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William Shakespeare 2
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Shakespeare, notre contemporain

Dans le roman 1984 de George Orwell, les seules œuvres artistiques qui ont échappé à la censure sont les œuvres de Shakespeare.
La Reduced Shakespeare Company, dont le nom est évidemment une référence à la Royal Shakespeare Company, est une troupe d'acteurs américaine qui se produit depuis 1995 au Théâtre Criterion sur Piccadilly Circus, à Londres. Ils ont écrit et joué avec succès la pièce The Compleat Works of Wllm Shkspr abridged Les œuvres complètes de William Shakespeare en abrégé, soit 37 pièces de Shakespeare condensées en 107 minutes. Pour le compte de la BBC, une version radio a aussi été enregistrée et diffusée en 1994.
Le film Shakespeare in Love, sorti en 1999 sur un scénario de Tom Stoppard, s'inspire peut-être d'un épisode de la vie de Shakespeare survenu en 1593 : endetté jusqu'au cou et harcelé par son commanditaire, Shakespeare promet de lui livrer rapidement une nouvelle pièce, qu'il a intitulée Roméo et Ethel, la fille du pirate. Mais, hors le titre, le dramaturge n'a pas la moindre inspiration. Viola, une jeune lady appréciant les sonnets de Shakespeare, rêve de monter sur scène, ce qui est rigoureusement interdit aux femmes à cette époque. Elle se déguise alors en garçon et décroche le rôle de Roméo. Shakespeare découvrant l'identité de son jeune premier en tombe alors amoureux et trouve enfin l'intrigue et le nouveau titre de sa pièce Roméo et Juliette soufflée dans une taverne par Christopher Marlowe.
Beaucoup de ses pièces ont fait l'objet de réécriture, notamment Hamlet, et aussi Le Roi Lear, qui a même été transposé au Japon dans une adaptation cinématographique : Ran d'Akira Kurosawa. La pièce préférée de nombreux comédiens est Hamlet dont les plus grands acteurs ont souhaité interpréter le rôle. Sarah Bernhardt l'a incarné elle-même en 1899. Ensuite, c'est devenu le rôle fétiche notamment de Richard Burton, Laurence Olivier, Jean-Louis Barrault, Vittorio Gassman, Mel Gibson. Macbeth a également été projeté dans le Japon médiéval, par Akira Kurosawa, qui y a trouvé l'inspiration pour son film Le Château de l'araignée.
Il existe en France une Shakespearomanie attestée et répertoriée dans les ouvrages de littérature générale. Le Larousse des littératures la décrit ainsi : empressement que suscitèrent en France les œuvres de Shakespeare à partir du xviiie siècle, Hamlet connut plus de 200 représentations entre 1769 et 185190.
Il existe un langage de programmation, le Shakespeare Programming Language qui permet d'écrire des programmes sous la forme d'une pièce de théâtre du barde.

Les hérésies

Hérésies : tel est le nom des élucubrations des savants et chercheurs qui professent des théories contraires à la foi stratfordienne sur l'authenticité de l'œuvre. Car il y a une foi stratfordienne, un droit canon, un canon tout court, qui établit les rapports de l'homme à l'œuvre. L'orthodoxie veut que le comédien Shakespeare, tel que les documents connus nous le présentent, soit l'auteur des pièces assemblées sous son nom dans le Folio de 1623. Les hérétiques prétendent que ce médiocre acteur il n'a pas tenu de grand rôle au Globe, homme de petite culture il savait peu de latin et encore moins de grec, préoccupé de problèmes sordides il thésaurisait jusqu'à pratiquer l'usure, et sans élévation d'esprit, était incapable d'écrire des pièces où s'étale un prodigieux savoir, fruit de lectures immenses et de méditations passionnées, manipulé avec une incomparable acuité intellectuelle, un goût exquis de la poésie sous toutes ses formes, une connaissance profonde du cœur humain venant couronner le tout. Ajoutez une maîtrise prodigieuse des ressources de la langue anglaise.
C'est avec de tels arguments que les antistratfordiens, ainsi appelle-t-on ces contestataires établirent l'indignité du Shakespeare comédien, pour échafauder ensuite, à chacun son candidat, les hypothèses les plus absurdes. Y fallait-il un juriste et un philosophe ? On avait Francis Bacon sous la main – hypothèse déjà timidement émise par le révérend J. Wilmot à la fin du XVIIIe siècle, reprise par W. H. Smith en 1857 avec vigueur, et qui a nourri une guerre d'escarmouches pendant un siècle. Y fallait-il un homme de cour ? On avait l'embarras du choix : Abel Lefranc, seiziémiste distingué, dès 1919, pousse en avant le comte de Derby, tandis que J. T. Looney avance le comte d'Oxford. Pour d'autres, c'est le comte de Rutland, à moins que ce ne soit l'un ou l'autre des comtes d'Essex, ou la reine Élisabeth en personne. Mais pourquoi pas d'autres dramaturges ? ainsi Chettle, Dekker, Robert Greene lui-même, Middleton, Peele, Webster : tous ont des partisans plus ou moins convaincants. Parmi les challengers de Shakespeare, mentionnons l'Américain Calvin Hoffman, qui, en 1955, haussa Marlowe sur le pavois dans son livre The Man Who Was Shakespeare L'Homme qui était Shakespeare. Or, Marlowe fut assassiné en 1593 – mais il n'en mourut point... ; réfugié en Italie, il continua de fournir à son prête-nom des chefs-d'œuvre immortels.
On en arrive en fin de compte à une liste de cinquante candidats, lesquels ont travaillé séparément, ou collaboré théorie du groupe pour fabriquer cette œuvre composite, l'anthologie du siècle en quelque sorte, qu'est le théâtre de Shakespeare. Jeu d'érudits, parfois divertissant, souvent gratuit, rarement à prendre au sérieux. Mais ils ne sèment plus guère le doute dans notre esprit. L'ingéniosité a ses limites, la crédulité aussi. La controverse a quasiment bouclé la boucle de l'absurde et de la futilité. Les stratfordiens occupent solidement leurs positions.

Le canon shakespearien

On nomme ainsi l'ensemble des œuvres dont l'authentification est indiscutable, même si en quelqu'une de ses parties, telle ou telle pièce 1 Henry VI, ou Pericles, par exemple révèle la main d'un collaborateur. Ce sont les trente-six pièces incluses dans le premier Folio, publié en 1623 par les soins de ses compagnons Heminges et Condell, qui constituent le canon. On y ajoute Pericles qui ne figure pas dans le Folio, mais fut publié en Quarto en 1608, Henry VIII 1613, peut-être en collaboration écrit après la retraite de Shakespeare et Les Deux Nobles Cousins The Two Noble Kinsmen, écrit en collaboration avec Fletcher. Ces attributions sont le fruit de patientes recherches de critique historique et textuelle, sur quoi se fonde toute critique sérieuse.
Par ailleurs, un certain nombre de pièces ont été attribuées à Shakespeare. Une cinquantaine environ ! Après avoir tenté de le dépouiller de son œuvre, voilà qu'on lui en donne à foison. Six de ces pièces sans compter Pericles furent incluses dans le troisième Folio de 1663. On les nomme les apocryphes. Elles ont fait l'objet d'éditions spéciales et de discussions interminables. Ce sont : Locrine 1594, Sir John Oldcastle 1600, Thomas Lord Cromwell 1602, The London Prodigal 1605, The Puritan 1607, A Yorkshire Tragedy 1608. Parfois aussi Arden of Faversham 1592, attribué à Kyd. Elles sont aujourd'hui rejetées hors du canon.
L'établissement du texte a nécessité d'immenses travaux. Le texte de base était celui du Folio de 1623, corrigé par celui des publications en Quarto qui l'avaient précédé. Depuis les travaux de John Dover Wilson et W. W. Greg, on ne privilégie a priori ni l'un ni l'autre. On se souviendra que l'auteur n'avait aucune part à la publication. La pièce appartenait à la compagnie qui l'avait achetée pour la jouer, et qui la revendait à son tour à un imprimeur. Aussi le texte publié, souvent pirate, était souvent très corrompu – manuscrit difficile à déchiffrer, qui pouvait être celui du souffleur, une copie des rôles d'acteurs, ou encore une transcription en sténographie. Des passages entiers pouvaient paraître incompréhensibles. On s'est alors attaché à rétablir un texte correct. Les premiers efforts dans ce sens datent du début du XVIIIe siècle. En 1726, Lewis Theobald 1688-1744 publia son Shakespeare Restored, point de départ d'une longue série de rétablissements en anglai:emendations
Après trois siècles de recherches, on peut dire que nous possédons aujourd'hui un texte correct. Les trois meilleures éditions critiques, pièce par pièce, sont celles du Arden Methuen, du New Cambridge Shakespeare Cambridge U.P. et l'Oxford Shakespeare.
L'ordre chronologique approximatif de composition peut s'établir comme dans le tableau ; la date de la première publication 1623 est celle du premier Folio, les autres, celles des premiers Quartos.

Poèmes et sonnets

Certains critiques affirment volontiers que la fermeture des théâtres pendant les terribles épidémies de peste qui ravagèrent Londres en 1592-1593 incita un Shakespeare désœuvré à s'adonner à une poésie autre que dramatique. Mais peut-on oublier que les dernières années du XVIe siècle furent une époque d'intense activité littéraire, où l'expression poétique tenait la plus large part ? Londres fourmille de poètes précieux ou érotiques, savants ou passionnés, qui cultivent l'élégie, la légende, le mythe, le sonnet ou la satire, qu'inspirent les amoristes latins ou italiens (Ovide et Pétrarque) et qui rivalisent d'ingéniosité dans l'invention et le bonheur verbal. Spenser, Marlowe, sir Philip Sidney, Daniel, Drayton et tant d'autres entraînent le siècle dans un tourbillon poétique inouï. Shakespeare n'a aucun effort à faire pour céder à la tentation. Il fréquente la société cultivée, il a des amis chez les aristocrates, et c'est pour eux qu'il écrit ses poèmes, Venus and Adonis (1593) et Rape of Lucrece 1594 dédiés au Très Honorable Henry Wriothesley, comte de Southampton.
Ces deux poèmes, dont l'un a mille deux cents vers et l'autre près de deux mille, sont des joyaux du genre.
Vénus et Adonis s'inscrit dans la tradition ovidéenne, l'Ovide des Métamorphoses et des amours divinisées, tout comme Héro et Léandre 1592 de Marlowe, et bien d'autres poèmes narratifs qui mettent au service de la sensualité la grâce des images décoratives et les suavités d'une langue mélodieuse. Ici, c'est l'histoire classique d'un Adonis frigide poursuivi par une Vénus lascive, acharnée à la possession d'une beauté qui se dérobe et finalement se perd. C'est l'affrontement de la volupté et de la chasteté, du désir et de la frustration, de la pudeur et de la frénésie amoureuse. Poésie d'apparat, aux belles retombées, artifices voluptueux, lyrisme aguichant et glacé, voilà un poème qui proclame la virtuosité littéraire plus que l'expérience personnelle : Shakespeare, dans sa dédicace l'appelle the first heir of my invention, le premier-né de mon imagination. Cette modestie dissimule mal la splendeur des nus : on songe à l'Allégorie de la passion de Bronzino.
Le Viol de Lucrèce est un poème moins gratuit, et pourtant moins réussi. La strophe du récit, d'abord, chemine avec la majesté de la rime royale, strophe de sept vers en pentamètres iambiques ababbcc, inventée par Chaucer, mais plus lourdement que l'allègre stance de six vers de Vénus et Adonis. Le sujet est encore ici la chasteté, mais la chasteté-vertu que force le désir criminel ! L'appel des sens n'est plus le jeu exquis des attouchements divins, mais l'âpre luxure qui convoite une proie pour la meurtrir dans la possession. Aux sous-bois complices succèdent les ténèbres étouffantes et le rougeoiement des torches. Nous sommes chez Georges de La Tour et non chez Botticelli. Mais ce poème dramatique est plus qu'une stylisation, il révèle un tempérament dramatique, et peut-être prépare-t-il le poète à l'écriture de la grande période tragique.
Les Sonnets enfin, parus en 1609 peut-être sans l'autorisation de l'auteur, mais écrits au cours de plusieurs années, certains étaient connus dès 1598, et deux avaient paru en 1599 posent de tout autres problèmes.
Certes, Shakespeare cède à la vogue du sonnet amoureux qui fait rage sur la fin du siècle à la suite du célèbre recueil Astrophel et Stella 1591 de sir Philip Sidney. Les poètes idolâtrent leur dame aux avatars divers avec des styles variés qui flirtent avec le pétrarquisme ou la poésie métaphysique, et visent tous au haut prestige de la préciosité. Le paradoxe des Sonnets de Shakespeare, c'est qu'ils ne s'adressent pas à une dame, mais à un jeune homme dont la beauté et les qualités inspirent au poète des déclarations et des méditations passionnées sur les grands thèmes de l'amour, de la jeunesse, du passage du temps, de la mort. Les sonnets, dont la forme est particulière à Shakespeare : trois quatrains et un distique couplet sont reliés entre eux par le fil ténu d'un conflit passionnel ambigu qui nourrit l'angoisse du poète et le met aux prises avec ses contradictions. C'est que les rapports du poète et de son ami sont dramatisés par l'intrusion d'une Dame brune, en tout point la contrepartie des modèles idéalisés par les amoristes. Mélancolie, jalousie, dégoût de soi, nostalgie de la mort, et pourtant profondes résonances d'une tendresse humaine auxquelles les terreurs secrètes du vieillissement, de l'inconstance ou de la trahison confèrent un pouvoir d'envoûtement poétique inégalé.
On a voulu fonder cette expérience intérieure sur une anecdote vécue. La maîtresse du poète l'aurait trahi avec son ami, lui-même adoré. On pénètre à pas prudents dans les clairs-obscurs des amours interdites, mais on cherche toujours la fille et le garçon qu'on a cru identifier tant de fois. C'est que les circonstances mêmes de la publication des Sonnets alimentent les conjectures. Le poète n'y eut point de part, et la dédicace, signée par l'éditeur T. T. Thomas Thorpe, qui orne le volume fait état d'un certain Monsieur W. H., en principe l'inspirateur begetter, donc l'ami. Les érudits en disputent toujours, et bien des candidats ont été proposés, ne serait-ce que Henry Wriothesley, le dédicataire des poèmes précédents.
Mais le vrai problème est ailleurs. Il est dans le triomphe de l'expression poétique qui fait des Sonnets le recueil le plus prestigieux de toute la période élisabéthaine. Shakespeare y passe de la préciosité la plus raffinée à la densité et à la vigueur du style de ses grandes tragédies. On dirait que le développement de vingt années d'exercices dramatiques s'est condensé dans ces merveilleux cent cinquante-quatre sonnets.
Il ne convient guère d'insister sur la Plainte d'une amante, publié dans le même recueil que les Sonnets : c'est une pastorale assez maladroite dont, rare parmi les critiques, Kenneth Muir ne récuse pas l'authenticité.
Le Pèlerin passionné, The Passionnate Pilgrim, imprimé en 1599 par Jaggard, contient cinq pièces sur vingt et une qu'on peut attribuer à Shakespeare : les sonnets 1 et 2 qui sont les sonnets 138 et 144 de l'édition de 1609, le sonnet 3 qui figure dans Peines d'amour perdues, Love's Labour's Lost ; IV. 3 ainsi que le sonnet 5 IV. 2, et le poème 17 IV. 3.
Enfin, le Phénix et la Tourterelle, paru en 1601 dans le recueil Love's Martyr, or Rosalin's Complaint du poète Robert Chester, est un poème métaphysique assez obscur, qui joue sur le symbolisme de ces deux oiseaux mythiques.
Brave new world
Le Folio de 1623 classait les pièces en trois catégories, Comedies, Histories drames historiques et Tragedies. Ces appellations ont survécu jusqu'à nos jours, cf. l'édition d'Oxford encore que les critiques ne se contentent plus de distinctions aussi vagues. Il est curieux de constater que La Tempête figure en premier, alors qu'elle est la dernière pièce que Shakespeare ait écrite seul. Nous respecterons l'ordre traditionnel, avec des nuances, en commençant par les drames historiques.

Drames de l'histoire

À la fin du XVIe siècle, l'Angleterre, cette petite île de quelques millions d'habitants, est en pleine expansion politique, économique et artistique. Ses pirates explorent les mers, ses petits brûlots, barrés par des marins téméraires, dispersent l'Invincible Armada 1588, l'Espagne prend peur, le pape a beau excommunier Élisabeth, elle n'en consolide pas moins son Église anglicane, et gouverne avec de vrais hommes d'État. Sur le plan littéraire, la turbulence créatrice fait que l'Angleterre rattrape avec éclat son retard sur les renaissances du continent. En bref, l'Angleterre prend conscience de son existence nationale et de ses valeurs humaines.
Et d'abord, c'est dans son histoire, au théâtre, qu'elle entend se regarder vivre un passé prometteur d'avenir. Le drame historique connaît alors une vogue considérable : il n'est aucun dramaturge qui ne s'y essaye. On assiste aux complicités édifiantes de l'histoire et de la poésie, du mythe politique et de la moralité, du patriotisme qui n'a pas encore trouvé son nom et de la volonté de Dieu. Sans compter que le pouvoir, depuis l'avènement des Tudor Henry VII, 1485 n'a pas cessé d'encourager les historiens patentés. La poésie s'empare de l'histoire avec Miroir pour hommes d'État The Mirror for Magistrates, 1559, puis c'est le tour du théâtre qui moralise moins mais dramatise plus, en fait une chronique chronicle play ou un poème épique, en tire une doctrine suprématie de l'ordre moral de la dynastie Tudor ou une philosophie la roue de la Fortune, en magnifie les destinées royales Henry V, le roi soldat, en sublime les pathétiques échecs Henry VI, l'agneau sacrifié ; Richard II, le roi de ses douleurs, en avilit les tyrannies sanglantes Richard III.
Le public, avide de mouvements, de discours, de batailles, est friand du spectacle de l'histoire théâtralisée qui lui offre un mélange indiscernable de faits, d'inventions et de poésie qui comble son désir d'évasion, apaise sa curiosité et affermit sa confiance en soi. Il y a toujours un fondement de réalité dans la mémoire populaire, et les rois et les grands, qui ont façonné le destin national au prix de tant d'efforts et de sang versé, sont présents au cœur de chacun par leur visage, leurs hauts faits ou leur déchéance. On participe au drame historique peut-être plus qu'à toute autre forme de tragédie de casibus.
Les pièces historiques de Shakespeare, qui dominent de si haut toutes celles de ses contemporains, sont exactement dans cette tradition. Elles couvrent une vaste période, qui s'étend du Moyen Âge, où règne et capitule le roi Jean, début du XIIIe siècle aux truculences gloutonnes de Henry VIII, le fondateur de l'Angleterre moderne. La composition des pièces ne suit pas le déroulement des faits historiques, mais on peut dégager une idée d'ensemble de la vision de l'histoire anglaise que nous offre Shakespeare, à défaut d'une doctrine politique authentique.
Shakespeare puise ses renseignements chez les historiens, Edward Hall 1498-1547 et surtout Raphael Holinshed ?-1580, lesquels infléchissent l'histoire vers l'affermissement du mythe Tudor ; ceux-ci songeaient à provoquer l'horreur du désordre et la peur de la guerre civile, suite logique des erreurs, ou des crimes des grands. L'interminable guerre des Deux-Roses, assortie d'une guerre étrangère, la guerre de Cent Ans, était encore si proche qu'elle fascinait et troublait toujours les esprits. La cohorte des maux qui ont ravagé le pays est issue du crime majeur d'usurpation, commis par Bolingbroke, le futur Henry IV, au règne décidément fort troublé, contre Richard II, le roi du miroir brisé. Mais en même temps que se dégageaient les concepts d'ordre, de justice et d'honneur, l'Angleterre prenait conscience de son destin national.
Ce n'est point sans raison que le public applaudit aux prouesses de Talbot et à la confusion de la sorcière Jeanne 1 Henry VI, à la poétisation de l'invincibilité de l'Angleterre par Jean de Gand agonisant Richard II, au défi que, paradoxalement, le bâtard Philip Faulconbridge lance aux ennemis de son pays Le Roi Jean, et à la marche triomphale de Henry V sur Paris qui, après Azincourt, s'offre le lit de la fille du roi de France. Si le public anglais vibre ainsi à reconnaître la permanence d'un fait national à travers les vicissitudes de l'histoire, raison de plus pour chérir les vertus positives qui assurent la paix et la stabilité des hiérarchies qui gouvernent le pays. Tout au long des conflits meurtriers qui nous sont contés percent le dégoût des indignités et la nostalgie des valeurs humaines que les princes ont reçu de Dieu mission de faire fructifier.
Ainsi, sur le fond de l'histoire surgissent des personnages diversement motivés dont la figure imaginaire ne se borne pas à l'existence par leurs seules actions. Ce ne sont point tant les bassesses, les palinodies, les grandes actions ou les crimes des promoteurs de l'histoire qui les individualisent que leur réflexion, qui précède, accompagne ou suit l'action devant une situation historique donnée. Que ce soit Henry IV épiant sur son lit de mort le geste sacrilège de son fils prêt à se saisir de la couronne avant l'heure, ou l'examen de conscience heurté de Richard III assailli de peur panique avant Bosworth, le personnage historique perd sa facticité d'instrument du destin, il devient un être humain.
C'est ce qui donne du prix aux deux grandes tétralogies c'est le terme, traditionnel des Henry IV Richard II, 1 et 2 Henry IV, Henry V et des Henry VI Henry VI, Richard III où se déroule en ses épisodes les plus significatifs la geste sanglante qui verra l'élévation, puis la ruine, des maisons de Lancastre et d'York, pour aboutir à la réconciliation des deux maisons par intromission quasi divine en la personne de Henry Tudor. C'est une histoire de famille, comme celle des Atrides, mais où le plus humble spectateur reconnaît un des siens, du roi au valet d'armes, de la princesse à la fille des bouges, où le prince héritier fréquente les truands sans rien perdre de sa qualité royale. Intrigues, chevauchées, batailles, rhétorique à grand fracas ou confessions pathétiques, ce monde de l'histoire est un univers quotidien qui n'a perdu ni ne perdra son extraordinaire force d'impact sur le spectateur moderne. Jamais l'histoire n'a été plus actuelle et plus vivante que dans ce miroir imaginaire que Shakespeare nous tend de la fin du XVIe siècle.

Le sourire d'Éros

Les comédies de Shakespeare, à elles seules, constituent un genre à part. Elles sont pourtant si différentes les unes des autres qu'elles défient toute classification, et que chacune mériterait son analyse et sa dénomination propres.
Lorsqu'il commence à écrire des comédies, il y a, grosso modo, deux directions dans lesquelles il pouvait s'engager. L'une est la tradition farcique, dérivée du Moyen Âge, où le vice bouffonne, qui reçoit de la comédie plautéenne des personnages typés, des situations, et son articulation, qui ira se diversifiant par le jeu des humeurs et qui finira par épouser assez étroitement sa vocation caricaturale et satirique. Elle puisera ses personnages dans la bourgeoisie et dans le peuple de la Cité de Londres, ses thèmes auront perdu l'opulence du lyrisme, or, métaux précieux, et même mystifications et débauches qui en recevaient du prestige pour devenir perversions, déformations et vices qu'engendrent les instincts d'acquisition, de possession, et les bassesses de l'âme, plutôt que ceux qui naissent des sourires d'Éros, fût-il romanesque et mystifié. La seconde direction est, précisément, le jeu romanesque, de longue tradition médiévale lui aussi, exploité par les conteurs en prose ou en vers, et repris par les university wits, jeu qui transcende tout réalisme des situations et des personnages, sans abandonner pour autant ses ambitions moralisantes sans excès et de divertissement brillant.
Si The Comedy of Errors, la première en date des comédies de Shakespeare, s'inscrit dans la tradition plautéenne, déjà Les Deux Gentilshommes de Vérone, The Two Gentlemen of Verona bascule dans le romanesque, sans verser dans l'irréalité où l'invention des personnages et des situations a la plus grande marge de liberté. Shakespeare, en effet, ne s'impose nulle contrainte, pas plus pour l'intrigue, le temps et l'espace, que pour la qualité et le tempérament de ses personnages. Ses constructions paraissent lâches et négligées par rapport à la rigueur jonsonienne, encore que sa désinvolture n'aille pas jusqu'au mépris total du vraisemblable. Mais on a une impression d'espace et de grand air, d'agilité dans le mouvement, d'imprévu dans les péripéties qui ne se trouve que chez lui. Ce n'est pas une comédie de cabinet ou de salon, encore moins de lieu clos, où les personnages sont claustrés dans leur emploi ou dans leur situation dramatique. Ajoutez le piment toujours savoureux de l'exotisme, où l'on peut bousculer la géographie et le temps historique, habiller les personnages d'étranges costumes, leur attribuer des mœurs insolites, les engager dans les aventures imaginaires les plus folles sans qu'il en coûte rien à la crédulité du spectateur. Voyez la liste de ses lieux scéniques : nous sommes à Vérone, à Milan, à Mantoue, à Éphèse, à Vienne, à Messine, dans le royaume de Navarre, dans un bois près d'Athènes, à Venise et à Belmont, dans la forêt d'Arden, à Padoue, puis à Roussillon, à Paris, à Florence, à Marseille, en quelque Illyrie romanesque, en Sicile et en Bohème, sur la mer, dans une île ; on n'en finirait pas d'énumérer les lieux où le porte son humeur vagabonde à la poursuite des facéties du destin, des jeux de l'amour, et de la plénitude du bonheur.
Car cette comédie du mouvement est mue par une passion dominante qui habite le cœur d'êtres jeunes et beaux, acharnés à se joindre en dépit des obstacles que dressent entre eux la mésentente et la tyrannie des familles, les convenances, la disproportion des fortunes, les situations fausses, l'orgueil, la jalousie, l'absence, les conflits d'intérêt, les quiproquos, l'antagonisme des désirs, pour ne rien dire des conflits du hasard, des querelles sans objet, et des maléfices du surnaturel. C'est Éros qui inspire, dirige, complote, complique les situations, emprunte à l'imposture son masque, et va jusqu'à se parodier ou se caricaturer pour mieux parvenir à ses fins. Ardent, agressif, audacieux, il donne aux filles de l'esprit et du courage aux garçons. Il fourmille de stratagèmes, mais il combat aussi à visage découvert. Il est le coup de foudre, l'émerveillement devant la jeune beauté ; il est aussi la fureur des déconvenues, le sourire des acquiescements, la sérénité dans la plénitude des engagements mutuels. Il sait donc faire sa cour, avec grâce et ingéniosité, il triomphe dans les wooing scenes, scènes de la séduction et dans le badinage impertinent du love making – art d'aimer, dirons-nous, faute d'un meilleur terme. On n'a jamais vu un Éros aussi tendre, aussi hautement civilisé.
Il faut dire que dans ce jeu, les jeunes filles, chastes et avisées, tiennent le rôle prépondérant. Elles excellent à ce duel préliminaire des sexes qu'est le duel verbal, grâce à leur fougue, à leur finesse et à leur maîtrise de soi. Silvia, Rosalinde, Béatrice, Viola, Portia..., romanesques, naïvement éprises, exigeantes de leur personne, abusées par une fausse mélancolie, ou souveraines dans leur domination, elles peuvent aussi, comme leurs partenaires, être fantasques et désabusées, sensibles au burlesque des situations, et capables comme eux, peut-être plus qu'eux, d'user du puissant antidote contre l'excès du romanesque qu'est l'ironie. Il y a en tous ces personnages un peu de Mercutio, qui se moque si bien de Roméo, un peu de Bénédict, qui tient si bien tête à Béatrice, mais finit par succomber.
Ce n'est pas que l'amour romanesque soit mis en accusation dans ces comédies de la belle période, de Peines d'amour perdues à La Nuit des rois, Twelfth Night, car l'ironie qui tempère ses extravagances n'est ni mordante ni sarcastique, elle baigne dans le climat général de jeunesse et de gaieté qui en fait l'arme idéale pour désamorcer les prétentions du sentiment. La plus significative de ces héroïnes, c'est sans doute Rosalinde qui a assez d'esprit pour échapper aux envoûtements de l'amour, assez d'amour pour ne pas céder à la tentation du dénigrement. Chez elle, l'équilibre est parfait : le sourire d'Éros se pare des reflets de l'ironie. Un rien d'ironie de trop, et la comédie pourrait se prendre à grincer.

Grincements

Elle grincera, effectivement, pour des raisons que le biographe ne pourra jamais élucider, lorsque l'inquiétude et le désarroi envahiront l'univers idéalisé où jusqu'ici le dramaturge les avait relégués au niveau inférieur de la farce ou du burlesque. Déjà, sur la fin du siècle, Le Marchand de Venise, tout poétisé qu'il soit par le triomphe de l'amour et le clair de lune de la nuit lyrique à Belmont, avait des résonances peu rassurantes. La mélancolie du marchand et les affres que nous inflige Shylock sont des signes prémonitoires d'un changement d'atmosphère. L'ère des grandes tragédies va s'ouvrir, et, simultanément, vient le temps de l'examen critique, de l'interrogation angoissée sur des problèmes jusqu'ici à peine effleurés. Hamlet 1601 est peut-être le point culminant, la ligne de partage entre l'ensoleillement généreux des versants où l'espoir garde tous ses droits, et les ombres maléfiques où vont se tapir les mauvais démons du découragement et du goût de la mort. Les deux ou trois pièces qui suivent Hamlet, Troïlus et Cressida 1602, Tout est bien qui finit bien 1603 et Mesure pour Mesure 1604 qui précède Othello, sont des pièces inclassables, que l'on appelle communément problem-plays pièces à problèmes.
On ne sait, en effet, par quel bout les prendre. Si l'irréalisme romanesque, qu'il se fonde sur une parodie de l'histoire, une anecdote curieusement ambiguë ou sur les urgences suspectes d'un problème social, n'a pas perdu tous ses droits notamment sur la structure des pièces, l'heure est venue où la bouche est amère et le cœur désabusé. Troïlus et Cressida aurait pu être une tragédie noble, c'est un drame sordide où, par-dessus la parole sage d'Ulysse, résonnent le cliquetis dérisoire des glaives ensanglantés, les criailleries obscènes d'un Pandarus à la voix de fausset, les sarcasmes venimeux enfin d'un blasphémateur professionnel. La guerre, la gloire en prennent un bon coup : on se bat pour un freluquet et une putain ; l'amour lui-même use son lyrisme dans la frénésie et la trahison. Dans Tout est bien qui finit bien, on a beau tenter de réhabiliter Hélène : elle demeure une héroïne suspecte, et, quant au monde foncièrement corrompu de Mesure pour Mesure, peut-être que la passion de justice qui anime le duc, ce philosophe des coins sombres, ne suffit pas à le racheter. On dirait que l'âme du dramaturge est corrodée par le spectacle des impostures et des perversions. Voici bien l'expression bouleversante d'un idéalisme déçu.

L'amour, la fureur et la mort

Avec Hamlet, et même Jules César qui le précède, nous sommes entrés dans la période dite « noire » des grandes tragédies. Il ne s'agit plus seulement ici d'un refus cynique des cruelles réalités humaines dont naguère les personnages semblaient s'accommoder, mais d'une négation sans recours, d'un recul devant l'horreur d'une insupportable vision. Les pièces historiques étaient déjà suffisamment gorgées de sang et de trahisons, mais du moins s'agissait-il des luttes implacables que se livraient des hommes avides de pouvoir – et tout le monde sait que l'histoire politique des peuples est rougeoyante d'incendies, de meurtres et de batailles sans merci. Mais enfin on aspirait à la suppression des monstres, au retour à l'ordre pour une bonne administration des intérêts du pays. On pouvait répudier la cruauté, bannir l'intempérance, accepter l'autorité de la justice, ouvrir la voie à la paix et fonder l'avenir sur l'espoir comme Henry V. Si la dette du crime pèse encore au fond des consciences, il est vrai qu'il faudra la payer d'autres souffrances, cependant Shakespeare semblait s'être débarrassé de ce poids en traitant des malheurs de Henry VI avant d'aborder les tourments de Henry IV.
Mais ici ce n'est plus le contexte historique qui est le foyer d'intérêt, encore que le royaume de Macbeth soit aussi ravagé que celui de Henry VI. Ce ne sont point les forces politiques qui le dévastent ; mais la passion criminelle du tyran, mais l'assujettissement de sa conscience au mal auquel la fatalité le condamne, et l'impossibilité où il est mis d'y échapper. Le conflit se situe au centre même de l'âme humaine, le mal investit le cœur, pervertit la raison et l'aliène, et la mort est la seule issue par laquelle le héros puisse se libérer de ses crimes et de ses tourments. Ou encore, ou plutôt, la tragédie, c'est-à-dire le combat sans espoir que livre l'homme aux puissances du mal, se confine au plan individuel, psychologique pourrait-on dire, et c'est sa lucidité qui rend ce combat insupportable.
Les situations diverses où sont placés les héros des tragédies particularisent chacune un aspect des mortels dilemmes auxquels ils sont soumis. Le meurtre de César, pourtant perpétré pour une cause noble, pourrit l'âme de Brutus que son suicide stoïque sauve à peine de notre réprobation. Hamlet, l'archétype même du héros tourmenté, est incapable d'un geste qui le sauverait de la corruption du monde où il est englué. Ses analyses implacables ne nourrissent pas sa vengeance ni ne justifient ses hésitations. Il ne parvient même pas à se donner une mort correcte, et ses répudiations successives de l'amour, de l'amitié, de l'honneur même et du destin de son royaume, en font un héros désabusé, à jamais inutile et décourageant. Othello est la proie de ses fantasmes, fomentés par l'intellect diabolique d'un Iago, mesquine incarnation des frustrations rongeuses d'âme, et il immole l'innocence qui lui paraît une moquerie du ciel. Crime majeur, impardonnable, de celui qui doit avilir sa victime avant de la sacrifier, et se laisse prendre au leurre des éblouissements passionnels. Que vaut donc l'amour, si c'est cela son aboutissement ? La musique d'Othello est une discordance sournoise où la volupté se dissout en quelque dérisoire répudiation de soi. Le suicide spectaculaire du général est un défi à la justice, comme le meurtre de Desdémone est un acte de déraison.
Mais la déraison criminelle tapie dans la pénombre d'une chambre nuptiale, où la flamme d'une chandelle est le symbole funeste d'une âme vacillante, peut s'emparer aussi d'un univers fabuleux. Antoine se défait sous l'empire de sa passion, comme Cléopâtre abdique sa majesté pour céder aux caprices de sa fureur d'aimer. Avec eux le monde majestueux des rêveries de puissance se disloque et s'écroule sous le regard glacé de César. Rome abolit l'Orient, mais non point cependant sa magie. Les sortilèges de Cléopâtre rejoignent dans la mort la tendresse inextinguible de son héros déchu. Mais faut-il donc la mort pour que l'amour retrouve sa grandeur ?
On peut aller plus loin encore dans l'exploitation des ravages de la déraison. Dans Le Roi Lear, elle atteint la démesure, qu'il s'agisse du royaume, de la famille, ou des destinées individuelles. Le jugement est aveuglé au départ par le mensonge et l'hypocrisie, et c'est l'erreur initiale, qui bouleverse les rapports et les proportions, et fait basculer le monde dans l'horreur et la folie. Pourtant, dans la confusion générale, sous les assauts implacables des tentations du désespoir, au cœur même des disjonctions qui ruinent l'âme, subsiste la pureté de l'amour. L'agonie extatique de Lear est l'aveu d'un échec fondamental, et faut-il donc être écartelé sur une roue de feu pour reconnaître, précisément, l'incorruptibilité de l'amour ?
Dans Coriolan, l'analyse des vertus militaires fait du héros un être aussi redoutable qu'une machine de guerre, mais aussi méprisable qu'un traître de tragédie. Il ferait beau d'examiner ce que le personnage peut hanter les consciences des hommes d'État énergiques et frauduleux !
Timon d'Athènes, enfin, paraît l'aboutissement de cette longue suite de violences et de crimes, d'échecs et d'insultes à la condition faite à l'homme par ses passions et les malentendus fatals qui le courbent sous leur joug. L'invective y atteint son point culminant par sa rhétorique outrancière, ses rythmes et ses images désordonnées. L'ingratitude de tout un peuple pousse Timon à la haine totale de l'humanité – et il prend refuge et repos dans cette tombe symbolique au bord du rivage, où la caresse des flots viendra bercer son sommeil.

Les épiphanies

Faut-il voir dans cette sépulture le symbole d'une résurrection prochaine de l'espoir et de la dignité de l'homme ? Épuisé par le fracas et la fureur de l'agitation tragique, Shakespeare semble céder dans ses dernières pièces à la nostalgie de l'apaisement. S'il y a encore dans Cymbeline et Le Conte d'hiver, et même dans La Tempête, des rappels menaçants de la bêtise, de la perfidie et de l'horreur, ces pièces, décidément, se meuvent vers le pardon des offenses, la réconciliation des contraires, et la résurrection du bien. Les monstres y sont épisodiques ou ridicules, les méchants punis avec discernement, les justes et les bons récompensés. Serait-ce trop de dire que Shakespeare reconnaît enfin l'existence de la grâce, à savoir de la transcendance du bien dans ce monde imaginaire dont il semble avoir exploré tous les secrets ? Il peut donc, comme Prospero, jeter son livre et laisser sa baguette magique s'enfoncer dans l'Océan. Il a toujours été agréable aux critiques de penser que La Tempête était son testament poétique puisque Prospero va se réconcilier avec les réalités de son duché. Malgré Henry VIII et Les Deux Nobles Cousins, cédons à cette facile tentation.

La langue et les images

Il n'est guère possible au lecteur étranger qui doit lire ou écouter les pièces dans une langue qui est la sienne de se faire une idée correcte de l'expressivité du tqu'un jeu, c'est une force secrète enclose dans le mot, qui capte l'attention, irradie de la poésie et transcende le terre-à-terre. Et les mots qu'il invente ! Ce qui oblige le lecteur, évidemment, à apprendre à lire.
Et puis, il y a les images, la poétisation de l'univers. Il semble que Shakespeare ne puisse parler sans images. Et c'est peut-être dans sa manipulation des images que se marque le progrès de son expérience d'écrivain. Au début, ce sont des images de qualité, d'apparat, destinées moins à visualiser l'objet qu'à lui donner le prestige de l'éclat poétique – souvent des clichés, mais pas encore démonétisés. Puis l'image se fait plus personnelle, elle vise à la précision, au pittoresque, à la sensualité. Enfin, elle n'est plus plaquée sur l'objet, elle saute par-dessus, ou elle l'absorbe : elle devient métaphore, c'est-à-dire elle transpose, elle métamorphose, elle devient la force active, la vie même de la langue. Ainsi la poésie ne fait plus qu'un avec le drame, les idées-métaphores vous assaillent de toutes parts, c'est l'expérience même du poète qui vous atteint.
La même évolution se remarque dans la rhétorique, dans la syntaxe, dans le vers. Simple, directe et analytique, la phrase se complique, se diversifie, et se condense à la fois en une syntaxe qui avoisine celle des langues synthétiques ; et, de la même façon, le vers, raide, mécanique au départ, s'assouplit, se rompt au rythme de la pensée, épouse toutes les nuances de l'émotion. Il se rapproche ainsi de la langue parlée, il procède tout d'une haleine par paragraphes entiers, et se fait presque méconnaissable tant ses temps forts et faibles sont bien distribués sur la ligne mélodique intérieure du locuteur. H Fluchère

Les pièces les plus connues

Si le langage est le véritable sujet de Peines d'amour perdues, l'amour, sans nul doute, est celui, vers la même date, des Deux Gentilshommes de Vérone The Two Gentlemen of Verona, 1594 ?. On trouve ici deux amis, dont l'un, Valentin, dédaigne l'amour tant qu'il est à Vérone et lui est soumis dès qu'il arrive à Milan, par l'enchantement de Silvia, qui, très vite, partage son amour et, faute du consentement du duc son père, projette de fuir avec lui. Proteus, lui, est l'amoureux tendre de Julia, qui, farouchement virginale, le repousse avec une violence qui n'est que la couverture de l'amour refoulé. Il se lasse et va rejoindre Valentin. Le voici à son tour ébloui par Silvia, et qui dénonce son ami au duc. Valentin s'enfuit et rejoint des brigands dans la forêt, cependant que Proteus court sa chance ; il a engagé un page pour être le messager de son amour, qui n'est autre que Julia déguisée pour le rejoindre et non reconnue de lui, selon la convention du théâtre élisabéthain. Fidèle maintenant qu'elle a pris conscience d'elle-même, douloureuse, intensément masochiste, cette Julia-Sebastian annonce la Viola-Cesario de la Nuit des rois dans le même rôle de messagère de celui qu'elle aime auprès d'une autre. Sebastian évoque pour Silvia ses souvenirs de Julia avec des grâces mélancoliques, comme fera Cesario pour Viola auprès d'Orsino. Silvia s'enfuit pour rejoindre Valentin, mais elle est rattrapée par Proteus, qui va la prendre de force, quand survient Valentin. C'est ici que la pièce perd pied, faute de réalité humaine, et nous enfonce dans une convention absurde jusqu'au grotesque. Non seulement Valentin pardonne tout à Proteus, mais il lui offre sa part de Silvia. Heureusement, Proteus a pris conscience de son aberration : il réfléchit qu'il trouvera aussi bien au visage de Julia ce que lui offrait celui de Silvia. L'amour n'a été que brusques mutations.
C'est le même thème de l'amour, avec l'accent sur le caprice, qui, jusqu'au niveau des rustiques occupés de représenter les malheurs de Pyrame et de Thisbé, est le seul du Songe d'une nuit d'été A Midsummer Night's Dream, 1595 ?. On trouve au premier plan les amours persécutées de Lysandre et d'Hermia, que son père a promise à Demetrius. Fort de la loi d'Athènes, Égée donne le choix à sa fille : Demetrius ou la mort. Et Thésée remontre à la jeune fille : Votre père devrait vous être un Dieu. / Vous n'êtes dans ses mains qu'une forme de cire. Mais il ajoute un choix moins extrême : le couvent. Hermia, indomptée, s'enfuit dans la forêt ; mais elle s'est confiée à Helena, amoureuse repoussée de Demetrius, lui laissant le champ libre. L'amour d'Helena étant une sorte de folie masochiste, elle ne trouve d'autre moyen pour plaire à l'aimé que de dénoncer les amants. Demetrius lui dit-il qu'il ne l'aime pas, elle réplique qu'elle ne l'en aime que plus : Je suis votre épagneul, plus vous me battrez, plus je serai votre chien couchant.
Ce n'est pas l'autorité répressive qui prend les choses en main. L'amour est sorcellerie. La forêt est le séjour des magies et des maléfices. Un onguent appliqué distraitement ou malicieusement par Puck le lutin fait office de philtre, et Lysandre se réveille amoureux fou d'Helena, déclarant que, désormais, il suit sa raison. L'honnête Bottom, nanti par le même lutin d'une tête d'âne, mais à qui dans cet état une bonne fortune imprévue a livré Titania, reine des fées, dira plus sagement : « La raison et l'amour ne vont guère ensemble. » Puck, feignant d'oublier que toute cette confusion est son œuvre, s'écrie : « Seigneur, quels sots sont ces mortels ! » Mais Titania n'est pas mortelle. Cette nuit d'été est si peu athénienne, si anglaise qu'elle en est presque scandinave. L'œuvre malicieuse des fées y est plutôt symbole qu'agent véritable : un délire érotique qui n'entend plus ni rime ni raison s'est emparé de la nature et de la surnature ; l'art pervers du peintre Füssli en a le premier rendu compte, et les mises en scène récentes ont souligné cet aspect longtemps ignoré de la vision shakespearienne.
Roméo et Juliette 1595 ? est-il une tragédie ou une comédie qui finit mal ? Notre folklore n'a-t-il pas ses chansons sur la belle qui fit la morte pour son honneur garder ? À la différence de Juliette, elle se réveille à point nommé.

