 1948, puis il obtint un poste de chargé de cours à l’université de Boston. Entre-temps, il participa à la Seconde Guerre mondiale. Au cours de sa brève carrière militaire, il fut nommé caporal.
Parallèlement, il commença à écrire de la science-fiction et vit sa première nouvelle, Marooned Off Vesta Au large de Vesta, publiée en 1939. John Campbell, alors rédacteur en chef de la revue Astounding Stories, n’aura de cesse d’encourager Asimov à écrire. Dès lors, il fut régulièrement publié, et quinze nouvelles virent le jour jusqu’en 1941.

Mariage

Il se maria avec Gertrude Blugerman le 26 juillet 1942. De ce premier mariage, il eut deux enfants, David en 1951 et Robyn Joan en 1955.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, Asimov était déjà considéré comme un auteur de science-fiction majeur. Son licenciement, en 1958, lui fit prendre un tournant dans sa carrière et il se consacra pleinement à l’écriture. Prolifique, il travailla sans relâche car — il le disait lui-même — c’est là qu’il prenait du plaisir.
Après la séparation d'avec sa femme en 1970 puis son divorce en 1973, il se maria avec Janet Opal Jeppson en 1973.
La suite de la vie d’Asimov est celle d’un auteur à succès, presque entièrement consacrée au travail d’écriture et aux conférences. Il fut un ami proche de Gene Roddenberry, le créateur de Star Trek.
Isaac Asimov voyageait rarement en dehors de New York, principalement parce qu'il n'aimait pas ça, mais aussi par manque de temps, étant absorbé par ses travaux d'écriture.
Il mourut le 6 avril 1992 du SIDA, la cause du décès ayant été une insuffisance cardiaque et rénale consécutive à l’infection par le VIH. Asimov avait été infecté lors d’une transfusion sanguine pour un pontage aorto-coronarien en 1983. Cette information n’a été révélée qu’en 2002, dans une version de l’autobiographie d'Asimov revue par Janet Asimov, sa veuve. Selon elle, Asimov avait souhaité rendre sa maladie publique, mais en aurait été dissuadé par ses médecins et par la crainte des préjugés dont sa famille aurait pu souffrir. Après son décès, la famille garda le silence notamment au vu des controverses autour de la maladie d’Arthur Ashe, et ce n’est qu’après le décès des médecins d’Asimov que Janet et la fille d’Asimov, Robyn, décidèrent de révéler la vérité.
Asimov laisse derrière lui des centaines de livres — dont 116 anthologies qu’il a organisées et préfacées —, regroupant de la science-fiction, des ouvrages de vulgarisation scientifique, des romans policiers, des romans pour la jeunesse et même des titres plus étonnants comme La Bible expliquée par Asimov ou Le Guide de Shakespeare d’Asimov.
Le dernier livre qu’il a écrit est une autobiographie plus thématique que chronologique : Moi, Asimov, I. Asimov, Éditions Denoël, coll. Présences, 1996, ensuite reprise dans la collection Présence du futur du même éditeur. Le dernier chapitre a été écrit par sa seconde épouse, Janet Jeppson, après le décès d'Isaac .
Membre de l’association Mensa, il en a été un moment le vice-président, le président en étant alors un autre passionné du futur, l'architecte Richard Buckminster Fuller. Isaac Asimov a plus tard quitté l’association.

Il meurt à New York le 6 avril 1992.


Le personnage

On peut décrire Asimov comme quelqu'un ayant un ego très développé, mêlé d'un profond humanisme et d'un grand sens de l'humour ainsi qu'une culture très large, rendant l'expression de son ego plus amusante qu'énervante.
Bien que de tradition familiale juive — écrivant par jeu un poème sur lui-même, il fait rimer Asimov avec mazeltov —, il se démarque comme athée et se positionne également comme rationaliste. Voir en particulier sa nouvelle Reason dans le cycle des robots. La psychohistoire qui sert de fil conducteur à la série Fondation s'inspire d'ailleurs clairement de trois sources :
la cybernétique ;
la psychanalyse ;
le marxisme par sa ressemblance avec la conception matérialiste de l'Histoire, méthode d'analyse de Karl Marx.
Le tout est mâtiné de la loi des grands nombres telle qu'on la concevait avant que Benoît Mandelbrot ne mette en évidence les formes fractales, même si le personnage du Mulet réintroduit opportunément un facteur humain important voir effet papillon. Asimov est un individu aux connaissances variées et approfondies. On peut le considérer comme un polymathe.

Son œuvre de fiction Univers de Fondation.

Isaac Asimov, en dehors d'une inventivité débordante, se caractérise par la simplicité de son écriture. Pour lui, comme pour la plupart des auteurs anglo-saxons, les styles tourmentés ne font que rebuter le lecteur. C'est donc l'histoire, et elle seule, qui est mise en avant. Il fonde ses livres sur des dialogues entre protagonistes. C’est avec la nouvelle Quand les ténèbres viendront Nightfall, 1941, écrite à 21 ans, que la carrière littéraire d’Asimov a véritablement débuté. Jusqu'alors il n'avait connu que des publications occasionnelles dans les magazines auxquels il proposait ses histoires. John Campbell fut si enthousiasmé par Quand les ténèbres viendront qu’il envoya à son auteur un chèque plus important que prévu : 150 dollars au lieu de 120. On payait à l’époque un cent par mot, et la nouvelle en compte 12 000… Quand les ténèbres viendront est très vite devenu un classique du genre.
Asimov a ensuite écrit de nombreuses autres nouvelles, policières Mortelle est la nuit, humoristiques À Port Mars sans Hilda, L'amour, vous connaissez ? et évidemment de science-fiction, notamment sur les robots L'Homme bicentenaire. Il y met à l'épreuve l'esprit hypothético-déductif du lecteur et y montre la fantaisie dont il est capable par exemple, dans Le Plaisantin. Dans l'une d'elles, Menteur !, Asimov invente un nouveau mot qui allait passer dans le langage courant : la robotique. Certaines, telles Profession ou La Dernière Question, ont une portée philosophique indéniable et d'autres, telles Le Petit Garçon très laid, sont très émouvantes.
Asimov a principalement traité deux grands thèmes : les robots et la psychohistoire.

Les robots

L'œuvre d'Asimov sur les robots regroupe de très nombreuses nouvelles et plusieurs romans :
Recueils de nouvelles :
Les Robots, 1967, Robot, 1950, trad. Pierre Billon
Un défilé de robots, 1967 The Rest of the Robots, 1964, trad. Pierre Billon
Nous les robots, 1982 The Complete robot, 1982
Le Robot qui rêvait, 1988 Robot Dreams, 1986, trad. France-Marie Watkins

Romans :

Les Cavernes d'acier, 1956 en The Caves of Steel, 1953, trad. Jacques Brécard
Face aux feux du soleil, 1961 enThe Naked Sun, 1956, trad. André-Yves Richard
Les Robots de l'aube, 1984 en Robots of Dawn, 1983, trad. France-Marie Watkins
Les Robots et l'Empire, 1986 en Robots and Empire, 1985, trad. Jean-Paul Martin
L'ensemble forme une seule grande histoire, le cycle des Robots, qui s'étale sur plusieurs millénaires.
Toutes les nouvelles de robotique publiées par l'auteur ont été regroupées dans deux grands recueils nommés Le Grand Livre des robots. Le premier tome – Prélude à Trantor – regroupe toutes les nouvelles de robotique – Nous les robots ainsi que Les Cavernes d'acier et Face aux feux du soleil. Le second tome – La Gloire de Trantor – regroupe Les Robots de l'aube, Les Robots et l'Empire, Les Courants de l'espace, Poussière d'étoiles et enfin Cailloux dans le ciel.
Il renouvelle complètement ce thème en inventant des robots positroniques gouvernés par trois lois protégeant les êtres humains et, a priori, parfaites et inviolables. Le jeu d'Asimov consiste à imaginer des situations révélant des failles de ces lois exemple : un robot peut-il, restant passif, laisser un humain fumer une cigarette ? et des bizarreries de comportement de robots qui semblent les enfreindre, puis à faire découvrir au lecteur comment cela est possible, à la manière d'une enquête policière.

Les trois lois sont :

Première Loi : Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger. ;
Deuxième Loi : Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi. ;
Troisième Loi : Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi.
Deux robots exceptionnels, R. Daneel Olivaw et R. Giskard Reventlov, en viennent à ajouter une Loi Zéro, qui stipule qu'un robot ne peut porter atteinte à l'humanité dans son ensemble, même pour protéger un être humain : Un robot ne peut ni nuire à l'humanité ni, restant passif, permettre que l'humanité souffre d'un mal. Cette loi est apparue dans Les Robots et l'empire chapitre LXIII.
Asimov laissa l'un de ses amis, Lester del Rey, écrire lui aussi une histoire utilisant les trois lois de la robotique : Une Morale pour Sam.
Cette histoire constitue une moquerie gentille sur la viabilité réelle des trois lois.
Le thème des robots, tel que traité par Asimov, constitue aussi un plaidoyer antiraciste discret, mais sûr : les robots, de plus en plus perfectionnés et dotés d'aspects de plus en plus humains, deviennent méprisés, voire haïs, par bien des êtres humains — d'autant que les trois lois les mettent à l'abri de défauts qu'on pourrait leur reprocher. L'Homme bicentenaire évoque cette question.
En novembre 2009, l'Isaac Asimov estate a annoncé la prochaine publication d'une trilogie de romans avec Susan Calvin et écrite par l'auteur de fantasy Mickey Zucker Reichert. Cette trilogie est nommée I, Robot et le premier roman a été publié en novembre 2011 sous le titre To Protect puis a été traduit en français sous le titre Protéger et publié en avril 2013 par les éditions Robert Laffont dans la collection Ailleurs et Demain. Le second roman, To Obey, a été publié en septembre 2013 puis traduit en français sous le titre Obéir et sera publié en avril 2014.

La psychohistoire et le Cycle de Fondation

Dans le Cycle de Fondation qui a reçu, en 1966, le prix Hugo de la meilleure série de science-fiction de tous les temps, Asimov imagine le futur de l'humanité. Il commence avec l'effondrement d'un empire galactique qui se décompose. Un savant, Hari Seldon, invente une nouvelle science, la psychohistoire, fondée sur la loi des grands nombres et le calcul des probabilités qui permet de prévoir l'avenir, ou, plus exactement, de calculer les probabilités de différents avenirs.
Le scénario est d'autant plus aisément assimilé par le lecteur qu'il lui rappelle des repères connus : l'émiettement du pouvoir des empires romain et ottoman, d'une part, en ce qui concerne l'empire de Trantor, l'ascension de personnalités charismatiques comme Alexandre le Grand, Jules César ou Napoléon Bonaparte, d'autre part, en ce qui concerne le personnage du Mulet, qui manipule à ses propres fins les émotions de son entourage.
Le roman Fondation – le premier paru – forme le cœur du cycle et peut être lu isolément. En y ajoutant Fondation et Empire et Seconde Fondation, on obtient la trilogie de Fondation, qui constitue elle aussi une histoire à part entière. Cela correspond à l'ordre d'écriture des romans. D'autres romans, comme Prélude à Fondation et L'Aube de Fondation – chronologiquement situés avant – ou Fondation foudroyée et Terre et Fondation – chronologiquement situés après –, se sont par la suite greffés à la trilogie, pour constituer le Cycle de Fondation.

L'histoire du futur selon Asimov

Après avoir écrit ses deux grands cycles, l'éditeur d'Asimov lui a demandé pour son public de les relier pour construire une « histoire du futur » cohérente. Il a alors écrit des ouvrages intermédiaires pour faire le lien entre les deux cycles. L'ensemble final incluant les nouvelles est composé de dix-sept ouvrages que l'on peut subdiviser en cinq parties, ou cycles qui peuvent se lire séparément les uns des autres et qui sont ici classés par ordre chronologique. À cela on peut ajouter La Fin de l'éternité, roman à part, qui prend cependant sa place dans l'ensemble comme point de départ vers l'empire galactique. On pourrait également ajouter Némésis juste après ce prélude, puisque l'histoire, qui se déroule dans le futur, est mentionnée dans le cycle de Fondation.
La Fin de l'éternité, Denoël, Présence du futur no 105, 1967 en The End of Eternity, 1955
Les nouvelles sur les robots :
Les Robots, OPTA, Club du livre d'anticipation no 7, 1967 en I, Robot, 1950
Un défilé de robots, OPTA, Club du livre d'anticipation no 7, 1967 The Rest of the Robots, 1964
Le Robot qui rêvait, J'ai lu no 2388, 1988 en Robot Dreams, 1986
Nous les robots en The Complete robot, 1982

Le cycle d'Elijah Baley :
Les Cavernes d'acier, Hachette/Gallimard, Le Rayon fantastique no 41, 1956 en The Caves of Steel, 1953
Face aux feux du soleil, OPTA, Club du livre d'anticipation no 23, 1970 en The Naked Sun, 1956
Les Robots de l'aube, J'ai lu no 6792, 1984 en Robots of Dawn, 1983
Les Robots et l'Empire, J'ai lu no 5895, 1986 en Robots and Empire, 1985
Le cycle de l'Empire :
Les Courants de l'espace, OPTA, Galaxie-bis, 1967 en The Currents of Space,
Tyrann, J'ai lu no 484, 1973 en The Stars Like Dust, 1951
Cailloux dans le ciel, Hachette/Gallimard, Le Rayon fantastique no 16, 1953

Le cycle de Fondation :

Prélude à Fondation, Presses de la Cité, Univers sans limites, 1989 Prelude to Foundation, 1958
L'Aube de Fondation, Presses de la Cité, Univers sans limites, 1993 Forward the Foundation, 1992
Fondation, Hachette/Gallimard, Le Rayon fantastique no 44, 1957 Foundation, 1951
Fondation et Empire, OPTA, Club du livre d'anticipation no 1, 1965 Foundation and Empire, 1952
Seconde Fondation, OPTA, Club du livre d'anticipation no 1, 1965 Second Foundation, 1958
Fondation foudroyée, Denoël, Présence du futur no 357, 1983 Foundation's Edge, 1982
Terre et Fondation, Denoël, Présence du futur no 438, 1987 Foundation and Earth, 1986

Cycle de David Starr

Le cycle de David Starr a été écrit sous le pseudonyme de Paul French.
David Starr est chargé par le Comité Scientifique Terrestre d'enquêter sur les planètes du système Solaire, récemment colonisées, pour y résoudre des énigmes. Dès le premier tome, il est aidé par un petit homme natif de Mars, John Bigman Jones, et par une étrange rencontre avec des entités martiennes, qui se cachent des humains. Les autres tomes le voient explorer les lieux les plus emblématiques du système Solaire : les Astéroïdes, Vénus, Mercure, les lunes de Jupiter qui, par son gigantisme, empêche toute colonisation, les anneaux de Saturne.
Le Chasseur d'étoiles, Lefrancq, 1993
ou Les Poisons de Mars, Bibliothèque Verte, 1977
Les Écumeurs de l'espace, Lefrancq, 1993 Lucky Starr and the Pirates of the Asteroids, 1953
ou Les Pirates des Astéroïdes, Bibliothèque Verte, 1977
La Cité sous la mer, Lefrancq, 1993 Lucky Starr and the Oceans of Venus, 1954
ou Les Océans de Venus, Bibliothèque Verte, 1978
Le Projet Lumière, Lefrancq, 1993 Lucky Starr and the Big Sun of Mercury, 1956
ou La Fournaise de Mercure, Bibliothèque Verte, 1979
Les Lunes de Jupiter, Lefrancq, 1993 Lucky Starr and the Moons of Jupiter, 1957
Les Anneaux de Saturne (en), Lefrancq, 1993 Lucky Starr and the Rings of Saturn, 1957

Recueils de nouvelles de science-fiction

Les Robots, OPTA, Club du livre d'anticipation no 7, 1967
La Voie martienne, J'ai lu no 870, 1978 The Martian Way and Other Stories, 1955
Espace vital, Le Masque Science Fiction no 40, 1976 Earth Is Room Enough, 1957
L'avenir commence demain, Presses Pocket Science-fiction no 5034, 1978 Nine Tomorrows, 1959
Un défilé de robots, OPTA, Club du livre d'anticipation no 7, 1967
Asimov's Mysteries, 1968
Histoires mystérieuses 1, Présence du futur no 113, 1969
Histoires mystérieuses 2, Présence du futur no 114, 1969
Nightfall and Other Stories, 1969
Quand les ténèbres viendront, Présence du futur no 123, 1970
L'amour, vous connaissez ?, Présence du futur no 125, 1970
Jusqu'à la quatrième génération, Présence du futur no 301, 1979 The Early Asimov, 1972
Dangereuse Callisto, Présence du futur no 182, 1974
Noël sur Ganymède, Présence du futur no 187, 1974
Chrono-minets, Présence du futur no 191, 1975
La Mère des mondes, Présence du futur no 199, 1975
Buy Jupiter and Other Stories, 1975
Flûte, flûte et flûtes !, Présence du futur no 232, 1977 (ISBN 2207247368 et 2070314448)
Cher Jupiter, Présence du futur no 233, 1977 (ISBN 2207249182)
L'Homme bicentenaire, Présence du futur no 255, 1978 ((en) The Bicentennial Man and Other Stories, 1976) (ISBN 2207250253 et 2207302555)
Limericks ((en) Limericks d'Isaac Asimov & John Ciardi, 1978)
Nous les robots (The Complete Robot, 1982)
(en) The Winds of Change and Other Stories, 1983
Au prix du papyrus, Présence du futur no 395, 1985
Les Vents du changement, Présence du futur no 403, 1985
Le Robot qui rêvait, J'ai lu no 2388, 1988 Robot Dreams, 1986
Azazel, Presses Pocket Science-fiction no 5508, 1990 Azazel, 1988
(en) Robot Visions, 1990
La seule nouvelle inédite de ce recueil, La Vision d'un robot (Robot Visions) est disponible en France dans le recueil Robots temporels d'Issac Asimov (de William F. Wu (en) chez J'ai lu no 3473 1993
Mais le docteur est d'or, Presses Pocket Science-fiction no 5621, 1996
Légende, Presses Pocket Science-fiction no 5627, 1996 Magic, 1996
La Pierre parlante et autres nouvelles, 2002

Recueils de nouvelles policières et autres nouvelles policières.

Le Cycle des veufs noirs The Black Widowers constitue une sorte de reprise du Club du mardi d’Agatha Christie. Il s'agit d'un groupe se réunissant périodiquement autour d'un bon dîner. Ni forcément veuf, ni forcément célibataire, chacun des six membres, à tour de rôle, doit venir accompagné d'un invité. Une anecdote racontée par ce dernier sert généralement de point de départ à la nouvelle.
Le Club des veufs noirs, 10/18 no 1980, 1989 en Tales of the Black Widowers, 1974
Retour au club des veufs noirs, 10/18 no 2015, 1989 en More Tales of the Black Widowers, 1976
Casse-tête au club des veufs noirs, 10/18 no 2146, 1990 en Casebook of the Black Widowers, 1980
À table avec les veufs noirs, 10/18 no 2061, 1989 en Banquets of the Black Widowers, 1984
Puzzles au club des veufs noirs, 10/18 no 2183, 1991 en Puzzles of the Black Widowers, 1990
(en) The Return of the Black Widowers, 2003
Plusieurs nouvelles du cycle sont d'abord parues dans Mystère magazine. Les cinq premiers recueils ont été réédités en un tome chez Omnibus 2010.
Isaac Asimov a également publié quelques nouvelles policières n'appartenant pas au Cycle des veuf noirs. Certaines font partie du recueil Histoires mystérieuses, d'autres ont été réunies dans le recueil The Union Club Mysteries paru en 1985 et jamais traduit en français.
Cyanure à volonté, Fayard, Le Saint détective magazine no 28, 1957 Death of a Honey-Blond, 1956
Publiée également sous le titre What's in a Name? et collectée dans Histoires mystérieuses sous le titre Le Patronyme accusateur
Poussière de mort, OPTA, Fiction no 64, 1959 The Dust of Death, 1957
Publiée également dans Histoires mystérieuses sous le titre La Poussière qui tue

Autres romans

La Fin de l'éternité en The End of Eternity, 1955
Une bouffée de mort The Death Dealers, 1958
Le Voyage fantastique Fantastic Voyage, 1966
d'après le film du même nom
Les Dieux eux-mêmes The Gods Themselves, 1972
Prix Nebula 1972, prix Hugo 1973 et prix Locus 1973
Destination cerveau Fantastic Voyage II: Destination Brain, 1987
Némésis Nemesis, 1989
Le Retour des ténèbres Nightfall, 1990
Coécrit avec Robert Silverberg.
L'Enfant du temps en The Ugly Little Boy, 1992
Coécrit avec Robert Silverberg.
Tout sauf un homme en The Positronic Man, 1993
d'une nouvelle originale d'Asimov L'Homme bicentenaire, transformée par Robert Silverberg en roman, lui-même adapté au cinéma en 1999.

Vulgarisation et influence

Isaac Asimov a écrit plusieurs dizaines d'ouvrages de vulgarisation, sur des sujets aussi variés que les trous noirs, la Bible ou Shakespeare.
Voici quelques livres de vulgarisation portant notamment sur l'astronomie :
Civilisations extraterrestres
Fusées, satellites et sondes spatiales
La Colonisation des planètes et des étoiles
La Course à l'espace : de la rivalité à la coopération
La Pollution de l'espace
Les Astronomes d'autrefois
Les comètes ont-elles tué les dinosaures ?
Les Objets volants non identifiés
Mercure, la planète rapide
Neptune, la plus petite des géantes
Notre voie lactée et les autres galaxies
Science-fiction et faits de science
Saturne et sa parure d’anneaux
Uranus, la planète couchée
Y a-t-il de la vie sur les autres planètes ?
La comète de Halley
La Terre, notre base de départ
Trous noir
X comme inconnu
The Roving Mind10 La pensée vagabonde
Volume 1/2 : 37 essais édités sous le titre Les moissons de l'intelligence, éd Chimérique, coll.« collection zététique
Volume 2/2 : 25 essais non traduit en français
L'univers de la science
Ce sont en particulier ses œuvres qui ont poussé Paul Krugman écipiendaire du prix Nobel d'économie 2008 à devenir un économiste, l'économie étant à son sens ce qui existe de plus proche de la psychohistoire

Récompenses obtenues

1963 : Prix Hugo spécial pour ses contributions à la science-fiction
1966 : Prix Hugo de la meilleure série de tous les temps pour le cycle de Fondation
1967 : Prix Skylark du meilleur écrivain
1972 : Prix Nebula du meilleur roman pour Les Dieux eux-mêmes
1973 : Prix Hugo du meilleur roman pour Les Dieux eux-mêmes
1973 : Prix Locus du meilleur roman pour Les Dieux eux-mêmes
1975 : Prix Locus de la meilleure anthologie pour Before the Golden Age
1976 : Prix Nebula de la meilleure nouvelle longue pour L'Homme bicentenaire
1977 : Prix Hugo de la meilleure nouvelle longue pour L'Homme bicentenaire
1977 : Prix Locus de la meilleure nouvelle longue pour L'Homme bicentenaire
1981 : Prix Locus, catégorie non fiction/article scientifique In joy still felt: The autobiography of Isaac Asimov, 1954-1978
1983 : Prix Hugo du meilleur roman pour Fondation foudroyée
1983 : Prix Locus du meilleur roman pour Fondation foudroyée
1985 : Prix Cosmos 2000 pour Les Robots de l'aube
1986 : Prix Nebula spécial de Grand Maître Life achievement
1987 : Prix Locus de la meilleure nouvelle courte pour Le Robot qui rêvait
1987 : Prix Asimov des lecteurs de la meilleure nouvelle pour Le Robot qui rêvait
1992 : Prix Hugo de la meilleure nouvelle longue pour Un sujet en or
1993 : Prix Asimov des lecteurs de la meilleure nouvelle Cleon the emperor
1995 : Prix Hugo, catégorie non fiction/article scientifique pour Moi, Asimov
1995 : Prix Locus, catégorie non fiction/article scientifique pour Moi, Asimov

Films réalisés d'après l'œuvre d'Isaac Asimov

La Mort des trois soleils 1988, de Paul Mayersberg, tiré de la nouvelle Nightfall.
L'Homme bicentenaire 1999, de Chris Columbus. Ce film se veut fidèle à la nouvelle éponyme d'Asimov.
I, Robot 2004, d'Alex Proyas, avec Will Smith. Le scénario du film n'a pas grand rapport avec le recueil éponyme qui regroupe le Livre des robots et Les Robots, hormis qu'on y retrouve le Pr Lanning et le Dr Calvin, chers à l'auteur, ainsi que le principe et l'énoncé des Trois lois de la Robotique. La fin du film reprend le thème de la nouvelle du Robot qui rêvait. Voulant s'inspirer des romans d'Asimov sur les robots, le film a cependant lancé une polémique sur le respect de l'esprit d'écriture d'Asimov.
Sueños de Robot court métrage Rêves de Robots, réalisation Christian Toro et Carlos Ramos 2007.

Hommages

Sur la planète Mars, le cratère Asimov, ainsi baptisé officiellement en mai 2009, se situe dans le quadrangle Noachis, non loin du cratère Roddenberry, du nom de Gene Roddenberry, un de ses proches amis et célèbre créateur de Star Trek.
Honda a dévoilé en 2000 un robot humanoïde ASIMO, Advanced Step in Innovative MObility, ce nom constitue pour un grand nombre de lecteurs d'Isaac Asimov un clin d'œil bien qu'involontaire à l'écrivain du Livre des Robots, dans lequel il met en scène des robots humanoïdes.
Une méthode statistique utilisée en physique des particules utilise des ensembles de données d'Asimov Asimov dataset en anglais, qui sont censés être un échantillon représentatif de toutes les données. Ce nom a été inspiré par la nouvelle Franchise dans laquelle un seul électeur est choisi pour représenter l'ensemble des électeurs.
Le héros de la série de jeux vidéo Dead Space, Isaac Clarke, est nommé ainsi en référence à Isaac Asimov et Arthur C. Clarke.

Lien
http://youtu.be/tN8uaDh_laY Les incroyables prévisions d'Asimov

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Posté le : 06/04/2014 15:42
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Jean-Baptiste Rousseau
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Le 6 avril 1670 ou 1671, à Paris, naît Jean-Baptiste Rousseau

poète et dramaturge français, mort à Bruxelles le 17 mars 1741.

Malgré un brillant début dans la carrière poétique, Rousseau eut une existence en grande partie malheureuse. Il était le fils d'un honnête cordonnier de Paris qui fit donner à ses enfants une éducation au-dessus de leur condition sociale. On l'accuse d'avoir rougi de ses origines. C'est un de ses traits d'orgueil qui le rendent peu sympathique à ses contemporains.
L'Académie française lui ayant préféré La Motte, il fut accusé d'avoir fait courir des couplets calomnieux et condamné par le parlement au bannissement (1712). Ses Cantates et ses Odes l'ont rendu célèbre.

Il entre dans la carrière littéraire par des pièces de théâtre et de poésie. Nourri à l'école de Boileau, il se croit appelé à former, aux confins des deux siècles, la transition entre deux époques. En fait, son œuvre, où se mêlent alors odes religieuses et épigrammes obscènes, est empreinte d'une sorte de duplicité morale, caractéristique de la fin du règne de Louis XIV. À trente ans, il a une grande réputation littéraire, mais aussi un grand nombre d'ennemis que lui attire son caractère. En 1707, alors qu'il est candidat à l'Académie française, on fait courir sous son nom des couplets calomnieux contre plusieurs hommes de lettres. Il s'en défend, mais l'affaire s'envenime, et le parlement le juge coupable et le condamne au bannissement à perpétuité 1712eur de France en Suisse, auquel est dédiée son Ode à la Fortune, une de ses œuvres les plus connues :
  Fortune dont la main couronne  Les forfaits les plus inouïs,  Du faux éclat qui t'environne  Serons-nous toujours éblouis ?
Voltaire, encore jeune alors, le rencontre à Bruxelles. Mais ils étaient faits pour ne pas s'entendre. Dans Le Temple du goût, Voltaire compare sa poésie au coassement d'une grenouille et ne cesse, dès lors, de s'acharner sur ses écrits, son caractère, sa vie. Revenu un moment à Paris 1738, Rousseau ne réussit pas à se faire réhabiliter et quitte de nouveau la France. Il meurt à Bruxelles, et son meilleur élève dans la poésie lyrique, Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, lui dédie son Ode sur la mort de J.-B. Rousseau 1742 :
  La France a perdu son Orphée...
  D'une brillante et triste vie
  Rousseau quitte aujourd'hui les fers ;
  Et loin du ciel de sa patrie,
  La mort termine ses revers.
Il fut apprécié de Fénelon, de Louis Racine. Outre ses poésies lyriques comprenant quatre livres d'Odes, deux livres d'Allégories et une vingtaine de Cantates — dont la cantate Circé, longtemps considérée comme un chef-d'œuvre —, il avait composé deux livres d'Épîtres, quatre d'Épigrammes et un de Poésies diverses. Il exhale, le plus souvent dans ses vers, ses amères désillusions :
Ce monde-ci n'est qu'une œuvre comique  Où chacun fait des rôles différents.
Le rôle de ce Jean-Baptiste, que le jeune XVIIIe siècle tint longtemps jusqu'à l'apparition de Jean-Jacques pour le grand Rousseau, ne s'achèvera pourtant point sur une note si comique : Victor Hugo, quand il n'est encore que l'enfant sublime, en fait un de ses modèles favoris, et les grandes formes strophiques de la maturité hugolienne celle des Mages, par exemple conservent souvent la structure de l'ode de Jean-Baptiste Rousseau.

Sa vie

Fils d'un cordonnier enrichi, Jean-Baptiste Rousseau fut élevé avec soin et fit de bonnes études chez les Jésuites au collège Louis-le-Grand. Selon les témoignages contemporains, il eut toujours honte de sa naissance obscure qu'il chercha à dissimuler et l'on prétend qu'il alla jusqu'à renier son propre père.
Pour s'accorder à l'esprit de dévotion que Madame de Maintenon répandait sur la fin du règne de Louis XIV, Jean-Baptiste Rousseau commença par composer l'imitation d'un psaume qu'il mit, dit-on, entre les mains du maréchal de Noailles. Le poème plut et son auteur fut appelé à composer des odes religieuses pour l'édification du duc de Bourgogne. Dans le même temps, il rimait en secret des épigrammes licencieuses pour le grand-prieur de Vendôme et la Société du Temple, dans laquelle il avait été introduit par le marquis de La Fare et l'abbé de Chaulieu. On a dit qu'il composait ses psaumes sans dévotion et ses épigrammes, qu'il appelait les Gloria patri des premiers, sans libertinage. Il fut des invités de la duchesse du Maine à ses salons littéraires et aux fêtes des Grandes Nuits de Sceaux, dans le cercle des Chevaliers de la Mouche à Miel au Château de Sceaux.
L'habileté qu'il montrait dans la versification lui attira la protection de Boileau, qui le guida de ses conseils et le considérait comme le seul qui fût capable de continuer la manière classique. Il fut également protégé par le baron de Breteuil, introducteur des Ambassadeurs et père de la marquise du Châtelet, et le futur maréchal de Tallard. Ce dernier l'emmena avec lui en 1697 lors de son ambassade à Londres auprès de Guillaume III d'Angleterre, ce qui lui permit de faire la connaissance de Saint-Evremond. Rousseau rentra en France en avril 1699. Peu après son retour, le directeur des finances, Hilaire Rouillé du Coudray, se fit son mécène. C'était un grand amateur du goût italien, proche de Philippe d'Orléans, futur Régent.
En 1748, Voltaire écrira dans sa Vie de Monsieur Jean-Baptiste Rousseau :
Rouillé avait une maîtresse, nommée Mlle de Louvancourt, qui avait une très jolie voix .... Rousseau ... pour leur plaire ... composa ... les paroles de cantates qui furent ensuite mises en musique, et ce sont les premières que nous ayons eues en français. Il les retoucha depuis. Il y en a de très belles; c’est un genre nouveau dont nous lui avons l’obligation. Cette forme à la fois littéraire et musicale, imitée de l'Italie, serait donc née vers l'année 1700, grâce à sa mise en musique par des compositeurs comme Jean-Baptiste Morin, Nicolas Bernier, Jean-Baptiste Stuck.... En 1708, Rouillé offrit à Rousseau un emploi de directeur des fermes que le poète se vante d'avoir refusé comme peu compatible avec la nécessaire indépendance d'un homme de lettres.
En 1701, il fut élu à l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
Rousseau s'était essayé au théâtre mais sans succès il avait donné trois comédies et deux opéras. Un seul de ces ouvrages, la comédie Le Flatteur, avait eu quelque succès au début, avant de tomber à la reprise. L'auteur, furieux de ces revers, les attribua à des cabales montées par ses ennemis et désigna certains habitués du café de la veuve Laurent, situé rue Dauphine à proximité du Théâtre-français, où se réunissaient des hommes de lettres tels qu'Houdar de la Motte, Danchet, Saurin, Crébillon, Boindin et où Rousseau lui-même était assidu. On sait aussi que d'autres artistes et intellectuels parmi lesquels des musiciens fréquentaient ce célèbre café.
Rousseau entreprit d'exercer sa vindicte sur ses ennemis désignés. On commença par trouver sous les tables du café des vers satiriques contre Danchet, qu'on reconnut aisément pour l'œuvre de l'irascible poète. Le même procédé se répéta plusieurs fois, si bien que la veuve Laurent pria Rousseau de ne plus remettre les pieds dans son établissement. Les épigrammes se mirent alors à arriver par la poste, expédiées de Versailles où Rousseau demeurait. La police fut prévenue et les envois cessèrent.
En 1710, Rousseau se présenta à l'Académie française contre Houdar de la Motte et fut battu.
Il en conçut un très vif dépit. Les couplets recommencèrent et devinrent véritablement odieux, remplis d'injures pour ses adversaires mais aussi contre de hauts personnages et de blasphèmes contre la religion. Rousseau reçut, au Palais-Royal, une correction de La Faye, capitaine aux gardes et poète à qui on les avait attribués. Rousseau porta plainte contre La Faye pour voie de fait, mais La Faye riposta par une plainte en diffamation.
Rousseau se désista alors de sa plainte, entraînant le retrait de celle de son adversaire, mais ce fut pour accuser Saurin d'être l'auteur des couplets. Saurin fut arrêté, mais il put démontrer que les témoins produits contre lui avaient été subornés. Un arrêt du Parlement de Paris en date du 27 mars 1711 le relaxa et condamna Rousseau à lui verser 4 000 livres de dommages et intérêts. Un second arrêt, en date du 7 avril 1712, condamna Rousseau au bannissement à perpétuité comme atteint et convaincu d’avoir composé et distribué les vers impurs, satiriques et diffamatoires.
La question de savoir si Rousseau était le véritable auteur des couplets n'a jamais été éclaircie. Lui-même affirmait qu'ils avaient été composés par Saurin, avec le concours de la Motte et d’un joaillier nommé Malafaire. La facture de ces vers, très médiocre, est en effet très éloignée de celle de Rousseau, mais les fautes mêmes qu'ils contiennent sont si grossières qu'elles font penser à quelqu'un qui aurait essayé de déguiser son style.
Rousseau, devançant l'arrêt du Parlement, avait quitté la France et s'était d'abord rendu en Suisse, auprès de l'ambassadeur de France, le comte du Luc. Ce dernier l'emmena avec lui au congrès de Bade, où il fut présenté au prince Eugène, auprès de qui il passa trois ans à Vienne. Il s'installa ensuite chez le duc d'Arenberg à Bruxelles, où le baron de Breteuil lui fit obtenir, en 1717, des lettres de grâce. Rousseau ne voulut cependant pas en user, réclamant d'être rejugé, ce qui ne put lui être accordé.
En 1722, à Bruxelles, Rousseau rencontra Voltaire. Ce qui se passa exactement durant cette entrevue n'est pas clair, mais il en résulta, entre les deux auteurs, une profonde et violente inimitié. Selon Rousseau, lors d'une promenade en carrosse, le petit coquin d'Arouet l'avait tellement indigné par la licence de ses propos et par la lecture d'une ode impie, qu'il avait dû le menacer de descendre et de le laisser seul.
En 1737, fatigué de l'exil, Rousseau sollicita l'autorisation de revenir en France. Ses protecteurs lui ayant conseillé de venir à Paris, il s'y rendit vers la fin de 1738 et y résida quelques mois incognito, sous le nom de Richer. C'est un consommé de Panurge et de la Rancune, disait alors de lui Piron. Il ne dit de bien de personne ... Malgré la pesanteur et la caducité visible où l'a jeté son apoplexie, il porte une perruque à cadenettes très-coquette, et qui jure parfaitement avec un visage détruit et une tête qui grouille ... Il fait ardemment sa cour aux Jésuites et vit en sage écolier avec eux. Il est aussi inconséquent qu'un sot .
Les démarches faites en sa faveur ne furent pas couronnées de succès et il dut reprendre la route de Bruxelles en février 1739. Il y mourut en 1741.

Postérité littéraire

Pour ses contemporains, Rousseau était considéré comme « le prince de nos poètes lyriques ». Lorsqu'il mourut, Lefranc de Pompignan lui consacra une ode magnifique dont Sainte-Beuve a dit avec malice qu'elle était la plus belle ode due à Rousseau. Car, au xixe siècle, l'œuvre de Rousseau était presque universellement méprisée :
Sa versification est d'une extrême correction, et ses vers sont harmonieux, et parfois même musicaux. Mais ses poésies lyriques sont entièrement dépourvues de sentiment, et souvent même de pensée. Ce sont de belles mécaniques glacées, qui tentent de dissimuler leur vacuité sous l'abus de la mythologie et la pompe d'une rhétorique aussi convenue que creuse. Les odes sentent l'effort, les psaumes manquent de sincérité, les épîtres de naturel, ce sont finalement les cantates qui soutiennent le mieux la lecture aujourd'hui, avec les épigrammes, genre pour lequel Rousseau avait un réel talent, servi par une méchanceté qui fit le malheur de la seconde moitié de son existence.

Œuvres

Odes :
Odes sacrées
Trois livres d’Odes, dont Ode à M. le Prince Eugène de Savoie
Cantates :
3 cantates, dans : Recueil de cantates, contenant toutes celles qui se chantent dans les concerts : pour l’usage des Amateurs de la Musique & de la Poësie, compilation, par J. Bachelier La Haye, Alberts et van der Kloot, 1728. Ed. en fac-similé, Genève, Minkoff, s. d. 1992.
14 cantates, dans : Œuvres diverses de Mr Rousseau Amsterdam, François Changuion, 1729, 3 tomes.
6 cantates dans Portefeuille de J.B. Rousseau, éd. Nicolas Lenglet-Dufresnoy, Amsterdam, Marc-Michel Rey, 1751.
6 cantates, dans : Œuvres Londres, sans éd., 1781, 2 tomes.

Liste chronologique de ses pièces de théâtre
Le Café, comédie en 1 acte, en prose 1694
Jason, opéra en 5 actes, en vers 1696
Le Flatteur, comédie en 5 actes, en prose 1698
Vénus et Adonis, opéra en 5 actes, en vers 1697
Le Capricieux, comédie en 5 actes, en vers 1700
La Noce de village, mascarade 1700
La Ceinture magique, comédie en 1 acte, en prose 1702
Œuvres 1712
Œuvres, 2 vol. 1723
L'Hypocondre, comédie non représentée
La Dupe de lui-même, comédie non représentée
La Mandragore, comédie non représentée
Les Aïeux chimériques, comédie non représentée
Lettres sur différents sujets de littérature 1750

lien
http://youtu.be/HRKLbVZurB8 Vénus et Adonis sur un livret de JB Rousseau

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Posté le : 06/04/2014 11:30

Edité par Loriane sur 06-04-2014 21:32:08
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Nicolas Chamfort
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Le 6 avril 1740 naît probablement à Clermont-Ferrand

Sébastien-Roch Nicolas, Chamfort


qui prit par la suite le nom de Chamfort, poète, journaliste et un moraliste français, mort à 54 ans à Paris le 13 avril 1794,

Après quelques discrets succès littéraires et mondains sous l'Ancien Régime, il applaudit à la Révolution pour se lancer dans le journalisme politique ; il rédige les Tableaux de la Révolution française 1790-1791, prête sa plume à Mirabeau Des académies, 1791, invente le mot d'ordre Guerre aux châteaux, paix aux chaumières , avant de mourir sous la Terreur. La publication posthume en 1795 de ses Maximes, pensées, caractères et anecdotes devait assurer sa postérité. On découvrit alors un moraliste amer et cynique, aux formules aussi efficaces qu'assassines, infiniment plus spirituel et subversif que son contemporain contre-révolutionnaire Rivarol. Tout en défendant la nécessité d'un point de vue raisonnable et en épinglant les ridicules, ses maximes tentent d'interroger les passions moins pour les condamner, comme nombre de ses devanciers, que pour y déceler les traces d'une origine perdue et mettre à nu les ressorts cachés des comportements. L'usage abondant du paradoxe sert une interrogation désenchantée des logiques d'une Histoire fondamentalement caractérisée par son ironie tragique, puisque le genre humain, mauvais de par sa nature, est devenu plus mauvais par la société. Son œuvre a pu ainsi influencer tant Stendhal que Nietzsche, qui rendit hommage à un homme jugeant le rire nécessaire, comme un remède à la vie, et même Albert Camus, qui en présenta une édition.

Sa vie

Aujourd’hui encore, la naissance de Chamfort est entourée de nombreux mystères. D'après le registre des naissances de la paroisse de Saint-Genès, à Clermont-Ferrand, Chamfort est né le 6 avril 1740, fils légitime de François Nicolas, marchand épicier, et de Thérèse Croiset, son épouse.
Toutefois, un second registre, le nommant Sébastien Roch le fait naître le 22 juin de parents inconnus. Selon Claude Arnaud, en revanche, il est baptisé le 22 juin en l'église Saint-Genès ; il reçoit exactement le même nom de baptême qu'un autre enfant mort, baptisé le 5 avril. Quoi qu'il en soit, tous ses biographes s'accordent à considérer que Chamfort était un enfant naturel. Selon la tradition locale, il est le fils naturel de Jacqueline de Montrodeix, née Cisternes de Vinzelles, et de Pierre Nicolas, un chanoine de la cathédrale Notre-Dame de Clermont-Ferrand, tandis que d'après Roederer, il s'agirait d'un chanoine de la Sainte-Chapelle. D'après cette version, l'enfant a été adopté par l'épicier François Nicolas, parent de Pierre Nicolas, et sa femme, Thérèse Creuzet ou Croizet, qui auraient, selon Joseph Epstein, perdu leur propre enfant, né le même jour que lui.
Par ailleurs, certains ouvrages le font naître le 6 avril 1741, voire le présentent comme le fils d'une paysanne, ou d'une dame de compagnie d'une riche famille, et d'un père inconnu.
À partir de 1750, il fit ses études comme boursier au collège des Grassins, sur la montagne Sainte-Geneviève, à Paris, et remporta les premiers prix de l'Université. Il s'y montra un élève brillant et fantasque, qui alla jusqu'à faire une fugue au cours de laquelle il pensa s'embarquer pour l'Amérique avec un camarade, Pierre Letourneur, le futur introducteur d'Ossian en France, et partit pour le port de Cherbourg. On lui pardonna et il put terminer ses études.
Il prit en entrant dans le monde le nom de Chamfort à la place du simple nom de Nicolas qu'il avait porté jusque-là.

Carrière littéraire

Débutant par quelques articles au Journal encyclopédique et une collaboration au Vocabulaire français, il se fit connaître de bonne heure par des prix de poésie remportés à l'Académie, donna au Théâtre-Français quelques comédies qui réussirent, et s'attacha pour vivre à diverses entreprises littéraires. Sa réputation le fit choisir par le prince de Condé pour être secrétaire de ses commandements ; il devint ensuite en 1784 secrétaire ordinaire et du Cabinet de Madame Elisabeth, sœur du roi Louis XVI.
Avant la Révolution, il fut un des écrivains les plus apprécié par les salons parisiens, brillant et spirituel, il écrivit des pièces de théâtre. Initié à la franc-maçonnerie en 1778, il fut élu à l'Académie française en 1781 au fauteuil no 6.
Il fit une carrière d'homme de lettres qui le conduisit à l'Académie, mais contracta très tôt la syphilis, maladie vénérienne dont il ne guérit jamais véritablement et qui, outre le tenant dans un état valétudinaire tout le reste de sa vie, donna à son œuvre une teinte d'amertume et de misanthropie.
L'œuvre la plus célèbre et la seule lue de Chamfort a été publiée en 1795 par son ami Pierre-Louis Ginguené : Maximes et pensées, caractères et anecdotes, tirée des notes manuscrites qu'il avait laissées de Maximes et Pensées et de Caractères et Anecdotes.
En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin.
Sébastien-Roch-Nicolas de Chamfort, Œuvres complètes de Chamfort, vol. 2, éditées par Maradan, 1812
Quand il se fait quelque sottise publique, je songe à un petit nombre d'étrangers qui peuvent se trouver à Paris, et je suis prêt à m'affliger, car j'aime toujours ma patrie.
Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort souhaitait publier ses écrits sous le nom de Produits de la civilisation perfectionnée.

Vie sentimentale

À l'été 1781, il entama une liaison avec Anne-Marie Buffon, veuve d'un médecin du comte d'Artois, un peu plus âgée que lui, qui fut le grand amour de sa vie. Au printemps 1783, le couple se retira dans un manoir appartenant à Madame Buffon, où celle-ci mourut brusquement le 29 août suivant.
Dévasté par l'événement, Chamfort écrivit ce poème, où transparaît sa douleur :

Dans ce moment épouvantable,
Où des sens fatigués, des organes rompus,
La mort avec fureur déchire les tissus,
Lorsqu'en cet assaut redoutable
L'âme, par un dernier effort,
Lutte contre ses maux et dispute à la mort
Du corps qu'elle animait le débris périssable ;
Dans ces moments affreux où l'homme est sans appui,
Où l'amant fuit l'amante, où l'ami fuit l'ami,
Moi seul, en frémissant, j'ai forcé mon courage
À supporter pour toi cette effrayante image.
De tes derniers combats j'ai ressenti l'horreur ;
Le sanglot lamentable a passé dans mon cœur ;
Tes yeux fixes, muets, où la mort était peinte,
D'un sentiment plus doux semblaient porter l'empreinte ;
Ces yeux que j'avais vus par l'amour animés,
Ces yeux que j'adorais, ma main les a fermés !
À celle qui n'est plus, Œuvres complètes de Chamfort, chez Maradan, Paris, 1812, t. II, p. 406.