William Shakespeare, Roméo et Juliette

Roméo, au début de la pièce, est un nouveau Proteus, qui soupire pour une insensible, Rosaline, et qui est arrivé au degré inquiétant de la mélancolie. C'est la mort dans l'âme qu'il se traîne, Montaigu masqué, au bal des Capulet, alors que nul homme d'un de ces clans ne peut voir un homme de l'autre sans dégainer. Il espère apercevoir Rosaline, mais, à peine entré, le voici qui se récrie en soudaine extase à la vue d'une beauté inconnue : « Mon cœur a-t-il aimé jusqu'à présent ? » C'est au premier regard l'amour révélation ; aussitôt, les mains se touchent et, sans hésitation, les lèvres, et, comme Roméo part, Juliette dit déjà à sa nourrice que, si elle n'a pas ce mari-là, la tombe sera sa couche nuptiale. Quand elle apprend de qui il s'agit, elle se lamente : « Mon seul amour, né de ma seule haine. » Chacune de ses antithèses dit son sens du destin, de la fatalité, qu'elle n'envisage pas un instant d'esquiver, car son courage est égal à son amour, et, de ce premier moment, elle sent qu'amour et mort sont une même chose. L'engagement qui les lie, elle le sent « trop téméraire, trop irréfléchi, trop soudain, trop semblable à l'éclair. » Juliette est plus authentique que Roméo. Sa déclaration d'amour à la fenêtre est une leçon de gravité, de pureté, de franchise. C'est parce que son amour est si intense et si absolu qu'il touche à la mort, essentiellement et non par accident. C'est ce personnage tragique qui fait la tragédie.
La pièce parle deux langues : les dialogues entre les amants sont un chant d'une grâce éblouissante. La plupart des autres sont caractérisés par une langue sursaturée de jeu verbal et d'à-peu-près, dont l'agilité semble continuer celle qui avait paru condamnée dans Peines d'amour perdues. Péché obstiné de jeunesse, elle touche lorsque, dans la bouche de Mercutio mourant, elle devient le défi de la jeunesse à la mort.

Égotisme et royauté

La date des pièces, surtout de celles des premières années, est presque toujours incertaine. Bien qu'elles aient été publiées en in-quarto en 1597 seulement, on incline à placer en 1595 Richard II comme Roméo et Juliette. Les deux pièces sont liées au moins par une gloire de style et d'images, celle de Richard II étant plus constante et plus sérieuse. C'est l'évocation de l'histoire sur un mode intensément poétique qui est la marque de cette pièce – qui en touche aussi le sujet fondamental : le rapport de l'imagination égotiste et de la fonction royale aliénante. On remarque même dans cette pièce une proportion unique de vers rimés, par pages entières, pour rehausser le ton. La pièce faisait écho à l'Édouard II de Marlowe, et Richard lui-même, avant d'être assassiné dans sa prison, avait, dit-on, fait allusion à son grand-père déposé, emprisonné, assassiné. Plus proche, sa pathétique histoire obsédait Élisabeth, qui fit jeter en prison l'auteur d'une histoire d'Henri IV Ne savez-vous pas que je suis Richard II ? Mais elle était tout autre. Richard II, tel au moins que le montre Shakespeare, avait mérité son sort. Si l'on peut suivre à travers tout ce théâtre l'idée que la vie n'est que théâtre, celle-ci se manifeste ici presque crûment. Richard joue son rôle de roi comme un acteur et assez mal, sensible au faste, au prestige même, au vulgaire profit que pouvait procurer l'usage arbitraire de l'autorité suprême – nullement à sa responsabilité envers son peuple. Dans deux grandes scènes du début, la pièce montre que ce roi faible a l'étoffe d'un tyran. L'arbitrage royal, brusquement et capricieusement rendu au dernier moment entre deux féodaux, Bolingbroke le futur Henri IV et Mowbray, qui s'accusent mutuellement de haute trahison, montre à l'œuvre une justice ubuesque. Dix ans d'exil, non six, cela suffira et fera plaisir au glorieux Jean de Gand, oncle du roi, père de Bolingbroke. La seconde scène est la mise en accusation du roi, faible et coupable, par le même Jean de Gand mourant. À peine est-il mort que le roi allonge la main sur ses biens et ses terres, puis part pour l'Irlande, cependant que déjà Bolingbroke, revenu, lève une armée et que tous les soutiens du roi se désagrègent devant lui. Face à cette figure brutale et arrogante, c'est le vaincu qui intéresse. Sa personnalité toute creuse se raccroche à son droit divin et au soutien des anges, jusqu'au moment où son orgueil n'est plus que celui de participer aux grands malheurs des rois, « les uns hantés par les fantômes de leurs victimes, certains empoisonnés par leurs femmes, d'autres morts en dormant, tous assassinés » : curieuse prophétie, où le personnage évoque, tels que les évoquera son auteur, les drames de la couronne creuse, the hollow crown. Ayant si mal joué son rôle, il lui reste à se regarder finir, à se dépouiller, à se mettre à nu : Je n'ai plus de nom, plus de titre, rien, même pas ce nom qui me fut donné au baptême, qui ne soit usurpé. » Il se voudrait de neige pour fondre en eau au soleil de Bolingbroke – masochiste comme tant de personnages shakespeariens. Contemplant son visage dans un miroir qu'il jette à terre, il conclut : Ma tristesse a détruit mon visage ; mais son impitoyable adversaire ne lui concède aucune réalité : « L'ombre de votre tristesse a détruit l'ombre de votre visage. Cependant, la tendre figure de la reine soutient ce pathétique d'une émotion plus secrète, et il n'est pas jusqu'au groom qui n'y joue son rôle : il ne se console pas d'avoir vu l'usurpateur chevaucher Barbary, le rouan de Richard. Les voix opposées de Richard II et de Jean de Gand ont, l'une comme l'autre, dit et presque chanté leur attachement viscéral à la terre anglaise : Shakespeare a souvent le patriotisme vulgaire ; celui-ci ne l'est pas.
Richard II, mauvais roi, ne cesse d'être humainement intéressant. Le protagoniste du Roi Jean King John, 1596 ? ne l'est pas. La pièce est relevée par le personnage superbe du bâtard Faulconbridge, fils de Richard Cœur de Lion, en qui sa grand-mère Aliénor reconnaît le sang royal : Et je suis moi, qu'importe ma naissance ! C'est un personnage insolent, qui nourrit son cynisme d'un franc regard sur les facilités, compromis, complaisances, qui sont le biais du monde. Sa robustesse équilibre le pathétique concentré sur la figure typique de la mère, Constance, et du fils, Arthur, qu'elle sait mort dès qu'il est seulement pris.

William Shakespeare, Henri V

On peut joindre à Richard II, malgré l'intervalle qui les sépare, les deux parties d'Henri IV (1597 ?) et d'Henri V (1599 ?). Ce sont des pièces moins classiques, moins tragiques, moins poétiques de ton. Le personnage royal n'intéresse que par son contraste avec Richard, comme démonstration du principe de responsabilité aliénante. Dans la personne du prince de Galles devenant Henri V, nous voyons se produire la mutation de la délinquance juvénile au sérieux parfait, annoncée très tôt par un perfide aparté, alors qu'il semblait installé dans la compagnie de Falstaff et de sa bande : « Je vous connais tous ; je veux encourager un temps l'humeur débridée de votre vie oisive. » Il calcule : « Quand je rejetterai cette vie relâchée, ma réforme éclatant sur ma faute en paraîtra meilleure. » C'est un modèle royal d'hypocrisie qui paraît glorieusement dans le pieux soliloque qui précède Azincourt, alors que l'affaire a été montée par les politiques comme une diversion pour affermir le trône. Qu'en pensait Shakespeare ? Le lecteur attentif choisira.
Massif, brutal, Henri IV se dressait entre deux figures symétriques, Falstaff et Hotspur. Plus l'Angleterre devenait sérieuse, et plus elle s'enchantait de Falstaff : il lui rendait à peu de frais l'affranchissement de toute règle morale ; son cynisme, son anarchisme étant écartés de nous physiquement par son énorme bedaine, éthiquement par un système complet d'inversion des valeurs, esthétiquement par une gaieté, un esprit dont le vin des Canaries anime les gambades funambulesques, il n'est pas dangereux, c'est d'un maigre que César dira : Ces hommes-là sont dangereux. Shakespeare lui fait, avec une habileté merveilleuse, préserver, dans sa canaillerie, une innocence. Mais c'est une canaille : escroc des pauvres, détrousseur des plus lâches que lui, recruteur de misérables qui, parfois, ont plus de cœur que leur chef enrichi de l'argent du rachat des riches, faux héros, enfin, qui à la bataille égorge les héros déjà morts, il équilibre admirablement Hotspur, jeune fou sublime, entraîné par les siens et par la mauvaise foi d'Henri IV dans la sédition. La gloire et la mort pour lui sont le couple qu'étaient pour Roméo l'amour et la mort : la gloire qu'il se voit dans un rêve vertigineux arrachant au front de la lune ou ramenant des abîmes – il parle la langue follement hyperbolique du Tamerlan de Marlowe. La mort, il la trouve au combat, tué par le prince Henri, revendiqué par Falstaff : l'ironie de Shakespeare n'a jamais été plus cruelle.
Illusions et ambiguïtés

Les commères de Windsor , Le marchand de Venise..

Vers le même temps qu'Henri V, Shakespeare aurait écrit les Joyeuses Commères de Windsor, The Merry Wives of Windsor, pour plaire, selon la légende, à la reine, qui aurait souhaité voir Falstaff amoureux. Falstaff, qui semblait bien se connaître, ici ne se connaît plus du tout, au point de s'imaginer séduisant deux dames de la ville et s'en faisant entretenir. Sa paresse est telle qu'il leur adresse la même lettre à toutes deux, qui se la communiquent ; et telle sa sottise, que, ses plans déjà dévoilés, il dit pis que pendre de Mr Ford, l'un des maris, à Mr Brook, qui est ce même mari déguisé. Aussi est-il berné de belle façon, fourré jusqu'à étouffer dans un panier de linge des plus sales, versé dans un fossé fétide et enfin poursuivi, pincé, culbuté par de malicieux pseudo-lutins.
Le Marchand de Venise, The Merchant of Venice avait été écrit vers 1596. À la source, c'est une pièce antisémite. Lopez, médecin juif de la reine, avait été soupçonné de participation à un complot pour l'empoisonner, et le favori Essex, protecteur de Shakespeare, l'avait suffisamment torturé pour lui extorquer des aveux qui le vouaient à un supplice barbare. Cette affaire était encore dans les esprits, et il est probable qu'elle a fourni des traits à la figure de Shylock, la seule figure d'homme intéressante, au bout du compte, dans la pièce, où l'on voit un Bassanio, gentilhomme, comme il dit, décavé et très conscient de la dot de Portia, valorisé de façon peu convaincante par l'amour, et un Antonio, marchand chrétien, en ce qu'il dénonce vertueusement le prêt à intérêt, mais non par la charité ; habitué à cracher sur la gabardine du Juif, il proclame qu'il recommencera. C'est Antonio, personnage indéchiffrable dont Shakespeare a gardé le secret – peut-être homosexuel frustré, mélancolique, masochiste, brebis galeuse du troupeau, dévoué corps et âme à Bassanio –, qui a garanti sa dette et qui, tous ses vaisseaux faisant naufrage, doit payer la livre de chair ; il y est d'ailleurs tout prêt comme à un sacrifice d'amour, cependant que, haine contre haine, Shylock est résolu à la réclamer.
Shakespeare semble, à cette époque, saisir toute occasion de déguiser en garçons les filles jouées par ses boy actors. On entend Portia parler pour annoncer son intention de la même voix que la Rosalinde de Comme il vous plaira et presque avec les mêmes mots. Il ne s'agit pourtant ici que de revêtir une robe de magistrat. On voit l'acteur-auteur composer sa pièce avec un œil fixé sur les planches.

Beaucoup de bruit pour rien

Much Ado about Nothing, 1598 ? est une pièce dont on oublie l'intrigue principale et d'où on extrait la plus charmante des intrigues secondaires, l'étrange cour que se font Bénédick et Béatrice. Shakespeare jeune a le don et le goût de rendre avec une exquise subtilité de nuances le conflit entre l'amour naissant et le moi qui s'en défend. On l'a vu dans les Deux Gentilshommes. Mais il faut que les deux partenaires soient conscients de la situation pour qu'il puisse y avoir jeu, même inconscient. C'était déjà le cas de Biron et de Rosaline dans Peines d'amour perdues, mais, là, la guerre des sexes était formalisée : ici, la familiarité préalable entre le garçon et la fille ajoute aux fusées d'esprit plus d'individualité et de saveur. Si cette guerre-là est comique, c'est en vertu d'un double niveau de relation : au-dessus, manifestée dans l'échange verbal, une agressivité, qui est la défense de l'intégrité du moi contre l'invasion dissolvante de l'amour, et, au-dessous, la tendresse qui tente de percer sous les coups de patte ou même de griffe. Sur le mode badin, c'est toujours la même idée que dans Peines d'amour perdues : c'est une grande présomption que de se déclarer contre l'amour, et qui mérite d'être châtiée par l'amour. Ce sont les personnages de l'intrigue principale qui mènent et dénouent celle-ci en supposant le problème résolu : Béatrice est informée que Bénédick l'aime en secret ; Bénédick reçoit l'avis correspondant, et cette objectivation suffit à ce qu'ils se résignent à la fatalité de leur sentiment. Adieu dédain, fierté de fille, adieu ! soupire Béatrice ; mais encore : Toi et moi nous sommes trop sages pour une cour paisible, et, jusqu'au dernier moment, ils voudront se donner le change.

Comme il vous plaira As You like It, 1599 ?

est l'une des pièces où l'on peut montrer que comédies et tragédies sont susceptibles d'avoir les mêmes thèmes, la différence étant dans le traitement. Le premier thème ici est l'usurpation et la haine entre frères, que, dans l'Ulysse de Joyce, Stephen rapporte à l'histoire personnelle du poète. Le duc Frédéric a usurpé l'État et chassé son frère, qui a trouvé toutefois dans la forêt, refuge traditionnel depuis le Moyen Âge des bannis et des hors-la-loi, un asile confortable et peu troublé. De même, Olivier s'est emparé des biens de son frère Orlando, l'a chassé et complote sa mort. Le père d'Orlando était lié à l'ancien duc ; son fils est indésirable, comme le devient soudain la fille du duc, Rosalinde, gardée à la Cour par l'amitié de la fille de l'usurpateur, Célia. L'usurpateur, Macbeth au petit pied, est, comme tous ses pareils, rongé de méfiance. Tout le monde est banni et se retrouve dans la forêt jusqu'à ce que des repentirs caractéristiques d'un théâtre insoucieux de continuité psychologique annoncent la fin de l'interlude pastoral et le retour des bannis. Un des grands clichés de la Renaissance est au centre de la pièce : l'opposition de la Cour, comme milieu humain le plus corrompu, et de la Nature, dont la pureté régénère pour un temps ceux qui s'y retrempent. La Nature, dans la mesure où elle ne participe pas de la chute de l'homme, est harmonie, et les hommes s'y joignent par la musique : le groupe de comédies auquel nous avons affaire est riche en chansons mélodieuses et mélancoliques. Un commentateur amer jusqu'au cynisme, Jacques, cher à nos romantiques, tient ces oppositions sous notre regard. Il voit tout dans l'univers indifférent au malheur des autres, depuis les hommes jusqu'aux cerfs, qui n'ont cure de leur frère, victime des chasseurs. Jacques ne peut s'intégrer qu'à une antisociété. On le voit à la fin seul obstiné dans ses refus, et Shakespeare, qui n'est pas romantique, le montre un peu ridicule.
La pièce appartient, malgré Orlando et Jacques, à deux femmes, Rosalinde, une gracieuse égotiste, imaginative, un peu effrontée, une vraie fille-garçon comme l'auteur les aime, et Célia, une tendre gracieuse, sensible et délicate. Leurs beaux duos mélancoliques sur la fortune, sur l'amour mènent au jeu exquis de Rosalinde avec Orlando dans la forêt, Rosalinde devenue Ganymède curieux pseudonyme, non reconnue naturellement de son amoureux sous ses habits d'homme et impudente au point de se faire courtiser par lui comme si elle était Rosalinde. Shakespeare était conscient de ses acteurs lorsqu'il écrivait ses pièces. Cela n'a-t-il pas été jusqu'à créer des caractères de jeunes filles correspondant à l'ambiguïté de ses boy actors, féminines et garçonnières, franches, décidées, sensuelles et rêveuses, l'un des enchantements de son théâtre.


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Figures et mythes

La Nuit des rois Twelfth Night

est voisine de Comme il vous plaira à la fois dans le temps et par l'esprit. Mais l'atmosphère d'irréalité et d'illusion y présage déjà les pièces de la fin, tandis que l'imbroglio nous ramène au tout début et à la Comédie des erreurs. Comme dans cette pièce, nous trouvons deux jumeaux, Sebastian et Viola ; pour amorcer tous les quiproquos à venir et y préparer les spectateurs, Antonio, qui a sauvé Sebastian d'un naufrage paraissant universel, rencontre Viola, elle aussi sauve, en habit d'homme, et la prend pour son frère. Ni cela ni rien dans cette pièce ne serait très drôle s'il n'y avait, pour animer une robuste intrigue secondaire, sir Toby, Falstaff pansu, et ses séides. La mystification qu'ils inventent pour que le morose intendant Malvolio, se croyant aimé de sa maîtresse, suive des instructions dont l'effet est de le faire passer pour fou continue malicieusement la confusion d'identité et les quiproquos accidentels qui sont au centre, avec un accent parodique.
C'est une comédie singulière, car tout ce qui touche aux personnages de l'intrigue principale, y compris même Feste le fou, est marqué d'un excès d'affectivité, de tendre langueur, du goût de la souffrance amoureuse. Le duc Orsino est sans espoir amoureux d'Olivia. Pour mélancolique qu'il soit, il se regarde aimer et s'admire : Nul cœur de femme ne peut aimer comme le sien ; Leur amour se peut nommer appétit et connaît vite la satiété. Le sien est avide comme la mer. Survient Viola, déguisée en homme et qui devient aussitôt son page, littéralement son eunuque, comme s'il fallait souligner l'aspect de privation du jeu d'amour. Elle tombe en effet en trois jours amoureuse de son maître, cherchant de jolies habiletés de langage pour dire son amour sans pouvoir – cruauté des situations chères à Shakespeare – le rapporter à elle-même. Et la voici chargée de porter à l'insensible Olivia les messages d'amour d'Orsino. Mon maître l'aime chèrement. Et moi pauvre monstre j'ai pour lui-même tendresse. Et elle par méprise semble folle de moi …. Pauvre dame, elle ferait mieux d'aimer un rêve. Avant d'aimer un rêve, Olivia aimait un mort, son frère, à qui elle avait voué sept années de deuil cloîtré et de larmes rituelles. Quant à Viola-Cesario, elle se présente au duc non seulement comme une autre, mais comme un passé : Mon père avait une fille qui aimait un homme …, elle ne dit jamais son amour ; la vie prend le caractère d'une ravissante élégie sur elle-même. Déguisement, tu es funeste, constate-t-elle amèrement. On s'est rapproché une fois de plus, par le changement d'habit, de la zone dangereuse de la confusion des sexes. Ajoutons qu'Antonio, le second du nom après celui du Marchand, poursuit Sebastian d'un amour insolite, au péril de sa vie.
Des chansons percent de leur enchantement cette douce brume de sentiment, une musique tendre accompagne toute la pièce, dont le duc donne le ton dès le premier vers : « Si la musique est la nourriture de l'amour, jouez encore, espérant que l'excès apportera la satiété. Une sensualité raffinée évoque dans une veine de transpositions romantiques le doux son qui s'exhale sur un talus de violettes, prenant et rendant les odeurs. À l'acte II, le duc réclame de nouveau une chanson. Et c'est Viens-t'en, viens-t'en, ô mort… Et c'est une chanson de jadis : cette mélancolie se conjugue au passé pour ajouter au sentiment de l'inaccessible.
Le duc narcissique, Viola masochiste, Olivia folle de son âme, cela manque mal finir. Olivia, amoureuse de Cesario, épouse heureusement Sebastian, mais le duc partage sa méprise et se prépare à égorger, pour le punir de sa traîtrise, son page, ravi et tendant la gorge : comme d'habitude, il faut que les jumeaux paraissent ensemble pour que tout s'éclaircisse.

William Shakespeare, Jules César

Jules César 1600 ? est, comme Richard II, une grande pièce quasi classique par sa pureté de ligne et de style. On voit même assez curieusement Shakespeare, si peu préoccupé de règles, s'en rapprocher par instinct de dramaturge, l'unité d'action se voyant renforcée d'une relative unité de temps – trois années d'histoire romaine ramenées à quelques semaines et, au début, quatre mois condensés en un seul jour. Le génie dramatique qui, sur quelques lignes de Holinshed, invente Macbeth apparaît ici inversement à travers sa fidélité à Plutarque. Dans les Vies de César et de Brutus, Shakespeare, pourrait-on dire, a tout trouvé : mais ce n'est que toute sa matière première. À partir d'une donnée qui pouvait paraître presque encombrante tant elle était abondante et précise, il a construit le César ambigu qu'il fallait à sa double vision de dramaturge hanté par le sens de la destinée et de royaliste obsédé par le caractère sacré et sacrificiel du souverain. Il a souligné les infirmités, l'épilepsie, pour mieux faire valoir la grandeur d'âme : le César de Plutarque ne peut lire dans la foule l'avertissement d'Artemidorus ; celui de Shakespeare le dédaigne. À l'occasion, Shakespeare a recours à une autre source : Appien lui fournissait, au lieu de l'Antoine simple et rude de Plutarque, un comédien émotif et rusé, loyal et cruel.
La critique rapproche Brutus d'Hamlet. On est tenté de proposer un rapprochement paradoxal entre Brutus, homme de bien et très pur, et Macbeth, homme d'ambition et de mal. Hamlet a des problèmes psycho-métaphysiques, mais aucun doute sur les aspects éthiques de l'action à entreprendre, qui serait à la fois revanche contre un criminel et châtiment d'un sacrilège. Il en est tout autrement de Brutus, qui, en participant au meurtre de César, va contre l'amour qu'il lui porte pour châtier dans une chair vive et précieuse l'offense faite à l'abstraite liberté. C'est pour cela qu'il ne cesse de rêver à une solution impossible qui permettrait d'extirper la faute sans tuer le coupable. Et tout le temps que dure la préparation du complot, il est, si l'on prête attention à l'épreuve de vérité de l'écrivain, qui est l'écriture même et le langage, dans un état curieusement voisin de celui de Macbeth, souhaitant que l'acte fût révolu et en lui-même enclos : « Entre l'accomplissement d'un acte terrible et l'impulsion première, tout l'intervalle est comme un fantôme ou un rêve hideux …. La condition de l'homme, tel un petit royaume, se trouve alors dans un état d'insurrection.
Brutus et Cassius : comment séparer dans l'action républicaine le moraliste et le politique, qui se complètent et s'opposent ? Cassius estime avoir besoin de Brutus parce qu'il est, comme dit Casca, haut placé dans le cœur des hommes. S'il ne paraît guère, dans la pièce, soucieux de popularité, c'est que Shakespeare voulait un contraste frappant entre son discours, maigre, sec, dédaigneux, et celui d'Antoine – entre la distance intellectuelle de l'un et l'appel immédiat et viscéral de l'autre. Cassius, malheureusement pour les conjurés, n'a, quant à lui, rien de charismatique. Nul homme obsédé, comme il l'est, d'égalité et qui n'est pas au sommet n'échappe au soupçon de jalousie. Il a cependant mis dans l'action contre César toute son âme, occupé de ses fins jusqu'à être indifférent aux moyens, de sorte qu'au moment où ils vont payer de leur vie leur opposition au courant de l'histoire Brutus lui reproche avec mépris, dans une scène qui est un des hauts lieux dramatiques de la pièce, de se faire graisser la patte. Il est presque haineux, tandis qu'en face de lui Cassius a le ton d'une amère tristesse et la voix de l'amour blessé. Ils ont évolué en sens opposé : l'un, Cassius, selon sa nature ; l'autre, Brutus, parce qu'il a agi contre sa nature, a été graduellement miné par la peine et le remords. Le fantôme de César préside à l'inversion tragique des rapports humains.

William Shakespeare, Othello

Ce que l'on a désigné comme la certitude éthique d'Hamlet est secondaire ; ce qui domine la pièce (1601 ?), qui est le fait nouveau et qui s'appliquera aussi bien à Othello, c'est l'incertitude de toute réalité et l'angoisse que cela détermine. Hamlet, dont le père vient de mourir, ne sait plus s'il est revenu de l'université de Wittenberg à Elseneur pour les funérailles de son père ou pour le remariage de sa mère à son oncle, tant ceci a suivi cela de près. C'est dans un état de trouble traumatique qu'Hamlet voit le fantôme de son père tenter de se découvrir à lui – mais un fantôme est-il identifiable, peut-il se découvrir ? C'est le problème de la communication : on ne communique pas avec les morts. Mais les vivants ? Quelle confiance faire à ce nouveau couple, incestueux, qui pue la luxure et le mensonge, à leur cour, opportuniste et servile, à Polonius et à ses rabâchages sentencieux, aux jeunes courtisans, dont le langage est plus souple que leur esprit n'est agile. Hamlet s'étonne qu'on puisse sourire, sourire et n'être qu'une canaille. Quand Polonius lui demande ce qu'il lit, il répond : « Des mots, des mots, des mots » ; ni par l'oreille ni par l'œil, il n'entre en l'esprit rien de réel. Mais, lorsque Hamlet, en face des hommes, connaît qu'il ne les connaît point, ni rien d'eux, et que cette opacité lui devient insupportable, et qu'elle fait monter en lui la névrose, il lui vient à l'idée, loin de se retenir au bord du déséquilibre, de le cultiver et de devenir par là incompréhensible, de mettre en face du mensonge le mystère d'un interlocuteur qui ne joue pas le jeu social du dialogue, qui parle par énigmes inquiétantes, déconcertantes. Pirandello, dans son chef-d'œuvre Henri IV, donnera une version moderne d'Hamlet. Jeu féroce face au groupe qui ne quitte la convention que pour le mensonge. N'est-ce pas le cas d'Ophélie même, et le sot Polonius n'a-t-il pas conçu, au service du roi, l'idée d'employer sa fille à découvrir le secret d'Hamlet ? Avec celle qu'il aime, son jeu devient plus cruel : la cruauté est à proportion du dégoût et du désarroi. Que ce dégoût se concentre sur deux femmes aimées, la mère et l'amante, dénonce tout le sexe : parmi les symboles du mensonge, le plus écœurant sera le maquillage.
Le dégoût, l'inappétence vitale, décourage l'espèce de satisfaction que constituerait la vengeance banale par le meurtre. Si, pourtant, Hamlet tue Polonius, c'est à travers la tenture ; c'est l'invisible et le caché qu'il frappe, c'est qu'il rencontre une parfaite convenance entre la circonstance et le symbolisme dans lequel il s'est retranché.
Indéchiffrable, imprévisible, sa vengeance est justement d'inquiéter. L'invention de la pièce, souricière par laquelle le roi ne peut manquer de se voir découvert, est le grand moment du jeu. Rien n'est plus moderne chez Shakespeare que l'embrouillement du théâtre et de la vie. Les acteurs sont avec Horatio la seule compagnie avec laquelle Hamlet communique. Si l'on examine d'ailleurs d'un peu près le monologue le plus banalement célèbre de la pièce, Être ou ne pas être , on voit à quel point il est absurde et invraisemblable dans la bouche d'un prince, à quel point il convient par contre à un acteur qui jouerait le prince.
Shakespeare est de plain-pied avec les grands archétypes et avec les mythes : derrière Hamlet, il y a Oreste ; et, sans doute, Oreste est-il en dernier ressort un dieu hivernal allié à la mort et aux morts, meurtrier de l'été. Mais Shakespeare, qui n'en savait rien, a inversé le mythe dans ses résonances humaines. Faiblesse, tu te nommes femme, dit Hamlet. Il est devenu misogyne comme l'amant de la dame brune. C'est tout le mouvement de Troïlus et Cressida 1601. Le Moyen Âge a été obsédé par les Troyens, de qui descendent toutes les dynasties, et par la guerre de Troie, liée à la fois à l'amour courtois et à son inversion. En Angleterre, Chaucer n'est que le plus illustre de ceux qui en ont extrait l'histoire de Troïlus et Criséide, qu'il reprend d'ailleurs à Boccace, où il a trouvé Pandarus entremetteur et le schéma de la trahison. L'épisode dans Shakespeare est devenu représentatif de toute la guerre, comme la voit Thersite, le bouffon le plus violent, le plus grinçant, le plus graveleux de l'œuvre : Tout le débat n'est que d'un cocu et d'une putain … Tout n'est que paillardise. À quoi s'opposerait le point de vue d'Hector, le parfait chevalier : qui est que seuls les sacrifices absurdes que l'on fera pour garder Hélène rachèteront l'honneur perdu dans son enlèvement. La noblesse d'Hector domine le camp des Troyens ; celui des Grecs n'a pas l'équivalent. La sagesse d'Ulysse se double d'un discours creux sur l'importance de l'ordre hiérarchique dans le cosmos et chez les hommes, ruse pour ramener Achille au combat. Cet Achille est l'un des personnages de Shakespeare que les récentes mises en scène ont le plus transformé. Il est devenu un barbare corrompu. Il n'y a plus le moindre doute sur ses rapports avec Patrocle ; mais, en outre, un fascinant équivoque marque ceux qu'il a avec Hector, de sorte que la façon assez ignoble dont il le fait égorger, désarmé, par ses myrmidons a l'aspect d'un viol collectif. Thersite a raison : une frénésie de meurtre et de luxure, voilà toute la guerre.
C'est dans cette atmosphère que se déroule l'aventure de Troïlus et de Cressida : un jeune fou étourdi d'amour et de vaillance ; une jeune effrontée qui ne connaît de vérité que dans l'émotion présente et dont l'impatiente sensualité n'est retenue que par la plus formelle bienséance. Elle a beaucoup de charme et aussi cette grâce exquise de langage que son auteur dispense aux impures comme aux pures. Juliette pervertie, elle transfère sa caresse, verbale aussi bien que charnelle, au prix de quelques battements de cœur et de cils, de Troïlus à Diomède. Le spectacle tire Troïlus des illusions de l'enfance : « C'est et ce n'est pas Cressida. » On n'aime donc qu'une image, on ne communique pas avec la réalité, une lettre de la bien-aimée ce sont « des mots, des mots », Troïlus est entre Hamlet et Othello.
Quiproquos et malentendus
Deux comédies de cette période ont le même ressort cher à la littérature populaire, le quiproquo sur la compagne de lit. Tout est bien qui finit bien, All's well that ends well, 1602 ? est une médiocre comédie d'intrigue où la farce et l'imbroglio se mêlent. Hélène, pupille de condition modeste de la comtesse de Roussillon, est amoureuse de son fils Bertrand, non seulement contre l'aveu de la comtesse, mais aussi contre le sentiment du fils. Il ne lui reste, moliéresque médecin mage, qu'à guérir le roi de France d'une fistule contre la promesse du mari de son choix. C'est Bertrand ; mais, comme il annonce qu'il ne la reconnaîtra pour femme que si elle se trouve enceinte de ses œuvres et que, cependant, il ne la veut pas dans son lit, elle s'arrange pour s'y trouver à la place d'une autre. On peut dire du malheureux Bertrand qu'il ne lui restera qu'à s'exécuter. Mais il se pourrait que la réalité à venir de ce mariage ne correspondît pas au titre.
Mesure pour mesure, Measure for Measure, 1603 est l'une des pièces de Shakespeare qu'il est difficile de nous rendre contemporaine. Elle a ses enthousiastes, généralement attachés à l'aspect théologique qu'annonce un titre tiré du Sermon sur la montagne : Ne jugez pas de peur d'être jugés… et de recevoir mesure pour mesure. Shakespeare semble avoir voulu mettre un accent édifiant à un typique conte italien de G. Giraldi Cintio déjà porté au théâtre anglais. Un souverain trop indulgent, sous qui les mœurs sont devenues dissolues, prend des vacances et charge son substitut, Angelo, de rétablir la situation. Une loi punissant de mort les fornicateurs est remise en vigueur ; le premier coupable désigné est Claudio, qui attend son exécution dans l'humeur angoissée du prince de Hombourg, bouleversé par de terrifiantes et superbes images de la mort comme condition. Il supplie sa sœur Isabella d'intercéder auprès d'Angelo. Celui-ci, par une sorte de talion, concédera la vie à Claudio si elle lui abandonne sa chasteté. C'est le duc, revenu déguisé en moine, qui suggère la solution : c'est une femme jadis séduite par Angelo qui prendra dans son lit la place d'Isabella, et qu'il sera tenu d'épouser. On a vu le Sermon sur la montagne en meilleure posture.
Par rapport à Troïlus et Cressida, Othello 1603 est une pièce où l'illusion est inverse, où la trahison de l'épouse est l'invention d'un traître. Le tragique malentendu qu'il amorce et qu'il agence est, une fois de plus, rendu possible par la non-communication et par des circonstances existentielles dont Shakespeare a merveilleusement compris l'importance. Dans son orgueilleuse modestie, Othello se voit mis par sa peau noire à distance de Desdémone, et rapproché et séparé d'elle à la fois par sa légende glorieuse : Elle m'a aimé pour les périls que j'avais traversés. Elle a donc, elle aussi, aimé une image. Le soupçon dort en lui. C'est Brabantio, le père de Desdémone, qui le premier s'emploie à l'éveiller : Aie l'œil sur elle, Maure. Elle a trompé son père, pourquoi pas toi ? Et lui : Je gagerais ma vie sur sa fidélité. Mais, lorsqu'il la retrouve, il a déjà le sentiment angoissé du mystère de l'avenir, qu'il formule en le refoulant : Mon esprit est dans un contentement si absolu que nul autre pareil ne saurait le suivre dans l'inconnu des destinées. C'est une fois de plus, comme pour Hamlet, le problème du réel inconnaissable, de la connaissance de l'autre, surtout, qu'on a cru s'approprier. À peine Iago a-t-il parlé qu'il construit son hypothèse : C'est peut-être que je suis noir, et que je n'ai pas les grâces de la conversation. C'est un esprit disponible que Iago remplit d'images ignobles, sachant qu'elles sont plus absolues que des raisons. Et, lorsque Othello se résout à supprimer l'image clef avec l'objet, la catin qui a pris en lui-même la place de la bien-aimée, il est comme hypnotisé : C'est la cause, c'est la cause, ô mon âme, dit-il en cette langue de termes opaques, qui sera aussi celle de Léontès dans Conte d'hiver, qui est celle des jaloux névrosés de Shakespeare. On a commencé par ne plus reconnaître l'autre c'est et ce n'est pas Cressida, on finit par se voir soi-même comme un autre : Voilà celui qui fut Othello.
Au-delà de l'humain

William Shakespeare, le Roi Lear

Le Roi Lear King Lear, 1605 est une chronique antéhistorique d'Angleterre ou plutôt de Bretagne. Selon la source, Holinshed, les deux méchantes filles sont frustrées dans leur dessein, Lear est rétabli sur son trône et règne deux ans ; Cordélia lui succède, mais elle est déposée par ses neveux et se tue dans sa prison. Holinshed n'est pas Plutarque, mais il est remarquable que Shakespeare l'ait si peu respecté et que la pièce soit si profondément le produit de sa création.
Tout vient de Lear. Il ne s'est guère jamais connu lui-même, dira Régane, mauvaise fille et cruelle psychologue. C'est parce qu'il ne se connaît pas qu'il ne peut connaître les autres. Tout est là. Il est vain de son autorité infuse, comme Titus Andronicus. Il juge qu'il n'a pas besoin de régner pour ordonner. Distribuant son royaume en cadeau à ses filles, il entend recevoir d'elles un encens de louanges et, de plus, être choyé. Tandis qu'il attend tout des mots, Cordélia sait, comme Hamlet, que le langage est mensonge, et elle a le courage durement châtié de la retenue. Shakespeare n'a pas cherché à rendre son héros sympathique avant de le montrer persécuté par les deux monstres que sont Goneril et Régane. Dépouillé et chassé du milieu corrompu dont il participait, rendu à la nature comme d'autres bannis de Shakespeare, Lear pourrait ne pas être dans une situation très différente de celle qui, dans Comme il vous plaira, se résolvait en pastorales et chansons. Mais tout le monde courait se joindre au duc banni « sous la verte feuillée », tandis que Lear fuit seul dans la lande la plus sauvage, la nuit la plus noire, la tempête la plus sauvage, seul avec le plus métaphysique des bouffons. L'imagination de Shakespeare peut, en reprenant les mêmes données, changer toutes les teintes et tous les rapports. Elle procède par parallèles analogiques pour être sûre de pénétrer les âmes. Les filles de Lear sont hors nature. Le fils de Gloucester, Edmond, est un bâtard, à la fois tenu à l'écart comme enfant du péché et traité comme une sorte de complice par le père, qui devient salace dès qu'il évoque les jeux de sa procréation. Edmond se joint donc aux deux chiennes, qui commencent par crever les yeux de son père et finissent par s'entre-tuer pour l'avoir tout entier. Le duc aveugle et le roi fou se rejoignent dans la même expiation, car la pièce, dont le paganisme révoltait Claudel, est aussi cathartique qu'aucune ; Wain la résume bien : L'un doit être aveugle pour voir clair et l'autre devenir fou pour comprendre. La fureur de désir des femmes traverse la pièce. Lear les voue toutes au démon au-dessous de la taille.
On souligne dans des mises en scène récentes Peter Brook l'aspect grotesque, absurde, « beckettien » de la pièce. Oui, mais plus encore qu'Hamlet, on sent Lear au-delà de l'humain même grotesque, au niveau du mythe, de l'élémentaire, du cosmique. Lear est sans doute un dieu marin, les deux mauvaises filles sont les tempêtes, et Cordélia est la bonne brise ; c'est à ce niveau que travaille l'imagination du poète.
Il y a des parallèles entre Lear et Timon d'Athènes Timon of Athens, 1604 ou 1607 ? ; comme Lear son royaume, Timon distribue ses richesses, et il attend en retour un message général de reconnaissance et d'amour. Quand il n'a plus rien, il se retrouve seul, et le voici suivant le schéma devenu antipastoral qui mène de la ville à la forêt, du mensonge à la vérité. Mais, tandis que le poète avait rendu à Lear une humanité déchirante, Timon, dans sa fureur et dans son aliénation, ne devient jamais intéressant, et l'écriture dépasse rarement le degré de la grande rhétorique sur ce qui reste, à moins d'être fortement incarné, de grands clichés.

Johann Heinrich Füssli, Lady Macbeth

De rhétorique, Macbeth 1606 n'en manque pas, et A. C. Bradley voit dans la pièce le propos de se rapprocher de Sénèque – qui a dans l'Hercules furens six fleuves et la mer impuissants à laver une main souillée de sang. Mais jamais le langage de Shakespeare n'a été plus souple, plus varié, plus proche finalement de la substance vivante du monde et du moi. Nous restons plus près du Moyen Âge que de Sénèque parmi les présages et les emblèmes du bien et du mal, le loup, les hirondelles, la chauve-souris, les oiseaux du jour et de la nuit. Tout ce qui serait nature est graduellement encerclé de surnature et d'antinature. Car le temps de la pièce est celui d'une inversion de l'ordre universel – le jour a l'aspect de la nuit, le faucon est tué par une chouette, il faudra que le bois de Birnam marche sur Dunsinan pour que la nature reprenne ses droits. Jusque-là, le temps appartient au démon et aux sorcières qui le servent, et qui, comme les oracles de jadis, enveloppent de vérités le mensonge. Monde manichéen, celui-ci est blanc et noir, sans nuances ni demi-teintes, mais non sans l'illusion que le noir est blanc ; il est, comme pour Hamlet, dans toute apparence et toute parole. Malcolm, fils du roi assassiné, pratique avec Macduff un rite d'exorcisme en s'accusant de toutes les indignités.

Gustave Doré, Macbeth et les sorcières

Macbeth se découvre à nous si complètement que Shakespeare nous amène à souffrir avec et pour ce criminel. Nous l'avons comparé à Brutus. Il est la victime des sorcières, puis de sa femme, comme Brutus avait été la victime de Cassius ; son imagination fruste a reçu d'elles sa destinée et son avenir, comme si le temps était, devant lui comme derrière, fixe et déterminé. Le meurtre du roi, achevé au prix d'un terrible effort de volonté, produit en lui une mutation, et l'on peut dire que dès lors Macbeth est possédé : il n'est plus maître des images qui le traversent ; depuis le morceau superbe et creux qu'est son oraison sur sa victime jusqu'à la fin, il est le plus lyrique des héros de Shakespeare et le plus aliéné dans son lyrisme.
Dans un temps où l'accent sexuel très fort de Shakespeare reçoit toute l'attention qu'il mérite, on a souligné l'emprise sensuelle de lady Macbeth jusqu'au point d'en faire une force déterminante. Qu'elle domine son mari et qu'elle est des deux la nature volontaire, cela est certain, et aussi qu'une logique impitoyable lui fait refuser toute séparation entre l'intention et l'action. Elle parle, en contraste avec celui de Macbeth, un langage durement pratique, attaché à la matérialité des choses, leur aspect comptable et quantitatif. La scène du somnambulisme marque que, malgré cette cuirasse dont elle s'est fortifiée, elle a tout à coup cédé et se désintègre. La résistance de Macbeth, par contraste, serait héroïque, mais il la voit lui-même comme celle d'un fauve, d'un ours enchaîné au poteau, face aux chiens. La logique du meurtre dans une époque platonicienne était d'une dégradation et d'une perte d'âme ne laissant subsister que la brute, qui n'intéresse plus.
Contradictions
Il n'est rien dans cette pièce d'ambivalent, il n'est rien qui ne le soit dans Antoine et Cléopâtre (1606). La nature dialectique de la vision est telle qu'on ne saurait douter que Shakespeare lui-même se partage entre deux systèmes de valeurs et deux finalités. On peut dire qu'Antoine et Cléopâtre ne font que répéter Richard II en face du futur Henri IV. Le bien de l'État exige que son chef s'aliène en lui et pour lui. Il n'a que faire de la passion et des jeux d'images. Ce que Shakespeare, pourtant, a changé ici, c'est qu'il a ignoré autour des amants ce qu'on voyait trop bien autour de Richard : le malheur de l'État. Quel État d'ailleurs ? L'Orient tout entier semble s'identifier à leur gloire sensuelle. Les faiblesses d'Antoine, mené par Cléopâtre, tentant de se reprendre et retombant sous le joug, ses absurdes revirements semblent ne concerner que lui, ses chances d'un avenir, son acceptation qu'il n'y ait pas d'avenir, qu'il n'y ait plus de temps, mais seulement un absolu présent. En fait, l'État n'est représenté que par l'armée, et l'armée par Ahenobarbus, le soldat fidèle, loyal, imaginatif toutefois, au point que l'image la plus glorieuse de Cléopâtre sur sa nef, parmi ses femmes, comme une déesse, c'est lui qui la fixe dans nos têtes. C'est l'armée qu'Antoine trahit en combattant selon le caprice de Cléopâtre et non pas selon sa force et sa science. Et c'est la douleur d'Ahenobarbus, c'est le devoir qu'il se voit de passer à l'homme sérieux, Octave, quitte à en mourir le cœur brisé, qui est le symbole de la faillite d'Antoine. Octave, ordre, sévérité, discipline, action efficace, n'intéresse pas. Antoine intéresserait moins s'il n'était pas déchiré, et si le Romain en lui ne s'opposait pas encore, inefficacement, à Cléopâtre. Celle-ci, comédienne, incohérente et fausse, avec ses fureurs, ses délires, est sans doute la création féminine la plus extraordinaire de Shakespeare, une démone en qui se joignent l'amour et la mort. Elle a causé la défaite et la mort d'Antoine comme pour aboutir à l'ivresse suprême de chanter avec lui, puis sur lui ce chant de mort qui est un des sommets de l'œuvre.
La dernière pièce romaine de Shakespeare, Coriolan (1607), est complexe et troublante ; Coriolan est voué à périr de ses contradictions : un jeune héros, un Essex, se trouve appelé à des responsabilités politiques faites pour l'âge mûr ; un jeune aristocrate surgit à un point de l'histoire nationale où il faut savoir déjà conquérir les cœurs de la plèbe. L'aversion de Shakespeare n'hésite pas. Cette plèbe est celle qui acclamera le républicain Brutus en criant : « Qu'il soit César » – quelques moments avant de courir brûler la maison de Brutus. Elle est crasseuse, elle pue, elle est stupide et incohérente. Elle a les chefs qui lui conviennent, de grotesques agitateurs, les tribuns. Malgré l'orgueil, les colères, les absurdités de Coriolan, il est difficile d'interpréter la pièce dans un sens démocratique. Il est bon d'observer l'esprit dans lequel Shakespeare a modifié Plutarque : il minimise les griefs du peuple et son courage. Ce qui l'intéresse, c'est la création ambiguë et ambivalente d'un individu exceptionnel, désespérément jeune, moralement non sevré, et qui, s'il ose désobéir à la cité, obéit à sa mère, qui, en fait, le condamne à mort – et sauve la cité.
Une mue romanesque

Périclès 1608, Cymbeline 1609,

Conte d'hiver, The Winter's Tale, 1610, la Tempête, The Tempest, 1611 :

quatre pièces romanesques ou tragi-comédies nettement apparentées, dans lesquelles le génie de Shakespeare semble subir une mue qui est un peu celle de l'époque, non plus celle de Kyd, mais celle de Fletcher.
Périclès, prince de Tyr, mélancolique jusqu'à la dépression, se met dans de mauvais cas. Le voici à Antioche, amoureux, après beaucoup d'autres, de la fille du roi Antiochus. Il ne pourra obtenir celle-ci qu'en déchiffrant une énigme, à défaut de quoi il mourra. Il la déchiffre en effet : la fille du roi partage le lit de son père. Il ne reste à Périclès qu'à fuir au plus vite. Le motif de l'errance comme celui de l'énigme fatale et de l'inceste viennent d'une couche ancienne du conte populaire. Le héros arrive d'abord à Tharse, puis fuit de nouveau jusqu'à Pentapolis. Là les pêcheurs ramènent dans leurs filets une armure, celle, justement, que son père lui destinait. On est plus près que jamais du conte populaire. Périclès revêt l'armure et conquiert dans un tournoi la main de la princesse Thaïsa. L'errance recommence, par mer, et dans une terrible tempête, sans lumière, sans feu ; Thaïsa met au monde Marina et meurt. On la place dans un cercueil, qui est abandonné aux vagues. Là où il touche terre, un bon magicien ranime la morte, qui, renonçant à retrouver Périclès, se consacre à Diane d'Éphèse. Marina, cependant, a été confiée au gouverneur de Tharse. Elle est trop exquise et porte ombrage. Elle n'échappe à la mort que pour être enfermée dans un bordel de Mytilène. Juste à temps, son père la découvre, intacte ; une vision le conduit à Éphèse, où il retrouve sa femme. Si Shakespeare avait écrit toute la pièce, elle serait très belle.
Dans Cymbeline, la nouvelle reine est la méchante belle-mère de la douce Imogène, qu'elle veut marier à son abominable fils. Mais la jeune fille a épousé le mari de son choix. Il s'enfuit, elle est jetée en prison. Ses deux frères avaient été dans leur enfance enlevés par un seigneur dissident. Elle s'évade, habillée en garçon, échappe au fils de la reine et manque de périr de la main d'un nouvel Othello, son mari, car un traître qui a parié avec lui qu'il la rendrait infidèle se contente de découvrir son sein dans son sommeil pour y repérer un grain de beauté et de dérober un bracelet. Le mari se hâte de conclure : « Tout le mal de l'homme est la femme. » Les méchants balayés, tous se retrouveront.
Les fureurs de la jalousie sont aussi le thème du Conte d'hiver. Des trois pièces, c'est la plus digne de notre poète, mais non la moins romanesque : Léontès, roi de Sicile, devient soudain follement jaloux de son hôte et ami d'enfance, Polixène, roi de Bohême. Rapide comme le rêve, il construit un système délirant d'interprétation fourmillant de détails érotiques imaginaires. Les « coupables » méritent la mort. Polixène y échappera par la fuite. Bizarrement, alors que Léontès s'est promptement repenti de sa folie, sa femme, Hermione, elle, restera quinze ans cachée par la fidèle Pauline, qui a aussi fait emmener en Bohême l'enfant nouveau-née, devenue Perdita. Le prince Florizel, fils de Polixène, tombe amoureux d'elle ; tout le monde se retrouve, Hermione sous l'apparence d'une statue qu'une douce musique ressuscite – et tout est pardonné. Que le schéma de mort et de résurrection présent ici comme dans Périclès ait frappé les esprits de façon qu'on y voie le produit d'un avatar mystique de Shakespeare, cela est assez naturel.
Dans le même esprit, la Tempête est une variation – considérable – sur le thème des bannis sous la verte feuillée. Prospero, duc de Milan dépossédé, a trouvé refuge dans une île avec Miranda tout enfant. Bien que son art magique ne lui ait pas jadis prédit la trahison, il lui révèle l'approche d'un navire portant l'usurpateur, le roi de Naples son complice, un brave homme qu'ils raillent, et quelques nobles canailles. Prospero déchaîne sur eux l'apparence d'une tempête qui semble tout détruire et sépare le roi de Naples de son fils, de sorte qu'ils se croient l'un et l'autre morts. Ferdinand, pleurant son père, rencontre Miranda, et c'est l'habituel coup de foudre, la révélation réciproque. Cependant, l'usurpateur de Milan, ne se reposant pas sur ses lauriers, suggère au frère du roi de Naples de l'égorger dans son sommeil afin de prendre sa place. La magie de Prospero arrêtera leur bras, puis il leur pardonnera à tous largement, car ce sont gens de bonne compagnie. Devant leur édifiante troupe Miranda s'écriera :
" Comme l'humanité est belle !" Il est vrai qu'elle ne connaissait que Caliban.
Car il y a Caliban, et c'est dans l'œuvre des dernières années la création la plus importante, aussi bien que la plus problématique, que cet homme-poisson grotesque, raillé des tueurs mondains, qui demandent « si cela s'achète » et chez qui il n'est pas difficile de reconnaître tous les aborigènes que les hommes de progrès de nos races n'ont eu que le choix, dans toutes les « îles » du monde, d'exterminer ou de réduire en esclavage. Comme tous les autres, cet être immonde, que l'on voulait bien traiter, cachait les pires instincts : il a voulu violer Miranda. Quant à lui, rebelle obstiné : Elle est à moi – dit-il – par Sycorax ma mère, cette île que vous me prenez …. Vous m'avez enseigné le langage, et le profit que j'en ai, c'est que je sais maudire. Il est toute matière, mais il est aussi la poésie de la matière, et il entend la musique la plus profonde de son île. Caliban parle à travers Shakespeare, d'une voix que Shakespeare ne connaît pas. C'est un mystère de son génie. S'est-il, quant à lui, identifié à Prospero ? Les visions magiques auxquelles Prospero renonce, avec son livre, et vouées à disparaître sans laisser une vapeur, auxquelles il compare la dissolution finale et absolue de tout sur cette terre, sont-elles une dernière occasion de mettre en parallèle l'irréalité du théâtre et celle de la vie ? Nous sommes de l'étoffe dont les rêves sont faits.

Un langage dramatique

Tout art est langage, disait Benedetto Croce. L'art de Shakespeare ? Il est d'une fantastique audace de portée, comme une grande cathédrale gothique. Brecht voit son œuvre comme l'ouvrage d'un collectif. Les marxistes, par fidélité au mythe de la création populaire, seront les derniers héritiers de ce xixe s. qui divisait Homère en rhapsodes. Gordon Graig, au terme d'un effort inégalé de mise en scène, le déclarait fait pour la lecture plutôt que pour la scène. Et qui le lit trouvera comique l'idée d'un collectif, précisément parce qu'on sent si particulièrement plusieurs mains dans un Périclès. Après tout, l'in-folio de 1623 n'en voulut pas. Il n'est autrement pas de pièce, si imparfaite qu'en eût été la transcription, si nombreuses qu'y eussent été les interpolations, où tout cela n'ait été avalé, absorbé dans une architecture de l'immense, dont nul autre que lui n'était capable. Des champs magnétiques d'une intensité irrésistible attirent et retiennent les mots, et les accouplent les uns aux autres comme par un hasard miraculeux qui de la surprise fait jaillir l'émerveillement. Shakespeare, cependant, est moins ivre de langage et de cette magie et de cette sorcellerie du verbe qu'horrifié de la nullité des mots comme moyen de la communication humaine. Ce maître de la parole atteste que toute parole est mensonge et que toute âme ouverte à la parole entre dans un monde d'illusion totale d'où il n'y a d'issue que vers la conscience de solitude et vers le silence, où entrera enfin Hamlet. Il n'est pas besoin que ce soient les paroles des autres. Richard II sait autant la vanité et le creux de ses paroles senties que Richard III l'efficacité de ses mensonges. La langue de Shakespeare a de plus en plus souvent, à mesure qu'on avance des jeux de langage de Roméo et Juliette vers Lear ou Othello, cette qualité tragique de se situer au bord d'un gouffre d'absolu silence et de se mesurer à lui.

Bibliographie

document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Michele Ciarammella, A Short Account of English Literature, Rome, Edizioni Cremonese,‎ 1957 réimpr. Londres, Cassel & Co. Ltd, 1966, The Age of Shakespeare
Michele Ciarammella est spécialiste de la littérature anglaise et professeur à l'université de Naples.
En français : première édition : Shakespeare notre contemporain, traduction d'Anna Posner, Collection "Les Temps Modernes", Paris, Julliard, 1962 - réédition : traduction d'Anna Posner, préface de Peter Brook, Paris, Payot, coll. Essais Payot, 1993 ; coll. Petite Bibliothèque Payot, no 593, 2006
Peter Ackroyd trad. Bernard Turle, Shakespeare : La Biographie, Paris, Éditions du Seuil, coll. Points no P1986,‎ 2006 1re éd. 2005
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Jean-Claude Lallias, Jean-Jacques Arnaud, Michel Fournier, Shakespeare, la scène et ses miroirs, Théâtre Aujourd’hui, no 6, CNDP, 1998 Diapositives et CD, sur La Nuit des rois
François Laroque, Shakespeare: comme il vous plaira, Paris, Gallimard, coll. "Découvertes", 1991.
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Richard Marienstras, Le Proche et le lointain sur Shakespeare, le drame élisabéthain et l'idéologie anglaise aux XVIe et XVII siècles, Paris, Minuit, coll. Arguments, 1981
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Michèle Willems, La Genèse du mythe shakespearien, 1600-1780, Paris, PUF, 1980.
Théâtre du Soleil, Shakespeare, introduction de Claude Roy, Double Page, no 21, 1982
Théâtre du Soleil, Shakespeare, 2e partie, textes de Sophie Moscoso et Raymonde Temkine, Double Page, no 32, 1984
Filmographie
Films sur Shakespeare
The Life of Shakespeare, réalisé par Frank R. Growcott et J.B. McDowell 1914.
Master Will Shakespeare, réalisé par Jacques Tourneur 1936.
Life of Shakespeare, réalisé par Mark Cullingham et Robert Knights 1978.
Looking for Richard, documentaire d'Al Pacino 1995, présentant la vision populaire de l'œuvre de Shakespeare à travers des séquences filmées de la pièce Richard III, avec Al Pacino, Alec Baldwin, Kevin Spacey, Winona Ryder, Aidan Quinn et Richard Cox.
Shakespeare in Love, film américano-britannique de John Madden 1998, racontant la création de Roméo et Juliette avec Joseph Fiennes, Gwyneth Paltrow, Colin Firth, Ben Affleck, Judi Dench.
Why Shakespeare?, documentaire de Lawrence Bridges 2005 sur l'influence de Shakespeare dans le jeu de l'acteur avec entre autres Tom Hanks, Martin Sheen ou Michael York….
Anonymous, film germano-britannique de Roland Emmerich 2011 avec Rhys Ifans, Jamie Campbell Bower, David Thewlis, Vanessa Redgrave, Joely Richardson.
Adaptations cinématographiques de ses pièces
Article détaillé : en:Shakespeare on screen.
Les pièces de Shakespeare ont été adaptées dans plus de 420 films. Certains sont fidèles à l'histoire originale, d'autres n'utilisent que des éléments de l'intrigue. Cette liste est donc une sélection une liste quasi exhaustive est établie par le British Universities Film & Video Council.
Le Songe d'une nuit d'été, film américain de William Dieterle et Max Reinhardt 1935.
Roméo et Juliette, film américain de George Cukor 1936.
Comme il vous plaira, film américain de Paul Czinner avec Laurence Olivier 1936.
Henry V, film britannique de et avec Laurence Olivier 1944.
Othello, film américain de George Cukor 1947.
Macbeth, film américain de et avec Orson Welles 1948.
Hamlet, film britannique de et avec Laurence Olivier 1948.
Othello The Tragedy of Othello: The Moor of Venice, film américain de et avec Orson Welles 1952.
Jules César Julius Caesar, film américain de Joseph Mankiewicz 1953 avec Marlon Brando.
Roméo et Juliette, film italien de Renato Castellani 1954.
Richard III, film britannique de et avec Laurence Olivier 1955.
Le Château de l'araignée 蜘蛛巣城 - Kumo no Sujō, film japonais d'Akira Kurosawa 1957 avec Toshirō Mifune. adaptation de Macbeth
Les salauds dorment en paix 悪い奴ほどよく眠る - Warui yatsu Hodo yoku nemuru, film japonais d'Akira Kurosawa 1960 avec Toshirō Mifune. adaptation libre de Hamlet
West Side Story, film américain de Jerome Robbins et Robert Wise 1961 avec Natalie Wood. adaptation libre de Roméo et Juliette
Othello, film britannique de Stuart Burge 1965 avec Laurence Olivier, Maggie Smith.
Hamlet Гамлет, film soviétique de Grigori Kozintsev, sur une traduction de Boris Pasternak 1964.
Falstaff Campanadas a medianoche, film hispano-suisse de et avec Orson Welles 1965. adaptation libre de Richard II, Henry IV, Henry V et Les Joyeuses Commères de Windsor
La Mégère apprivoisée, film américano-italien de Franco Zeffirelli 1967 avec Elizabeth Taylor, Richard Burton.
Roméo et Juliette, film italo-britannique de Franco Zeffirelli 1968 avec Olivia Hussey.
Hamlet, film britannique de Tony Richardson 1969 avec Nicol Williamson, Anthony Hopkins, Marianne Faithfull.
Le Roi Lear Король Лир - Korol’ Lir, film soviétique de Grigori Kozintsev, sur une traduction de Boris Pasternak, film reconnu comme une adaptation magistrale de la pièce 1971.
Macbeth, film américano-britannique de Roman Polanski 1971.
Ran 乱, film japonais d'Akira Kurosawa 1985. transposition au XVIe siècle et au Japon du Roi Lear
Othello, film de Franco Zeffirelli 1986 avec Plácido Domingo, Katia Ricciarelli. adaptation de l'opéra éponyme de Verdi
Henry V, film britannique de Kenneth Branagh 1989 avec Kenneth Branagh, Ian Holm, Judi Dench, Emma Thompson, Christian Bale.
Hamlet, film américano-britannico-français de Franco Zeffirelli 1990 avec Mel Gibson, Glenn Close, Alan Bates, Paul Scofield, Ian Holm, Helena Bonham Carter.
My Own Private Idaho, film américain de Gus Van Sant 1991 avec River Phoenix, Keanu Reeves. adaptation libre de Henry IV et Henry V
Rosencrantz et Guildenstern sont morts, film britannique de Tom Stoppard 1991 avec Gary Oldman, Tim Roth. epuis la pièce de Stoppard inspirée de l'intrigue de Hamlet
Prospero's Books, film franco-néerlando-britannique de Peter Greenaway 1991 avec John Gielgud. adaptation de La Tempête
Beaucoup de bruit pour rien, film américano-britannique de Kenneth Branagh 1993 avec Kenneth Branagh, Emma Thompson, Keanu Reeves, Kate Beckinsale, Denzel Washington, Michael Keaton, Imelda Staunton.
Le Roi lion, film d'animation américain de Roger Allers et Rob Minkoff 1994. adaptation partielle de Hamlet
Othello, film britannique d'Oliver Parker 1995 avec Kenneth Branagh, Laurence Fishburne, Irène Jacob.
Richard III, film américano-britannique de Richard Loncraine 1995 avec Ian McKellen, Annette Bening, Robert Downey Jr., Kristin Scott Thomas. (transposition aux années 1930 de la pièce éponyme
La Nuit des rois, film britannico-américano-irlandais de Trevor Nunn 1996 avec Imogen Stubbs, Toby Stephens, Helena Bonham Carter, Imelda Staunton, Ben Kingsley.
Roméo + Juliette, film américain de Baz Luhrmann 1996 avec Leonardo DiCaprio, Claire Danes. transposition moderne de la pièce éponyme
Hamlet, film américano-britannique de Kenneth Branagh 1996 avec Kenneth Branagh, Julie Christie, Kate Winslet, Billy Crystal, Gérard Depardieu, Robin Williams. transposition au XIXe siècle de la pièce éponyme
Le Roi lion : L'Honneur de la tribu, film d'animation américain de Rob LaDuca et Darrell Rooney 1998. adaptation partielle de Roméo et Juliette
Dix bonnes raisons de te larguer, film américain de Gil Junger 1999 avec Julia Stiles, Heath Ledger, Joseph Gordon-Levitt, David Krumholtz. adaptation moderne de La Mégère apprivoisée
Titus, film italo-américano-britannique de Julie Taymor 1999 avec Anthony Hopkins, Jessica Lange, Jonathan Rhys-Meyers, Matthew Rhys. adaptation de Titus Andronicus
Le Songe d'une nuit d'été film américain de Michael Hoffman 1999 avec Michelle Pfeiffer, Kevin Kline, Stanley Tucci, Christian Bale, Rupert Everett, Sophie Marceau. transposition au xixe siècle et en Toscane de la pièce éponyme
Hamlet, film américain de Michael Almereyda 2000 avec Ethan Hawke, Kyle MacLachlan, Bill Murray, Liev Schreiber, Julia Stiles.
Peines d'amour perdues, film britannique de Kenneth Branagh 2000 avec Kenneth Branagh, Alicia Silverstone.
Othello 2003, film américain de Tim Blake Nelson 2001)avec Julia Stiles, Josh Hartnett, Martin Sheen. adaptation moderne d'Othello ou le Maure de Venise
Le Marchand de Venise, film britannique de Michael Radford 2004 avec Al Pacino, Joseph Fiennes, Jeremy Irons.
She's the Man, film américain de Andy Fickman 2006 avec Amanda Bynes, Channing Tatum. adaptation moderne de La Nuit des rois
As You Like It, film américain de Kenneth Branagh 2006 avec Bryce Dallas Howard, Kevin Kline, Alfred Molina. transposition au XIXe siècle et au Japon de Comme il vous plaira
Ennemis jurés, film britannico-serbo-américain de Ralph Fiennes 2012 avec Ralph Fiennes, Gerard Butler, Vanessa Redgrave, Brian Cox, Jessica Chastain. transposition moderne de Coriolan
Much Ado About Nothing, film américain de Joss Whedon 2013 avec Amy Acker, Alexis Denisof, Nathan Fillion, Clark Gregg. transposition moderne de Beaucoup de bruit pour rien
Warm Bodies, film américain de Jonathan Levine 2013 avec Nicholas Hoult, Dave Franco, Teresa Palmer, John Malkovich. adaptation libre de Roméo et Juliette
Roméo et Juliette, film américano-italo-suisse de Carlo Carlei 2013 avec Stellan Skarsgård, Damian Lewis, Hailee Steinfeld.
Macbeth, film britannique de Justin Kurzel 2015 avec Michael Fassbender, Marion Cotillard.
Adaptations télévisées majeures de ses pièces
La première tétralogie de Shakespeare Richard III et les trois pièces consacrées à Henry VI a été condensée en 1963 en un spectacle intitulé Wars of the Roses, interprété par la Royal Shakespeare Company. Cette mise en scène a fait l'objet, en 1965, d'une adaptation télévisée diffusée en plusieurs épisodes à la BBC.
De 1978 à 1985, la BBC a produit l'adaptation télévisée de 37 pièces de Shakespeare. Cet ensemble unique, joué par quelques-uns des meilleurs comédiens britanniques Derek Jacobi, Anthony Quayle, John Gielgud, etc., est très fidèle aux textes originaux et propose des mises en scène inspirées de la tradition théâtrale anglaise. Cette série a été diffusée sur France 3 au milieu des années 1980.

en:BBC Television Shakespeare.

Œuvres musicales et littéraires inspirées de pièces de Shakespeare
The Fairy Queen, opéra de Henry Purcell 1692, adaptation du Songe d'une nuit d'été
La Tempête, opéra de Henry Purcell 1695
Otello ossia il Moro di Venezia, opéra de Gioachino Rossini 1816
Oberon, opéra de Carl Maria von Weber, inspiré du Songe d'une nuit d'été 1826
Le Songe d'une nuit d'été Ein Sommernachtstraum, ouverture et musique de scène de Felix Mendelssohn 1826 & 1843
I Capuleti e i Montecchi, opéra de Vincenzo Bellini, adapté de Roméo et Juliette 1830
Le Roi Lear, ouverture d'Hector Berlioz 1831
Roméo et Juliette, symphonie dramatique d'Hector Berlioz 1839
Re Lear, livret d'opéra inachevé de Salvadore Cammarano et Antonio Somma pour Giuseppe Verdi qui n'en composa jamais la musique 1843-1867
Macbeth, opéra de Giuseppe Verdi 1847
Hamlet, poème symphonique de Franz Liszt 1858
Béatrice et Bénédict, opéra d'Hector Berlioz, librement adapté de Beaucoup de bruit pour rien (862
Roméo et Juliette, opéra de Charles Gounod 1867
Hamlet, opéra d'Ambroise Thomas 1868
Roméo et Juliette, ouverture fantaisie de Piotr Ilitch Tchaïkovski 1869
Ophélie, poème d'Arthur Rimbaud inspiré du personnage d'Ophélie dans Hamlet 1870.
Otello, opéra de Giuseppe Verdi 1887
Falstaff, opéra de Giuseppe Verdi 1893
Falstaff, op. 68, étude symphonique en ut mineur d'Edward Elgar 1913
Lieder der Ophelia, op. 67, lieder de Richard Strauss sur des textes d'August Wilhelm Schlegel d'après Hamlet 1919
Hamlet, musique de scène de Dmitri Chostakovitch 1932 & 1954
Roméo et Juliette, ballet de Sergueï Prokofiev 1935
Le Roi Lear, musique de scène de Dmitri Chostakovitch 1941
Such Sweet Thunder, suite musicale de Duke Ellington 1957
Le Songe d'une nuit d'été A Midsummer Night's Dream, opéra de Benjamin Britten (1960
Macbett, pièce de théâtre d'Eugène Ionesco Gallimard, 1972
Le jour des meurtres dans l'histoire d'Hamlet opus 189, opéra en 5 tableaux de Pierre Thilloy sur un livret de Bernard-Marie Koltès, créé le 23 mars 2011 à l'Opéra-théâtre de Metz.
Lear, opéra d'Aribert Reimann 1978
Hamlet-machine, pièce de théâtre de Heiner Müller 1979 traduction française aux Éditions de Minuit
Roméo et Juliette, opéra de Pascal Dusapin 1988
Sur la dernière lande, poèmes de Claude Esteban 1996 inspirés du Roi Lear in Morceaux de ciel, presque rien, Gallimard, 2001
Roméo et Juliette, de la haine à l'amour, comédie musicale de Gérard Presgurvic 2001 d'après Roméo et Juliette
Une tempête, pièce de théâtre d'Aimé Césaire 1997
Viol, pièce de théâtre de Botho Strauss 2005 d'après Titus Andronicus

Texte. Il n'y a pas d'amour heureux entre deux langues, puisqu'il n'y a pas de bonne traduction. La fidélité n'y suffit pas, il y faudrait la grâce que l'anglais de Shakespeare accorde rarement à son traducteur.
Cette langue, d'abord, est d'une richesse inouïe. Seul Victor Hugo chez nous pourrait rivaliser avec cette opulence. Shakespeare drague près de quinze mille mots dans ses filets. Il les puise dans tous les domaines linguistiques : fonds commun hérité de la prose latine et du parler populaire, dialectes ruraux et provinciaux, jargon des métiers, de l'art militaire, de la navigation, de la jurisprudence, des théologiens, préciosités des courtisans et des poètes, truculences de la pègre, vocabulaire des sciences exactes ou inexactes de son temps, astronomie, médecine, alchimie, botanique, que sais-je ? locutions étrangères – il y a même une scène entière en français ! Chaque personnage parle, suivant sa condition, un langage réaliste ou stylisé, et qui, même s'il est hautement formalisé, garde le ton, l'allure, le timbre du langage parlé, the spoken word. C'est là un des traits essentiels : le naturel de la communication.
Ajoutez que le mot s'enrichit mainte fois d'un sens second, qui en multiplie la portée. Le signifiant, comme diraient nos linguistes, porte plusieurs signifiés. C'est du jeu de mots qu'il s'agit, du calembour, du double-entendre, implicite ou ironique, punning, souvent obscène, même dans les plus grandes tragédies. Punning est plus



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Le 19 avril 1824 meurt à 36 ans George Gordon Byron

à Missolonghi en Grèce, 6e baron Byron, généralement appelé Lord Byron, poète britannique, auteur de poésie lyrique, épique, dramatique né le 22 janvier 1788 à Londres et mort, en Grèce, alors sous domination ottomane. Il est l'un des plus illustres poètes de l'histoire littéraire de langue anglaise. Bien que classique par le goût, il représente l'une des grandes figures du romantisme avec Robert Southey, Wordsworth, Coleridge, Shelley et Keats.
Il se voulait orateur à la chambre des Lords mais ce sont ses poésies mélancoliques et semi-autobiographiques qui le rendirent célèbre : Hours of Idleness, et surtout Childe Harold, inspiré par son voyage en Orient, propageant le modèle du héros romantique, dont le retentissant succès le surprend lui-même en 1813. Il s’illustre par la suite dans divers genres poétiques, narratif, lyrique, épique, ainsi que dans des œuvres courtes comptant parmi ses plus connues, par exemple She walks in beauty, When we two parted et So, we'll go no more a roving, chacune d'elles chantant un moment de nostalgie personnelle. Il doit quitter l’Angleterre en 1816 en raison du scandale public causé par l'échec de son mariage, sa relation incestueuse avec sa demi-sœur et sa bisexualité. Dans ses œuvres suivantes, rompant avec le romantisme de sa jeunesse, il donne libre cours au sarcasme, à son génie de la rime et de l'improvisation avec Beppo et son œuvre maîtresse, Don Juan.
Grand défenseur de la liberté, révolté contre la politique et la société de son temps, l'Europe du Congrès, il s'est engagé dans toutes les luttes contre l'oppression : en Angleterre dans la défense des Luddites, en Italie avec les Carbonari, en Grèce dans la lutte pour l'indépendance. Hors norme et sulfureux, homme de conviction autant que de contradictions, à la fois sombre et facétieux, excessif en tout, grand sportif, éternel amoureux de l'Italie, de la Grèce, des femmes, des hommes…, pourfendeur de l'hypocrisie sous toutes ses formes, il reste une source d'inspiration pour de nombreux artistes, peintres, musiciens, écrivains et réalisateurs.
Petit-fils de John Byron, il est le père de Lady Ada Byron King de Lovelace et de Elisabeth Médora Leigh-Byron.
La Grèce l'honore comme l'un des héros de sa lutte pour l'indépendance.

En bref

Le byronisme, imitation idolâtre de ce poète anglais, fut un des éléments du romantisme européen. Ce phénomène, psycho-sociologique plus que littéraire, fut déterminé par la vogue extraordinaire des premières œuvres poétiques de lord Byron, en particulier Le Pèlerinage de Childe Harold 1812-1818. Cependant, celui qui était salué par ses contemporains comme le type achevé du poète romantique n'avait que mépris pour les écrivains romantiques de son temps et n'admirait que les classiques. Et son dernier grand ouvrage, Don Juan, se trouve aux antipodes du romantisme.
Mais la pose du héros ou du dandy byronien, beau ténébreux hautain, mélancolique et solitaire, promenant avec ostentation son ennui et son cœur en écharpe, beaucoup plus que de l'œuvre, s'inspira de la personnalité singulière de lord Byron, de sa vie mouvementée, de sa mort héroïque, et de la légende mystérieuse que ses admirateurs et détracteurs lui créèrent de son vivant comme après sa mort.
George Gordon Byron naquit à Londres le 22 janvier 1788. Son père, le capitaine John Byron, était un inconscient prodigue et séduisant. En 1779, il avait enlevé, fait divorcer et épousé en premières noces la marquise de Carmarthen, qui mourut en 1784, laissant une fille, Augusta Byron 1783-1851. Cette demi-sœur du poète devait jouer un rôle important dans sa vie et dans sa légende. En 1807, elle épousa son cousin germain, le colonel de dragons George Leigh.
Les Byron descendaient d'une très ancienne famille de Vikings. Le premier baron Byron, général fidèle aux Stuart, fut anobli en 1643. Le grand-père du poète, l'amiral John Byron, surnommé « foulweather Jack », avait été un navigateur hardi et malchanceux.
Le capitaine John Byron s'était remarié en mai 1785 avec Catherine Gordon de Gight, du comté d'Aberdeen, descendante de l'ancienne famille royale d'Écosse. Ce mariage fut malheureux ; les deux époux se séparèrent bientôt. George n'avait pas trois ans quand son père mourut, laissant sa femme dans la misère.
L'enfant unique fut élevé par une mère instable, passionnée, irascible, à la tendresse tyrannique. Il était pied-bot, soit de naissance, soit à la suite d'une paralysie infantile, et cette infirmité l'affligea profondément.
Mrs. Byron et son fils demeurèrent en meublé à Aberdeen, dans la gêne, jusqu'en mai 1798. À cette date, par la mort de son grand-oncle, George devint le sixième baron Byron et hérita du domaine de Newstead Abbey, dans le comté de Nottingham. Le château, ancien prieuré normand, était en ruine, et les terres lourdement hypothéquées. Mrs. Byron s'installa à Nottingham, envoya son fils à Dulwich School puis à Harrow où il fut pensionnaire de 1801 à 1805. Il y acquit une solide connaissance du latin et du grec, une grande admiration pour les lettres classiques et la littérature anglaise du XVIIIe siècle, un goût très vif pour la poésie et l'histoire. Il y fréquenta des jeunes gens de son rang et, malgré son infirmité, pratiqua avec brio la natation, le cricket et l'équitation.
Son développement affectif fut précoce ; à l'en croire, il n'avait que dix ans lorsqu'il tomba amoureux de sa cousine Mary Duff. Pendant l'été de 1803, il s'éprit plus sérieusement peut-être d'une autre cousine un peu plus âgée que lui, Mary Chaworth. Cette première grande passion, déçue par le mariage de la jeune fille, serait évoquée dans une demi-douzaine de poèmes des Heures de loisir, dans le premier chant du Chevalier Harold et dans Le Rêve 1816.
En octobre 1805, il entre à Trinity College, Cambridge. Il s'y fit des amitiés sérieuses, notamment John Cam Hobhouse, futur lord Broughton, qui sera son compagnon de voyage et son exécuteur testamentaire. Il éprouva aussi une véritable passion pour un certain Edleston dont la mort en octobre 1811 lui inspirera les strophes ardentes et douloureuses des Poèmes à Thyrza.
Il commençait à publier. Dès juin 1807 parut son premier recueil de vers, Heures de loisir par George Gordon lord Byron, a minor. Violemment critiqué par l'Edimburgh Review en janvier 1808, il répondit en mars 1809 par une satire vengeresse et géniale, Bardes anglais et critiques écossais, où il attaquait, avec un jugement sûr, les poètes romantiques en vogue, notamment Southey, Coleridge et Wordsworth.
Après avoir fêté son installation temporaire à Newstead par des orgies naïvement blasphématoires sept. 1808 et pris possession de son siège à la Chambre des lords 13 mars 1809, Byron, accompagné de son ami Hobhouse, s'embarque pour son grand tour, le 2 juillet 1809. Au plus fort des guerres napoléoniennes, il traverse le Portugal et l'Espagne, gagne Malte, puis l'Albanie où il est l'hôte du despote Ali Pacha. En décembre 1809, il arrive à Athènes d'où il repart pour l'Asie Mineure. Le 3 mai 1810, il traverse, tel Léandre, l'Hellespont à la nage, exploit sportif dont il est très fier. Il séjourne deux mois à Constantinople et regagne Athènes en juillet 1810. Il demeure en Grèce jusqu'en avril 1811, voyageant, étudiant, écrivant.
À son retour à Londres, en juin 1811, il rapportait plusieurs poèmes : une adaptation de l'Art poétique d'Horace, Souvenirs d'Horace, une satire contre lord Elgin qui venait de faire enlever les frises du Parthénon, La Malédiction de Minerve, et une sorte de journal de voyage, qu'il montra, non sans hésitation, à un jeune éditeur, John Murray, qui se décida à publier le poème après quelques corrections. Ce furent les deux premiers chants du Pèlerinage de Childe Harold, qui parurent le 10 mars 1812 et assurèrent à leur auteur un succès éclatant, quelques jours après un premier discours prometteur à la Chambre des lords. Il y eut cinq éditions du poème en 1812.
Cette réussite, jointe à la jeunesse du poète, la beauté, l'élégance et l'excentricité du dandy, fit de lui l'idole du jour et lui valut de faciles succès. Certaines admiratrices passionnées s'imposèrent littéralement à lui ; maîtresses indiscrètes, elles entraînèrent le jeune auteur à la mode, grisé de sa popularité, dans des intrigues compliquées. Il eut une liaison tapageuse, au début de 1812, avec la romanesque lady Caroline Lamb qui, le jour où elle le vit, s'écria : Ce beau visage pâle sera mon destin. À la fin de la même année, lady Oxford, de vingt ans son aînée, succédait à Caroline, puis ce fut lady Frances Wedderburn Webster. Ces aventures, colportées, embellies, avilies par des confidences indiscrètes, contribuèrent à créer le personnage légendaire de bourreau des cœurs.
Très recherché dans les salons et clubs whigs, il fut l'ami de Sheridan, Thomas Moore, Samuel Rogers et Thomas Campbell.
Sa carrière littéraire se poursuivait, brillante et rapide, par l'exploitation de la veine du conte romantique oriental en vers : Le Giaour juin 1813, La Fiancée d'Abydos nov. 1813, Le Corsaire février 1814, Lara août 1814. 10 000 exemplaires du Corsaire furent vendus le jour de la publication.

Sa vie

George Gordon est le fils de John Byron, capitaine aux Coldstream Guards, surnommé Mad Jack, et de sa seconde femme Catherine Gordon de Gight 1765-1811, d’une famille de l'Aberdeenshire, descendant des Stuarts. Après avoir combattu en Amérique, le capitaine a séduit Amelia, marquise de Carmarthen, puis a déserté pour l'épouser, s'enfuyant avec elle en France, où elle a donné naissance à une fille, Augusta née en 1784, avant de mourir. Revenu en Grande-Bretagne, il épouse Catherine Gordon de Gight pour sa fortune, qu'il dilapide rapidement. Pour fuir ses créanciers, il déménage régulièrement. Enceinte, Catherine le rejoint quelque temps en France où elle s'occupe de sa belle-fille Augusta. Ne comprenant pas un mot de français et ruinée, elle rentre en Angleterre pour accoucher à Londres, où son fils George Gordon naît le 22 janvier 1788, au 16 Holles Street, Cavendish Square. L'enfant naît avec le pied droit difforme, un pied bot, le talon soulevé et la plante tournée vers l'intérieur, et Catherine Gordon écrit Le pied de George est tourné vers l'intérieur ; c'est son pied droit. Il marche vraiment sur le côté du pied. Toute sa vie, Byron doit porter une chaussure orthopédique et conserve un léger boitement.
N'ayant que peu de moyens, Catherine Gordon se retire à Aberdeen en Écosse, où elle vit avec un mince revenu de cent trente livres 130 £. Après avoir résidé un court moment auprès de sa femme et de son fils, John Byron retourne en France et passe son temps à batifoler avec des femmes de chambre et des actrices. Il meurt à Valenciennes en 1794
Orphelin de père dès l'âge de trois ans, Byron étudie d'abord dans une école de quartier, avant d'entrer dans un collège d'Aberdeen en 1794 pour apprendre le latin, où il s'avère un élève médiocre. Mais il commence à beaucoup lire, notamment de nombreux récits sur l'Orient : l'histoire turque était l'un des premiers livres qui me donnèrent du plaisir quand j'étais petit ; et je crois que cet ouvrage a beaucoup contribué à m'inspirer plus tard le désir de visiter l'Orient, et peut-être la coloration orientale que l'on trouve dans ma poésie.
Le caractère irascible et capricieux de sa mère, qui reporte sur lui l’amour débordant et la colère qu’elle éprouvait pour son père, fait naître en Byron une certaine irritabilité qui se manifestera plus tard, notamment lors de son mariage. D’une beauté remarquable bien qu’un peu joufflu durant ses jeunes années, des yeux gris-bleu, des cheveux auburn bouclés, d'une grande timidité, il est complexé par son infirmité qu'il compense par des activités sportives intenses, particulièrement la course et la natation, pratiquées durant ses vacances dans la vallée de la Dee. C'est là qu'il apprend à se sentir écossais : portant le tartan des Gordon, ses promenades lui font apprécier les montagnes des alentours :
Ma naissance me rendit à demi écossais
Par mon éducation je le suis tout entier.
Il rencontre, probablement en 1795, sa cousine Marie Duff, qui le plonge dans un amour fébrile : … mon chagrin, mon amour pour cette petite fille étaient si violents que je me demande parfois si j'ai jamais été épris depuis lors. C'est vers 1797, alors qu'il a neuf ans, que sa gouvernante May Gray, femme très pieuse qui lui a appris à lire la Bible, venait le trouver dans son lit et jouait avec son corps.