Révolution

Accueillant avec enthousiasme la venue de la Révolution française, il suivit les États généraux à Versailles. Engagé par Mirabeau comme rédacteur anonyme de son journal, il assista au serment du Jeu de Paume et applaudit à la prise de la Bastille. Éminence grise de Talleyrand et de Mirabeau, dont il rédigeait partiellement les discours et les rapports, il entra avec lui au Club des Trente. Lié à Sieyès, il trouva le titre de sa brochure : Qu'est-ce que le tiers état ?. Par ailleurs, plusieurs journaux, en particulier le Mercure de France, l'accueillaient dans leurs colonnes.
Il entra, avec Talleyrand et Mirabeau, à la Société de 1789, fondée par La Fayette en avril 1790, où il ne demeura qu'un an, avant de la quitter au moment de la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes, et rejoignit le Club des Jacobins, où il fut élu au comité de correspondance, avec pour mission d'empêcher l'adhésion des filiales provinciales au Club des Feuillants.
Quand l'Assemblée constituante se sépara, il quitta les Jacobins et se présenta, en vain, à l'Assemblée législative, avant de se consacrer à la publication des Tableaux de la Révolution française.
À l'époque, il appela à une radicalisation de la Révolution.
Opposé, comme Robespierre, à la guerre contre l'Autriche, il rallia cependant la Gironde, plus par affinité de personne que par choix politique. Rédacteur en chef de la Gazette de France, selon toute probabilité, de mai 1792 à janvier 1793, le ministre de l'Intérieu, Jean-Marie Roland de La Platière le nomma bibliothécaire de la Bibliothèque nationale, le 19 août 1792, cependant que Manon Roland l'accueillait dans son salon.
Il fut chargé Quand ? par le ministre des Affaires étrangères Lebrun d'une correspondance secrète avec les indépendantistes irlandais, afin de sonder leurs dispositions, correspondance qui fut saisie lors de son arrestation.
En effet, pour s'être réjoui de la mort de Marat, il fut dénoncé le 21 juillet 1793 par un employé de la bibliothèque et emprisonné aux Madelonnettes, le 2 septembre. Relâché deux jours plus tard sur ordre du Comité de sûreté générale, il demeura sous surveillance avec deux autres bibliothécaires, le neveu de l'abbé Barthélemy et Grégoire-Desaunays, et tenta en vain de se disculper. Le 9 septembre, il démissionna de la Bibliothèque nationale.

Suicide raté

Toutefois, de nouveau menacé d'arrestation, il tenta, le 14 novembre, de se suicider mais fut sauvé par une intervention chirurgicale. Il ne s'était pas remis de ses blessures quand, fin janvier 1794, les poursuites à son encontre furent abandonnées. Très affaibli, il s'éteignit le 13 avril suivant.
La mort de Chamfort représente le comble du suicide raté. Ne supportant l'idée de retourner en prison, il s'enferme dans son cabinet et se tire une balle dans le visage. Le pistolet fonctionne mal et, s'il perd le nez et une partie de la mâchoire, il ne parvient pas à se tuer. Il se saisit alors d'un coupe-papier et tente de s'égorger mais, malgré plusieurs tentatives, ne parvient pas à trouver d'artère. Il utilise alors le même coupe-papier pour fouiller sa poitrine et ses jarrets. Épuisé, il perd connaissance. Son valet, alerté, le retrouvera dans une mare de sang. Malgré tous les efforts de Chamfort pour se supprimer, on parviendra quand même à le sauver.
Il mourra quelques mois plus tard d'une humeur dartreuse.

En vain cherchera-t-on dans ce qui fut le bréviaire de plusieurs générations de lycéens laïques, l'Histoire de la littérature française de Lanson, quelque éclaircissement sur Sébastien Roch Nicolas, alias Chamfort. Son nom y paraît à peine, en appendice aux pages consacrées à son compagnon et ami, aristocrate révolutionnaire dont Chamfort écrivit les plus célèbres discours : Mirabeau. Il n'y aurait pas plus de profit à consulter un manuel d'histoire : son nom n'est pas même associé à celui de Sieyès, seul et dernier ami fidèle, qui osa suivre, en pleine Terreur, le cercueil de Chamfort. Il lui devait d'ailleurs le titre de la fameuse brochure : Qu'est-ce que le tiers état ?

Homme de lettres ou écrivain ?

Chamfort n'appartient-il donc ni à la littérature, ni à l'histoire ? Certes, les œuvres littéraires qu'il publia de son vivant ne révèlent pas le meilleur de ses qualités ; en cela Édouard Herriot avait sans doute raison de préférer ses essais ou articles politiques, son œuvre de chroniqueur de la Révolution. Car Chamfort ne parle bien que lorsqu'il s'échauffe, cingle et glace à la fois. En poésie, ses théories sont aussi conformistes que plate sa production. S'il goûte bien les vers de Racine, pourquoi faut-il qu'il voie en Delille et J.-B. Rousseau ses dignes et glorieux héritiers ? Au théâtre, en dépit de ses succès, il se montre timide pour la théorie, navrant pour l'invention : La Jeune Indienne 1764, Le Marchand de Smyrne, Mustapha et Zéangir 1770-1771. En vers ou en prose, c'est toujours du sous-Voltaire ou du sous-Diderot. Ce franc-diseur insolent trouve Beaumarchais trivial et grossier ; ce révolté aux tenailles mordicantes méprise sans doute si fort son public que, face à lui, il s'émousse. Chamfort ne se déchaîne que pour fustiger ce qu'il hait : la bêtise, les grands, le monde, l'injustice sociale. Alors tout lui est bon : l'Éloge de La Fontaine comme celui de Molière ; mais ce ne sont que de brefs éclairs de liberté dans une prose de futur académicien, honorable et solennelle. Style méconnaissable pour qui sait apprécier la formule abrupte et grave, la désinvolture crispée, le ton déchirant-déchiré de cet écorché vif, celui des Maximes et Pensées, des Caractères et Anecdotes, leur fraternelle causticité. Dès que Chamfort put retrouver dans l'intimité de l'écriture l'audace rageuse qui l'exaltait dans la conversation, il devint écrivain ; homme de lettres jusque-là, il méritait plutôt moins que sa réputation. Au reste, mieux vaut ne point devoir lui reprocher d'avoir trop bien réussi dans un domaine qui lui inspirait tant de dégoût. Homme de lettres, lui qui jugeait ainsi la corporation : des ânes ruant et se mordant devant un râtelier vide, pour amuser les gens de l'écurie ? Lui, avide de vraie gloire, prétendre à une célébrité qu'il considère comme une infamie faite pour révolter un caractère décent ? D'où ses réticences, ses atermoiements, les incohérences de sa carrière, qu'on prendrait à tort pour de l'inconstance ou des palinodies. Car on a beau parier, toujours, pour ceux qui ont plus d'appétit que de dînés contre ceux qui ont plus de dînés que d'appétit, il arrive que, faute de trouver à gagner son pain, on soit contraint de manger de la brioche. Surtout lorsque, fils naturel et roturier, on a refusé, par indifférence métaphysique, par goût et souci de sa liberté, par honnêteté, de se faire curé. Mais, fidèle à soi-même, dans tous les aléas de sa condition, avec une indépendance agressive, Chamfort se réserva de refuser les pensions et les honneurs qui lui eussent trop cher coûté. Il sut toujours fuir les tréteaux, de peur de devenir charlatan.

Le révolutionnaire

Avec plus de désintéressement et de fermeté que Mirabeau, Chamfort salua et servit une révolution que maintes fois il avait imprudemment, indécemment appelée. Il se dévoua corps et esprit à une action politique qui se proposait d'inverser l'ordre social abusif. Il le fit avec une lucidité, une véhémence, un courage aussi ne se manifestant vers la fin aux assemblées que lorsqu'il était dangereux d'y prendre la parole qui faisaient dire à Nietzsche que, privée de Chamfort, la Révolution serait restée un événement beaucoup plus bête et n'exercerait point cette fascination sur les esprits. Il faut lire les Tableaux de la Révolution française et les divers articles qu'il publia à propos d'une Pétition des juifs établis en France, d'un Essai sur la mendicité, des Mémoires du maréchal de Richelieu ou de Maurepas, bien d'autres encore, on verra comme il justifie une cause qui devait si mal le récompenser mais que, fidèle à soi, jusqu'au bûcher inclusivement, il tenta de défendre contre elle-même. Qu'on lise au moins, dans les débris de ce qui eût été l'une des plus belles correspondances du siècle, la lettre à Vaudreuil, du 13 décembre 1788 ; qu'on n'oublie point qu'elle s'adressait à un aristocrate, futur émigré, protecteur de Chamfort, son seul ami ou presque. On ne s'étonnera pas si, académicien et pensionné par l'Ancien Régime, ce même Chamfort a su écrire en 1790 : J'entends crier à mes oreilles tandis que je vous écris : Suppression de toutes les pensions de France ; et je dis : Supprime tout ce que tu voudras, je ne changerai ni de maximes, ni de sentiments. Les hommes marchaient sur la tête, et ils marchent sur les pieds ; je suis content : ils auront toujours des défauts, des vices même ; mais ils n'auront que ceux de leur nature, et non les difformités monstrueuses qui composaient un gouvernement monstrueux. Certes Chamfort conclut un peu vite à l'excellence de la roture ; mais quoi ? il avait choisi : Moi, tout ; le reste rien : voilà le despotisme, l'aristocratie, leurs partisans. Moi, c'est un autre ; un autre, c'est moi : voilà le régime populaire et ses partisans. Après cela, décidez. Entre autres choses, il avait décidé, lui, d'écrire pour Mirabeau le Discours contre les académies ; c'est dire l'homme et le citoyen qu'il était.

Mais cette image d'un Chamfort naïvement fidèle à une révolution qui l'accula au suicide, comme elle cadre mal avec celle du misanthrope acerbe et négateur ! C'est que la seconde est abusive et ne rend pas compte du débat intérieur et de l'homme même. Et ce suicide manqué, ce sombre massacre courageusement perpétré, pourquoi le confondre avec un acte politique, une accusation jetée à la face de la Révolution ? Suicide de philosophe et d'homme libre, c'est tout. Si j'avais su que ce fût au Luxembourg, disait Chamfort, je ne me serais peut-être pas tué.Car c'est aux Madelonnettes qu'il ne voulait point retourner, libre qu'il était de refuser la promiscuité des latrines et l'impossibilité de laver ses plaies. Ce n'est pas pour cela qu'il désespérait de la Révolution ou des hommes de sa classe. De fait, à peu près guéri, il reprenait goût à la vie et à la Révolution, lorsque la maladresse d'un médecin l'acheva, en mars 1794.

Le moraliste

Le grand ouvrage que Chamfort préparait c'est au secret de son cabinet qu'il s'élaborait : à travers ce qu'on en a pu reconstituer, nous apprenons à connaître son personnage contradictoire, ravagé de souffrances morales autant que de pustules et d'eczéma. On a voulu faire de sa vision du monde celle d'un doloriste, que seule la maladie expliquerait. Il semble plus probable que l'eczéma de Chamfort fut la marque de ses déchirements. Déjà, à l'époque où Rivarol voyait en lui un brin de muguet enté sur un pavot, jeune galant profitant largement de la fête continuelle que les dames lui donnaient, il jetait chaque jour sur de petits papiers les réflexions, les maximes ou les anecdotes que lui inspirait le monde. Il les destinait à un ouvrage d'ensemble, traité de morale et pamphlet, qu'il voulait intituler Produits de la civilisation perfectionnée ; ce qui témoigne du dégoût que lui causait la fréquentation d'un monde qu'il se méprisait peut-être en secret de devoir approcher. C'est donc une certaine société, bien définie, qu'il prétend accabler. La misanthropie de Chamfort est localisée.

Son désenchantement touche à l'ordre du cœur et de la sensibilité. La raison lui tient un autre langage, qu'il ne cesse d'écouter, ainsi : Pour devenir philosophe, il ne faut pas se rebuter de ce qu'on découvre chez l'homme, mais triompher de son dégoût. Chamfort n'est donc pas l'apôtre sarcastique d'un renoncement amer, il croit à la raison, aux passions, à la nature, à la vertu, à l'amitié, mots que sa plume emploie sans cesse, non pour les nier mais pour en affirmer la rareté ou l'excellence. Ce cynique serait-il donc un naïf ? Lui qui, dans le jouir et faire jouir, sans faire de mal à personne, voit tout le fondement de la morale, qui chante l'amitié entière qui développe toutes les qualités de l'âme et pense que, pour se faire une idée juste des choses, il suffit de prendre les mots au rebours de leur signification usuelle : misanthrope, par exemple, cela veut dire philanthrope ; mauvais Français, cela veut dire bon citoyen qui indique certains abus monstrueux ; philosophe, homme simple qui croit que deux et deux font quatre .

Serait-ce édulcorer Chamfort que de lui savoir gré de ses actes de foi autant que de ses refus ? De celui-ci par exemple, le dernier mot des Maximes :
«Supposons qu'on eût employé, pour éclairer les dernières classes, le quart du temps et des soins qu'on a mis à les abrutir ... Supposez qu'au lieu de leur prêcher cette doctrine de patience, de souffrance, d'abnégation de soi-même et d'avilissement, si commode aux usurpateurs, on eût prêché celle de connaître leurs droits et le devoir de les défendre, on eût vu que la nature, qui a formé les hommes pour la société, leur a donné tout le bon sens nécessaire pour former une société raisonnable.

On voit bien qu'il faut aimer Chamfort pour ce qui fut, peut-être, son illusion autant que pour sa férocité. Solitaire, oui ; mais toujours solidaire, d'une classe au moins.

Maximes, pensées, caractères et anecdotes , livre de Chamfort

Enfant naturel, élève doué, lauréat de l'Académie, académicien et pourfendeur de cette même Académie, dramaturge, révolutionnaire, administrateur de la Bibliothèque nationale, Sébastien-Roch Nicolas, dit Chamfort 1740-1794, échappa à la Terreur en tentant de se suicider. La postérité n'a retenu de son œuvre que des notes, que son ami Guinguené publia après sa mort sous le titre Maximes et anecdotes.

Un livre qui n'en est pas un

Ce recueil, sans cesse réédité depuis 1795, correspond plus ou moins à un projet de Chamfort. Guinguéné trouva dans un carton des papiers qu'il y jetait pêle-mêle. Le carton portait un titre, Produits de la civilisation perfectionnée, et un plan : première partie, Maximes et pensées ; deuxième partie, Caractères ; troisième partie, Anecdotes. Le titre pourrait être de Voltaire : celui-ci a mis à la mode le mot civilisation et, malgré les errances de l'humanité, il croit au progrès de l'esprit et des mœurs, et se fait le chantre de la société et du luxe. Pourtant, cette référence ne résiste pas à la lecture. Le titre est ironique. Contre Voltaire, Chamfort choisit Rousseau. Comme l'affirme le Contrat social, il croit l'homme naturellement libre, mais aliéné par la société. La société n'est pas comme on le croit d'ordinaire, le développement de la nature, mais bien sa décomposition et sa refonte entière. Les fléaux physiques et les calamités de la nature humaine ont rendu la société nécessaire. La société a ajouté aux malheurs de la nature.La société corrompt l'homme, mais celui-ci ne peut vivre sans elle. La corruption sociale ou la solitude et la mort, voilà le choix. La société est entrée en déclin. Il faut se résigner à cette conscience amère de ce que sont l'homme et son destin.

Un pessimisme radical

Tout au long de son recueil, Chamfort accumule les traits et les pointes satiriques. Il se présente comme un écrivain en rupture, qui refuse d'être l'amuseur déconsidéré d'un public et d'une société qu'il méprise. Il se veut juge, comme Jean-Jacques Rousseau. Classés selon leurs thèmes, il est impossible de distinguer les maximes, les pensées, les caractères et les anecdotes. Chez Chamfort, on trouve même un refus de la maxime au sens traditionnel, qu'il estime l'ouvrage des gens d'esprit qui ont travaillé ... à l'usage des esprits médiocres et paresseux, et à laquelle il reproche de permettre au lecteur de généraliser trop vite. Il convient donc de considérer cet ensemble comme des notes rédigées au fil de la plume sur la décadence telle qu'elle se trouve saisie à travers les comportements, les croyances et les échanges de la vie sociale. Cohabitent observation des symptômes et énoncé du diagnostic.

L'idée de corruption obsède Chamfort. Elle tient aux préjugés et aux superstitions qui imprègnent toute société. Dès lors, pour lui, il est impossible de vivre sans jouer de temps en temps la comédie. C'est dire que, si Chamfort emprunte aux hommes des Lumières leur mise à distance critique, son constat n'est pas le leur. Au fond, là encore, il est plus proche de La Bruyère que de Voltaire. Des Caractères, il a retenu le sens du portrait ridicule réduit à l'essentiel, ce besoin aigu de montrer sous le masque social le néant de l'individu, et l'hypocrisie des mécanismes sociaux.

Autant que d'un idéal trahi, la critique chez Chamfort prend son sens à partir d'un pessimisme profond qui touche aussi bien l'homme que l'histoire, le devenir, le temps qui passe, l'absence de mémoire. En ce sens, elle se place tout entière sous le signe de la déperdition. À défaut d'histoire, on ne recueille que des anecdotes, des témoignages de l'échange mondain d'une société frivole. Il n'y a plus d'hommes, il n'y a que des caractères, sortes de personnages que modèle et défait le jeu social. Il n'y a pas non plus d'œuvre, mais des fragments, livrés au hasard de l'observation ou du jeu de la pensée. Les textes regroupés dans les sections Maximes générales représentent pourtant un effort pour atteindre un jugement apparemment universel. La maxime y devient la forme moderne de la sentence antique et traduit une volonté d'effacement du temps qui passe. Elle devrait être le marbre où une écriture pérenne devient enfin possible. Mais rien ne résiste au doute, à la mise en question, à l'absence de mémoire de l'homme contemporain. Rien n'échappe à cette autre corruption, que sont l'oubli et la mort : ni l'art, ni les hiérarchies sociales, ni les aristocraties reconnues, trompeuses et mesquines.

Il n'en faut pas moins vivre. L'optimisme militant des Lumières s'est révélé vain, même si le philosophe reste dans les Maximes une figure honorée. Pareillement, les espoirs mis dans la Révolution ont été trahis. La solitude que Chamfort a choisie, à bien juger, n'est qu'une dérobade. Au bout de cette pensée, il reste un humanisme lucide, ou la tentation de la mort. On comprend que, dans l'Europe de 1945, transformée en champ de ruines et hantée par les massacres, cette leçon de morale stoïque, sans illusion sur l'homme et le monde, ait fasciné Albert Camus, au point de le pousser à préfacer les Maximes et pensées.

Éloge de Molière, couronné 1769 ;
Éloge de La Fontaine 1774 ;
La jeune Indienne 1764 ;
Le Marchand de Smyrne, comédies 1770 ;
Maximes et pensées, caractères et anecdotes ;
Mustapha et Zéangir, tragédie 1778.
Plusieurs de ses ouvrages se sont perdus, entre autres un Commentaire sur La Fontaine (il n'en a paru qu'une partie dans les Trois Fabulistes, 1796.
Ses œuvres ont été rassemblées :
par Pierre Louis Ginguené, 1795, 4 vol. in-8°. ;
par Charles Joseph Colnet Du Ravel, 1808, 2 vol. in-8° ;
par Pierre René Auguis, 1824, 5 vol. in-8° ;
par Lionel Dax, 2009, 2 vol.
Chamfort brillait surtout par l'esprit : on a fait sous le titre de Chamfortiana un recueil de ses bons mots, 1800.

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Posté le : 06/04/2014 11:28

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Paul Verlaine
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Le 30 Mars 1844 naît à Metz, royaume de France, Paul Marie Verlaine

poète du mouvement symbolisme donte les Œuvres principales sont "lLes Poèmes saturniens" en 1866
" LesFêtes galantes" en 1869, "Les Poètes maudits" en 1884, il meurt à 51 ans, à Paris, le 8 Janvier 1896

Partagé entre sensualité et mysticisme, Paul Verlaine connaît une vie difficile et parfois violente, qui s’achève prématurément dans l’alcool. Mais l’inventeur des Poètes maudits sait aussi chanter les amours rêveuses et la naïveté de l’enfance. Il donne à lire une poésie tantôt nostalgique et crépusculaire, tantôt vive et libre, animée par le ton parlé et par l'imprévu des rythmes impairs, qui contribua largement à libérer le vers. Par l’importance accordée à la musique et aux images, son œuvre porte une réforme de la poésie française. Son talent, son originalité fascineront, et les écoles d'avant-garde se réclameront de lui.

Le génie ne fait ni l'ange ni la bête. Il se mesure à l'homme. Du Socrate morne et du Diogène sali, qui tient du chien et de l'hyène, au meilleur poète de son temps, un poète comme pas deux dans un siècle, Verlaine occupe une place enviable. Pourtant il n'est ni Orphée ni le chien qui retourne à son vomissement. Il est homme, avec ses faiblesses et sa complexité, et sa couronne de lauriers, parfumée à la menthe et au thym et macérée dans l'absinthe. Si son œuvre se situe sous le signe de la gloire, sa vie s'inscrit sous celui de Saturne et comporte bonne part de malheur et bonne part de bile. De l'homme, Pauvre Lélian a connu toutes les défaillances et toutes les tristesses, tous les espoirs et tous les déboires. Il nous a livré son cœur, assoiffé de tendresse et meurtri par les déceptions ; et sa poésie y tient tout entière. C'est pourquoi ses vers émettent ce grand son humain où se reconnaît le véritable génie, cet ardent sanglot qui seul a le don de nous toucher et de nous émouvoir.
La publication des cinq premiers recueils de Verlaine, des Poèmes saturniens 1866 à Sagesse 1881, c'est-à-dire la partie la plus belle et la plus originale de son œuvre, ne souleva aucun enthousiasme chez le public et laissa la critique plutôt froide, sinon hostile. On reprocha à l'auteur sa tendance à l'affectation et à l'outrance, son goût de la bizarrerie prosodique et de la désarticulation du vers. On rechercha surtout les filiations et les influences ; on trouva chez lui des reflets de Victor Hugo, d'Alfred de Musset, de Ronsard, de cent autres ; on le traita de Baudelaire puritain... Personne ne saisit sa véritable originalité ; personne ne devina le drame intérieur dont elle était l'expression, ni les efforts du poète pour en camoufler les manifestations sous une façade d'impersonnalité pudique.

Il est certain qu'aucun écrivain ne fut plus sensible que lui aux influences du milieu et du moment, plus perméable aux courants littéraires et aux lectures de toutes sortes. Mais cette porosité, qui lui permit de former le substratum d'une riche culture littéraire, ne modifia en rien les traits dominants de sa personnalité par suite d'une grande souplesse intellectuelle et d'une puissance d'assimilation peu commune. En réalité, plus qu'aucun autre, Verlaine avait besoin d'intercesseurs littéraires pour déclencher en lui l'élan créateur, de tuteurs que son inspiration pût prendre comme points d'appui pour aller au-delà. Parfois ils agissaient comme de simples catalyseurs, par leur présence même. Mais, en général, ils provoquaient une tension littéraire éminemment propice à la création poétique, tension nullement incompatible avec l'état de rêverie qui est le fond de sa nature. Cet « instant à la fois très vague et très aigu, qui donne exactement la mesure de son inspiration, est précisément la conjonction de ces deux états. Grâce à elle, ses expériences personnelles, ou vitales, sources de ses rêveries, se muent en expériences poétiques et mobilisent les différentes acquisitions de la culture littéraire qui fournissent les outils d'expression.
Verlaine a rencontré, au début de sa carrière et jusqu'à son aventure avec Rimbaud, les intercesseurs spirituels ou littéraires dont il avait besoin : Baudelaire, Leconte de Lisle, Victor Hugo, Théophile Gautier, Glatigny, Catulle Mendès, Sainte-Beuve, François Coppée, Marceline Desbordes-Valmore, les Goncourt, Edgar Poe... Il a trouvé chez eux des aliments divers pour son cœur et pour son esprit, pour sa sensibilité et pour son imagination. Certains ont agi même comme intercesseurs à la fois poétiques et vitaux : Baudelaire et Rimbaud. Aussi peut-on dire que, par un curieux paradoxe, son originalité a éclaté d'autant plus vivement que les influences qu'il a subies ont été plus importantes, parce qu'alors il était soutenu par un haut idéal d'art et des tuteurs puissants qui ont permis à ses dons naturels de s'épanouir par une sorte d'émulation l'empêchant de se laisser aller à sa facilité.

Sa vie.

Après treize ans de mariage, Nicolas-Auguste Verlaine originaire du Luxembourg, militaire de carrière, capitaine du génie, et son épouse Élisa Stéphanie Dehée originaire du Pas de Calais donnent naissance à un fils le 30 mars 1844, au 2, rue de la Haute-Pierre, à Metz. Ils le prénomment Paul. Et plus précisément Paul Marie pour rendre hommage à la Vierge Marie pour cette naissance tardive : cet enfant était espéré depuis 13 ans, Élisa ayant fait auparavant trois fausses couches et gardant dans des bocaux d'alcool sur la cheminée familiale les fœtus dont il est le sosie. Catholiques, ils le font baptiser en l'église Notre-Dame de Metz. Paul Verlaine restera le fils unique de cette famille de petite-bourgeoisie assez aisée qui élève aussi depuis 1836 une cousine orpheline, prénommée Élisa.
Son père, atteint le grade de capitaine avant de démissionner de l'armée en 1851 : la famille Verlaine quitte alors Metz pour Paris. Enfant aimé et plutôt appliqué, Paul Verlaine devient un adolescent difficile, il est mis en pension par sa famille et obtient son baccalauréat en 1862.

Entrée dans la vie adulte

C'est durant sa jeunesse qu'il s'essaie à la poésie. En effet, en 1860, la pension est pour lui source d'ennui et de dépaysement. Admirateur de Baudelaire, par conséquent de la poésie symboliste, et s'intéressant à la faune africaine, il exprime son mal-être dû à l'éloignement de son foyer, à travers une poésie dénuée de tout message si ce n'est celui de ses sentiments, Les Girafes.
"Je crois que les longs cous jamais ne se plairont
Dans ce lieu si lointain, dans ce si bel endroit
Qui est mon Alaska, pays où nul ne va
Car ce n'est que chez eux que comblés ils seront".

Ce court poème en quatre alexandrins reste sa première approche sur le domaine poétique, même s'il n'est publié qu'à titre posthume. Bachelier, il s'inscrit en faculté de Droit, mais abandonne ses études, leur préférant la fréquentation des cafés et de certains cercles littéraires parisiens comme les Vilains Bonshommes. Il s'intéresse plus sérieusement à la poésie et, en août 1863, une revue publie son premier poème connu de son vivant: Monsieur Prudhomme, portrait satirique du bourgeois qu'il reprendra dans son premier recueil. Il collabore au premier Parnasse contemporain et publie à 22 ans en 1866 les Poèmes saturniens qui montrent l’influence de Baudelaire, mais aussi une musique personnelle orientée vers la Sensation rendue. En 1869, paraît le petit recueil Fêtes galantes, fantaisies inspirées par les toiles des peintres du XVIIIe siècle que le Louvre vient d'exposer dans de nouvelles salles.
Dans la même période, son père, inquiet de son avenir, le fait entrer en 1864 comme employé dans une compagnie d'assurance, puis, quelques mois plus tard, à la mairie du 9e arrondissement, puis à l'Hôtel de ville de Paris. Il vit toujours chez ses parents et, après le décès du père en décembre 1865, chez sa mère avec laquelle il entretiendra une relation de proximité et de violence toute sa vie. Paul Verlaine est aussi très proche de sa chère cousine Élisa, orpheline recueillie dès 1836 et élevée par les Verlaine avec leur fils : il souhaitait secrètement l'épouser, mais elle se marie en 1861 avec un entrepreneur aisé, il possède une sucrerie dans le Nord) ce qui permettra à Élisa de l'aider à faire paraître son premier recueil, Poèmes saturniens, 1866. La mort en couches en 1867 de celle dont il restait amoureux le fait basculer un peu plus dans l'excès d'alcool qui le rend violent : il tente même plusieurs fois de tuer sa mère. Celle-ci l'encourage à épouser Mathilde Mauté qu'un ami lui a fait rencontrer : il lui adresse des poèmes apaisés et affectueux qu'il reprendra en partie dans la Bonne Chanson, recueil publié en 1872. Le mariage a lieu le 11 août 1870 Paul a 26 ans et Mathilde, 17 et un enfant, Georges, naîtra le 30 octobre 1871.

Le tumulte Rimbaud 1872-1875

Cependant la vie de Paul Verlaine se complique durant la période troublée de la Commune de Paris que soutient le jeune poète qui s'est engagé dans la garde nationale sédentaire, où il est de garde une nuit sur deux dans un secteur calme. Il fuit Paris pour échapper à la répression versaillaise et est radié de l'administration. Sa vie sans horizon devient tumultueuse après la rencontre en septembre 1871 d'Arthur Rimbaud avec lequel il va vivre une relation amoureuse conflictuelle jusqu'en 1873.
Ruinant son mariage avec Mathilde qu'il frappe et viole après s'être saoulé à l'absinth et qui entame une procédure de séparation qui sera prononcée le 24 avril 1874 le divorce sera prononcé en 1885 : la loi Naquet qui le rétablit date du 27 juillet 18848, Paul Verlaine vit par intermittence avec Arthur Rimbaud : leur relation affichée fait scandale et la violence de Rimbaud crée aussi le tumulte dans le cercle des poètes zutiques où Verlaine l'a introduit, et finalement le pauvre Lelian anagramme de Paul Verlaine comme il se nomme lui-même, part pour Londres avec l'époux infernal en juillet 1872, sa femme rompant de fait définitivement avec lui.
Durant des mois de vie errante en Angleterre et en Belgique qui nourriront le recueil Romances sans paroles se succèdent séparation et retrouvailles avec Rimbaud d'une part et tentatives de retour à sa famille où sa mère ne l'abandonne pas. L'épisode Rimbaud s'achève au cours d'une dispute le 9 juillet 1873 à Bruxelles, par les coups de revolver de poche Lefaucheux de Paul Verlaine qui, craignant de voir s'éloigner son amant, blesse superficiellement Arthur au poignet gauche : incarcéré le jour même dans un centre de détention provisoire, il est inculpé pour son geste et stigmatisé pour son homosexualité. Il est condamné à deux ans de prison le 8 août 1873 même si Rimbaud a retiré sa plainte, la pédérastie étant un élément aggravant. La sentence est confirmée en appel le 27 août 1873 et Verlaine est incarcéré à la prison de Bruxelles. À la prison de Mons où il est transféré en octobre 1873, Verlaine retrouve la foi catholique et écrit des poèmes en prose qui prendront place dans ses derniers recueils Sagesse en 1880, Jadis et Naguère en 1884, Parallèlement en 1889 et Invectives en 1896, puis dans les Œuvres posthumes. La composition en prison de trente-deux poèmes poésie naïve et savante teintée de lyrisme romantique, elle évoque sa crise d'identité, insérés dans ces recueils, est issu d'un manuscrit autographe datant de 1873-1875, intitulé Cellulairement, entré dans le Musée des lettres et manuscrits depuis 2004 et classé trésor national depuis le 20 janvier 2005.
Libéré le 16 janvier 1875 avec une remise de peine de presque une année pour bonne conduite, Verlaine tente en vain une réconciliation avec Mathilde qui obtiendra finalement le divorce et la garde de son enfant en mai 18858. Il passe deux jours et demi avec Rimbaud à Stuttgart reniant son dieu : c'est leur dernière rencontre et Rimbaud remet à Verlaine le texte des Illuminations que Verlaine fera publier en 1886.
Il gagne ensuite sa vie comme professeur à Londres, puis en France à Rethel où il noue une relation équivoque avec un de ses élèves, Lucien Létinois.
Cette amitié particulière qui dure de 1877 à la mort de Lucien en 1883 les mène à une vie instable en Angleterre, puis dans les Ardennes où Verlaine a acheté une ferme avec l'argent de sa mère.

La période Lucien Létinois

En mars 1875, Verlaine s'installe à Londres comme professeur de grec, latin, français et dessin, et passe ses vacances avec sa mère. Il rencontre Germain Nouveau, un ancien ami de Rimbaud et enseigne ensuite dans différentes villes anglaises avant de revenir en France en juin 1877. À la rentrée d'octobre, il occupe un poste au collège Notre Dame de Rethel, où il entame une liaison équivoque avec un de ses élèves, Lucien Létinois. Chassés du collège en septembre 1879, Paul et Lucien partent pour l'Angleterre, où Verlaine enseigne de nouveau. Ils reviennent en France et s'installent en mars 1880 à Juniville, dans le sud du département des Ardennes, où Paul Verlaine achète avec l'argent de sa mère une ferme pour les parents de Lucien, fermiers au village voisin de Coulommes-et-Marqueny ; c'est un échec et le poète revend la propriété à perte en janvier 1882 l'auberge, en face de l'endroit où il demeurait, est aujourd'hui un musée Verlaine. Leur aventure devient incertaine : Lucien part avec ses parents qui emménageront finalement à Ivry-sur-Seine et Paul rentre à Paris. La mort de Lucien Létinois à 33 ans, frappé par la fièvre typhoïde, en avril 1883, met un point final à l'épisode : Verlaine, désespéré de la perte de son fils adoptif, lui consacrera 25 poèmes placés à la fin du recueil Amour 1888.

La déchéance

Rentré à Paris en 1882, Verlaine essaie en vain de réintégrer l'administration, mais il renoue avec les milieux littéraires et publie en 1884 son essai remarqué sur les Poètes maudits et le recueil Jadis et naguère qui reprend des poèmes écrits une décennie plus tôt et que couronne Art poétique, publié en revue en 1874 où Verlaine revendique un art Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Il est alors reconnu comme un maître et un précurseur par les poètes partisans du symbolisme ou du décadentisme, et dans son roman À rebours paru en 1884, J.-K. Huysmans lui réserve une place prééminente dans le Panthéon littéraire de Des Esseintes. À partir de 1887, sa célébrité dépasse même les cercles littéraires : le jeune compositeur Reynaldo Hahn chantera dans le salon d'Alphonse Daudet, devant le poète, son premier cycle de mélodies, les Chansons grises, qui regroupe sept poèmes de l'auteur. En 1894, il est désigné comme Prince des Poètes, mais sa figure est celle de la déchéance physique et sociale.
Détruit par l'alcool et les crises de violence, il fera un mois de prison en 1885 pour avoir une nouvelle fois tenté d'étrangler sa mère près de laquelle il vit toujours et qui mourra le 21 janvier 1886, vivant des amours misérables, il a une fin de vie de quasi-clochard, entre cafés et hôpital, soutenu par quelques subsides publics ou privés et donnant quelques conférences. Il ne produit plus guère que des textes d'occasion comme des poèmes érotiques, voire pornographiques. Souffrant de diabète, d’ulcères et de syphilis, il meurt d'une congestion pulmonaire le 8 janvier 1896 à 51 ans au 39 rue Descartes dans le Ve arrondissement de Paris15. Ses obsèques ont lieu le 10 janvier 1896 en l'église Saint-Étienne-du-Mont et il est inhumé dans la 20e division du cimetière des Batignolles à Paris, une zone qui se trouve actuellement en dessous du boulevard périphérique. En 1989, sa tombe a été transférée dans la 11e division, en première ligne du rond-point central16.
Avec cette vie en complète rupture avec la morale bourgeoise de son temps, Paul Verlaine est devenu une figure emblématique du poète maudit, comme Arthur Rimbaud qu'il a fait connaître et qui est mort le 10 novembre 1891.

L’œuvre de Paul Verlaine

Paul Verlaine est avant tout un poète : son œuvre offre moins d'une dizaine de courts recueils publiés entre 1866 et 1890, mais les poèmes ont été écrits pour l'essentiel avant 1880, c'est-à-dire entre 22 et 35 ans. Les textes ultérieurs sont très inégaux et souvent de caractère alimentaire.
Ses textes en prose sont tardifs et surtout autobiographiques Les Mémoires d'un veuf, 1886, Mes Hôpitaux, 1891, Mes Prisons 1893. Son essai sur Les Poètes maudits (1884 tient cependant une grande place par les découvertes qu'il contient : Tristan Corbière, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé, et dans la seconde édition, parue en 1888, Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de l'Isle-Adam et Pauvre Lelian anagramme de Paul Verlaine.
La carrière poétique de Paul Verlaine s'ouvre avec les Poèmes saturniens de 1866, bref recueil de 25 poèmes qui rencontre peu d'écho mais Verlaine s'annonce comme un poète à la voix particulière, jouant subtilement sur les mètres pairs et impairs, les rythmes rompus et les formes courtes dont le sonnet.
Se plaçant sous la sombre égide de Saturne, il cultive une tonalité mélancolique qui fait de certains poèmes des incontournables de la poésie lyrique Mon rêve familier, «tes, se présente au premier abord comme un recueil de fantaisies à la manière de Watteau dans lesquelles Verlaine multiplie les jeux de prosodie, mais le sentiment de l'échec et de la vanité des jeux amoureux des petits marquis et des Colombines colore peu à peu le recueil, jusqu'au poème final, le célèbre Colloque sentimental où Dans le vieux parc solitaire et glacé … /L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir..
La Bonne chanson paraît en 1872, mais l'édition était prête dès 187020. Il s'agit de 21 poèmes dédiés à sa fiancée Mathilde et écrits pendant l'hiver 1869 et au printemps 1870 qui constituent une chanson ingénue , plutôt convenue et sans doute un peu mièvre. Citons en exemple une strophe du poème XIX :Donc, ce sera par un clair jour d’été : /Le grand soleil, complice de ma joie, /Fera, parmi le satin et la soie, /Plus belle encor votre chère beauté.
Il n'en va pas de même des poèmes écrits dans les années du tumulte qu'apporte Arthur Rimbaud dans la vie de Paul Verlaine : une part de ceux-ci est regroupée dans Romances sans paroles, bref recueil de 21 courts poèmes, qui est publié en 1874 pendant son séjour en prison en Belgique. Une touche nouvelle apparaît, plus dynamique avec des instantanés nourris des souvenirs amoureux et des impressions reçues lors de la vie errante avec l'homme aux semelles de vent en Belgique et en Angleterre Quoi donc se sent ? /L’avoine siffle. /Un buisson gifle /L’œil au passant. Charleroi. Les sous-titres comme Ariettes oubliées ou Aquarelles renvoient à des mélodies légères Il pleure dans mon cœur /Comme il pleut sur la ville, Ariettes oubliées, III et à des choses vues, Verlaine notant comme un peintre impressionniste la correspondance entre les états d'âme et les paysages : L’ombre des arbres dans la rivière embrumée /Meurt comme de la fumée, /Tandis qu’en l’air, parmi les ramures réelles, /Se plaignent les tourterelles. / Combien, ô voyageur, ce paysage blême /Te mira blême toi-même, /Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées /Tes espérances noyées ! » Romances sans paroles, « Ariettes oubliées, IX.
Sagesse 1881 comporte un plus grand nombre de poèmes plus amples et montre une autre voie. Verlaine revient sur son parcours douloureux avant de montrer sa transformation mystique quand il retrouve la foi catholique, Ô mon Dieu vous m'avez blessé d'amour , II, sans faire disparaître son mal de vivre, Je ne sais pourquoi/Mon esprit amer /D'une aile inquiète et folle vole sur la mer.Sagesse, III, 7, qui associe des vers impairs de 5, 9 et 13 syllabes et la fonction du refrain avec une grande force suggestive Et l’air a l’air d’être un soupir d’automne, /Tant il fait doux par ce soir monotone /Où se dorlote un paysage lent.Le son du cor s’afflige vers les bois… III.
Jadis et naguère de 1884 est un recueil de 42 pièces assez disparate qui reprend pour l'essentiel des poèmes écrits plus de dix ans plus tôt. Il comporte le célèbre Art poétique qui proclame dès le premier vers les choix de Verlaine : De la musique avant toute chose/Et pour cela préfère l'impair/Plus vague et plus soluble dans l'air, /Sans rien en lui qui pèse ou qui pose ». On y trouve aussi le poème Langueur, À la manière de plusieurs, et ses fameux premiers vers : Je suis l'Empire à la fin de la décadence/Qui regarde passer les grands barbares blancs/En composant des acrostiches indolents, /D'un style d'or où la langueur du soleil danse, qui furent reconnus comme fondateurs par les décadentistes.
Verlaine a également publié d'autres recueils mineurs qui cultivent souvent une veine érotique comme Parallèlement 1889 ou plus encore Hombres 1891.
Poète de la confidence, de la musicalité et de la suggestion, Verlaine a pu se voir reprocher sa complaisance pour la mélancolie d'homme malheureux, Pauvre Lelian dit-il en parlant de lui, J'ai perdu ma vie conclut-il dans Parallèlement, Révérence parler, Iet sa langueur décadente, et on a pu aussi critiquer sa fadeur. Néanmoins cette voix dont on retient les murmures constitue une des formes importantes du renouveau poétique dans le dernier tiers du XIXe siècle et son influence sera grande, à travers les symbolistes comme Jean Moréas et les décadentistes, et le poète aura de nombreux héritiers comme Guillaume Apollinaire qui tend une main à Verlaine Michel Décaudin avant de s'ouvrir à d'autres modernités.
Paul Verlaine, poète bisexuel, aborde dans son œuvre les amours hétérosexuels comme homosexuels y compris l'homosexualité féminine.

Son œuvre laisse une empreinte forte, à la transition du mouvement parnassien et du symbolisme. En livrant à ses contemporains un Art poétique, publié dans Jadis et naguère, 1884, Verlaine affirme une esthétique. De la musique avant toute chose, décrète-t-il, ouvrant la voie à une génération de disciples, hommes de lettres comme lui mais aussi compositeurs – à l’instar de Claude Debussy ou de Gabriel Fauré, qui appliquent des mélodies à ses textes.
Cependant la poésie de Verlaine n’est pas dans la révolte. Elle ne se résume pas non plus à un idéal formel. Au long de plus de vingt recueils, Verlaine déploie une sensibilité singulière, candide et tendre, souvent mélancolique. La liberté de la langue et du vers, garante de la Musique, y trouve sa justification : le poète se propose de dépasser l’analyse de ses impressions, de façon à pleinement les traduire et les exprimer.

La musique de l’intime Le vers impair

Verlaine l’a lui-même signalé, une clef de son art se trouve dans l’emploi privilégié du vers impair, Art poétique. Impair, c’est-à-dire composé d’un nombre impair de syllabes, à la différence du vers français classique comme l’octosyllabe ou comme le décasyllabe, huit et dix syllabes, et surtout à la différence de l’alexandrin douze syllabes.
« Dans le brouillard rose et jaune et sale des Soho, Sonnet boiteux , Jadis et naguère, 1884 ; La tristesse, la langueur du corps humain, Sagesse, 1881 : avec de tels vers de treize syllabes et de onze syllabes, en subtil décalage avec la mesure ordinaire, Verlaine sollicite l’attention de son lecteur. L’équilibre et le balancement traditionnel du vers, fondé sur la division de celui-ci en deux parties d’égale longueur, laisse place à une cadence inconnue.
Rimes, rythmes et sons
De la même manière que le vers impair brise la routine du discours, l’atténuation de la rime soustrait la poésie aux repères sonores habituels.
« Ô qui dira les torts de la Rime », lance Verlaine, « ce bijou d’un sou / Qui sonne creux et faux sous la lime Art poétique ! Cinglant, le poète pourtant ne franchit jamais la limite du vers libre vers non rimé.
De fait, il s’agit avant tout pour Verlaine de se démarquer de la convention qui consiste à coupler les vers deux par deux, à travers la répétition du dernier pied. Verlaine multiplie les enjambements, qui soumettent le rythme poétique au sens des phrases et non à la régularité des vers :
« Le Printemps avait bien un peu /
Contribué, si ma mémoire /
Est bonne, à brouiller notre jeu
En patinant , Fêtes galantes, 1869.
Mais il ne renonce pas à des effets harmoniques fondés sur la répétition de syllabes ou de sons, allitérations à l’intérieur et tout au long des vers : L'or, sur les humbles abîmes / Tout doucement s'ensanglante, Bruxelles. Simples fresques , Romances sans paroles, 1874.
Il en résulte un climat indécis ou improvisé, comme si Verlaine adoptait une dominante sonore, sans toutefois parvenir à bien articuler et caler ses phrases : selon la formule de Paul Valéry, on croirait qu’il tâtonne Paul Valéry, Villon et Verlaine , Conferencia, 15 avril 1937.
Refus de la déclamation
Antoine Watteau, la Gamme d'amour
La poésie de Verlaine n’est sans doute pas faite pour être dite, mais murmurée ou chantée, Prends l’éloquence et tords-lui son cou ! : Art poétique. Car cette poésie exalte une voix, la voix modulée et sinueuse de l’homme blessé. Le retour sur soi et la nostalgie Fêtes galantes ; Jadis et naguère suscitent un univers tout en demi-teintes, délicates et obstinées :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Mon rêve familier,
Poèmes saturniens, 1866.
Et c’est dans ce ton nouveau que résident la véritable originalité et l’apport de Verlaine.

Une poésie de l’évocation

Naïf, décadent ou primitif ?
Paul Verlaine, Poèmes saturniens
L’hypothèse d’un poète gauche ou naïf Paul Valéry, Villon et Verlaine, permet de replacer Verlaine et sa musicalité particulière dans une dynamique historique. Naïf , ou peut-être décadent, comme l’écrit encore Valéry, qui voit sous l’apparente maladresse de Verlaine une réaction contre une forme dont les perfections lui sont devenues fastidieuses. Cette maladresse de Verlaine, en effet, contraste avec la pureté cristalline de Théophile Gautier, de Théodore de Banville ou de Leconte de Lisle, les maîtres qu’à ses débuts il côtoie au Parnasse contemporain.
Mais au-delà du décadent, il y a aussi un primitif P. Valéry. Le refus d’une poésie froide et impersonnelle, soumise à un culte de la forme fixe, reflète le souci qu’a Verlaine d’accorder la première place à ses émotions. Des émotions qui ne sont guère analysées et rattachées à des causes, mais plutôt traduites en un flux continu. Lorsque paraissent ses Poèmes saturniens 1866, Verlaine revendique un effort vers l'Expression, vers la Sensation rendue, ainsi qu'il l'écrit dans une lettre à Stéphane Mallarmé, le 22 novembre 1866.
Symbolisme
C’est dans une région de lui-même difficile d’accès, là où l’inquiétude résiste à l’analyse, que Verlaine puise la substance de son art. Le poète mobilise moins l’intelligence que l’intuition, car son but n’est pas de comprendre ou d’expliquer, mais de suggérer.
Dès lors le sentiment devient un véritable saisissement. La richesse de la langue poétique se mesure à l’ampleur des correspondances qu’elle appelle, à la profondeur des impressions qu’elle provoque. Et cette langue toute de nuances – car « la nuance seule fiance / Le rêve au rêve Art poétique – abonde d’images aux résonnances décalées : les symboles.
Lyrisme et mystique
Henri Fantin-Latour, Un coin de table
Couronné Prince des Poètes par ses pairs 1894, Verlaine fait figure avec Stéphane Mallarmé de principal précurseur du symbolisme. Son engagement cependant n’est pas celui d’un chef d’école, et la subjectivité qu’il affiche est ambiguë.
Nombre de poèmes composant le recueil Sagesse montrent que la subtilité impressionniste se complique chez lui d’une aspiration religieuse, échappant aux catégories ordinaires. Si bien que la dimension lyrique et autobiographique apparaît finalement comme l’une des plus caractéristiques de son œuvre, entre regret de l’enfance perdue et fascination de l’amour Romances sans paroles.