Newstead et Harrow

Newstead Abbey auquel Byron est très attaché : tombeau cloîtré de guerriers, de moines et de châtelaines, dont les ombres pensives glissent autour de tes ruines écrit-il dans Hours of Idleness.
À l'âge de dix ans, en mai 1798, il hérite du titre de son grand-oncle Lord William, cinquième baron Byron of Rochdale, mort sans héritier, ainsi que du domaine de Newstead Abbey au cœur de la forêt de Sherwood, ancienne abbaye donnée à l'un de ses ancêtres par Henri VIII. La demeure est dans un état de grand délabrement le grand-oncle est mort endetté, mais ces ruines gothiques ainsi que les armoiries des Byron fascinent le jeune garçon. C'est là qu'au cours de l'été 1800, il s'éprend de sa cousine Margaret Parker, l'une des plus belles et évanescentes créatures qui soient, pour laquelle il compose ses premiers poèmes.
En avril 1801, son entourage, jugeant le laxisme de sa mère nocif pour l’enfant, décide de l'envoyer, grâce à une pension de la Chancellerie, à la Public School de Harrow. Il s'y fait remarquer à la fois par son indiscipline et son intelligence, s’y fait des amis nobles et roturiers, se bagarre pour défendre les plus jeunes, fait des bêtises, lit beaucoup, essaye tous les sports et devient un bon joueur de cricket. Lors de vacances à Newstead Abbey en 1803, il s’éprend d’une jeune fille du voisinage, Mary Chaworth, et refuse de retourner à l’école. Il n’a que quinze ans et Mary, de deux ans plus âgée, déjà fiancée, dédaigne cet enfant boiteux et potelé : Elle personnifiait l’idéal de toute la beauté que mon imagination juvénile pouvait concevoir, et tous mes fantasmes sur la nature céleste des femmes ont trouvé leur origine dans la perfection que mon rêve avait créée en elle — je dis bien créée, car je me suis rendu compte que, comme toutes les autres créatures de son sexe, elle était tout sauf angélique .
Newstead est loué à un certain Lord Grey, qui, semble-t-il, fait des avances sexuelles à Byron. Il en est horrifié et retourne à l’école en janvier. Il se console avec l’affection platonique qu'il éprouve pour son camarade le comte de Clare : Mes amitiés à l'école étaient pour moi des passions car j'ai toujours été ardent; mais je ne crois pas qu'une seule d'entre elles ait survécu … jusqu'à ce jour. Celle qui me lia à Lord Clare fut l'une des premières et des plus durables. Il rencontre sa demi-sœur Augusta qui devient sa confidente. Dans ses lettres, il se plaint des reproches continuels de sa mère qui le compare à son père, et du comportement de Lord Grey. Il rêve de devenir orateur parlementaire et, au cours de vacances à Londres, il va écouter des discours à la Chambre des Communes.

Heures d’oisiveté

À 17 ans, en octobre 1805, il entre au Trinity College de Cambridge à contrecœur et attristé par le mariage de Mary Chaworth : Lorsque j’arrivais à Trinity … j’étais malheureux et désespéré à l’extrême. J’étais navré de quitter Harrow que j’avais appris à aimer les deux dernières années ; navré d’aller à Cambridge et non à Oxford … ; navré pour diverses autres raisons personnelles ; et par conséquent, à peu près aussi sociable qu’un loup séparé de sa bande.
S'il y étudie peu : Depuis que j'ai quitté Harrow, je suis devenu paresseux et vaniteux à force de gribouiller des vers et de courtiser des femmes, il y noue des amitiés durables avec John Skinner Matthews, Scrope Davies et John Cam Hobhouse en compagnie duquel il fréquente le club Whig de Cambridge et qu'il surnomme affectueusement Hobby, ainsi qu’une relation amoureuse platonique avec un jeune choriste, John Edleston.
Il obtient très vite ses diplômes dans l'art du vice, tout en étant le plus sérieux de tout le collège. Il s'achète un ours qu'il loge au-dessus de sa chambre, flirte avec des femmes, fréquente des prostituées, s'endette, fait un régime nage beaucoup, joue au cricket, apprend la boxe et l'escrime… Il commence surtout à publier des vers à compte d'auteur, d'abord des poèmes galants et satiriques qui lui valent les critiques de son entourage. Il décide alors d'adopter un registre infiniment correct et miraculeusement chaste. Ce sera Heures d'oisiveté Hours of Idleness, publié en juin 1807 et dont le titre a été choisi par l'éditeur, où s’étalent ses passions précoces, son humeur fantasque, son scepticisme et sa misanthropie.
N'ayant rien appris à Cambridge mais diplômé, il vit à Londres et s'épuise auprès des prostituées, en fêtes arrosées et en combats de boxe. Pour mettre fin à cette vie de débauche qui altère sa santé et le ruine, ainsi que pour préparer sa carrière au Parlement, l'idée d'un voyage en Grèce germe en son esprit. Il écrit à sa mère le 2 novembre 1808 : Si l'on ne voit pas d'autres pays que le sien, on ne peut pas donner ses chances à l'humanité.
Après vérification de ses titres, il est accepté officiellement à la Chambre des Lords le 13 mars 1809.
En réaction à une critique cinglante de son recueil Heures d'oisiveté parue dans la revue l'Edinburgh Review, il publie Bardes anglais et critiques écossais où il vilipende les écrivains contemporains qui, comparés à Pope, écrit-il, sont de petits cerveaux ou des imposteurs et des imbéciles. Sa satire connaît un certain succès et est rééditée plusieurs fois, non sans faire grincer quelques dents, notamment celles du poète Thomas Moore, avec lequel il se réconcilie plus tard.
À Newstead où il a installé son ours, il couche avec des servantes et le fils d'un fermier, John Rushton, dont il fait son page. Avant de partir, il organise des fêtes dans lesquelles ses amis déguisés en moines jouent à se faire peur, lui-même buvant dans une coupe confectionnée dans un crâne humain.

Le voyage en Orient

Le 19 juin 1809, très peiné par la mort de son chien Boatswain prononciation : ['bos'n], il précipite son départ pour la Grèce, via Falmouth, avec son ami John Cam Hobhouse, son page John Rushton et son valet Fletcher. En attente d'un navire pour Malte, il écrit des lettres facétieuses à ses amis, prévoyant dans l’ouvrage que prépare Hobhouse, un chapitre intitulé De la Sodomie simplifiée ou de la Pédérastie en tant que pratique digne de louanges d’après les auteurs anciens et l’usage moderne. Hobhouse espère d'ailleurs se dédommager en Turquie de la chasteté exemplaire dont il a fait preuve en Angleterre, en livrant son joli corps au Divan tout entier.
Finalement, il quitte Falmouth le 2 juillet 1809 pour Lisbonne, puis Séville, Cadix et Gibraltar. Il arrive à Malte le 19 août 1809. Il y tombe amoureux de Constance Spencer Smith, l’épouse d'un notable anglais, avec laquelle il projette même de s’enfuir. Il séjourne un mois à Malte avant de partir pour l'Épire, débarquant à Prévéza le 20 septembre 1809. Il se rend ensuite à Ioannina, puis à Tepelen où il est reçu par Ali Pacha. Il commence la rédaction de Childe Harold en octobre. Il se rend ensuite, fin novembre, à Patras depuis Missolonghi, et il visite Delphes en décembre, Thèbes et Athènes où la fille de sa logeuse, Teresa 12 ans, le plonge dans le trouble et à qui il dédie Maid of Athens. Il embarque depuis l'Attique pour Smyrne début mars 1810, traverse l'Hellespont à la nage, avant de rejoindre Constantinople.
Il quitte Constantinople le 14 juillet 1810, fait escale à Zéa puis rejoint à nouveau Athènes le 17 juillet. Hobhouse rentre en Angleterre, le laissant avec Fletcher, un Tatare, deux soldats albanais et un drogman. Il apprend le grec moderne avec un éphèbe et l'italien avec son amant Nicolo Giraud, qui lui propose de vivre et de mourir avec lui, ce que Lord Byron préfère éviter. Sa vision des Grecs a changé : d'abord sans opinion, il puise de plus en plus son inspiration poétique dans la Grèce antique, mais aussi dans la Grèce contemporaine et les souffrances qu'elle endure sous la botte ottomane.
En avril 1811, il se décide à retourner en Angleterre. Dans ses bagages, il rapporte des marbres, des crânes trouvés dans des sarcophages, quatre tortues et une fiole de ciguë. Il est à Malte le 22 mai 1811. Plutôt démoralisé, il se donne à lui-même des Raisons justifiant un changement de style de vie :
À 23 ans, le meilleur de la vie est passé et les amertumes augmentent.
J'ai vu les hommes dans divers pays et je les trouve partout également méprisables, la balance penchant plutôt en faveur des Turcs.
Je suis écœuré jusqu'au fond de l'âme : "Ni vierge ni jouvenceau ne me donnent plus de plaisir
Un homme infirme d'une jambe est dans un état d'infériorité corporelle qui augmente avec les années et rendra sa vieillesse plus irritable et intolérable. J'ajouterai que dans une vie future, j'espère avoir en compensation au moins deux jambes, sinon quatre.
Je deviens égoïste et misanthrope.
Mes affaires, dans mon pays comme à l'étranger, ne sont guère réjouissantes.
J'ai épuisé tous mes appétits et la plupart de mes sujets de vanité — oui, même ma vanité d'auteur
En juillet 1811, il est de nouveau en Angleterre. Sa mère meurt en août, ainsi que son ami John Skinner Matthews, et plus tard, en octobre, son amour de jeunesse John Edleston, décès qui assombrissent encore plus son retour.

La gloire

Jouer un rôle politique à la chambre des Lords est son souhait depuis Harrow, la poésie étant pour lui une activité secondaire24. Ses idées clairement libérales pour les libertés et contre l’oppression le situent dans l’opposition du côté des Whigs. Le 27 février 1812, il prononce un discours contre la peine de mort appliquée aux Luddites, ces ouvriers briseurs de machines, faisant ressortir leur détresse et la cruauté de la loi. Mais son projet est rejeté par la chambre des Communes. Il garde de son expérience politique une certaine amertume contre ces pantalonnades parlementaires, même s’il réitère l’expérience en prenant la défense des catholiques irlandais en avril 1812.
Le 10 mars 1812, il publie chez John Murray les deux premiers chants de Childe Harold's Pilgrimage Le Pèlerinage du chevalier Harold, récit de ses impressions de voyage et de ses propres aventures. Le succès en est immense : Je me réveillai un matin, dit-il, et j’appris que j’étais célèbre. De 1812 à 1814, la publication du Giaour, de The Bride of Abydos La Fiancée d'Abydos, de The Corsair Le Corsaire dix mille exemplaires sont vendus le premier jour et de Lara, accroissent l’enthousiasme du public à son égard. Byron fréquente le salon de l’épouse de Lord Holland, parlementaire Whig, ainsi que les cercles de la jeunesse aristocratique de Londres. D’abord intimidé, il y rencontre de nombreuses admiratrices, dont Lady Caroline Lamb, qui écrit de lui dans son journal après l'avoir rencontré, qu'il est fou, méchant, et dangereux à connaître. En avril, il entreprend avec elle une courte et tumultueuse liaison à laquelle, effrayé par le caractère excessif et fantasque de la dame, il met fin en juillet. Lady Lamb fera plus tard un portrait très exagéré de lui dans son roman Glenarvon. En décembre, il entretient une relation plus paisible avec Lady Oxford.
À partir de juillet 1813, il passe beaucoup de temps auprès de sa demi-sœur Augusta Leigh, à laquelle il s'attache profondément, allant très probablement jusqu'à l'inceste. Il écrit à Lady Melbourne : … mais ce n'était pas de sa faute — ma propre folie donnez-lui un nom plus approprié s'il le faut et sa faiblesse ont été les seuls responsables — car — nos intentions respectives étaient très différentes, et pendant quelque temps nous nous y sommes tenus — et quand nous nous en sommes écartés, c'est moi qui étais fautif . Ils auraient eu ensemble une fille qui porte le nom de l'héroïne du poème Le Corsaire, Medora, née le 14 avril 1814. D'autre part, à en juger par ses lettres, ainsi que par les Stances à Augusta écrites pendant le séjour à la villa Diodati en 1816, de même que par les vers à My Sweet Sister Ma douce sœur, détruits à sa mort sur son expresse volonté, cette question de l'inceste laisse peu de doutes.
Afin de se détacher de cet amour coupable, il flirte avec l'épouse d'un de ses amis, Lady Frances Webster, s'arrêtant au premier temps du verbe aimer.

Augusta, la sœur trop aimée

Au cours de l'été 1813, il revit, après plusieurs années de séparation, sa demi-sœur Augusta Leigh. Qu'ils aient eu l'un pour l'autre une affection passionnée et étrangement fraternelle ne fait pas de doute, comme en témoignent ses poèmes à Augusta, ses lettres à Augusta, ses lettres et confidences à sa grande et vieille amie lady Melbourne. Y eut-il inceste ? Medora Leigh, fille d'Augusta, née le 15 avril 1814, en fut-elle le fruit ? Le thème de l'inceste revient avec une certaine insistance dans certains poèmes de Byron : La Fiancée d'Abydos, Parisina, Manfred. Mais il n'y eut à l'époque que de très vagues soupçons. La destruction de ses Mémoires, aussitôt après sa mort, à l'expresse demande de son ami et exécuteur testamentaire, Hobhouse, agissant au nom d'Augusta Leigh, sœur du poète, donna à penser qu'il y avait un scandale à cacher.
De nombreuses biographies ou souvenirs de Byron, plus ou moins fantaisistes, furent écrits par des gens qui ne l'avaient pas toujours intimement connu. Les plus importants sont les suivants : R.C. Dallas : Recollections of the Life of Lord Byron from the Year 1808 to 1814 1824 ; T. Nedwin : Journal of the Conversations of Lord Byron 1824 ; Pietro Gamba : A narrative of L. B.'s Last Journey to Greece 1825 ; Leigh Hunt : Correspondance of Byron and Some of His Contemporaries 1828 ; Thomas Moore : Letters and Journals of L.B. with Notices of his Life 1830 ; E Trelawny : Recollections of the Last Days of Shelley and Byron 1858 ; Mme de Boissy comtesse Guiccioli : Lord Byron jugé par les témoins de sa vie 1868.
Aucun de ces ouvrages ne parle d'inceste, et c'est seulement en 1869, dans Lady Byron Vindicated, a History of the Byron Controversy Défense de Lady Byron, histoire de la controverse sur Byron), que la scandaleuse histoire fut racontée par Harriett Beecher-Stowe, la romancière américaine, auteur de La Case de l'oncle Tom, à partir de révélations que lui aurait faites lady Byron morte en 1860.
Cette thèse fut confirmée par la publication de documents réunis par l'héritier de lady Byron, le deuxième comte de Lovelace, sous le titre d'Astarte, a Fragment of the Truth Concerning George Gordon, Sixth Lord Byron 1905, réédité en 1921 avec d'autres lettres.
Toutefois, des exégèses postérieures, procédant à une critique serrée de ces documents, ont cru pouvoir mettre en doute la valeur de ces témoignages ou en discuter l'interprétation, notamment : S.C. Chew : Byron in England. His Fame and After-fame, New York, 1924, réédité en 1965 Byron en Angleterre, Histoire de sa réputation ; Doris L. Moore : The Late Lord Byron, Londres, 1961 Feu Lord Byron, excellente étude, nourrie de nombreux documents inédits.

Mariage et séparation

En dépit du succès de ses ouvrages et en raison d'un train de vie ruineux, le noble lord était pauvre et criblé de dettes que la vente de Newstead Abbey elle-même hypothéquée, suffit à peine à payer. Il cherchait à redorer son blason en épousant une héritière ; sa grande amie lady Melbourne, belle-mère de Caroline Lamb, s'entremit pour lui faire épouser sa nièce, Ann Isabella Milbanke. Le mariage eut lieu le 2 janvier 1815. Cette union fut malencontreuse : la mésentente conjugale fut aggravée par des difficultés financières. Le 10 décembre 1815, lady Byron donnait naissance à une fille, Ada ; le 15 janvier 1816, lord Byron chassait sa femme de chez lui. Puis, regrettant cette décision, il tenta vainement d'obtenir une réconciliation. Il dut se résigner en avril à signer un acte de séparation qui le dépouillait de sa femme, de sa fille et de la moitié de sa fortune. L'affaire fit scandale, et la société qui l'avait adulé se déchaîna contre lui.
Cette période de crise ne l'empêcha pas d'écrire et de publier Mélodies hébraïques avr. 1815, Le Siège de Corinthe et Parisina févr. 1816.
Il quitta l'Angleterre le 25 avril 1816. Il ne devait plus y revenir. Il traversa la Belgique, remonta la vallée du Rhin et gagna le lac de Genève où l'avait précédé un autre poète exilé, P. B. Shelley, avec qui il se lia d'amitié. Celui-ci était accompagné de sa maîtresse, Mary Godwin fille de Godwin et Mary Wolstoncraft et de Jane Clare Clairmont, maîtresse épisodique de Byron, qui, le 12 janvier 1817, devait donner naissance à une fille, Allegra.
Pendant ce séjour en Suisse, il termina le troisième chant de Childe Harold, publié en novembre, Le Prisonnier de Chillon, publié en décembre, et commença Manfred dont la tragédie se déroule sur la Jungfrau.

Le désastre conjugal

Fatigué de vivre dans la dissipation et pensant résoudre l'imbroglio de ses relations amoureuses par un mariage de raison, il réitère sa demande à Anne Isabella dite Annabella , cousine de Caroline Lamb, fille de sir Ralph Milbanke, baronnet du comté de Durham, qui donne finalement son consentement. Ils se connaissent depuis quelques années et correspondent régulièrement, Byron la surnommant la mathématicienne, ou La Princesse des Parallélogrammes. Il en espère beaucoup : Elle est si bonne, écrit-il, que je voudrais devenir meilleur, mais au dernier moment, alors qu'il passe Noël chez sa sœur, il hésite à s'engager. Augusta le persuade de ne pas rompre ses fiançailles. Son ami Hobhouse qui l'accompagne à Seaham, résidence des Milbank, note dans son journal : Il n'y eut jamais amoureux moins pressé et plus tard : Le marié de plus en plus moins impatient. Le mariage est célébré le 2 janvier 1815 dans le salon de la résidence de Seaham, avec seulement la famille, deux clergymen et Hobhouse. Après la cérémonie, les mariés partent immédiatement en lune de miel, que Byron appellera plus tard La lune de mélasse, pour le Yorkshire.
Après un voyage exécrable, la nuit de noce est une catastrophe : très pudique à cause de son infirmité, Byron refuse d'abord de dormir dans le même lit que son épouse, puis finit par accepter. À son réveil, il se dit qu'il était vraiment en enfer avec Proserpine à ses côtés ! Par la suite cependant, de retour à Seaham, les mariés connaissent des moments de tendresse, la très amoureuse Annabella pardonnant tout à son mari à la moindre de ses gentillesses. Préoccupé par des soucis financiers, Byron veut retourner à Londres et Annabella insiste pour l'accompagner. En chemin, ils s'arrêtent chez Augusta où il se montre odieux avec son épouse, multipliant les allusions à son intimité avec sa sœur.
Au mois de mars, les jeunes mariés s’installent à Picadilly Terrace près de Hyde Park à Londres. En avril, Lord Byron rencontre Walter Scott pour lequel il éprouve une grande admiration. La relation entre les deux époux devient progressivement tendue. Lady Byron, douce, intelligente et cultivée, mais respectueuse de tous les préjugés du cant, c'est-à-dire de la langue des convenances et de la bienséance, est vertueuse et prend trop au sérieux les boutades de son époux. Si vous vouliez bien ne pas faire attention à ce que je dis, lui écrit-il, nous nous entendrions parfaitement. Elle peine à s'entendre avec un homme au langage et aux mœurs si libres, souvent provocateur et colérique. D'autre part, il reste toujours très épris de sa sœur tout en étant torturé par la culpabilité. Lors de sa grossesse, elle se voit délaissée par son mari qui cherche des distractions à l'extérieur, fréquentant les théâtres et les actrices il est membre du comité de gestion du théâtre de Drury Lane en mai, et souvent rendu à la maison en état d'ébriété. Dans ses accès de colère, il lui avoue ses infidélités et se montre particulièrement grossier avec elle. À cela s'ajoutent les embarras financiers sans cesse croissants qui le rendent à moitié fou. En novembre 1815, Byron a été obligé de vendre sa bibliothèque et, en moins d’un an, les huissiers ont fait neuf fois irruption chez lui.

Le scandale

Le 10 décembre 1815, Annabella donne naissance à une fille, Augusta Ada Ada de Lovelace. Lord Byron est bruyamment anxieux pendant l'accouchement. Dans les jours qui suivent, Annabella soupçonne son mari d'être atteint de démence et rédige un compte-rendu de ses dérèglements qu'elle soumet à un médecin. Le 6 janvier 1816, son mari lui demande de rejoindre ses parents avec l'enfant en attendant qu'il se soit arrangé avec ses créanciers. Elle quitte Londres le 15. Arrivée à Kirby, elle lui envoie une lettre pleine d'affection, mais elle s'est déjà fixé une règle de conduite : S'il est fou, je ferai l'impossible pour atténuer son mal, mais si son état ne justifie pas une prise en charge, je ne reviendrai jamais sous son toit. Elle avoue ses souffrances à ses parents qui refusent qu'elle retourne aux côtés de son époux. Le 18 janvier 1816, toute déchirée qu'elle est elle dresse la liste des outrages qu'elle estime avoir subis.
Le 2 février, Sir Ralph Milbank propose à Lord Byron, sidéré, une séparation à l'amiable. Effondré, il écrit de nombreuses lettres à sa femme lui demandant des explications, protestant de son amour et implorant son pardon. Annabella, malgré un reste d'affection pour son mari, maintient sa position, et commence à éprouver de la jalousie vis-à-vis d'Augusta. Elle mentionne ses soupçons d'inceste à son homme de loi, mais finit par fonder la demande de séparation uniquement sur la conduite et le langage empreints de brutalité et d'incorrection de Byron. Hobhouse rejoint son ami à Londres pour tenter de l'aider et le soutenir. Il se fait l'écho de rumeurs, probablement propagées par Caroline Lamb, qui circulent sur le compte de Byron : outre l'inceste et l'homosexualité, il est soupçonné d'avoir eu avec son épouse une approche sexuelle non conventionnelle. Byron y fera allusion en 1819 : Ils ont essayé de me salir sur cette terre avec l'infamie dont … Jacopo est accablé en enfer Dans l'Enfer de Dante, Jacopo Rusticucci est consigné dans le cercle réservé aux sodomites. La séparation sera officiellement prononcée en avril 1816.
Malheureux mais sans rancune, il adresse à Annabella un poème, Porte-toi bien, puis fait paraître The Siege of Corinth écrit durant son année de cohabitation conjugale, le poème ayant été recopié de la main de son épouse et Parisina. L’éditeur Murray envoie, pour les deux, un chèque de mille guinées £ 1100 que Byron lui retourne. Pendant cette période, il reçoit la visite fréquente d'une admiratrice, Claire Clairmont, qui, insistante, finit par le séduire.
Victime du cant, haï par les hommes politiques pour ses idées libérales et sa sympathie pour Napoléon, fuyant ses créanciers, Byron décide de quitter l'Angleterre et embarque à Douvres avec Rushton, son domestique Fletcher et un jeune médecin, John William Polidori, le 24 avril 1816 ; il ne reviendra plus.

Villa Diodati

Démoralisé d’avoir dû quitter sa sœur et d'avoir dû subir les conditions de sa séparation : Elle — ou plutôt cette séparation — m'a brisé le cœur, écrit-il, c'est comme si un éléphant m'était passé dessus et je ne m'en remettrai jamais, j'en suis persuadé ; mais j'essaie, il visite la Belgique en mai, où la vue du champ de bataille de Waterloo lui inspire de nouveaux chants pour Childe Harold ; puis il se rend en Suisse où il cherche une villa à louer sur les bords du Lac Léman.
C’est sur les bords du lac qu'il rencontre, en mai 1816, le poète Shelley, qu'accompagnent Mary Godwin et Claire Clairmont, cette dernière cherchant à le rejoindre. Byron loue la Villa Diodati, tandis que les Shelley s’installent dans une petite maison à Montalègre. Les deux poètes, ayant beaucoup en commun, nouent rapidement une relation amicale et passent de longs moments ensemble sur le lac ou en excursion, notamment au château de Chillon qui les marque tous les deux. Les Shelley, qui le surnomment Albé, viennent souvent lui rendre visite à la Villa Diodati ; Claire Clairmont, amoureuse et enceinte de lui, cherchant des prétextes pour le voir en tête à tête, se charge de recopier certains de ses poèmes, et Percy Shelley aime à discuter religion et politique. C’était une nouveauté pour Byron que de trouver des personnes dégagées des conventions sociales, intelligentes et cultivées, prêtes à discourir de n’importe quel sujet. Lorsque le temps ne leur permet pas de sortir, les nouveaux amis se racontent des histoires de fantômes, dont le recueil traduit de l'allemand Fantasmagoriana. C’est au cours d'une de ces soirées que Byron propose à chacun d’écrire un roman inspirant la terreur. Lui ne rédige que quelques pages, plus tard reprises et augmentées par Polidori et publiées sous le titre du Vampire, alors que Mary Shelley commence son Frankenstein.
Il termine le troisième chant de Childe Harold le 10 juillet et écrit The Prisoner of Chillon Le prisonnier de Chillon. De l’autre rive du lac, des touristes anglais, attirés par sa réputation sulfureuse, l’observent avec des jumelles et colportent des racontars sur son compte. Tandis que les Shelley partent en excursion à Chamonix, il rend visite à Madame de Staël à Coppet. S’il apprécie sa société, il se fait chez elle quelques ennemis, notamment Auguste Schlegel qui ne l’aime guère. Au retour des Shelley, il évite Claire Clairmont dont il désire se séparer. Le 14 août, Matthew Gregory Lewis, l'auteur du roman gothique Le Moine The Monk, vient lui rendre visite, et il ironise sur ses maladresses d'auteur. À la fin du mois, ce sont Hobhouse et Scrope Davies qui le rejoignent. Les Shelley rentrent en Angleterre et Byron part pour les Alpes Bernoises avec ses amis en septembre. Il tient le journal de voyage pour sa sœur et lui écrit des lettres lui rappelant leur attachement : Nous aurions pu vivre si heureux et célibataires, vieille fille et vieux garçon. Je ne trouverai jamais personne comme vous, ni vous même si cela paraît fat de ma part quelqu'un comme moi. Nous sommes exactement faits pour passer notre vie ensemble. Il s'inspire de la vue des glaciers de l’Oberland pour son drame Manfred, dans lequel il déverse le sentiment de culpabilité qui l'accable.
Le 5 octobre, il quitte la Villa Diodati en compagnie de Hobhouse, avec le vague projet de retourner en Grèce en passant d’abord par Venise.

L'Italie

Ayant quitté la Suisse en octobre, le poète arriva à Venise le 11 novembre. Il y vécut deux années d'amours faciles, illustrées notamment par Mariana Segati, la femme de son propriétaire, et Margarita Cogni, la Fornarina, épouse de son boulanger. Cette période fut littérairement très féconde : le quatrième chant de Childe Harold et Beppo paraissent au début de 1818. En septembre, il écrit Mazeppa et le premier chant de Don Juan, en janvier 1819 le deuxième.
Au printemps de 1819 commença sa liaison avec la comtesse Teresa Guiccioli, née Gamba, très jeune épouse d'un barbon. Il fut son fidèle et conjugal cavalier servant jusqu'à son départ pour la Grèce en 1823. En octobre de cette même année, il donna à son ami le poète irlandais Thomas Moore le manuscrit de ses Mémoires jusqu'en 1816, l'autorisant à les publier après sa mort.
À la fin de 1819, Byron quitta définitivement Venise pour Ravenne où il s'installa dans le palais des Guiccioli. Avec la famille de la comtesse, il participa avec ardeur aux activités révolutionnaires et nationalistes des Carbonari. Sa production littéraire était toujours aussi intense : en 1820, il traduisit le Morgante Maggiore de Pulci, composa la tragédie de Marino Faliero et les chants III, IV et V de Don Juan.
En février 1821, l'insurrection des Carbonari contre l'Autriche éclate et échoue. La comtesse Guiccioli et les Gamba, expulsés de Ravenne, se réfugient à Pise où Byron les rejoint en octobre. Il achève la tragédie de Sardanapale en mai, celle de Les Deux Foscari en juin, Caïn en juillet.
Le 28 janvier 1822, lady Nœl Milbanke, belle-mère de lord Byron, mourut, laissant à son gendre, en application du contrat de mariage, la moitié de sa grande fortune. Cela lui permit non seulement de payer ses dettes, mais aussi, en juin 1822, de faire venir à Pise et d'héberger avec sa nombreuse famille le journaliste Leigh Hunt, que ses virulentes attaques contre le prince régent désignaient comme un héros à l'intelligentsia libérale. Il l'aida à lancer à Pise une revue trimestrielle littéraire et politique, The Liberal, qui n'eut que quatre numéros, et publia les œuvres qu'il écrivit à cette période, soit deux satires : Les Bas-bleus et La Vision du Jugement, une tragédie biblique, Le Ciel et la Terre, et la traduction du Morgante Maggiore. C'est le frère de Leigh, John Hunt, qui publia les chants V à XI de Don Juan, la satire de L'Âge de bronze et L'Île, la dernière œuvre de Byron.
Cette année 1822 fut aussi une année de deuils. En avril mourait la petite Allegra, fille du poète et de Clare Clairmont ; en juin, son ami Shelley se noyait à bord de son yacht, dans le golfe de La Spezia.
Chassés de Pise par le gouvernement autrichien, la comtesse Guiccioli, les Gamba, la colonie anglaise, Byron, les Leigh Hunt, la veuve de Shelley et sa famille déménageaient pour Gênes, où ils s'installèrent en septembre 1822.

Venise

À Milan, les deux amis prennent une loge à la Scala, croisent les auteurs Italiens Silvio Pellico et Vincenzo Monti, ainsi que Stendhal, qui racontera cette rencontre à l’un de ses amis : un joli et charmant jeune homme, figure de dix-huit ans, quoiqu'il en ait vingt-huit, profil d’un ange, l’air le plus doux. … C’est le plus grand poète vivant…. Durant les jours qui suivirent, Stendhal lui fait visiter Milan. Éperdu d’admiration pour Lord Byron, il tente de l’impressionner en lui racontant des anecdotes fantaisistes sur la campagne de Russie et Napoléon, dont il fait croire qu'il était très proche56. Byron s’enflamme pour les lettres de Lucrèce Borgia qu’il découvre à la Bibliothèque Ambrosienne.
Byron et Hobhouse arrivent à Venise le 10 novembre 1816. Ils logent d’abord à l’Hôtel de Grande-Bretagne puis s’installent au palais Mocenigo sur le Grand Canal, avec quatorze serviteurs, des chevaux et une vraie ménagerie. Byron engage un gondolier colossal et barbu du nom de Tita, fréquente le salon de la Comtesse Albrizzi, participe à plusieurs carnavals successifs, nage dans le Grand canal jusqu’au Lido, a une aventure avec Marianna Segati, dont il écrit : Son grand mérite est d'avoir découvert le mien ; rien n'est plus agréable que le discernement, puis Margarita Cogni, qu'il surnomme la Fornarina, ainsi que de nombreuses autres femmes (actrices, ballerines, prostituées…, ce qu'il commente dans une autre lettre : Envoyez-moi, s'il vous plaît, tout l'argent que Murray voudra bien payer pour mes élucubrations cérébrales. Je ne consentirai jamais à renoncer à ce que je gagne, qui m'appartient, et ce que me procure mon cerveau, je le dépenserai pour copuler, aussi longtemps qu'il me restera un testicule. Je ne vivrai pas longtemps, c'est pourquoi je dois en profiter tant que j'en suis capable.
Pendant son séjour, Byron rencontre les moines mekhitaristes sur l'île de San Lazzaro et découvre la culture arménienne en assistant à de nombreux séminaires sur la langue et l'histoire du peuple arménien. En collaboration avec le Père Avgerian, il apprend l'arménien et se passionne au point d'écrire Grammaire anglaise et arménien puis Grammaire arménienne et anglais, incluant des citations d'œuvres arméniennes modernes et classiques. Il travaille également à l'élaboration d'un dictionnaire anglais/arménien, rédigeant une préface sur l'histoire de l'oppression des Arméniens par les pachas turcs et les satrapes perses. Il traduit également, entre autres, deux chapitres de l'histoire de l'Arménie par l'historien arménien Movses Khorenatsi. Son engagement a contribué largement à faire connaître la culture arménienne en Europe.
Il complète Childe Harold chants IV et V, écrit Beppo, histoire vénitienne. À Bath, le 23 janvier 1817, Claire Clairmont met au monde une fille qu’elle nomme Alba, dont Byron est le père et qu'il renommera Allegra. Il écrit à propos de cette liaison : Je ne l'ai jamais aimée et n'ai jamais prétendu l'aimer, mais un homme est un homme et si une fille de dix-huit ans vient vous provoquer à tout moment, il n'y a qu'une solution. Le résultat de tout ça est qu'elle s'est trouvée enceinte, et qu'elle est rentrée en Angleterre pour contribuer au repeuplement de cette île sinistre … Peste ! Voilà ce que c'est de se “laisser aller”, et c'est comme ça que les gens viennent au monde.
La comtesse Teresa Guiccioli, dont il est le cavalier servant durant cinq ans.
En septembre 1818, il commence Don Juan, satire épique : Encouragé par le bon succès de Beppo, j'ai terminé le premier chant un chant long : environ 180 strophes de huit vers d'un poème dans le même style et de la même manière. Ça s'appelle Don Juan, et je l'ai voulu légèrement et tranquillement facétieux à propos de tout. Mais je serais surpris qu'il ne soit pas … trop libre pour notre époque si pudibonde
En 1819, il s'éprend de la comtesse Teresa Guiccioli, âgée de vingt ans : Elle est belle comme l'aurore — et ardente comme le midi — nous n'avons eu que dix jours — pour régler nos petites affaires du commencement à la fin en passant par le milieu. Et nous les avons réglées ; — j'ai fait mon devoir — et l'union a été consommée comme il se devait Il devient son Chevalier Servant : Je plie un châle avec une dextérité considérable — mais je n’ai pas encore atteint la perfection dans la manière de le placer sur les épaules — je fais monter et descendre de voiture, je sais me tenir dans une conversazione— et au théâtre et la suit à Ravenne, où il s'installe chez son mari, au palais Guiccioli, respectant, comme il l'écrit ironiquement, le plus strict adultère. Mais, quand le mari les surprend quasi sur le vif, et veut le mettre dehors, Teresa part se réfugier chez son père, le comte Gamba, qui obtient du pape Pie VII, le 6 juillet 1820, la séparation du couple.

Carbonari, Pise et Gênes

Ami du comte et de son fils Pietro, membre des Carbonari qui aspirent à la liberté politique et à un gouvernement constitutionnel, Byron s'associe à leurs projets, finançant le mouvement grâce à la vente de Newstead Abbey, à ses droits d'auteur et à un héritage et entreposant des armes : Ils les Carbonari me rejettent sur les bras et dans ma maison, ces mêmes armes … que je leur avait fournies à leur propre demande, et à mes propres frais, risques et périls! Mais la défaite des libéraux piémontais à Novare le 8 avril 1821, fait avorter l'insurrection. Les Gamba, exilés des États du pape, se réfugient à Pise, où Byron les rejoint trois mois plus tard.

Percy Bysshe Shelley, le grand ami

Byron s'installe à la Casa Lanfranchi, en face du couple Shelley. Ils sont rejoints par des amis, Jane et Edward Williams, qui, agréablement surpris par Byron, écrit dans son journal : Bien loin d'avoir des manières altières, il a une aisance très noble et sans la moindre affectation, et au lieu d'être comme on le croit en général noyé dans une sombre tristesse, il n'est que soleil, d'une gaieté telle que l'élégance de son langage et le brillant de son esprit ne peuvent manquer d'inspirer ceux qui l'approchent. Il n'était pas le seul à éprouver de la fascination pour le poète, Mary Shelley, qui plus tard tente de s'expliquer pourquoi Albè surnom que le couple Shelley lui a donné, par sa seule présence et par sa voix, avait le pouvoir d'éveiller en moi des émotions aussi profondes et indéfinissables. Le petit groupe part presque toutes ses après-midi en balade à cheval dans les environs de Pise, ou à s'exercer au tir au pistolet. En décembre, Byron commence à organiser des dîners hebdomadaires, invitant à sa table Percy Shelley, des amis anglais, des patriotes grecs, mais jamais de femmes.
À cette époque paraissent Marino Faliero, Sardanapale, Les Deux Foscari, Caïn, mais surtout les chants II et IV de Don Juan ; Don Juan est un héros naïf, passionné, amoureux, aventureux, jouet des femmes et des événements. De naufrages en batailles, il traverse l'Europe, permettant à Byron de brosser un portrait très critique des mœurs et des hommes de son temps.
Avec Shelley, l'aventurier John Trelawny et l'essayiste Leigh Hunt, il fonde un périodique, Le Libéral, qui ne publie que quelques numéros. En avril, Allegra, la fille de Byron et de Claire Clairmont, meurt, à l'âge de cinq ans, dans le couvent italien où elle est en pension. Le 8 juillet, le voilier transportant Shelley et Edward Williams sombre en mer dans le golfe de La Spezia. Les corps sont retrouvés quelques jours plus tard. Byron, très affecté par la mort de son ami, écrit à Murray : Vous vous êtes tous trompés sur Shelley, qui était assurément l'homme le meilleur et le moins égoïste que j'aie jamais connu. Le 16 aout, Byron et Trelawny brûlent à la manière antique son cadavre sur un bûcher dressé sur la plage de Viareggio. Byron part longuement nager et lorsqu'il revient, il ne reste que le cœur, non consumé
Fin 1822, les Gamba, exilés de Toscane, s'installent à Gênes, où Byron les rejoint en octobre, emménageant à la Casa Saluzzo. En avril 1823, il reçoit la visite du Comte d'Orsay et de Lady Blessington, qui relate par la suite leurs conversations. Byron lui aurait dit Je suis un si curieux mélange de bon et de mauvais qu'il serait difficile de me définir. Il n'y a que deux sentiments auxquels je sois fidèle : mon grand amour de la liberté et ma haine de l'hypocrisie. Or ni l'un ni l'autre ne m'attirent des amis. Son éditeur, Murray, reçoit très mal les chants VI, VII et VIII de Don Juan qui se situent dans le Harem du Sultan : Je vous déclare tout net qu'ils sont si outrageusement choquants que je refuserais de les publier même si vous me donniez vos Biens, votre Titre et votre Génie, ce qui n'empêche pas le poète de terminer le dixième et le onzième.

La Grèce

Au début de mars 1823, Byron fut élu membre du Comité libéral philhellène. Il se donna corps et âme à cette cause et lui apporta d'abord beaucoup d'argent 14 000 livres sterling. Puis, le 23 juillet, il s'embarqua pour la Grèce, accompagné de Pietro Gamba, le frère de la comtesse Guiccioli et de Trelawny, un aventurier opportuniste. Le 3 août, il arrive à Céphalonie, où il resta quatre mois à organiser le mouvement de la libération. À l'appel du prince Mavrocordato, président de la première Assemblée nationale grecque, il se rendit à Missolonghi, en janvier 1824, pour coopérer à l'organisation de la Grèce occidentale. Il eut la tâche délicate d'aplanir les rivalités entre les différentes factions du mouvement de libération, d'organiser, d'entraîner et de payer les troupes. Cependant, sa santé se dégradait rapidement. Il eut plusieurs attaques de fièvres au début de l'année et prit froid dans une sortie à cheval. Il mourut le 19 avril 1824 à l'âge de trente-six ans. La Grèce insurgée lui fit des funérailles nationales et décréta un deuil de vingt et un jours. Son corps fut ramené en Angleterre. La sépulture de Westminster Abbey lui fut refusée et il fut inhumé dans le caveau familial de la petite église de Hucknell Torkard près de Nottingham.

Siège de Missolonghi.

En avril 1823, il reçoit la visite du capitaine Edward Blaquiere, membre du Comité philhellène de Londres, dont fait aussi partie Hobhouse, accompagné du délégué du gouvernement grec Andréas Louriottis, qui retournent en Grèce. Pour soutenir la cause de l'indépendance, Byron se propose de se rendre au siège du gouvernement grec en juillet. Encouragé par Hobhouse, il hésite quelque temps en raison de son attachement envers Teresa Guiccioli, accablée par la perspective de séparation : Une sentence de mort lui eût été moins pénible.
Finalement, après s'être fait confectionner des uniformes rouges et or, et des casques homériques, il s'embarque le 17 juillet avec Pietro Gamba, Trelawny, un jeune médecin italien, cinq serviteurs, dont Tita et Fletcher, ainsi que deux chiens et quatre chevaux, pour l'île de Céphalonie sur un brick affrété à ses frais.
Le 3 août, ils jettent l'ancre dans le port d'Argostoli à Céphalonie. Apercevant au loin les montagnes de Morée, Byron aurait dit Il me semble que les onze années douloureuses que j'ai vécues depuis mon dernier séjour ici ont été ôtées de mes épaules …. Apprenant que les Grecs étaient divisés en factions irréconciliables, principalement entre Aléxandros Mavrokordátos et Kolokotronis, au point d'avoir cessé les combats, et que les Turcs maintenaient le blocus devant Missolonghi, il demeure quatre mois dans l'île, passant ses journées en promenades à cheval et en baignades. Au cours de cette période, il vient en aide aux réfugiés, paye le salaire de quarante Souliotes et correspond en août avec Markos Botzaris, juste avant sa mort, pour savoir quel parti prendre. Le siège de Missolonghi ayant repris à l'automne, Byron donne 4 000 livres pour armer une flotte de secours pour la ville. Au cours d'une excursion sur l'île voisine d'Ithaque, il est pris d'une crise de démence passagère. Le 6 septembre, Trelawny, qu'ennuie l'inaction, le quitte pour participer aux combats en Attique. Byron s'éprend d'un jeune soldat grec de quinze ans, Loukas Chalandritsanos, dont il fait son page.
Invité à venir électriser les Souliotes par Mavrokordátos qui avait débarqué à Missolonghi le 11 décembre 1823, il part le rejoindre le 30 avec Tita, Fletcher, Loukas, son chien et son médecin. Après avoir échappé de justesse à une frégate turque et à un naufrage, il débarque, vêtu de son uniforme rouge, à Missolonghi où il est attendu comme le Messie le 5 janvier 1824. Il est accueilli joyeusement par Alexandros Mavrokordátos, ses officiers et Pietro Gamba, arrivé avant lui. Malgré la ville triste et marécageuse et l'anarchie qui règne dans l'armée, il essaye de remédier à la situation avec l'argent reçu après la vente de sa propriété de Rochdale, et celui du Comité Grec de Londres. Il recrute un corps de troupes souliote qu'il prend à sa charge, équipe et entraîne, mais à l'indiscipline duquel il se heurte et qu'il doit finalement renvoyer. Un prêt ayant été conclu en février pour aider les révolutionnaires grecs, il doit faire partie de la commission chargée par le comité de Londres de contrôler l'utilisation des fonds, en compagnie du colonel Stanhope et de Lazare Coundouriotis.

Lord Byron sur son lit de mort par Odevaere.
Prématurément vieilli et fatigué, affecté par l'indifférence du jeune Loukas à l'amour qu'il lui porte, il semble attendre impatiemment la mort. La veille de ses trente-six ans, il écrit un poème résumant son état d'esprit :

Ce cœur devrait cesser d'aimer lui-même
Voyant pour lui les autres se fermer,
Mais s'il n'est plus possible que l'on m'aime,
Ah ! qu'on me laisse aimer !

Cherche — combien sans chercher l'ont connue !
La tombe du soldat, plus fier désir,
Choisis ta place et, ton heure venue,
Étends-toi pour dormir.
À la demande de Mavrokordátos, il se prépare à attaquer Lépante avec les forces gouvernementales quand, le 9 avril, il contracte, lors de l'une de ses courses quotidiennes à cheval, la fièvre des marais. Affaibli par des saignées et des lavements : Ces maudits médecins, écrit-il, m'ont tellement vidé que je puis à peine tenir debout, il meurt le 19 avril, entouré par Pietro Gamba, Tita et Fletcher, au moment où éclate un très violent orage qui sera interprété par les Grecs comme le signe que Le grand homme est parti. Une messe est dite le 23 à Missolonghi, et on salue de trente-six coups de canons l'âge du mort le départ du bateau qui emporte son corps vers l'Angleterre le 2 mai. Arrivé le 5 juillet à Londres, la dépouille est déposée le 16 dans le caveau de famille en la petite église de Hucknall, près de Newstead Abbey.
L'annonce de sa disparition retentit bientôt dans toute l'Europe. En Angleterre, Tennyson, alors âgé de quinze ans, s'enfuit dans les bois et grave : Byron est mort . À Paris, Lamartine, qui écrit Le Dernier chant du Pèlerinage de Childe Harold, et Hugo en font un deuil personnel.

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Posté le : 17/04/2015 18:11
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Réputation et réalité

À partir de publication de Childe Harold en 1813 et de sa soudaine célébrité, on confond Lord Byron avec son personnage, on l'imagine mélancolique et cynique, ce qu'on appellera par la suite le héros byronien. Il tente de dissiper le malentendu, notamment auprès d’Annabella, après qu'elle a refusé sa demande en mariage : Pour imaginer que votre candeur pouvait choquer, vous avez dû me juger bien vaniteux & égoïste. … Sauf dans d'occasionnels accès de mélancolie, je me considère comme un personnage très facétieux … Personne ne rit plus que moi.
En 1817, suite au scandale de sa séparation, une aura sulfureuse le précède : on l'accuse de toutes les débauches, de coucher avec Claire Clairmont et Mary Shelley en même temps, on l'observe avec des jumelles depuis l'autre rive de la Villa Diodati, des femmes s'évanouissent lorsqu'il paraît chez Madame de Staël : Il est exact que Mrs Hervey s’est évanouie quand j’ai fait mon entrée à Coppet, mais elle a repris ses sens un peu plus tard ; en la voyant se pâmer, la duchesse de Broglie s’est exclamée : “C’est trop fort — à soixante cinq ans!” .
Sa réputation de sombre génie solitaire fait que certains de ses visiteurs sont déçus lorsqu'ils le rencontrent, tel cet admirateur américain, Mr Coolidge venu le voir en 1821 à Ravenne : « Mais je crois deviner qu'il n'a pas été autant séduit par ma personne, car il devait s'attendre à rencontrer, au lieu d'un homme de ce monde, un misanthrope en braies de peau de loup, qui répondrait par de farouches monosyllabes. Je ne peux jamais faire comprendre aux gens que la poésie est l'expression de la passion enflammée, et qu'une vie de passion n'existe pas davantage qu'un tremblement de terre permanent, ou qu'une fièvre éternelle. Au demeurant, à vivre dans un état pareil, se raserait - on jamais ?
Cette image de monstre débauché se renforce avec les romans écrit par ceux qui l’ont côtoyé et cherchent à ternir sa réputation. Caroline Lamb, la maîtresse abandonnée, avec son roman Glenarvon, paru en 1817 puis, en 1819, John William Polidori, avec sa nouvelle Le Vampire, dont le personnage de Lord Ruthven évoque les relations difficiles qu'il a eues avec Lord Byron lors de leur voyage en Suisse en 1817.
Encore aujourd'hui, l'image de Byron, est restée sur le Mad, bad and dangerous to know » de Caroline Lamb. La vie et la personnalité de Lord Byron fascinent et les romans ou films le prenant comme personnage abondent, le mettant en scène en rock star immortelle et débauchée, comme dans la Saison 5 de la série télévisée Highlander ou en vampire cynique comme dans le roman de Michael Thomas Ford, Jane Bites Back. De même, les romans se voulant plus historiques le dépeignent en personnage arrogant, sulfureux, obsédé sexuel, sadique… comme Benjamin West dans Le médecin de Lord Byron ou Giuseppe Conte dans l'Homme qui voulait tuer Shelley.
Ce n'était évidemment pas un modèle de vertu, mais ce n'était pas non plus un sadique, un Marquis de Sade ou un Guillaume Apollinaire adepte des coups de knout, qui ne semble pas avoir souffert de la même réputation. Byron est le premier coupable de cette image, à cause de sa franchise, incapable de rester discret sur ses attirances homosexuelles, ne manquant pas une occasion de faire l'apologie du plaisir, comme dans sa lettre à son éditeur, où il se moque de lui-même :

Il baisse tant depuis un an —
Sa plume à ce point s'amenuise —
Que je soupçonne qu'à Venise —
Il fait l'étalon, épuisant
Sa cervelle qu'il aliène
Pour quelque chaude Italienne .

Il a surtout pâti du scandale de sa relation avec sa demi-sœur qui a particulièrement choqué l'Angleterre Georgienne. Quant à certains de ses poèmes jugés scandaleux, il est difficile aujourd'hui de comprendre en quoi Don Juan a pu être jugé sulfureux. Lorsque son éditeur, John Murray, fait un mauvais accueil au deuxième chant, par crainte du scandale, Byron lui répond de façon éloquente sur son travail d'écriture ainsi que sur son rapport à la célébrité :
Quant à l'opinion des Anglais, dont vous parlez, qu'ils sachent d'abord ce qu'elle pèse avant de me faire l'injure de leur insolente condescendance. Je n'ai pas écrit pour leur satisfaction ; s'ils sont satisfaits, c'est qu'ils choisissent de l'être, je n'ai jamais flatté leurs goûts ni leur orgueil, et ne le ferai pas. … J'ai écrit mû par l'afflux des idées, par mes passions, par mes impulsions, par des motivations multiples, mais jamais par le désir d'entendre leurs “voix suaves”. Je sais parfaitement ce que valent les applaudissements populaires car peu d'écrivassiers en ont eu autant que moi … Ils ont fait de moi sans que je l'aie cherché une sorte d'idole populaire, ils ont, sans autre raison ni explication que le caprice de leur bon plaisir, renversé la statue de son piédestal — la chute ne l'a pas brisée — et ils voudraient, paraît-il, l'y replacer ; mais il n'en sera rien.

Un homme de contradictions

Ce qui est une constante chez Lord Byron, ce sont ses contradictions, qu'il est le premier à reconnaître, que ce soit en privé, lors de ses discussions avec Lady Blessington : Plaisanterie mise à part, ce que je crois c'est que je suis trop changeant, étant tour à tour tout et son contraire et jamais pendant longtemps. ou publiquement, dans le chant XVII de Don Juan :

Je suis changeant, pourtant je suis "Idem semper";
Patient, mais je ne suis pas des plus endurants ;
Joyeux, mais quelquefois, j'ai tendance à gémir ;
Doux, mais je suis parfois un "Hercules furens" ;
J'en viens donc à penser que dans la même peau
Coexistent deux ou trois ego différents.

À la fois admirateur de l'épopée Napoléonienne Ode à Napoléon et critique envers la guerre, ainsi qu'on peut le voir dans sa description du carnage lors du Siège d'Izmaïl dans le Chant VIII de Don Juan. À la fois très sceptique vis-à-vis de la religion, doute revenant souvent dans ses lettres : Je ne veux pas entendre parler de votre immortalité ; nous sommes déjà assez malheureux dans cette vie pour ne pas en envisager une autre qu’effrayé par l'athéisme de Shelley et fervent défenseur de l'éducation religieuse pour sa fille Allegra, qui mourra d’ailleurs au couvent.
Mais c'est surtout dans ses propos sur les femmes qu'il est le plus paradoxal, passant de l’estime au mépris selon les période et les interlocuteurs. En 1813, il écrit à Annabella : Malgré toutes mes prétendues préventions contre votre sexe ou plutôt contre la perversion des manières & des principes souvent tolérée par lui dans certains milieux de la société, je pense que la pire femme qui ait jamais existé aurait fait un homme de très acceptable réputation ; elles sont toujours meilleures que nous et leurs défauts, tels qu'ils sont, ont certainement leur source en nous-même alors qu’il écrira plus tard dans son journal : Réfléchi à la condition des femmes dans la Grèce antique — assez commode. … Devraient s'occuper du foyer … mais tenues à l'écart du monde.
C’est Gabriel Matzneff qui résume le mieux les foisonnants paradoxes de Lord Byron : …ce pessimiste allègre, cet égoïste généreux, ce gourmand frugal, ce sceptique passionné, ce grand seigneur nonchalant qui fut un révolutionnaire actif, ce nordique fasciné par l’Orient, ce tempérament de droite aux idées de gauche, ce pédéraste couvert de femmes, ce disciple d’Epicure qu’habitait la peur de l’enfer chrétien, cet adversaire de l’impérialisme qui vénérait Napoléon, ce suicidaire amoureux de la vie, cet ami des Turcs qui est mort pour la liberté du peuple grec, ce poète à la réputation sulfureuse et au cœur pur.

Le poète

Childe Harold Pilgrimage's, par Joseph Mallord William Turner (1823).
Durant sa jeunesse, Lord Byron se destinait à une carrière politique à la Chambre des Lords, c'était même la raison de son départ pour la Grèce, connaître le monde pour former son jugement, et celle de son retour comme il l'a formulé dans une boutade : « à mon retour, j'ai le projet de briser avec toutes mes relations dissolues, de renoncer à la boisson et au commerce de la chair, pour m'adonner à la politique et respecter l'étiquette97. » Mais ses déceptions parlementaires ainsi que le succès soudain et inattendu de Childe Harold l'ont incité à continuer la poésie : ces débuts n'étaient pas décourageants — surtout mon premier discours …, mais aussitôt après mon poème Childe Harold est sorti — & plus personne n'a jamais songé à ma prose par la suite, ni moi non plus d'ailleurs —cela devint pour moi quelque chose de secondaire, que je négligeai, bien qu'il m'arrive de me demander si j'y aurais eu du succès.
Il a commencé à écrire des poèmes en hommage à sa cousine Margaret Parker, morte jeune, dont il était fébrilement amoureux à l'âge de douze ans : « La première fois que je me suis lancé dans la poésie remonte à 1800. — C'était le bouillonnement d'une passion pour ma cousine germaine, Margaret Parker …, l'un des êtres évanescents les plus beaux qui aient été. Puis ses poèmes ne cessèrent d'osciller entre la mélancolie Hours of Idleness, Childe Harold, les contes orientaux Le Giaour, La fiancée d'Abydos, Sardanapale et la satire Bardes anglais et critiques écossais, Beppo, Don Juan .

Poèmes mélancoliques

Hours of Idleness Heures d’oisiveté ou Heures de paresse selon les traducteurs, son premier recueil paru en 1807 mais composé à différentes époques de sa jeunesse, Byron s’essaye à différents genres. Si les premiers poèmes, datant de 1802-1803 sont des éloges funèbres, regrettant ses amis et amours perdus Sur la mort d'une jeune demoiselle, cousine de l'auteur et qui lui fut bien chère, Epitaphe d'un ami, il passe ensuite à des poèmes d'amour A Caroline, Premier baiser de l'amour, Le dernier adieu de l'amour, des vers d'inspiration médiévale Vers composé en quittant l'abbaye de Newstead, des regrets sur son enfance Sur une vue lointaine du village et du collège d'Harrow sur la colline, Souvenirs d'enfance, des imitations d’Ossian Oscar d'Alva. Légende, la Mort de Calmar et d'Orla. À partir de 1806 son ton se fait plus sarcastique.

Avec Le pèlerinage de Childe Harold, dont les deux premiers chants sont composés lors de son voyage en Grèce, Byron a fait son choix. Utilisant la strophe spenserienne, il brosse le portrait d'un libertin effronté shameless wight qui fuit l'ennui de son existence par un voyage en Orient. Il en compose les chants III et IV après le scandale qui l'oblige à fuir l'Angleterre en 1817, assombrissant encore la tonalité du poème :

Il continua à sentir une invisible chaîne s'appesantir sur lui bien qu'on ne pût la voir,
son contact n'en était pas moins douloureux
ses lourds anneaux ne résonnaient pas, mais son poids était pénible
c'était une souffrance sans bruit qui accompagnait partout Harold
et devenait plus vive à chaque pas qu'il faisait.

Still round him clung invisibly a chain
Which galled for ever, fettering though unseen,
And heavy though it clanked not; worn with pain,
Which pined although it spoke not, and grew keen,
Entering with every step he took through many a scene.

Poèmes orientaux

Combat du Giaour et du Pacha par Eugène Delacroix, 1827
Dès l’enfance, Byron est attiré par l’Orient, depuis sa lecture de l’Histoire Turque, mais aussi des Mille et une nuits. C’est à la fois un Orient rêvé et un Orient dans sa dimension historique. C’est ce qui explique son voyage en Grèce et en Turquie, dont il reviendra à la fois admiratif et très critique, autant vis-à-vis des Turcs que des Grecs. L'Orient que dépeint Byron est tragique. Ce sont des histoires d'amours impossibles qui se terminent par la mort, c'est une effusion de couleur et de sang. Il y mêle du merveilleux Zuleïka se transforme en rose dans La fiancée d’Abydos, des combats Le Corsaire, Le Giaour, de l'exotisme dans la description des paysages, des costumes les caftans, les turbans, des rites et des superstitions Le Giaour qui risque de se transformer en vampire… Il s’intéresse autant à l’Orient contemporain, la Grèce soumise au joug Ottoman, qu’a l’Orient ancien avec Sardanapale, roi légendaire de Ninive.
Il revient souvent sur la question de la position des femmes pour les musulmans, comme dans Le Giaour : Qui aurait pu lire dans le regard de la jeune Leïla, et conserver encore cette partie de notre croyance qui prétend que la femme n'est qu'une vile poussière, une poupée sans âme destinée aux plaisirs d'un maître ?

Poèmes satiriques

C’est à partir de son exil vénitien qu'il se consacre presque exclusivement à la veine burlesque, avec Beppo, vaudeville sur fond de carnaval, puis Don Juan, épopée satirique laissée inachevée au dix-septième chant, où il fait montre d'un réel talent pour la rime et l’improvisation, où se livre à des réflexions humoristiques ou assassines à l'égard, notamment, de Castlereagh, de Wellington ou du poète officiel Southey, à travers des digressions où fusent les traits d'esprit.

Romantisme

Manfred sur la Jungfrau par Ford Maddox Brown
Lord Byron est l’un des plus grands poètes britanniques, à l'égal de Keats, dont il n’aimait pas la poésie ou de Shelley, son ami.
Grand admirateur du poète Alexander Pope, classique dans la forme, la strophe Spenserienne qu’il a beaucoup employée, ce sont ses thèmes qui en font un Romantique : violence des passions ; amours tragiques, souvent illicites ; goût pour les tempêtes et les paysages grandioses ; mélancolie des sentiments ; couleurs orientales ; importance accordée au Moi : L’unique thème de Byron, c’est Byron et son brillant cortège d’amours, de sensations, d’aventures ; et son propre cœur la source unique de ses ouvrages, même si, aussi autobiographique que puisse être un livre, il n’est jamais l’imitation de la vie, mais la vie transfigurée, la vérité choisie. Byron est Harold et cependant il ne l’est pas. Si ses personnages sont un reflet romanesque de Lord Byron, ses créations ont aussi une influence sur lui, comme Walter Scott le dira en 1816, au moment de la disgrâce sociale ayant suivi sa séparation tumultueuse : Byron s'est transformé en son personnage Childe Harolded himself , comme si son imagination avait pris le pas sur sa vie.
Romantique aussi le personnage du héros byronien qu'il invente dans Childe Harold et qu’il explore par la suite dans The Corsair, Lara, Manfred… C’est un homme tourmenté, désabusé, impassible, mystérieux, souffrant d’une blessure secrète, à la fois rebelle et proscrit, malheureux et sulfureux, dont le portrait de Lara est un bon résumé : Il y avait en lui un mépris vital de toute chose, comme s’il eut épuisé le malheur. Il demeurait étranger sur la terre des vivants ; esprit exilé d’un autre monde, et qui venait errer dans celui-ci.
Ses poèmes furent une source d'inspiration pour les peintres Romantiques pour ses thèmes orientaux, comme La Mort de Sardanapale, Le Combat du Giaour et du Pacha, La fiancée d’Abydos, ou de l’homme confronté aux éléments avec La barque de Don Juan d’Eugène Delacroix, ou à l’animal Mazeppa de Théodore Gericault.

Œuvres Poésie

Hours of Idleness, poésies originales et traduites Hours of Idleness, 1807
Bardes anglais et critiques écossais 1809
La malédiction de Minerve 1811
Souvenirs d'Horace 1811
Le Pèlerinage du chevalier Harold Childe Harold's Pilgrimage, 1812-1818
Le Giaour The Giaour 1813
La Fiancée d'Abydos The Bride of Abydos 1813
Le valseur 1813
Le corsaire The Corsair, 1814
Ode à Napoléon Bonaparte 1814
Lara 1814
Mélodies hébraïques 1815
Le siège de Corinthe 1816
Parisina 1816
Porte-toi bien 1816
Un Essai 1816
Stances à Augusta 1816
Le prisonnier de Chillon 1816
La Complainte du Tasse 1817
Beppo, histoire vénitienne 1818
Mazeppa 1819
Don Juan 1819-1824
Pensées éparses 1821
L'avatar Irlandais 1821
La prophétie de Dante 1821
La vision du jugement 1822
L'âge de bronze 1823
L'île 1823

Théâtre

Manfred 1817
Marino Faliero, Doge de Venise 1820
Sardanapale 1821
Les deux Foscari 1821
Cain 1821
Le ciel et la terre 1821
Werner 1823
Le difforme transformé 1824

Prose

Discours parlementaires 1824
La Vie, les lettres et le journal intime de lord Byron - En français Journal de Ravenne. 1830
Lettres et journaux intimes, traduites par J. P. Richard et P. Bensimon, Albin Michel 1987
Byron-Shelley, Écrits Romantiques et rebelles, Éditions de l’Épervier, 2010

Éditions posthumes

On a publié un grand nombre d'éditions des Œuvres de Byron :
les plus estimées sont celles :
de Londres, 1833, 17 volumes in-18, avec une Vie par Thomas Moore
de Paris, publiée par Baudry, 1832, 4 volumes in-8.
Les œuvres de Byron ont été traduites par Amédée Pichot 1822-1825, par Paulin Paris 1830-1832, et par Benjamin Laroche 1837. Hunter en a traduit une partie en vers français 1841. Byron avait laissé soixante-dix feuillets d'une Vie qui ont été détruits par son éditeur et ses amis. Villemain lui a consacré une notice dans la Biographie universelle.

Le théâtre complet de Byron a été réédité en 2006.

Autour de son œuvre

La vie et l’œuvre de Byron ont inspiré de nombreux musiciens, écrivains, peintres et réalisateurs.

Littérature

Velázquez, Les buveurs ou Le Triomphe de Bacchus, 1629
Dès 1817, Stendhal trouve dans les œuvres de Lord Byron une source d’inspiration : La connaissance de l’homme, … si l’on se met à la traiter comme une science exacte, fera de tels progrès qu’on verra, aussi net qu’à travers un cristal, comment la sculpture, la musique et la peinture touchent le cœur. Alors ce que fait Lord Byron, on le fera pour tous les arts.
Les œuvres complètes de Byron paraissent en France en 1820. Elles marquent toute la génération Romantique, dont Alfred de Vigny qui publie un essai sur Byron dans Le Conservateur littéraire, la revue de Victor Hugo. Honoré de Balzac, très admiratif, en fait le modèle de son personnage du consul dans Honorine, et dans La Peau de chagrin il compare ses poèmes aux peintures de Velazquez, sombres et colorés. Dans Arthur d’Eugène Süe, les personnages d’Arthur et de Madame de Penafiel se plaignent du génie malfaisant de Lord Byron, dont Walter Scott serait le contre-poison. Confondant le créateur et sa créature, Madame de Penafiel s’écrie : Oh ! comme il s’est bien peint dans Manfred ! Tenez : le château de Manfred, si sombre et si désolé, c’est en vérité sa poésie ! c’est son terrible esprit! Pour Théophile Gautier dans Les Jeunes-France, il est le modèle des jeunes romantiques qu'il caricature, cherchant à tout prix à se donner l’air byronien, dans leur coiffure, signature, aventure…
Pour toute une génération d’auteurs français, on ne retint de Lord Byron que le côté sombre, oubliant la gaieté railleuse de son Don Juan.

Musique classique

Frédéric Chopin a écrit plusieurs Œuvres en s'inspirant des écrits de Byron.
Hector Berlioz a écrit en 1834 la symphonie concertante avec alto intitulée Harold en Italie, tirée du Childe Harold's Pilgrimage de Byron.
Henry Rowley Bishop a composé la musique de scène du Manfred présenté par le Royal Opera House de Covent Garden à Londres en 1834.
Gaetano Donizetti a écrit trois œuvres inspirées de Byron, Il Diluvio Universale 1829-1830, Parisina d'Éste 1833, Marina 1835.
Giuseppe Verdi a composé en 1843-1844 un opéra I due Foscari, sur un livret de Francesco Maria Piave, emprunté au drame "Les deux Foscari".
Louis Lacombe a composé une Symphonie dramatique d'après le Manfred de Lord Byron en 1847.
Robert Schumann a composé son poème symphonique Manfred d'après Lord Byron, pour solistes, chœur et orchestre, op. 115, en 1848.
Giuseppe Verdi a composé en 1848 un opéra Il corsaro, sur un livret de Francesco Maria Piave, emprunté au poème dramatique de Byron The Corsair.
Franz Liszt a écrit un poème symphonique, Tasso, en 1849, sur le poème de Byron The Lament of Tasso.
Adolphe Adam écrit une musique de ballet sur le The Corsair de Byron en 1856.
Piotr Ilitch Tchaïkovski a composé sa symphonie Manfred, op. 58, en 1885.
L'opéra en deux actes LByron - Un été sans été, sur un livret de Marc Rosich, d'Agosti Charles compositeur catalan, a été présenté au Liceu de Barcelone, puis le 16 janvier 2011 au Staatstheater de Darmstadt, pour lesquels il a été conçu.

Ballets

Le Corsaire est un ballet inspiré du poème The Corsair, sur un livret de Jules-Henry Vernoy de Saint-Georges et une musique d'Adolphe Adam créé en 1856 à l'Opéra de Paris dans une chorégraphie de Joseph Mazilier.
Le Corsaire est repris en 1899 par Marius Petipa dans une nouvelle chorégraphie à Saint-Pétersbourg.

Musiques diverses

Go No More A-Roving, par Leonard Cohen, paru dans l'album Dear Heather, est inspiré du poème de Byron portant le même titre.
Dark Lochnagar, adaptation musicale du poème de Byron par le groupe Green Highland, a paru dans l'album Farewell to a Friend, 2007.
Lord Byron Blues fait partie de Le London All Star, avec Jimmy Page, album British Percussion.
A Curse Of The Grandest Kin, The Vision Bleak, Set Sail To Mystery, introduction des quatre albums du Gothic-Metal Band avec un texte de Lord Byron, 2010.

Peinture

Ses œuvres ont beaucoup inspiré les peintres romantiques, notamment Turner, Gericault et Delacroix, ainsi que certains Pré-Raphaélites comme Ford Madox Brown.
Théodore Gericault, est l'un des premiers à s'emparer des thèmes byroniens. Son obsession morbide pour les chevaux, l'homme et l'animal trouve son incarnation dans Mazeppa. Gericault mourra d'ailleurs des suite de plusieurs chutes de cheval.
Plus qu'aucun autre artiste, Eugène Delacroix trouve dans les œuvres de Byron une source inépuisable de sujets pour ses peintures : Le naufrage de Don Juan Musée du Louvre, Paris, Le Doge Marino Faliero condamné à mort 1826, Wallace collection de Londres, Le prisonnier de Chillon 1834, Musée du Louvre, Paris… Il rencontre surtout chez Byron un écho à sa fascination pour l'Orient : la violence, des passions et des combats avec Le Combat du Giaour et du Pacha 1827, Art Institute de Chicago, le feu d'artifice des couleurs avec La mort de Sardanapale 1827-28, Musée du Louvre, Paris et l'exotisme des costumes avec La fiancée d'Abydos 1857, Kimball Art Museum, l'implication politique avec La Grèce sur les ruines de Missolonghi 1826, Musée des Beaux Arts de Bordeaux
Mais d'autres peintres romantiques en furent également très inspirés : Charles Durupt, Manfred et l'esprit, 1831, comme Ary Scheffer Le Giaour, 1932 - deux toiles appartenant au Musée de la vie romantique, Hôtel Scheffer-Renan, Paris, ainsi que des graveurs tel Émile Giroux en France.

Childe Harold et Don Juan

Ses œuvres en prose à l'exception des Observations sur la vie et les écrits de Pope 1821, sont posthumes. Ce sont ses Lettres et journaux 6 vol., Londres, 1898-1903, publiés par R. E. Prothero lord Ernle, et Correspondance de lord Byron, principalement avec Lady Melbourne, publiée par John Murray Londres, 1922.
Les Mémoires, confiés à Thomas Moore par lord Byron et déposés, avec l'assentiment de Byron, chez John Murray, en gage d'une avance de 2 000 livres, furent jugés impubliables par ses amis et brûlés peu après sa mort, chez Murray, le 17 mai 1824.
La correspondance est d'un style nerveux, vif, dépouillé, et témoigne d'une observation pénétrante, d'un humour primesautier et enjoué. Elle est du plus haut intérêt pour la connaissance de la personnalité véritable et de la vie de l'écrivain.
L'œuvre poétique E. H. Coleridge éd., 7 vol., 1898-1903 est beaucoup plus considérable que l'œuvre en prose. Essentiellement poète, Byron, de son vivant, ne publia que des vers.
Heures de Loisir, sa première œuvre, est un recueil de poèmes lyriques, originaux ou imités de poètes élégiaques latins ou grecs. Ces courts poèmes dénotent une grande précocité dans la technique de la poésie, mais en dépit du désir de scandaliser, l'expression des sentiments y est conventionnelle et floue. Beaucoup d'entre eux, intitulés À Emma, À Mary, À Caroline, Le Premier Baiser de l'amour, ont le ton romantique de la confession personnelle.
De la même veine, mais beaucoup plus mûrs, sont les Poèmes sur diverses occasions 1807-1824 et les Poèmes privés 1816, qui comprennent les beaux poèmes adressés à sa femme Adieu et à sa sœur Stances à Augusta, Lettre à Augusta dont le caractère autobiographique est évident.

Childe Harold

Le Pèlerinage de Childe Harold est un long poème 4 455 vers en quatre chants, écrit en strophes spenceriennes. Les deux premiers chants parurent en 1812. L'auteur, affublé, de façon d'ailleurs transparente, de l'accoutrement moyenâgeux du chevalier Harold, y relate son premier voyage en Méditerranée et en Orient. Les descriptions pittoresques y alternent avec des méditations mélancoliques et vagues qui mettent avantageusement en relief le pèlerin-chevalier solitaire.
Au chant III, le masque du chevalier disparaît. L'auteur raconte, non sans emphase, son départ d'Angleterre, et promène son amertume dédaigneuse et blasée de Waterloo au lac de Genève, le long des ruines féodales de la vallée du Rhin. Il médite sur les sites historiques et s'abandonne au charme sublime de la nature. Au chant IV, le mélancolique pèlerin se tient à Venise sur le pont des Soupirs, puis à Rome devant le Colisée, et se répand en considérations désabusées sur l'histoire et sur la destinée humaine.
Ce genre, dont il fut le créateur, soutenu par une langue ferme et sonore, volontairement archaïsante, une prosodie habile et musicale, eut un succès inouï et fit de lui pour l'Europe entière l'archétype qu'il fallait s'efforcer d'imiter.

Les contes romantiques

Les contes romantiques orientaux, Le Giaour juin 1813, La Fiancée d'Abydos nov. 1813, Le Corsaire févr. 1814, Lara août 1814, furent suivis d'autres récits historiques en vers, de la même veine tragique et romanesque : Parisina, le Siège de Corinthe fév. 1816, Le Prisonnier de Chillon déc. 1816, Mazeppa juin 1819, L'Île juin 1823. Ils ont tous certains traits communs : une tragique histoire d'amour contrarié ou interdit et de mort ; de nobles héros révoltés, sombres et malheureux, ressemblant comme des frères à Childe Harold et à lord Byron ; de belles héroïnes pathétiques passionnément dévouées à leur amant ; un somptueux décor oriental ou exotique L'Île est une idylle tropicale qui se déroule sur un atoll d'Océanie.

Les tragédies

Aucune ne fut jouée, Werner excepté 1822, ni même destinée à la représentation. Manfred juin 1817 est un poème dramatique à deux personnages : le héros solitaire, au cœur des Alpes, et l'ombre de sa sœur Astarté, passionnément et criminellement adorée, miroir de son âme.
Marino Faliero avr. 1821, Les Deux Foscari déc. 1821 sont tirées de l'histoire de Venise. Elles ne sont pas dépourvues de beauté poétique ; l'analyse psychologique est pénétrante ; mais elles manquent de qualités, de ressort et de style proprement dramatiques. Il en est de même pour Sardanapale déc. 1821, dont le héros présente des analogies avec l'auteur, ainsi que pour les pièces bibliques Caïn déc. 1821, Le Ciel et la Terre janv. 1823 et Le Difforme transformé fév. 1824.

Les satires

Byron excella dans ces pièces de circonstance qui constituent un aspect important de son génie. Nous avons déjà signalé ses attaques virulentes contre les poètes romantiques et contre lord Elgin. Dans La Vision du jugement, il malmène et ridiculise le poète-lauréat Robert Southey qui s'était risqué à le présenter comme le chef de l'école satanique de poésie. Les Bas-bleus prennent à parti les femmes savantes de son temps, L'Âge de bronze avr. 1823 attaque la politique anglaise lors du Congrès de Vérone.

Don Juan

Avec Beppo, conte vénitien 1817 et surtout avec Don Juan 1819-1824, interrompu au seizième chant par la mort de l'auteur, Byron a donné la véritable mesure de son génie. Don Juan est une épopée immense près de 16 000 vers et multiforme, écrite sur le modèle de Pulci, en ottava rima, strophe savante dont le poète joue avec une extraordinaire virtuosité. Le thème de la légende espagnole n'est qu'un prétexte. Après ses premières armes amoureuses à Séville, dans l'alcôve de Doña Julia, le héros quitte l'Espagne, comme Byron l'Angleterre, et promène sa joyeuse vitalité de cette île de l'Archipel, où se noue la tragique idylle d'Haïdée, au harem du sultan, du lit de Catherine de Russie au salon distingué d'un château de la campagne anglaise. Juan est l'antithèse d'Harold. L'affectation mélancolique du héros romantique a fait place a un sens aigu de l'ironie. L'épisode des amours de Juan et d'Haïdée, dans sa sensualité ingénue et sauvage, tout romanesque qu'il soit, n'a rien de romantique. Cela n'est qu'un aspect de cette œuvre si variée où se mêlent la satire féroce, la parodie burlesque, la farce gaillarde, le conte grivois, le trait d'esprit caustique, la peinture de mœurs et la plus subtile comédie de caractères. Lord Byron y exprime sa vision sceptique, amusée et ironique, d'un monde aux apparences trompeuses, où Don Juan n'est pas séducteur mais séduit, où le sexe dit fort est l'involontaire victime des entreprises galantes du sexe dit faible. Comme auteur de Don Juan, lord Byron figure parmi les plus grands humoristes anglais.

L'antidote du romantisme ?

L'œuvre de Byron a subi depuis le début du siècle une importante réévaluation. La première de ces études critiques est celle de John Drinkwater, The Pilgrim of Eternity, Byron, a Conflict, Londres, 1926, Le Pèlerin de l'éternité, Byron, un conflit. Elle fut suivie en 1945 de The Flowering of Byron's Genius, Studies in Byron's Don Juan L'Épanouissement du génie de Byron. Études sur Don Juan, de P. G. Trueblood.
Dans une thèse fort intelligente et documentée, Robert Escarpit a démontré que Childe Harold et les Contes ne représentent pas le génie propre de Byron. C'est sur les conseils de John Murray, son éditeur et imprésario littéraire, qu'il écrivit, pour plaire à un certain public et pour gagner de l'argent, ces œuvres romantiques qui assurèrent alors sa gloire. Ses goûts en fait étaient très classiques et son modèle littéraire était Pope. Avec Don Juan, Byron se détache du romantisme et de son public, et entend écrire comme il lui plaît sans plus se soucier de l'opinion. Sa lettre à John Murray du 21 septembre 1821 est sur ce point révélatrice.
L'influence déterminante du « byronisme » de Childe Harold sur le romantisme relèverait donc du mythe. Par un singulier paradoxe, le vrai Byron est l'antidote du romantisme dont il fut salué comme le héros, et Don Juan un chef-d'œuvre d'ironie qui a survécu à l'éclipse des œuvres romantiques qui le rendirent célèbre de son vivant.

Traductions et influence

L'influence et le succès de Byron en Europe sont attestés par la traduction de ses œuvres, au fur et à mesure de leur publication, en italien, en allemand, en russe, en français traduction complète d'Amédée Pichot, 1819-1824.
À titre d'exemple, La Fiancée d'Abydos et Manfred ont été traduits en plus de dix langues : tchèque, danois, français, allemand, hongrois, grec moderne, polonais, roumain, russe, espagnol, italien, entre autres.
En France, Byron a particulièrement influencé Victor Hugo, Lamartine, Musset, Barbey d'Aurevilly ; en Allemagne, Börne, Müller, Heine ; en Italie, Leopardi et Giusti ; en Russie, Pouchkine et Lermontov ; en Pologne, Mickiewicz et Slowacki. François Natter

Romans et poèmes

Lord Byron à inspiré de nombreux auteurs en tant que lui-même ou en personnage fantastique, que ce soit sous forme de fantôme, de vampire ou d’immortel.

Byron figure à peine travesti dans le roman de Lady Caroline Lamb Glenarvon, publié en 1816.
Byron a largement servi de modèle au personnage de Lord Ruthven dans le Vampire de John Polidori recopié et augmenté à partir d'un fragment de nouvelle écrit par Byron lui-même
Gérard de Nerval 1808-1855 a composé un poème intitulé Pensée de Byron, Élégie, paru dans son recueil Odelettes.
Lawrence Durrell a écrit, sous la forme d'un monologue lyrique, un poème intitulé Byron, publié en 1944.
Byron est dépeint dans la pièce Camino Real de Tennessee Williams de 1953.
Frederic Prokosch, Le manuscrit de Missolonghi, roman, Stock, 1968 réédition 10/18, 1987 et 1998.
Byron apparaît comme personnage dans deux romans de Tim Powers, The Anubis Gates paru en 1983 et The Stress of Her Regard en 1989.
Paul West, Le médecin de Lord Byron, est un roman où Lord Byron est vu au travers du regard de John William Polidori, paru chez Rivages en 1991.
La pièce de Théâtre de Tom Stoppard, Arcadia publié en 1993 chez Faber and Faber, fait dialoguer passé et présent en prenant pour point de départ la question : pourquoi Byron a-t-il subitement quitté l'Angleterre en 1809 ?
Sigrid Combüchen, Byron à la folie, roman prenant pour point de départ des admirateurs de Lord Byron exhumant son corps en 1938, paru chez Actes Sud en 1993.
Lord Byron apparaît dans la nouvelle Wall, Stone Craft de Walter Jon Williams, parue en 1994.
Tom Holland, dans son roman The Vampyre: Being the True Pilgrimage of George Gordon, Sixth Lord Byron, paru en 1995, a décrit Byron sous les traits d'un vampire lors de son premier voyage en Grèce.
Susanna Roxman, "Allegra", recueil Broken Angels, Dionysia Press, Édimbourg, 1996 : poème concernant la fille de Byron et de Claire Clairmont. Byron y figure sous l'appellation "Papa".
The Black Drama par Manly Wade Wellman paru en 2001, d'abord publié dans Weird Tales, concerne la redécouverte et la mise en scène d'une pièce oubliée de Byron que Polidori a plagiée dans son The Vampyre, par un homme prétendant descendre du poète.
Byron apparaît comme leader de l’Industrial Radical Party dans le roman uchronique La Machine à différence de William Gibson et Bruce Sterling paru en France en 1999 chez Robert Laffont.
Lord Byron est le roi fou de l’Angleterre dans le roman Jonathan Strange & Mr Norrell de Susanna Clarke paru 2004 et prochainement adapté au cinéma.
Byron apparaît en immortel dans le roman Divine Fire, de Melanie Jackson paru en 2005.
L'esprit de Byron est l'un des personnages principaux de la série fantastique Ghosts of Albion, par Amber Benson et Christopher Golden paru en 2005.
Le roman Lord Byron's Novel: The Evening Land de John Crowley paru en 2005, raconte la redécouverte d’un manuscrit perdu de Lord Byron.
Byron apparaît dans le roman Edward Trencom's Nose de Giles Milton paru en 2007.
Katherine Neville, The Fire, publié en 2008, présente un portrait de Byron.
Dans L’homme qui voulait tuer Shelley de l’écrivain italien Giuseppe Conte paru en 2008 chez Phébus, Byron est l’un des suspect pour l’assassinat supposé de Shelley.
Dans son roman The History of Lucy's Love Life in Ten and a Half Chapters publié en 2008, Lucy Lyons se sert d'une machine à remonter le temps pour revisiter l'année 1813 et y rencontrer Byron, son idole.
La pièce A Year Without A Summer écrit en 2008 par Brad C. Hodson, concerne Byron, Polidori, les Shelleys et Claire Clairmont pendant le célèbre été de 1816 à la Villa Diodati, et sera prochainement adapté au cinéma.
Les romans de Benjamin Markovits, Imposture et Un ajustement tranquille parus en 2009 chez Christian Bourgois pour la traduction française, racontent de façon romancée l’épisode du mariage de Lord Byron avec Annabella Millbank.
Rachel Hawkins dans son roman Hex Hall paru chez Albin Michel dans la collection Wizz en 2009, fait allusion à Lord Byron.
Stephanie Barron fait apparaître Lord Byron en tant que suspect dans le roman policier paru en 2010, Jane and the Madness of Lord Byron.
Michael Thomas Ford dans le roman Jane Bites Back paru en 2010, fait de Byron un méchant vampire opposé à Jane Austen.
Dan Chapman dans la nouvelle The Postmodern Malady of Dr Peter Hudson paru en 2010 sur Lulu.com, commence à la mort de Lord Byron et utilise des éléments de la vie de Byron pour son personnage.