Verlaine a rencontré, au début de sa carrière et jusqu'à son aventure avec Rimbaud, les intercesseurs spirituels ou littéraires dont il avait besoin : Baudelaire, Leconte de Lisle, Victor Hugo, Théophile Gautier, Glatigny, Catulle Mendès, Sainte-Beuve, François Coppée, Marceline Desbordes-Valmore, les Goncourt, Edgar Poe... Il a trouvé chez eux des aliments divers pour son cœur et pour son esprit, pour sa sensibilité et pour son imagination. Certains ont agi même comme intercesseurs à la fois poétiques et vitaux : Baudelaire et Rimbaud. Aussi peut-on dire que, par un curieux paradoxe, son originalité a éclaté d'autant plus vivement que les influences qu'il a subies ont été plus importantes, parce qu'alors il était soutenu par un haut idéal d'art et des tuteurs puissants qui ont permis à ses dons naturels de s'épanouir par une sorte d'émulation l'empêchant de se laisser aller à sa facilité.

Actes de foi et hérésies poétiques

À la lumière de ces considérations, l'œuvre de Verlaine apparaît comme une série de tentatives et de renoncements, d'actes de foi et d'hérésies, commandés, d'une part, par les lectures entreprises et les milieux fréquentés et, de l'autre, par les drames personnels et les états psychologiques du poète, mais obéissant à un temps propre purement intérieur, celui de son paysage de rêve.

Sur les expériences sensibles de son enfance s'est greffée une éducation classique et ronsardisante franco-latine vite déviée dans le sens d'une culture originale par la découverte du baroque et du précieux, du marivaudage et du gongorisme, par la lecture des poètes mineurs des XVIIe et XVIIIe siècles, c'est-à-dire de tout ce qui s'inscrit dans le sens d'une hérésie.

Dans la seconde étape de son adolescence, celle des premiers poèmes saturniens, il découvre le romantisme sous ses multiples aspects : politique et oratoire de Hugo, pittoresque de Gautier et d'Aloysius Bertrand, révolté de Petrus Borel et de Philothée O'Neddy lycanthropie, intériorisé de Baudelaire. La lecture des Fleurs du mal est le fait capital de cette phase : Baudelaire apparaît comme le premier tuteur, à la fois littéraire et spirituel, un frère en génie, qui révèle Verlaine à lui-même. Son influence se manifeste dans tous les domaines et imprègne les Poèmes saturniens. Mais cette phase est également hérétique : le romantisme verlainien est plus intérieur, plus subtil, plus concentré, et son goût de l'allusion s'inscrit en faux contre l'éloquence et la prose. De plus, l'action de Baudelaire dévie vers les côtés extérieurs du baudelairisme et vers une interprétation hérétique du sonnet des Correspondances, réduites aux seules correspondances sensibles. Cette déviation se produit chez Verlaine sous l'impulsion d'un génie très personnel, qui a pris conscience de lui-même en découvrant l'immanence de la sensation et le pouvoir incantatoire du rêve.

Dans les milieux parnassiens, sous la multiplicité des influences qui s'exercent sur lui, il se révèle essentiellement polyvalent et riche de possibilités. D'un autre côté se situe une expérience vitale décisive : son amour secret pour sa cousine Elisa Moncomble, qui oriente son génie dans une double direction : lyrisme sentimental et élégiaque de Mélancholia, et lyrisme féerique des Fêtes galantes 1869. Pour cacher cet amour impossible, Elisa est comme une sœur aînée et quasi irréel, la réalité risque de ternir sa pureté, le Parnasse servait admirablement son génie : Verlaine pratique ce que l'on pourrait appeler une « poésie-masque ». Mais ce parnassien est également dissident et hérétique. Dans ses poèmes impersonnels transparaît une sensibilité inquiète et nerveuse qui a peine à se dominer, et l'émotion contenue sous une façade de froideur vibre entre les vers. Le rythme extérieur seul est parnassien, mais le rythme interne est tout personnel et traduit un rêve d'amour, matérialisé un moment par la magie de l'art, dans un paysage enchanté, peuplé d'un monde chimérique et situé aux confins de l'irréel : les Fêtes galantes sont une impasse de génie et un paradoxe. Tentative de fuite et de guérison par l'art après la mort d'Elisa, étroitement unie à son paysage intérieur et commandée par la lecture de nombreux poèmes et études sur le XVIIIe siècle, qui marquent un goût collectif à cette époque, cette évasion littéraire s'est soldée par un échec sur le plan vital. Mais la confluence des sources a créé une forte tension esthétique qui s'est traduite par la forme impeccable du recueil.

Après les Fêtes galantes s'ouvre une période en deux temps de désarroi esthétique, une conversion au réel et au social, puis au vrai, selon le mot de Hugo, celle des Vaincus en particulier, marquée par des tentations poétiques impures et une recrudescence du réalisme, et celle de La Bonne Chanson 1870, régie par une expérience vitale importante qui exorcise le rêve et la hantise d'Elisa : ses fiançailles avec Mathilde Mauté et sa cour poétique. Cette conversion au bien, à la joie, à la santé morale, les efforts qu'il fit pour unir en un même intercesseur la fiancée et la muse, furent néfastes au point de vue poétique. Éloigné des milieux littéraires et de l'émulation salutaire, il se trouve isolé dans un amour bourgeois solidement attaché au réel. Aussi la menace du prosaïsme, la tentation de la fausse éloquence, de la rhétorique, de la déclamation oratoire l'emportent-elles sur le raffinement de la préciosité. Sauf quelques rares et exquises réussites, La Lune blanche.
Cette phase où risquait de sombrer son génie prend fin avec l'arrivée de Rimbaud. Expérience capitale, celle du fils du Soleil : tentative poétique pour atteindre l'inconnu, l'ineffable, l'inouï ; tentative morale pour unir le bien et le mal. Un seul intercesseur à la fois poétique et vital : Rimbaud. Impure sur le plan moral, cette expérience l'a purifié au point de vue poétique. C'est pourquoi les Romances sans paroles 1874, fruit de cette conjonction unique, résonnent si profondément, si mystérieusement. Mais Verlaine est incapable de suivre son ami jusqu'au bout ; il voit en lui moins le Prométhée voleur de feu que l'ami au visage d'ange en exil. Ne croyant pas à la vertu libératrice et rédemptrice de la poésie, il charge d'impuretés une expérience qui dépasse ses possibilités. Un parallèle entre Crimen amoris et Soir historique démontrerait l'hérésie de cette tentative.

Le coup de feu de Bruxelles met fin à cette aventure dans l'abstrait, et aussi, hélas ! à la tentative merveilleuse de renouvellement poétique.

Avec la conversion, c'est de nouveau l'isolement et le désarroi poétique, chargé des germes aigus de la décadence. Dans le silence de sa cellule, Verlaine fait le procès de son aventure et de son art dans les Récits diaboliques 1873 ; sa vie en marge du réel lui paraît comme un chemin de perdition. Il renie son « brûlant » passé poétique et son esthétique profane, et demande désormais au vrai le chemin du salut. Mais la religion avec son conceptualisme ne peut constituer une nouvelle esthétique. De plus, ses expériences vitales sont antipoétiques : prison, jugement de séparation, exil en Angleterre, maladie. S'il écrit au début, dans les transes de la rédemption, les sublimes poèmes de Sagesse, les Sonnets au Christ et les litanies à la Vierge, qui sont le chef-d'œuvre de la poésie catholique, c'est par suite de l'élan acquis et du coup de fouet de la grâce. Mais tout dénote une perturbation profonde, tout annonce l'effondrement prochain entre 1876 et 1880. Le meilleur et le pire voisinent dans Cellulairement.

Les nouveaux intercesseurs ne peuvent remplacer les anciens : la grâce n'est pas la muse, le Christ est un intercesseur vital et non plus poétique ; la boisson, qui aurait pu lui ouvrir à nouveau les portes du rêve et du paradis perdu, ne fait qu'aggraver le mal ; les jeunes poètes qui se pressent autour de lui sont des disciples et non plus des maîtres. Dans l'inspiration religieuse Amour, 1888 ; Bonheur, 1891 ; Liturgies intimes, 1892, il fera des transpositions du catéchisme, des démarquages en vers des livres de piété, et dans l'inspiration profane, à part quelques réussites très osées dans Parallèlement 1889, il se délaye, en plusieurs volumes, dans un fatras indigeste. Voulant mener de front les deux inspirations, il sombre dans une double et dernière hérésie.

Poète de l'individuel

Malgré son polymorphisme et ses nombreux avatars, malgré toutes les influences qu'il a subies, Verlaine est demeuré foncièrement original avant tout par l'individualité de son inspiration. Il n'a rien écrit qui fût étranger à sa vie et à ses émotions. C'est son moi sous ses multiples aspects et dans ses diverses manifestations qui forme la trame de ses vers et la substance de son œuvre. Mais cet héritier des romantiques diffère de ses devanciers par son éducation parnassienne ; il en a gardé la honte de l'étalage intempestif et une certaine pudeur qui l'a préservé du moins dans les premiers recueils de la dramatisation des sentiments en vue de toucher le lecteur. Ennemi de l'emphase et de l'éloquence, il est dans l'expression de la passion et de la douleur d'une naïveté candide qui surprend et qui attire. Ses poèmes les plus poignants, les plus déchirants, sont des chansons, des ariettes, des fêtes galantes, des colloques sentimentaux, sans rien en eux qui pèse ou qui pose.

Aussi les thèmes généraux, auxquels il a échappé d'ailleurs en grande partie se caractérisent-ils chez lui par des traits qui lui sont propres : simplicité, douceur, tendresse, légèreté, mélancolie, le tout relevé d'un grain de subtilité ironique et de sensualité voilée. De plus, il les a réduits à sa mesure. Dédaignant les longs développements romantiques ou parnassiens, fidèle au « principe poétique » d'Edgar Poe, il les a concentrés en de menus poèmes, au mètre court, au dessin imprécis, au rythme alangui, qui, au lieu d'aller de strophe en strophe vers une plus grande précision, perdent de leur netteté et de leur relief, se voilent d'irréalité et se chargent de musique.

Enfin son nom reste attaché à certains thèmes qu'il a traités avec une maîtrise si parfaite qu'ils relèvent désormais de l'épithète « verlainien » : « paysages tristes » des Poèmes saturniens, chargés de tous les frémissements de la vie intérieure du poète ; « paysages impressionnistes » des Romances sans paroles, formés de notations directes rendues dans toute leur fraîcheur ; « fêtes galantes » qu'il a portées à leur perfection au point que tout autre poème traitant du même sujet (il y eut un engouement général pour ce thème au XIXe siècle) semble inspiré de lui ; thème de l'amour chaste et naïf de La Bonne Chanson, seul recueil de poèmes de fiancé ; thème religieux enfin qui fait de Verlaine, selon le mot de Bloy, « l'unique absolument, celui qu'on était las d'espérer ou de rêver depuis des siècles ».

Le paysage intérieur

Considérée dans son intériorité profonde, la sensibilité de Verlaine révèle la conformité de ces thèmes avec son paysage intérieur et ses moyens d'expression rythmiques. Cette sensibilité se caractérise par un état d'engourdissement, de dérive immobile de la sensation, où la réalité du monde extérieur tend à disparaître et où s'effacent les caractéristiques individuelles du moi.Le poète sent sur le mode de l'anonyme.Mais cet état d'engourdissement n'est pas inconscient de lui-même : c'est une attitude de passivité attentive. Verlaine ne cultive en lui les vertus de porosité que pour mieux se laisser pénétrer par elles, et aussi pour en goûter les charmes.Il se sent sentir sur le mode du particulier.Par suite de ce quiétisme de sentir, son paysage intérieur se trouve formé de sensations qui se caractérisent, tout comme les thèmes, par leur fluidité, leur amenuisement, leur absence de netteté : parfums vagues, lumières tamisées, visions tremblotantes, paysages aux contours flottants, musique en sourdine, voix lointaines et comme d'outre-tombe, toutes sensations évanescentes et fugitives, d'autant plus troublantes peut-être qu'elles sont momentanées, et qui pénètrent insidieusement la conscience et la décomposent.

Concrétisé et agrégé, ce paysage intérieur se dédouble en réalité en deux paysages distincts mais étroitement unis : un paysage automnal et un paysage lunaire, celui des Paysages tristes et celui des Fêtes galantes. Le premier est comme vu à travers une vitre embuée, brouillard ou pluie, cet écran d'apparences et de souvenirs qui dissimule la rugosité du monde sensible ; le second, baigné de clair de lune, ressuscite des visions d'un passé révolu mais attachant entre tous, celles d'un XVIIIe siècle galant peint par Watteau. Si le premier est fantomatique, refuge de son désespoir qu'il adoucit, le second est féerique, lieu d'élection de son rêve passionnel. L'un et l'autre, paysages de décadence, correspondent à son intime besoin d'effusion et de tendresse inassouvie.

Un des éléments essentiels de ce paysage intérieur est cette mélancolie si particulière à Verlaine et qui ne ressemble à rien dans la littérature française ; faite de regrets indéterminés et de velléités timides, de vagues désirs de jouissance et de rêves indistincts, elle est quelque chose d'impalpable et de fuyant comme un sentiment de vacuité, comme un manque de sentiments, une absence d'émotions :

C'est bien la pire peine    
De ne savoir pourquoi,    
Sans amour et sans haine    
Mon cœur a tant de peine.

Le second élément important de son paysage intérieur est la part qu'a prise le rêve dans son inspiration. Toute son œuvre semble suspendue entre deux bornes : rêve-réalité. D'un côté, l'abri tutélaire recherché dans les regards bien-aimés, dans l'inflexion des voix chères qui se sont tues, dans les apparences d'une nature dématérialisée, ou dans les vapeurs de l'alcool ; et, de l'autre, la vie avec son cortège de déceptions, de solitudes, de regrets, de désespoirs. Ses poèmes sont d'autant plus beaux, plus émouvants, plus mystérieusement captivants, qu'ils se rapprochent du rêve et traduisent ce monde mouvant qui le hante, et d'autant plus plats, plus prosaïques, qu'ils tendent vers l'expression de la réalité. Mon rêve familier, Soleils couchants, Chanson d'automne, Clair de lune, Colloque sentimental, La Lune blanche..., la troisième Ariette oubliée, L'espoir luit... sont à la pointe de sa rêverie.

Les moyens d'expression poétique

Dans le domaine de l'expression formelle, cette originalité s'est traduite par deux traits essentiels : l'impressionnisme et la musicalité. Tout en respectant la forme extérieure de la prosodie classique et la langue poétique courante, dont son génie s'accommodait, Verlaine a brisé intérieurement le rythme traditionnel du vers, spécialement de l'alexandrin. Il a ébranlé ses assises et détruit en profondeur ses cadences. De même, il a rendu le sens de certains mots plus volatil et a créé des alliages nouveaux pour traduire son paysage intérieur et moduler son rêve poétique.

En conférant à la sensation la primauté dans la représentation du monde extérieur, et aux données immédiates de la conscience le pas sur la raison claire, il s'est libéré de l'intellectualité de la langue. Pour rendre l'ineffable et le subliminal, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus fugace dans la vie intérieure, il ne devait pas s'encombrer de considérations rationnelles. Or, l'impressionnisme est l'art de traduire, par une technique spéciale, le momentané et le fugitif. En découvrant une « quatrième dimension » temporelle aux choses, il apparente la peinture à la musique en fixant un moment de la durée et non plus seulement une tranche d'espace et de volume. De l'impressionnisme, Verlaine a utilisé d'instinct la plupart des procédés : le flou, la coloration des ombres, les effets de clair de lune, de brume ou de neige, la légèreté de la touche, la multiplication d'un objet unique, la notation des séries d'impressions, procédés par lesquels il a pu exprimer l'inexprimable et rendre la durée intérieure et ce qu'il y a d'unique dans la sensation.

Il en est de même de la musique, où il a joué le rôle de novateur et préparé la voie à l'impressionnisme musical d'un Fauré ou d'un Debussy. Dès le début, Verlaine constate que les mots expriment, touchent et émeuvent par leur sonorité plus que par leur sens, que l'harmonie suggère et communique les sentiments et les sensations dans toute leur pureté, alors qu'une définition littérale risque de les déflorer. C'est pourquoi aucune poésie n'est plus chargée de résonances musicales que la sienne ; les mots s'y attirent et s'agrègent d'après leurs affinités sonores plus que par leur valeur d'expression logique. Par la « musique suggérée » comme par l'harmonie intrinsèque du vers, par la combinaison des tonalités mélodiques comme par l'heureux choix des assonances et des allitérations, par son goût de la musique mineure comme par la hardiesse de certaines dissonances, il a su traduire le monde mouvant de son paysage intérieur et le communiquer directement et pour ainsi dire sans l'intervention de la raison.

Réduit à une charpente, dont le seul rôle est d'être un support pour les vocables qui le masquent et l'annihilent, le vers n'est plus un ensemble de mots exprimant un sens satisfaisant l'esprit, mais un agrégat de sons destinés à charmer l'oreille et à faire naître des émotions ; il est chant, à la fois musique et paroles, et par là il se retrempe aux sources vives du lyrisme. Par une extraordinaire variété métrique, par l'emploi des mètres courts ou impairs, des trimètres, de l'enjambement et du rejet, des césures inclassables, mais surtout par sa plasticité et sa flexibilité, qui l'ont mené au bord du vers libre, Verlaine a substitué à son rythme séculaire le souffle de la vie, la musique du cœur, la mélodie de l'âme. Il en est de même de la rime, qui disparaît sous une avalanche d'échos intérieurs, de correspondances de sons, d'assonances et de résonances, le tout noyé dans la fluidité d'un chant aux modulations mineures.

Morceaux choisis

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.
Chanson d'automne Poèmes saturniens
Ces vers furent repris par Radio Londres pour prévenir les résistants de l'imminence du débarquement en Normandie, en 1944.

Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire,
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !
(Sagesse)
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Art poétique, Jadis et Naguère.

Œuvres

Poésie
Poèmes saturniens (1866)
Les Amies (1867)
Fêtes galantes (1869)
La Bonne Chanson (1872)
Romances sans paroles (1874)
Sagesse (1880)
Jadis et naguère (1884)
Amour (1888)
Parallèlement (1889).
Dédicaces (1890)
Femmes (1890)
Hombres (1891)
Bonheur (1891)
Chansons pour elle (1891)
Liturgies intimes (1892)
Élégies (1893)
Odes en son honneur (1893)
Dans les limbes (1894)
Épigrammes (1894)
Chair (1896)
Invectives (1896)
Biblio-sonnets (1913)
Œuvres oubliées (1926-1929)
Cellulairement
Prose
Les Poètes maudits (1884)
Louise Leclercq (1886)
Les Mémoires d'un veuf (1886)
Mes Hôpitaux (1891)
Mes Prisons (1893)
Quinze jours en Hollande (1893)
Vingt-sept biographies de poètes et littérateurs (parues dans Les Hommes d'aujourd'hui)
Confessions (1895)
Médias

Liens

http://youtu.be/R4iceOnjavY Verlaine par Henri Guillemin
http://youtu.be/5Ppf0sHLaz0 Charles Trenet Verlaine
http://youtu.be/_iq43Vs8CEw Idem par Léo Ferré
http://youtu.be/HvS_jKi8yqk Il pleure ... dit par Alain Jahan
http://youtu.be/4JQYuylR5ew Colloque sentimental par Léo Ferré
http://youtu.be/pB4OtYHmOUQ Mon rêve familier
http://youtu.be/rGH6zKayJcE Prison chanté par Colette Magny
http://youtu.be/j1vQNMeC4Bc L'enterrement de Verlaine par Georges Brassens
http://youtu.be/x-fdB8m8flM Eclipse total Les amours de Rimbaud et Verlaine

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Posté le : 29/03/2014 20:22

Edité par Loriane sur 30-03-2014 12:53:21
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Jean Giono 1
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Le 30 Mars 1895 naît à Manosque,Maison Le Paraïs, Jean Giono,

écrivain et un scénariste français, d'une famille d'origine piémontaise. Un grand nombre de ses ouvrages a pour cadre le monde paysan provençal. Inspirée par son imagination et ses visions de la Grèce antique, son œuvre romanesque dépeint la condition de l'homme dans le monde, face aux questions morales et métaphysiques et possède une portée universelle. Il est devenu célèbre notamment aux États-Unis en y publiant les nouvelles L'Homme qui plantait des arbres et Le Hussard sur le toit. Il reçoit la Légion d'honneur, et le Prix littéraire du Prince-Pierre-de-Monaco, ses Œuvres principales sont, Colline, Regain, Un de Baumugnes, Un roi sans divertissement, L'homme qui plantait des arbres. Il meurt le 9 octobre 1970, à 75 ans à Manosque dans sa maison natale
Il devint l'ami de Lucien Jacques, d'André Gide et de Jean Guéhenno, ainsi que du peintre Georges Gimel. Il resta néanmoins en marge de tous les courants de littérature de son temps.Giono est devenu pour des générations le prophète naïf de la non-violence et du retour à la terre, le peintre d'une Provence tragique

Le patient travail de la critique a fait justice des malentendus qui ont longtemps masqué la véritable portée de l'œuvre de Giono : écrivain régionaliste, puis « collaborateur, il aurait ensuite totalement changé de manière en imitant Stendhal. On mesure mieux aussi, maintenant, la richesse, la complexité et la profondeur de cette œuvre : poèmes, contes et nouvelles Solitude de la pitié, L'Eau vive, essais, théâtre huit pièces, traductions, surtout celle de Moby Dick, cinéma, nombreuses préfaces, articles réguliers dans les journaux régionaux durant les années soixante, mais avant tout les quelque vingt-cinq romans qui en sont la meilleure part. L'édition critique de ses Œuvres romanesques complètes ainsi que des essais, des poèmes, du journal dans La Pléiade, la publication des récits inachevés, du premier, Angélique, aux derniers : Cœurs, passions, caractères, Dragoon, Olympe et de la correspondance avec l'ami de toujours, Lucien Jacques, ainsi qu'avec Gide, Guéhenno, Paulhan, ont jeté un éclairage nouveau sur une œuvre qui s'affirme comme l'une des premières du XXe siècle.
Giono a d'abord tenté de définir les conditions du mélange de l'homme et du monde , mais il aboutit au constat de plus en plus amer de son impossibilité. À ce premier échec s'est ajouté celui de son engagement très actif dans le pacifisme, qui se solda par son emprisonnement d'octobre à novembre 1939. Un second séjour en prison pour collaboration en 1944 achève de le marquer ; désormais, il n'essaiera plus d'infléchir le cours de l'histoire. Dans les Chroniques d'après guerre, l'accent se déplace sur les hommes, que leur séparation d'avec la nature condamne à un radical ennui, et dont les passions monstrueuses répondent à la démesure inhumaine du monde. Parallèlement, Giono abandonne de façon progressive le lyrisme rustique et parfois emphatique des romans paniques, pour un ton nouveau et un style où la concision, l'ellipse et des combinaisons narratives très subtiles attestent sa virtuosité et doublent le prodigieux poète de la matière d'un fascinant conteur. C'est là sans doute – avec le recours de plus en plus délibéré aux ressources des intertextes dont les réseaux inépuisables tendent à se substituer, comme champ d'expansion du désir, au réel devenu hors d'atteinte – ce qui assure l'originalité d'une œuvre si étrangère aux modes, et sa modernité : l'ivresse froide et souveraine, sensuelle et rythmique d'une parole tendue vers l'expression vitale des impulsions d'un matérialisme mystique, pour séduire le désir, le détourner du vertige de la mort en lui imposant cette préférence pour les formes.

Sa vie

Jean Giono naît à Manosque, le 30 mars 1895 dans une famille modeste. Son père, Jean-Antoine Giono, est un cordonnier anarchiste d'origine italienne qui passe beaucoup de temps à lire la Bible libertaire, autodidacte, généreux, que son fils évoquera dans Jean le Bleu. sa mère Pauline Pourcin, d'origine picarde, née à Paris, dirige fermement son atelier de repassage mexicain. C'est elle qui tient les cordons de la bourse. Giono a évoqué son enfance dans Jean le Bleu. Son père aurait accueilli nombre de proscrits et d'exilés.
En 1911, la mauvaise santé de son père et les faibles ressources de sa famille l'obligent à arrêter les études. Il travaille dans une banque, le Comptoir national d'escompte. Il doit parallèlement s'instruire en autodidacte pour assouvir sa soif de savoir.
La famille paternelle restera d'ailleurs entourée d'une aura un peu mythologique, en particulier le grand-père Giono, dont l'image qu'il s'en fait à travers les récits de son père inspirera l'épopée d'Angelo, le hussard sur le toit. Mis à part pour quelques voyages, Giono ne quittera que très rarement sa ville natale. Elle sera évoquée dans plusieurs textes Manosque-des-Plateaux en particulier. En 1911, Giono doit quitter le collège, en seconde, pour travailler et contribuer à la vie de la famille. Il devient employé de banque à Manosque. La banque sera son cadre de travail jusqu'à la fin de 1929, année de la publication de Colline et de Un de Baumugnes.
Ces années à la banque lui permettent d'abord de s'offrir quelques livres, les moins chers, ceux de la collection Classique Garnier. Il découvre ainsi L'Iliade, les tragiques grecs.
Fin 1914, Giono est mobilisé. En 1915, pendant la Première Guerre mondiale, son entrée en guerre, au cœur d'une des batailles les plus terribles du conflit, le traumatise. Son meilleur ami et nombre de ses camarades sont tués à ses côtés. Lui n’est que légèremen gazé. Il reste choqué par l'horreur de la guerre, les massacres, la barbarie, l'atrocité de ce qu'il a vécu dans cet enfer, et il devient un pacifiste convaincu, comme bon nombre d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale.
En 1916, il participe aux combats, batailles de Verdun, du Chemin des Dames, du Mont Kemmel où il est légèrement gazé aux yeux. Il découvre l'horreur de la guerre, les massacres, un choc qui le marque pour le reste de sa vie. Il évoquera cette douloureuse expérience dans Le Grand troupeau, ainsi que dans ses écrits pacifistes des années 30. De retour de la guerre, en 1919, Giono retrouve Manosque et son emploi à la banque.
Il perd son père en avril 1920; épouse élise Maurin en juin.

Des débuts littéraires à la Seconde Guerre mondiale

Plus tard, la lecture des écrivains classiques en particulier Virgile l'amène à l'écriture. Son ami le peintre Lucien Jacques lit ses poésies, l’encourage et publie dans sa revue Les Cahiers de l’Artisan ses premiers poèmes : Accompagnés de la flûte. Son premier ouvrage Colline rencontre un certain succès. Ses trois romans suivants rencontrent le même succès, ce qui lui permet d’acheter sa Maison Le Paraïs à Manosque. L'écriture prend de plus en plus d'importance dans sa vie, si bien qu'après la liquidation, en 1929, de la banque dans laquelle il travaillait, il décide d'arrêter toute activité professionnelle pour se consacrer exclusivement à son œuvre. Il reçoit en 1929, le prix américain Brentano pour Colline, ainsi que le prix Northcliffe en 1930 pour son roman Regain. Il est nommé Chevalier de la Légion d'honneur en 1932.
Les événements du début des années 1930 le poussent à s'engager politiquement. Il adhère à l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires, mouvance communiste mais, par méfiance, il s'en dégage très rapidement.
En avril 1935, il publie Que ma joie demeure qui connaît un grand succès, particulièrement auprès de la jeunesse. Ce titre est une allusion explicite à la cantate de Jean-Sébastien Bach, Jésus que ma joie demeure, par laquelle il souhaitait exprimer sa foi en une communauté des hommes, par-delà les religions. Il traduit également Moby Dick en français avant de publier " Pour saluer Melville".
Giono et quelques amis, bloqués accidentellement dans le hameau du Contadour lors d'une randonnée sur la montagne de Lure, décident, subjugués par la beauté des lieux, de s'y retrouver régulièrement : ainsi naissent les Rencontres du Contadour. C'est l'époque de la publication de l'essai Les Vraies Richesses, dédié aux habitants du Contadour.
Les prémices d'une nouvelle guerre se manifestent bientôt. Jean Giono rédige alors ses suppliques Refus d'obéissance, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Précisions et Recherche de la pureté.
La déclaration de guerre interrompt la neuvième réunion. Les disciples attendent la réaction de Giono. Elle est difficile pour cet homme libre qui ne voulait pas être directeur de conscience et qui écrit : Vous êtes, vous, de l’humain tout frais et tout neuf. Restez-le ! Ne vous laissez pas transformer comme de la matière première ... Ne suivez personne. Marchez seuls. Que votre clarté vous suffise...

Maison du Moulin Ferme des Graves
Seconde Guerre mondiale

À la déclaration de guerre, il va au centre de mobilisation de Digne. Cependant, à cause de son pacifisme, il est arrêté le 14 septembre 1939. Il est relâché après un non-lieu, et libéré de ses obligations militaires.
Ayant acheté deux fermes en 1939, il dispose d’abondantes ressources alimentaires, ce qui selon sa fille lui permet d’accueillir nombre de personnes de passage. Pendant la guerre, Giono continue à publier sans respecter la directive du Comité national des écrivains. Le passage obligatoire par la censure de l'occupant l'a amené à avoir des contacts avec les autorités allemandes. Le succès de ses œuvres l'a enrichi considérablement. Il se consacre longuement aux soins à donner à sa fille touchée par la tuberculose, en l’emmenant dans la montagne, à Lalley.
Dès avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, on lui reproche sa proximité avec la collaboration. L'utilisation de sa pensée par le régime de Vichy est souvent restée très caricaturale, vantant son néoprimitivisme, son tarzanisme, le retour à la terre ou l'artisanat. Il est avéré que Giono a caché et entretenu à partir de 1940 des réfractaires, des juifs, des communistes. Son œuvre porte des traces de cette résistance à l'hitlérisme : outre Le Voyage en calèche, interdit par l'occupant en décembre 1943, et dont le personnage de Julio se prolonge dans celui d'Angelo, résistant italien à l'occupant autrichien en 1848, Le Bonheur fou, il faut mentionner Angelo III, traqué par les troupes allemandes, dans le début inédit de Mort d'un personnage, et la mort de Clef-des-Cœurs dans le maquis Ennemonde.
Une bombe est déposée devant la maison de son domicile la nuit du 11 au 12 janvier 1943 et explose sans faire de blessés, emportant cependant la porte d’entrée. Après la guerre, il est accusé d'avoir collaboré et de nouveau emprisonné, en septembre 1944, principalement pour avoir fait paraître Deux cavaliers de l'orage dans La Gerbe, journal collaborationniste, et un reportage photo dans Signal, sorte de Paris Match national-socialiste et toutefois reconnu pour sa qualité. Il n'est libéré qu'en janvier 1945, sans avoir été inculpé. Néanmoins, le Comité national des écrivains, organisme issu de la Résistance, l'inscrit sur sa liste noire, ce qui interdisait de fait toute publication de son œuvre en France. Bien des résistants qui avaient lutté contre le régime de Vichy ne lui avaient pas pardonné cette phrase : Je préfère être un Allemand vivant qu'un Français mort, considérant cette citation comme une offense à leurs sacrifices. Cette mise à l'index ne prend fin qu'en 1947, avec la parution d’Un roi sans divertissement, première en date des Chroniques. Giono a cependant abrité Karl Fiedler, trotskiste allemand, l’épouse de Max Ernst, et dit avoir aidé Jan Meyerowitz, musicien juif, qui, lui, n'en fait jamais mention. Sa fille mentionne également plusieurs autres personnes en fuite recueillies au Paraïs. Pierre Citron affirme, dans la biographie de Giono, détenir les preuves de ces aides, sans les publier.
Pour sa fille, cette longue période de mise à l’écart et de mépris populaire lui inspire l’épisode du Hussard sur le toit où Angelo, poursuivi par la foule qui cherche un bouc émissaire, se réfugie sur les toits de Manosque. D’après elle, ce fut une satisfaction de faire mourir les habitants de Manosque de manière horrible, sale, souffrant physiquement et moralement, au milieu de vomissures et de diarrhée.

Giono et la collaboration

Les défenseurs de Giono le présentent comme un pacifiste trompé par le Régime de Vichy qui, pour lui, amenait la paix. Son soutien aux Accords de Munich en 1938 en résulterait. Le fait que le néoprimitivisme ou le tarzanisme de Giono ait été admiré à la fois par les nazis et par le Régime de Vichy n'est pas selon eux une preuve que Giono était réciproquement un soutien au régime. Du reste, les Allemands ont tenté à plusieurs reprises de le faire venir au Congrès des écrivains de l'Europe à Weimar. Giono n'y a jamais participé. Mais il a exprimé une reconnaissance qui a les accents de la sincérité.
Des études récentes montrent que Giono a pris lui-même contact avec les autorités allemandes. Le colonel Gerhard Heller le trouvait, extrêmement bien disposé envers la collaboration . Dans La Gerbe du 19 mars 1942, Jean Giono qualifie la défaite de 1940 et Vichy de grande expérience après des années d'erreurs. Dans son journal il affirme que nazis et alliés sont semblables, tandis que les résistants sont des assassins et des voyous. Les mots durs que Giono utilise pour qualifier les résistants contrastent avec l'insensibilité qu'il affiche à l'égard des juifs :
Il une connaissance juive me demande ce que je pense du problème juif. Il voudrait que je prenne position. Je lui dis que des Juifs je m'en fous comme de ma première culotte : qu'il y a mieux sur terre que de s'occuper des Juifs. Quel narcissisme ! Pour lui il n'y a pas d'autre sujet. Il n'y a pas d'autres chose à faire sur la terre qu'à s'occuper des Juifs. Non je m'occupe d'autre chose.

Le Giono d’après-guerre

Dans les années qui suivent, Giono publie notamment Mort d'un personnage, 1948, Les Âmes fortes 1950, Le Hussard sur le toit 1951, Le Moulin de Pologne 1953.
Avec le succès de ces livres, surtout celui du Hussard sur le toit qui est porté à l'écran en 1995 par Jean-Paul Rappeneau, Giono est de nouveau considéré comme l’un des plus grands écrivains français du XXe siècle. En 1953, le Prix littéraire du Prince-Pierre-de-Monaco lui est décerné pour l'ensemble de son œuvre. Il est élu l'année suivante au sein de l'Académie Goncourt. De plus en plus intéressé par le cinéma son film Crésus sort en 1960, il préside le jury du Festival de Cannes en 1961. Son dernier roman, L'Iris de Suse, paraît l'année de sa mort. Emporté par une crise cardiaque le 9 octobre 1970 dans sa Maison Le Paraïs de Manosque, Jean Giono est enterré à Manosque

Giono et Manosque

Giono s'est surnommé le voyageur immobile. De fait, son œuvre évoque souvent de longs voyages ou cheminements, alors que lui-même n'a presque pas voyagé, sauf de courts séjours en Écosse, à Majorque et en Italie, Voyage en Italie, œuvres complètes, La Pléiade. Avant de vivre dans sa Maison Le Paraïs, qui surplombe Manosque, à partir de 1929, Jean Giono a habité à Manosque même : 1, rue Torte, où il est né le 30 mars 1895 ; 14, rue Grande, où ses parents déménagèrent peu de temps après ; 8, rue Grande, où il emménagea en 1930, après son mariage.
Sur le boulevard circulaire de Manosque se trouve aujourd'hui le Crédit agricole, qui était le Comptoir d’escompte lorsque Giono y travaillait.
Il a également souvent séjourné dans le Trièves où il passait ses vacances, avant la guerre, à Tréminis et après à Lalley. Cette région montagneuse, située au nord du col de la Croix-Haute et qu'il qualifiait de cloître de montagnes, lui a inspiré notamment Le Chant du monde, Bataille dans la montagne, situé à Tréminis, Un roi sans divertissement, dont l'action se déroule dans un village correspondant à la situation de Lalley, Les Vraies richesses et Triomphe de la vie, essais qui empruntent beaucoup à la sérénité bucolique du Trièves.

L'œuvre

L'œuvre de Jean Giono mêle un humanisme naturel à une révolte violente contre la société du xxe siècle, traversée par le totalitarisme et rongée par la médiocrité. Elle se divise en deux parties : les premiers livres sont écrits d'une façon très lyrique, ces œuvres sont souvent dites de première manière et leur style est très différent des œuvres tardives plus élaborées et plus narratives, telles que les Chroniques romanesques et le Cycle du Hussard, œuvres dites de seconde manière. La nature est d'une certaine façon le personnage principal des premiers livres, tandis que l'Homme est celui des seconds.
Soldat durant la Première Guerre mondiale, Jean Giono n'aborde objectivement cette période de sa vie que dans Refus d'obéissance, c'est-à-dire bien après ses premières publications. L'influence de la guerre est pourtant très forte tout au long de son œuvre. S'il est inclassable, Giono est sans conteste un humaniste et un pacifiste.

Les premières œuvres : la Nature prééminente

Après Naissance de l'Odyssée, qui ne sera publié que plus tard, les trois premiers livres de Jean Giono, Colline, Un de Baumugnes et Regain constituent la trilogie de Pan. Le dieu Pan est une figure importante dans les livres de Giono. Il est explicitement présent au tout début, et restera jusqu'à la fin en filigrane. Il représente la nature unifiée dans un être unique. Bien que peu adepte des discussions philosophiques, Giono fait quelques brèves allusions au panthéisme, cf. Spinoza, Parménide, qu'il développe allègrement de façon lyrique dans ses premiers livres. La nature y est présentée d'une façon bien différente de l'idyllique et bienveillante Provence de Pagnol. Chez Giono, la nature est belle, mais elle est aussi cruelle, destructrice et purificatrice : l'Homme en fait partie, mais elle n'est pas l'Homme. Ainsi, dans Le Hussard sur le toit 1951, la nature se manifeste par le choléra qui dévaste la Provence et tue aveuglément sans se soucier des préoccupations politiques qui agitent les hommes. On retrouve du reste cette conception de la nature, particulièrement absente des idées de cette époque, dans un texte contemporain d'Albert Camus, intitulé L'Exil d'Hélène.

La seconde manière où l’Homme est au centre

À l'instar de Balzac, et très impressionné par La Comédie humaine, Giono avait en tête le projet d'un cycle romanesque en dix volumes à la manière de Balzac. Le premier volume de la série, écrit en six jours, a pour titre Angelo. Ceci devait être le premier volume de dix ouvrages qui auraient retracé, réinventer le XIXe siècle, pour mieux faire ressortir les tares du XXe siècle. Angelo I, écrit en 1934, paru en 1958, est considéré sans doute à tort comme le brouillon du Le Hussard sur le toit. Il devait être suivi par une série d'Angelo dont le petit-fils, Angelo III, serait un Résistant en 1940. Peut-être effrayé par l'ampleur de la tâche, Giono renonça au projet initial et ne publia que trois romans pour ce cycle : Le Hussard sur le toit, Le Bonheur fou et Mort d’un personnage, le personnage en question est la marquise Pauline de Théus dans sa vieillesse

Une spiritualité imprégnée de paganisme

Peut-on parler de spiritualité chez Giono ? La question est posée par l'un de ses biographes, Jean Carrière, qui répond, Oui, dans la mesure où celle-ci lui est venue non comme une expérience délibérée, mais comme une lente maturation à jouir des choses sans les posséder. Et cet esprit de jouissance-dépossession, qui s'apparente au carpe diem des antiques sagesses, accorde à celui qui s'y livre sans réserve et sans fausse pudeur, selon les propres termes de l'auteur, un sentiment de libération païenne :
Ce n'est pas seulement l'homme qu'il faut libérer, c'est toute la terre... la maîtrise de la terre et des forces de la terre, c'est un rêve bourgeois chez les tenants des sociétés nouvelles. Il faut libérer la terre et l'homme pour que ce dernier puisse vivre sa vie de liberté sur la terre de liberté ... Ce champ n'est à personne. Je ne veux pas de ce champ; je veux vivre avec ce champ et que ce champ vive avec moi, qu'il jouisse sous le vent et le soleil et la pluie, et que nous soyons en accord. Voilà la grande libération païenne.
Cet appel à la libération de l'homme et de la terre s'inscrit en faux contre l'injonction biblique de prise de possession de la terre et de ses animaux par l'homme. Il est aussi une invitation à renouer pleinement avec les joies du corps, la sensualité naturelle, longtemps niée ou occultée par la morale chrétienne :
J'ai pris pour titre de mon livre le titre d'un choral de Bach : Jésus, que ma joie demeure ! Mais j'ai supprimé le premier mot ... parce qu'il est un renoncement. Il ne faut renoncer à rien. Il est facile d'acquérir une joie intérieure en se privant de son corps. Je crois plus honnête de rechercher une joie totale, en tenant compte de ce corps, puisque nous l'avons.
Le paganisme de Jean Giono, apparaît dès les premiers romans écrit à la fin des années 1920, sous la forme d'une vision panthéiste qui replonge les êtres au cœur du cosmos étoilé, mais aussi par la perception d'un sentiment tragique de la vie inspiré notamment par sa lecture enthousiaste des récits homériques dès la plus tendre enfance :
"Je lus L'Iliade au milieu des blés mûrs. ...C'est en moi qu'Antiloque lançait l'épieu. C'est en moi qu'Achille damait le sol de sa tente, dans la colère de ses lourds pieds. C'est en moi que Patrocle saignait. C'est en moi que le vent de la mer se fendait sur les proues
La violence inspirée par une lecture sensuelle du récit homérique traverse toute l'œuvre de Jean Giono. Qu'on pense, par exemple, à la fin tragique de Que ma joie demeure, ou, trente ans après, à la rivalité mortelle qui oppose les deux frères de Deux cavaliers de l'orage. Elle est assumée sans jugement moral, et sans jamais faire ombre à la profonde joie païenne de celui qui ne croyait pas au problème résolu pour tout le monde ni au bonheur commun, mais qui disait :" Je crois que ce qui importe c'est d'être un joyeux pessimiste.


Le cycle du Hussard

Revenu à Marseille en mars 1945, puis à Manosque, Giono s'y réinstalle pour n'en plus bouger, et c'est la gloire qui va l'y retrouver : de 1945 à 1957, c'est son été flamboyant, un renouvellement inouï de son inspiration et qui joue sur deux tableaux. Il imagine un héros selon son cœur, Angelo, un exilé politique des années 1830, un hussard piémontais, objet de tout un cycle qui tantôt devait nous jeter en plein XXe s. parmi la descendance d'Angelo seul, Mort d'un personnage publié en 1949, témoigne de ces chevauchements chronologiques, tantôt suivra le Hussard dans ses aventures d'il y a un siècle : dans Angelo écrit en 1945, il entre en Provence où Pauline de Théus le recueille ; le Hussard sur le toit 1951 lui fait redécouvrir Pauline, mais cette fois parmi les ravages du choléra ; enfin, dans le Bonheur fou 1957, il poursuit son idéal à travers l'Italie insurgée de 1848. Héros positif s'il en est, prêt à tous les élans, à tous les défis d'un Fabrice del Dongo, il est pris dans un tourbillon narratif qui enveloppe ce personnage stendhalien d'un souffle épique. Mais, si épopée il y a, c'est l'épopée des miasmes et de la purulence, et aussi l'épopée de la désillusion, celle qui naît des complots légitimistes à base de brigandages, de l'ignominie humaine révélée par l'épidémie, du machiavélisme des libéraux du Risorgimento ; et, quand Angelo veut s'en retourner vers Pauline, il est trop tard. Le cycle du Hussard unit l'enthousiasme et l'amertume.

Les Chroniques

L'autre volet du diptyque, ce sont les Chroniques, un genre créé alors par Giono, mais dont la cruauté à l'emporte-pièce pouvait se deviner dans certaines des nouvelles recueillies jadis dans Solitude de la pitié 1930 et dans l'Eau vive 1943. Un roi sans divertissement 1947, conformément à son titre pascalien, offre, de façon centrale cette fois, la misère radicale de l'ennui auquel seul le sang peut apporter la plus désespérée des diversions. Au lieu de ce remède du sang, qu'on imagine celui du jeu et de la plus dangereuse tricherie : on aura les Grands Chemins 1951. Quant au Moulin de Pologne 1952, l'acharnement du destin contre une famille y masque en fait le goût de se perdre. Tous ces motifs de l'ennui et du divertissement composent le monde noir de Giono d'après-guerre : le propre de la chronique gionienne est de créer presque instantanément un huis clos du récit ; tout surgit et vit intensément en une cinquantaine de pages, au bout desquelles l'aventure est exemplaire et le mystère intact. Cette efficacité devient virtuosité quand, quittant la chronique brève, Giono nous donne à choisir entre les versions incompatibles du drame des deux héroïnes des Âmes fortes 1949. Que sa verve créatrice soit capable, dix fois de suite, d'entamer une histoire qui fait naître l'illusion, et de détruire celle-ci en s'arrêtant tout net, comme il fait dans Noé 1947, roman du romancier, c'est, certes, un tour de force, mais c'est aussi autre chose : une espèce de preuve par neuf des pouvoirs de l'imaginaire, seul salut, par la création, chez un homme plus persuadé que personne de la difficulté d'être.

Conclusion

Vient son automne. Giono projette plusieurs chroniques, il en achève deux, Ennemonde 1968, où s'épanouit la volonté de puissance et le bonheur dans le crime, et l'Iris de Suse 1970, qu'il avait pensé intituler l'Invention du zéro, car on y voit un truand converti à un amour gratuit et sans réponse, le plus proche de ce goût de la perte, si fréquent dans les chroniques et qui, pour finir, se révèle, dans la ferveur et l'ironie, la plus heureuse des tentations. Quand Giono retourne au théâtre par la radio avec Domitien 1959, il s'agit toujours de se perdre, et cette fois dans la mort ; quand il se lance dans le cinéma, Crésus 1960 illustre, à sa façon, l' invention du zéro et la perte heureuse de millions fallacieux. Enfin, s'il entreprend de conter le Désastre de Pavie 1963, c'est pour y saisir l'instant historique où s'abolit l'esprit de chevalerie, autrement dit le règne de l'imaginaire.