Cinéma et télévision

1935 : Dans La fiancée de Frankenstein de James Whale, Byron, joué par Gavin Gordon, apparaît dans le prologue.
1986 : Gothic, film réalisé par Ken Russell, avec Gabriel Byrne dans le rôle de Lord Byron.
1988 : Remando al viento, film espagnol de Gonzalo Suarez, avec Hugh Grant dans le rôle de Byron.
1988 : Haunted Summer, film américain de Lewis John Carlino, avec Philip Anglim dans le rôle de Lord Byron.
1990 : Frankenstein Unbound La résurrection de Frankenstein, film américain de Roger Corman, avec Jason Patrick dans le rôle de Lord Byron.
1992 : Byron, ballade pour un démon, film grec de Níkos Koúndouros.
Byron, joué par Jonathan Firth, est le héros, devenu rock star décadente, dans l’épisode 19 de la 5e saison de la série Highlander: The Series, The Modern Prometheus, réalisé en 1997.
2000 : Pandaemonium, film réalisé par Julien Temple, avec Guy Lankester dans le rôle de Lord Byron.
2003 : Byron, téléfilm biographique réalisé pour la BBC par Julian Farino, avec Jonny Lee Miller dans le rôle de Lord Byron.
2007 : Into the wild, film biographique racontant l'histoire de Christopher McCandless ; une citation de Lord Byron y apparaît à la première minute du film.

Divers

Un cratère a été appelé Byron sur la surface de Vénus, et un autre, Byron 3306, sur celle d'un astéroïde de Mercure.
Une grotte de Porto Venere est dédiée au souvenir de Byron.
La Coppa Byron Coupe Byron est une manifestation sportive de 7,5 km de Porto Venere à San Terenzo ou à Lerici se déroulant fin août, comprenant la traversée à la nage du golfe de la Spezia, créée en 1949 par l’industriel italien Jean-Baptiste Bibolini, en hommage à Lord Byron qui avait effectué cette traversée en 1822.
La terrasse inférieure de la Cascade des Marmore, à Terni en Italie, que Byron a chantée dans Childe Harold, est appelée Esplanade Byron : sur un rocher figure une plaque où est inscrit le texte de son poème.
La Grèce a décidé en octobre 2008 que le 19 avril, jour de la mort de Byron, deviendrait une journée nationale de commémoration en son honneur.


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Posté le : 17/04/2015 18:00
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Marc-Antoine de Muret
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Le 12 Avril 1526 à Limoges naît Marc-Antoine de Muret

dit Muretus en latin, mort le 4 juin 1585 à Rome, humaniste français. Auteur d'œuvres en latin, commentaires de classiques, poèmes, tragédies, professeur de rhétorique, il fut le maître du jeune Montaigne, il fut en Italie, à partir de 1554, un des maîtres de l'éloquence néo-latine. Professeur de Montaigne au collège de Guyenne à Bordeaux, il fut ensuite à Paris, de 1551 à 1553, régent du collège de Boncourt, où il y initia Belleau, La Péruse, Jodelle, La Taille et Grévin à la tragédie latine ainsi qu'aux poètes latins. En 1554, une accusation de sodomie le contraignit à l'exil. Il professa d'abord à Venise 1554-1558, puis à Padoue, avant d'obtenir, en 1563, une chaire à l'université de Rome ; il y enseignera jusqu'en 1584 la philosophie et l'éloquence. Outre de nombreuses éditions et commentaires d'auteurs grecs et latins, il a donné de nombreuses pièces oratoires le De philosophiae et eloquentiae conjunctione, leçon prononcée en 1557 à Venise, affirmant la nécessaire complémentarité de l'étude de la philosophie et de celle de la rhétorique et un commentaire aux Amours de Ronsard. Poète Juvenilia, 1552 ; Hymnorum sacrum liber, 1576, Muret incarna à Rome le «meilleur style latin .

En bref

Humaniste français, fils d'un juriste, Marc-Antoine Muret commence en province — selon un itinéraire encore mal connu — une brillante carrière de professeur. Parmi ses élèves figure Montaigne au collège de Guyenne. Le voici ensuite à Paris, au collège de Boncourt, et il contribue de 1551 à 1553 à révéler les textes anciens à Rémi Belleau ou Étienne Jodelle. En 1554, une accusation de sodomie le contraint à s'exiler en Italie, à Venise, où il fréquente l'éditeur Paul Manuce, à Padoue et à Ferrare.
Rattaché à l'université de Rome à partir de 1563, il s'efforce d'y maintenir l'enseignement du grec, et pratique l'explication comparative des auteurs grecs et romains. Il enseigne aussi le droit, selon la méthode française de Cujas.
Muret aime son métier, malgré l'indiscipline de ses élèves. Il est également l'orateur officiel des rois de France auprès des papes. Ce savant consulté de tous les points de l'Europe est fait citoyen romain. Il finit sa vie dans les ordres, sans cesser d'enseigner.
Muret est d'abord un philologue, qui a laissé des éditions de Catulle, d'Horace, de Térence, de Tibulle, et des commentaires de textes philosophiques, par exemple la République de Platon et certains traités de Cicéron. Ses Variae lectiones constituent un énorme labeur, même si l'annotation est parfois un peu rapide et superficielle, et elles passent de huit volumes dans l'édition de 1559 à vingt dans celle de 1580.
Cette production érudite révèle les deux pôles de sa réflexion, la rhétorique et la philosophie. Cette union du beau langage et de la quête intellectuelle est encore un grand thème de ses nombreux discours, qui en fait sont souvent des leçons inaugurales. Muret y pose différents problèmes littéraires, manifestant ainsi son goût pour des spéculations plus théoriques, même si l'établissement des textes anciens lui apparaît comme la partie noble de son travail, dont il n'hésite pas à faire l'éloge.
Mais pour Muret la poésie n'est pas seulement matière à enseignement.Le recueil des Juvenilia en 1553 se place sous le signe de la diversité.
Des poèmes légers et voluptueux y voisinent avec une tragédie latine, Julius Caesar, dont la composition est antérieure, et qui est la première pièce de théâtre sur ce sujet au XVIe siècle.
Certains textes des Juvenilia sont adressés aux écrivains de la Pléiade, et l'intérêt de Muret pour la nouvelle école poétique est encore attesté par son commentaire français des Amours de Ronsard. Publiées en 1553 dans la seconde édition des Amours, ces notes savantes précisent les sources et élucident les allusions mythologiques, facilitant ainsi l'accès à une œuvre obscure.
Quant aux Poemata varia en 1575, qui contiennent surtout des éloges de saints, ils révèlent l'évolution de Muret vers une inspiration plus religieuse. Destinée à son neveu, l'Institutio puerilis en 1578 manifeste quels rapports constants existent entre sa profession et la création poétique.
Muret a eu les mérites du philologue, car il a aidé des générations d'élèves à aborder des textes aussi ardus que l'Éthique et la Politique d'Aristote, les œuvres de Sénèque, les Annales de Tacite.
Ses dons et son rayonnement personnel lui ont permis d'être un initiateur, et c'est à ce titre que ses talents ont été célébrés dès 1553 par les poètes de la Pléiade, par Dorat et par Ronsard, qui lui dédie sa traduction de quelques épigrammes grecques dans le Livret de Folastries. Muret avait consciemment collaboré à leur entreprise, comme le prouve la Préface latine de ses Juvenilia, éloge de leur commune tentative pour illustrer notre pays par l'imitation des Anciens. Françoise Joukovski

Sa vie

Marc Antoine Muret commence très jeune une carrière d’enseignant après avoir attiré, à l’âge de dix-huit ans, l’attention de Jules César Scaliger qui l’invite à parler au collège archiépiscopal d’Auch. Il enseigne ensuite le latin à Villeneuve-d’Agen, puis à Bordeaux dans les années 1547-48 où il a Montaigne comme étudiant. En 1546, on représente sa tragédie Iulius Cæsar au collège de Guyenne, à Bordeaux, rédaction en 1545. Il donna, avant 1552, une série de conférences à Paris, au collège de Boncourt. Il y attira un public important, y compris le roi Henri II de France et la reine. Il a pour élèves Rémy Belleau, Jean de La Taille, Étienne Jodelle ou encore Vauquelin de la Fresnaye, qui formeront bien vite la Brigade, future Pléiade, avec qui il prend part à la Pompe du bouc. Il se lie également d’amitié avec Dorat et certains de ses jeunes élèves comme Du Bellay et Baïf. Il est très proche de Ronsard, qui lui demande de rédiger un commentaire de ses poèmes, dont les obscures allusions mythologiques ou les néologismes tirés du grec et du latin ont dérouté nombre de lecteurs; ce commentaire, lui-même très érudit, est imprimé dans le recueil des Amours de 1553.
Cette même année 1553, il est emprisonné au Châtelet pour sodomie et hérésie. Il décide de se laisser mourir de faim puis est libéré grâce à l’intervention d’amis puissants. Une fois libre, il se rend à Toulouse où il étudie et enseigne le droit jusqu’à ce que les mêmes accusations qu’en 1553 soient portées contre lui l’année suivante. Il ne sauve sa vie qu’en s’enfuyant avec Ludovicus Memmius Frémiot, son amant du moment. On dit qu’il est prévenu de l’arrestation imminente qui l’attendait par un billet envoyé par un ami haut placé avec ce seul vers de Virgile: Oh, fuis cette terre cruelle, fuis le rivage amer ! Énéide, III, 44.
Les registres de la ville indiquent qu’il y est brûlé en effigie comme hérétique et sodomite. Obligé de fuir en Italie, il y mène durant plusieurs années une vie errante et incertaine à Padoue, Ferrare et Venise où il enseigne et prépare pour Paul Manuce plusieurs éditions de textes latins dont en particulier Térence.
Scaliger rapporte qu’ayant été trop proche de quelques-uns de ses étudiants, membres de nobles familles vénitiennes, il part pour Padoue en plein milieu de l’année universitaire. Là encore, de méchantes rumeurs le poursuivent jusqu’à ce que le cardinal Hippolyte d'Este l’invite à s’établir à Rome en 1559. En 1561, Muret revient en France comme membre de la suite du cardinal à la conférence de Poissy entre catholiques et protestants.
Installé à Rome en 1563, il y devient professeur à l’université La Sapienza ; il acquiert une réputation de niveau européen, par ses volumes de Variae lectiones comme par sa maîtrise de la rhétorique : il est souvent sollicité pour prononcer les discours d’obédience des princes à l’élection d’un nouveau pape, en particulier au nom du roi de France. En 1572, le pape lui accorde, pour ses mérites culturels, la nationalité romaine. Vers 1576, il est ordonné prêtre.
En 1578, le roi de Pologne lui offre un poste de professeur de jurisprudence à sa nouvelle université de Cracovie, mais le pape Grégoire XIII le convainc de rester à Rome où il enseigne sans interruption jusqu’en 1584. Il a réuni une importante bibliothèque de travail dont les imprimés constituent le noyau de la bibliothèque du Collegio romano et se trouvent aujourd’hui en grande partie à la Biblioteca nazionale centrale de Rome.

Experimentum in corpore vili

Plusieurs versions de la même anecdote raconte que Muret, une fois arrivé en Italie après sa fuite de France, épuisé par la marche, tomba malade. Pensant avoir affaire à un mendiant, les médecins qui l'auscultèrent discutèrent en latin de l'opportunité d'expérimenter sur ce cobaye un remède hasardeux. L'un d'eux proposa de faire "cette expérience sur un corps vil" : «faciamus in corpore vili». Selon une autre version, le médecin aurait parlé d'âme vile. En fonction des biographes, Muret « guéri par la peur», soit s'échappe, soit leur répond en latin : «cette âme que tu appelles vile, le Christ n'a pas daigné mourir pour elle». Grégoire Chamayou note les nombreux usages de l'expression, qui selon lui devient proverbiale, et que l'on retrouve chez Diderot ou chez Marx, et dans de nombreux textes consacrés aux expérimentations médicales.

Œuvres

Ad Gregorium XIII :P.M. Oratio habita nomine Karoli IX, Romae, 1573.
Ad Pium IIII Pont. Max. Oratio Antonii Borbonii Navarrorum Regis, et Joannae Albretiae Reginae, Principum Bearniae &c. nomine Habita Romae. M.D.LX, Dilingae, 1560.
Epistolae, hymni sacri, et poetmata omnia, Moguntiae, 1614.
Epistolarum liber : Cui accesserunt epistolae aliquot R. Turneri unacum epistola Julii Pogiani viri disertissimi de Ciceronis imitandi modo, Ingolstadt, 1584.
Hymni in B. Virginem Maria, s.l. 1600.
M. Antonii Mureti epistolae : Libellus lectu dignissimus nunc recens emendatiûs in lucem editus, Parisiis, Cloperau, 1580.
M. Antonii Mureti, Renati Pincaei, et Fed. Morelli nomismatographia, Lutetiae, 1614.
M.A. Mureti Iuuenilia, Bardi Pomeraniae, Ex officina principis, 1590.
Marci Antonii Mureti orationes quatuor : Antehac nunquam in Germania excusae ; ... Harum indicem aversa pagella continet, Ingolstadt, Sartorius, 1585.
Oraison prononcée par devant messieurs les Cardinaux lors qu’ils vouloyent entrer au conclave, Lyon, Benoit Rigaud, 1585.
Oratio de laudibus litterarum habita Romae in aede S. Eustachii XV. Nov. MDLXXIII, Romae, 1573.
Oratio habita ad ... Cardinales ipso die Paschae cum subrogandi Pontificis causa Conclaue ingressuri essent anno M.D. LXXXV, Rome, 1585.
Oratio habita Romae in fvnere Karoli IX Gallorum regis, Romae : Apud Haeredes Antonij Bladij Impressores Camerales, 1574.
Oratio in funere Pauli Foxii Archiepiscopi Tolosani oratoris ad Gregorium XIII. Pont. Max. Et ad sedem Apostolicam regij, habita Romae, ... MDLXXXIIII..
Orationes latinae virorum recentioris aetatis dissertissimorum Gaevii, Wyttenbachii, Mureti, Hemsterhusii, Facciolati, Ernesti, Chelucci, Bencii, Majoragii, Perpiniani, Palearii, Eichstadii, Freiburg : Groos, 1835.
Orationes, epistolae, hymnique sacri : Editio prioribus omnibus emendatior, et uno integro epistolarum praefationumque libro iam recens addito auctior, Ingolstadt, 1610.
Orationes, Ingolstadt, 1584.
Pontificum Rom. epistolae XXX saeculo XIII scriptae, Aonii Palearii epistolae XXV, M. Antonii Mureti et ad Muretum Pauli Manutii ... aliorumque virorum clariss. epistolae selectae, accesserunt graecorum scriptorum aliae nonnullae a Leone Allatio olim recensitae, omnes ex codd. mss. Bibliothecae collegii romani S.J. nunc primum editae, Rome, 1757-1758.
Trium disertissimorum virorum praefationes ac epistolae familiares aliquot, Muret, Lambini et Regii, Paris, 1578.

Éditions modernes

La Tragédie de Iulius Caesar, éd. Pierre Blanchard, Texte en latin et traduction française
Juvenilia, édition critique, traduction, annotation et commentaire par Virginie Leroux, Genève, Droz, 2009 Travaux d'Humanisme et Renaissance, 450.
Commentaires au premier livre des "Amours" de Ronsard, éd. Gisèle Mathieu-Castellani, Genève, Droz, 1985 Travaux d'Humanisme et Renaissance, 207.

Bibliographie

Charles Dejob, Marc Antoine Muret, un professeur français en Italie dans la seconde moitié du XVIe siècle, Paris, Ernest Thorin, 1881.
Jean-Eudes Girot, Marc Antoine Muret : des Isles fortunées au rivage romain, Genève, Droz, 2012 Travaux d'Humanisme et Renaissance
œuvre de fiction : Gérard Oberlé, Mémoires de Marc-Antoine Muret, Paris, Grasset et Fasquelle, 2009, 278 p.

Liens internes

Chronologie de la littérature française : Littérature française du Moyen Âge - xvie siècle – xviie siècle - xviiie siècle - xixe siècle - xxe siècle - xxie siècle
Liste d'écrivains de langue française par ordre chronologique


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Posté le : 11/04/2015 18:22
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Piétro Métastasio
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Le 12 Avril 1782 meurt Pietro Trapassi, dit Pietro Metastasio,

à Vienne en Autriche, connu aussi sous le nom de Métastase, né à Rome le 3 janvier 1698, librettiste d'opéra et poète italien.Métastase est sans doute le poète dont le style et les conceptions dramatiques ont le plus profondément marqué l'histoire de l'opéra. Issu d'un milieu modeste, il fut élevé dans la maison de son parrain, le cardinal Ottoboni, puis fut recueilli par le grand érudit Gian Vicenzo Gravina, qui transforma son nom, en l'hellénisant, de Trapassi en Metastasio. Il fut membre de l'Académie d'Arcadie, à Rome, puis alla s'établir à Naples, où il fréquenta le cercle du compositeur et pédagogue Porpora. C'est là qu'il écrivit son premier livret d'opéra Didone abbandonata 1724. Il se trouvait à nouveau à Rome lorsque la cour d'Autriche lui proposa l'une des fonctions les plus enviées de son temps : celle de poète impérial, comme successeur d'Apostolo Zeno. Il s'installa à Vienne en 1730 et ne quitta plus l'Autriche jusqu'à sa mort, en 1782.Mais cet enracinement dans un pays étranger ne doit pas faire illusion : Métastase n'écrivit jamais que dans sa langue maternelle, et sa volumineuse correspondance montre que c'est vers ses compatriotes en particulier le castrat Farinelli que restaient tournées ses sympathies.

En bref

Poète italien né à Rome. Improvisateur applaudi dès l'âge de dix ans, Métastase est remarqué par Gian Vincenzo Gravina 1664-1718, un des fondateurs de l'Académie de l'Arcadie, qui le prend sous sa protection, grécise son nom de Trapassi en Metastasio et lui donne une éducation classique. Il est ensuite confié, en Calabre, au philosophe cartésien Gregorio Caloprese. En 1718, son protecteur meurt, lui laissant sa fortune et sa bibliothèque. L'année suivante, Métastase travaille à Naples dans l'étude d'un avocat. Mais ses poésies lui concilient vite les grâces de la bonne société napolitaine. En 1721, à la requête du vice-roi, il compose Les Jardins des Hespérides Gli Orti Esperidi, qui marquent le début d'une longue série d'œuvres théâtrales : Didon abandonnée Didone abbandonata, 1724, son premier mélodrame, qui connaît un immense succès, Caton Catone in Utica, 1728, Artaxerxès Artaserse, 1730, Olympiade Olimpiade, 1733, La Clémence de Titus La Clemenza di Tito, 1734, Attilius Regulus, Attilio Regolo, 1740, pour ne citer que les plus célèbres de ses pièces. Il composa en outre, au cours de sa carrière féconde, un grand nombre de livrets d'oratorios et de cantates.
Les biographes de Métastase placent généralement sa vie sous le signe de trois Marianne. La première, la cantatrice Marianna Bulgarelli, dite la Romanina, qui joue le rôle de Vénus dans Les Jardins des Hespérides, s'éprend du jeune auteur, l'introduit dans le milieu des musiciens et le pousse vers le mélodrame, genre le plus conforme à son génie, sur lequel reposera le plus clair de sa renommée. C'est à la Romanina, qui est pendant des années son inspiratrice et son guide dévoué, qu'il doit d'être appelé, en 1729, à la cour de Vienne dont il deviendra le poète officiel. La seconde Marianne, veuve du comte d'Althann, est dame de compagnie de l'impératrice. L'affection qui la lie au poète, après la mort de la première Marianne en 1734, est telle que certains parleront d'un mariage secret. La troisième muse du poète sera la jeune Marianne Martinez, fille du maître de cérémonies de la nonciature apostolique, chez qui il loge. Il lui portera un amour tout paternel, assurera son éducation, lui faisant en particulier donner des leçons de piano par un musicien qui deviendra célèbre : Joseph Haydn.
Alliant une sensibilité affinée par une lecture assidue du Tasse à une exceptionnelle maîtrise de langage et de style forgée à l'école de Gravina et de Caloprese, l'art de Métastase est souvent mièvre, mais toujours d'une extrême aisance. On a dit de lui qu'il imaginait des tragédies plus qu'il ne les sentait et, effectivement, beaucoup de ses héros tragiques tournent au pathétisme larmoyant. Il n'en reste pas moins, par son style aux effets savamment dosés, par la musicalité et la frappe impeccable de ses vers, le poète à succès par excellence : il est celui qui a su, mieux que tout autre, couler dans un moule attrayant les lieux communs sentimentaux et les idées en vogue dans la bonne société.

Sa vie

De son vrai nom Pietro Antonio Domenico Bonaventura Trapassi, il naquit à Rome, où son père, Felice Trapassi, qui était originaire d'Assise, avait fait partie d'un régiment corse des armées de la papauté. Il avait épousé une jeune femme de Bologne, Francesca Galasti, et s'était installé à son propre compte comme épicier sur la Via dei Cappellari. Deux fils et deux filles étaient nés de cette union. Le fils aîné, Leopoldo, devait jouer un rôle important dans la carrière et la vie du poète.
On rapporte que Pietro, alors qu'il était encore enfant, attirait sur lui l'attention de foules de curieux en improvisant et en déclamant, à l'impromptu, des vers sur un sujet donné. C'est à l'une de ces occasions en 1709, que deux hommes importants s'arrêtèrent pour l'écouter. Il s'agissait de Giovanni Vincenzo Gravina, renommé pour son érudition juridique et littéraire autant que pour sa position supérieure au sein de l'Académie d'Arcadie, et de Stefano Lorenzini, un critique assez connu. Gravina fut séduit par les dons poétiques du jeune garçon et par son charme personnel ; il prit Pietro sous sa protection ; quelques semaines plus tard, il l'adopta. Felice s'estima heureux de pouvoir fournir à son fils une chance de recevoir une éducation de qualité et une introduction dans la haute société.
Gravina hellénisa le nom de Pietro Trapassi en son équivalent grec Metastasio Métastase et voulut faire de son fils adoptif un juriste, comme lui-même. Dans ce but, il lui fit apprendre le latin et commencer des études juridiques. Dans le même temps, il encouragea ses dons littéraires et produisit le jeune prodige en privé et dans les salons romains. Métastase se trouva bientôt confronté aux plus célèbres improvisateurs de toute l'Italie. Les journées passées à des études contraignantes et les soirées passées à improviser jusqu'à quatre-vingts strophes dans la même séance eurent tôt fait de compromettre la santé de Pietro et d'épuiser ses dons poétiques. À cette époque, Gravina dut se rendre en Calabre pour affaires. Il emmena Métastase avec lui, le produisit dans les cercles littéraires napolitains et le confia à la garde de son patron Gregorio Caroprese à Scalea. Le climat favorable et le calme de la côte méridionale eurent une influence bénéfique sur sa santé. Gravina décida alors de le dispenser d'improvisations mais de lui faire consacrer ses efforts à des tâches plus nobles de telle sorte que, son éducation terminée, il soit à même de se mesurer aux plus grands poètes.

Métastase répondit à cette attente. À l'âge de douze ans, il traduisit l'Iliade en strophes de huit vers et, deux ans plus tard, il composa une tragédie, dans le style de Sénèque, sur un sujet tiré de l'épopée favorite de Gravina, Italia liberata de Gian Giorgio Trissino. Son titre était Giustino et Gravina la fit imprimer en 1713 ; mais l'action en était ennuyeuse et 42 ans plus tard, Métastase demanda à son éditeur, Calzabigi, de la retirer de son catalogue. Caroprese mourut en 1714, faisant de Gravina son héritier. Ce dernier mourut lui-même en 1718 et Métastase hérita de sa fortune, soit 15 000 écus d'or. Lors d'une séance de l'Académie d'Arcadie, il récita une élégie sur son bienfaiteur, puis il se disposa à vivre sans soucis de sa fortune.
Il avait atteint l'âge de 20 ans. Pendant les quatre années précédentes, il avait porté la tonsure, ayant été admis dans les ordres mineurs sans quoi toute tentative de progression sociale était vaine dans la Rome de la papauté. Son histoire romanesque, sa beauté corporelle, ses bonnes manières et ses talents distingués en firent une relation recherchée. En l'espace de deux années, il avait dilapidé sa fortune et accru sa célébrité. Il décida alors de se consacrer tout de bon à son métier. À Naples, il fut embauché par un éminent juriste nommé Castagnola qui surveilla étroitement son activité.
En 1721, tout en travaillant dans le domaine juridique, Métastase composa un épithalame et ce qui est probablement sa première sérénade mise en musique, Endimione, à l'occasion du mariage de sa protectrice, la princesse Pinelli di Sangro, avec le marquis Belmonte Pignatelli. En 1722, l'anniversaire de l'impératrice devait être fêté d'une façon particulièrement solennelle et le vice-roi de Naples chargea Métastase de composer une sérénade pour l'occasion. Il accepta cette demande mais il fut convenu que l'auteur devait en rester anonyme. Sous cette condition, Métastase composa Gli orti esperidi, Les Jardins des Hespérides. Mis en musique par Nicola Porpora et chanté par son élève le castrat Farinelli, qui faisait alors des débuts éblouissants, il remporta un succès considérable. La grande prima donna romaine, Marianna Bulgarelli, dite la Romanina d'après sa ville natale, y avait tenu le rôle de la déesse Vénus ; elle n'eut de cesse de découvrir qui était l'auteur et y parvint.
Elle persuada Métastase d'abandonner la carrière juridique et lui promit d'assurer son renom et son indépendance financière s'il se consacrait dorénavant au drame lyrique. Installé chez la Romanina, Métastase lia connaissance avec les plus grands compositeur de son temps : Porpora qui lui assura une formation musicale, mais aussi Hasse, Pergolèse, Alessandro Scarlatti, Vinci, Leo, Durante et Marcello.
Tous devaient par la suite mettre ses œuvres en musique. Dans le même cénacle, il apprit l'art du chant, et se familiarisa avec le style de gens tels que Farinelli. Extraordinairement doué pour la composition, et doué d'une véritable sensibilité poétique il n'eut aucune difficulté à produire des œuvres d'une grande qualité littéraire intrinsèque qui devenaient des chefs-d'œuvre musicaux lorsqu'elles étaient mises en musique et chantées par les chanteurs extraordinaires formés à cette école vocale sans équivalent ni précédent.
La lecture seule des œuvres de Métastase ne permet pas de juger complètement leur qualité. Mais les conventions de ses intrigues, l'absurdité de certaines des situations mises en scène, les libertés prises avec la vérité historique de certains de ses personnages, la répétitivité parfois lassante du thème de l'amour dans tous ses développements s'explique et se justifie par les nécessités de la mise en musique.
Métastase vivait à Rome chez la Romanina et son mari. La cantatrice l'adopta de façon encore plus passionnée que ne l'avait fait Gravina, mue qu'elle était à la fois par une affection semi-maternelle semi-amoureuse et par une véritable admiration d'artiste pour des talents si exceptionnels. Elle accueillit chez elle toute la famille Trapassi - père, mère, frère et sœurs. Elle flattait le génie du poète et lui passait tous ses caprices. Sous son influence bénéfique, il composa coup sur coup Didone abbandonata, Catone in Utica, Ezio, Alessandro nell' Indie, Semiramide riconosciuta, Siroe et Artaserse. Ces drames lyriques furent mis en musique par les principaux compositeurs contemporains et produits sur les principales scènes d'Italie.
Cependant la Romanina prenait de l'âge et cessa de chanter en public ; le poète se sentait de plus en plus dépendant de son amabilité à son égard, ce qui lui pesa. Il touchait 300 écus pour chacun de ses livrets d'opéra, ce qui était appréciable mais représentait des ressources précaires et il se mit à rechercher une place stable. C'est ainsi qu'en septembre 1729, il reçut une offre de devenir poète officiel pour le théâtre de Vienne avec 3 000 florins d'émoluments. Il l'accepta tout de suite. De façon très désintéressée, la Romanina le laissa partir, continuant à prendre en charge sa famille à Rome ; lui-même partit pour l'Autriche.
Au début de l'été 1730, il s'installa à Vienne dans la demeure d'un Espagnol de Naples chez qui il continua à résider jusqu'à sa mort. Cette date est charnière dans son activité artistique. Entre 1730 et 1740 furent représentés au théâtre impérial ses plus beaux drames lyriques : Adriano, Demetrio, Issipile, Demofoonte, Olimpiade, Clemenza di Tito, Achille in Sciro, Temistocle et Attilio Regolo. Certaines de ces œuvres durent être écrites pour des occasions particulières, dans des délais incroyablement courts : Achille en 18 jours, et Ipermestra en 9 jours seulement. Le poète, le compositeur, le copiste musical et les chanteurs devaient travailler ensemble de façon frénétique. Métastase maîtrisait son art dans les moindres détails. L'expérience acquise à Naples et à Rome, jointe à l'excitation de sa nouvelle carrière à Vienne lui permettait de satisfaire exactement et de façon presque instinctive - comme s'il se fût agi d'une pure inspiration - aux exigences et aux poncifs de l'opéra.
À Vienne, Métastase n'avait pas une vie sociale très brillante. Son origine humble l'excluait des cercles de l'aristocratie, cependant qu'il enseigna l'italien à la jeune Archiduchesse Marie-Antoinette. Une certaine compensation lui fut offerte par la fréquentation de la comtesse Althann, belle-sœur de son ancienne bienfaitrice, la princesse Belmonte Pignatelli. Elle était veuve et avait pendant quelque temps été la favorite de l'empereur. Sa liaison avec Métastase fut si intime qu'on pensa qu'il se marièrent secrètement.
La Romanina regrettait maintenant sa retraite et lui demanda d'obtenir pour elle un contrat au théâtre de la cour impériale. Il en eut honte pour elle et, lassé de ses demandes, tenta de la dissuader de venir le voir. Le ton des lettres qu'il lui envoya lui inspira déception et même colère. Il semble qu'elle se soit préparée à quitter Rome mais qu'elle mourut sur ces entrefaits. Les détails manquent. Toujours est-il qu'elle faisait de lui l'héritier futur de sa fortune personnelle lorsque son mari décéderait. Et Métastase, rongé de douleur et de remords, renonça volontairement à cet héritage. Cet acte désintéressé fut préjudiciable à sa famille qui était restée à Rome. En effet, le veuf se remaria : Leopoldo Trapassi, ses parents et ses sœurs furent renvoyés de chez lui et durent subvenir à leurs besoins par eux-mêmes.
Les années passant, la vie que Métastase menait à Vienne et le climat minèrent sa santé et son moral. À compter de 1745, environ, il commença à ne plus guère écrire, même si les cantates qui sont de cette période et si la canzonetta Ecco quel fiero istante qu'il dédia à son ami Farinelli sont parmi les meilleures et les plus populaires de ses œuvres. Il devint évident qu'il dépérissait d'ennui au mental comme au moral. En 1755, la comtesse Althann mourut, et Métastase n'eut plus pour relations que les quelques habitués qui fréquentaient la demeure bourgeoise de Martinez. Il sombra rapidement dans une certaine sénilité et dans une oisiveté presque complète bien qu'il vécût encore de longues années jusqu'en 1782. Il légua la totalité de sa fortune, environ 130 000 florins aux cinq enfants de son ami Martinez. En effet, il avait survécu à tous les membres de sa propre famille.

Style et influences

Pendant les quarante ans qu'il vécut après sa carrière originale et créative, sa renommée continua à croître. Dans sa bibliothèque, il ne possédait pas moins de 40 éditions de ses œuvres complètes. Elles avaient été traduites dans de nombreuses langues, français, anglais, allemand, espagnol et même en grec moderne. Elles avaient été mises et remises en musique par tous les compositeurs de quelque notoriété, chacun de ses livrets recevant cet honneur, tour à tour, des artistes européens les plus illustres. Ils avaient été chantées par les meilleurs chanteurs dans chaque capitale et il n'y avait pas une société académique de quelque importance qui ne considérât comme un honneur de l'avoir parmi ses membres. Les visiteurs étrangers importants de passage à Vienne voulaient tous rencontrer le vieux poète dans ses appartements de la ruelle du Marché au Charbon Kohlmarkt Gasse.
Mais son style convenait à une certaine musique - celle de l'opera seria, des virtuoses de la vocalise, des sopranos dramatiques. Et avec les évolutions qui affectèrent le drame musical, notamment l'arrivée en scène de Gluck et Mozart, le développement de l'orchestration, et la mode du style germanique, qui se répandait rapidement, nécessitaient des livrets d'une facture différente. Les œuvres de Métastase tombèrent dans un oubli qu'elles ne méritaient pas, de même que la musique qui les accompagnait. Farinelli, considéré par lui comme un alter ego, personnifiait en quelque sorte sa poésie et avec la disparition des castrats, la musique de Métastase s'évanouit. Les deux hommes étaient vraiment liés d'instinct par leurs talents complémentaires.

Le langage de Métastase

Le drame musical que Métastase avait servi en y mettant tout son génie, et où il avait trouvé de quoi l'exercer, passa tellement de mode qu'il est à présent difficile d'assigner sa juste place à ce poète dans l'histoire de la poésie italienne. Son inspiration faisait la part belle à l'émotion et au lyrisme. Les principales situations dramatiques sont exprimées par des airs à deux ou trois voix qui personnifient les passions contraires propres à entrer en conflit selon le déroulement de l'action. Le résultat n'est pas de pure expression littéraire, mais d'une expression admirablement adaptée au langage musical. La langue de Métastase est remarquablement pure et claire. Parmi les poètes italiens, il avait une particulière prédilection pour Le Tasse et pour Giambattista Marino. Mais il évitait les tournures de ce dernier et ne surpassait pas le premier quant au raffinement et à la richesse de la langue. Son style personnel est marqué par son aptitude à improviser. Parmi les Latins, il étudia Ovide avec beaucoup de plaisir et cet auteur a pu avoir une influence sur son propre style. Pour la régularité de la versification, la limpidité du langage, la délicatesse de sentiment, les situations romantiques rendues dans le style le plus simple et pour une certaine beauté des images qui frôle parfois le sublime, il reste un des meilleurs poètes qui ait illustré la langue italienne.

Postérité de l'oeuvre

La postérité de ses œuvres dramatiques, elle, s'étendit à tout le monde occidental : à peine un de ses livrets d'opéra ou d'oratorio avait-il été mis en musique pour la plupart à Rome, puis à Vienne qu'il se propageait dans tous les grands théâtres d'Europe, de Palerme à Stockholm, de Lisbonne à Londres et à Saint-Pétersbourg ­ à l'exception de la France. Cette vogue se poursuivit en plein XIXe siècle, avec, par exemple, la Semiramide de Meyerbeer Turin, 1819, ou l'Ipermestra de Mercadante Naples, 1825. L'esthétique de l'opéra métastasien procède de l'Académie d'Arcadie, qui fleurit à Rome à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. En réaction contre le mélange des genres, qui caractérisait en particulier l'opéra vénitien, les arcadiens préconisèrent une intrigue plus dépouillée, à l'exemple de la tragédie classique française.
Les 27 livrets d'opéra de Métastase sont presque tous tirés de l'Antiquité gréco-romaine et représentent les traditionnels conflits entre l'amour et le devoir, l'ambition politique et le respect d'autrui, entre la haine et la vertu du pardon. L'éventail formel de l'opéra s'y réduit à sa plus simple expression : l'alternance entre l'air et le récitatif, avec un ensemble à la fin de chaque acte. Mais la richesse des images poétiques et une répartition harmonieuse des mots clefs font des textes de Métastase le support idéal d'un style musical lui aussi chargé de rhétorique. Parmi la première génération de compositeurs qui illustrèrent ses livrets, citons Vinci Didone abbandonata, 1726, Hasse Artaserse, 1730, Pergolèse Olimpiade, 1735. L'adéquation des livrets aux exigences des compositeurs diminue avec une nouvelle génération de musiciens, au premier rang desquels Traetta, Galuppi, Jommelli et Piccinni. Il devient alors de plus en plus fréquent de retoucher les textes de Métastase, par exemple en les réduisant de 3 à 2 actes et en y ajoutant des ensembles Il Re pastore de Mozart, 1775 et des chœurs La Clemenza di Tito de Mozart, 1791.

Éditions de l'œuvre

Il y eut de très nombreuses éditions de ses œuvres. Il aimait particulièrement celle de Calzabigi, éditée en 1755 à Paris en 5 volumes in octavo sous sa propre supervision. Les œuvres posthumes furent imprimées à Vienne en 1795. La vie de Métastase a été relatée par Aluigi, Assise, 1783, par Charles Burney, Londres, 1796, par Stendhal Paris, 1814 et par d'autres.


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Posté le : 11/04/2015 17:45
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Jacques-Bégnine Bossuet
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Le 12 avril 1704 meurt à 76 ans, à Paris, Jacques-Bénigne Bossuet

surnommé parfois l'Aigle de Meaux, né le 27 septembre 1627 à Dijon en France était un homme d'Église, Évêque de Meaux, prédicateur et écrivain français, précepteur royal et écrivain, il est fait membre de l'Académie française. Certains voient en lui le plus grand orateur peut-être que le monde ait connu.
Bossuet est comme un homme du Moyen Âge planté au cœur d'un siècle de crises qui s'ouvre, dès 1598, avec le traité de Vervins et la mort de Philippe II, et s'achève, en 1715, avec la mort de Louis XIV. Son intelligence exceptionnelle et sa foi inébranlable sont tout au service de l'ordre établi, de la tradition religieuse, de la plus rigoureuse orthodoxie. Une seule haine anime l'Aigle de Meaux, celle de l'excès en toutes choses. Le moindre paradoxe n'est pas qu'il se soit laissé lui aussi entraîner à des extrémités dans son souci de défendre efficacement les intérêts de l'Église de Dieu. Sa clairvoyance politique lui permet de déceler, comme d'instinct, le danger que représentent, pour l'« uniformité des conduites » chère à Richelieu, les synthèses nouvelles que proposent bon nombre de ses contemporains illustres : Rubens et Rembrandt, Descartes et Pascal, Spinoza et Richard Simon, Leibniz, Fénelon. Le baroque, le doute méthodique, le jansénisme, la critique appliquée à l'Écriture, un œcuménisme qui effacerait bien Trente, le mysticisme, qui est recherche d'une impossible perfection, manifestent et provoquent une dangereuse diversité d'opinions, l'irrégularité des mœurs, d'un mot, le désordre dans la vie courante des fidèles. À ses yeux, ce n'est pas un hasard si le Grand Condé est à la fois ce libertin lettré qui accepte de rencontrer Spinoza et un opposant à la monarchie absolue, pas un hasard si une certaine morale aristocratique se nourrit de baroque, pactise avec la jeune science et pousse à la révolte, pas un hasard si la littérature sert de véhicule aux contestations nouvelles.

En bref

Né à Dijon, Jacques Bénigne Bossuet appartient à une famille de hauts magistrats qui s'était signalée, dans les troubles de l'époque précédente, par sa fidélité à la royauté. Il fit ses études secondaires au collège des Jésuites de sa ville natale. Destiné de bonne heure à la carrière ecclésiastique, tonsuré à huit ans, pourvu d'un canonicat à treize, il effectua des études supérieures à Paris, au collège de Navarre (1642-1652). Outre une formation théologique, biblique et patristique, il acquit dans la capitale la connaissance du monde, salons, cercles érudits, et il fut profondément influencé par le milieu lazariste animé par saint Vincent de Paul.
Une fois prêtre et docteur, il décida de s'installer à Metz, dont il était chanoine. Il déploya, dans cette région fortement marquée par les guerres et où les polémiques religieuses étaient vives, une intense activité dans trois directions : prédication, activité charitable dans la ligne de Vincent de Paul, controverse avec les protestants et les israélites.
À partir de 1656, il fit des séjours de plus en plus fréquents et longs à Paris, où il s'imposa comme prédicateur. En 1660, son renom était déjà assez grand pour qu'on lui demandât de prêcher le carême au couvent des Minimes de la place Royale, alors fort à la mode ; l'année suivante, il le prêcha au Grand Carmel, et en 1662 au Louvre, devant Louis XIV. Il continua sa carrière de prédicateur jusqu'en 1670, revenant à diverses reprises à la Cour, sans toutefois faire jamais figure de courtisan il lui arriva d'ailleurs de déplaire au roi, et sans faire de la prédication son unique, ni même sa principale activité. Les questions théologiques prirent toujours une grande partie de son temps, notamment la controverse avec les protestants ; il contribua à décider Turenne à abjurer le protestantisme, ce dont le roi lui sut gré. En 1669, il devint évêque de Condom.
Il se démit bientôt de cette fonction, ayant été nommé en 1670 précepteur du Dauphin, alors âgé de neuf ans. Dès lors, et jusqu'au mariage de son élève (1680), il vécut à la cour, consacrant la plus grande partie de son temps à son enseignement, et se trouvant souvent mêlé à la vie de la famille royale, c'est ainsi qu'en 1675 il s'efforça de séparer le roi de Mme de Montespan. Il écrivait, pour le Dauphin, des ouvrages pédagogiques dont les plus connus sont le Discours sur l'histoire universelle, la Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte et le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même. Il consacrait ses rares loisirs à l'érudition et à la controverse ; en 1679, le pape approuva son Exposition de la doctrine de l'Église catholique sur les matières de controverse, publiée en 1671.
En 1681, il fut nommé évêque de Meaux, et il le resta jusqu'à sa mort. Il se consacra à l'administration de son diocèse, ainsi qu'à la prédication, tant à Meaux que dans les villages environnants. Mais il continua de jouer un rôle sur le plan national, moins par sa prédication (ses oraisons funèbres furent admirées, mais très peu nombreuses que par ses interventions remarquées dans les querelles ecclésiastiques ou théologiques de l'époque. Ce fut d'abord l'affaire du gallicanisme : il rédigea la fameuse Déclaration des Quatre Articles, souscrite en 1682 par l'Assemblée du clergé, et il eut fort à faire ensuite pour défendre cette déclaration. Ce fut également la controverse antiprotestante, rendue plus âpre et plus délicate par la révocation de l'édit de Nantes 1685 ; elle lui inspira une série d'ouvrages dont le plus connu est l'Histoire des variations des Églises protestantes. Il y eut encore la condamnation du théâtre Maximes et réflexions sur la comédie, la lutte contre l'exégète Richard Simon, les interventions dans l'affaire janséniste. Mais la polémique la plus dure, et celle où se marqua le mieux l'intransigeance de Bossuet vieillissant, fut celle qui, dans les années 1696-1699, l'opposa à Fénelon à propos du quiétisme ; il écrivit à cette occasion un grand nombre d'ouvrages et d'opuscules dont les principaux sont l'Instruction sur les états d'oraison et la Relation sur le quiétisme ; elle s'acheva par la condamnation à Rome de l'Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, de Fénelon.