Giono au travers de ses Œuvres

Bibliographie de Jean Giono.
L'œuvre de Jean Giono est assez dense et très variée. Certains de ses romans sont devenus des grands classiques de la littérature française du xxe siècle (Regain, Le Hussard sur le toit ou Un Roi sans divertissement. Certains, traduits dans de nombreuses langues étrangères, ont acquis une renommée internationale. Au-delà de ses romans, Jean Giono écrivit de nombreux essais grâce auxquels il transmit à ses lecteurs ses points de vue sur ses idées, ses écrits pacifistes, les événements qu'il vivait tels qu'il les ressentait, ses notes sur l'Affaire Dominici ou ses idéaux, Les Vraies Richesses. Il s'est essayé, avec une pointe de causticité, aux chroniques journalistiques. Bien que la poésie ait toujours été présente dans ses textes, il a publié peu de recueils de poésie. Jean Giono a signé en 1955 la préface du livre Moi mes souliers de Félix Leclerc. Il a également préfacé les Œuvres de Machiavel édité par La Pléiade.

Durant les années qui suivent, Giono écrit inlassablement. En 1923, il travaille sur Angélique, roman médiéval resté inachevé; il publie des poèmes en prose dans la revue marseillaise La Criée. En 1924, son ami Lucien Jacques publie Accompagnés de la flûte, des poèmes en prose, aux Cahiers de l'artisan. Dix exemplaires sont vendus. Plusieurs textes paraissent dans des revues Les Larmes de Byblis, Le Voyageur immobile.... En 1927, Giono écrit Naissance de l'Odyssée. C'est le roman fondateur, dans lequel on retrouve les éléments qui seront les thèmes de l'oeuvre à venir: l'angoisse et la fascination devant la nature, l'inquiétude panique de l'homme au contact du monde, la veine dionysiaque. Naissance de l'Odyssée est refusé par Grasset qui le qualifie de jeu littéraire.
Grasset accepte cependant de publier Colline, en 1929. Le succès est immédiat tant chez le public que chez la critique. Gide salue ce livre avec enthousiasme et va rendre visite à Giono à Manosque.
La même année, Grasset publie Un de Baumugnes, qui connaît également le succès. Giono se décide à vivre de sa plume et abandonne son emploi à la banque. Il fait l'acquisition de la maison du Paraïs, petite maison qu'il agrandira au cours des années et qu'il habitera jusqu'à sa mort.
Regain paraît l'année suivante. Il sera porté à l'écran quelques années plus tard par Marcel Pagnol.
Colline, Un de baumugnes et Regain seront réunis après coup par Giono sous le titre de Pan.
Ces trois romans commencent à dessiner une image de Giono poète, conteur, chantre d'une vie accordée à la nature, image qui se confirmera avec les écrits des années suivantes. Certains décèleront chez Giono les signes d'une prédication sociale autarcie de la communauté vivant en relative harmonie avec la nature en train de se construire, et qui prendra forme dans les livres suivants.
Le serpent d'étoile, description totalement inventée d'une grande fête des bergers, participe de cette vision du monde, avec une dimension cosmique de la situation de l'homme partagé entre les lois de l'univers, de la nature, et ses pulsions, ses désirs. Le serpent d'étoile provoquera quelques incidents; certains lecteurs prendront le texte au pied de la lettre et s'estimeront floués en apprenant qu'il ne s'agit que d'une invention littéraire.
Solitude de la pitié paraît la même année que Regain. C'est le premier des recueils de récits et essais brefs, déjà parus en revue, qui paraîtront sous sa signature au long de sa carrière.
L'année suivante, Le grand troupeau aborde l'expérience de la guerre vécue par Giono. L'idée de troupeau renvoie à la fois à la troupe militaire et au troupeau de moutons, les deux étant mis en parallèle dans le livre. L'histoire de ce livre met en lumière la naïveté, l'insouciance dont faisait parfois preuve Giono en certaines circonstances, et qui auront plus tard des conséquences plus néfastes pour lui. Giono signe en effet deux contrats avec deux maisons d'éditions différentes, Grasset et Gallimard. La situation finira par s'arranger, Giono donnera alternativement un texte à l'une puis à l'autre maison d'édition, mais cet incident met bien en relief ce trait de la personnalité de Giono, la difficulté à dire non, le désir de satisfaire tout le monde, un engagement parfois spontané, irréfléchi.
En 1932, paraît Jean le bleu, un récit largement autobiographique, qui fait une grande place à la figure paternelle et témoigne de l'admiration de Giono pour son père, sa sérénité, sa générosité. Mais l'invention, le romanesque, se mêlent intimement aux éléments autobiographiques dans ce récit lyrique.
Avec Le chant du monde, Giono revient au roman pur, roman d'aventure, roman épique, dans lequel les éléments naturels ont encore une grande place (le fleuve, la faune).
On peut voir dans Le chant du monde la fin d'une période, celle des romans aux dénouements heureux. Celle, également, où Giono se veut avant tout écrivain, sans engagement social ou politique. En cette période où l'on commence à sentir poindre la menace d'une guerre, Giono commence à agir, à s'engager. Il participe à des réunions en faveur de la paix, puis adhère à l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires, proche des communistes, écrit dans Vendredi, journal dirigé par Jean Guéhenno. Mais bien qu'homme de gauche, à tendance libertaire, voire anarchisante, souvenir de son père, Giono reste avant tout pacifiste. L'évolution des communistes en faveur du réarmement le rebute, et en 1935 il s'éloignera d'eux.

Que ma joie demeure, qui paraît en 1935, est une étape marquante dans le cheminement de l'auteur. Le bonheur, la vie communautaire heureuse, se heurtent ici aux désirs de l'homme, à ses passions. Le pessimisme fait son entrée dans l'oeuvre. Le roman est cependant très bien reçu par le public et aura un impact profond, en particulier chez la jeunesse; c'est un livre qui consolidera l'image d'un Giono sorte de prophète, et qui contribuera au développement de ce que certains appelleront ensuite le gionisme, phénomène qui va prendre de l'ampleur dans les années qui suivent, jusqu'à l'irruption de la deuxième Guerre mondiale.
Giono se défendra toujours de prêcher; chacun doit faire son propre compte, dit-il. Cependant, il tente, à cette époque, de faire passer des messages. Dans ses livres, dans sa vie quotidienne, avec l'aventure du Contadour en particulier.
C'est le premier septembre 1935 qu'a lieu le premier séjour au Contadour. Dans les collines de Haute Provence, une quarantaine de jeunes gens suivent Giono pendant une quinzaine de jours. Vie simple, discussions, lectures, vent de liberté. Giono, qui à l'origine ne voulait que faire connaître la nature, se retrouve, plus ou moins malgré lui, considéré comme l'animateur de ces séjours. Il y en aura neuf jusqu'en 1939. Giono et Lucien Jacques fondent les Cahiers du Contadour. Sept numéros paraissent, peu diffusés.
En 1936, l'essai Les vraies richesses, qui suit et prolonge en quelque sorte Que ma joie demeure, réaffirme l'idéal de la communauté rurale et appelle à une révolte contre la société industrielle capitaliste, contre la ville et la machinisme qui détruisent les "vraies richesses".
Le poids du ciel en 1938 est également un plaidoyer pour la nature et contre la guerre et les dictatures.
D'autres "messages" regroupés par la suite dans le recueil Écrits pacifistes paraîtront sous la plume de Giono durant ces années qui précèdent la guerre: Refus d'obéissance, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Précisions, Recherche de la pureté.
Dans ces années d'avant-guerre, Giono milite activement pour la paix. Sa position est intransigeante: ni guerre, ni fascisme, ni communisme. Il s'engage à refuser d'obéir en cas de conflit, une position personnelle, qu'il n'appelle pas à imiter. Cependant, lorsque l'avis de mobilisation lui parvient, Giono se rend à l'appel. Une famille à faire vivre et une oeuvre à poursuivre ont eu plus de poids que sa conscience. Giono est alors arrêté pour cause de pacifisme, et détenu pendant deux mois avant de bénéficier d'un non-lieu.
A sa sortie de prison, il finit la traduction de Moby Dick, d'Herman Melville, qu'il avait entamée avec Lucien Jacques et Joan Smith et qui avait commencé à paraître dans les Cahiers du Contadour. Il écrit également l'ouvrage Pour saluer Melville, une biographie largement imaginaire de l'auteur américain.
Les livres se vendent mal et les revenus s'en ressentent. Quant au comportement de Giono pendant cette période, il sera source de bien des ennuis.
On reprochera longtemps à Giono la publication de Deux cavaliers de l'orage dans La Gerbe, de Description de Marseille le 16 octobre 1939 dans La Nouvelle revue française de Drieu Larochelle, et d'un reportage photographique sur lui dans Signal édition française d'un périodique allemand. On lui reprochera également une certaine proximité d'idée avec le régime de Vichy, retour à la terre, à l'artisanat, des "idées" que Giono véhicule depuis bien des années sans pour autant en tirer les conclusions politiques qui seront celles de Vichy. Les idées de Giono se trouve à nouveau imprimées en 1941 dans Triomphe de la vie.
On parlera moins par contre du fait que Giono a hébergé des réfractaires, des Juifs, des communistes. Ou de l'esprit de résistance qui inspire sa pièce Le voyage en calèche, interdite par la censure allemande.
En 1943, Giono publie L'eau vive, du théâtre. Il écrit Fragments d'un paradis.
A la libération, Giono est arrêté, le 8 septembre 44, et incarcéré. Le Comité national des écrivains l'inscrit sur sa liste noire. Il est libéré cinq mois plus tard sans avoir été inculpé.
Au sortir de la guerre, Giono est un homme désabusé, victime de l'ostracisme de l'intelligentsia de l'édition. Son oeuvre reflète les changements provoqués par cette période troublée et trouve un second souffle, une nouvelle inspiration.
Retranché dans le silence et le travail, Giono se consacre tout entier à ses livres. De 1945 à 1951, il écrit huit romans et des récits.
Angélo, écrit en 1945, publié en 1948, inaugure le cycle du hussard. Mort d'un personnage lui fait suite et précède Le hussard sur le toit commencé en 1946 et achevé en 1951.
Parallèlement au cycle du hussard, Giono inaugure ce qu'il appellera les Chroniques, un ensemble plus ou moins homogène et délimité, qui commence par Un roi sans divertissement en 1946. Puis viennent Noé, un roman sur l'écrivain où Giono s'exprime à la première personne, Les âmes fortes, Le moulin de Pologne, Les grands chemins.
Les chroniques, écrites sur des modes narratifs variés, plus courtes que les romans d'avant-guerre, avaient été pensées à l'origine comme une série plus ou moins homogène. En fin de compte, chaque titre est tout à fait indépendant des autres. Le cycle du hussard, quant à lui, possède une unité centrée autour du personnage d'Angélo.
Le Hussard, et son succès, marque la fin de l'ostracisme dont Giono a été victime depuis la fin de la guerre de la part du monde littéraire français.
Jusqu'à sa mort, Giono se consacrera uniquement à l'écriture. Une écriture qui prendra d'ailleurs des formes de plus en plus variées.
Giono donne des textes pour des journaux et des revues, certains de ces textes seront par la suite réunis en volumes: Les terrasses de l'île d'Elbe, Les trois arbres de Palzem, Les Héraclides, La chasse au bonheur.
Il voyage en Italie, le pays de ses origines, Voyage en Italie, en Écosse, en Espagne.
En 1954, il assiste au procès Dominici, vieux paysan accusé du meurtre de trois touristes anglais. Il publiera ses notes d'audiences dans la revue Arts, puis, à la demande de Gaston Gallimard, en volume, accompagnées d'un essai: Notes sur l'affaire Dominici suivies de Essai sur le caractère des personnages.
Il revient au théâtre avec Joseph à Dothan et Domitien. Il travaille également à une adaptation du Chant du monde qui restera inachevée: Le cheval fou.
Giono aborde également un nouveau domaine, l'histoire. Le désastre de Pavie traite de la bataille de Pavie et de la captivité de François 1er. Mais Giono n'est pas historien, et le style du romancier reste présent dans cet ouvrage un peu particulier dans son oeuvre.
Enfin, Giono continue à écrire des romans et des textes de fictions. Entre 1953 et 1957, il écrit le dernier volume du cycle du hussard, Le bonheur fou, un roman historique, mais d'une histoire avec laquelle Giono sait prendre des libertés.
Il retrouve la fiction pure pour L'homme qui plantait des arbres, Les récits de la demi-brigade , Ennemonde et autres caractères, Le déserteur.
En 1965, il met en oeuvre Dragoon, puis, en 1967, Olympe. Il n'achevera aucun des deux textes. C'est L'iris de Suse qui sera sa dernière oeuvre.
Parallèlement à ses écrits, Giono s'intéresse au cinéma et réalise quelques films, voir la filmographie.
Au cours de ces dernières années, son travail est ralenti par des faiblesses cardiaques. Il doit se ménager, renoncer à la pipe, aux déplacements. En 1970, ses forces diminuent; il doit être opéré d'une embolie artérielle.

Dans la nuit du 8 au 9 0ctobre 1970, Giono meurt d'une crise cardiaque.

Giono et le cinéma

Très tôt, Jean Giono s'intéresse au cinéma. Il a vu, dans les années 1930, l'impact qu'ont eu sur le public les films de Marcel Pagnol tirés de ses propres romans Regain, La Femme du boulanger, Jofroi ou Angèle. Après quelques courts essais, la première coréalisation est un documentaire de Georges Régnier, Manosque, pays de Jean Giono avec des textes du livre Manosque des Plateaux. Il s'essaie ensuite en 1942 à l'adaptation du roman Le Chant du monde qu'il ne termine pas. Dans les années 1950, Jean Giono travaille avec Alain Allioux au scénario de L'Eau vive, 1956, film de François Villiers, avec qui il tourne le court-métrage le Foulard de Smyrne (1957. L'Eau vive est présenté en avant-première au festival de Cannes, en 1958.
Giono écrit le scénario, les dialogues, met en scène le film Crésus avec Claude Pinoteau et Costa-Gavras. En 1963, dans la froideur de l'Aubrac, Giono supervise le tournage de l'adaptation de son roman Un roi sans divertissement, réalisé par François Leterrier. Ces deux derniers films sont produits par la société de production que Giono avait créée : Les films Jean Giono. Giono reconnaît dans la presse que le cinéma est un art difficile mais qu'il permet de raconter autrement les histoires.
D'autres réalisateurs ont adapté des œuvres de Giono, de son vivant ou après sa mort, et ont réalisé : Les Grands Chemins, Christian Marquand – 1963, Deux cavaliers de l'orage, Gérard Vergez – 1983, Le Hussard sur le toit, Jean-Paul Rappeneau – 1995, Les Âmes fortes, Raoul Ruiz – 2001, Le Chant du monde, Marcel Camus – 1965 ou L'homme qui plantait des arbres, film d'animation du québécois Frédéric Back en 1987.

Scénariste

1968 : Provinces, émission La chevelure d'Atalante, réalisation de Robert Mazoyer

Odonomie
Voies portant le nom de Jean Giono

Établissements portant le nom de Jean Giono

L'Association des amis de Jean Giono

Centre Jean Giono
Créée en 1972 à la Maison Le Paraïs de Manosque, par Henri Fluchère et Aline Giono l'Association des amis de Jean Giono concourt à la mémoire de l'œuvre et de la vie de l'écrivain. Elle encourage et favorise la recherche universitaire, inventorie et conserve les archives de Giono, soutient et organise différentes manifestations colloques, journées d'études, expositions, spectacles comme les Rencontres Giono, en juillet à Manosque, pour les adhérents de l'association et pour tous les publics. Depuis sa création, l'association rassemble des lecteurs fervents et fidèles qui partagent une connaissance et une admiration de l'œuvre de Giono. Le Bulletin de l'Association des Amis de Jean Giono a été remplacé en 2007 par la Revue Giono.

La maison de Giono

Jean Giono achète en 1929, une petite maison au lieu-dit Lou Paraïs sur le flanc sud du Mont d'Or, qui domine Manosque. Un palmier, un laurier, un abricotier, un kaki, des vignes, un bassin grand comme un chapeau, une fontaine.
Article détaillé : Maison Le Paraïs
Il transforme et agrandit cette maison où il écrit la plus grande partie de son œuvre. C'est aujourd'hui le siège de l'association des amis de Jean Giono.

Analyse de l'Œuvre


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Posté le : 29/03/2014 20:21
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Jean Giono 2 suite
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Analyse de l'Œuvre


Jean Giono, le Bout de la route

Il eût suffi de lire de près ses romans d'alors pour voir qu'il était, aussi, bien autre chose. Le premier Colline (1929), révèle d'emblée une Provence tragique. L'univers ne s'ouvre à l'homme qu'au prix d'un difficile cheminement initiatique que symbolisent la remontée du fleuve et l'entrée dans la bestialité du Pays Rebeillard le Chant du monde, 1934. Si Un de Baumugnes (1929), Que ma joie demeure (1935) et Batailles dans la montagne (1937) sont des chants de fraternité, comment oublier que les deux derniers de ces romans se terminent par la défaite et la mort du héros sauveur ou sur son départ esseulé, et surtout que si Regain 1930 s'achève, lui, sur un happy end, c'est après avoir montré un village reconquis par une nature inhumaine et son dernier habitant sombrant dans la sauvagerie. Mais le cas exemplaire, c'est le récit largement apocryphe, que Giono, dans Jean le Bleu (1932), fait de sa propre enfance, pourtant placée sous la protection d'un véritable saint, son père ; car nulle part il n'a donné à voir autant de sanie, de misère et de mort que dans cette évocation de ses vertes années, dans cette hagiographie où le saint finit par annoncer sa propre faillite. D'ores et déjà Giono sait être cruel, et le sentiment panique qui en fait le frère de Whitman est terreur aussi bien que jouissance du Tout. La chaleur des narrations et des dialogues nous trompe magnifiquement. Et l'usage tragique et délicieux du monde auquel Giono nous convie nous rend ce monde charnel et proche.
En 1935, Giono entraîne un groupe d'adeptes au Contadour, un village perdu de Haute-Provence, centre, dès lors, de rencontres qui se renouvellent jusqu'en 1939. La guerre éclate. Giono se laisse mobiliser, ce qui ne l'empêche pas d'être arrêté en septembre ; il sera relâché en novembre. Mais pour avoir publié dans un hebdomadaire vichyssois un de ses romans, Deux Cavaliers de l'orage, et malgré l'aide efficace qu'il a fournie à des victimes du nazisme et à des résistants, il est incarcéré de nouveau à la Libération. Pour Giono, tout compte dans cette aventure : son revirement et la double et absurde persécution dont il est victime. Sa confiance en l'homme se perd, son univers noircit et son écriture change. Cette évolution ne se ramène toutefois pas à ces circonstances. Déjà, Deux Cavaliers de l'orage, rédigé presque entièrement entre 1937 et 1942 et publié en volume en 1965 seulement, reprend le thème de la fraternité virile, mais le fait verser dans le crime ; la volonté de puissance, conséquence d'un ennui qui a déjà sa dimension pascalienne, amène le frère aîné à tuer son cadet bien-aimé. Quant à la nature, elle n'est remède à ce même mal de vivre qu'à condition d'exhiber les monstres sous-marins de Fragments d'un paradis écrit en 1944. Seul refuge : l'imaginaire. À travers Pour saluer Melville 1941, biographie fabuleuse de l'auteur de Moby Dick, à travers les deux pièces écrites alors la Femme du boulanger, le Voyage en calèche, Giono offre une revanche à la fois ironique et triomphante à Don Quichotte : de même que celui-ci avait trouvé son bonheur dans les romans de chevalerie, de même Melville séduit Adelina White, le Boulanger reconquiert Aurélie et Julio emmène, souriante et consentante, sa Fulvia dans la mort parce que c'est par l'imaginaire seulement que ces personnages découvrent leur accomplissement.

Conclusion

Vient son automne. Giono projette plusieurs chroniques, il en achève deux, Ennemonde 1968, où s'épanouit la volonté de puissance et le bonheur dans le crime, et l'Iris de Suse 1970, qu'il avait pensé intituler l'Invention du zéro, car on y voit un truand converti à un amour gratuit et sans réponse, le plus proche de ce goût de la perte, si fréquent dans les chroniques et qui, pour finir, se révèle, dans la ferveur et l'ironie, la plus heureuse des tentations. Quand Giono retourne au théâtre par la radio avec Domitien 1959, il s'agit toujours de se perdre, et cette fois dans la mort ; quand il se lance dans le cinéma, Crésus 1960 illustre, à sa façon, l' invention du zéro et la perte heureuse de millions fallacieux. Enfin, s'il entreprend de conter le Désastre de Pavie 1963, c'est pour y saisir l'instant historique où s'abolit l'esprit de chevalerie, autrement dit le règne de l'imaginaire.

L'impossible mélange avec le monde

Naissance de l'Odyssée, achevé en 1927, réécriture parodique du poème homérique, est refusé par Grasset. C'est pourtant le roman fondateur qui contient en germe la plupart des thèmes à venir. Dès le naufrage initial se lit une hantise d'être dévoré par la mer, la gueule aux dents d'écume, mais aussi bien par la terre dont la mer est la constante métaphore chez Giono et par la femme : autant de figures de la mère castratrice. D'emblée, donc, on est très loin de la terre idyllique dont on a voulu que Giono soit le chantre : Ulysse est terrifié par les grandes forces mouvantes du magma panique. Mais il y a dans l'homme un désir, force analogue à celles du monde ; prisonnière des barrières de la peau, elle tend irrépressiblement à se fondre dans le monde maternel. Comment y parvenir sans être dévoré ? La réponse d'Ulysse va commander toute l'œuvre à venir : par la parole mensongère et elle l'est précisément en ce qu'elle substitue au réel un monde inventé, il institue un domaine imaginaire, un contre-monde, où il pourra, impunément, posséder les femmes, mais aussi capter et dire le « secret des dieux », comprenons les forces du monde. Et si la parole est comparée à une fontaine jaillissante, c'est qu'elle permet l'expression de la mer comprise comme force intérieure, tout en lui évitant l'absorption par l'abîme. Devant la réussite de son mensonge, Ulysse décide de l' utiliser sciemment. Par là, le roman inaugure chez Giono une poétique du mensonge, qui va s'avérer toutefois à double tranchant.

La Trilogie de Pan explore les possibilités qu'a l'homme de s'approprier la terre et la femme, objets inséparables de la quête des personnages. Colline 1929 raconte la révolte de la grande force de la terre symbolisée par le dieu Pan contre le double crime œdipien des villageois : en labourant la terre, ils la font saigner ; le vieux Janet, « un homme qui voit plus loin que les autres », est coupable, lui, d'avoir percé les secrets de la mère nature et de les dire : il parle, et la fontaine nourricière de Lure, « la mère des eaux », se tarit. Il faut qu'il meure pour qu'elle recoule. Ainsi la parole est-elle foncièrement ambivalente : ici, elle est mauvaise et expose à un châtiment. La victoire finale des villageois est provisoire. Un de Baumugnes 1929 est l'histoire d'une vierge séduite par un proxénète beau parleur : « C'est ça qui a fait le mal ; sa langue. » Le pur Albin la rachète, et avec elle le monde entier, parce que le chant de son harmonica a su abolir le fossé tragique entre la parole (le symbolique) et le réel. On notera que ce texte inaugure la technique du récit indirect, le narrateur étant un personnage, Amédée. Voilà surtout un roman qui, sous ses allures de mélodrame la rédemption de la fille perdue, travaille de façon très subtile sur les deux plans qu'il réfléchit l'un dans l'autre – celui de la fiction et celui de son écriture –, affirmant ainsi le caractère autoréférentiel de l'œuvre de Giono. Il met en effet en abyme son fondement même : Albin descendu des hauteurs de Baumugnes où ses ancêtres, symboliquement castrés protestants, on leur avait coupé la langue, s'étaient réfugiés, c'est l'écrivain résolu à se frotter à l'en bas dévorateur, c'est-à-dire au monde véritable des batailles qu'en réalité, en déserteur qu'il est, il a fuies dès lors qu'il a fait retrait dans le contre-monde de la littérature, ou encore à la Femme, ange et démon, belle et bête la fille s'appelle Angèle Barbaroux, pour que son livre, loin d'être désincarné, soit retrempé dans la matrice même des choses. Mais l'écrivain se projette d'abord sur Amédée, le vieil ouvrier agricole, un des premiers autoportraits de l'auteur en grand-père car lui appartient à l'en bas et y mourra, en ce qu'il accompagne l'autre dans l'espace désirable et redoutable du réel, afin d'obtenir que la parole de l'œuvre – qui produit donc ici le mythe de sa propre genèse – soit gagée sur le réel même : Au lieu de mots, c'étaient les choses elles-mêmes qu'il vous jetait dessus. Regain 1930 clôt le cycle par la victoire fragile de Panturle, qui échappe avec son village d'Aubignane à l'effacement dans la nature sauvage ; il soumet la terre à la loi de la culture en même temps qu'il s'empare d'une femme et la féconde. Dans ce roman s'ébauche une prédication sociale avec l'idéal autarcique d'une communauté fondée sur l'échange des richesses produites par un travail libre que les livres suivants vont amplifier. Dans Le Serpent d'étoiles 1931, Giono, par l'intermédiaire d'un jeu poétique prêté à des bergers, donne une dimension cosmique à la situation de l'homme, partagé entre l'obéissance aux lois de l'Univers et sa propension à s'enfermer derrière la grande barrière de ses reflets.
Tandis qu'il écrit Le Grand Troupeau, en 1930, Giono entre dans une grave crise existentielle qui va durer quatre ans, et dont l'aspect principal est une douloureuse privation du réel elle était donc latente dans les romans précédents. Dans ce roman largement autobiographique, la guerre radicalise la hantise de l'ogresse, de l'éventration, de la boue et du pourrissement. L'alternative de la fusion heureuse dans la vie universelle la pâte de vie à la campagne apparaît dès lors mythique, en même temps que l'imaginaire connaît ici sa première émancipation maladive : certains personnages s'engagent dans des dialogues avec les ombres des absents et des morts. La crise pousse Giono vers l'écriture théâtrale, dont il semble vouloir faire un usage cathartique. Coup sur coup il écrit Le Bout de la route 1931 et Lanceurs de graines 1932. En vain : les personnages succombent à la fatalité de la réclusion dans l'imaginaire, qui les exile de la femme et du monde.

Dans Jean le Bleu 1932, le désespoir suscite l'émergence de monstruosités et purifie le lyrisme. Dans ce récit d'enfance parfois halluciné, Giono tente de frayer la voie à un chant, celui des formes où puissent s'exprimer les forces du bas, celles du désir mais aussi celles des nôtres, des pauvres et des perdus, tel le déroulement d'un serpent – symbole récurrent du fond des choses – dans les libres formes de la musique : La flûte s'élança et, comme un serpent qui, debout dans l'herbe, construit avec la joie ou la colère de sa chair les fugitives figures de son désir, elle dessina le corps de ce bonheur dédaigneux qui habite la tête libre des parias. La parabole finale de la chute d'Icare dit la tentation et la vanité d'un envol solitaire dans de pures formes, également loin de la roue du monde et du bouillonnement social.

Le Chant du monde 1934, roman d'aventures et quête initiatique, exploite exemplairement la grande opposition propre à Giono du bas et du haut pays, pour atteindre ce but invariable : naturaliser une parole poétique qui est d'abord le produit d'une désertion. Dans les hauteurs du pays Rebeillard, prodigieuse métaphore du texte au sein même du roman, et de ce fait région maladive rongée par le poison de la mélancolie ou jouissance morbide de l'absence, vit Toussaint, autoportrait sublime et désespéré de l'écrivain en nabot guérisseur prisonnier de son ghetto le guérisseur guérit parce que, ayant compris le secret du monde, il peut réconcilier avec lui ceux dont la maladie est de s'en être coupés ; mais, pour le comprendre, il a dû s'en abstraire et souffre donc le premier du mal dont il soigne les autres : privation des choses, mélancolie, et bientôt ennui. Antonio le nageur, l'homme-poisson, monté dans ces hauteurs, y apprend de Toussaint que le désir a besoin des formes de la parole pour s'y exprimer. Ainsi initié, il va pouvoir être pleinement Bouche d'or et offrir ces formes à Clara, l'aveugle, métaphore d'un monde-mère en mal d'expression, et redescendre alors avec elle dans le bas pays, où il pourra passer pour le Poète capable d'émettre le chant même du monde.

Le projet d'installation de la joie de Que ma joie demeure 1935 échoue pour deux raisons : la peur de la femme dont l'amour engage à un dépassement total de l'individu, et le refus concomitant des « batailles » sociales. La commune rurale qu'instaure Bobi fonctionne en circuit fermé, en marge de la société et de la question sociale. Du coup, elle interdit aux gens du plateau Grémone, vivant en autarcie, de s'accorder à la démesure du paradis terrestre et perdu de la nature. Car celle-ci a pour loi la roue sans fin des transformations, et donc des combats continuels, à l'image de celui, mortel mais conforme au désir, des écureuils et du renard. Et seules des batailles analogues permettraient aux hommes d'être à l'unisson d'un monde où rien ne demeure. Le refus des batailles les réduit, déjà, à l'ennui en les enfermant dans un univers symbolique qui, décidément, est de trop dans le monde.

Giono et la politique

Malgré ces réticences, Giono s'est engagé à gauche dès 1934. Le retentissement considérable de Que ma joie demeure a deux conséquences. L'essai Les Vraies Richesses 1936 réaffirme l'idéal d'une communauté rurale autarcique, mais contient un appel à la révolte contre la société industrielle capitaliste qui asservit le travail et détruit les vraies richesses. D'autre part, en septembre 1935, a lieu, autour de Giono, le premier rassemblement sur le plateau du Contadour il y en aura neuf jusqu'à la guerre qui va devenir un foyer d'antifascisme et de pacifisme.

Le pacifisme intransigeant de Giono et son hostilité grandissante à l'égard du stalinisme entraînent sa rupture avec les communistes ; elle se marque par la publication en 1937 de Refus d'obéissance. La même année, Batailles dans la montagne, vaste roman épique aux nombreux personnages, conte l'engloutissement d'une vallée par un déluge d'eau et de boue. Saint-Jean comme Giono est partagé entre la tentation de s'évader, tel Icare, dans les hauteurs de la création, où rien ne se bat, et la participation au commun combat. Le dénouement, de nouveau, est amer. Dans l'essai visionnaire Le Poids du ciel 1938, l'auteur définit une position politique qui ne changera plus guère. Il y récuse avec force non seulement le fascisme, mais aussi le communisme soviétique par lequel il avait été tenté comme beaucoup d'écrivains de son temps. Il émet en effet une réserve majeure vis-à-vis des tentatives de suppression révolutionnaire de l'aliénation capitaliste, d'ailleurs violemment dénoncée : parce qu'elles perpétuent la civilisation industrielle technicienne génératrice de guerre, celles-ci tiennent les hommes éloignés de l'obéissance aux lois cosmiques qui suppose une réinsertion dans le devenir universel. Seul le travail individuel et sensuel de la matière – celui du petit agriculteur indépendant et de l'artisan – autorise la participation au mouvement de transformation continu qui est le monde. Inversement, noyé dans les masses que manœuvre la volonté de puissance des chefs, l'individu perd sa raison d'être et sa beauté .

Les Messages qui se succèdent jusqu'en 1939 Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Précisions, Recherche de la pureté accentuent l'opposition de Giono aux totalitarismes en même temps que son refus d'une solution révolutionnaire. Le projet de roman des Fêtes de la mort, centré sur une insurrection paysanne contre la société industrielle, est abandonné en octobre 1938. Or ce renoncement à toute révolte active contre un ordre social qui dénature l'homme en le coupant de l'origine va avoir des conséquences considérables dans la suite de l'œuvre. Privée de débouché social, la force centrifuge individuelle aura tendance à se dépenser dans le jeu des passions, colorant du même coup la vision politique d'un scepticisme machiavélien Giono va devenir, à partir de 1948, un lecteur très attentif de Machiavel : On assouvit une passion égoïste dans les combats pour la liberté Voyage en Italie, 1953. Désormais, le théâtre cruel des passions remplacera ou doublera celui des opérations. Ainsi dans Deux Cavaliers de l'orage écrit de 1938 à 1942, mais publié en 1965. Détournée de la révolution, la force du désir s'invente un débouché narcissique : Marceau Jason, dit l'Entier comme le cheval, symbole de la force élémentaire, aime son jeune frère Ange, son reflet apollinien. Mais c'est se soustraire à l'impératif du mélange avec le Tout. Les deux frères s'entretuent : la force détruit l'être double qui voulait orgueilleusement la thésauriser. Les passions, en tant qu'elles se substituent au libre jeu des forces du désir dans le réel et tendent donc à fonctionner en vase clos, ne peuvent qu'être violentes, amères, désespérées. Ce sera bientôt la règle des Chroniques.

Une période de transition

Mais déjà une mutation a commencé de s'opérer : Entre 1938 et 1944 s'échelonnent une série d'œuvres de transition, dont chacune, à sa manière propre, apporte du nouveau et nous met sur le chemin des Chroniques R. Ricatte. Pour saluer Melville 1941 est un autoportrait indirect, comme toutes les Préfaces de Giono. Écrit au sortir de prison, ce livre, d'abord conçu comme un préambule à la traduction de Moby Dick, fait entendre un ton nouveau, où se marient ironie amère, pathétique et allégresse. Remplaçant la terre, la mer symbolise le monde désert pour l'homme, dès lors en proie à l'envie prométhéenne de s'égaler à cette démesure qui l'annule. Il n'est plus question pour Melville d'exprimer le monde perdu, mais le monde Melville : l'invention poétique crée un monde personnel qui ne peut plus guère se communiquer qu'à l'âme sœur, cette Adelina White qui joue donc le même rôle qu'Ange Jason et que, bientôt, la Pauline d'Angelo : elle est l'exutoire narcissique du désir. Or les œuvres composées pendant la guerre se caractérisent toutes par ce repli orgueilleux dans l'imaginaire. Deux pièces de théâtre, d'abord le théâtre est toujours pour Giono – s'il n'est de commande – le moyen de réfléchir les crises majeures. Dans La Femme du boulanger 1941, le boulanger, d'être abandonné par sa femme, est initié malgré lui à la trouble jouissance d'un manque plus fondamental, et apprend à se réapproprier le réel par son invention. Le Voyage en calèche 1943 opère un triple retrait : dans le passé, dans l'Italie paternelle et sous l'égide de Stendhal. Julio résiste, certes, à l'occupant, mais s'oppose en même temps à ceux qui, comme le colonel, dissimulent des appétits très personnels sous leurs prétentions révolutionnaires à faire le bonheur des autres. Sa principale arme est d'ailleurs le mensonge poétique, la création d'un univers d'images auquel il parvient à gagner Fulvia : les reflets de soi-même cessent provisoirement d'être une impasse et se retournent même en une Amérique. Mais c'est faire de nécessité vertu ; la mort demeure le seul véritable accomplissement.

Le retrait loin de la société s'accentue dans Fragments d'un paradis 1944, géniale paraphrase du Voyage de Baudelaire, où une navigation à la Moby Dick vise à restituer les conditions d'une confrontation régénératrice avec la naturelle démesure d'un monde paradis que figurent les monstres sortis des grands fonds. Mais il tourne à l'enfer pour des hommes qui ne disposent plus de formes vraies, enracinées et ne sont pas encore tout à fait prêts à voyager dans l'indéfini labyrinthe des formes littéraires pour contrebalancer les séductions délétères de l'abîme : la monstruosité naturelle détruit l' entassement d'images où se cantonne d'ordinaire le désir humain et pousse à une vertigineuse dépossession, à une perte de soi mystique.

Giono sous l'Occupation on peut lire désormais dans la Pléiade le passionnant Journal de l'Occupation ? Résumons les faits. On a pu lui reprocher surtout la publication de Deux Cavaliers de l'orage dans La Gerbe de décembre 1942 à mars 1943, hebdomadaire où les articles sur Giono étaient très fréquents, la parution de Description de Marseille le 16 octobre 1939 fragment de Chute de Constantinople, une œuvre avortée, précisément parce qu'elle s'efforçait malgré tout d'embrasser l'Histoire dans la Nouvelle Revue française de Drieu La Rochelle en décembre 1942 et janvier 1943, et un reportage photographique sur lui dans Signal en 1943. Sans parler de l'utilisation par le régime de Vichy de sa pensée réduite à une caricature retour à la terre » et à l'artisanat. Mais il est avéré d'autre part que Giono a caché et entretenu à partir de 1940 des réfractaires, des juifs, des communistes. Son œuvre porte des traces de cette résistance à l'hitlérisme : outre Le Voyage en calèche, interdit par l'occupant en décembre 1943, et dont le personnage de Julio se prolonge dans celui d'Angelo, résistant italien à l'occupant autrichien en 1848 Le Bonheur fou, il faut mentionner Angelo III, traqué par les troupes allemandes, dans le début inédit de Mort d'un personnage, et la mort de Clef-des-Cœurs dans le maquis Ennemonde. Voilà qui devrait mettre un terme à la légende d'un Giono collaborateur .

Le cycle du Hussard

En 1945, Giono conçoit le projet d'une décalogie contant alternativement l'histoire d'Angelo Pardi, jeune colonel de hussards piémontais, exilé politique en France, et celle de son petit-fils, Angelo III, vivant en France en 1945. La confrontation des deux époques se ferait au détriment de la seconde : Permettre par ce recul le sarcasme contre les temps actuels.Le projet est abandonné en 1947, mais quatre des livres prévus voient néanmoins le jour. Dans Angelo écrit en 1945, les désillusions politiques engendrent une très individualiste poursuite du bonheur sur le modèle de Stendhal, grâce à la création personnelle d'un climat passionné qui permette à la générosité du héros de s'épancher malgré tout, et à l'invention d'une âme sœur Pauline où il puisse à la fois projeter et recueillir son désir, comme dans un miroir.
Le problème s'aggrave dans Le Hussard sur le toit écrit de 1946 à 1951. Le choléra qui ravage la Provence appelle une lecture plurielle. Il est d'abord l'insoutenable incandescence d'un monde qui dévore les formes les splendeurs barbares du terrible été. Mais comme il est aussi la peur, l'égoïste repli sur soi que cette violence provoque chez les hommes, il devient, à l'échelle sociale, la barbarie dans l'histoire. Celle-ci suscite trois types de réactions : lâcheté et cruauté du plus grand nombre ; résistance de Giuseppe, le frère de lait d'Angelo, et de son organisation les communistes, dont la volonté de puissance prend pour alibi la liberté et le bonheur du peuple ; Angelo enfin. Sa conduite chevaleresque, sa fidélité à un idéal de grandeur qu'il retrempe sans cesse, pour s'y égaler, au spectacle de la grandeur du monde réalisent un équilibre supérieur entre les deux autres tendances, dans la mesure où lui aussi combat le choléra sans toutefois être guidé par des motifs égoïstes (il agira de même dans Le Bonheur fou, dernier roman du cycle, et où, parallèlement, il se dévoue passionnément à Pauline de Théus sans céder à l'appel vertigineux et mortel du monde et de la femme cette femme qui porte le prénom de la mère de l'écrivain, et dont il ne devient pas l'amant. Il aime et il se bat, mais jamais en pure perte. Pour ces deux raisons, il échappe à la troisième et principale forme du choléra : la maladie morale qui punit tous ceux qui, en avares , économisaient leur désir et se recroquevillaient dans leur peur. Cette maladie les obligera à laisser s'exprimer d'un seul coup, dans une liquéfaction-explosion libératrice, l'océan et le feu intérieurs, double métaphore de la force intérieure retenue. Le cholérique est calciné par la fièvre, il se vide et devient bleu comme la mer. C'est à cette fascination de la perte que cédait Pauline vieillie dans Mort d'un personnage achevé en 1946 parce que son désir était radicalement privé des formes habitables dont la perte d'Angelo symbolisait le manque atroce. L'amour d'un absent la conduisait à n'aimer plus que l'absence – à l'instar de l'écrivain, qui ne cessera plus de dire la jouissance amère du réel sur le mode de son manque ; or c'est la formule même de l'écriture, sur laquelle il a dû se replier une fois pour toutes, à son corps défendant.

Les Chroniques

Avarice, perte : telles sont les deux grandes postulations qui vont déterminer l'univers des Chroniques, mais qui étaient déjà présentes, en creux, dès le début de l'œuvre, dont la structure la plus profonde est et aura été celle de la perte indirecte, fragile synthèse des deux. Le choléra du Hussard, c'était en somme l'allégorie du tourniquet tragique dans lequel est pris le désir humain, rejeté dans l'avarice par la terreur de la perte, mais ne pouvant endurer la frustration qui en résulte qu'en vouant les autres à leur propre perte, pour en jouir par procuration. Cette partie capitale de sa production est d'abord sortie du projet formé par Giono après la guerre, alors qu'il était inscrit sur la liste noire du Comité national des écrivains et interdit de publication en France, d'écrire de courts récits alimentaires destinés à être publiés aux États-Unis. La deuxième de ces Chroniques, Noé 1948, définit l'avarice et la perte comme deux modes, opposés mais complémentaires, de gestion de la force interne. L'avare, amassant avidement l'or et surtout le sang de ceux dont il trame la perte, procède à une accumulation de la force et crée ainsi un monstrueux contre-monde, par refus orgueilleux et méprisant de la laisser se perdre, tandis que les hommes de la perte, saisis d'une irrésistible tentation, dilapident cette force pour se fondre avec elle dans le monde convoité. Comment jouir, sans se perdre, de l'apaisement mystique véritable dormition que procure la perte ? Les Chroniques explorent toutes les combinaisons possibles pour atteindre ce but. Noé élabore une solution au niveau du signifiant narratif en faisant proliférer des formes romanesques ouvertes, où le désir puisse se dilater sans y être enfermé, mais sans s'y perdre non plus : circulant dans le monde qu'il invente, il se conserve en soi. En outre, l'écrivain se ménage un nécessaire vertige. En effet, roman du romancier, cette fiction est faite du démontage des mécanismes qui l'instituent ; c'est exposer à tout instant à la ruine la création qui le sauve. Ainsi fera, dans Les Grands Chemins 1951, le personnage de l'Artiste, joueur de cartes qui triche au ralenti pour éprouver le vertige de perdre – jusqu'à sa vie. Un roi sans divertissement 1947 présente les principaux thèmes et caractères stylistiques des Chroniques. Dans la montagne du Trièves, l'hiver ferme le monde au désir humain, provoquant un insupportable ennui c'est aussi le cadre et le thème des nouvelles de Faust au village. Monsieur V... cherche un remède en faisant couler le sang de ses victimes sur la neige, comme l'écrivain, paradigme de l'avare, recrée sur la page blanche un monde aux couleurs du paon. Par victime interposée, il jouit ainsi de l'épanchement désiré. Tel est le cruel théâtre du sang. Langlois, limier lancé sur ses traces, a trop bien compris le sacrificateur et n'a de ressource que dans le suicide qui lui fait prendre, « enfin, les dimensions de l'univers . La forme narrative se caractérise par un nombre plus restreint d'adjectifs et d'images, un style oral dû à la présence de récitants, laquelle détermine un récit lacunaire, où abondent ambiguïtés et ellipses, et qui convient à une métaphysique du vide. Langlois reparaît dans Les Récits de la demi-brigade 1972, où il croise Laurent et Pauline de Théus, de sorte qu'un pont est jeté entre les Chroniques et le cycle du Hussard.
Une micro-société égoïste et mesquine exacerbe le jeu des passions dans Les Âmes fortes 1950 et Le Moulin de Pologne 1952. Dans le premier de ces deux romans, les trois versions contradictoires des rapports entre Thérèse et Mme Numance consacrent le primat de l'imaginaire tout en raffinant sa fonction : Thérèse projette sur sa très généreuse protectrice son propre penchant à la dilapidation passionnelle, et ce sang qu'elle perd indirectement, elle le dévore inexorablement, s'arrogeant ainsi le pouvoir d'anéantissement qui est d'ordinaire le propre du monde. Une révolte analogue contre l'ordre des choses anime la Julie du Moulin de Pologne 952, héritière du destin des Coste, lesquels aspirent secrètement à leur propre perte. Repoussée par la bonne société qui jalouse sa démesure sublime, Julie est réduite à substituer à la réalité son propre univers héroïque et tendre. Mais, dépossédée du réel, elle éprouve la séduction du néant, comme, à sa suite, son fils Léonce, en dépit de l'empire protecteur que construit autour d'eux M. Joseph, nouvelle image de l'écrivain dans sa fiction, s'efforçant en vain de soustraire ses créatures au vertige du rien auquel il ne cesse de succomber lui-même, par personnage de la perte interposés. Ces monstruosités psychologiques qu'enfante l'hypertrophie du désir chez les âmes fortes , Giono aime à les retrouver dans les faits divers Notes sur l'affaire Dominici et dans l'histoire Domitien, Le Désastre de Pavie. Il n'y survit lui-même que par son art, comme en témoigne, après Noé, l'admirable Déserteur 1966 : à l'instar du peintre de Nendaz, l'artiste est celui qui déserte l'en bas dévorant du monde et d'une société qui aliène la force des misérables. Il se réfugie dans les hauteurs, parmi les autres travailleurs, lui qui aide à vaincre l'ennui en travaillant la pâte du monde afin que naissent les formes où s'exprimeront les forces du désir. Il s'égale alors au Père en devenant à son tour un guérisseur. Est-ce à dire qu'il échappera au « destin ? L'énormité triomphante de l'ogresse d'Ennemonde 1965 défie une morale et un monde devenus décidément inhabitables ; mais, vieillie, elle finit par perdre ses formes pour mieux disparaître dans le cycle des métamorphoses terrestres. De même, le Tringlot de L'Iris de Suse 1970 trouve la vérité de sa quête d'absolu en renonçant à l'or accumulé pour aimer l'Absente.Ainsi se boucle une œuvre au romantisme tragique et allègre, où la passion, privée d'objet, s'est sublimée en passion de l'absence : du zéro.

Giono et le cinéma

Plusieurs cinéastes ont porté à l'écran des œuvres de Giono, avec un bonheur inégal. Marcel Pagnol est l'auteur de films de qualité, mais fort éloignés de l'esprit des textes Jofroi, Angèle, Regain, La Femme du boulanger. Il en va de même du Chant du monde de Marcel Camus 1965, des Cavaliers de l'orage de Gérard Vergez 1984, du Hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau 1995 et des Âmes fortes de Raoul Ruiz 2000. D'autres ont franchement maltraité leur modèle Émile Couzinet, Le Bout de la route, 1949 ; Christian Marquand, Les Grands Chemins, 1963. L'intérêt de Giono lui-même pour le septième art est ancien et vif, quoique balancé par sa méfiance vis-à-vis de l'industrie cinématographique. Des commandes l'ont poussé à écrire de plus en plus pour le cinéma. Il rédige dès 1942 un découpage technique du Chant du monde, jamais tourné, compose en 1956 le scénario de L'Eau vive qui présente sous une forme romancée les conséquences de l'édification du barrage de Serre-Ponçon. Avec l'équipe du film le réalisateur François Villiers, le scénariste Alain Allioux, il décide de porter à l'écran Le Hussard sur le toit, dont il écrira un scénario complet. Des difficultés de production empêcheront le projet d'aboutir, mais il en sortira un court métrage très original, Le Foulard de Smyrne 1958, conçu comme le banc d'essai du Hussard ; la description de l'invasion du choléra y est faite selon le procédé de la caméra subjective auquel Giono était fort attaché. La même technique inspire un autre court métrage : La Duchesse 1959, axé sur le brigandage légitimiste en Provence qu'on retrouvera bientôt dans les Récits de la demi-brigade. En 1959, Giono adapte Platero et moi de Juan Ramon Jiménez, mais le film ne se fera pas. La même année, il crée la Société des films Jean Giono, destinée à lui garantir la maîtrise de l'exploitation cinématographique de son œuvre. C'est elle qui produit Crésus, scénario original dont Giono assure la mise en scène. Un berger dont le rôle est tenu par Fernandel découvre les vertus d'une civilisation du pe après qu'une fortune démesurée a livré son désir au vertige du vide : la misère, c'est le désir.'est surtout dans l'adaptation qu'il écrit d'Un roi sans divertissement tournée par François Leterrier en 1963 que Giono se montre habile à manier le langage propre au cinéma, par la concentration du récit et le travail sur les couleurs. Il compose encore des commentaires pour des courts métrages L'Art de vivre, 1961 ; La Chevelure d'Atalante, 1966 ; 04, 1968. Au total, le cinéma aura offert à Giono la possibilité d'imprimer des formes narratives nouvelles aux thèmes obsédants qu'exprime toute son œuvre.

Le Hussard sur le toit

C'est en 1946 que Jean Giono 1895-1970 entreprend Le Hussard sur le toit. Mais des pannes d'écriture le forcent à en interrompre à deux reprises la rédaction. Six autres de ses romans voient le jour avant qu'il n'en achève l'écriture. La publication, en 1951, met un terme aux vicissitudes que l'auteur rencontrait depuis la Libération et qui avaient fait décliner son renom. D'emblée, Le Hussard obtient la reconnaissance de la critique et l'audience du grand public : 50 000 exemplaires sont vendus en un an. Il demeure le roman le plus célèbre de Giono et, à ce titre, a fait l'objet, en 1995, d'une adaptation cinématographique due à Jean-Paul Rappeneau.

Le mal obscur

Ce succès s'explique aisément. D'abord, parce qu'il décrit les ravages d'une épidémie de choléra dans la France du XIXe siècle, ce roman d'apocalypse, à l'instar de La Peste de Camus, paru quatre ans plus tôt, possède un impact émotif évident : Comment, dit le jeune homme, vous ne savez pas ? Mais d'où venez-vous ? C'est le choléra morbus, mon vieux. C'est le plus beau débarquement de choléra asiatique qu'on ait jamais vu ! ». Ensuite, contrairement à ses récits complexes et touffus d'avant-guerre, Giono adopte ici une technique narrative très sobre. Pas de télescopage des temps et des époques, mais la stricte succession des événements ; Le Hussard est une chronique. Pas d'intrigue fourmillante, mais une unité de temps, de lieu et d'action : une épidémie en Haute-Provence durant un été des années 1830. Pas de points de vue multiples sur l'action, mais un regard unique : tout ou presque est relaté, perçu ou deviné par Angelo, personnage central, constamment sur le devant de la scène.
À la fois témoin et acteur, Angelo ne se présente pas au lecteur. C'est par bribes que le récit fournit quelques indications qui permettent de retracer sommairement son histoire. Fils naturel de la duchesse Pardi, c'est un soldat de métier qui a acheté son brevet de hussard. Âgé de vingt-cinq ans, mêlé à des complots politiques, il a tué en duel un baron autrichien et dû fuir l'Italie pour la France. Il arrive en Provence au moment où, par une exceptionnelle canicule, s'abat l'épidémie de choléra. Traversant un hameau jonché de cadavres monstrueux, il rencontre un jeune médecin qui lui explique la nature du fléau avant d'y succomber.
Angelo poursuit sa route, en veillant à échapper aux patrouilles qui arrêtent les voyageurs pour les mettre en quarantaine. Parvenu à Manosque, il est accusé d'avoir empoisonné une fontaine où il s'est abreuvé. Échappant de peu à un lynchage, il se réfugie sur les toits de la ville – d'où le titre du roman. Après s'y être caché, il entre dans une maison où une jeune femme, Pauline de Théus, l'héberge, puis il aide une vieille nonne à laver les morts abandonnés.
Sortant de la ville, il campe dans les collines voisines où il retrouve Giuseppe, son frère de lait. Ils décident de rentrer en Italie, chacun de leur côté, afin d'œuvrer pour le bonheur de l'humanité. En chemin, Angelo croise Pauline qui tente de regagner le château de son mari. Ils font alors route ensemble et rivalisent de bravoure, repoussant des brigands, s'échappant de la forteresse où ils ont été enfermés. Mais Pauline est atteinte par le choléra. Angelo lutte toute une nuit pour faire refluer le mal et la sauve. L'ayant raccompagnée à Théus, il retourne chez lui : L'Italie était là derrière. Il était au comble du bonheur.
Angelo est un des personnages les plus attachants qu'ait créés Giono. Ce dernier a d'ailleurs fait de ce lointain cousin des héros de Stendhal la figure centrale de deux autres romans, Angelo 1958 et Le Bonheur fou 1957, qui composent avec Mort d'un personnage 1949, bouleversant récit des derniers jours de Pauline de Théus, son unique cycle romanesque.
Sa désinvolture, son irrespect de l'ordre social, son sens des réalités pratiques qui le fait s'inquiéter du confort de ses bottes ou de sa réserve de petits cigares introduisent une distance ironique et même humoristique par rapport au tragique de l'histoire. Cavalier et manieur de sabre émérite et intrépide, il provoque l'action et contribue ainsi à donner au roman sa dimension picaresque : Le Hussard est une suite de saynètes variées qui font apparaître quantité de figures pittoresques et évitent la monotonie que pourrait engendrer la seule description de l'épidémie. Enfin, Angelo est un noble, respectueux d'un idéal chevaleresque, fait d'altruisme et d'assistance aux plus faibles, qui l'amène non pas à fuir le choléra, mais à le combattre.

Du réalisme au merveilleux

Le roman picaresque prend alors les allures d'une épopée, pour laquelle l'auteur a dit s'être inspiré de L'Arioste. Le réalisme fait place au surnaturel, la chaleur métamorphose les paysages coutumiers : « Le ciel de craie s'ouvrait sur une sorte de gouffre d'une phosphorescence inouïe d'où soufflait une haleine de four et de fièvre, visqueuse. » Les animaux les plus familiers, rossignols ou hirondelles, se transforment en monstres carnassiers. Le choléra lui-même revêt des signes cliniques inédits ; Giono lui prête des traits de la peste et invente même certains symptômes, comme « cette matière blanchâtre, semblable à du riz au lait » que dégorgent les mourants.

Tout cela a parfois incité les critiques à voir dans Le Hussard autre chose qu'une simple histoire d'épidémie et notamment une allégorie de la guerre. D'ailleurs, dans le roman lui-même, un médecin expose une conception philosophique selon laquelle le fléau n'atteint pas les hommes par hasard : c'est leur orgueil qui les conduit vers le mal. Mais Giono récusait toute symbolique, le choléra est d'abord un verre grossissant qui permet à Angelo de voir les hommes, non tels qu'ils apparaissent dans les circonstances ordinaires de la vie, mais tels qu'ils sont réellement .

Roman philosophique ou roman moral, Le Hussard est aussi un grand roman d'amour. Amour non seulement platonique, mais même entièrement non dit puisque Pauline et Angelo n'échangent ni gestes ni paroles intimes, il n'en trouve pas moins son expression et son paroxysme lorsque Angelo frictionne jusqu'à l'épuisement le corps de sa compagne de route pour éviter qu'il ne se cyanose, arrachant celle-ci à la mort.

Un roi sans divertissement

Rédigé à la fin de l'été 1946, en à peine plus d'un mois, publié en 1947, Un roi sans divertissement est le premier d'une série de récits d'un genre nouveau chez Jean Giono : celui des chroniques romanesques. Au contraire des romans d'avant guerre, comme Le Chant du monde 1934, Le Grand Troupeau 1931 ou Batailles dans la montagne 1937, qui construisaient des mythologies intemporelles où la nature tenait le rôle principal, ces œuvres s'inscrivent dans le temps et placent l'homme au premier plan : Il s'agissait pour moi, écrit l'auteur en 1962, de composer les chroniques, ou la chronique, de ce „Sud imaginaire“ dont j'avais, pour mes romans précédents, composé la géographie et les caractères .... Je voulais, par ces chroniques, donner à cette invention géographique sa charpente de faits-divers tout aussi imaginaires.
1. Un fait-divers sous Louis-Philippe
C'est donc sur un fait-divers, dont l'histoire est reconstituée par un narrateur contemporain de Giono, que s'ouvre Un roi sans divertissement : les disparitions mystérieuses de paysans dans un petit village du Trièves Dauphiné, durant l'hiver de 1843. Dépêchée sur place, la gendarmerie, avec à sa tête le capitaine Langlois, enquête et surveille en vain : les rapts continuent, et un cochon est retrouvé tailladé à coups de lame. Par hasard, un villageois surprend un étranger sortant des frondaisons d'un grand hêtre où l'on retrouvera les cadavres des disparus. Intrigué, il le suit jusqu'à Chichiliane, de l'autre côté de la montagne. Là, il demande à qui appartient la maison bourgeoise où il a vu entrer cet inconnu. C'est celle de M.V., M. Voisin, explicite Giono dans le manuscrit, c'est-à-dire non pas un monstre, mais « un homme comme les autres ». Alerté, Langlois se rend au bourg avec une escouade. Puis il convainc M.V. de sortir dans la rue, échange quelques mots avec lui avant de l'abattre de deux coups de pistolet dans le ventre.
Langlois démissionne alors de la gendarmerie, mais demeure dans le village du Trièves. Le procureur royal, son ami, le fait nommer commandant de louveterie. Un loup énorme décimant les troupeaux, Langlois organise une battue, accule l'animal à la montagne et le tue, comme il l'a fait de M.V. : Ainsi donc, tout ça, pour en arriver encore une fois à ces deux coups de pistolet tirés à la diable, après un petit conciliabule muet entre l'expéditeur et l'encaisseur de mort subite !
Ce double exploit accompli, le héros semble peu à peu rongé par un mal intérieur. Ses amis, le procureur royal, Madame Tim, vieille et munificente châtelaine d'origine créole, Saucisse, ancienne fille des rues et truculente tenancière d'auberge, tentent d'empêcher sa dérive. Il les emmène en visite chez une veuve nécessiteuse dont on devine qu'elle fut la femme de M.V. Il construit un bongalove. Il épouse Delphine, recrutée par les bons soins de Saucisse. Un soir, au lieu de l'habituel cigare, Langlois allume à ses lèvres un bâton de dynamite : Et il y eut, au fond du jardin, l'énorme éclaboussement d'or qui éclaira la nuit pendant une seconde. C'était la tête de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l'univers.

Le poison de l'ennui

À sa parution, Un roi sans divertissement déconcerta les lecteurs. Cette œuvre, dont la construction est complexe, demeure difficile à appréhender. Le narrateur cédant la parole à divers intervenants, on ne sait plus toujours très bien qui parle ni d'ailleurs à quel moment se situe l'action, en raison d'oscillations continuelles entre le XXe siècle, temps du récit, et le XIXe siècle, temps de l'action.
L'œuvre est également composite dans son ton et dans son style. Giono voulait que ses chroniques ressemblent à des opéras-bouffes, qu'elles mélangent farce et drame. Passant sans cesse du coq à l'âne, Un roi sans divertissement fait se succéder goguenardise et gravité, débraillé et précieux, tragique et burlesque.
Enfin, le roman cultive l'implicite et le non-dit. Ni le narrateur ni l'auteur ne proposent de commentaire. Langlois lui-même, introverti, mystérieux, ne livre rien de ses pensées. Aussi la clé de l'histoire est-elle à chercher dans la citation de Pascal qui conclut le roman et lui donne son titre : Un roi sans divertissement est un homme plein de misères.
Qu'est-ce ici que l'absence de divertissement ? C'est le carcan de l'hiver, le paysage désespérément blanc et gris. Tout le contraire de la messe de Noël, avec l'or de son ciboire et de ses chasubles, de la chasse avec ses tenues d'apparat et ses sonneries de cors, ou encore du sang d'une oie égorgée qui s'égoutte sur la neige.
Tous ces cérémonials fascinent Langlois parce qu'ils comblent le vide d'un monde sans substance. Meurtrier à deux reprises, le héros prend peu à peu conscience que l'ennui fait naître chez lui les mêmes pulsions sadiques que chez M.V. C'est pourquoi il veut connaître son épouse et même ses objets familiers, pour saisir sa personnalité. Pour lui aussi, la mort peut être un spectacle divertissant et la souffrance de l'autre un plaisir esthétique. Parce qu'il sent monter en lui ce besoin de cruauté, il met fin à ses jours.
Livre pessimiste, un des plus noirs que Giono ait écrit avec Les Âmes fortes 1950, Un roi sans divertissement, traversé de visions fulgurantes et oniriques, porté par le lyrisme de l'écriture, témoigne d'une extraordinaire puissance d'imagination. Le grand hêtre aux cadavres, la traque du loup dans le val de Chalamont ou la mort de Langlois sont autant de pages qui hantent à jamais la mémoire du lecteur.

Liens
http://youtu.be/ldybm1QDodc Entretien 1959
http://youtu.be/8-fBlUwq4AI interview 1
http://youtu.be/oWksWL_6iwg interview 2
http://youtu.be/RcueTeLeMwM Giono INA
http://youtu.be/SzrSl0z2Cro Le Hussard sur le toit du roman au film
http://youtu.be/MSlm0c5hMVY Regain lu par Henri Tisot
http://youtu.be/n5RmEWp-Lsk L'homme qui plantait des arbres lu par Philippe Noiret
http://youtu.be/NkV8JQKSvdA L'eau vive film de François Villiers en 1958

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Posté le : 29/03/2014 20:17

Edité par Loriane sur 30-03-2014 14:12:59
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Roger Martin du Gard
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Le 23 mars 1881 à Neuilly-sur-Seine naît Roger Martin du Gard

écrivain français mort, 77 ans, le 22 août 1958 à Sérigny dans l'Orne. Il est lauréat du prix Nobel de littérature de 1937
Peintre des crises intellectuelles et sociales de son temps, Jean Barois, 1913, il dressa dans les Thibault 1922-1940 le tableau d'une famille française au début du XXe siècle. Au théâtre, il collabora à la création du Vieux-Colombier, le Testament du père Leleu. Il a laissé un ouvrage inachevé, Souvenirs du lieutenant-colonel de Maumort, ainsi que son Journal. Prix Nobel de littérature 1937.

Martin du Gard occupe dans l'histoire du roman français de la première moitié du siècle une place importante, et assez particulière dans la mesure où, plus traditionnelle que novatrice, son œuvre a intéressé l'avant-garde littéraire en même temps qu'elle a touché le grand public. Partageant avec quelques autres entreprises romanesques la faveur des lecteurs qui cherchent à retrouver leurs habitudes, consacrée par le prix Nobel en 1937, elle a pourtant été adoptée dès le départ par les milieux de La Nouvelle Revue française, principale force novatrice de l'époque. La critique contemporaine a souvent conclu à l'anachronisme, donc à la sous-estimation de l'œuvre, et, avec une modestie surprenante, l'auteur lui-même s'est trouvé tenté de ratifier ce jugement. Cependant, dans la Bibliothèque de la Pléiade, où il est un des rares représentants de cette tradition romanesque tardive à figurer, le préfacier, qui est Albert Camus, ne craint pas de dire qu'au moment où Roger Martin du Gard commence à écrire, au début du siècle, il est peut-être le seul et, dans un sens, plus que Gide ou Valéry à annoncer la littérature d'aujourd'hui, pour conclure : il est notre perpétuel contemporain.
Très tôt, Roger Martin du Gard se montre plus passionné par la littérature que par les études. La découverte de Guerre et Paix l'oriente vers le roman de longue haleine, à personnages nombreux et à multiples épisodes. Après le baccalauréat, il entre à l'École des chartes où il reçoit une solide formation d'historien. À la fin de ses études, il se marie et, avec l'aide de ses parents, il peut se consacrer entièrement à ses projets d'écrivain. Après de longs efforts avortés, il publie Devenir ! 1909, le roman d'un raté pour exorciser sa hantise de l'échec. Puis, pendant trois ans, il travaille à Jean Barois, la fresque d'une vie entière à travers laquelle il intervient dans les grands débats d'idées de son temps – le conflit de la religion et de la raison, l'affaire Dreyfus et les intellectuels –, mais il met aussi au point une nouvelle forme de récit : le roman est découpé en scènes dialoguées, comme dans une pièce de théâtre. G. Gallimard édite le livre en 1913 et l'auteur se lie d'amitié avec le groupe de la N.R.F., Gide, Schlumberger, Copeau. Celui-ci représente avec un grand succès au Vieux-Colombier le Testament du père Leleu, farce paysanne écrite avec beaucoup de verve aussitôt après le roman.

Sa vie

Né à Neuilly d'une famille de magistrats et de financiers, après ses études secondaires, il fut élève au lycée Condorcet et peut consacrer sa vie à la littérature, Fénelon, Janson-de-Sailly – et un échec à la licence ès lettres –, Roger Martin du Gard est admis en 1903 à l'École des chartes, dont il sort, en 1905, archiviste-paléographe, avec une thèse sur les Ruines de l'abbaye de Jumièges. En 1906, l'année de son mariage et d'un séjour de plusieurs mois en Afrique du Nord, la lecture de La Guerre et la Paix ayant éveillé sa vocation de narrateur, il entreprend un roman en plusieurs volumes, Une vie de saint, minutieuse biographie d'un prêtre. Il ne parvient pas à l'achever, et, très ébranlé par cet échec, il consultera en 1908 divers psychiatres et neurologues. À la fin de l'année, il écrit d'un seul jet, à Barbizon, son premier roman, Devenir. L'année suivante, il commence un autre roman, Marie, qu'il pousse assez loin, mais abandonne et détruit.
Il a une vocation précoce d'écrivain, dont il a pris conscience en lisant le roman de Léon Tolstoï, Guerre et Paix. Pour attendre d'affirmer sa vocation de romancier, il entreprend des études de lettres mais échoue à la licence. Il décide alors de tenter le concours de l'École des chartes et obtient avec succès le diplôme d’archiviste paléographe en présentant une thèse sur l'abbaye de Jumièges. Il se marie avec Hélène Foucault en 1906, et en 1907 ils ont une fille : Christiane. Lors de leur voyage de noces, il commença à écrire un roman Une Vie de saint.

Les débuts

La publication de son roman Jean Barois en 1913 lui permettra de se lier d'amitié avec André Gide et Jacques Copeau. Dans l'étonnant roman dossier qu'est Jean Barois, R. Martin du Gard ne cherche pas à démontrer. Il n'émet aucun jugement, il ne condamne pas, il n’absout pas : il décrit avec une volonté d'objectivité l'évolution de la religion contemporaine avec le modernisme qui semble en saper les fondements ou la séparation des Églises et de l'État en 1905.

Avec ses documents authentiques ou fictifs qui s'y trouvent insérés, la seconde partie constitue aussi la première représentation littéraire de l'Affaire Dreyfus et du procès Zola qui lui est lié. De la même façon qu'elle est aussi une des premières représentations littéraires de la crise moderniste. Charles Moeller oppose le Jean Barois de Roger Martin du Gard à l'Augustin de Joseph Malègue dans Augustin ou le Maître est là, un peu comme Victor Brombert. Pour le critique américain, le retour à la foi d'Augustin n'est pas un retour soumis au bercail, "is not a submissive return to the fold," mais une reconquête durement remportée à travers la souffrance et la lucidité a reconquest hard won through pain and lucidity, et qui n'est pas une abdication de l'intelligence.
Moeller pense que la foi avec laquelle renoue Jean Barois est du fidéisme.

Pour le théâtre, il écrit, Le Testament du père Leleu, farce paysanne en 1913, qui semble avoir inspiré G. Puccini pour la composition de son opéra Gianni Schicchi. La mise en scène de cette farce par Jacques Copeau qui venait alors d'ouvrir le théâtre du Vieux-Colombier marque le début d'une amitié très forte, grâce à laquelle Martin du Gard envisage la réalisation de pièces satiriques dans le cadre d'une Comédie nouvelle dont il développe une première vision. Ces perspectives ne connaissent pas un aboutissement, cependant, en raison des refus successifs qu'oppose J. Copeau aux propositions et essais de RMG. Celui-ci revient alors vers le roman.
Après la Première Guerre mondiale, en effet, Roger Martin du Gard conçoit le projet d'un long roman-fleuve, ou roman de longue haleine dont le sujet initial s'intitule deux frères. De fait, le roman en huit volumes ensuite intitulé Les Thibault va l'occuper des années 1920 à 1940, date de publication du dernier volume, Épilogue. De nombreux souvenirs d'enfance vont marquer cette saga notamment quand, entre 1890 et 1895 il habita Maisons-Laffitte dans une maison de l'avenue Albine au no 26 qui porte actuellement une plaque gravée de marbre blanc sur un des deux piliers du portail. À travers l'histoire de Jacques et Antoine Thibault qui sont liés à la famille de Fontanin, le romancier fait le portrait d'une classe sociale, la bourgeoisie parisienne, catholique ou protestante, universitaire, mais aussi en révolte dans le cas de Jacques Thibault, apprenti écrivain qui découvre le socialisme. Conçus comme une conclusion à une œuvre dont la réalisation menaçait de durer trop longtemps, les deux derniers volumes sont consacrés à la disparition des deux héros et mettent l'accent sur la Première Guerre mondiale.
L'Été 1914 décrit la marche à la guerre que ne peuvent empêcher ni les socialistes, ni les autres groupes pacifistes : révolutionnaire de cœur, Jacques Thibault ne saura que se sacrifier en lançant sur les tranchées un appel à la fraternisation des soldats allemands et français.
Racontant la lente agonie d'Antoine Thibault gazé pendant le conflit, Épilogue évoque la marche à la paix et s'interroge sur les propositions du président Wilson qui aboutiront à la création de la Société des Nations.

Départ de Paris

Il décide de s'installer à la campagne pour se mettre dans les meilleures conditions de travail : il vit d'abord dans le Cher, puis à Clermont, dans l'Oise, enfin au château du Tertre, à Bellême, Orne, qu'il achète en 1925 et où il mourra. De 1910 à 1913, il écrit son premier grand livre, Jean Barois, qui lui vaut l'attention et l'amitié des dirigeants de La N.R.F., Jean Schlumberger, André Gide, et aussi Jacques Copeau. Car le roman qu'est Jean Barois emprunte sa technique au théâtre, et Martin du Gard écrit peu après une farce paysanne, Le Testament du père Leleu, que monte le théâtre du Vieux-Colombier au début de 1914. À son retour de la guerre qu'il fera dans les services de l'intendance, il s'enferme à Clermont où il va accumuler notes et plans pour le nouveau roman, "l'histoire de deux frères, deux êtres de tempéraments aussi différents, aussi divergents que possible, mais foncièrement marqués par les obscures similitudes que crée, entre deux consanguins, un très puissant atavisme commun " : Les Thibault. Pendant dix-sept ans, de 1920 à 1937, le plus clair de son temps sera consacré à cette vaste entreprise qui l'éloignera presque constamment de Paris. Paraissent successivement Le Cahier gris et Le Pénitencier en 1922, La Belle Saison en 1923, La Consultation et La Sorellina en 1928, La Mort du père en 1929. De 1929 à 1930, Martin du Gard travaille au tome suivant, L'Appareillage, mais son abandon amène dans l'œuvre une longue interruption. C'est en 1936 seulement que paraissent d'un coup les trois tomes de L'Été 1914, suivis, en 1937, par Épilogue. C'est la fin des Thibault. Entre-temps, il avait écrit une second farce paysanne, La Gonfle en 1924, une nouvelle, Confidence africaine en1931, un drame en trois actes, Un taciturne 1932, une suite de tableaux campagnards, Vieille France en 1933, cruelle évocation d'un village normand.
Le prix Nobel de 1937 fut l'occasion d'un tour d'Europe : Suède, Danemark, Allemagne, Autriche ; et 1939 sera l'année d'un grand voyage aux Antilles et dans le golfe du Mexique. L'invasion allemande le trouve dans sa propriété du Tertre, qu'il abandonnera pour se réfugier à Nice, et c'est là qu'il entreprend son dernier roman, laissé inachevé, Souvenirs du colonel de Maumort. La mort d'André Gide, une correspondance considérable où les problèmes de la technique romanesque sont fréquemment abordés témoigne de leur amitié lui inspire, en 1951, un petit volume de souvenirs ; et, pour l'édition de la Pléiade de 1955, il rédige les Souvenirs autobiographiques et littéraires, qui portent en épigraphe : "Faire ressemblant est la seule excuse qu'on ait de parler de soi."
Il a voulu s'effacer dans son œuvre. Le style doit se faire oublier, pense-t-il ; il doit être la vitre la plus transparente entre le regard du lecteur et la réalité vue par le romancier, et qui n'est ressemblante que si, de l'auteur au modèle, aucune interférence ne se produit. Martin du Gard a le sentiment qu'il ne peut faire vivre Jacques ou Antoine Thibault qu'en s'écartant de leur chemin. Mais il est clair qu'un tel projet constitue un témoignage sur la nature de l'homme qu'il tente de mettre entre parenthèses. Modestie littéraire, tendance à la sous-estimation de soi dans l'apparence maintenue de la sérénité, acharnement au travail, sacrifice de la vie et des relations à l'œuvre : autant de traits qui font soupçonner une sorte de thérapeutique ; autant de moyens pour diminuer la pression d'une personnalité fortement égocentrique, d'un tempérament nerveux tyrannique, une obsession de la mort, de la maladie, de la souffrance physique anormalement développée. Ce n'est donc pas sans raison que l'écrivain tente de s'oublier dans l'œuvre. Mais y parvient-il ? Décrire le monde comme si l'on n'était pas soi : la réussite d'un tel projet, excellente comme thérapeutique, en limiterait singulièrement la portée. L'intérêt et l'actualité de l'œuvre viennent, au contraire, de la tension entre la tentative objective de l'art et une confidence, un engagement sous-jacent.
En 1930 paraît Confidence africaine, une histoire d'inceste.Ce livre joue un rôle dans le roman épistolaire de Katherine Pancol,Un homme à distance en 2002.

C'est en 1937, juste après la publication de L'Été 1914, que R. Martin du Gard se voit attribuer le prix Nobel de littérature.

Les années de la guerre

Il passe ensuite une majeure partie de la guerre 1939-1945 à Nice, où il prépare un roman resté inachevé, les Souvenirs du lieutenant-colonel de Maumort, qui sera publié à titre posthume dans une édition procurée par André Daspre.
Soutenue par l'engagement d'un groupe d'admirateurs, la publication de ses œuvres posthumes complexifie sa figure d'écrivain. De nombreux textes posthumes vont faire apparaître Martin du Gard comme un styliste spontané, attentif aux autres, parfois jovial. Commencé pendant la Première Guerre mondiale, son Journal décrit une vie familiale parfois difficile, raconte les réussites de l'amitié, fait la revue critique des textes contemporains et permet d'approcher la vie littéraire de l'époque : précédé de souvenirs, il a été publié par C. Sicard sous la forme de trois gros volumes. Ce sont également les joies de l'amitié ainsi que les aléas de la vie littéraire autour de la Nouvelle Revue française que mettent en lumière les très nombreuses lettres regroupées désormais dans de très intéressants volumes de correspondances, avec André Gide, avec Jacques Copeau, avec Eugène Dabit, avec Georges Duhamel, avec Jean Tardieu, à côté d'une Correspondance générale en dix volumes.
Des nouvelles figurent aussi parmi les posthumes La Noyade intégré au volume du Lieutenant-colonel de Maumort, Genre motus : elles s'inscrivent dans la continuité de celles que l'écrivain avait publiées de son vivant Confidence africaine.
Martin du Gard fait toute la guerre en temps que sous-officier dans un groupe automobile. Pacifiste, proche de R. Rolland, il passe ces années-là dans un état de révolte permanent. La paix revenue, il écrit l'histoire de deux frères de tempéraments aussi différents que possible mais marqués par un très puissant atavisme commun. L'histoire des Thibault, située de 1904 à 1918 est racontée dans un roman-fleuve en huit volumes. Les trois premiers paraissent en 1922-1923 : le Cahier gris et le Pénitencier sont surtout centrés sur l'adolescence difficile de Jacques, en révolte contre son père, un grand bourgeois conservateur ; dans la Belle Saison, Jacques réussit le concours de l'École normale, son frère Antoine devient un grand médecin. Trois volumes suivent en 1928-1929 : la Consultation est le récit d'une journée de travail d'Antoine ; dans la Sorellina, Antoine recherche Jacques qui a disparu ; la Mort du père est rapportée avec une grande intensité dramatique. En 1936, l'Été 1914 explique l'engrenage des événements qui a rendu la guerre inévitable ; alors qu'Antoine monte au front, Jacques, qui a lutté jusqu'au bout pour la paix, est tué dans une tentative suicidaire d'arrêter les combats. Le romancier, qui a voulu rappeler « la pathétique leçon du passé », reçoit le prix Nobel en 1937. Le cycle s'achève dans Épilogue en 1940 avec la mort d'Antoine, gazé, le jour de l'armistice. R. Martin du Gard a remarquablement réussi à analyser en profondeur ses personnages, à suivre la formation et le développement de leur personnalité mais en inscrivant leur destinée dans l'histoire générale de leur temps.
Parallèlement, il a écrit des œuvres très différentes. La Gonfle en 1928 est une sombre farce paysanne pour laquelle il a inventé une langue mêlée de patois divers, d'une grande force poétique. La nouvelle Confidence africaine en 1931 raconte l'inceste entre un frère et une sœur et, la même année, il fait jouer par Jouvet Un taciturne, la tragédie d'un homme qui se découvre homosexuel ; ces deux sujets, également scabreux, sont traités avec un tranquille insouci de la morale, Gide afin de présenter comme banals des comportements jugés aberrants. Une autre nouvelle, Vieille France en 1933, est formée de croquis villageois qui sont une satire sans pitié de la race maudite des paysans.
En 1940, devant l'avance allemande, sa femme et lui quittent la Normandie pour gagner Nice, où ils restent jusqu'à la Libération. Il a bientôt l'idée d'un vaste roman, présenté comme les souvenirs rédigés par un colonel retraité, né en 1881, comme l'auteur dans son château occupé par les Allemands. Il ne pourra achever son livre, gêné surtout par l'ampleur du projet. Mais il a assez avancé la rédaction de nombreux chapitres sur les années de formation de personnages, sur le temps de l'Occupation pour souhaiter leur publication en l'état : ce sera le Lieutenant-colonel de Maumort en 1983. Cette œuvre monumentale devait accueillir les expériences de toute la vie de l'auteur, affirmer des valeurs morales et intellectuelles que deux guerres monstrueuses semblaient avoir anéanties. Mais ces problèmes apparaissent à travers l'histoire de personnages qui ont leur propre logique et sont fortement caractérisés. R. Martin du Gard a toujours refusé de participer aux débats littéraires et politiques par des articles. Par contre, dans les milliers de lettres qu'il a écrites et son Journal, 3 500 pages de 1919 à 1949, il a engagé avec ses correspondants – ou avec lui-même – des discussions passionnées sur tous les grands problèmes de son temps, avec toujours la même exigence de lucidité. Ses Souvenirs autobiographiques et littéraires en 1955 donnent une idée précise de sa formation intellectuelle et de sa conception d'une littérature objective.
L'œuvre a été la grande affaire de sa vie : l'auteur a pu s'y consacrer librement et s'est efforcé de faire le vide et le silence à son profit.

Une vie d'écrivain, L'œuvre, ses registres et ses techniques

Il va de soi que tout n'y est pas également représentatif. L'œuvre dramatique est savoureuse, elle s'inscrit dans la tradition d'un naturalisme assez cru qui se souvient des fabliaux, mais elle n'a pas grande portée, Un taciturne va plus loin, mais les préoccupations qu'il éclaire sont marginales dans l'ensemble. C'est sur le roman que l'auteur joue sa vraie partie. Mais Devenir, "mauvais roman de jeunesse ", dit-il lui-même, ne nous intéresse qu'en fonction des livres futurs, et parce que ce portrait d'un écrivain raté est, au seuil de l'œuvre, l'aveu d'une vocation et une sorte d'exorcisme. Les sombres couleurs de Vieille France appartiennent sans doute à la vision de l'auteur, mais rien n'y dit sa pensée, ses inquiétudes. Par contre, l'admirable Confidence africaine appartient, comme La Baignade, récit non moins admirable qui s'insère dans les Souvenirs du colonel de Maumort, et comme le récit inséré dans la Sorellina, à la veine de ces œuvres courtes, aérolithiques, que l'on pourrait croire d'un autre écrivain, et l'auteur les attribue parfois à l'un de ses personnages, parce que l'affleurement de la confidence s'y fait plus sensible. Ce sont pourtant là des hors-d'œuvre, l'ambition de Martin du Gard étant évidemment d'associer éléments internes et éléments externes dans l'architecture la plus complète, la plus complexe, et aussi la plus claire.
De cette ambition, Les Thibault sont l'exemple le plus imposant. Mais Jean Barois ne doit pas être oublié. Techniquement, ce roman écrit dans le style du théâtre, entre les dialogues, il n'y a que des raccords descriptifs ou narratifs analogues à des indications de mise en scène témoigne d'un souci de renouvellement et d'expérimentation formelle ; et la subordination du récit à la scène, de l'intérieur à l'extérieur, la réduction de la perspective au champ du présent situent la recherche sur un plan de modernité. Mais cette technique objective est ici l'expression d'une problématique morale. Le héros rencontre, à l'occasion de l'affaire Dreyfus, le conflit de la religion et de la science, de la raison et de la foi. Discordance trop visible pour n'être pas consciente ; tout se passe comme si l'auteur avait tenté de compenser par l'extériorité de la diction l'intériorité des choses dites ou suggérées. Inversement, les Souvenirs du colonel de Maumort choisissent la première personne, la forme d'une autobiographie fictive, et sans doute le soubassement subjectif de l'œuvre est-il ici plus que partout découvert ; il n'en reste pas moins que le livre devait aussi constituer un tableau de la bourgeoisie française à la fin du XIXe siècle, et que l'on y retrouve, mais en sens contraire, une interrogation technique : un contenu objectif peut-il avoir un moyen d'expression subjectif ? Le fait d'engager, au seuil et au terme de son œuvre, de telles expérimentations dans des voies unilatérales prouve que le traditionalisme de Martin du Gard n'a rien à voir avec l'innocence d'une routine. Mais l'expérience de Jean Barois n'a pas été poursuivie ; celle de Maumort n'a pas abouti à une œuvre achevée, parce que le temps a manqué, mais surtout parce qu'une hésitation perpétuelle a pesé sur les modes techniques du livre, comme en témoignent les passages du Journal publiés dans les Souvenirs autobiographiques et littéraires, par exemple (mars 1943 :
" La seule chose que je sache faire à peu près, c'est de mettre le lecteur en prise directe avec la scène que je lui décris ; pour donner vie à mes personnages, il me suffit le plus souvent de les laisser agir et parler... école de Tolstoï, et non pas école de Proust... Comment un Maumort, septuagénaire, lorsqu'il évoque un événement de sa jeunesse, pourrait-il le mettre en scène ?... Me suis-je engagé dans une mauvaise voie ?"
La seule chose que je sache faire... Il est vrai que c'est dans la technique toute classique des Thibault qu'il a trouvé son véritable support.

Les Thibault

Les Thibault sont conformes à la tradition romanesque du XIXe siècle, dont ils sont un tardif prolongement. Il s'agit d'abord de donner au lecteur l'illusion d'une histoire, de personnages, d'un milieu ; et si ces apparences communiquent quelque chose, ce sera la pensée des personnages, la leçon de l'histoire, et non point ce que l'auteur rêve ou conçoit pour son propre compte. Tout est subordonné à cet effet général de présence, de réalité, de vraisemblance. C'est pourquoi Martin du Gard utilise la technique traditionnelle, bien qu'elle soit, à la réflexion, un mélange peu cohérent de la perspective réduite des personnages et de la perspective étendue du narrateur omniscient, parce qu'elle est la plus naturelle et la plus efficace. Se contentant des procédés qui ont fait leur preuve, au moment où le roman cherche de nouveaux moyens parce qu'il ne prétend pas aux même preuves, Les Thibault sont sans originalité technique. C'est qu'en un sens, pour Martin du Gard, ni la technique ni le style n'ont d'importance."Je ne connais pas d'écriture plus neutre, et qui se laisse plus complètement oublier", disait Gide. Procédés d'expression et de narration ne sont bons qu'à laisser passer ; ils doivent montrer, non se montrer.

Mais le livre agit – et cela par des moyens qui se manifestent comme technique vivante, et non point empruntée ou prolongée. Et si son efficacité consiste à faire prendre des apparences pour la réalité elle-même, cet illusionnisme repose avant tout sur le choix du détail significatif. Nulle complaisance descriptive : si parfois les détails se pressent, c'est que chacun a sa valeur. Les Thibault partagent avec un petit nombre de romans le privilège de s'inscrire dans la mémoire, chaque moment ayant retenu le regard comme l'arête d'un objet que dessine la lumière.

Ce don, à vrai dire, relève moins de l'observation que de l'invention. Martin du Gard ne se raconte pas, mais ne raconte pas non plus une série d'événements dont il aurait été le spectateur. C'est lui qui produit événements et types humains. Et son art consiste à créer constamment les détails les plus significatifs et les plus cohérents. Les Thibault sont un grand livre avant tout par une succession de trouvailles qui sont des trouvailles vraies. Trouvailles qui consistent parfois à taire, au lieu de dire. Quelques mots, quelques gestes qui peuvent échapper à un lecteur inattentif suggèrent, par exemple, que les vrais rapports de Jacques et de son père ne se réduisent pas à l'hostilité apparente ; mais l'auteur ne nous en dit pas plus que les personnages n'en savent. D'autre part, l'invention consiste souvent à briser la logique abstraite d'un caractère pour le rendre à l'imprévisibilité de la vie. Où nous attendions Jacques, à la sortie du pénitencier, révolté ou brisé, nous le trouvons silencieux, etc. Il est vrai que, dans le roman, il représente la part du contradictoire. Mais Antoine le raisonnable est fait lui aussi de possibilités contradictoires, et nous ne savons jamais ce qui va monter à la surface sous le choc de l'événement.
Cette vérité vivante serait-elle aussi vivement saisie, à supposer qu'elle ne soit qu'un spectacle auquel le romancier demeurerait extérieur ? Comme tous les grands romans, Les Thibault sont un portrait de leur peintre. Tout ce que j'ai à dire passe automatiquement dans Les Thibault, confiait-il... Engagement de l'auteur dans l'œuvre, qui a besoin d'un dédoublement, il ne se confond ni avec Jacques ni avec Antoine, mais il donne à chacun une part de lui-même – et qui est sans doute plus intellectuel, plus philosophique qu'affectif. Car les amours de Jenny et de Jacques, d'Antoine et de Rachel semblent bien vues à distance. Il faudra attendre Maumort pour que s'entrouvrent les plus secrètes régions.

Obsessions et valeurs

De Jean Barois à Maumort, en tout cas, en passant par Les Thibault, l'œuvre révèle les problèmes qui ont hanté le romancier. Le problème de la mort, celui du sens de la vie personnelle, surgit du refus même de la croyance religieuse. Si Martin du Gard, comme Antoine Thibault, déclare souvent manquer de toute sensibilité religieuse, c'est dans ce vide, dont il ne cesse de s'inquiéter que son interrogation prend forme et s'exaspère. Jean Barois, roman du conflit entre la science et la foi, est dédié à un prêtre. Le dialogue entre Antoine et l'abbé Vécard occupe tout un chapitre de La Mort du père. Puisque la croyance religieuse est hors de portée, l' absurde de la vie se révèle sous la lumière de la mort. Les scènes de souffrance, d'agonie – de celle de Jean Barois à celle d'Antoine le médecin, qui en tient lui-même le journal minutieux, et le colonel de Maumort écrit lui aussi dans l'attente de sa fin – sont la trame même d'une œuvre où, bien qu'apparemment amenées par la logique extérieure des événements, elles rappellent d'un bout à l'autre l'obsession secrète du romancier.
Du vertige de l'à quoi bon, profondément éprouvé, chacun se défend pourtant par le sentiment d'une sorte de devoir. L'individu ne peut se sauver qu'en servant autrui, et Antoine, le sage, requis par sa tâche quotidienne et prenant en charge l'enfant de son frère, est plus près de la solution que Jacques le héros, dont le sacrifice est finalement inutile, parce que venu d'une solitude révoltée. Mais si le sens subjectif de la vie est dans la solidarité, il faut, pour qu'il soit fondé objectivement, que l'humanité ait un avenir. Autrement dit, Dieu ne peut être remplacé que par l'histoire. Antoine et Jacques meurent tous deux face à la guerre de 1914, qui met en cause la morale, l'humanisme auxquels ils ont cru.
Et quand Martin du Gard s'interroge sur ce qui reste d'une existence, et sur ce qui peut en faire la valeur, par le truchement du colonel de Maumort, une autre guerre est là, plus inquiétante encore. On comprend alors que ce devoir qui a fait reculer l'absurde s'est appelé pour lui un devoir d'écrivain, et qu'il prenne une conscience aiguë – que l'on peut bien dire contemporaine – des menaces que l'histoire fait peser sur tous les choix dans lesquels le devoir humain peut s'engager, du choix fait par l'auteur pour ses personnages à celui qu'il a fait pour son propre compte.

Publiées peu après la mort d'André Gide, les Souvenirs sur André Gide évoquent une des amitiés les plus importantes et enrichissantes qu'a connues cet admirateur de Tolstoï, de Flaubert et de Montaigne.
Roger Martin du Gard repose avec sa femme au cimetière de Cimiez sur les hauteurs de Nice.

Bibliographie

Devenir ! 1908
L'Une de Nous 1909
Jean Barois 1913
Le Testament du père Leleu, farce 1913
Les Thibault : Le Cahier gris 1922
Les Thibault : Le Pénitencier 1922
Les Thibault : La Belle Saison 1923
Les Thibault : La Consultation 1928
Les Thibault : La Sorellina 1928
Les Thibault : La Mort du père 1929
Un Taciturne 1931
Vieille France 1933
Les Thibault : l'Été 1914 1936
Les Thibault : l'Épilogue 1940
Œuvres complètes dans la collection de la Pléiade avec une préface d'Albert Camus 1955
In memoriam en souvenir de Marcel Hébert in RMDG Œuvres complètes, La Péiade, Gallimard, Paris, 1955, p. 561-576.
Correspondance avec André Gide posthume 1968
Correspondance générale 1 1896-1913 posthume 1980
Le Lieutenant-colonel de Maumort posthume 1983
Journal I Textes autobiographiques 1892-1919 posthume 1992
Journal II 1919-1936" posthume 1993
Journal III 1937-1949 Textes autobiographiques 1950-1958 (posthume 1993
Correspondance générale X 1951-1958" posthume 2006

Liens

http://www.ina.fr/video/CPC94000496/r ... u-gard-journal-video.html Le journal Ina
http://www.ina.fr/video/CPF10005811/j ... martin-du-gard-video.html Le fond et la forme correspondance de Jacques Copeau et Martin du Gard
http://www.ina.fr/video/CPC93005803/olivia-olivia-video.html Un jour un livre Olivia traduit par Martin du Gard

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Posté le : 22/03/2014 23:03
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Stendhal
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Le 23 mars 1842 à Paris, à 59 ans, meurt Marie-Henri Beyle, connu sous le

pseudonyme de Stendhal


né le 23 Janvier 1783 à Grenoble, écrivain français, réaliste et romantique, connu en particulier pour ses romans Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme, Lucien leuwen.
Stendhal est fâcheusement réduit, de nos jours, à l'état de classique du roman : encore n'en connaît-on ordinairement qu'un ou deux titres. Stendhal s'éloigne, et l'on méconnaît le rôle magistral qu'il a joué dans la littérature française du XXe siècle et l'exceptionnelle présence qu'il a été, lui seul ou presque parmi les écrivains du romantisme.


Mythe moderne, que lui-même a sans doute voulu et créé, mythe qui repose sur une certaine " sacralité "de l'auteur, sans laquelle son œuvre ne peut être ni saisie ni comprise, mythe enfin qui se confond avec l' égotisme, autre invention de Stendhal, ou mieux d'Henri Beyle, qui unit l'homme et l'œuvre, et brouille les distinctions entre littérature et existence. L'égotisme chez Stendhal, c'est d'abord l'affirmation d'un moi fort : tout événement vaut par la conscience qu'il en prend ; il doit éprouver et connaître, c'est-à-dire se connaître éprouvant, explorer et apprécier son moi dans l'acte de se réfléchir et de se saisir. Étant à lui-même son propre idéal, l'être stendhalien vit et écrit d'un même mouvement. L'œuvre de Stendhal se confond donc avec sa vie, qui inversement devient une œuvre, et Stendhal est d'abord l'auteur dont l'existence révélée, exhibée et cachée par lui-même est contenue dans la masse des textes qui la rapportent, et qui vont du journal intime presque continu de 1801 à 1817, de l'œuvre épistolaire, à l'autobiographie, deux essais inachevés, Souvenirs d'égotisme, 1832 ; Vie de Henry Brulard, 1835-1836, au journal de voyage fictif et à la fiction complète. Son moi, trop riche pour être contenu dans un nom, ne cessera, à travers l'usage des pseudonymes, de produire des dizaines de fausses identités. Une étrange graphomanie le conduit à écrire son moi sur tout support : meubles, vêtements, boîtier de montre, les livres des autres et les siens sur lesquels il griffonne d'innombrables marginales.
Stendhal aurait voulu consacrer sa vie à la rêverie, à la chasse au bonheur, aux arts et à l'amour ; bien malgré lui, il eut une vie mouvementée.
Après la mort d'une mère trop aimée, il souffre d'une enfance étouffante à Grenoble auprès d'un père qu'il méprise et d'un grand-père qu'il adore. Il trouve refuge dans la littérature avant de s'échapper de Grenoble en 1799 pour aller étudier à Paris. En réalité, il s'est découvert une vocation, et abandonne ses études : il veut être comic bard, il rêve d'écrire des comédies. Ses cousins Daru le forcent à entrer au ministère de la Guerre. C'est ainsi qu'il est envoyé à Milan en mai 1800. Il découvre, émerveillé, en même temps la guerre, l'Italie, l'opéra, l'amour et le bonheur. Il ne cessera de retourner en Italie entre ses missions administratives. De tempérament timide et romanesque, souffrant de l'hypocrisie de la société de son temps, il invente pour lui-même une méthode pratique du bonheur, le beylisme.
Perdant son emploi au moment de la chute de l'Empire, il se consacre à ses passions : l'Italie, la musique, la peinture. Il écrit Vie de Haydn, Mozart et Métastase, puis Histoire de la peinture en Italie, dont il perd le premier manuscrit dans la Retraite de Russie, et Rome, Naples et Florence, journal de sensations plutôt que guide touristique. En 1819, son chagrin d'amour pour Matilde Dembowski lui fait écrire un traité, De l'amour, tentative d’analyse du sentiment amoureux, paru en 1822, dont à peine quarante exemplaires seront vendus. C'est à partir de 1827, à l'âge de quarante-quatre ans, qu'il se lance dans le roman, avec Armance, mal compris de ses contemporains ; puis c'est Le Rouge et le Noir, paru juste après la Révolution de Juillet 1830, qui lui confère une certaine notoriété, dont il ne profite pas, ayant été nommé consul à Civitavecchia par le gouvernement de Juillet. Malgré l'ennui dans lequel le plongent ses nouvelles fonctions, Stendhal ne cesse d'écrire : il commence des autobiographies, Souvenir d'égotisme, Vie de Henry Brulard et des romans, Lucien Leuwen, Lamiel, qu'il n'achève pas. Lors de l'un de ses congés à Paris, il écrit La Chartreuse de Parme, qui suscite l'admiration d'Honoré de Balzac. Il meurt à Paris d'une crise cardiaque en pleine rue le 23 mars 1842.
Ses romans de formation Le Rouge et le Noir en 1830, La Chartreuse de Parme en 1839 et Lucien Leuwen, inachevé ont fait de lui, aux côtés de Balzac, Hugo, Flaubert ou Zola, un des grands représentants du roman français au xixe siècle. Dans ses romans, caractérisés par un style économe et resserré, Stendhal cherche la vérité, l'âpre vérité dans le domaine psychologique, et campe essentiellement des jeunes gens aux aspirations romantiques de vitalité, de force du sentiment et de rêve de gloire.