Sa vie

Originaire d'une famille de magistrats, il fit ses études secondaires au collège des Jésuites de Dijon, qui lui donnèrent une éducation classique et un goût pour les langues anciennes apprentissage du grec et du latin. À 15 ans il vient à Paris pour y poursuivre ses études au collège de Navarre, où il eut pour maître Nicolas Cornet. Il y étudia en profondeur la philosophie et la théologie. Bien que destiné au sacerdoce, il fréquenta pour quelque temps un milieu mondain: Corneille ne lui déplaisait pas, il s'adonnait à l'écriture de vers précieux et ne dénigrait pas l'Hôtel de Rambouillet.
Ordonné sous-diacre à Langres en 1648, il fit l'expérience d'une conversion religieuse et abandonna sa vie mondaine. C'est l'époque de sa Méditation sur la Brièveté de la Vie, qui porte les traces de ses futurs ouvrages. La même année, il exposa le principal de ses idées sur le rôle de la Providence, dans sa Méditation sur la félicité des saints. En 1652, reçu docteur en théologie, il est ordonné prêtre et devient l'archidiacre de Sarrebourg dans le même temps, puis, en 1654, celui de Metz.

Les sermons

Souvent appelé à Paris, il commença à s'y faire une grande réputation pour ses sermons et ses panégyriques de saints. Il prêcha un Avent et un Carême devant la reine-mère et devant le roi, et opéra parmi les Protestants un grand nombre de conversions, parmi lesquelles on cite celles de Turenne et de sa nièce Mademoiselle de Duras, de Dangeau. C'est pour aider ces nouveaux catholiques qu'il rédigea son Exposition de la doctrine de l'Église. Bossuet subit plusieurs influences : celles du jésuite Claude de Lingendes, des jansénistes Saint-Cyran et Singlin, et celle plus remarquable de saint Vincent de Paul. Ce dernier tenait, à l'église Saint-Lazare, des conférences sur la prédication, auxquelles Bossuet assistait. Son éloquence en fut marquée, elle se fit plus proche et plus simple.
La plupart de ses discours improvisés sont perdus. Quelques heures avant de monter en chaire, il méditait son texte, jetait sur le papier quelques notes et paroles du Christ, quelques passages des Pères, pour guider sa marche. Quelquefois il dictait rapidement de plus longs morceaux, puis se livrait à l'inspiration du moment, et s'étonnait de l'impression qu'il produisait sur ses auditeurs.
Il nous est parvenu quelque deux cents des cinq ou six cents sermons prononcés, car Bossuet ne les considérait pas comme des œuvres littéraires dignes d'être imprimées. C'est à la fin du xviiie siècle que certains sermons furent conservés, grâce au travail de Dom Deforis. Cependant, ce ne sont en réalité que des brouillons, alourdis par les ratures et les variantes, et qui ne nous offrent qu'une idée approximative de sa prédication.

Évêque de Condom

Le 21 septembre 1670, Charles-Maurice Le Tellier devenu archevêque de Reims, consacre, avec l'assentiment du Pape, Jacques Bénigne Bossuet comme évêque de Condom Gers, en l’église des Cordeliers à Pontoise ; mais l'année suivante il renonce à ce poste et devient le précepteur du Dauphin, fils de Louis XIV. Le Roi lui donne le Prieuré du Plessis-Grimoult.

Oraisons funèbres Oraisons funèbres de Bossuet.

Cette même année et les suivantes, il prononça plusieurs Oraisons funèbres dans lesquelles il fait sentir avec ampleur et musicalité le néant des grandeurs humaines. Il prononça en 1669 l'oraison funèbre de Henriette de France, reine d'Angleterre puis neuf mois plus tard celle de sa fille, Madame, Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans, belle-sœur du roi, décédée subitement à l'âge de 26 ans, et dont l'oraison funèbre …Madame se meurt, Madame est morte… est la plus fameuse et en 1683 celle de la reine Marie-Thérèse d'Autriche. Les oraisons funèbres ne sont qu'au nombre de douze ; ce sont des chefs-d'œuvre d'éloquence, sans modèle depuis l'Antiquité.

Précepteur du Dauphin

Il devient précepteur du dauphin Louis de France, le fils du roi Louis XIV et de Marie-Thérèse en septembre 1670 mais l'éloquence du prélat est peu faite pour un enfant de 10 ans et le dauphin avouera [réf. souhaitée] plus tard que ses différents précepteurs l'ont dégoûté à jamais de tout effort intellectuel. Il terminera cette mission en mars 1680, date du mariage de son élève avec Marie-Anne de Bavière.
En 1681, Bossuet écrit son Discours sur l'histoire universelle dans lequel, après avoir présenté un résumé rapide des évènements, il en cherche la raison dans les desseins de Dieu sur son Église. Il y mêle Providence et référence à des sources, aussi bien la Bible et les docteurs de l’Église que les auteurs gréco-latins, comme Hérodote. On fut étonné, dit Voltaire, de cette force majestueuse avec laquelle il a décrit les mœurs, le gouvernement, l'accroissement et la chute des grands empires, et de ces traits rapides d'une vérité énergique, dont il peint et juge les nations. Pour le Dauphin, il écrivit aussi le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, dans lequel il suit en général la doctrine de René Descartes, et se montre aussi profond philosophe qu'écrivain.
Bossuet s'était réservé l'enseignement de l'histoire, qu'il considérait comme fondamental pour la formation du prince. Pendant près de dix ans, il raconta au dauphin l'histoire des rois qui s'étaient succédé à la tête du royaume, en tirant de ce récit des enseignements politiques, psychologiques et moraux ; le récit fut mené jusqu'au règne de Charles IX. Le dauphin devait résumer oralement la leçon, puis la rédiger en français et la mettre en latin5 sur des cahiers qui ont été conservés6.
Il écrivit lui-même les livres de classe pour son royal élève.
Il est élu membre de l'Académie française en 1671.

Évêque de Meaux

Le monument de Jacques Bénigne Bossuet 1627-1704, évêque de Meaux de 1681 à 1704, par Ernest Henri Dubois 1863-1930, placé dans la Cathédrale Saint-Étienne de Meaux en 1911.
En 1681, lorsque l'éducation du dauphin fut achevée, il fut nommé évêque de Meaux, d'où la périphrase l'Aigle de Meaux, parfois utilisée pour le désigner et se livra dès lors aux soins de l'épiscopat, fit de fréquentes prédications, rédigea le célèbre Catéchisme de Meaux en 1687 et composa pour des religieuses de son diocèse les Méditations sur l'Évangile et les Élévations sur les Mystères.
À cette activité épiscopale il joignait une œuvre de théologien et ne dédaignait les controverses avec les protestants. Il publia notamment l'Histoire des variations des églises protestantes en 1688. Le ministre protestant Pierre Jurieu ayant répondu à cet ouvrage, Bossuet publie les Avertissements aux protestants sur les lettres du ministre Jurieu contre l'Histoire des variations. Dans le cinquième de ces Avertissements, il nie la thèse du contrat explicite ou implicite entre le prince et ses sujets, que soutenait Jurieu, et formule la phrase célèbre : De condamner cet état l'esclavage, ce serait non seulement condamner le droit des gens, où la servitude est admise, comme il paraît par toutes les lois ; mais ce serait condamner le Saint-Esprit, qui ordonne aux esclaves, par la bouche de saint Paul8, de demeurer en leur état, et n'oblige point leurs maîtres à les affranchir, phrase que Flaubert fera figurer dans son Sottisier.

Rôle dans l'assemblée du clergé de France

Dans l'assemblée du clergé de 1682, à l'occasion des démêlés entre le roi et le pape, il fut l'auteur de la déclaration sur les libertés de l'Église en France en 1682, qui fixait les limites du pouvoir du Pape, et rédigea les Quatre articles de 1682 qui sont demeurés une loi de l'état et qui ont donné lieu à de vives discussions. Le pape en fut très irrité et les fit brûler.
Cette déclaration du clergé de France, plus communément appelée Déclaration des quatre articles, fixe jusqu’à la fin de l’Ancien Régime la doctrine des libertés de l’Église gallicane. Elle aura une énorme influence sur l’histoire de l’Église de France, prédisposant aux futures réformes religieuses des Constituants dans la Constitution civile du clergé de 1790.
Monseigneur François de Caulet est l'un des deux évêques, avec celui d’Alet, qui se sont opposés à la politique gallicane de Louis XIV, qui culminera avec la Déclaration des quatre articles rédigée largement sous l'égide de Bossuet. Ces deux évêques semblaient d’obédience janséniste, mais dans ce contexte précis, il y a eu convergence d'intérêt avec Rome, ce qui fait de Caulet et, après la mort de celui-ci en 1680, de son vicaire Antoine Charlas, des ultramontains avant la lettre - ce terme n'existe pas au XVIIe siècle, mais la réalité qu'il recouvre existe bel et bien.

La lutte contre le quiétisme

Bossuet se trouva par là en lutte avec Fénelon, disciple de Madame Guyon, accusée de quiétisme : il poursuivit son adversaire à la fois auprès du roi, qui disgracia et exila l'évêque de Cambrai, et auprès du pape, qui, pour faire plaisir à Louis XIV condamna les Maximes des Saints où Fénelon soutenait la doctrine de l'amour de Dieu pour lui-même, sans aucun mélange de cette crainte que les théologiens appellent servile. Bossuet utilisa tous les moyens possibles pour discréditer à la fois Fénelon et Madame Guyon, enfermée à la Bastille pendant cinq années. Il soutenait que la dévotion, toujours raisonnable, doit passer par l'autorité temporelle, alors que Madame Guyon enseignait un chemin direct de coeur à coeur. Les accusations de quiétisme étaient sans fondement, elle ne connaissait pas Molinos ni son oeuvre. Le quiétisme a été un prétexte dont les ressorts étaient bien plutôt des luttes d'influence et le fait que Fénelon était le précepteur du duc de Bourgogne.
Après une lente et douloureuse agonie, Bossuet mourut à Paris le 12 avril 1704 de la maladie de la pierre. L'autopsie eut lieu le lendemain. On trouva dans sa vessie qui était toute gâtée, une pierre grosse comme un œuf écrit l'abbé Ledieu.

Position vis-à-vis des juifs

Bossuet a eu dans certains de ses sermons des paroles très dures vis-à-vis des juifs, comme en témoigne ce bref passage, souvent cité :
C'était le plus grand de tous les crimes : crime jusqu'alors inouï, c'est-à-dire le déicide, qui aussi a donné lieu à une vengeance dont le monde n'avait vu encore aucun exemple... Les ruines de Jérusalem encore toutes fumantes du feu de la colère divine …. Ô redoutable fureur de Dieu, qui anéantis tout ce que tu frappes ! …] Ce n'était pas seulement les habitants de Jérusalem, c'était tous les juifs que vous vouliez châtier, au moment où l'empereur Titus a mis le siège devant la ville, les juifs s'y trouvaient en foule pour célébrer la Pâque. … Cependant l'endurcissement des juifs, voulu par Dieu, les fit tellement opiniâtres, qu'après tant de désastres il fallut encore prendre leur ville de force …. Il fallait à la justice divine un nombre infini de victimes ; elle voulait voir onze cent mille hommes couchés sur la place … et après cela encore, poursuivant les restes de cette nation déloyale, il les a dispersés par toute la terre.
Selon Jules Isaac, qui cite cet extrait, Notons que, par les soins d'Alfred Rébelliau, membre de l'Institut, ces textes ont été choisis pour figurer dans la collection des classiques français la plus répandue dans nos lycées et collèges. Menahem Macina estime que Jules Isaac fait sans doute allusion à Alfred Rébelliau, Bossuet, Hachette, Paris, 1919, ouvrage publié dans la collection Les grands écrivains français. Ce texte faisait partie des auteurs du programme.

Richesse et variété d'une œuvre

Bossuet fait front de tout son être. Sollicité ou non, il intervient. N'est-il pas devenu le chef moral de l'Église de France ? Pourtant, il ne s'est jamais assigné qu'une seule tâche : rendre perceptible à l'esprit de tous les hommes l'éternelle vérité de l'Église, gardienne d'un dépôt auquel il convient de ne rien ajouter ni retrancher. Avec fierté, il déclare ne tenir aucune opinion particulière. Seule l'Église catholique, Bible et Pères, Écriture et Tradition indissociables, arrache à l'illogisme et au chaos. À jamais, elle est source de l'unique vérité. « Tout son travail, écrit-il en des mots qui livrent le secret de ses innombrables combats, est de polir les choses qui lui ont été anciennement données, de confirmer celles qui ont été suffisamment expliquées, de garder celles qui ont été confirmées et définies. »
Une aussi belle assurance force le respect. Mais la position est intenable. La révolution, littéraire, artistique, philosophique, scientifique et religieuse tout à la fois, fera son chemin. Malgré l'habileté du pouvoir, l'inertie d'une Université qu'on a pu qualifier de « cendrillon de l'Église » et malgré Bossuet. Tout, en Occident, évoluera vers plus d'indépendance dans les divers domaines du goût et de la pensée. La gigantesque fresque que l'Aigle de Meaux, serein philosophe de l'histoire, proposait à son royal disciple apparaîtra bien vide de sens aux contemporains de Diderot. Par une cruelle ironie du sort, Bossuet a indirectement travaillé à hâter la formation de ce christianisme simplifié, réduit à un pâle symbolisme qui deviendra, au XIXe siècle, la secrète religion de tant d'incrédules pieux.

Œuvre oratoire

L'œuvre oratoire publiée par Bossuet est très restreinte : six oraisons funèbres échelonnées de 1669 à 1687 (Henriette de France, Henriette d'Angleterre, Marie-Thérèse d'Autriche, Anne de Gonzague, Michel Le Tellier, Condé) et un seul sermon (Sermon prêché à l'ouverture de l'Assemblée générale du clergé de France, appelé parfois Sermon sur l'unité de l'Église, 1681). Mais un nombre considérable d'autres discours (surtout des sermons et des panégyriques de saints) ont pu être publiés d'après les manuscrits, sinon tels qu'ils furent prononcés, du moins tels qu'ils apparaissent d'après les notes préparées par l'orateur.
La meilleure édition des Œuvres oratoires est l'édition Lebarq-Urbain-Lévesque (7 vol., 1914-1926) ; pour les Oraisons funèbres, on pourra recourir à l'édition Truchet 1961.

Œuvre non oratoire

L'œuvre non oratoire est fort abondante, tant en latin qu'en français. Il ne saurait être question d'en dresser ici un inventaire complet, pour lequel nous renvoyons à la dernière en date des éditions des Œuvres complètes Lachat, 31 vol., Paris, 1861-1864. Voici seulement un rappel des principaux titres avec, éventuellement, l'indication des éditions critiques récentes :
Ouvrages écrits pour l'instruction du Dauphin : Discours sur l'histoire universelle 1681, Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même posthum, Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte posthume ; édition critique par Le Brun, 1967.
Controverse antiprotestante : Exposition de la doctrine de l'Église catholique sur les matières de controverse 1671, Histoire des variations des Églises protestantes 1688, Avertissements aux protestants 1689-1691.
Polémique contre Fénelon : Instruction sur les états d'oraison 1697, Relation sur le quiétisme 1698.
Autres polémiques : Maximes et réflexions sur la comédie 1694 ; édition critique par Urbain et Lévesque, 1930, Défense de la Tradition et des saints Pères (posthume).
Spiritualité : Traité de la concupiscence posthume ; édition critique par Urbain et Lévesque, 1930, Élévations sur les mystères posthume ; édition critique par Dréano, 196, Méditations sur l'Évangile posthume ; édition critique par Dréano, 1966.
Enfin la correspondance de Bossuet est particulièrement abondante et instructive ; elle a fait l'objet d'une édition critique qui constitue un précieux ouvrage de référence pour l'étude du XVIIe siècle ; édition Urbain et Lévesque, 15 vol., 1909-1926 rééd., Liechtenstein, 1968.
Combat sur tous les fronts

Théologie

La pensée théologique de Bossuet est à la fois éclectique et très ferme. Éclectique, Bossuet l'est en ce sens qu'il puise à diverses sources : les Pères de l'Église, Augustin surtout, lui sont très familiers, ainsi que les décisions pontificales et les conciles, mais il n'exclut pas les scolastiques. Il l'est aussi en ce sens qu'il n'a pas pris une position tranchée dans l'affaire du jansénisme. Mais éclectisme n'implique chez lui ni imprécision ni mollesse ; partant du principe qu'il faut tenir toujours fortement comme les deux bouts de la chaîne, il maintient toujours inébranlablement les affirmations, même apparemment contraires, qu'il estime fondamentales. D'autre part, il est convaincu que la doctrine ne saurait en aucune manière évoluer : permanence est pour lui signe assuré de vérité, variation signe d'erreur ; rien ne lui serait plus étranger que l'idée d'un possible développement des dogmes.
Parmi les grands thèmes de son enseignement théologique on peut relever : une réflexion très poussée sur les attributs de Dieu (surtout sur la Providence), l'approfondissement du mystère de l'Incarnation, en quoi il se rapproche du bérullisme, l'analyse de la notion de péché et l'insistance sur le sacrement de pénitence, l'exaltation du rôle de la grâce et l'affirmation que le Christ est le seul véritable intercesseur. À tout prendre, cette dogmatique ne comporte aucun trait hardi ni nouveau, mais elle doit une sorte d'originalité à l'ampleur et à la cohésion de l'ensemble, à la vigueur des affirmations, et surtout au fait même qu'elle remonte en toute chose aux principes. Bossuet est d'abord et avant tout un théologien.

Histoire

Ce théologien ne fait pas fi de l'histoire. Au contraire, il s'en montre volontiers curieux, et il s'y exerce avec un incontestable sens critique. De l'historien, il possède à la fois le goût de la recherche précise et le don de la résurrection saisissante du passé. Dans ce domaine, son œuvre la plus marquante reste avec certaines pages des oraisons funèbres, le Discours sur l'histoire universelle, où l'on trouve aussi bien des mises au point de détail érudites que de vastes fresques, en particulier à propos de Rome, pour laquelle il éprouve une évidente prédilection.
Il convient, d'autre part, de noter la qualité de son information en matière d'histoire ecclésiastique, domaine alors en pleine évolution : il fait preuve d'une grande circonspection à l'égard des légendes relatives aux vies des saints.

Exégèse

L'exégète, en Bossuet, n'est pas à la hauteur du théologien, ni de l'historien. Non qu'il n'ait parfaitement connu la Bible ; mais il la lisait dans un esprit qui commençait à être dépassé : avec la conviction que tout est également vrai dans le texte inspiré, sur tous les plans, non seulement religieux, mais aussi historique, scientifique, etc.. C'est ce qu'on observe avec une particulière netteté dans sa Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte, à propos de laquelle il écrivait au pape : Nous découvrons les secrets de la politique, les maximes du gouvernement, et les sources du droit, dans la doctrine et dans les exemples de la sainte Écriture...
De là son opposition implacable aux efforts de Richard Simon, qui jetait les bases d'une exégèse plus scientifique ; Bossuet s'acharna à faire interdire ses œuvres, et c'est contre lui qu'il écrivit sa Défense de la Tradition et des saints Pères.

Spiritualité

En matière de spiritualité comme en matière d'exégèse, le nom de Bossuet reste attaché à une polémique fâcheuse pour sa mémoire : la fameuse querelle du quiétisme. Pour un peu, l'on douterait qu'il eût été lui-même un spirituel. Il en fut un cependant, en ce sens que, chez lui, les attitudes théocentriques, détachement à l'égard des valeurs de ce monde, contemplation des mystères, effort d'adhésion à Dieu et au Christ l'emportent nettement sur les préoccupations anthropocentriques. La morale, la psychologie même restent toujours subordonnées, dans sa prédication et dans ses écrits, aux spéculations proprement religieuses. Bien plus, ses lettres de direction le montrent très proche de Fénelon dans la conduite des âmes.
Il n'en reste pas moins vrai qu'il a opposé à la spiritualité fénelonienne une brutale fin de non-recevoir. Cette incompréhension semble s'expliquer surtout par son tempérament plus intellectuel qu'affectif, et par son extrême attachement à la rigueur des formulations théologiques.

Controverse

Au contraire, Bossuet s'est montré novateur en ce qui concerne la controverse avec les protestants. À la coercition, il préférait le dialogue, et il s'est efforcé, notamment dans l'Exposition, de pratiquer une méthode originale : au lieu de dénoncer les « erreurs » des protestants, établir la liste des points d'accord entre eux et les catholiques ; ne pas craindre au besoin de relever les erreurs commises par des catholiques, car il arrive que ceux-ci se fassent une idée fausse de la doctrine de leur propre Église et qu'ils semblent ainsi donner raison à leurs adversaires. Par exemple, Bossuet a beaucoup insisté sur le fait que l'Église catholique ne reconnaît pas d'autre médiateur que le Christ ; ce faisant, il réfutait l'accusation des protestants déclarant que le catholicisme versait dans l'idolâtrie en attribuant un pouvoir propre à des créatures la Vierge, les anges et les saints, et il rectifiait l'erreur de ceux des catholiques qui auraient effectivement compris ainsi le culte des saints.
Parmi les dialogues qu'il entretint avec des protestants en vue de jeter les bases d'une réunion des Églises, on doit retenir particulièrement ses conversations avec le pasteur Ferry, de Metz, et sa correspondance avec Leibniz. Elles permettent de voir en lui un précurseur de l'œcuménisme.

L'affaire gallicane

Bossuet est l'auteur de cette Déclaration des Quatre Articles qui est demeurée comme la charte du gallicanisme, et qui s'achève sur l'affirmation que le jugement du pape dans les questions de foi n'est pas irréformable, à moins que le consentement de l'Église n'intervienne. Aussi garda-t-il la réputation d'un gallican farouche, et cette impression s'accentua encore lorsqu'en 1870 le premier concile du Vatican eut implicitement condamné les Quatre Articles en proclamant l'infaillibilité du pape.
En fait, cette réputation n'est pas pleinement méritée ; dans l'état actuel de la recherche, on voit plutôt apparaître Bossuet comme un conciliateur qui tenta, au moment même de la crise, d'éviter des prises de position extrêmes.

Un absolutisme antimachiavélique

Bossuet ne fut jamais ministre, ni même investi d'une quelconque fonction de nature proprement politique ; à peine eut-il, en d'assez rares circonstances, l'occasion de conseiller le roi. Il serait donc erroné de lui imputer – en dehors de l'affaire gallicane – un grand rôle politique. En revanche, il fait, en ce domaine, figure de théoricien, et sa Politique reste l'un des ouvrages les plus représentatifs de l'absolutisme français.
Sa pensée pourrait se caractériser comme un absolutisme antimachiavélique. Il considère, en effet, les souverains comme totalement indépendants de tout contrôle humain ; mais, s'il ne peut exister à leur égard aucune puissance coactive, la religion et les lois exercent sur eux une puissance directive – à tel point qu'un État où il n'y aurait pas d'autre loi que leur volonté propre ne serait plus légitime, mais arbitraire : forme de gouvernement que la Politique déclare barbare, odieuse , et d'ailleurs étrangère aux mœurs de la France.
D'autre part, le système de Bossuet repose sur la théorie du « droit divin. Il ne s'agit pas de l'affirmation d'un privilège que les rois posséderaient seuls entre les gouvernants, mais au contraire du principe, hérité de saint Paul, que toute puissance vient de Dieu : c'est la Providence qui permet en fait l'institution de toute autorité, même mauvaise, et la révolte est toujours une impiété. Certes, cette doctrine assure aux mauvais gouvernants une apparence d'impunité ; mais ils auraient tort de s'y fier : Dieu saura les punir.
Ces quelques indications montrent bien que ce qui caractérise la pensée politique de Bossuet, c'est sa nature théologique. Pratiquement, il ne pose aucune borne à l'absolutisme ; mais, dans la perspective qui est la sienne, il lui en assigne une incomparable : la religion. Encore faut-il que le souverain soit pénétré de cette idée. C'est pourquoi le précepteur du Dauphin n'a pas cessé de prêcher, plus encore que les devoirs des sujets, les devoirs des rois, fondés sur « les propres paroles de l'Écriture sainte ». Le fondement religieux ôté, il ne resterait qu'un despotisme radical.

Prestige d'un style

L'éloquence de Bossuet, comme toute grande éloquence, est évidemment variée. Toutefois, l'un de ses caractères les plus visibles est le goût des périodes. Certaines, dans les oraisons funèbres, les sermons ou le Discours sur l'histoire universelle, sont restées célèbres ; ainsi le début de l'Oraison funèbre d'Henriette de France : « Celui qui règne dans les cieux, et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et de terribles leçons... Par cette exceptionnelle maîtrise de la phrase, le nom de Bossuet a pris place, dans les manuels d'histoire littéraire, au rang des grands classiques, à côté de ceux de Racine et de Molière.
Mais il va de soi que dans son cas, non plus que pour Racine ou Molière, l'étiquette classique ne doit faire méconnaître la liberté du génie. Lui-même a souligné, dans son discours de réception à l'Académie, qu'il faut prendre garde qu'une trop scrupuleuse régularité, qu'une délicatesse trop molle, n'éteigne le feu des esprits et n'affaiblisse la vigueur du style. Au reste, par la date de sa naissance et par celle de ses débuts dans l'éloquence vers 1650, il plonge dans l'époque baroque dont il conserve, en l'assagissant, le goût des images frappantes, des développements saisissants en particulier l'orchestration de la mort et des envolées lyriques. Enfin son style est constamment vivifié par des souvenirs bibliques ; il est certainement, avec Claudel, celui des écrivains français dont la Bible a le plus fortement marqué la manière.
Bossuet a suscité, et suscite encore, des jugements extrêmes. L'admiration pour son style les phrases en voûte, comme disait Valéry est le seul point qui fasse l'unanimité. Pour le reste, les prises de position à l'égard de son œuvre restent trop souvent inspirées par des attitudes polémiques.
Il serait trop simple de croire qu'il a été loué par les catholiques et critiqué par les ennemis du catholicisme. À l'intérieur même de l'Église, il a été vivement attaqué par les ultramontains (surtout au XIXe siècle) et par les modernistes surtout vers 1900 ; il l'est encore par plus d'un admirateur de Fénelon. D'une manière générale, cependant, l'on peut dire qu'il a été admiré, et fréquemment cité en chaire, par une grande partie du clergé français jusqu'à une date récente, mais que l'évolution de l'Église depuis quelques décennies, et surtout depuis le deuxième concile du Vatican, a porté un coup sensible à son prestige.
Indépendamment des questions religieuses, les jugements portés sur Bossuet ont souvent été influencés par des préoccupations politiques : prôné dans certains milieux de droite, il fut volontiers choisi comme symbole de la réaction par la tradition libérale. Jacques Truchet

Œuvres

Discours sur l'Histoire universelle - édition 1771 Oeuvres, 1852
Refutation du catechisme du Sr Paul Ferry, ministre de la religion pretendue reformée 1655, Metz
Oraison funèbre de Henriette-Marie de France 1669
Exposition de la doctrine de l'église catholique sur les matières de controverse 1671.
Discours sur l'Histoire universelle 1681
Histoire des variations des Églises protestantes 1688
Défense de l'histoire des variations contre la réponse de M. Basnage, Ministre de Roterdam 1691
Défense de la Tradition et des saints Pères 1693
Maximes et réflexions sur la comédie 1694
Explication de la prophétie d'Isaïe 1704
La Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte posthume 1709
Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même posthume 1741
Sermons posthume 1772
Traité de la concupiscence posthume 1731

Bibliographie Éditions de référence

Œuvres oratoires, édition de Joseph Lebarq, Lille, Desclée De Brouwer, 1890-1896 ; revue et augmentée par Ch. Urbain et E. Lévesque, Paris, Hachette et Desclée, 7 volumes : tome I (1648-1654), 1914 ; tome II (1655-1659), 1914 ; tome III (1659-1661), 1916 ; tome IV (1661-1665), 1921 ; tome V (1666-1670), 1922 ; tome VI (1670-1702), 1923 ; tome VII Compléments et tables, 1926.
Correspondance, édition de Ch. Urbain et E. Lévesque, Paris, Gallimard, 1909-1925, 15 volumes.
Éditions récentes[modifier | modifier le code]
Œuvres, édition de l’abbé B. Vélat et Yvonne Champaillé, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961.
Oraisons funèbres, édition de Jacques Truchet, Paris, Garnier, 1961.
Sermon sur la Mort et autres sermons, édition de Jacques Truchet, GF, 1970.
Sermons, édition de Philippe Sellier, Paris, Larousse, 1975.
Sermons. Le Carême du Louvre, édition de Constance Cagnat-Debœuf, Paris, Gallimard, Folio-Classique, 2001.
Sermon sur les Anges Gardiens, préfacé par Carlo Ossola (trad. de Nadine Le Lirzin), Paris, Payot & Rivages, 2005.
Bossuet, Conscience de l'Église de France, préface de Mgr Roland Minnerath, archevêque de Dijon. Édit : François-Xavier de Guibert 2014


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Posté le : 11/04/2015 16:41
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Guillaume-Thomas Raynal
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Le 12 avril 1713 naît Guillaume-Thomas François Raynal

et mort à Passy le 6 mars 1796, est un écrivain, penseur et prêtre français.
Prêtre parisien, il abandonna la vie sacerdotale pour se consacrer à la philosophie et à l'histoire. Le plus hardi et le plus renommé de ses ouvrages est l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes en 1770.
Décrété d'arrestation, à cause des attaques contenues dans cette œuvre contre la colonisation et le clergé, il se réfugia auprès de Frédéric II, puis de Catherine II, et rentra en France en 1787.

En bref

Auteur d'ouvrages à prétentions historiques ou philosophiques, habitué des salons littéraires du XVIIIe siècle, Guillaume Raynal, né à Saint-Geniez Aveyron, fut élève des jésuites à Rodez et entra lui-même dans la Compagnie de Jésus. Il fut d'abord professeur de collège à Pézenas, à Clermont et à Toulouse. En 1747, il quitta les Jésuites pour venir dans la capitale où, abandonnant peu après l'état sacerdotal, il se lança dans les milieux littéraires et mena une existence instable.
Il fréquente le salon de Mme Helvétius et prend le goût de l'époque en déclamant sur la liberté. Ses premiers ouvrages, tels que l'Histoire du stathoudérat, La Haye, 1748, l'Histoire du Parlement d'Angleterre, Londres, 1748-1751, les Anecdotes littéraires et les Anecdotes historiques, militaires et politiques de l'Europe, de 1750 à 1763, ne sont que des compilations médiocres. Les Mémoires politiques de l'Europe, 1754-1774, une refonte de certaines parties des publications antérieures, ne valent guère mieux. Cependant, à plus de cinquante ans, il devient brusquement célèbre, ses contemporains l'ont même comparé à Voltaire et à Rousseau grâce à son Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, publiée en 1770 et rééditée plusieurs fois jusqu'en 1780 avec des adjonctions. Il s'agit d'un de ces « voyages philosophiques vers des peuples simples, genre à la mode qui permettait la recherche d'une loi de nature, la louange des principes naturels. En fait, malgré quelques parties intéressantes, c'est une histoire insuffisamment documentée, une œuvre partiale rédigée dans un style souvent pompeux. D'ailleurs, plusieurs passages sont dus à la collaboration de Diderot ou du baron d'Holbach et consacrés à des déclamations contre la religion et le despotisme. Le livre est condamné en 1781 et l'auteur se réfugie à Spa, puis à Berlin, où il est mal reçu par Frédéric II, et à Saint-Pétersbourg auprès de Catherine II. Revenu en France en 1787, il déplore très vite les excès de la Révolution dans une Lettre à l'Assemblée nationale du 31 mai 1791. Il doit se cacher aux environs de Paris pendant la Terreur et meurt peu après à quatre-vingt-trois ans. Pierre Duparc

Sa vie

Raynal embrasse, après de longues études chez les jésuites, la prêtrise en 1733 plus par désir de promotion sociale que par conviction réelle. En 1746, il est nommé à l’église Saint-Sulpice à Paris où, pour améliorer son ordinaire, il est également précepteur dans de grandes familles. Il n’hésite pas non plus à vendre des sermons à des confrères moins inspirés que lui, et déclenche un scandale lorsqu’on découvre qu’il a accepté d’inhumer des protestants en les faisant passer pour catholiques contre monnaie sonnante et trébuchante. L’abbé Raynal sera d’ailleurs fort lié tout au long de sa vie aux protestants.
Il fuit Saint-Sulpice et commence à fréquenter les salons de Stéphane de Hertier puis de Marie-Thérèse Geoffrin. Il s'y fait connaître comme apôtre de la liberté. Il se constitue une petite fortune en imprimant lui-même ses œuvres dont il assure également l’écoulement. Il rédige également des ouvrages de commande pour les grands de l’époque comme, par exemple le duc de Choiseul, ce qui lui vaudra d’être nommé, pour services rendus, directeur du Mercure de France en 1750. La même année, il devient membre de l'Académie royale des sciences et des lettres de Berlin.
La gravure de son portrait en tête de la troisième édition de l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes signe son ouvrage. Il s’y agit d'une attaque à peine voilée de la Monarchie. Il est donc obligé de s’enfuir en 1781. Il se réfugie en Suisse où il fait ériger un monument à la gloire de la liberté 1783–1793. De là, il passe à la cour de Frédéric II de Prusse puis à celle de Catherine II de Russie sans cesser de veiller à la réédition de son ouvrage. Autorisé à revenir en France en 1784, mais interdit de séjour à Paris, il s’installe à Toulon, puis à Marseille et devient fondateur de prix académiques et de bienfaisance qui prolongeront le succès de son œuvre dans les grandes académies européennes. Il refuse de siéger aux États généraux de 1789 en invoquant son grand âge. Cela ne l’empêchera pas, deux ans plus tard, de dénoncer les excès et le tour violent selon lui pris par la Révolution à ces révolutionnaires qui voyaient en lui un père fondateur. Dans sa Lettre à l’Assemblée nationale adressée le 31 mai 1791 il écrit : …j’ai parlé aux rois de leurs devoirs, souffrez qu’aujourd’hui je parle au peuple de ses erreurs. Même sous la Terreur, son prestige et sa popularité sont tels que les révolutionnaires ne voudront pas lui faire subir le même sort qu'à une partie des Brissotins en octobre 1793 ; ils préféreront le dénigrer en l’accusant de sénilité, ce qui était assez vraisemblable eu égard à son âge avancé. Pressenti pour siéger comme membre de l’Institut de France en 1795, quelques mois avant sa mort, il prétextera de son grand âge pour refuser cette promotion.
Il ne fut jamais député, mais bénéficia dans tout le monde révolutionnaire de son image d'antiesclavagiste fervent, particulièrement après le décret du 16 pluviôse an II. Son neveu, Simon Camboulas, conventionnel régicide, contribua le 15 pluviôse an II à l'ouverture des débats du lendemain sur l'abolition de l'esclavage. Un tableau représentant Jean-Baptiste Belley, l'un des deux premiers députés de couleur de Saint-Domingue à la Convention et dans les assemblées directoriales, le montre accoudé au buste de l'abbé Raynal.

Son œuvre

Il commence à publier ses premiers textes dans les Nouvelles littéraires, 1747-1755 qui serviront d’introduction à la revue Correspondance littéraire, philosophique et critique3, réalisée avec Grimm et Diderot. Suivent des ouvrages de politique et d’histoire publiés sur commande du gouvernement comme l’Histoire du Stadhoudérat en 1747 et l’Histoire du Parlement d’Angleterre en 1748.

Il publie de nombreux ouvrages historiques ou philosophiques de moindre importance jusqu’à la sortie, en 1770, de la première édition anonyme de son Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, véritable encyclopédie de l’anticolonialisme au XVIIIe siècle. Il s’agit d’un de ces voyages philosophiques à la mode à l’époque, faiblement documenté mais prétexte à réflexions sur la loi naturelle et dénonciations mordantes du despotisme, du cléricalisme, de l'esclavage des Noirs, ainsi que du colonialisme. Il n’hésite pas à recourir à la collaboration d’autres écrivains tels que d'Holbach ou Diderot à qui on doit les passages plus réussis et qui le feront parfois avantageusement comparer à Voltaire ou Rousseau.
Interdite en 1772, l’Histoire des deux Indes sera à nouveau publiée par l’abbé Raynal dans une nouvelle édition en 1774 qui est immédiatement mise à l’Index par le clergé. C’est en 1780 qu’il publie sa troisième édition de l'Histoire des deux Indes, encore plus virulente que les deux précédentes et qu’il avoue implicitement comme étant de lui en y faisant graver son portrait en frontispice. Condamné par le Parlement de Paris, l’ouvrage est brûlé par le bourreau en place publique, ce qui lui assure un succès considérable.
L’Histoire des deux Indes a également été l’occasion de la Lettre apologétique de l’abbé Raynal à Monsieur Grimm 1781 de Diderot. Dans cette lettre que Diderot n’a jamais envoyée, il accuse violemment Grimm, qui avait critiqué Raynal pour avoir dévoilé son identité dans sa troisième édition de l’Histoire des deux Indes de s’être vendu aux grands : Je ne vous reconnais plus ; vous êtes devenu, sans vous en douter peut-être, un des plus cachés, mais un des plus dangereux antiphilosophes. Vous vivez avec nous, mais vous nous haïssez. Diderot, dont la part de paternité dans l’ouvrage n’était sans doute pas étrangère à son indignation, n’avait cependant pas tort : la Révolution survenue, Grimm s’empressera de quitter la France et de dénigrer la Révolution.

Œuvres

Portrait de Guillaume-Thomas Raynal orné d'une carte de Virginie.
Nouvelles douteuses 1747-1755
Histoire du Stadhoudérat 1747
Histoire du Parlement d’Angleterre 1748
Mémorial de Paris 1749
Mercure de France 1750-1754
Anecdotes littéraires, ou Histoire de ce qui est arrivé de plus singulier & et de plus intéressant aux écrivains françois, depuis le renouvellement des lettres sous François Ier jusqu’à nos jours 1750 ; 1756
Anecdotes historiques, militaires et politiques de l’Europe depuis l’élévation de Charles-Quint au thrône de l’Empire, jusqu’au traité d’Aix-la-Chapelle en 1748 (2 volumes, 1753
École militaire 3 volumes, 1762
Histoire du divorce de Henry VIII 1763
Histoire philosophique et politique des établissemens & du commerce des européens dans les deux Indes
Épices et produits coloniaux 1770
Atlas de l’Histoire des deux Indes 1772
Atlas portatif de l'histoire philosophique et politique 1773
Tableau de l’Europe (supplément Histoire des deux Indes 1774
Esprit et génie de Guillaume-Thomas Raynal 1777
Suppléments à l’Histoire des deux Indes 1780
Révolution de l’Amérique 1781
Dès 1781, l’abbé Raynal, dans son ouvrage intitulé Des Révolutions en Amérique, publié à Londres, réclamait contre un préjugé trop puissant parmi les commandants des flottes françaises. À cette époque, l’escorte des navires était devenue pour les officiers de la marine royale une chose secondaire, une fonction indigne de leur rang et de leurs titres. Officiers de marine, dit-il, vous vous croyez avilis de protéger, d’escorter le commerce ! Mais si le commerce n’a plus de protecteurs, que deviendront les richesses de l’État, dont vous demandez sans doute une part pour récompense de vos services ? Quoi, avilis en vous rendant utiles à vos concitoyens! Votre poste est sur les mers comme celui des magistrats sur les tribunaux, celui de l’officier et du soldat de terre dans les camps, celui du monarque même sur le trône, où il ne domine de plus haut que pour voir de plus loin et embrasser d’un coup d’œil tous ceux qui ont besoin de sa protection et de sa défense. Apprenez que la gloire de conserver vaut encore mieux que celle de détruire. Dans l’antique Rome, on aimait aussi la gloire, cependant on y préférait l’honneur d’avoir sauvé un seul citoyen à l’honneur d’avoir égorgé une foule d’ennemis.
Portrait de Guillaume-Thomas Raynal ornant la troisième édition de l’Histoire des deux Indes.
Lettre à l’auteur de la Nymphe de Spa 1781
Précis de l’Histoire philosophique 1782
Réponse à la Censure de la Faculté de Théologie 1782
Esprit et génie de M. l’abbé Reynal publié par l’abbé Hédouin, 1782
Considérations sur la paix en 1783 1783
Histoire philosophique et politique des isles françoises 1784
Œuvres de M. l’abbé Raynal 1785
Essai sur l’administration de St Domingue 1785
Maximes des trois auteurs philosophes 1787
Tableau général du commerce de l’Europe 1787
Éloge d’Eliza Draper attribué à Diderot, 1787
L’Abbé Raynal aux États-généraux 1789
Lettre à S. M. Louis XVI 1789
Lettre à l’Assemblée nationale, 31 mai 1791 1791
Extrait raisonné de l’Histoire des deux Indes 1791
Histoire abrégée de l’Histoire des deux Indes 1792
Abrégé de l’Histoire des deux Indes 1793
Histoire abrégée de l’Établissement des Européens 1797
Recueil de pensées 1802
Abrégé de l’Histoire des deux Indes à l’usage de la jeunesse 1810
Le Raynal de la jeunesse 1821
Des Peuples et des gouvernements 1822
Histoire philosophique des Établissements dans l’Afrique septentrionale 1826


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Posté le : 11/04/2015 16:24
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Fabre d'Églantine
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Le 5 avril 1794 est guillotiné Philippe-François-Nazaire Fabre

dit Fabre d’Églantine


à 43 ans, à Paris, né et baptisé le 28 juillet 1750 à Carcassonne, acteur, dramaturge, poète et homme politique français et fournisseur aux armées.Il est formé au collège des doctrinaires de limoux dans l'Aude.