Sa vie

Le docteur Henri Gagnon, son grand-père
" Tout mon malheur peut se résumer en deux mots : jamais on ne m'a permis de parler à un enfant de mon âge. Et mes parents … m'honoraient d'une attention continue. Pour ces deux causes, à cette époque de la vie si gaie pour les autres enfants, j'étais méchant, sombre, déraisonnable... "
C’est ainsi que Stendhal résumera son enfance dans Vie de Henry Brulard.

Henri Beyle naît le 23 janvier 1783, 12 rue des Vieux Jésuites à Grenoble, fils de Chérubin Beyle, avocat consistorial, et d'Henriette Gagnon. Il avouera dans son autobiographie, Vie de Henry Brulard : " À six ans j'étais amoureux de ma mère. … Je voulais couvrir ma mère de baisers et qu'il n'y eût pas de vêtements. Elle m'aimait à la passion et m'embrassait souvent, je lui rendais ses baisers avec un tel feu qu'elle était souvent obligée de s'en aller. J'abhorrais mon père quand il venait interrompre nos baisers."
Elle meurt en couche le 23 novembre 1790, alors qu'il a sept ans. Là commence ma vie morale, dira Henri. Fou de chagrin, il ne peut pleurer. Sa tante Séraphie lui reproche son insensibilité. On lui explique qu'il s'agit de la volonté divine. Il en deviendra athée.
Le jeune Henri a peu d’estime pour son père, avocat au Parlement de Grenoble, homme taciturne, pieux, hypocrite, bourgeois qui ne pensait qu’à ses affaires financières. Le précepteur qu'on lui donne, l'abbé Raillane, va détériorer leurs rapports : Je haïssais l'abbé, je haïssais mon père, source des pouvoirs de l'abbé, je haïssais encore plus la religion au nom de laquelle ils me tyrannisaient.Entre son père, sa tante Séraphie, ce diable femelle et l'abbé Raillane, ennemi juré de la logique et de tout raisonnement droit, qui l'empêche d'aller se baigner avec les autres enfants par peur de la noyade, le jeune Henri passe une enfance malheureuse atténuée par la présence bienveillante de son grand-père maternel, Henri Gagnon, médecin célèbre de Grenoble, homme des Lumières, extrêmement aimable et amusant, qui l'initie à la littérature : Molière, Fénelon, Voltaire, Horace, Ovide, Dante, Le Tasse, Cervantès… Sa maison place Grenette, avec sa terrasse ensoleillée, voir appartement du docteur Gagnon devient l'antithèse de celle de son père, étroite, sombre, humide et, de manière générale, Henri voit dans les valeurs des deux branches de sa famille deux mondes que tout oppose : Le côté Beyle, c'est le pouvoir, l'avarice, l'insensibilité, l'ombre, le froid, la tristesse, le pédantisme, la vanité, … l'affection des parents et les dangers de la liberté. Contre eux, les Gagnons, la culture, la gaieté, la lumière, le plaisir, la beauté, la tendresse, la générosité et la fierté, la folie des chimères, rattachés à cette Italie dont l'enfant se persuade qu'elle est la patrie des Gagnons ….

La journée des tuiles à Grenoble.

Le 7 juin 1788, le jeune Henri assiste à la Journée des Tuiles du balcon de son grand-père, qui annonce les journées révolutionnaires de 1789. Par aversion pour la tyrannie familiale et la religion, Henri se sent républicain enragé. Sa famille est horrifiée de l'exécution de Louis XVI, lui, exulte. À l'arrivée des représentants du peuple, son père, considéré comme suspect, est incarcéré durant presque un an. Au printemps 1794, un Bataillon de l'Espérance est créé par les jacobins de Grenoble. Il veut les rejoindre, écrit une fausse lettre officielle, est découvert et grondé. En août 1794, il est délivré de l'abbé Raillane qui, ayant refusé de prêter serment, doit s'enfuir, puis, en 1797, c'est sa tante Séraphie qui meurt. Il se sent enfin libre.
Le 21 novembre 1796, à treize ans, il entre à l'École Centrale de Grenoble, école créée par la Révolution pour remplacer les collèges religieux. Il s'y fait, enfin, des camarades de son âge et se passionne pour les mathématiques, science logique par excellence. À l'automne 1798, il fait un coup d'éclat avec ses camarades : ils tirent au pistolet sur l'arbre de la Fraternité. L’adolescence est l’âge des premiers émois où la découverte de l’amour se mêle à celui de la musique : il s'éprend d'une comédienne, Virginie Kubly, membre d'une troupe itinérante, qui joue dans des pièces ou des opéras. Amoureux fou, il essaye divers instruments de musique et le chant, sans succès.
C'est grâce à un prix en mathématique qu'il peut fuir Grenoble en octobre 1799, à seize ans, pour tenter d’entrer à l'École Polytechnique à Paris.

À Paris, 1799-1800

Pauline Beyle, sa sœur, son amie, sa confidente, son élève…
Henri arrive à Paris au lendemain du coup d’état du 18 brumaire an VII soit le 9 novembre 1799. Il est au début un opposant à Bonaparte et à l'Empire, qu'il raille dans son Journal, et auquel il ne se rallie que plus tard. C'est en réécrivant sa vie qu'il se prétend plutôt, enchanté que le jeune général Bonaparte se fit roi de France.Il loge près de l’École Polytechnique, alors installée rue de l’Université, puisqu’il doit y passer le concours d'entrée. Mais son vrai projet intime, est d’être un séducteur de femme et d’écrire des comédies. Désirant avec ardeur un cœur ami, tout en étant extrêmement timide, n’osant parler aux femmes, il se réfugie dans la rêverie :
" J'étais constamment profondément ému. Que dois-je donc aimer si Paris ne me plaît pas ? Je me répondais : “une charmante femme versera à dix pas de moi, je la relèverai et nous nous adorerons, elle connaîtra mon âme …“ Mais cette réponse, étant du plus grand sérieux, je me la faisais deux ou trois fois le jour, et surtout à la tombée de la nuit qui souvent pour moi est encore un moment d'émotion tendre… Très gauche, il se présente à son cousin Noël Daru, et à ses fils Pierre, secrétaire général au Ministère de la Guerre, et Martial, qui n’avait ni tête ni esprit, mais un bon cœur."

Pierre Daru, le cousin colérique et bienveillant à la fois.

Dans la solitude de sa petite chambre près des Invalides, il déchante. Il n’a nulle envie d’entrer à l’École Polytechnique et Paris le dégoûte, à s’en rendre malade : La boue de Paris, l’absence de montagnes, la vue de tant de gens occupés passant rapidement dans de belles voitures à côté de moi connu de personne et n’ayant rien à faire me donnaient un chagrin profond.Sa maladie s'aggrave, il est alité, fiévreux, délirant, perd ses cheveux… son cousin Noël Daru lui envoie un bon médecin puis le fait venir auprès de lui, dans son hôtel particulier de la rue de Lille. Lorsque Henri a repris des forces il essaye d'écrire des comédies, mais doute, hésite avec l'Opéra alors qu'il ne connaît pas les notes, n'arrive à rien… Les repas chez les Daru le mettent au supplice, par manque d'habitude des convenances, par timidité, il n'ouvre pas la bouche, et se déçoit lui-même : Qu'on juge de l'étendue de mon malheur ! moi qui me croyais à la fois un Saint-Preux et un Valmont …, moi qui, me croyant une disposition infinie à aimer et être aimé, croyais que l'occasion seule me manquait, je me trouvais inférieur et gauche en tout dans une société que je jugeais triste et maussade, qu'aurait-ce été dans un salon aimable!. Il multiplie les maladresses, les Daru se demandent s’il est imbécile ou fou. Durant toute cette période, il écrit abondamment à sa jeune sœur Pauline, sa confidente et son élève. Il essaye de former son esprit, lui conseille de lire, d’apprendre l’Histoire, l’arithmétique, l’orthographe, plutôt que de faire des travaux d’aiguille ou de fréquenter les religieuses.
Il ne sait que répondre à Noël Daru qui le presse de faire quelque chose, au moins se préparer à passer le concours de Polytechnique de la saison suivante, pour finir par lui imposer, en février, d’aller travailler sous les ordres de son fils Pierre au Ministère de la Guerre qui est en train de préparer Marengo. Il se rêvait Don Juan ou auteur de comédie à succès, il se retrouve secrétaire. Les débuts se passent mal : son écriture est illisible, il fait des fautes, il écrit cella au lieu de cela, met trop de en effet dans ses lettres, est terrorisé par son cousin, qu’il surnomme le bœuf furibond : Tout le monde à la Guerre frémissait en abordant le bureau de M. Daru ; pour moi, j'avais peur rien qu'en regardant la porte.
Ses souffrances prennent fin le 7 mai 1800. Il doit rejoindre la grande Armée avec Pierre et Martial Daru en Italie.

L’éblouissement milanais, 1800-1802

" J’étais absolument ivre, fou de bonheur et de joie. Ici commence une époque d’enthousiasme et de bonheur parfait. ": c’est le sentiment général de la traversée de la Suisse et de l’arrivée en Italie dont se souvient Henri lorsqu'il racontera cet épisode en 1836. Gai et actif comme un jeune poulain, il est heureusement accompagné dans son périple par le capitaine Burelviller qui lui donne des cours d’équitation et le protège des dangers du voyage. Il porte un sabre dont il ne sait pas se servir, monte pour la première fois à cheval, manquant de peu finir dans un lac, traverse le Grand-Saint-Bernard en longeant des précipices, essuie des tirs au fort de Bard… Malgré cela, tout l’émerveille. Lui qui a été si protégé durant son enfance, est fasciné par la nouveauté du danger et de la situation, par la beauté des paysages :
"Je ne demandais qu’à voir de grandes choses ".

Angela Pietragrua, la catin sublime.

Arrivé à Ivrée, il se rend au spectacle où Il matrimonio segreto de Cimarosa l’éblouit d’un bonheur divin. À partir de ce moment, Vivre en Italie et entendre de cette musique devint la base de tous ses raisonnements. Il arrive à Milan vers le 10 juin. Immédiatement cette ville devient pour lui le plus beau lieu de la terre. A peine arrivé, il croise Martial Daru qui le croyait perdu. Il le conduit à son logement, Casa d’Adda, dont l’architecture, la cour, le salon, les côtelettes panées qu’on lui sert… tout l’enchante. Ne pouvant peindre le bonheur fou, Stendhal arrêtera là sa Vie de Henry Brulard. C’est par son Journal, commencé en avril 1801, que l’on connaît son éblouissement pour la ville : la beauté des monuments, des femmes, les cafés, l’opéra surtout, La Scala, au décor fastueux, salon de la ville, où se retrouve toute la bonne société milanaise, chaleureuse, accueillante, tellement éloignée de la froideur et de la vanité parisienne. Le commissaire des guerres pour lequel il travaille, Louis Joinville, lui présente sa maîtresse, Angela Pietragrua, femme magnifique dont il tombe éperdument, et silencieusement, amoureux.
La bataille de Marengo, est livrée le 14 juin 1800. À la suite de la victoire, Henri doit accompagner Pierre Daru à la citadelle d’Arona, sur le lac Majeur. Il en profite pour visiter les îles Borromées. À son retour à Milan, il fréquente à nouveau les bals et les soirées. Tous ses amis se sont trouvé des maîtresses italiennes, mais lui, par timidité, par excès de romanesque, et ceci d'une une manière plus courante alors, va découvrir les femmes avec des prostituées.
Le 23 septembre 1800, il est nommé sous-lieutenant au sein du 6e régiment de dragons. En décembre, il est envoyé en garnison près de Brescia. Il s’y ennuie. Il revient à Milan dès qu'il le peut. Au printemps 1801, il tombe malade, probablement la syphilis contractée auprès des prostituées. Il restera fiévreux, avec des périodes de rémission. En décembre 1801, on lui accorde un congé de convalescence. Il revient à Paris début 1802.

Paris et Marseille, 1802-1806

Victorine Mounier, qu’il aime comme le bonheur sans réellement la connaître.
Après un passage par Grenoble où il est resté trois mois, il retrouve Paris sous un meilleur jour, puisqu’il continue de recevoir sa solde de sous-lieutenant. Il sort, fréquente les théâtres, les salons, commence à écrire des comédies, étudie le comique, suit des cours de danse, d'anglais, de grec ; il lit beaucoup : Hobbes, Destutt de Tracy, Vauvenargues, Hume, Goldoni, Alfieri… Le 20 juillet 1802, il démissionne de son poste dans l'armée. Son père lui envoie 200 francs par mois, pas assez pour Henry qui dépense pour ses cours, ses livres, son habillement… car, ne se trouvant pas beau, il tient à son élégance. Son manque d’argent le fait souffrir ; il lui attribue sa timidité, son manque d’assurance dans les salons et auprès des femmes : Un an de luxe et de plaisirs de vanité, et j'ai satisfait aux besoins que l'influence de mon siècle m'a donnés, je reviens aux plaisirs qui en sont vraiment pour mon âme, et dont je ne me dégoûterai jamais. Mais dans ce temps de folie, je me serai défait de ma timidité, chose absolument nécessaire pour que je paraisse moi-même ; jusque là on verra un être gourmé et factice, qui est presque entièrement l'opposé de celui qu'il cache… Dans ses lettres, il partage ce qu'il apprend avec sa sœur Pauline, lui fait part de ses pensées. Il flirte avec sa cousine Adèle Rebuffel… pour finir par coucher avec la mère de celle-ci, Madeleine. Le 2 décembre 1804, le Premier Consul se fait couronner Empereur par le Pape. Réaction méprisante d'Henri qui voit passer le cortège : cette alliance si évidente de tous les charlatans. La religion venant sacrer la tyrannie, et tout cela au nom du bonheur des hommes. Il tombe très amoureux de la sœur d’un ami, Victorine Mounier, rencontrée à Grenoble. La connaissant peu, il lui imagine mille qualités et rêve de mariage : Si j'allais dans les mêmes sociétés qu'elle, je suis sûr qu'elle m'aimerait, parce qu'elle verrait que je l'adore et que j'ai une âme, belle comme celle que je lui suppose, que son éducation … doit lui avoir donné, et qu'elle a sans doute ; et il me semble qu'une fois que nous nous serions sentis, et combien le reste du genre humain est peu propre à mériter notre amour et à faire notre bonheur, nous nous aimerions pour toujours. Il écrit d’abord à son frère, dans l’espoir qu'il fera lire les lettres à sa sœur puis à Victorine elle-même, sans recevoir de réponse.
Il prend des cours de déclamation chez Dugazon, afin de bien lire les vers. Il y rencontre Mélanie Guilbert, dite Louason, jeune comédienne, qui lui fait oublier Victorine. Il en tombe progressivement très amoureux. Très intimidé, il n’a pas l’esprit d’avoir de l’esprit en sa présence. Ils se voient tous les jours et s’embrassent beaucoup, mais Mélanie ne veut pas d’un amant de peur de se retrouver enceinte. Henri commence à s’accoutumer au bonheur.Ils sont amants le 29 juillet 1805, lorsqu'il la rejoint à Marseille où elle a obtenu un rôle au Grand Théâtre. À Marseille, il tente de se faire banquier, avec son ami Fortuné Mante, mais, son père ayant refusé de lui prêter les fonds nécessaires, c’est un échec. Sa vie de couple avec Mélanie finit par le lasser, il la trouve bête, tyrannique et geignarde, mais c’est elle qui part en mars 1806. Ennuyé par la ville, désœuvré, ruiné, il rentre à Paris le 10 juillet, renoue ses relations avec la famille Daru, leur demande un poste, qu'il obtient. Vers le 3 août il est reçu franc-maçon. Le 16 octobre 1806, il suit Martial Daru en Allemagne.

L’Allemagne et l’Autriche, 1806-1810

Le 18 octobre 1806, Henri écrit à sa sœur Pauline : Nous allons à Cobourg, mais l’empereur est sans doute bien en avant. Nous allons d'ici à Mayence, de Mayence à Wurtzbourg, de Wurtzbourg à Bamberg, de là, à Cobourg et de là, à la gloire.Le 27 octobre, Napoléon entre à Berlin, où Henri arrive peu après. Le 29, Henri est nommé adjoint aux commissaires des guerres et envoyé à Brunswick, où il arrive le 13 novembre. Accaparé par son emploi, il trouve tout de même le temps de suivre des cours d’équitation, de tirer au pistolet, d’aller au théâtre, au café concert, a des bals… et de tomber amoureux de Wilhelmine von Griesheim, la fille de l’ancien gouverneur de la ville, tout en couchant avec d’autres femmes. Il croit être heureux. Il n’aime pourtant ni la nourriture allemande composée de pain noir, de choucroute et de bière, Ce régime rendrait flegmatique l’homme le plus emporté. A moi, il m’ôte toute idée, ni leurs édredons, ni leur culture, il ignore Novalis, Hölderlin, Hegel…. Par contre, il s’enthousiasme pour Mozart. Pauline, après avoir suivi les injonctions à la liberté prodiguées par son frère un peu trop à la lettre, elle se promène à Grenoble en habit d'homme, rentre dans le rang et se marie à François Daniel Perrier-Lagrange le 25 mai 1808.
Le 11 novembre, il reçoit l’ordre de regagner Paris. Un médecin lui confirme sa syphilis. Il doit suivre un traitement rigoureux. Le 10 avril 1809, l'armée autrichienne passe à l'offensive, Henri doit retourner en Allemagne. Il est affligé du spectacle de la guerre a Ebersberg, ville et corps brûlés. Napoléon entre dans Vienne le 12 mai. Henri passe sous les ordres de Martial Daru, intendant de la province de Vienne. D'abord enchanté par le climat et la musique, il finit par s'ennuyer à mourir dans son emploi. En octobre, il pense plaire à Alexandrine Daru, l’épouse de Pierre, sans parvenir à la courtiser, il ne sait comment prendre ce ton galant qui permet de tout hasarder, parce que rien n’a l’air d’être dit sérieusement.Comme à son habitude, il prend une maîtresse plus accessible. Le 2 janvier 1810 il demande à être envoyé en Espagne . Sans attendre la réponse, il part pour Paris.

L’ascension sociale, 1810-1811

À Paris il retrouve Alexandrine Daru, dont il tente d’interpréter le moindre geste comme une preuve d’intérêt pour lui. Martial le propose comme auditeur au Conseil d'État, son père lui fournissant le revenu nécessaire à la fonction. Profitant d’un moment d'inactivité, Henri lit, fréquente les cafés et les salons où il éprouve la plus grande quantité d’ennui pur.Le 10 mai 1810, on lui ordonne de rejoindre Lyon. Il décide d'ignorer cet ordre, et continue à fréquenter les théâtres, à lire, à se promener, et à écrire : il reprend sa comédie qu'il ne finira jamais, Letellier. Il projette d'écrire des biographies de peintres ou de musiciens afin de pallier les ignorances de ses contemporains. Il alterne moments de bonheur et mélancolie. Il lui manque une maîtresse et les îles Borromées.
Il est officiellement nommé auditeur au Conseil d'État par décret le 1er août 1810, puis, le 22 août, il devient inspecteur de la comptabilité des Bâtiments et du Mobilier de la Couronne. Il est chargé de l'inventaire des œuvres d'art des musées et palais impériaux. Il s'est acheté un cabriolet à la mode, des cachets à ses initiales, loue un appartement plus conforme à son nouveau statut, qu'il partage avec un beau jeune homme, Louis de Bellisle. Sa situation sociale met fin a ses soucis financiers et lui fait espérer la baronnie, mais le laisse insatisfait : Ce bonheur d’habit et d’argent ne me suffit pas, il me faut aimer et être aimé.Et puis cet emploi lui prend son temps, ses moments de plaisir et de réflexion : Les affaires me pillent mon temps, je n'en ai pas pour huit à dix heures de travail ; cependant, je ne puis pas suivre un travail particulier. Le travail de réfléchir, du moins pour moi, ne se prend pas et ne se quitte pas comme un habit : il faut toujours une heure de recueillement, et je n'ai que des moments.
Depuis le 29 janvier 1811, il passe ses nuits avec Angelina Bereyter, une chanteuse d’opéra. Il ne peut s’empêcher d’y voir des inconvénients : Mon bonheur physique avec Angela m’a ôté beaucoup de mon imagination.Il rêve toujours d’Italie et voudrait qu'on l’envoie en mission à Rome, mais c’est Martial Daru qui y est envoyé. Le 17 mars 1811, il invente pour lui-même la notion de Beylisme dans son Journal : Crozet est toujours amoureux d’A., conduisant sa barque comme un niais, et il en est triste et attristant. C’est ce que je lui dis sans cesse à lui-même pour le rendre un peu beyliste. Mais il regimbe. La volupté n’aura jamais en lui un adorateur véritable, et il me semble presque irrévocablement dévoué à la tristesse et à la considération qu’elle procure chez ce peuple de singes.
Le 31 mai il trouve enfin le courage, après de longues hésitations qui le tourmentent, de se lancer dans la bataille et d'oser se déclarer à Alexandrine, lors d'un séjour dans le château des Daru de Becheville : Elle est troublée, mais lui répond qu'il ne doit voir en elle qu'une cousine qui a de l'amitié pour lui. Il va se coucher, partagé entre la peine et le soulagement de n'avoir plus de remords. Au moment de quitter Becheville, il tente de plaisanter malgré son chagrin : J'avais besoin de rire, car je me sentais une violente envie de pleurer.Triste, déçu, ennuyé par Angelina Bereyter qu'il ne désire plus, il demande, en août, un congé de quelques jours à Pierre Daru. En réalité, il a pris une place dans une diligence pour Milan.

Milan, Angela et l’Italie, 1811

Il arrive à Milan le 7 septembre, y retrouve les émotions de sa jeunesse mêlé au souvenir Angela Pietragrua : Je ne puis faire un pas dans Milan sans reconnaitre quelque chose, et, il y a onze ans, j’aimais ce quelque chose parce qu'il appartenait à la ville qu’elle habitait. Il se rend chez elle et lui avoue l’avoir aimée. Elle en est touchée et l’introduit dans les meilleurs salons de la ville. Ils se voient régulièrement, chez elle dans la journée, à la Scala le soir. Henri est à nouveau amoureux. Il est furieux contre lui-même de ne pas oser se déclarer, et finit, le 12 septembre, par tout lui confier. Ils s’embrassent, mais elle ne veut aller plus loin. Henri est déçu : Elle m’aime et l’ennui me saisit. C’est avoir en soi un principe de malheur. Il décide de partir le 22 septembre pour visiter l’Italie. Victoire juste avant son départ, le 21 ils sont amants. Il en inscrit la date et l’heure sur ses bretelles.
Il visite Bologne et Florence, qui le déçoivent, puis Rome où il est bouleversé par le Colisée. Il y rencontre Martial Daru, qui le presse de rentrer à Paris où son congé prolongé n’est pas du goût de son frère, Pierre. Mais Henri poursuit sa route et arrive à Naples début octobre. S’il n’aime pas le peuple napolitain, qu'il juge bruyant, ni la musique, ennuyeuse, il gardera un souvenir impérissable du Pausilippe. Après avoir visité Pompei et Herculanum, il rentre à Milan, visite Parme et revoit les îles Borromées. Il retrouve Angela à Varèse. Elle est inquiète, prétendant que son mari est au courant de leur liaison. Henri soupçonne plutôt un autre amant. Il rentre à Paris le 27 novembre 1811. L’accueil glacial de Pierre Daru ne l’empêche pas de retrouver ses activités à l’intendance de la Maison de l’Empereur, ainsi que sa vie de couple avec Angelina Bereyter, qui l’ennuie toujours un peu.
Le 4 décembre, Henri commence l’écriture de l’Histoire de la Peinture en Italie, se documentant à la Bibliothèque Impériale. Mais la guerre avec la Russie se prépare. Elle est officielle le 8 avril 1812, avec l’ultimatum d’Alexandre Ier.

La chute, 1812-1814

Le 23 juillet 1812, Henri se met en route, appelé par Pierre Daru, chargé de courriers et de paquets pour l’Empereur. Il rêvait d’action, de repartir en campagne, mais il ne peut s’empêcher de maugréer contre les sots qui l’entourent, la poussière de la route, le manque d’eau, de livres… et l’absence de linge de rechange : " Dans cet océan de barbarie, pas un son qui ne réponde à mon âme ! Tout est grossier, sale, puant au physique et au moral."Il s’extasie en revanche devant l’incendie de Smolensk qui vient d’être bombardée. Après la sanglante bataille de Borodino, l’armée pénètre dans un Moscou désert le 14 septembre. Les incendies éclatent peu après dans toute la ville. L’armée française pille les maisons dont les vitres éclatent sous la chaleur. Au lieu de voler du vin ou de la nourriture, Henri prend un volume des Facéties de Voltaire. L’armée est obligée de quitter la ville.
" Nous sortîmes de la ville, éclairée par le plus bel incendie du monde, qui formait une pyramide immense qui était comme les prières des fidèles : la base était sur la terre et la pointe au ciel. La lune paraissait, je crois, par-dessus l'incendie. C’était un grand spectacle, mais il aurait fallu être seul pour le voir. Voilà la triste condition qui a gâté pour moi la campagne de Russie : c’est de l’avoir faite avec des gens qui auraient rapetissé le Colisée et la mer de Naples. "
Fiévreux, pris d’une rage de dent, il a une révélation, en Italien : ce qu'il désire faire naître un jour, c’est un mélange d’allégresse et de tendresse, comme Cimarosa. Le 6 octobre, alors que Napoléon attend toujours des nouvelles du tsar, il est chargé de la direction des approvisionnements de réserve et des réquisitions. Il retourne à Smolensk le 7 novembre, avec 1500 blessés, puis repart immédiatement pour Vilna. Durant le trajet, il se fait attaquer par des cosaques, et perd le manuscrit de L’Histoire de la Peinture en Italie. Le froid terrible, températures de -40 °C, la faim, la fatigue ont réduit la Grande Armée en miettes. Henri à la bonne idée de passer la Bérézina le 27 novembre, la veille de la bataille, pourtant victorieuse et du désastre qui s’ensuivit : les ponts brulés, les blessés abandonnés. Le 30 décembre, il part pour Dantzig puis rejoint Berlin. Il est à Paris le 31 janvier 1813. Il a survécu à la Campagne de Russie.
Les souffrances de cette campagne l’ont vieilli et rendu amer : "Je suis actuellement dans un état de froideur parfait, j’ai perdu toutes mes passions, même si plus tard, auprès de ses amis, il fanfaronne en disant avoir pris la retraite comme un verre de limonade ".Il a perdu goût à tout, hormis à la nourriture, comme s’il rattrapait la période de jeûne forcé en Russie. Il retravaille Letellier, n’ayant pas le courage de recommencer L’Histoire de la Peinture en Italie. Il est pressenti pour recevoir une préfecture, comme tous ses collègues, ce qui le laisse perplexe : "Je serai un peu humilié de n’avoir rien ; d’un autre côté, être préfet autre part que dans les quatorze départements italiens est entièrement contre mes goûts les plus chers."
La guerre reprend, mais Henri n’a nulle envie d’y participer. Il est pourtant envoyé à Mayence le 19 avril. Le 20 mai c'est la guerre à Bautzen : tout ce qu'on peut voir d’une bataille, c’est-à-dire rien.Il voudrait qu’on l’envoie à Venise en attendant l’armistice, mais on l’envoie à Sagan. Pris de fièvre, il est envoyé en convalescence à Dresde, puis il peut enfin regagner à Paris le 14 août. Il en profite pour aller à Milan où il arrive début septembre. Le plaisir n’est plus le même, Angela a peut-être un amant, sans oser le lui avouer. Il en profite pour explorer Venise et le lac de Côme. Le 20 septembre son grand-père Gagnon meurt. Le 14 novembre il doit rentrer en France et rejoindre Grenoble s’occuper de la conscription. Henri tombe à nouveau malade. Il retourne à Paris fin mars 1814. Il assiste, indifférent, aux batailles qui font rage autour de la ville. Le 6 avril 1814, l’Empereur abdique. Henri écrira plus tard : Je tombai avec Napoléon en avril 1814. … Qui le croirait ! quant à moi personnellement, la chute me fit plaisir.
Louis XVIII entre dans Paris le 6 mai. Henri tente vaguement de proposer ses services au nouveau pouvoir, mais « trente mille nobles affluent par toutes les diligences pour tout demander. N’ayant plus rien à faire en France, il part à nouveau pour Milan.

Milan et Métilde, 1814-1821

Henri arrive à Milan le 10 août 1814. Angela l’accueille très froidement, arguant que les Français sont mal vus à Milan depuis le retour des Autrichiens au pouvoir. Il pense à nouveau que cela cache un amant. Il lui propose de partir ensemble à Venise, elle se dérobe. Il part pour Gênes. Il visite Livourne, Pise, Florence… À son retour à Milan, Angela veut mettre un terme définitif à leur relation. Il hésite à se brûler la cervelle, mais se met plutôt au travail. Il termine Vies de Haydn, Mozart et Métastase qui sera publié en janvier 1815 sous le nom de Bombet, et reprend son Histoire de la peinture en Italie. Il est rapidement accusé de plagiat pour Vies de Haydn, Mozart et Métastase par le musicologue italien Giuseppe Carpani auteur d’un essai sur Haydn. Pourtant coupable, il en a, en réalité, plagié bien d’autres, Henri lui répond dans la presse, se faisant passer pour son frère, avec humour et mauvaise foi : je prierais encore M. Carpani de nous dire s’il aurait la charmante prétention d’avoir servi de modèle au style plein de grâce, plein d’une sensibilité sans affectation, et qui n’exclut pas le piquant qui, peut-être, est le premier mérite de l’ouvrage de M. Bombet.

Au printemps 1815, le retour de Napoléon ne l'incite pas à revenir en France. La défaite de Waterloo lui fait dire que tout est perdu, même l’honneur.En juillet 1815, il est sous le charme de Venise. Il ne désespère pas d’y faire venir Angela, mais, après une brève réconciliation, l’amour est tué le 15 octobre 1815.Revenu malade à milan, il achève l’Histoire de la peinture en Italie entre deux saignées et crise de palpitations.
Il est présenté à Ludovico di Breme, dont la loge à la Scala est fréquentée par l’élite intellectuelle Milanaise: Silvio Pellico, Vincenzo Monti… Grâce à ces nouvelles rencontres, il découvre en septembre 1816, l’Edinburgh Review et un compte rendu de trois poèmes de Lord Byron, Le Corsaire, Le Giaour et La fiancée d’Abydos. C’est une révélation :
" Henri comprend que le véritable système romantique n’est pas allemand ; il est anglais et c’est celui que Byron met en œuvre, en célébrant les passions fortes. … C’est l’Edinburg Review qui lui ouvre la perspective d’une définition dynamique du beau moderne, conçu non pas comme la perfection des formes, mais comme une énergétique passionnelle.C’est donc, intimidé et très ému, qu’il rencontre Lord Byron, le 16 octobre dans la loge de Ludovico di Breme. Il le décrit à son ami Crozet : " un joli et charmant jeune homme, figure de dix-huit ans, quoiqu'il en ait vingt-huit, profil d’un ange, l’air le plus doux. … C’est le plus grand poète vivant…. Durant les jours qui suivirent, Henri lui fait visiter Milan. Il tente de l’impressionner en lui racontant des anecdotes fantaisistes sur la campagne de Russie et Napoléon, dont il fait croire qu'il était très proche.

Matilde Viscontini Dembowski, son grand amour malheureux

En avril 1817, il se rend à Paris, après un passage par Grenoble, pour donner son manuscrit à Pierre Didot. En août, il visite Londres. À son retour à Paris, sont parus l’Histoire de la peinture en Italie, sous son vrai nom, et Rome, Naples et Florence sous le pseudonyme de Stendhal. En novembre 1817, il retourne à Milan accompagné de sa sœur Pauline qui vient de perdre son mari. Il entreprend une Vie de Napoléon à partir de février 1818 pour répondre aux ouvrages de Madame de Staël.
En mars 1818, son ami Giuseppe Vismara, lui présente Matilde Dembowski. Son admiration pour celle qu'il appelle Métilde le paralyse de timidité et de maladresse : Je n'ai jamais eu le talent de séduire qu'envers les femmes que je n'aimais pas du tout. Dès que j'aime, je deviens timide et vous pouvez en juger par le décontenancement dont je suis auprès de vous. Dans un premier temps Matilde se montre touchée par cette adoration silencieuse. Mais subitement, elle se refroidit, probablement parce que sa cousine, Francesca Traversi, aurait dépeint Stendhal comme un séducteur.
Au printemps 1819 Stendhal ruine tous ses espoirs en suivant sous un déguisement, Matilde, qui était allée voir ses fils à Volterra. Elle ne le lui pardonnera pas, malgré ses nombreuses lettres d'excuses et n'acceptera de le revoir que sous certaines conditions très strictes.
Le 10 août, apprenant le décès de son père, il part pour Grenoble, puis regagne Paris jusqu'en octobre. Fin décembre, de retour à Milan, il commence De l'amour, pour exprimer tout ce que lui fait éprouver Matilde, véritable essai de psychologie, dans lequel il expose sa théorie de la cristallisation. En 1821 éclate une révolution dans le Piémont contre l'occupant autrichien. Parce qu'il est accusé de sympathie pour le carbonarisme il est expulsé de Milan par l'administration autrichienne. Il se voit obligé de quitter Matilde qu'il aime pour regagner Paris qu'il n'aime pas.

L'essor littéraire, 1821-1830

Fin juin 1821, il est de retour à Paris, presque ruiné après le décès de son père, déprimé par ses adieux à Matilde :
" Je quittais Milan pour Paris le … juin 1821, avec une somme de 3 500 Francs, je crois, regardant comme unique bonheur de me brûler la cervelle quand cette somme serait finie. Je quittais, après trois ans d’intimité, une femme que j’adorais, qui m’aimait et qui ne s’est jamais donnée à moi." Pour tenter de l’oublier, il fréquente assidument ses amis Adolphe de Mareste et Joseph Lingay. Il racontera dans Souvenirs d’égotisme son fiasco auprès d'une belle prostituée du nom d’Alexandrine, encore obnubilé par Matilde, puis sa guérison lors d’un séjour à Londres où il va chercher un remède au Spleen, auprès d’une douce et jeune Anglaise.

Sa grande passion qui dura deux ans, Clémentine Curial, qu'il surnomme Menti.

À Paris, il passe ses soirées à l’opéra ou dans les salons de la gauche Libérale d’Antoine Destutt de Tracy, de La Fayette, cénacle d’Etienne-Jean Delécluze. Il est admiré pour sa manière de raconter des histoires, mais choque par ses sarcasmes, ses boutades, ses provocations politiques, ses idées jacobines… Il fréquente beaucoup aussi celui de Giuditta Pasta, cantatrice Italienne avec qui on lui prête, à tort, une liaison ; il s’installe d’ailleurs dans le même immeuble, rue de Richelieu. En réalité, c’est pour y entendre les Carbonari en exil, y parler Italien et, parfois, de Matilde. Son ami Lingay lui présente le jeune Prosper Mérimée, avec qui il nouera une amitié ambivalente faite de complicité et de méfiance.
En 1822 il publie dans l’indifférence générale, De l'amour, après avoir récupéré le manuscrit égaré pendant plus d'un an. Il prend ardemment la défense du Romantisme avec Racine et Shakespeare, pamphlet en faveur de la modernité en littérature et dans tous les arts, ainsi qu’une Vie de Rossini en 1823, ouvrages qui le font connaître. Afin de gagner sa vie, il entame une intense activité de journaliste. De 1824 à 1827, il écrit des articles pour le Journal de Paris, sur les Salons et sur le Théâtre Italien. De 1822 à 1829, il collabore à diverses revues britanniques : Paris Monthly Review, New Monthly Magazine, London Magazine . Ses chroniques portent sur la vie politique, les faits divers, les mœurs, la culture de la société française sous la Restauration.

Alberthe de Rubempré qu’il surnomme Madame Azur parce qu’elle habite rue Bleue.

Cette époque est aussi celle des amours tumultueuses : Clémentine Curial, la fille de son amie la comtesse Beugnot, qui l’avait déjà troublé en 1814, lorsqu'il l’avait vue pieds nus chez sa mère, attend longuement de lui une déclaration : Ma mélancolie regardait avec plaisir les yeux si beaux de Mme Berthois, Clémentine Curial. Dans ma stupidité, je n’allais pas plus loin.Il finit par lui avouer ses sentiments en mai 1824. Jusqu’en 1826 ils s’aiment, s’écrivent, se déchirent. Elle le cache trois jours dans la cave de son château en juillet 1824, le nourrissant, vidant son pot de chambre… C’est elle qui le guérit définitivement de Matilde : alors seulement le souvenir de Métilde ne fut plus déchirant, et devint comme un fantôme tendre et profondément triste.
En juin 1829, c’est Alberthe de Rubempré, femme très belle et très libre, cousine de Delacroix, qui devient sa maîtresse. Il a avec elle une relation torride et de courte durée. Au retour d’un voyage en Espagne, en décembre 1829, il la retrouve dans les bras de son ami Mareste.
En février 1830, c’est une jeune fille italienne, Giulia Rinieri qui lui déclare son amour Je sais bien et depuis longtemps que tu es laid et vieux, mais je t’aime. C’est chez elle qu’il passera la nuit du 29 juillet 1830 où il assistera à la Révolution de Juillet de son balcon.
Période intellectuellement très féconde. Il publie son premier roman, Armance en 1827, mal compris et mal reçu, dont le thème, l’impuissance, lui est fourni par le roman de son amie Claire de Duras, Olivier, ou le secret. En 1829 c’est Promenades dans Rome. Tout en écrivant de nombreuses nouvelles, Vanina Vanini, Le coffre et le revenant, Le philtre, il commence à écrire son second roman, Le Rouge et le Noir. Il en corrige les épreuves durant les journées de Juillet. Il paraît le 13 novembre 1830, alors qu'il est déjà parti en Italie.

Se foutre carrément de tout, 1831-1842

Giulia Rinieri, l’amoureuse dévouée
Alors que sa notoriété naissante, le courage des Parisiens lors de la Révolution de Juillet commençaient à lui faire aimer Paris, il doit quitter la France. Ses amis ont parlé de lui au comte Molé, ministre des Affaires étrangères du nouveau Roi des Français, il est nommé consul à Trieste. Il part le 6 novembre 1830, le jour où il demande la main de Giulia Rinieri, à son oncle. Elle ne lui sera pas accordée. Metternich lui refuse l'exequatur, à cause de ses positions libérales et son mépris des Autrichiens qui transparaît dans Rome, Naples et Florence. En attendant qu'on lui trouve un autre poste, il se rend à Venise où il fréquente le salon de la Comtesse Albrizzi. Par son éloignement, il ignore la réception du Rouge et le Noir. Admiré par Sainte Beuve, il est honni par Victor Hugo : chaque fois que je tente de déchiffrer une phrase de votre ouvrage de prédilection répondant à Rochefort, admirateur du Rouge, c’est comme si on m’arrachait une dent… Stendhal ne s’est jamais douté un seul instant de ce que c’était que d’écrire.

Il est finalement nommé en 1831 à Civitavecchia, seul port des États Pontificaux, trou abominable de sept mille cinq cents habitants, dont mille forçats. Là il y est terrassé par l'ennui et la bêtise : aucun salon, aucun ami, aucune jolie femme, aucune discussion intellectuelle. Il se donne du courage avec son mot d’ordre, SFCDT Se Foutre Carrément De Tout et en commençant plusieurs romans : Une Position sociale en septembre 1832, Lucien Leuwen en mai 1834 ; deux essais d’autobiographies, Souvenirs d’égotisme de juin à juillet 1832, la Vie de Henry Brulard en novembre 1835. Il n’en termine aucun. Il écrit pour lui seul puisqu’il a décidé, en février 1831 de ne rien publier tant qu'il serait fonctionnaire par crainte de déplaire à sa hiérarchie : Je me fais plat, j’écris peu ou point… Tout mon but est d’être moral comme un sous-chef de bureau. Pour s'occuper, il participe aux fouilles archéologiques menées par son ami Donato Bucci, se rend fréquemment à Rome, voyage à Florence, Naples… Il se rend fréquemment à Sienne rejoindre Giulia Rinieri. Leur liaison continue jusqu’en juin 1833, lorsqu’elle est obligée de se marier. En mai 1836 il obtient un congé de trois ans en France, jusqu’en avril 1839, qui lui permet d'écrire ses Chroniques Italiennes, et La Chartreuse de Parme. De voyager, aussi, en France, en Suisse, aux Pays-Bas, et d’en écrire les Mémoires d’un touriste. À Paris, il retrouve, une fois de plus, Giulia, qui éprouve toujours pour lui beaucoup de tendresse.
En mars 1839, changement de gouvernement, Stendhal n’est plus sous la protection du Comte Molé, il doit retourner à son poste. Le 6 avril, paraît La Chartreuse de Parme, qui remporte un vif succès, 1200 exemplaires vendus en dix-huit mois puis l’Abbesse de Castro et trois autres chroniques en décembre de la même année. Entretemps, il avait commencé Lamiel, le Rose et le Vert, qui restera inachevé et repris une Vie de Napoléon. Revenu à Civitavecchia le 10 août 1839, il est a nouveau malade d’ennui. Puis il est réellement malade lorsqu'il est frappé d’une syncope le 1er janvier 1840. Ce qui ne l’empêche pas de tomber amoureux d’une certaine Earline, peut-être la Comtesse Cini, une de ses admiratrices en février, ni de revoir Giulia à Florence.
En septembre 1840, un article élogieux d’Honoré de Balzac sur la Chartreuse de Parme, l’étonne, l’amuse et lui fait plaisir. Une autre attaque d’apoplexie le frappe en mars 1841. Le 21 octobre, il retourne à Paris, en congé maladie. Se sentant mieux, il s’engage le 21 mars 1842 à fournir des nouvelles à la Revue des Deux-Mondes, juste avant d’être foudroyé par une nouvelle attaque, le lendemain, rue Neuve-des-Capucines, alors qu'il sortait d'un rendez-vous avec son ministre de tutelle François Guizot. Il meurt à son domicile parisien, Hôtel de Nantes au 22, rue Danielle-Casanova, le 23 mars à deux heures du matin.

Liste des femmes qu’il a aimées, insérée en 1835 dans Vie de Henry Brulard : Je rêvais profondément à ces noms, et aux étonnantes bêtises et sottises qu’ils m’ont fait faire.
Sa dépouille est inhumée au cimetière de Montmartre à Paris en présence de trois amis malgré son vœu testamentaire d'être enterré à Andilly où il avait séjourné. Comme ultime provocation, il avait dès 1821 composé lui-même son épitaphe en italien Arrigo Beyle Milanese Scrisse Amo Visse, Henri Beyle. Milanais. Il écrivit, Il aima, Il vécut que fait graver Romain Colomb, son cousin et ami d'enfance, exécuteur testamentaire. Méprisé et moqué par son siècle, il ne connaîtra qu'un succès posthume comme il l'avait prédit : Je serai connu en 1880. Je serai compris en 1930.
Lorsque Stendhal fera le bilan de sa vie dans Vie de Henry Brulard en 1835, il écrira ceci :
L’état habituel de ma vie a été celui d’amant malheureux, aimant la musique et la peinture … Je vois que la rêverie a été ce que j’ai préféré à tout, même à passer pour homme d’esprit.

Pseudonymes

Avant de signer Stendhal, il a utilisé d'autres noms de plume, tels : Louis Alexandre Bombet, ou Anastase de Serpière. Seule L'Histoire de la peinture en 1817 fut publiée sous son vrai nom. À partir de Rome, Naples, Florence, septembre 1817 c'est sous le pseudonyme de M. de Stendhal, officier de cavalerie qu'il publia ses œuvres. Ce nom de plume est inspiré d'une ville d'Allemagne Stendal, lieu de naissance de l'historien d'art et archéologue renommé à l'époque Johann Joachim Winckelmann, mais surtout proche de l'endroit où Stendhal vécut en 1807-1808 un moment de grande passion avec Wilhelmine de Griesheim. Ayant ajouté un H pour germaniser encore le nom, il souhaitait que l'on prononce Standhal.
Il use aussi de très nombreux pseudonymes dans ses œuvres intimes et sa correspondance : Dominique, le plus intime, mais aussi Don Flegme, Giorgio Vasari, William Crocodile, Poverino… etc. L’un de ses correspondants, Prosper Mérimée, dira : Jamais il n’écrivait une lettre sans signer d’un nom supposé. On dénombre plus d’une centaine de pseudonymes utilisés par Stendhal.Tels de ces pseudonymes sont pour la parade, drôle, glorieuse ou tendre. Et d'autres sont des pseudonymes de fuite, pour se rendre invisible et se soustraire aux gêneurs. Manière de se cacher, de se méfier du langage en tant que convention sociale ou désir d’être un autre : Je porterais un masque avec plaisir ; je changerais de nom avec délices. … mon souverain plaisir serait de me changer en un long Allemand blond, et de me promener ainsi dans Paris.Selon Jean Starobinski qui consacre un chapitre aux pseudonymes de Stendhal dans l’Œil vivant, le désir de paraître et le désir de disparaître font partie en lui d’un même complexe.Il précise : le pseudonyme n'est pas seulement une rupture avec les origines familiales ou sociales : c'est une rupture avec les autres. et, plus loin :il permet à Stendhal la pluralité des moi, qui lui permet de se révolter contre une identité imposée du dehors. Et puisque le nom est situé symboliquement au confluent de l'existence pour soi et de l'existence pour autrui, le pseudonyme le rend à l'intime exclusivement, elle lui offre la possibilité de voir sans être vu, fantasme de Stendhal.
Il prend l’habitude aussi de changer les noms des personnes dont il parle dans ses lettres et journaux, afin, qu’en cas de publication, ils ne soient pas reconnus, ou par simple goût du cryptage et du jeu. Avancer masqué lui permet d’être vrai. Car pour lui, la liberté d'agir n'est concevable que dans l'insubordination : c'est pourquoi il recourt au pseudonyme qui lui rend les mains libres.

Les romans de Stendhal

L'œuvre de Stendhal consiste aussi bien en des textes autobiographiques, Vie de Henry Brulard par exemple que dans des romans qui comptent parmi les plus beaux dans la littérature française : Le Rouge et le Noir, Lucien Leuwen, La Chartreuse de Parme. Ce dernier roman fut salué à sa première publication par un éloge d'Honoré de Balzac, autre maître du roman réaliste dont Stendhal lui-même se déclara heureusement surpris. Cet article étonnant, ... je l'ai lu, ... en éclatant de rire. Toutes les fois que j'arrivais à une louange un peu forte ... je voyais la mine que feraient mes amis en le lisant.

Le Rouge et le Noir

Le Rouge et le Noir en 1830 est le premier grand roman de Stendhal. Il est le premier roman à lier de façon si subtile la description de la réalité sociale de son temps et l’action romanesque, selon Erich Auerbach dans sa célèbre étude Mimesis. Julien Sorel, le héros principal du livre, est le pur produit de son époque en un certain sens, le héros d'une France révoltée et révolutionnaire. Littéralement ivre d’ambition à cause de la lecture du Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases et conscient que, depuis la Révolution, c’est le mérite et non plus la naissance seule qui compte, il rêve de devenir lui-même un nouveau Bonaparte, à une époque, la Restauration, qui ne permet pas à un fils de charpentier de gravir les échelons de la société.
Le projet de ce roman dut être soumis à Paul-Louis Courier, que Stendhal tenait pour le meilleur écrivain français contemporain. Un écho des difficultés rencontrées par le pamphlétaire en Touraine est, d'ailleurs, perceptible à travers le personnage Saint-Giraud, qui apparaît au chapitre premier de la seconde partie du roman. Quand Courier fut assassiné, Stendhal soupçonna des mobiles politiques à ce forfait jamais élucidé. On y trouve une description très précise dans ce roman et dans celui de Vie de Henry Brulard, de l'Hôtel de Castries, que l'auteur fréquenta.

La Chartreuse de Parme.

C'est une œuvre majeure qui valut la célébrité à Stendhal. Elle fut publiée en deux volumes en mars 1839. Balzac la considérait comme un chef-d'œuvre et écrivit en mars 1839 son admiration à l'auteur pour la superbe et vraie description de bataille que je rêvais pour les Scènes de la vie militaire. Dans un premier article de l'éphémère Revue parisienne, en 1840, il parle du récent chef-d'œuvre de M. Beyle, terminant par ces mots : Je regarde l'auteur de La Chartreuse de Parme comme un des meilleurs écrivains de notre époque et dans le troisième et dernier numéro se trouve le grand texte qui fait du roman de Stendhal le chef-d'œuvre senti comme classique dès sa parution, comme l'archétype du genre roman . Refondu en 1842 peu avant la mort de Stendhal, il prit de fait un tour plus balzacien : mais c'est le texte d’origine, plus purement stendhalien, qui s'est imposé de nos jours.
Cependant, l’œuvre sera, jusqu’au début du xxe siècle, relativement inconnue en dehors de quelques cercles d’esthètes, de critiques littéraires, ou de personnalités visionnaires Nietzsche, ce que Stendhal semblait appeler de ses vœux, dédicaçant son roman To the Happy Few.

Lucien Leuwen


Lucien Leuwen est le deuxième grand roman de Stendhal, écrit en 1834, après le Rouge et le Noir. Ce roman est demeuré inachevé par crainte de s’attirer les foudres du gouvernement de Juillet. Stendhal y dépeint avec une ironie féroce les diverses sociétés et les magouilles politiques du nouveau régime. Stendhal plonge son personnage, Lucien Leuwen, fils d’un riche banquier tout en étant de sensibilité républicaine, dans les différents milieux politiques de la Monarchie de Juillet : légitimistes et républicains de province à Nancy, Juste Milieux à Paris, cabinets ministériels… Lorsqu'il est à Nancy, Lucien se demande : Mon sort est-il donc de passer ma vie entre des légitimistes fous, égoïstes et polis, adorant le passé, et des républicains fous, généreux et ennuyeux, adorant l'avenir? C’est aussi une description du désœuvrement et de l’ennui de cette jeunesse a qui la fin de l’Empire à ôté les rêves de gloire.

Le réalisme chez Stendhal

Stendhal n'a pas seulement appliqué une certaine esthétique réaliste : il l'a pensée d’abord. Le réalisme de Stendhal, c’est aussi la volonté de faire du roman un miroir c’est-à-dire un simple reflet de la réalité sociale et politique d’une époque dans toute sa dureté. Stendhal a d'ailleurs écrit que le roman, c’est un miroir que l’on promène le long d’un chemin.
Dans Racine et Shakespeare, il assigne pour devoir à l'art romantique de faire un art qui sera en adéquation avec les goûts et tendances des peuples. Le réalisme de Stendhal c’est d’abord la volonté de peindre des faits capables d’intéresser ses contemporains, Monarchie de juillet dans Lucien Leuwen, Restauration dans Le Rouge et le Noir, défaite et retour des Autrichiens dans La Chartreuse de Parme.
En revanche, Stendhal dépeint avec un grand souci de réalisme psychologique, les sentiments des personnages principaux. Il s’inspire même souvent des théories relatives à l’amour de son traité De l’amour et essaie de faire œuvre de psychologue rigoureux.
Prosper Mérimée le considérait comme un remarquable observateur du cœur humain. Et les sentiments amoureux sont dépeints avec beaucoup de soin : le narrateur expose longuement la naissance de la passion amoureuse et ses péripéties, que ce soit entre Mme de Rênal et Julien, Julien et Mathilde de La Mole, Lucien Leuwen et Mme de Chasteller ou Fabrice et Clélia.

Le réalisme dans la peinture des mœurs et de la société

Le Rouge et le Noir et Lucien Leuwen sont une peinture acerbe de la société sous la Restauration, comme l'indique le sous-titre du roman Le Rouge et le Noir : Chronique de 1830. Lucien Leuwen est le vaste tableau de la Monarchie de juillet. La Chartreuse de Parme est une peinture des mœurs politiques dans les Monarchies italiennes du xixe siècle. Ces romans sont donc politiques non par la présence de longues réflexions politiques, Stendhal qui s'est toujours refusé à l'oratoire rejette un tel procédé et le compare à un coup de pistolet au milieu d'un concert dans Le Rouge et le Noir, mais par la peinture des faits.
Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme sont aussi des critiques acerbes de la position subordonnée de la femme : voir l’interprétation féministe par Simone de Beauvoir des romans de Stendhal, in Le Deuxième Sexe.
La peinture des mœurs chez Stendhal ne se veut jamais impartiale, mais critique : elle n’est pas motivée par une volonté sociologique, mais par le souci de faire tomber les faux-semblants et de montrer la vérité, l’âpre vérité, exergue du premier livre de Le Rouge et le Noir de la société de son temps.
Malgré son souci de réalisme, il n’y a pas de descriptions détaillées de la réalité matérielle. Le narrateur, qui se méfie de la description, décrit à peine les lieux. La description de Verrières au tout début du roman prend juste une page et sert d’introduction à une critique acerbe des habitants. On ne sait rien non plus de l’Hôtel de la Mole, Le Rouge et le Noir ni de Milan ou bien du Château du Marquis Del Dongo, La Chartreuse de Parme. Car la peinture des lieux est fonctionnelle. Le narrateur décrit le monde uniquement dans la mesure où c’est nécessaire à la compréhension de l’action. Si la prison de Fabrice est décrite avec soin, c'est qu'elle constitue un lieu essentiel pour l’action de La Chartreuse de Parme.
Appartenant plutôt à une tendance modérée du romantisme, par opposition au romantisme flamboyant représenté par Victor Hugo, le narrateur, qui a affirmé, dans Vie de Henry Brulard abhorrer la description matérielle, lui préférant des éléments descriptifs, décrit à peine les personnages : on ne sait quasiment rien des toilettes de Mme de Rênal, de Mathilde ni des tenues de Julien, Lucien Leuwen ou Fabrice, juste la couleur des cheveux et quelques détails sur leur aspect, mentionnés très brièvement. Ainsi, Mathilde de La Mole est extrêmement blonde et fort bien faite, et Julien pensa qu'il n'avait jamais vu des yeux aussi beaux.
Mais la peinture de la réalité matérielle se fait aussi discrète à cause des particularités du roman stendhalien. Ainsi, le thème de l’argent est souvent lié à des personnages secondaires ou détestables, M. de Rênal, le Marquis Del Dongo : l’attention du lecteur se tourne plutôt vers les protagonistes principaux qui sont bien loin de tels soucis, Fabrice, Mme de Rênal, Lucien Leuwen. Le roman stendhalien avance rapidement, alors que la description crée une pause dans la narration.
L’autre limite du réalisme de Stendhal tient au romanesque, qui traverse tous ses romans. Le héros stendhalien est une figure romanesque. Le personnage de Julien est intelligent, ambitieux jusqu’à la folie, et nourrit une haine profonde pour ses contemporains. Fabrice est un jeune homme exalté et passionné. Lucien Leuwen est idéaliste et bien fait de sa personne. Ces personnages ont souvent à peine 20 ans.
En outre, la politique dans La Chartreuse de Parme est nettement moins importante que dans Le Rouge et le Noir et Lucien Leuwen. C’est surtout l’histoire qui joue un rôle, Waterloo, arrivée des troupes françaises à Milan en 1796. Et encore elle est inséparable de l’action du roman. La Chartreuse de Parme a un caractère romanesque nettement plus prononcé que les deux autres grands romans, voir les personnages de la Duchesse Sanseverina ou de Clélia. Le réalisme stendhalien se limite donc aux personnages secondaires, les personnages prévisibles et non à ses personnages principaux, les personnages vrais, qui échappent à la description, ce qui ne sera pas le cas chez Zola.

Réalisme subjectif chez Stendhal

Mais le réalisme chez Stendhal se fait aussi réalisme subjectif sans que cela soit une contradiction. Par réalisme subjectif on entend un des procédés fondamentaux de la conduite du récit chez Stendhal. Georges Blin, dans Stendhal et les problèmes du Roman, est un de ceux qui mirent en avant ce procédé. Stendhal pense que chacun est enfermé dans sa subjectivité et ne peut percevoir le monde que dans les limites de son regard.
La grande originalité de Stendhal est l’usage important de la focalisation interne, pour reprendre la terminologie de Gérard Genette pour raconter les événements. Les événements sont vus en grande partie par les protagonistes voire par un seul d'entre eux. Stendhal refuse donc le point de vue du narrateur omniscient, mais pratique la restriction de champ. Dans Le Rouge et le Noir et dans Lucien Leuwen les événements sont vus dans le rayon de Julien Sorel et Lucien. Dans La Chartreuse de Parme le narrateur a reconnu le droit de regard des autres personnages, Clélia, Mosca, Sanseverina, mais Fabrice Del Dongo garde le foyer principal, la scène de la bataille de Waterloo est vue exclusivement par ses yeux. On peut donc parler d’une restriction de champ chez Stendhal. Stendhal a en effet coupé ses récits de monologues intérieurs et a ramené le roman à la biographie du héros. Les trois grands romans commencent par la jeunesse du héros ou même avant et finissent avec sa mort, Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme.
Première conséquence de la restriction du champ : les descriptions sont brèves chez Stendhal. Elles sont l’œuvre d’un narrateur extérieur qui voit l’aspect des personnages du dehors ou bien d’un narrateur qui observe la nature. Un tel narrateur est incompatible avec la restriction du champ et il joue donc un rôle secondaire chez Stendhal.
Le choix de la restriction du champ explique aussi que certains personnages apparaissent ou disparaissent aussi rapidement au fil de l’action comme le Comte de La Mole dans Le Rouge et le Noir et Rassi dans La Chartreuse de Parme car tout est vu par les yeux d’un personnage central.
Troisième conséquence du recours à la restriction de champ : les événements se dévoilent graduellement. Les héros de Stendhal sont souvent un peu étonnés de ce qu’ils voient et n’en comprennent le sens que progressivement. Ce n’est que peu à peu que Julien comprend pourquoi Mlle de La Mole apparaît un jour en vêtement de deuil alors que personne ne vient de mourir autour d’elle. Il découvrira ultérieurement qu’elle porte le deuil d’un ancêtre mort au xvie siècle

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Posté le : 22/03/2014 20:32
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Stendhal 2 suite
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Réalisme et postérité

Passionné par la politique, par les faits divers, qu'il recense dans les articles qu’il envoie aux journaux anglais, désireux de dénoncer les absurdités de son temps, Stendhal se trouve confronté au désir de créer un chef-d’œuvre intemporel, être lu en 1880 ou en 1935.S'il veut être un "miroir", le roman doit "parler politique", mais "la politique au milieu des intérêts d'imagination" détonne, est une "pierre" tombale qui "submerge" la littérature "en moins de six mois". Réalisme ou immortalité, il faut choisir, mais Stendhal, lui, veut le réalisme et l'immortalité. Comment Stendhal a-t-il procédé pour satisfaire son inextinguible "désir de gloire" posthume sans cependant sacrifier "l'âpre vérité" du moment présent ? Très concrètement, la réponse à cette question se trouve dans les œuvres laissées en chantier, et plus particulièrement dans les manuscrits de Lucien Leuwen, lesquels révèlent les coulisses des "chroniques" réalistes, donnent à voir au jour le jour le travail de "l'animal", le romancier. A lire les marginales du roman de la monarchie de Juillet, nous comprenons quels écueils guettaient le romancier et combien ce dernier devait brider sa nature profonde, résister à sa pente naturelle, celle d'un polémiste qui a la riposte facile, qui, spontanément, verse dans le pamphlet. De fait … on s'aperçoit que le plaisir premier de Stendhal est assurément de "stendhaliser", de ferrailler ferme, de croiser la plume avec tout ce qui se mêle de penser ou d'écrire. Le pamphlet, la satire, Stendhal "aime beaucoup", mais il n'ignore pas que toute polémique, dont les enjeux sont toujours fortement datés et localisés, frappe de mort tout ouvrage littéraire qui en est "imbibé". Raison pour laquelle le romancier s'autocensure, rature beaucoup, et souvent pour "adoucir" le premier jet, spontanément agressif, voire "offensant", essaie de se tenir au-dessus de la mêlée politique … s'efforce de prendre du champ avec l'époque et les milieux qu'il décrit, retravaille les données brutes des journaux, "ôte la ressemblance" pour éviter les "applications", "dépayse les anecdotes", brouille les repères et les modèles, évite "le détail qui vieillit dans quatre ans au plus", afin de ne pas tomber dans le roman à clés, les "allusions", les caricatures, les passions et les partis pris, toutes tares éminemment préjudiciables à la qualité et à la survie d'une œuvre littéraire.

L’œuvre autobiographique, vie de Henry Brulard et Souvenirs d'égotisme.

Stendhal par Félix Vallotton.
L’œuvre de Stendhal est profondément autobiographique. Même ses romans tant ils sont inspirés par sa propre vie, mais aussi parce qu’ils constituent une autobiographie idéale de Stendhal. Julien Sorel, Lucien Leuwen et Fabrice Del Dongo sont ce que Stendhal aurait rêvé d’être.
Les œuvres autobiographiques de Stendhal sont de trois natures. D’une part Stendhal a tenu pendant de très longues années un journal où il raconte au fur et à mesure les événements de sa vie. On pourrait parler d’une prise sur le vif de sa propre vie. D’autre part Stendhal a rédigé deux autres grandes œuvres autobiographiques : la Vie de Henry Brulard et Souvenirs d'égotisme. Elles poursuivent le même projet que le Journal, mais aussi que celui des Confessions de Rousseau : mieux se connaître soi-même. Cependant elles se distinguent du Journal car elles ont été écrites a posteriori. Enfin, l’autobiographie prend une forme bien particulière chez Stendhal : il aimait écrire sur la marge de ses livres, et même de ses romans, mais de manière cryptique ou sur des vêtements, par exemple sur une ceinture comme dans la Vie de Henry Brulard.
L'œuvre autobiographique de Stendhal ne se distingue pas tant par son projet, Rousseau poursuivait le même que par l’importance qu’elle prend. Elle s’exprime aussi bien par des romans que par des autobiographies. Même la critique d'art chez Stendhal se fait autobiographie.

L'égotiste

Le masque va donc de pair avec l'égotisme, car il permet à l'individu de s'épanouir en toute quiétude.
Parmi les mots nouveaux dont Stendhal a enrichi la langue française, tels que cristallisation, amour-passion, touriste, ceux d'égotisme et d'égotiste sont sans doute les plus importants. Lorsqu'on procède au recensement des différents passages où ces termes reviennent, on s'aperçoit qu'ils recèlent une acception péjorative : l'égotisme est haïssable – et, parfois, même une manifestation de vanité – parce qu'il est l'expression de ce besoin propre à l'homme de s'accorder une place prédominante, soit en faisant le vide autour de soi, soit en rabaissant ce qui l'entoure. Stendhal est néanmoins conscient que l'égotisme comporte une autre acception bien plus élevée : loin d'être l'émanation d'un culte desséchant de la personnalité, apanage d'individus décadents, l'égotisme représente l'avènement conscient du moi. Stendhal est parvenu à cette prise de conscience non pas à la suite d'une recherche dialectique, mais d'instinct. Le journal qu'il a commencé à tenir régulièrement dès l'âge de dix-huit ans a été d'emblée un instrument de connaissance. D'où une distinction qui a fini par s'imposer à son esprit comme une vérité évidente : il y a les bons et les mauvais égotistes, ceux pour qui l'univers n'existe qu'en fonction d'eux-mêmes – et, dans ce cas-là, l'égotisme devient le synonyme de vanité et d'afféterie – et ceux, au contraire, que seule préoccupe la connaissance du moi – et c'est son cas. La différence réside moins dans le miroir que dans l'œil du regardant.
L'égotisme ainsi conçu est présent dans l'œuvre stendhalienne tout entière, y compris un ouvrage d'où il semblerait devoir être exclu : le traité de De l'amour 1822. Le lecteur qui, sur la foi du titre, s'attendrait à un ouvrage érotique, à des scènes croustillantes, voire grivoises, en serait pour ses frais, car il a l'impression d'avoir entre les mains une ennuyeuse dissertation philosophique. Le philosophe, ou le moraliste, subit à son tour le même genre de déception, parce que, au lieu de l'exposé systématique et profondément structuré auquel il s'attendait, il se rend bientôt compte que l'auteur se borne à de vagues notations psychologiques sans le moindre souci d'approfondissement théorique et de classification. Or, il suffit d'y regarder d'un peu plus près pour s'apercevoir que De l'amour ne ressemble en rien à ces « physiologies si à la mode à l'époque romantique, et qui n'ont pour elles que le mérite du pittoresque et du divertissement. Un examen plus attentif encore révèle que le livre est de nature essentiellement autobiographique : c'est le journal secret de la passion malheureuse que Stendhal avait conçue à Milan pour Mathilde ou Métilde Dembowski. Il s'agit à la fois d'une confession et d'une analyse. Grâce à une trame complexe et continue d'alibis, l'auteur peut se permettre de mettre son cœur à nu, en même temps qu'il se pose la question angoissante : comment un véritable amour-passion, tel que le sien, se heurte-t-il à l'indifférence, voire à l'hostilité de la femme qui en est l'objet ? Jamais la quête du bonheur poursuivie par Stendhal ne s'est révélée aussi illusoire. Le mérite de l'écrivain est de ne pas avoir versé dans la misanthropie et la misogynie. Stendhal nous ravit parce que ses réactions sont inattendues.
Les œuvres le plus directement placées sous le signe de l'égotisme sont, en plus du Journal, les Souvenirs d'égotisme, la Vie de Henry Brulard.

Stendhal, Souvenirs d'égotisme

Les Souvenirs d'égotisme devaient être le récit de la vie de l'auteur au cours de la décennie 1821-1830, depuis son retour à Paris, après le long séjour à Milan, jusqu'à son nouveau départ pour l'Italie en qualité, cette fois-ci, de consul de France. En fait, seule une petite partie du plan a été réalisée, Stendhal ayant, à un moment donné, renoncé à poursuivre la composition de l'ouvrage. Mais pourquoi l'avoir entreprise ? Certes pas en vue de se livrer à une confession générale, pour s'accabler ou s'absoudre, mais plus simplement afin de s'efforcer de cerner son moi, de déchirer le voile qui le lui cache. Le mot égotisme qui figure dans le titre ne désigne plus l'attitude traditionnelle de se représenter tel qu'on croit aveuglément être ou encore tel qu'on se souhaite, mais bien la disposition de l'individu à se scruter en vue de se connaître réellement. La résonance extraordinaire des Souvenirs d'égotisme vient de ce que cette œuvre n'est pas coulée dans le moule habituel des récits autobiographiques. D'ailleurs, elle ne renferme guère de récits proprement dits. Et ceux-ci ne sont pas non plus remplacés par une succession de considérations générales apparentant l'ouvrage à un traité de morale.
La marche suivie par l'analyste est une marche ascendante : des faits aux causes. Il ne pouvait y en avoir d'autre pour un esprit à qui Condillac et Helvétius avaient appris à raisonner. Dans ces conditions, n'est-il pas singulier que Stendhal se soit arrêté en cours de route, comme s'il doutait de ses forces ou de l'efficacité de ce travail de fouille ? C'est que le lecteur – car lecteur il y a – auquel il s'adresse a beau lui ressembler, il n'en a pas moins d'indiscrètes et humaines curiosités. Stendhal, qui est tout le contraire d'un exhibitionniste, finit par se trouver enfermé dans une contradiction sans issue : le désir, le besoin d'être sincère, vrai, d'une part ; les exigences de la discrétion, d'autre part. Une secrète pudeur le porte à ne pas franchir un certain seuil, de crainte de tomber dans la forfanterie ou l'affabulation. Aussi, deux semaines à peine après le début de cet examen de conscience, s'arrête-t-il dans la voie de l'égotisme systématique. Ces Souvenirs resteront inachevés.
Stendhal ne renoncera pas pour autant à écrire sur lui-même, mais il préférera remonter aux sources, au lieu de vouloir aller à la découverte à travers les vicissitudes de l'homme déjà adulte.
Ce qui caractérise la Vie de Henri Brulard, cette autobiographie dont on commence à peine à saisir toute la nouveauté et l'originalité, c'est que l'auteur, en allant à la recherche du temps perdu, ne doit faire aucun effort pour le ressusciter. D'emblée, le plus lointain passé se révèle étrangement présent. Un fond de mélancolie voile cette constatation : J'étais à la montée de la vie …. J'en suis à la descente. Un fait s'impose à lui avec une évidence aveuglante : Tel j'étais, tel je suis.Aussi les souvenirs se pressent-ils en foule. À tel point que l'écrivain, renonçant à les endiguer, a à peine le temps matériel de les fixer sur le papier : Comment veut-on que j'écrive bien, forcé d'écrire aussi vite pour ne pas perdre mes idées ? Les idées me galopent ; si je ne les note pas assez vite, je les perds. Ces idées sont des souvenirs de sensations. En d'autres termes, Stendhal ne s'applique pas à une reconstitution méthodique de sa vie passée, mettant bout à bout les épisodes les plus saillants ; il revit avec la même intensité qu'autrefois des événements dont l'empreinte sur son âme ne s'est pas effacée. La Vie de Henry Brulard n'est donc ni une narration, ni un plaidoyer, ni un réquisitoire. Il constitue pour l'auteur le seul moyen en sa possession d'atteindre cette vérité qui le fuit, car il ne dispose pas d'autres outils pour identifier et analyser les différentes couches qui sont venues se superposer dans sa mémoire, ou, pour reprendre son image, remonter le puits que les années ont creusé : Le puits avait dix pieds de profondeur ; chaque année j'ai ajouté cinq pieds ; maintenant, à cent quatre-vingt-dix pieds, comment voir l'image de ce qu'il était en février 1800, quand il n'avait que dix pieds ?
Tandis que, jusqu'alors, l'enfance avait été tenue pour une phase de simple et inintéressante vie végétative, Stendhal, le premier, lui reconnaît sa véritable valeur, qui est celle de la formation de l'individu sous le double rapport de l'intelligence et de la psyché. C'est pourquoi son dessein est de respecter scrupuleusement l'optique propre de l'enfant : J'ai vu tout cela, déclare-t-il, d'en bas, comme un enfant ….En même temps, il se rend compte avec lucidité que c'est bien l'adulte qui interprète les sensations de l'enfant : Je ne vois la vérité de ces choses qu'en les écrivant en 1835 ….Cependant, ces interprétations ne sont pas entachées d'un esprit de système. Sans cesse, Stendhal emploie des tournures négatives ou dubitatives qui sont autre chose que des précautions oratoires : Je ne prétends pas peindre les choses en elles-mêmes, mais seulement leur effet sur moi …; Je ne prétends nullement écrire une histoire, mais tout simplement noter mes souvenirs …; Je n'ai que ma mémoire d'enfant ….Autrement dit, l'un des aspects sans doute les plus hardis et les plus modernes de l'autobiographie stendhalienne est constitué par la notion même de temps. L'auteur évite de représenter le passé comme un bloc monolithique, ce qui, jusque-là, avait été la règle. Pour la première fois, il est fait appel au mystérieux cheminement des sensations.
L'égotisme se confond ainsi avec l'autobiographie. L'un et l'autre constituent une sève nourricière ; ils forment le substrat de l'œuvre stendhalienne, au point que la tentation est forte de se demander si l'activité créatrice de Stendhal n'a été, en définitive, qu'une sorte de circuit fermé excluant tout ce qui est habituellement du domaine de l'imagination.

Le pamphlétaire

Outre le masque et l'égotisme, un troisième trait caractérise Stendhal : l'adhérence dialectique à l'actualité de son temps. Digne enfant de son Dauphiné natal, qui a produit moins d'artistes que de philosophes, d'historiens, d'économistes, d'hommes d'État, Henri Beyle ne bâtit qu'avec des matériaux fournis par la vie quotidienne, et que, bien entendu, il façonne à sa guise. Sans cela, Stendhal ne serait pas Stendhal.
Sous l'Empire, Henri Beyle, à l'instar de ses contemporains, a été mordu par le démon de l'ambition. Il a convoité alors un de ces postes de responsabilité créés par l'Empereur, sûr de bien le remplir. La chute du régime impérial lui a rendu l'inappréciable service de lui permettre de redevenir lui-même. Désormais, Stendhal ne quittera plus l'opposition, même lorsque sa situation économique l'obligera, sous Louis-Philippe, à solliciter un consulat. Le premier et, paradoxalement, heureux effet du retour des Bourbons a été l'épanouissement de sa vocation de pamphlétaire. Les ouvrages que Stendhal a publiés à l'époque de la Terreur blanche sont d'authentiques pamphlets.
D'abord l'Histoire de la peinture en Italie, sur le frontispice de laquelle figurent les énigmatiques initiales M.B.A.A., Monsieur Beyle Ancien Auditeur. Ce titre annonce un panorama de la peinture italienne depuis les origines jusqu'au xixe s. L'entreprise était d'autant plus remarquable que rien de semblable n'existait sur le marché de la librairie française. Or, les rares lecteurs qui sont parvenus au bout du livre n'ont pas caché leur perplexité et leur irritation. Non seulement le panorama promis était fort incomplet – il n'était question que des primitifs, de Léonard de Vinci, de Michel-Ange ; par conséquent, les écoles de Venise et de Bologne, entre autres, n'étaient pas étudiées –, mais encore ils butaient sur des théories esthétiques fort peu orthodoxes, doublées d'obscures et incompréhensibles allusions ; aussi l'auteur a-t-il été considéré, même par des exégètes récents, comme un esprit volubile, incapable de se concentrer et de composer un livre à l'ordonnance claire et rigoureuse. En fait, chez lui, qui est tout le contraire d'un phraseur, chaque mot compte. Comment n'a-t-on pas vu que, dans ce cas précis, Stendhal a pris la précaution de prévenir ses lecteurs sur ses intentions réelles : On me dira qu'à propos des arts je parle de choses qui leur sont étrangères. Je réponds que je donne la copie de mes idées et que j'ai vécu de mon temps.Cette Histoire n'est pas un manuel anodin, intemporel ; elle a été écrite par un homme qui ne peut s'empêcher de ressentir le contrecoup des événements. En un mot, au-delà du précis historique, vous percevez la réaction d'un esprit libre, qui proteste à la fois contre une conception routinière du fait artistique et contre toutes les contraintes imposées par le parti au pouvoir.
Ce même ton de pamphlet, cette même protestation se retrouvent dans un ouvrage contemporain du précédent, Rome, Naples et Florence en 1817. Si on se fie à la lettre, il s'agit d'un banal carnet de route comme il en existait à foison. Une lecture plus attentive permet de déceler un arrière-plan inhabituel dans ces sortes d'écrits. Peu à peu, le but de l'auteur apparaît dans sa netteté : dénoncer le marasme où la Sainte-Alliance a plongé la péninsule, en la contraignant, contre sa volonté, à revenir vingt ans en arrière. Ce n'est donc pas par hasard ou bizarrerie que sur la page du titre figure, pour la première fois, le pseudonyme destiné à devenir célèbre : M. de Stendhal. Ce nom à consonance germanique était destiné à couvrir l'auteur, qui vivait alors à Milan, possession autrichienne. Pour mieux étoffer l'alibi, ce pseudonyme est suivi de la qualification d'officier de cavalerie, espèce éloignée de toute pensée sérieuse et préoccupée de passe-temps frivoles, théâtres et belles dames.
Le plus connu des pamphlets stendhaliens, Racine et Shakespeare – ils sont deux, en réalité, publiés à deux ans de distance –, n'est donc pas un phénomène isolé. Il s'insère dans un plus large contexte. C'est une vigoureuse et piquante plaidoirie contre l'immobilisme cher aux académies et pour une littérature nouvelle. L'épigraphe du premier Racine et Shakespeare est à retenir : Le vieillard : Continuons. – Le jeune homme : Examinons.Elle fait bien ressortir, sous une forme lapidaire, l'esprit contestataire qui l'anime. Car, en réclamant une littérature nouvelle, l'auteur n'entend pas fonder une école de plus ; il se déclare en faveur d'un mode d'expression conforme aux goûts et aux besoins de la génération montante. Une fois de plus, il s'élève au-dessus de l'éphémère et parle un langage universel.
Autre pamphlet : D'un nouveau complot contre les industriels. Sous une forme plaisante, recouvrant des traits acérés, Stendhal s'élève contre la puissance d'argent, l'industrialisation envahissante ou, comme nous disons, la société de consommation, au détriment de la justice sociale et des valeurs de l'humanisme.
La veine polémique ne s'exprime pas que dans les pamphlets proprement dits. Elle est présente partout, y compris dans l'œuvre romanesque. Dans Armance sont persiflés aussi bien les émigrés, qui, après Waterloo, sont rentrés en France avec les idées d'avant 1789, que les nouveaux députés, dont la roture s'accommode mal de la morgue des habitants du faubourg Saint-Germain. Mais c'est surtout dans le Rouge et le Noir qu'est nettement affirmée ce qu'on appellera la lutte des classes. Né quelques lustres plus tôt, un roturier, tel Julien Sorel, s'il était doué d'audace et d'intelligence, de courage et de talent, se serait aussitôt distingué et aurait parcouru une brillante carrière, tandis que, sous la Restauration, la caste au pouvoir lui interdit de franchir les portes de son ghetto. Aussi Julien, accusé de meurtre, refuse-t-il de se défendre, sachant par avance qu'il sera condamné à mort. Les paroles qu'il prononce à cette occasion sont lourdes de signification : Messieurs les jurés, je n'ai pas l'honneur d'appartenir à votre classe ; vous voyez en moi un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa fortune …. Voilà mon crime, Messieurs, et il sera puni avec d'autant plus de sévérité que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois pas sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés.
À l'attitude de Julien Sorel fait pendant, dans Lucien Leuwen, l'épisode de l'officier obligé de marcher à la tête de ses soldats contre les ouvriers qui se sont « confédérés, c'est-à-dire mis en grève, pour protester contre des salaires de famine, et cet officier, Lucien, n'éprouve que honte pour le métier qu'il fait et dégoût pour le gouvernement qu'il sert.
À noter que Stendhal ne cherche pas, de propos délibéré, à introduire partout la politique. Bien au contraire, il aimerait s'en passer. N'est-ce pas à lui qu'appartient l'image tant de fois citée : La politique est un coup de pistolet au milieu d'un concert ? Mais Stendhal est en même temps assez lucide pour se rendre compte que la politique est un état de fait qu'on ne peut pas plus écarter de soi que la maladie. Aussi tout être conscient de ses devoirs est-il obligé de faire un choix, de prendre un parti, tout en sauvegardant sa liberté.

La conception stendhalienne de l'art

Stendhal aimait particulièrement " Leda et le cygne ", l'œuvre du Corrège, dont il possédait une gravure.
Stendhal ne fut pas seulement un romancier et un autobiographe, mais également un critique d’art dont la réflexion esthétique influença le travail romanesque, ainsi que l'appréciation des arts plastiques et de la musique. Citons Histoire de la Peinture en Italie, Rome, Naples et Florence, Promenades dans Rome, Mémoires d'un touriste.
Féru d'art lyrique, amoureux de l'Italie, comme en témoignent ses écrits, c'est lui qui fit connaître Rossini à Paris et en France. Des travaux de la deuxième moitié du xxe siècle ont fait apparaître sa compétence en matière picturale et musicale, sa familiarité avec ses peintres, sa vaste expérience du monde de la musique de son temps aussi bien instrumentale que lyrique, allemande ou italienne. Mais il était surtout un véritable spécialiste de l'opéra italien et de la peinture italienne. Bien qu'il se présentât comme un dilettante, on lui doit des analyses très fines de Rossini et Mozart. Il a saisi la mélancolie de Léonard de Vinci, le clair-obscur du Corrège, ou la violence michelangelesque.
Sa critique cohérente repose sur l'Expression, qui destitue les formes arrêtées et le Beau antique, la Modernité qui implique l'invention artistique pour un public en constante évolution, et la subordination du Beau à l'opinion seule, l'Utile qui donne du plaisir réel à une société, à des individus, et le dilettantisme qui repose sur la pure émotion du critique. Stendhal fonde ainsi une critique historique, l'art étant l'expression d'une époque, et revendique le droit à la subjectivité ; il admet la convergence des arts et leur importance selon qu'ils procurent ou non du plaisir physique, qu'ils ouvrent l'esprit à la liberté de l'imaginaire et qu'ils suscitent la passion, principe de base. Stendhal est un critique d'art qui marque une étape importante dans l'intelligence de tous les arts.
L'Histoire de la peinture en Italie paraît en 1817 ; de l'aveu même de l'auteur, l'ouvrage est un pamphlet et, de ce fait, un défi à la tradition académique,un manifeste qui remet en cause l'idée classique selon laquelle l'art serait transcendant, intemporel, et universel. Stendhal entend bien ramener le ciel sur la terre : les tableaux de Giotto, les Madones de Raphael, le Jugement dernier de Michel Ange sont immergés dans le temps, et ne sont pleinement intelligibles qu'à la lumière de mises au point replaçant les œuvres dans leur contexte. … Et ce que Stendhal dit de Michel Ange, il le dit de tous les autres peintres, ce qui fait de la peinture en Italie une histoire sinon matérialiste, du moins sociologique, et réaliste.

Stendhal et la politique

Malgré son annonce répétée que parler politique dans un roman est comme un coup de feu dans un théâtre, tous ses romans sont pétris de politique, que ce soit dans Lamiel, où il prévoyait pour son personnage du Docteur Sansfin un destin de député, ou dans La Chartreuse de Parme, critique transparente des despotismes italiens, et surtout dans Lucien Leuwen attaque en règle des turpitudes de la Monarchie de juillet tout autant que du ridicule des légitimistes, roman volontairement laissé inachevé pour ne pas déplaire au gouvernement de Louis-Philippe.
Les idées de Stendhal concernant la politique de son temps son pleines de contradictions, au point qu'il a pu être qualifié de Jacobin aristocratique. Il résume ses convictions politiques dans Vie de Henry Brulard : J'abhorre la canaille …, en même temps que, sous le nom de peuple je désire passionnément son bonheur, et que je crois qu'on ne peut le procurer qu'en lui faisant des questions sur un objet important. C'est-à-dire en l'appelant à se nommer des députés le suffrage universel. … J'ai horreur de ce qui est sale, or le peuple est toujours sale à mes yeux.S'il avoue donc être de gauche, c'est-à-dire libéral, il trouve les libéraux "outrageusement niais"; républicain de conviction, il méprise la canaille ; admirateur des qualités d'administrateur de Napoléon, il est écœuré par son côté tyrannique ; s'il trouve les légitimistes ridicules, il ne peut s'empêcher de regretter l'esprit d'AncSien Régime. Fidèle a son beylisme, Stendhal se méfie de tout et de tout le monde. Il se place résolument du côté de la subversion, de la modernité, contre les conservatismes et les hypocrisies du pouvoir.

Romantisme Racine et Shakespeare.

Stendhal a découvert le romantisme avec Frédéric Schlegel, mais Ces plats allemands toujours bêtes et emphatiques se sont emparés du système romantique, lui ont donné un nom et l’ont gâté.Il ne supporte pas non plus l’emphatisme niais de Chateaubriand et de Madame de Staël. C’est l’Edinburgh Review et Lord Byron qu'il découvre en septembre 1816, qui lui révèle un Romantisme qui rejoint ses idées, au moment où il termine son Histoire de la peinture en Italie : Byron, Byron est le nom qu'il faut faire sonner ferme. L’Ed. H. le place immédiatement après Shakespeare pour la peinture des passions énergiques. Ses ouvrages sont des histoires d’amour tragiques. Pour lui, le Romantisme est a la fois subversion et modernité, une rupture avec les anciens, une nouvelle manière d’exprimer les passions et une connaissance des émotions : La connaissance de l’homme, … si l’on se met à la traiter comme une science exacte, fera de tels progrès qu’on verra, aussi net qu’à travers un cristal, comment la sculpture, la musique et la peinture touchent le cœur. Alors ce que fait Lord Byron on le fera pour tous les arts.
Cependant Son style sec, précis, la revendication d'écrire aussi nuement que le Code civil, écartent de Stendhal tout soupçon de romantisme, si, par romantisme on entend : voiles gonflées, vents en rafales, orageux aquilons, souffles brûlants de la nuit, lunes épandues sur les lacs, coeurs en pâmoison, enflures, boursouflures et tonnerre des grandes orgues. Pourtant, Sainte-Beuve le qualifiait de hussard du romantisme, et Racine et Shakespeare, paru en 1825, où il prenait parti avec véhémence pour Shakespeare contre Racine, pour les sorcières échevelées de Macbeth contre les perruques de Bérénice, fut considéré comme un manifeste de la nouvelle école romantique, et même comme le premier manifeste, avant la préface de Cromwell de Victor Hugo en 1827. En réalité Stendhal ne livrait pas bataille pour le romantisme en soi, il émettait l'idée neuve que le goût est mobile, qu'à chaque siècle correspond une nouvelle sensibilité qui réclame des oeuvres d'un ton nouveau.
Jean Goldzink propose de faire un parallèle entre Stendhal et Théodore Géricault, son contemporain : Le Romantisme très particulier de Stendhal (un art de la modernité énergique, de la prose et de l'héroïsme dans les sentiments, qui allie culte de Napoléon et le culte de l'amour, l'ironie et la rêverie, trouve un équivalent pictural plus exact chez Gericault que dans l'univers onirique de Caspar David Friedrich.

Beylisme

Stendhal invente pour lui-même le Beylisme le 17 mars 1811, lorsqu'il écrit dans son journal à propos de l’un de son ami : Crozet est toujours amoureux d’A., conduisant sa barque comme un niais, et il en est triste et attristant. C’est ce que je lui dis sans cesse à lui-même pour le rendre un peu beyliste. Mais il regimbe. La volupté n’aura jamais en lui un adorateur véritable, et il me semble presque irrévocablement dévoué à la tristesse et à la considération qu’elle procure chez ce peuple singes.Il en reparle plus loin, à propos du poète Vittorio Alfieri et de la vie qu’il aurait dû avoir en tant que comic bard, poète comique : regarder la vie comme un bal masqué où le prince ne s’offense pas d’être croisé par le perruquier en domino.Si Alfieri avait été beyliste, il en aurait été plus heureux.
Dans Stendhal et le Beylisme, Léon Blum explore les principes et les contradictions de cette méthode pratique du bonheur : Quand on a pris clairement conscience des exigences essentielles de sa nature, quand on a concentré vers ce but toute sa volonté agissante, quand on a rejeté résolument les faux principes de la morale courante ou de la religion, les fausses promesses de la société, le bonheur peut s'obtenir logiquement, par stades nécessaires, comme une démonstration mathématique. Dans cette démarche, on se heurtera à l'éternel ennemi : le monde, mais on sait le moyen de la combattre, c’est-à-dire de le tromper. Dès qu'une tactique appropriée nous a débarrassé de son emprise, le bonheur ne tient plus qu'à notre lucidité et à notre courage : il faut voir clair, et il faut oser. … Une mécanique du bonheur et non du plaisir, dans cette formule tient la nouveauté profonde. Stendhal part de Condillac et d'Helvetius, des philosophies qui expliquent toute connaissance par les sens et réduisent toute réalité à la matière ; mais il les couronne par une conception du bonheur où nul élément sensuel et matériel n'entre plus. Le bonheur, tel que Stendhal l'entend, dépasse de beaucoup la secousse heureuse des sens ; il intéresse les énergies profondes de l'âme ; il implique un élan, un risque, un don où la personne entière s'engage.… Il est un épanouissement, un moment d'oubli total et de conscience parfaite, une extase spirituelle où toute la médiocrité du réel s'abolit. Les états intenses de l'amour, la jouissance que procure l'oeuvre d'art peuvent en fournir une idée.
Ou, comme le résumait plus récemment Charles Dantzig : Si les écrivains du XIXe siècle broient du noir, Stendhal broie du rose. … Le bonheur chez Stendhal n’est pas une idéologie, il est la vie même, ou plutôt ce que la vie devrait être. Le bonheur chez Stendhal est l’état idéal du petit nombre de papillons toujours attaqués par les bœufs pour leur délicatesse.

Un nouveau "roman"


Stendhal n'a pas été un romancier prolifique. Il a publié seulement trois romans Armance, le Rouge et le Noir, la Chartreuse de Parme et une demi-douzaine de nouvelles Vanina Vanini, le Philtre, les Chroniques italiennes. Il est vrai que d'autres œuvres, pour des raisons qui mériteraient d'être précisées, tellement le phénomène est caractéristique, n'ont pas été achevées : Une position sociale, Lucien Leuwen, Mina de Vanghel, Lamiel, Suora Scolastica. Mais, même en tenant compte de ces dernières, le chiffre total demeure assez faible. Autre remarque : Stendhal est arrivé très tard au roman, la quarantaine passée, après s'être surtout occupé de théâtre, ce qui implique une lente maturation et une formation dont on aurait tort de ne pas tenir compte. C'est pourquoi le roman stendhalien ne ressemble en rien, par sa conception et sa structure, ni au roman traditionnel, ni au roman contemporain, celui de Balzac en particulier.
Armance, le coup d'essai, n'est sans doute pas un coup de maître, bien qu'il laisse présager un écrivain original. Le sujet, un cas d'impuissance, n'est pas une invention du néo-romancier, qui a exploité une aventure passablement scandaleuse narrée par la duchesse de Duras dans un livre qui courait Paris sous le manteau. Sa nouveauté réside en la manière dont l'intrigue est nouée et dans son insertion dans la vie contemporaine. Mais trop d'interdits existaient en 1827 pour qu'il fût possible de parler ouvertement du mal mystérieux dont souffre le héros, de sorte que, par la force des choses, le récit tourne court, l'auteur ne pouvant – ni ne voulant – s'exprimer avec la liberté nécessaire.
Le Rouge et le Noir est, lui aussi, issu de l'actualité. Deux faits divers, l'un survenu dans les Pyrénées, l'autre dans le Dauphiné, ont joué le rôle de catalyseur
Les différences entre les deux chefs-d'œuvre romanesques stendhaliens sont grandes. Cette différence se double d'une évolution non moins certaine. Néanmoins, les points de contact sont nombreux, tant sur le plan psychologique que sur le plan historique. Que l'on songe, pour n'en donner qu'un seul exemple, au donjon-prison qui trône dans la deuxième partie des deux romans. Le retour du même thème ne peut être imputé au hasard ou à l'impéritie. En outre, le dénominateur commun est constitué par l'enracinement dans l'actualité contemporaine. Stendhal connaît le secret de supprimer tout hiatus entre la fiction et la réalité.
Au tableau de la France courbée sous la férule de la toute-puissante Congrégation fait pendant celui de l'Italie divisée, opprimée. La toile de fond est tellement imprégnée d'actualité qu'il est loisible de chercher à deviner sous les personnages issus de l'imagination du romancier des silhouettes du temps et à retrouver dans tel ou tel épisode des événements ayant défrayé la chronique.
Le Rouge et le Noir et la Chartreuse de Parme ne sont pas une exception ; toute l'œuvre romanesque stendhalienne présente ce même aspect : qu'il s'agisse de ce drame cornélien entre l'amour et l'amour de la patrie qu'est Vanina Vanini, ou de Lucien Leuwen, l'un des tableaux les plus lucides, les plus pénétrants qu'on ait jamais peints des mœurs provinciales dans la première partie et des dessous de la politique dans la seconde, ou encore de Lamiel, qui, mettant en scène une séduisante aventurière, voulait – car, pas plus que le précédent, il n'a pas été achevé – offrir à son tour un tableau des mœurs politiques sous Louis-Philippe. Est-on donc autorisé à considérer ces œuvres comme des romans historiques et le romancier, ainsi qu'on s'est plu à le répéter ces dernières années, comme un champion du réalisme ? Ce serait singulièrement l'appauvrir. Stendhal ne peut être comparé à ceux qui, à l'instar de Walter Scott, ont essayé de faire du vrai avec du faux. En dépit de son goût pour les petits faits vrais, Stendhal n'est pas un naturaliste, n'a rien d'un Zola. Loin de là, il a horreur de ce qui est vulgaire. Or, trop souvent, la réalité est basse, sale, ignoble, prosaïque. Il est bien vrai que ses romans sont conçus comme des chroniques – c'est le mot qui figure sur le frontispice du Rouge et le Noir – et comme un miroir – autre mot mis en épigraphe d'un chapitre du même ouvrage –, mais ils sont aussi et surtout le résultat d'une secrète et heureuse alchimie. Alors que les réalistes sont condamnés à patauger dans la déchéance physique et morale de l'être humain, Stendhal se place, lui, sous le signe de l'élévation, et cela non par obédience à un quelconque mot d'ordre d'une quelconque religion ou d'une quelconque morale, mais d'instinct, parce qu'il est persuadé que c'est là, et non ailleurs, l'aboutissement de la condition humaine. Et c'est par suite de la même conviction que l'amour-passion prend le pas sur l'érotisme. D'où un changement radical d'optique : celui qui, pour les exégètes du XIXe s., était un mauvais maître est devenu une source de foi en la valeur profonde de l'âme humaine, un maître de vie courageuse tendue vers l'idéal.
Original par sa conception, le roman stendhalien ne l'est pas moins par l'écriture. On a beaucoup parlé du style sec et dépouillé de Stendhal, qui, à l'en croire, lisait, pour se mettre en train, quelques pages du Code civil. Mais, par le suite, on a pris conscience de la signification et de la portée de ce dépouillement et de cette sécheresse. Dans ses romans – ainsi d'ailleurs que dans tous ses écrits –, Henri Beyle a su supprimer le décalage existant entre la langue littéraire et la langue parlée. Autrement dit, il a exprimé de la manière la plus immédiate ses idées et ses sentiments sans chercher à les affubler de tournures académiques. Cela explique l'allure parfois heurtée de ses phrases, ses redites et même ses incorrections, ses incohérences apparentes, qui ont si fort choqué ses contemporains.
Cette allure heurtée, si éloignée des phrases bien rythmées d'un Chateaubriand ou des tournures souvent rocailleuses d'un Balzac, vient surtout de l'élimination des idées intermédiaires. En sous-entendant les charnières, Stendhal met en relief le détail essentiel, amené la plupart du temps de manière imprévue, et il l'impose à l'attention des lecteurs. Sous un certain rapport, l'écriture stendhalienne annonce l'écriture cinématographique : bâtir à petites touches, petit détail par petit détail ; d'où de courtes scènes dont la puissance d'évocation crée le lien, et c'est Stendhal qui, le premier, a eu recours au procédé de la limitation du champ. La célèbre description de la bataille de Waterloo en est l'exemple le plus frappant : renonçant à la vue panoramique traditionnelle, le romancier reproduit uniquement ce que l'œil de son héros pouvait voir. La leçon a été retenue par les romanciers de notre siècle, et c'est à juste titre que la plupart d'entre eux considèrent Stendhal comme leur maître.
" Je ne sais pourquoi j'ai une honte mortelle du métier d'auteur."

À maintes reprises, Stendhal s'est exprimé en termes vifs à l'égard de l'académisme régnant à son époque. Ses contemporains et, plus encore, sa postérité immédiate se sont vengés en l'ignorant. Pour nous, au contraire, la récusation de la « littérature » explique et justifie le succès extraordinaire de l'œuvre stendhalienne. Stendhal a fait de l'anti-littérature non par parti pris, non en disciple d'un cénacle, mais parce qu'il a eu l'intuition que la littérature telle qu'on la concevait de son temps était désormais vidée et qu'il était absurde de continuer à s'asservir à un mode périmé d'expression.
La rapidité avec laquelle Stendhal compose est, par elle-même, la meilleure preuve de cette attitude. Toutes ses œuvres ont été écrites tambour battant, depuis le premier livre, les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, jusqu'au dernier, la Chartreuse de Parme. Une seule exception, l'Histoire de la peinture en Italie, dont la composition s'étale sur quelque six ans. En général, la rédaction n'est entreprise que lorsqu'un sujet est mûr dans l'esprit de l'auteur. Alors elle avance vite, très vite, comme si celui-ci était obsédé par la crainte de voir son inspiration s'envoler. Le travail littéraire est, pour lui, état de crise, synonyme de crispation et de tension nerveuse. Cela explique aussi que Stendhal écrive mal au propre et au figuré : entraîné par son élan, il n'a cure de bien mouler ses lettres, pas plus qu'il n'a le temps de choisir ses expressions, d'éviter les répétitions, la pléthore des pronoms relatifs, les cascades des subordonnées. À peine prend-il le temps de marquer d'une croix dans l'interligne les termes qu'il se propose de remplacer ou d'en mettre deux l'un à côté de l'autre, se réservant de choisir plus tard. Il est pressé d'arriver au bout, de couper le cordon ombilical. Le dénouement de presque tous ses livres est hâtif, trahissant une espèce d'angoisse qui porte l'écrivain à trancher dans le vif. Dès que, au contraire, il commence à « fignoler », à tracer des plans, à revenir en arrière pour améliorer les parties déjà écrites, introduire de nouvelles circonstances, soyons assurés que l'ouvrage est condamné à rester inachevé. Les exemples abondent ; c'est le cas, entre autres, de Lucien Leuwen et de Lamiel.
C'est pourquoi il est difficile – et dangereux – de classer Stendhal dans un genre bien défini. Il n'est pas tour à tour romancier, pamphlétaire, essayiste, voyageur, historien ; il est tout cela à la fois. C'est pourquoi, aussi, il est beaucoup plus qu'un écrivain du modèle habituel, de ceux que guettent la sclérose et le temps edax rerum. Au contraire, il possède une éternelle jeunesse, car il a le don inné d'inciter son lecteur à réfléchir, à faire un retour sur lui-même, sans pour autant violer son indépendance d'esprit, à l'engager dans la voie qui a été la sienne, celle de l'anticonformisme.
Ce qu'on a pris autrefois pour une expression de frivole amateurisme se présente à nous sous un tout autre aspect. Stendhal a cru à la littérature. Il a vécu d'elle et pour elle ; mais cette littérature-là ne ressemble point à celle qui avait cours de son temps. Ce n'est pas plus un passe-temps qu'un gagne-pain. Elle est un moyen de transmission et non une finalité. Être homme de lettres implique une responsabilité, un engagement vis-à-vis de soi-même : prendre conscience des problèmes qui se posent à l'individu vivant la vie de son temps et qui, dans la plupart des cas, le transcendent. Il n'y a pas pire présomption que celle de vouloir à tout prix trouver des solutions totales et définitives. Stendhal a su restituer à la littérature sa valeur et sa raison d'être.

Le stendhalisme

C'est un curieux et important phénomène, unique dans l'histoire des lettres. Il témoigne de l'empreinte laissée par Stendhal.
Il est vrai que les stendhaliens ne jouissent pas d'une bonne réputation. On se gausse de leurs minutieuses investigations, dont l'intérêt ne semble pas toujours proportionné aux moyens mis en action. On leur reproche de se perdre dans l'accessoire, laissant échapper l'essentiel ; on ironise sur leur tendance à s'enfermer dans une chapelle dont l'entrée est interdite aux non-initiés.
Pourquoi nier la part de vérité existant dans ces chicanes ? Un fait, cependant, est indiscutable : le stendhalisme existe depuis bientôt un siècle ; il s'est perpétué de génération en génération, à travers les fluctuations de tous les engouements et de toutes les modes ; il a débordé les frontières de la littérature française : il n'y a guère de pays au monde où le stendhalisme n'ait pris racine et n'ait ses adeptes. Un tel phénomène mérite réflexion.
Le promoteur en a été Stendhal lui-même. C'est lui qui a mis en circulation la notion de beylisme et a forgé le néologisme stendhaliser. C'est lui qui, par son habitude de s'exprimer en code, a intrigué ses lecteurs, qui se sont appliqués à le décrypter. Aussi son purgatoire n'a-t-il duré que peu d'années. Dès 1870, on signale des beylistes cherchant, avec de compréhensibles tâtonnements, à expliquer le pouvoir de séduction de l'écrivain. Après ces pionniers vient la génération des Bourget, des Taine, des Zola ; avec eux, Stendhal prend définitivement une place de choix dans l'histoire littéraire et dans celle des idées. Grâce à Émile Faguet, il franchit le seuil de l'université, habituée à n'admettre que les valeurs reconnues. À cette même époque, Casimir Stryienski et Jean de Mitty, en exhumant du fatras des manuscrits déposés à la bibliothèque de Grenoble des œuvres mal connues ou même totalement inconnues – Lucien Leuwen, Lamiel, les Souvenirs d'égotisme, la Vie de Henry Brulard, le Journal –, élargissent l'horizon stendhalien. Pendant ce temps, Andrew Archibald Paton fait paraître à Londres, en 1874, la première étude d'ensemble. Depuis lors, les stendhaliens se sont multipliés. La simple énumération de leurs noms remplirait plus d'une page.
Avec les années, le stendhalisme a changé de caractère : à l'amateurisme du début ont succédé des méthodes rigoureuses de recherche. Le résultat de cette ferveur est que l'image de Stendhal, telle que la voyaient ses contemporains, s'est notablement modifiée. Le cliché de l'homme frivole, du libertin cynique, de l'écrivain fantaisiste et assez fumiste sur les bords a été remplacé par l'image d'un être tout différent : une âme délicate et farouche, un passionnel qui n'a guère connu ce bonheur qu'il a poursuivi toute sa vie, un anticonformiste qui a toujours refusé de se plier à la contrainte d'où qu'elle vînt, un écrivain pénétrant et lucide, d'une inépuisable richesse. Notre génération a découvert des aspects que nos aînés avaient ignorés, par exemple l' actualité où baigne son œuvre tout entière – actualité littéraire, politique, sociale. Les générations qui nous suivront seront sensibles à d'autres formes d'expression que notre optique mentale ne nous permet pas d'appréhender. Et c'est bien là le plus étonnant aspect de la personnalité de Stendhal que cet attrait sans cesse renouvelé qu'exerce son esprit sur les générations successives, qui, chacune à son tour, se reconnaissent en lui.

Le touriste

Un autre mot dont Stendhal a enrichi la langue française est touriste. Et l'écrivain a joint au mot la chose, puisqu'il a été un grand voyageur et que quatre de ses livres sont des récits de voyage : Rome, Naples et Florence en 1817, Rome, Naples et Florence, nouvelle édition entièrement refondue, Promenades dans Rome, Mémoires d'un touriste.
« Il avait toujours adoré les voyages, la visite des curiosités d'un pays ….C'est par ces paroles que Stendhal présente, au début du dernier de ces ouvrages, son alter ego, le touriste Philippe L. Il est pourtant indispensable de s'entendre sur les limites de cette curiosité. S'il est vrai que Stendhal a passé hors de France et dans de continuels déplacements un tiers environ de sa vie, il n'en est pas moins vrai qu'il n'a jamais manifesté le moindre penchant pour l'exotisme, tellement à la mode à l'époque romantique. Il est allergique à l'Orient. Rien, chez lui, d'initiatique ; il ne voyage pas à la recherche des secrets de la raison d'être de l'humanité. Son champ est beaucoup plus limité. Ayant sympathisé d'emblée avec le caractère italien, Stendhal désire toujours mieux le connaître, car, à travers lui, il a l'impression de mieux apprendre à se connaître lui-même. Le voyage stendhalien est conçu comme la quête du moi.
Dans l'Avertissement des Promenades dans Rome, le mot égotisme revient par deux fois. Après avoir rapporté le souvenir, d'ailleurs fictif, d'un prétendu premier séjour qu'il aurait fait dans la Ville éternelle en 1802, Stendhal poursuit : M'accusera-t-on d'égotisme pour avoir rapporté cette petite circonstance ? Tournée en style académique ou en style grave, elle aurait occupé toute une page. Voilà l'excuse de l'auteur pour le ton tranchant et pour l'égotisme.Cette insistance n'est pas casuelle. L'ouvrage que l'auteur propose à son lecteur est le fruit de son égotisme. Le voyage est une occasion de sensations.
Si les voyages en Italie foisonnent de considérations esthétiques et de réflexions sur les mœurs, le voyage en France abonde en réflexions économiques et sociales. En effet, les Mémoires d'un touriste sont le miroir de la France sous la monarchie de Juillet. Stendhal a le mérite d'avoir perçu l'importance des problèmes concernant l'aménagement du territoire et l'environnement au moment même où l'industrialisation et l'introduction de la machine à vapeur provoquaient une crise aiguë et anéantissaient toutes les vieilles conceptions.
À une époque où le tourisme était, lui aussi, en pleine mutation, Stendhal donne au voyage une dimension nouvelle. Loin de le considérer comme une sorte d'opium où chercher l'oubli de l'angoisse quotidienne ou un simple complément de la formation intellectuelle, il vise à l'approfondissement du moi, sans que, pour autant, ses notations perdent leur allure spécifique de carnets de route. Ce résultat est atteint grâce, en premier lieu, à la forme de journal qu'il a adoptée, ensuite au grand nombre d'allusions plus ou moins voilées, aux sous-entendus, aux demi-aveux. Ce sont là les principaux éléments de ce piquant, où Stendhal est passé maître et qui rend la lecture de l'œuvre si attrayante.

Le voyage, la passion, l'esthétique

Le voyage, la passion, l'esthétique dominent l'expérience et l'œuvre de Stendhal et constituent comme une ligne brisée, qui le conduit au roman, lequel tend à devenir son mode d'expression préféré. Ces trois notions sont à la fois vécues et écrites plus que pensées, tant il est vrai que, pour la phénoménologie spontanée du romantique, l'expression de l'art prolonge sans perte ni rupture la dimension première de la vitalité en acte, où s'enracinent les valeurs idéales.
La Vie de voyage : c'est le titre d'une nouvelle de Gobineau qui implique que la vie est voyage, ou encore que le voyage représente la vérité de la vie. C'est en ce sens que Stendhal en a fait une pratique romantique, où le contact imprévu et neuf avec une réalité toujours différente révèle la différence toujours renouvelée qui construit le moi et fait de l'existence une suite de présents délivrés de la contrainte et du but à atteindre. Dans le tourisme, Stendhal est un des premiers à reprendre cet anglicisme, deux postulats romantiques – l'être est un vivant sensible, l'être n'est qu'individuel – sont explicités. Mais le voyage de Stendhal est italien d'abord. L'Italie est le lieu où Henri Beyle a découvert le bonheur de vivre ; mais ce bonheur est le propre du Sud, parfaite antithèse du Nord. Celui-ci, protestant, libéral, rationnel, moral et même puritain, industriel et technique, moderne et déjà démocratique, est peu à peu l'objet d'une critique radicale. Le grand Sud, catholique, archaïque, asocial et apolitique, univers de la violence, de la sensualité, de la passion amoureuse, s'épanouit, lui, dans l'esthétique, car il laisse en liberté les puissances du désir et de la vitalité, en même temps qu'il leur interdit toute issue dans l'action pratique ou sociale. L'Italien, heureux-malheureux, est ainsi le plus physique des hommes et le plus idéal : il n'existe absolument que dans les régions désintéressées et irréelles des beaux-arts. L'Italie récuse le monde moyen, tout ce qui est maîtrise de la réalité, organisation calculée de la vie et du temps, monopole de la raison et de ses domaines d'application, technique, science, morale. Les antivaleurs pour Stendhal sont le travail, l'argent, la vanité, condition nécessaire de toute société. Tout pays se situe dès lors à l'intérieur de cette dichotomie moderne : nord-sud. L'extrême nord, c'est les États-Unis. Mais le voyage, qu'il soit réel ou mental, se déroule toujours à l'intérieur de l'opposition et en parcourt les deux pôles. Que choisir, au reste ? Stendhal, qui se veut moderne dans le romantisme, est un héritier des pensées critiques du XVIIIe siècle. Libéral et républicain, positiviste et irréligieux, il est du nord comme du sud.

Seulement, son romantisme moderne refuse la modernité unilatérale. Il pense les contraires, sa philosophie implicite repose sur un usage agressif et railleur du paradoxe. Stendhal défend aussi bien l'État minimal du libéralisme que le despotisme génial de Napoléon ou le couple despotisme-anarchie qui caractérise l'Italie. Républicain de conviction, il reste nostalgique des sociétés aristocratiques. Pensant par évidences instantanées et impulsives, il établit sa logique à l'intérieur d'une logique supérieure qui réconcilie vérité et sentiment, raison et plaisir.
Il est donc devenu traditionnel de définir Stendhal par des oppositions intérieures : ironie et passion, conscience et rêverie... Rien de plus vrai, mais il faut ajouter qu'en un certain point s'esquisse une unité, une complétude, proprement romantiques. La passion amoureuse, ou plus profondément l'éros, au sens platonicien, a cette fonction d'unification dans la vie de Stendhal comme dans toute son œuvre ; d'où la place centrale qu'occupe De l' amour. Œuvre de circonstance, plaidoyer de l'amoureux méprisé, consolation d'un amant transi, analyse psychologique et sociologique, mais aussi longue plainte d'un Pétrarque romantique, retour à la tradition courtoise et romanesque, le livre est un art d'aimer, un traité d'érotique moderne, qui fait du long désir, du désir de loin, le centre d'une aventure spirituelle, le moyen d'un perfectionnement, et le cœur de toute découverte esthétique. Il s'agit donc bien d'une connaissance sensible, d'une mise en rapport du désir et de l'idée, ou de l'image, de l'éros et de l'inspiration. Sans émotion, sans désir ou plaisir, Stendhal n'est rien. La cristallisation, invention par l'imagination de la femme aimée, qui la constitue en objet d'une inépuisable perfection dans son unicité, est une sorte de folie, mot clé de Stendhal, mais c'est aussi la démarche essentielle qui unit le désir à la création imaginaire, la vitalité à la spiritualité.

La critique d'art à laquelle Stendhal s'adonne pendant sa première période créatrice est une expérience très proche de cette pensée. Cette activité est mal jugée : livres faits de plagiats, partis pris de Stendhal qui refuse par exemple la musique allemande au profit d'un ralliement exclusif au bel canto, et encore, il n'apprécie que Cimarosa, Mozart, et Rossini partiellement, romantisme étrange qui l'écarte de Chateaubriand, Delacroix, Hugo, Balzac, Beethoven... En fait, il faut reconnaître à Stendhal une incontestable compétence, c'est-à-dire une science de l'art, et le droit c'est le dilettantisme de juger en fonction de son seul plaisir et de son émotion : l' esthétique est la sensibilité, sous toutes formes, depuis le plaisir des sens jusqu'au bouleversement presque sacré du sublime, Michel-Ange, Mozart, c'est l'émotion sympathique qui unit le sujet à l'œuvre et fait de son interprétation une assimilation. En ce sens, Stendhal est plus qu'un critique d'art. Sa réflexion esthétique n'est pas un système, elle n'est fondée que sur les données immédiates du jugement esthétique dans tous les arts, hiérarchisés en fonction de leur pouvoir de favoriser le libre essor de la subjectivité créatrice, ou imagination. Stendhal refuse identiquement l'alexandrin, la tragédie néoclassique, la peinture hollandaise, la symphonie allemande et l'harmonie pure, le dessin, la sculpture antique, peut-être même le théâtre, toutes formes qui appauvrissent le sens, le cernent dans un contour ou dans un agencement de signes.

En peinture, Stendhal préfère le clair-obscur, surtout corrégien qui généralise le lointain, opère la fusion de l'ombre et de la lumière, offre le tableau comme une surface que l'imagination se doit d'achever. À Moscou, en 1811, Stendhal note que son idéal général de beauté est dans Cimarosa, ce misto di tenerezza e d'allegria qu'il offre à jamais comme œuvre idéale et style complet.

Le romancier

Chez Stendhal comme chez Balzac, Gautier, Baudelaire, l'expérience et la réflexion esthétiques ne se séparent pas de l'écriture. Stendhal, plus nettement que tout autre, est passé par cette méditation sur les arts pour élargir son idéal de beauté et de style : en apparence, il s'éloigne de la littérature, il la réduit à sa personne le journal, il la déborde en découvrant les effets qui le passionnent dans la peinture et la musique. En fait, l'artiste-écrivain aspire à une nouvelle littérature, et souffre dès le début d'une insuffisance du classicisme qui le conduit à revenir à la littérature enrichi et fortifié par son passage par l'esthétique ; celle-ci suppose une autonomie nette de l'art, un pouvoir global de signification et, surtout, de suggestion, plus de confiance aussi dans les capacités créatrices de l'imagination. À rebours du classicisme, ce que Stendhal appelle le style, le sien, suppose un brisement des continuités, d'où l'importance du fragment, de la parataxe, de l'ellipse, du détail, un refus de la construction et une préférence pour l'implicite et sa capacité illimitée de sens. Stratégie d'inachèvement, polyphonie ludique : l'effet Cimarosa ou l effet Corrège sont chez Stendhal des données stylistiques.

Conteur, anecdotier, Stendhal a pratiqué le récit, sans jamais songé à écrire un roman. Il s'y met pour des motifs personnels : dans Armance, il conçoit le personnage d'Octave, héros impuissant, en plein désespoir amoureux, en pleine défaite de lui-même. Le roman est alors une manière impersonnelle de dire le moi. Ses souvenirs jamais avoués de la passion pour Métilde sont dans Lucien Leuwen. Le plus intime de sa vie, les impressions de l'arrivée à Milan, impossibles dans Henry Brulard, sont permises dans La Chartreuse. Et puis, en 1827, le roman est un genre dont les romantiques s'emparent. Stendhal y vient par le romanesque, patrie utopique de ceux qui rêvent de passions et d'héroïsme, d'exploits et de bonheur absolu. C'est son monde, celui de ses premières lectures, le Tasse, l'Arioste, Cervantès, qui le placent dans l'univers enchanté et magique de l'éternel romance. Le romanesque est un monde complet, c'est ce qu'il nomme l'espagnolisme, ce culte du beau en tout, l'engagement illimité dans la chimère qui annule la réalité et en fait une terre d'exil. Tout commence donc avec Don Quichotte, et Stendhal, comme tant de romanciers du XIXe siècle, en revient à cette fondation du roman moderne. Tous ses héros sans exception sont définis par le conflit entre l'idée qui peut être l'idéalisme politique, l'abus des livres, l'a priori du cœur et le monde tel qu'il est.

Car, en 1827, le roman, c'est aussi le roman historique et politique, à l'exemple de Walter Scott, et le premier roman de Stendhal adapte au monde contemporain les procédés de saisie de l'histoire. Le romantique découvre la modernité du roman, qui s'adresse à un public démocratique, raisonnable et positif, qui se méfie des conventions du genre et de l'imagination, et qui veut satisfaire à la fois son goût du romanesque et son incrédulité. Renonçant à la fiction, le roman, qui se dit miroir, veut être vrai et propose un ensemble de faits authentiques. Stendhal n'invente pas le sujet de ses romans ; le plus souvent, il emprunte son schéma directeur à un autre texte, Latouche pour Armance, son amie Mme Gaulthier pour Lucien Leuwen, à un fait-divers notoire, l'affaire Berthet pour Le Rouge et le Noir ou réécrit, en changeant les données temporelles, un autre récit, Le Philtre ; La Chartreuse, née des Origines de la famille Farnese. Mais il lui faut encore la caution continuelle de la vérité stricte, le renvoi au référent précis et prouvé, au monde de petits faits vrais. Le roman qui déjoue la méfiance, sans cesser d'être pur roman, sera par excellence un roman politique, la politique, c'est l'actualité, ou un roman de la politique.

Certes, son roman évolue : violent, sombre, tendu, avec Armance et Le Rouge qui ont des tonalités tragiques, il tend à devenir, par un changement de manière, plus large, plus moqueur, et carrément comique dès Lucien Leuwen. Mais il reste fidèle à cet équilibre générique entre la tradition du romance et sa profanation par un réalisme antihéroïque et bas. Il faudrait dire que ces deux niveaux évoluent contradictoirement. Car c'est toujours à partir d'une courtoisie radicale que s'organise l'œuvre : le désir veut l'obstacle, la passion se fonde sur son impossibilité, elle implique le dévouement absolu, le renoncement, la prouesse de l'amant, le rayonnement idéal, tendre ou cruel, mystérieux ou violent, de la beauté féminine, le cœur du roman stendhalien, c'est bien l'érotique courtoise. Stendhal fait varier l'obstacle, ou encore le radicalise, l'impuissance d'Octave, la froideur de Lamiel, la pureté d'Armance, le complique d'aspects sociaux, Julien et son infériorité sociale, ou surtout son complexe d'infériorité, le purifie, Lucien et Mme de Chasteller, voire le sacralise, le vœu de Clélia. Son romanesque même évolue vers plus de rigueur, il retrouve ses sources avec le contexte italien et historique, L'Abbesse de Castro, La Chartreuse de Parme, où le récit d'aventure, la prouesse courtoise, le picaresque allègre sont regroupés, tandis que s'accentuent la lourdeur et la laideur du niveau bas, avec les scènes de la vie politique moderne dans Lucien Leuwen, les scènes de cour à Parme, la généralisation d'un ton burlesque dans Lamiel.
Il y a un comique, une ironie inhérents au roman stendhalien ou à son romanesque tombé dans la réalité d'une époque non héroïque. Le romancier mis à part L'Abbesse de Castro, qui relève du roman de chevalerie ne peut pas présenter un héroïsme intégral : les personnages sont des modernes, et le lecteur les aimera d'autant plus qu'il pourra se moquer d'eux. Leurs grandes actions, prendre la main de Mme de Rênal, suivre l'escorte de Napoléon à Waterloo sont petites, parodiques, paradoxales. Ce qui compte, c'est le degré d'effort, ou la mesure de la force qui est utilisée ; l'énergie selon Stendhal est justement là : non dans le résultat de la force, mais dans l'effort interne. Cet héroïsme intérieur et ironique est au centre des interventions du narrateur stendhalien, dont la voix et les intrusions infinies, se moquant de tout, et brisant toute cohérence, déploie autour des personnages une atmosphère d'ambiguïté qui tour à tour les abaisse et les élève. Roman de l'anxiété du moi, le roman de Stendhal la montre violente et sombre chez Julien, désespérée chez Octave, ingénue et naïve chez Lucien et en délivre un Fabrice plus attaché à la quête de l'amour qu'à la quête de lui-même.

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Stendhal 3 suite et fin
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Le romancier

Chez Stendhal comme chez Balzac, Gautier, Baudelaire, l'expérience et la réflexion esthétiques ne se séparent pas de l'écriture. Stendhal, plus nettement que tout autre, est passé par cette méditation sur les arts pour élargir son idéal de beauté et de style : en apparence, il s'éloigne de la littérature, il la réduit à sa personne le journal, il la déborde en découvrant les effets qui le passionnent dans la peinture et la musique. En fait, l'artiste-écrivain aspire à une nouvelle littérature, et souffre dès le début d'une insuffisance du classicisme qui le conduit à revenir à la littérature enrichi et fortifié par son passage par l'esthétique ; celle-ci suppose une autonomie nette de l'art, un pouvoir global de signification et, surtout, de suggestion, plus de confiance aussi dans les capacités créatrices de l'imagination. À rebours du classicisme, ce que Stendhal appelle le style, le sien, suppose un brisement des continuités, d'où l'importance du fragment, de la parataxe, de l'ellipse, du détail, un refus de la construction et une préférence pour l'implicite et sa capacité illimitée de sens. Stratégie d'inachèvement, polyphonie ludique : l'effet Cimarosa ou l effet Corrège sont chez Stendhal des données stylistiques.

Conteur, anecdotier, Stendhal a pratiqué le récit, sans jamais songé à écrire un roman. Il s'y met pour des motifs personnels : dans Armance, il conçoit le personnage d'Octave, héros impuissant, en plein désespoir amoureux, en pleine défaite de lui-même. Le roman est alors une manière impersonnelle de dire le moi. Ses souvenirs jamais avoués de la passion pour Métilde sont dans Lucien Leuwen. Le plus intime de sa vie, les impressions de l'arrivée à Milan, impossibles dans Henry Brulard, sont permises dans La Chartreuse. Et puis, en 1827, le roman est un genre dont les romantiques s'emparent. Stendhal y vient par le romanesque, patrie utopique de ceux qui rêvent de passions et d'héroïsme, d'exploits et de bonheur absolu. C'est son monde, celui de ses premières lectures, le Tasse, l'Arioste, Cervantès, qui le placent dans l'univers enchanté et magique de l'éternel romance. Le romanesque est un monde complet, c'est ce qu'il nomme l'espagnolisme, ce culte du beau en tout, l'engagement illimité dans la chimère qui annule la réalité et en fait une terre d'exil. Tout commence donc avec Don Quichotte, et Stendhal, comme tant de romanciers du XIXe siècle, en revient à cette fondation du roman moderne. Tous ses héros sans exception sont définis par le conflit entre l'idée qui peut être l'idéalisme politique, l'abus des livres, l'a priori du cœur et le monde tel qu'il est.

Car, en 1827, le roman, c'est aussi le roman historique et politique, à l'exemple de Walter Scott, et le premier roman de Stendhal adapte au monde contemporain les procédés de saisie de l'histoire. Le romantique découvre la modernité du roman, qui s'adresse à un public démocratique, raisonnable et positif, qui se méfie des conventions du genre et de l'imagination, et qui veut satisfaire à la fois son goût du romanesque et son incrédulité. Renonçant à la fiction, le roman, qui se dit miroir, veut être vrai et propose un ensemble de faits authentiques. Stendhal n'invente pas le sujet de ses romans ; le plus souvent, il emprunte son schéma directeur à un autre texte, Latouche pour Armance, son amie Mme Gaulthier pour Lucien Leuwen, à un fait-divers notoire, l'affaire Berthet pour Le Rouge et le Noir ou réécrit, en changeant les données temporelles, un autre récit, Le Philtre ; La Chartreuse, née des Origines de la famille Farnese. Mais il lui faut encore la caution continuelle de la vérité stricte, le renvoi au référent précis et prouvé, au monde de petits faits vrais. Le roman qui déjoue la méfiance, sans cesser d'être pur roman, sera par excellence un roman politique, la politique, c'est l'actualité, ou un roman de la politique.

Certes, son roman évolue : violent, sombre, tendu, avec Armance et Le Rouge qui ont des tonalités tragiques, il tend à devenir, par un changement de manière, plus large, plus moqueur, et carrément comique dès Lucien Leuwen. Mais il reste fidèle à cet équilibre générique entre la tradition du romance et sa profanation par un réalisme antihéroïque et bas. Il faudrait dire que ces deux niveaux évoluent contradictoirement. Car c'est toujours à partir d'une courtoisie radicale que s'organise l'œuvre : le désir veut l'obstacle, la passion se fonde sur son impossibilité, elle implique le dévouement absolu, le renoncement, la prouesse de l'amant, le rayonnement idéal, tendre ou cruel, mystérieux ou violent, de la beauté féminine, le cœur du roman stendhalien, c'est bien l'érotique courtoise. Stendhal fait varier l'obstacle, ou encore le radicalise, l'impuissance d'Octave, la froideur de Lamiel, la pureté d'Armance, le complique d'aspects sociaux, Julien et son infériorité sociale, ou surtout son complexe d'infériorité, le purifie, Lucien et Mme de Chasteller, voire le sacralise, le vœu de Clélia. Son romanesque même évolue vers plus de rigueur, il retrouve ses sources avec le contexte italien et historique, L'Abbesse de Castro, La Chartreuse de Parme, où le récit d'aventure, la prouesse courtoise, le picaresque allègre sont regroupés, tandis que s'accentuent la lourdeur et la laideur du niveau bas, avec les scènes de la vie politique moderne dans Lucien Leuwen, les scènes de cour à Parme, la généralisation d'un ton burlesque dans Lamiel.
Il y a un comique, une ironie inhérents au roman stendhalien ou à son romanesque tombé dans la réalité d'une époque non héroïque. Le romancier mis à part L'Abbesse de Castro, qui relève du roman de chevalerie ne peut pas présenter un héroïsme intégral : les personnages sont des modernes, et le lecteur les aimera d'autant plus qu'il pourra se moquer d'eux. Leurs grandes actions, prendre la main de Mme de Rênal, suivre l'escorte de Napoléon à Waterloo sont petites, parodiques, paradoxales. Ce qui compte, c'est le degré d'effort, ou la mesure de la force qui est utilisée ; l'énergie selon Stendhal est justement là : non dans le résultat de la force, mais dans l'effort interne. Cet héroïsme intérieur et ironique est au centre des interventions du narrateur stendhalien, dont la voix et les intrusions infinies, se moquant de tout, et brisant toute cohérence, déploie autour des personnages une atmosphère d'ambiguïté qui tour à tour les abaisse et les élève. Roman de l'anxiété du moi, le roman de Stendhal la montre violente et sombre chez Julien, désespérée chez Octave, ingénue et naïve chez Lucien et en délivre un Fabrice plus attaché à la quête de l'amour qu'à la quête de lui-même.

Les nouvelles

S'il change de genre, il change de thèmes : Stendhal est un auteur de nouvelles, et l'on a tout intérêt à considérer comme un ensemble parallèle aux romans et différent d'eux ses textes courts qui comportent, avant ses romans, les récits, qui vont de l'anecdote à la nouvelle ou à la chronique, puis les nouvelles qu'il publie avec Mérimée dans la Revue de Paris en 1829-1830, Vanina Vanini, Le Coffre et le Revenant, Le Philtre, celles qu'il écrit alors et ne publie pas, Mina de Vanghel, puis San Francesco a ripa, à quoi il faut joindre les récits tirés des manuscrits italiens, Vittoria Accoramboni, Les Cenci, 1837 ; La Duchesse de Palliano, 1838. Stendhal les croit d'une authenticité totale mais, avant eux, il a présenté certains de ses récits courts comme des chroniques et considéré que les grands recueils italiens de nouvelles étaient aussi vrais. Le Touriste, dans ses Mémoires, insère encore des nouvelles, certaines tirées des chroniques judiciaires. Le titre de Chroniques italiennes n'est pas dû à Stendhal, mais à son cousin, Romain Colomb. L'Abbesse de Castro, originale pour l'essentiel, n'est pas une nouvelle et moins encore une chronique, c'est un romanzetto, comme bien des récits inachevés de la fin de la vie de Stendhal.
Histoires de justice ou causes célèbres, les nouvelles de Stendhal sont d'une manière ou d'une autre des histoires tragiques, le plus souvent violentes, où l'héroïne, opposée à l'héroïne romanesque, joue un rôle néfaste, perfide, honteux même, ou sanglant.

Influence et réception

Une légende veut que Stendhal de son vivant ait été méconnu et qu'il n'ait écrit que pour les lecteurs de 1880, date où le stendhalisme a pris son essor. La vérité est que, s'il n'a pas eu les gros tirages et les succès de masse, Stendhal a connu la gloire, moins peut-être pour ses romans que pour son esthétique et ses essais, qu'il a été médité par Delacroix ou Baudelaire, et qu'après sa mort sa présence n'a cessé de s'affirmer. Ses disciples, ce sont Taine ou Barbey d'Aurevilly. Avec Bourget qui en fait un contemporain et Zola qui en fait un naturaliste, Stendhal devient la référence presque obligatoire de la modernité ; tant que la littérature s'est bien portée, il aura été le classique des modernes, le modèle de ceux qui n'en veulent pas, mais qui ont voulu faire comme lui, et s'assimiler son intransigeance égotiste, sa liberté d'esprit, la tonalité d'un style-moi, l'absence de préjugés d'un esprit fort.

Œuvres

La Chartreuse de Parme, page de titre.
Vies de Haydn, Mozart et Métastase titre complet de la première édition : Lettres écrites de Vienne en Autriche, sur le célèbre compositeur Haydn, suivies d'une vie de Mozart, et des considérations sur Métastase et l'état présent de la musique en France et en Italie
Histoire de la Peinture en Italie, Paris, 1817 édition de 1929 : tome 1 disponible sur Gallica, tome 2 disponible sur Gallica
Rome, Naples et Florence, disponible, Angoulême, 1817 et 1827
De l'amour, Paris, 1822 édition de 1927, tome 1 disponible sur Gallica et tome 2 disponible sur Gallica
Racine et Shakespeare, Paris, 1823, édition de 1927 disponible sur Gallica
Vie de Rossini, disponible Paris, 1823
Racine et Shakespeare, II, Paris, 1825
D’un nouveau complot contre les industriels, Paris, 1825 disponible sur Gallica
Armance. Quelques scènes d'un salon de Paris en 1827, Paris, 1827 édition de 1927 disponible sur Gallica
Vanina Vanini, Paris, 1829
Promenades dans Rome, Paris, 1829
Le Rouge et le Noir, Paris, 1830
Mémoires d'un touriste, Paris, 1838 disponible sur Gallica
La Chartreuse de Parme, Paris, 1839 : édition de 1846 disponible sur Gallica ; édition de 1927, tome 1 disponible sur Gallica, tome 2 disponible sur Gallica.
Chroniques italiennes :Vittoria Accoramboni, Les Cenci, La Duchesse de Palliano, L'Abbesse de Castro, Trop de faveur tue, Suora Scolastica, San Francesco a Ripa, Vanina Vanini, Paris, 1837 - 1839
Idées italiennes sur quelques tableaux célèbres, Paris, 1840

Publications posthumes

Correspondance édition de 1927, tome 1 1800-1805 disponible sur Gallica, tome 2 disponible sur Gallica, tome 3 disponible sur Gallica, tome 4 disponible sur Gallica, tome 5 disponible sur Gallica, tome 6 disponible sur Gallica, tome 7 disponible sur Gallica, tome 8 disponible sur Gallica, tome 9 disponible sur Gallica, tome 10 disponible sur Gallica
Journal 1801-1817 tome 1 1801-1805 disponible sur Gallica, tome 2 1805-1806 disponible sur Gallica, tome 3 1806-1810 disponible sur Gallica, tome 4 1810-1811 disponible sur Gallica, tome 5 1811-1823 disponible sur Gallica
Filosofia nova 1931
Plusieurs pièces de Théâtre 1931 : Les quiproquos, Le ménage à la mode, Zélinde et Lindor (tome 1 disponible sur Gallica, Ulysse, Hamlet, Les deux hommes tome 2 disponible sur Gallica, Letellier, Brutus, Les médecins, La maison à deux portes, Il forestiere in Italia etc. disponible sur Gallica
Molière, Shakespeare, la Comédie et le Rire 1930 disponible sur Gallica
Écoles italiennes de peinture 1932 : tome 1 disponible sur Gallica, tome 2 disponible sur Gallica, tome 3 disponible sur Gallica
Pages d'Italie 1932 disponible sur Gallica
Les Tombeaux de Corneto de Stendhal
Mélanges de politique et d'histoire 1933, tome 1 disponible sur Gallica et tome 2 disponible sur Gallica
Courrier anglais 1935-1936
Mélanges d'art 1867 et 1932 disponible sur Gallica
Romans et nouvelles 1854 et 1928
Souvenirs d'égotisme 1892 et 1950 disponible sur Gallica
Lucien Leuwen, inachevé(1894 et 1926
Vie de Henry Brulard 1890 et 1949 : édition de 1927, tome 1 disponible sur Gallica, tome 2 disponible sur Gallica
Voyage dans le Midi de la France 1930 disponible sur Gallica
Lamiel, inachevé éditions de 1889 disponible sur Gallica et de 1928 disponible sur Gallica
Mélanges intimes et Marginalia 1936
Le Rose et le Vert 1928
Stendhal. Histoire d'Espagne : depuis la révolution du 28 avril 1699 jusqu'au testament du 2 octobre 1700 : édition du manuscrit conservé à la Bibliothèque municipale de Grenoble. Édition établie, annotée et présentée par Cécile Meynard, avec la collaboration de Christiane François. Paris : Éditions Kimé, 2007, 150 p.
Vie de Napoléon, éditons Payot, 1969 édition annotée par Louis Royer et Albert Pingaud.
Privilèges, Rivages Poche, Petite Bibliothèque no 570,

Adaptations audios

La Chartreuse de Parme, lu par Guillaume Gallienne, éditions Thélème, 2008
Le Rouge et le Noir, lu par Michel Vuillermoz, éditions Thélème, 2008

Hommages

Timbre émis pour le centenaire de la mort de Stendhal
L'université de Grenoble III Lettres, Arts, Langues, Sciences du Langage et Communication porte son nom, ainsi que lycée français de Milan.
L'appartement du docteur Gagnon ou musée Stendhal se visite à Grenoble.
Une rue du 20e arrondissement de Paris porte le nom de Rue Stendhal, prés du cimetière du Père-Lachaise
En 2011, Charles Dantzig a recréé le Stendhal Club, composé de douze membres, quatre membres fondateurs, quatre membres français et quatre membres étrangers. Le premier numéro de la Revue du Stendhal Club paraîtra en mars 2012124.
La revue littéraire Stendhal Club
La revue littéraire Stendhal Club fut fondée à Grenoble par Victor Del Litto et Ernest Abravanel en octobre 1958.La revue a cessé ses parutions avec le numéro 149 au mois d'octobre 1995.Les deux tables qui contiennent les index des articles, des sujets et des auteurs sont conservées à la Bibliothèque Municicpale de Grenoble.
Table générale 1958-1978 publiée le 15 octobre 1980 supplément au no 89.
Deuxième Table Générale 1979-1993 publiée le 15 avril 1994 dans le Stendhal club.

Syndrome de Stendhal

Stendhal, par Johan Olaf Sodemark (1840).
Le syndrome de Stendhal est une maladie psychosomatique qui provoque des accélérations du rythme cardiaque, des vertiges, des suffocations voire des hallucinations chez certains individus exposés à une surcharge d’œuvres d’art. Ce syndrome, assez rare, fait partie de ce qu’on peut appeler les troubles du voyage ou syndromes du voyageur.

Origine

Florence et le fleuve Arno au niveau des Offices, du Ponte Vecchio et du corridor de Vasari.
Ce syndrome est appelé ainsi en référence à l'expérience vécue par l’écrivain français Stendhal lors de son voyage en Italie, à l’étape de Florence, en 1817. Il écrit alors :
« J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.
— Rome, Naples et Florence, éditions Delaunay, Paris - 1826, tome II, p. 102
Stendhal n’a rien fait pour s’en prémunir puisque, s’asseyant sur un banc de la place, il lut un poème pour se remettre, et vit que ses visions empiraient à la lecture de cette somme de culture ambiante dans les lieux : il fut épris et malade à la fois de tant de profusion.

Identification

Ce syndrome ne fut pas décrit comme un syndrome spécifique avant 1979. La psychiatre italienne Graziella Magherini, officiant à l’hôpital central de la ville, a observé et décrit plus de 100 cas similaires parmi les touristes de Florence, le berceau de la Renaissance. Sa description figure dans un livre éponyme qui classe les cas de manière statistique selon leur provenance et leur sociologie. En résumé :
les touristes provenant d’Amérique du Nord et d’Asie n’en sont pas touchés, il ne s’agit pas de leur culture ;
les touristes nationaux italiens en sont également immunisés ; ils baignent dans cette atmosphère depuis leur enfance ;
parmi les autres, sont plus touchées les personnes vivant seules et ayant eu une éducation classique ou religieuse, indifféremment de leur sexe.
Le facteur déclenchant de la crise a lieu le plus souvent lors de la visite de l’un des 50 musées de la ville. Le visiteur est subitement saisi par le sens profond que l’artiste a donné à son œuvre, et perçoit toute l’émotion qui s’en dégage d’une façon exceptionnellement vive qui transcende les images et le sujet de la peinture. Les réactions des victimes subjuguées sont très variables : des tentatives de destruction du tableau ou des crises d’hystérie ont été observées. En effet, le regard d'un autre peut, à leurs yeux, mettre en danger leur propre perception de l’œuvre. Les gardiens de musée de Florence sont formés à l’intervention auprès de visiteurs victimes du syndrome de Stendhal, bien que cela reste assez rare.
On trouve aussi la dénomination de syndrome de Florence .

Dans la culture populaire Au cinéma

Dans La Nuit des généraux (1967), film franco-britannique réalisé par Anatole Litvak, le personnage du général Tanz, joué par Peter O'Toole, est atteint du syndrome de Stendhal face à une œuvre de Van Gogh.
Un film appelé Le Syndrome de Stendhal (1996) a été réalisé par Dario Argento. Dans ce film, une femme policier souffrant de ce syndrome est la proie d’un tueur en série.
Sans elle (2005), film de Jean Beaudin : À son retour de Florence, où elle a été victime du syndrome de Stendhal, une jeune violoniste québécoise entreprend des recherches pour retrouver sa mère disparue depuis deux ans.
Dans le film court Syndrome (2008) réalisé par Yannick Delhaye, un homme entre au Cimetière du Père-Lachaise pour reprendre son souffle après avoir commis un acte horrible. Devant les statues du cimetière, il subit un syndrome de Stendhal. Le syndrome est ici transposé au sentiment de culpabilité.
Dans Mariage à Mendoza (2013) réalisé par Édouard Deluc, Marcus, protagoniste du film, est dit atteint de cette affection par une médecin argentine.

À la télévision

Mentionné dans la série télévisée The L Word dans l’épisode 4, Liaisons, de la saison 1, Bette Porter, interprétée par Jennifer Beals, est totalement captive lorsqu’elle aperçoit une photographie grandeur nature titrée The Last Time I owned You (La dernière fois que je t’ai possédé), par la photographe de fiction Carla Marie Freed.
Mentionné dans la série télévisée Mentalist dans l'épisode 15 de la saison 3 : au début de l'épisode lorsque Patrick Jane arrive sur les lieux d'un crime, il dit que la victime est peut-être morte de bonheur face à la beauté du paysage en ajoutant on appelle ça le Syndrome de Stendhal Le shérif lui répond alors non, il a reçu une balle dans la tête ».
Mentionné dans la série télévisée Royal Pains dans l'épisode 10 de la saison 3 : Hank Lawson soigne un homme dénommé Eric Kassabian qu'il diagnostiquera comme étant atteint du syndrome de Stendhal car ce dernier était pris des vertiges lorsqu'il observait "Isabella" (une peinture). Mais le diagnostic final sera l'épilepsie réflexe

Dans la littérature

Le Syndrome de Stendhal (2003) d'Isabelle Miller transpose le syndrome au sentiment amoureux.

Équivalences : Syndrome de Jérusalem

Le syndrome de Jérusalem est équivalent au syndrome de Stendhal, à ceci près qu’il ne se rapporte pas aux œuvres d’art mais au sens religieux révélé lors du pèlerinage dans la ville sainte des trois monothéismes.

Liens

http://youtu.be/sU0HElej2qY Le dictionnaire amoureux de Stendhal D. Fernandezhttp://youtu.be/J4UJSow3TBw le musée Stendhal Grenoble
http://youtu.be/DkbNM8DzZm8 exposition stendhal
http://youtu.be/EKOg_4Qehxc Appelle moi Stendhal

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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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