En Bref

Fils d'un marchand drapier de Carcassonne, Fabre d'Églantine est un auteur-comédien ambulant. Le célèbre Il pleut, il pleut bergère... est tiré d'une de ses opérettes. Au cours d'un séjour à Lyon, il se lie avec Collot d'Herbois, mais il ne participe pas à l'agitation prérévolutionnaire. Entré au club des Cordeliers, qui deviendra le club des Jacobins, il se lie dès lors avec Danton dont il devient l'homme de plume. Besogneux, et sans cesse à l'affût de spéculations lucratives, il propose, en 1790, au ministre de la Marine, contre 3 millions, de pousser les Jacobins à se montrer favorables à la monarchie. Il est cité aussi comme ayant reçu de l'argent du roi à la veille du 10 août 1792. Après cette journée, il publie un journal mural : Compte rendu au peuple souverain, où il apparaît comme un révolutionnaire intransigeant ; il pousse aux massacres de Septembre et tente même d'en organiser en province. Puis on le voit trafiquer sur les fournitures aux armées. Élu député de Paris à la Convention, il fait adopter par l'Assemblée son calendrier républicain, le 25 octobre 1793. Après la chute de la Gironde, il fait partie de la faction des Indulgents. Accusé d'avoir falsifié un décret de la Convention nationale relatif à la liquidation de l'ancienne Compagnie des Indes, il est arrêté le 18 mars 1794, jugé en même temps que les dantonistes, le 30 mars, et guillotiné le 5 avril.

Sa vie

Né le 28 juillet 1750 à Carcassone, près de l'église Saint-Nazaire, Fabre d'Églantine est le fils d’un marchand-drapier, François Fabre, et de son épouse, Anne-Catherine-Jeanne-Marie Fons. Sa famille appartient à la bourgeoisie modeste. Pour des raisons inconnues, peut-être économiques, elle s'installe à Limoux en 1757, où il étudie au collège des Doctrinaires. Là, il apprend, non seulement les langues et littératures grecques et latines, mais la musique, la peinture, le dessin, la gravure. Ses qualités lui valent d'être intégré à la congrégation à Toulouse en 1771 en qualité de professeur des basses classes.
La même année, il aurait présenté un Sonnet à la Vierge aux Jeux floraux de l'Académie de Toulouse. Il obtient le lys d’argent récompensant le meilleur sonnet à la vierge, d'après Michel Taillefer, et non l'églantine d’argent comme le pensaient ses premiers biographes. Louis Jacob et les auteurs qui le suivent parlent, quant à eux, non d'une églantine d’argent, mais d'une églantine d’or. Quand il quitte le collège pour se lancer dans le théâtre en 1772, il aurait préféré pour des raisons de consonance, selon Louis Jacob, adopter le nom de Fabre d'Églantine, plus élégant qu'un Fabre du Lis jugé trop abrupt.

Carrière théâtrale

Engagé dans une troupe de comédiens ambulants, il parcourt la France. Peut-être à Bordeaux, d'où il aurait été contraint de fuir, en 1771, il est en 1772 à Grenoble, où son père lui écrit de Limoux le 15 avril. À Chalon-sur-Saône en 1775, il joue à Beauvais l'année suivante, puis retourne à Chalon, où il s'éprend d'une jeune fille, Sophie Poudon. Le 26 décembre 1776, il rejoint la troupe Hébert à Namur, dans les Pays-Bas autrichiens. Ayant tenté de s’enfuir avec Catherine Deresmond, dite Catiche, fille des directeurs de la saison théâtrale, âgée de quinze ans, il est menacé de la corde. Ses camarades comédiens ayant adressé une supplique au prince Charles-Alexandre de Lorraine, gouverneur général des Pays-Bas, sa peine est commuée le 31 mars 1777 en un bannissement perpétuel et à une amende de 734 florins 1 sol deniers. L'Histoire naturelle et son étude dans le cours des Saisons, l'un des trois poèmes qu'il a composés en l'honneur de Buffon, signale qu'il est à Paris le 23 août 177716. Puis il fait une expérience manquée de directeur d'une troupe théâtrale à Sedan à la fin cette année et au début de la suivante. À Troyes en février 1778, il est à Strasbourg en juillet.
Dans cette ville, il épouse, le 9 novembre 1778, Marie-Nicole Godin, une actrice, fille mineure de Pierre Godin et de Maire-Odette Graff, parente d'un descendant du dramaturge Lesage, avec laquelle il a un fils, Jules-Louis-Théodore-Vincent, baptisé le 12 octobre 1779 à l'église Saint-Jacques de Maastricht, futur polytechnicien et ingénieur du génie maritime. Dans l'acte de mariage, il se présente comme un licencié en droit, fils d’un avocat au Parlement.
Le couple joue à Maastricht de 1779 à 1780, où Fabre d’Églantine débute le 12 avril 1779 dans le Misanthrope et le lendemain dans le rôle principal du Distrait ; il joue les premiers rôles alternativement avec Antoine Dorfeuille. De son côté, sa femme débute dans le rôle de Marine dans la Colonie d'Antonio Sacchini. En 1780, le rideau du théâtre du Jekerstraat étant usé, Fabre en peint un autre. Le 7 février 1780, il fait représenter sa première pièce de théâtre Laure et Pétrarque, opéra-comique en un acte sur une musique de François-Léonard Rouweyzer ou Rouwizer 1737-1827, violon solo au théâtre. On n'en conserve que quelques romances : Il pleut, il pleut, bergère sur une musique de Louis-Victor Simon, Je t'aime tant, À peine encore le couchant brille et Laure et Pétrarque.
Passé à Liège en 1780, il y est moins heureux qu'à Maastricht. Le 23 septembre 1780, il prononce au théâtre de Liège Le Triomphe de Grétri, un poème en hommage à André Grétry, lors de l'installation du buste de ce musicien. En 1781, il édite le Spectateur cosmopolite, dont aucun exemplaire ne semble avoir été conservé. Après des séjours à Sedan, Arras, Mons et Douai, il quitte le Nord en 1783 pour Besançon et Genève, où il compose un poème, la Treille de Genève. À Lyon en 1783, il y fait représenter en septembre sa tragédie Augusta, le premier rôle étant interprété par d'Herbois. En octobre, Fabre joue le Misanthrope devant un public, selon ses propres mots, à peu près neutre. En 1785, il obtient la direction du théâtre de Nîmes. Le 30 juin 1786, il est autorisé en tant que chef de troupe à venir jouer au théâtre de la Comédie d'Avignon.
Établi à Paris à partir de 1787 comme auteur dramatique, il fait jouer plusieurs pièces. Les Gens de lettres, ou le Poète provincial à Paris, comédie en cinq actes et en vers, est reçue au Théâtre-Italien et représentée le 21 septembre 1787. Comme plus tard avec Le Philinte de Molière, Fabre d'Églantine expose dans cette pièce le côté social et politique de la littérature. Mais elle tombe à la première représentation. Augusta, tragédie créée à la Comédie-Française le 8 octobre 1787, n'a que six représentations. De son côté, Le Présomptueux, ou l’Heureux imaginaire, comédie en cinq actes en vers créée à la Comédie-Française le 7 janvier 1789, tombe dès la deuxième scène. Aussi mal accueillie que les œuvres précédentes, cette pièce lui attire en outre l'accusation de plagiat. Atteint dans sa vanité, Fabre d'Églantine crie à la cabale.

L'engagement révolutionnaire

Épître de Fabre d’Églantine à Turgot.
En 1789, délaissant sa femme, il s'installe dans un appartement de la rue de la Ville-l'Évêque avec Caroline Remy, comédienne au théâtre de la république ou au théâtre de la Montansier, qui lui donne deux enfants morts en bas âge et enceinte de cinq mois à la mort de Fabre.
S'enthousiasmant dès le début pour la Révolution, il en propage les principes, ce qui lui attire la faveur du public.
Il écrit Le Philinte de Molière ou la Suite du Misanthrope, pièce d’esprit révolutionnaire. C’est une comédie en cinq actes et en vers qui est créée le 22 février 1790 au Théâtre de la Nation et représentée neuf fois avec succès, avant d'être reprise le 18 novembre 1791. C'est son premier et plus grand succès, et la meilleure de ses pièces.
Le 28 janvier 1791, Le Convalescent de qualité, ou l’Aristocrate, comédie en deux actes et en vers, est représentée pour la première fois à la Comédie-Italienne. L’Intrigue épistolaire, comédie en cinq actes et en vers, est créée le 15 juin 1791 au Théâtre-Français de la rue de Richelieu.
L’Apothicaire, pièce en deux actes avec musique de Foignet, est jouée le 7 juillet 1791 au théâtre de Mlle Montansier.
Isabelle de Salisbury, comédie héroïque et lyrique en trois actes et en vers avec musique de Mengozzi, froide et mal écrite, est refusée à l'Académie royale de musique, et finalement jouée au théâtre Montansier le 20 août 1790, où le machiniste et le décorateur lui assurent un succès passager.
L'Héritière, ou les Champs et la Ville, comédie en cinq actes et en vers créée le 5 novembre 1791, est si violemment sifflée, qu'elle a du mal à être jouée jusqu'au bout.
Le Sot orgueilleux ou L'école des élections, d'inspiration réactionnaire, est représentée le 7 mars 1792. Tournant en dérision les hommes et les choses de la Révolution, souffrant en outre de la faiblesse de l'intrigue et de l'incorrection du style, elle déplaît au public, qui la fait tomber.
Actif dans le district des Cordeliers, membre du club local, il se lie avec Georges Jacques Danton et Jean-Paul Marat. Membre des Cordeliers, il est plusieurs fois élu secrétaire ou vice président, au point de passer, avec Jules François Paré et Georges Jacques Danton, dont il devient alors un intime, pour l'un des trois membres d'un triumvirat dirigeant. De même, il collabore au journal Révolutions de Paris et tente vainement de se faire élire, en 1790-1791, juge de paix à Chevreuse. Il fait aussi partie du club des Jacobins.
Au début d'août 1792, il offre son appui à la Cour. Dans son rapport contre les dantonistes du 31 mars 1794, Saint-Just signale : il avait eu, avant le 10 août; des intelligences avec la cour ; il se prétendait le confident de toutes les intrigues des Tuileries ; beaucoup de gens lui ont entendu dire qu'il jouait la cour : il est très vraisemblable qu'il jouait tout le monde, avant de préciser que Danton lui-même avait affirmé qu'il parlementait avec la cour, mais pour la tromper. Selon Antoine François Bertrand de Molleville, il a proposé au ministre de la Marine Dubouchage de gagner les canonniers et les chefs de l'insurrection, et d'attaquer le club des Jacobins et la Législative, moyennant trois millions. Mais cette proposition aurait effrayé Louis XVI, d'autant que l'homme n'était connu que par ses déclamations contre la royauté.
À l'été 1792, il participe à des tractations de pacification avec la Gironde. Le lendemain de la chute de la royauté, Danton, devenu ministre de la Justice, l’engage comme secrétaire général avec Camille Desmoulins, tandis que Pierre-François-Joseph Robert est chef du secrétariat particulier du ministre.
Lié à Marc René Marie de Sahuguet d'Amarzit d'Espagnac et à Jean-Pierre, baron de Batz, qui l'ont initié aux secrets de la grande finance, il espère retirer des bénéfices substantiels de la fourniture aux armées, rendus nécessaires par son train de vie fastueux Jules Claretie signale dans son appartement de la rue de la Ville-l'Évêque des meubles de prix, choisis avec goût, une berline en son écurie. Joseph Servan, le ministre de la Guerre, lui verse 30 000 livres le 15 septembre 1792, pour lui permettre de faire un approvisionnement en bottes et en souliers. Or, aucun n'a été remis aux armées quand le ministre réclame le 17 octobre à Fabre d'Églantine le compte des sommes versées, suivi en cela par son successeur Jean-Nicolas Pache le 14 décembre. Dans une dénonciation anonyme, envoyée après l'arrestation de Fabre d'Églantine, Le Sieur, sous-économe au collège Louis-le-Grand, l'accuse d'avoir accaparé dix mille paires qu'il a ensuite vendues à nos volontaires à des prix usuraires. Ces souliers, précise-t-il, ne duraient que douze heures à nos volontaires qui pataugeaient dans les plaines de la Champagne.
À la fin d'août et en septembre 1792, paraît le Compte rendu au peuple souverain, journal affiche non daté, dont Fabre d'Églantine est considéré comme le rédacteur. Dans le no 4, que Pierre Caron date du 2 au 4 septembre, figure un appel au massacre : Que dans les villes, le sang des traîtres soit le premier holocauste offert à la Liberté, afin que, en avançant à l'ennemi commun nous n'en laissions aucun derrière nous qui puisse nous inquiéter. Dans le no 7, on trouve une justification du massacre de Versailles du 9 septembre 1792.
Élu dix-septième député de la Seine à la Convention avec 437 voix sur 725 votants, il ne s'y distingue guère, appelant, dans la suite de Danton, à la concorde et à l'union. Lors du procès de Louis XVI, il vote la mort sans appel ni sursis. Après la trahison de Dumouriez, il rompt avec les Girondins, contre lesquels il lance une campagne de presse dans la La Gazette de France nationale, dont il a pris depuis peu la direction.
Le 3 janvier 1793, il fait son entrée au Comité de guerre. Nommé représentant en mission en Seine-et-Oise et Eure-et-Loir pour la levée des 300 000 hommes, il est remplacé par Armand-Joseph Guffroy par décret du 9 mars 1793. Le 23 mars, sur sa proposition, l'organisation du Comité de défense générale est modifiée. Puis, le 26 mars il fait son entrée au Commission de salut public qui lui succède, jusqu'à son remplacement par le Comité de salut public, le 6 avril.
La Convention ayant adopté le 5 octobre le principe d'un calendrier républicain, elle choisit, le 24, le projet présenté par Fabre d'Églantine — auteur de la dénomination des mois et jours —, Marie-Joseph Chénier et Jacques-Louis David, qui renvoie à une idéologie agricole et rurale.
Appelé à déposer au procès des Girondins le 24 octobre 1793, il met en cause Jean-Marie Roland de La Platière dans l'affaire du vol du Garde-Meuble — il avait été nommé par la Convention un des commissaires chargés de mener l'enquête.

Liquidation de la Compagnie des Indes et conspiration de l'étranger

Danton et ses amis se retirant ou étant exclus des comités de gouvernement, Fabre s'affirme à l'été 1793, contribuant à exaspérer la lutte des factions : il engage une campagne contre l'agiotage avec Delaunay d'Angers, Jean-François Delacroix et Julien de Toulouse, accusant la Compagnie des Indes et les étrangers de mettre en œuvre des combinaisons spéculatives au service du gouvernement britannique. Le suivant, la convention vote la suppression des compagnies par actions le 24 août, puis la liquidation de la compagnie des Indes orientales le 8 octobre — décret dont le faux a joué un rôle primordial dans l'affaire de la Compagnie des Indes — et la mise sous séquestre des biens des étrangers le 16 octobre. Dans le même temps qu'il fait voter la liquidation de la Compagnie des Indes, Fabre dénonce le 12 octobre aux comités de salut public et de sûreté générale une vaste conspiration de l'étranger, mêlant agioteurs et agents de l'ennemi Berthold Proly, François Desfieux, Jacob Pereira et Pierre-Ulric Dubuisson, et dans laquelle seraient associés les députés François Chabot et Marie-Jean Hérault de Séchelles. Cette supposée conspiration est confirmée ultérieurement par François Chabot et Claude Basire. Associé à l'instruction dès l'arrestation de ces derniers, le 17 novembre, il oriente l'enquête contre les Hébertistes.
S'associant à l'offensve indulgente de Danton, il s'élève, le 10 novembre, contre le système de la Terreur et la tyrannie des comités de gouvernement, et fait voter un décret — rapporté deux jours après — stipulant que les députés devraient être entendus par la Convention, avant de pouvoir être envoyés au tribunal révolutionnaire. Puis, le 17 décembre, il obtient l'arrestation de François-Nicolas Vincent, Stanislas-Marie Maillard, Charles-Philippe Ronsin et Albert Mazuel. Le 5 janvier 1794, il fait paraître un Portrait de Marat dans lequel il dénonce les prétendus successeurs de l'Ami du peuple.
Toutefois, dans le cadre de l'enquête sur l'affaire Chabot, on découvre que le décret de liquidation de la Compagnie des Indes orientales a été l'objet d'un faux, par Fabre et Delaunay, qui se trouvent ainsi associés à Chabot et Basire dans la même entreprise de chantage et de corruption. Les deux hommes ont remis le texte définitif — falsifié — du décret du 8 octobre à Louis du Bas-Rhin, qui y a apposé en toute confiance sa signature avec la mention Expediatur, secrétaire de l'assemblée, le 27 octobre, sans le soumettre à un nouveau vote de la Convention. Cette version porte que la Compagnie des Indes se liquiderait elle-même, en contradiction avec l'amendement de Fabre d'Églantine, prévoyant qu'elle serait faite par l'État. En même temps qu'ils attaquaient les compagnies à actions — obtenant leur suppression le 24 août —, Delaunay d'Angers, Julien de Toulouse, Chabot, Basire et Fabre d'Églantine jouaient à la baisse sur leurs actions. L'affaire du faux, qui allait en contradiction avec leur précédente opération, venaient de ce que la Compagnie des Indes leur avait versé un pot-de-vin de 500 000 livres.
Exclu du club des Jacobins, accusé par André Amar de faux en écriture et de concussion, il est arrêté dans la nuit du 12 au 13 janvier 1794 et interné à la prison du Luxembourg.
L'affaire de la Compagnie des Indes concerne aussi bien des proches des Hébertistes Chabot que des proches de Danton Fabre d'Églantine. Cela permet aux comités de gouvernement de fustiger la lutte des factions exagérées et modérées. Attaqué à la Convention par les hommes compromis dans l'affaire, le Comité de salut public se laisse convaincre par la réalité du complot de l'étranger d'autant plus aisément qu'aux menées des affairistes et des étrangers réfugiés se mêle une intrigue royaliste dirigée par le baron de Batz.
Déféré devant le tribunal révolutionnaire avec Danton pour corruption, trafic d'opinion, tentative de division et de destruction de la représentation nationale, il rédige un Précis apologétique dans lequel il rejette l'ensemble des accusations et nie tout lien avec ses coaccusés. Condamné, il est guillotiné avec Danton le 17 germinal 5 avril 1794.
La légende veut qu’il ait pleuré sur la charrette le menant à l’échafaud, se lamentant de n’avoir pas pu terminer un poème. Danton, connu pour son esprit caustique, lui aurait alors déclaré : Ne t’inquiète donc pas, dans une semaine, des vers, tu en auras fait des milliers. Une autre version prétend que Fabre aurait fredonné son Il pleut, il pleut, bergère, en montant à l'échafaud.

Giuseppe Ceracchi a réalisé son buste.

Ses Œuvres ont paru en deux volumes in-8° à Paris en 1802. On a encore de lui Les Précepteurs, pièce qui n'a été jouée que cinq ans après sa mort : il y met en scène l’application des principes de l'Émile de Jean-Jacques Rousseau.

Œuvres

Les Amans de Beauvais, romance, Paris, Esprit, 1776, 16 pages, in-8°.
L'étude de la nature. Poème à M. le comte de Buffon, Londres, 1783, 14 pages, in-8°.
Augusta, tragédie en cinq actes, Paris, 1787, 66 pages, in-8°.
Le Présomptueux, ou l'Heureux imaginaire, comédie en 5 actes et en vers, Paris, Prault, 1790, 135 pages in-8°.
Le Philinte de Molière, ou la Suite du Misanthrope, comédie en 5 actes et en vers, Paris, Prault, 1791, XLVIII-120 pages, in-8° (rééd. Amsterdam, G. Dufour, 1792, 75 pages, In-8° ; Paris, chez le libraire du Théâtre Français, 1793, 64 pages, in-8° ; Paris, Huet & Ravinet, 1801, 118 pages, in-8 °).
Le Collatéral, ou l'Amour et l'intérêt, comédie en 3 actes et en vers, Paris, L.-F. Prault, 1791, 111 pages, in-8°.
Le Convalescent de qualité, ou l'Aristocrate, comédie en 2 actes et en vers, Paris, Vve Duchesne et fils, 1791, 47 pages, in-8°.
Isabelle de Salisbury. Comédie nouvelle, héroïque et lyrique, en trois actes en prose, Paris, 1791, 76 pages, in-8°.
L'Intrigue épistolaire, comédie en 5 actes et en vers, Paris, Imprimerie du Cercle social, 1792, 108 pages, in-8° rééd. Avignon, les frères Bonnet, 1798, 60 pages, in-8° ; Paris, imprimerie de Moutardier, An XI, 94 pages, in-8° ; Paris, Barba, 1805, 64 pages, in-8 °.
Portrait de Marat, par P. F. N. Fabre d'Églantine, représentant du Peuple, Député de Paris à la Convention Nationale, Paris, Chez Maradan, Imprimerie de Crapelet, rue S. Jean-de-Beauvais, 1793, 24 pages, in-4.
L'Évangile des Républicains, précédé du rapport fait par le citoyen Fabre d'Églantine sur le nouveau calendrier décrété par la Convention nationale , Paris, Lallemand, an II, in-32.
Calendrier de la république française, une et indivisible, au nom de la commission chargée de sa confection, Bruyères, imprimerie de Vve Vitot et fils, 1794, 35 pages, in-12.
Correspondance amoureuse de Fabre d'Églantine, précédée d'un précis historique de son existence et d'un fragment de sa vie écrit par lui-même, suivie de sa satyre sur les spectacles de Lyon et d'autres pièces fugitives, Hambourg et Paris, Richard, 1796, trois volumes, in-12.
Les Précepteurs, comédie en 5 actes et en vers, ouvrage posthume de P.-F.-N. Fabre d'Églantine, Paris, Imprimerie de la République, 1799, 133 pages, in-8°.
Œuvres mêlées et posthumes, de Ph.-Fr.-Naz. Fabre d'Églantine, Paris, Vve Fabre d'Églantine ; Moutardier, vendémiaire an XI, deux tomes, in-12.

Généalogie Ascendance Parents

Son père, François Fabre, est né le 7 avril 1730 à Carcassonne et décédé avant 1778, dans la même ville. Quant à sa mère, Anne Catherine Jeanne Marie Fabre, née Fonds en 1726, elle décède le 12 janvier 1766.

Grands-parents
Son grand-père paternel, Philippe Fabre, né en 1697 à Montréal d'Aude, décède le 27 avril 1757, à Carcassonne. Son père est Étienne Fabre, né en 1667 à Montréal d'Aude, sa mère Germaine Fabre, née Carrière vers 1670. Sa grand-mère paternelle est Antoinette Fabre, née Galibert.

Collatéraux

Oncles et tante paternels
Fabre d'Églantine avait deux oncles et une tante du côté de son père :
Étienne Fabre, né le 6 décembre 1725, à Carcassonne.
Pierre Fabre, né le 23 février 1728, à Carcassonne.
Rose Fabre, née le 1er mars 1729, à Carcassonne.
Frères et sœurs et leurs descendants
De l'union de François et Anne Fabre, sont nés six enfants :

Fabre d'Églantine
Joseph Vincent Dominique Fabre, né le 23 janvier 1752 à Carcassonne et décédé le 23 octobre 1826, à Bourges. Ce Général de brigade a été marié à Josèphe Belin. En secondes noces, il a épousé le 23 octobre 1826, à Carcassonne, Germaine Varlet. De cette seconde union sont nés deux garçons :
François Fabre, né le 14 novembre 1803.
Camille François Fabre, né le 28 septembre 1804 et décédé le 26 avril 1824, à l'âge de 19 ans.
Antoinette Fabre, née en 1753 à Carcassonne et décédée le 27 juillet 1763 dans la même ville, à l'âge de 10 ans.
Jeanne Fabre, née en 1755 à Carcassonne et décédée le 6 mai 1766 dans la même ville, à l'âge de 11 ans.
Louis Fabre, né le 6 mars 1757 à Carcassonne et décédé le 15 octobre 1762 dans la même ville, à l'âge de 5 ans.
Anne Fabre, née le 14 mars 1758 à Carcassonne et décédée le 20 septembre 1761 dans la même ville, à l'âge de 3 ans.

Bibliographie

Henri d'Alméras, Fabre d'Églantine, Société Française d'Imprimerie et de Librairie,‎ 1905.
Marie-Nicolas Bouillet et Alexis Chassang (dir.), Fabre d'Églantine dans Dictionnaire universel d’histoire et de géographie,‎
Jules Claretie, Fabre d'Églantine à la Comédie-Française », La Révolution française : revue historique, t. 33,‎ 1897,
Michel Eude, Une interprétation non-Mathiezienne de l'affaire de la compagnie des Indes, Annales historiques de la Révolution française, no 244,‎ avril-juin 1981, p.
Frédéric Faber, «La carrière dramatique de Fabre d'Églantine, étude biographique d'après des documents nouveaux et inédits, Mémoires de la Société des arts et des sciences de Carcassonne, Carcassonne, François Pomiés,‎ 1878, p. 415-542.
Jan Fransen, Les comédiens français en Hollande: au XVIIe et au xviiie siècles, Genève, Éditions Slatkine,‎ 1978, Jean-Philippe Meissner directeur du spectacle français à La Haye. Collot d'Herbois et Fabre d'Églantine 1780-1793.
Louis Jacob, Fabre d'Églantine, chef des fripons, Hachette,‎ 1946.
Arnaud de Lestapis, La Conspiration de Batz 1793-1794, Société des Études Robespierristes,‎ 1969.
Albert Mathiez, « Fabre d'Églantine, fournisseur aux armées, Annales révolutionnaires, t. IV,‎ 1911, p. 532-534.
Albert Mathiez, « Fabre d'Églantine et la falsification du décret de liquidation de la Compagnie des Indes, Bulletin de la Société d'histoire moderne, no 21,‎ mai-juin 1913, p. 218-229.
Albert Mathiez, Études robespierristes, vol. 1 : La corruption parlementaire sous la Terreur, Paris, Librairie Armand Colin,‎ 1917
Albert Mathiez, L'Affaire de la Compagnie des Indes : Un procès de corruption sous la Terreur, Paris, Librairie Félix Alcan,‎ 1920 .
Adolphe Robert et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889, t. II, Paris, Edgar Bourloton,‎ 1889, p. 585-587.
Michel Taillefer et Sylvie Caucanas, Venance Dougados et son temps, André Chénier, Fabre d'Eglantine: actes du colloque international tenu à Carcassonne les 5, 6, et 7 mai 1994, Les Audois,‎ 1995, L'Académie des Jeux floraux de Toulouse à la fin de l'Ancien Régime.
Claudine Wolikow et Albert Soboul , Dictionnaire historique de la Révolution française, Presses universitaires de France, coll. Quadrige,‎ 2005, Fabre d'Églantine Philippe François Nazaire, dit », p. 429-430.

Fiction

La liberté ou la mort, 1988, spectacle de Robert Hossein. Michel Creton interprète Fabre d'Églantine, au côté notamment de Bernard Fresson Danton, Jean Négroni Robespierre, Daniel Mesguich Camille Desmoulins, Jean-Pierre Bernard Billaud-Varennes, Paul Le Person Vadier.

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Ernst Jünger
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Le 29 mars 1895 naît Ernst Jünger

à Heidelberg dans l'empire Allemand, il meurt à 102 ans, à Riedlingen en Allemagne le 17 février 1998, écrivain allemand, Romancier, essayiste et diariste, distincté du prix pour le Mérite, le prix prix Goethe, le prix Prix mondial Cino Del Duc. Il es l'auteur de divers romans, récits, essais, journaux et souvenirs. Ses Œuvres principales sont Orages d'acier en 1920, Sur les falaises de marbre en 1939, Héliopolis en 1949, Soixante-dix s'efface entre 1977 et 1997.
En tant que contemporain et témoin de l'histoire européenne du xxe siècle, Jünger a participé aux deux guerres mondiales dans les troupes de choc au cours de la première et sous l'uniforme de la Wehrmacht comme officier de l'administration militaire d'occupation à Paris à partir de 1941. Devenu célèbre après la publication dans Orages d'acier 1920 de ses souvenirs de la Première Guerre mondiale, il a été une figure intellectuelle majeure de la révolution conservatrice à l'époque de Weimar, mais s'est tenu éloigné de la vie politique à partir de l'accession des nazis au pouvoir. Jusqu'à la fin de sa vie à plus de cent ans, il a publié des récits et de nombreux essais ainsi qu'un journal des années 1939 à 1948 puis de 1965 à 1996. Parmi ses récits, Sur les falaises de marbre 1939 est l'un des plus connus. Francophile et francophone, Ernst Jünger a vu son œuvre intégralement traduite en français et ... fait partie, avec Günter Grass et Heinrich Böll, des auteurs allemands les plus traduits en France. Figure publique très controversée à partir de l'après-guerre dans son pays, il a reçu le Prix Goethe en 1982 pour l'ensemble de son œuvre.Julien Hervier, qui a dirigé l'édition des Journaux de guerre de Jünger dans la Bibliothèque de la Pléiade a écrit : Si l'on voulait conclure sur Jünger, il faudrait avant tout éviter la facilité qui tend à accorder autant d'importance, sinon plus, à sa légende d'homme d'action, engagé dans la guerre, la politique et l'aventure, qu'aux milliers de pages de son œuvre d'écrivain.

En bref

Peu d'écrivains allemands contemporains ont fait l'objet de controverses aussi vives qu'Ernst Jünger. Sa personnalité comme son œuvre – et chacune témoigne pour l'autre dans un échange réciproque – ont suscité autant d'enthousiasmes sans réserve que d'attaques passionnées. Même si l'hostilité politique nuit parfois outre-Rhin à une appréciation impartiale de ses écrits, le nombre des études universitaires qui lui sont consacrées, la richesse de ses correspondances, dont les publications posthumes se multiplient, confirment sa stature d'écrivain majeur. En France, où l'impeccable perfection de son style lui avait longtemps assuré un statut littéraire privilégié, l'orientation moralisante de certains critiques allemands fait aujourd’hui quelques émules, sans toutefois remettre en cause la réception généralement favorable de l'écrivain.
Né le 29 mars 1895 à Heidelberg, dans un milieu aisé, Ernst Jünger prend vite en horreur les valeurs bourgeoises et fait une fugue, en 1913, pour s'engager dans la Légion étrangère. Mais il a l'intention de déserter le plus vite possible, afin de courir l'aventure en Afrique : son père le fera rapatrier de justesse. Lorsque la guerre éclate, il est aussitôt volontaire pour les troupes de choc ; son héroïsme lui vaut quatorze blessures et il est décoré de la plus haute distinction allemande : l'ordre Pour le Mérite . Après la défaite, il reste quatre ans dans l'armée, puis demande son congé et va étudier la zoologie et la philosophie à Leipzig et à Naples. Entre 1925 et 1930, il déploie une importante activité journalistique dans des publications militaristes d'extrême droite Die Standarte, Arminius, Der Vormarsch dont il est parfois le principal rédacteur. Ses derniers articles paraissent en 1933 et son hostilité au nazisme lui fait refuser fermement toutes les avances du régime. En 1939, Sur les falaises de marbre lui attire des difficultés avec le parti, mais Hitler, qui se souvient du héros de 1914, décide de le laisser en paix. Mobilisé en septembre, Jünger se distingue surtout en allant sauver un blessé sous le feu et en protégeant les richesses artistiques de Laon. Il passe l'essentiel de la guerre à l'état-major parisien ; quoique très lié au cercle de Stauffenberg, il ne participe pas directement à l'attentat fomenté par celui-ci contre Hitler. Lorsque son échec entraîne une vague d'arrestations, Jünger est simplement renvoyé dans ses foyers, à Kirchhorst en Saxe, où il vit la débâcle. À partir de 1950, il habite, entre ses nombreux voyages autour du monde, un petit village de Souabe, Wilflingen, et poursuit son activité d'écrivain. Il publie ainsi cinq volumes de son journal de vieillesse, couvrant la période de 1965 à 1995, l'année de ses cent ans. Mais son œuvre de romancier et d'essayiste ne s'était pas pour autant interrompue, puisque l'on notera, parmi ses dernières publications, le roman Une dangereuse rencontre en 1985 et, surtout, en 1990, Les Ciseaux, méditation sereine aux approches de la mort, où il développe une sorte d'espoir matérialiste en une survie qui échappe à toute définition précise. Avant son décès, survenu le 17 février 1998, il ajoutera encore quelques pages à son journal : la dernière est datée du 17 mars 1996.

Sa vie

Ernst Jünger arborant ses décorations après la Première Guerre mondiale. Photo illustrant la troisième édition allemande d'Orages d'acier.
Ernst Jünger est l'aîné d'une famille de cinq enfants parmi lesquels son frère, Friedrich Georg, devient un de ses compagnons privilégiés. Leur père devient chimiste et pharmacien après avoir été l'assistant de Viktor Meyer à l'Université. Ernst se révèle assez vite rétif à la discipline scolaire. À l'âge de seize ans il rejoint le groupe de jeunesse Wandervogel, les oiseaux migrateurs, puis fugue à l'âge de dix-sept ans pour s'engager dans la Légion étrangère française. Il revient sur cette aventure vingt ans après dans le roman autobiographique Jeux africains publié en 1936.
Il se porte volontaire dès que l’empereur Guillaume II ordonne la mobilisation en août 1914. Il participe, comme de nombreux autres compatriotes, avec ardeur et enthousiasme à la Première Guerre mondiale. Promu sous-officier, puis officier lieutenant, il est blessé quatorze fois et reçoit, quelques semaines avant la fin de la guerre, la plus haute décoration allemande, la croix Pour le Mérite.
Il raconte après guerre son expérience de la guerre des tranchées, comme simple soldat d'abord, puis comme officier des Sturmtruppen, ancêtres de commandos, dans le livre Orages d'acier publié à compte d'auteur en 1920 sur les conseils de son père. Il y décrit notamment les horreurs vécues, mais aussi la fascination que l'expérience du feu a exercé sur lui. Ce livre connut un grand succès auprès du public et reste aujourd'hui encore son livre le plus lu. André Gide écrit : Le livre d'Ernst Jünger sur la guerre de 14, Orages d'acier, est incontestablement le plus beau livre de guerre que j'ai lu, d'une bonne foi, d'une honnêteté, d'une véracité parfaites. Il y décrit notamment la défaite de l'armée allemande, à l'encontre du mythe du coup de poignard dans le dos.
En 1922, il écrit La Guerre comme expérience intérieure Der Kampf als inneres Erlebnis, à la fois roman et essai, où figurent, outre ses souvenirs de la Grande Guerre et l'effet sur l'âme des soldats de conditions de vie extrêmes dans les tranchées, ses premières réflexions philosophiques et politiques sur la bravoure et le pacifisme.
Jünger nourrit de son expérience de la guerre et du combat son analyse historique et politique de la situation allemande après la défaite. Il s'inscrit dans la Kriegsideologie qui anime de nombreux intellectuels au temps de la République de Weimar.

Le guerrier déconcertant

Même si les solutions qu'il suggère ne sont pas toujours de celles que valorisent les modes intellectuelles, sa méditation se situe au cœur même d'une problématique de la modernité : réflexion sur la violence et la guerre, l'avènement de la technique et la signification de l'histoire, la liberté individuelle et l'oppression de l'État, la permanence du sacré et la mort de Dieu, les puissances de la langue comme fondement du séjour humain. Héros exemplaire au sortir de la Première Guerre mondiale, il tire de notes éparses prises sur le champ de bataille un grand livre, Orages d'acier, qui lui vaut la célébrité immédiate et l'admiration de ces anciens combattants que regroupe l'association des « Casques d'acier ». Après avoir vécu les équivoques de l'engagement politique à leurs côtés, il redevient un homme privé, mais retrouve, en 1939, un large public avec Sur les falaises de marbre, où beaucoup voient une dénonciation mythique de la montée du nazisme. Pourtant, son Journal de la Seconde Guerre mondiale, à l'opposé de l'apologie militariste d'Orages d'acier, déconcerte ses premiers admirateurs nationalistes, tandis que ses liens avec le haut état-major, son hostilité au rationalisme progressiste, son absence de goût pour l'autocritique le rendent suspect à une large part de la critique marxiste et libérale, qui va parfois jusqu'à contester la valeur de son style, taxé d'académisme et de froideur. Le désarroi intellectuel qu'a entraîné depuis 1989, chez les marxistes les plus traditionalistes, la chute de l'espoir communiste en U.R.S.S. a suscité paradoxalement, plus encore en France peut-être qu'en Allemagne, un regain d'hostilité idéologique à son égard.

À l'écoute du temps

Encore presque adolescent, Jünger a été pris à partie par l'histoire, sous la forme impérieuse du premier conflit mondial, qui sonna pour beaucoup le glas du monde bourgeois. Orages d'acier 1920 et ses autres récits de guerre constituent la description fascinée d'un monde retourné à l'élémentaire, où la seule issue pour l'individu semble être le « réalisme héroïque » et une implacable objectivité qui isole l'artiste dans une contemplation distanciée. Mais, par-delà les immédiats problèmes politiques dans lesquels Jünger s'attarde quelque temps sans efficacité, c'est déjà aux virages de la civilisation qu'il applique sa passion de comprendre. À travers l'expérience de la guerre, il a vu s'instaurer la surpuissance de la technique qui échappe au domaine moral pour provoquer un bouleversement métaphysique. En 1932, un essai majeur, Le Travailleur, tente de cerner la nouvelle figure du Travailleur qui remplace le Paysan, le Soldat et le Prêtre à l'arrière-plan de notre destin. La conscience aiguë de l'horreur nazie multipliera ses réticences envers la modernité à laquelle il n'apportait jusqu'alors qu'une adhésion volontariste. Les journaux de la Seconde Guerre mondiale marquent un approfondissement humaniste et moral qui s'enrichira encore dans les œuvres ultérieures : Le Traité du rebelle prône contre l'État-Léviathan une dissidence de tout l'individu qui ajoute aux armes du partisan celles du penseur ; Le Mur du temps minimise les révolutions politiques, simple écume à la surface d'une réalité magique, d'une vérité quasi platonicienne dont l'histoire ne constitue que le scintillement kaléidoscopique. Sa passion conjointe des voyages et de l'entomologie, qui s'est exprimée en particulier dans Chasses subtiles et Sous le signe de Halley, l'oriente prioritairement dans ses derniers textes vers une défense des ressources naturelles de la planète dont le gaspillage par l'inconscience humaine le terrifie. Presque aussi grave que l'oubli des dieux, la méconnaissance des animaux et de la vie constitue à ses yeux une faiblesse majeure de l'homme moderne : sous ce jour, Jünger apparaît comme un pionnier de la défense des valeurs écologiques dans la littérature du XXe siècle.

Entre-deux-guerres : nationalisme et révolution

Après la défaite et sa démobilisation, il travaille un temps pour le ministère de la Reichswehr à Hanovre. Il collabore à la rédaction de manuels destinés aux troupes d'infanterie. Le 31 août 1923, il quitte l'armée et entame des études de sciences naturelles et d'entomologie à Leipzig. Il suit également des cours de philosophie auprès de Hans Driesch et Felix Krüger, et lit abondamment, notamment Nietzsche et Spengler. Il effectue plusieurs voyages d'étude de la zoologie à Naples dont un de février à avril 1925. Il quitte l'Université le 26 mai 1926. Il s'installe à son compte comme écrivain et journaliste politique. Il écrit alors dans diverses publications nationalistes une bonne centaine d'articles en un lustre, celles des ligues d'anciens combattants notamment, et fréquente les cercles nationaux révolutionnaires, constitutifs d'un mouvement de pensée appelé la Révolution conservatrice sous la République de Weimar. Il fréquente aussi bien Otto Strasser qu'Erich Mühsam et devient proche d'Ernst Niekisch, principal idéologue allemand du National-bolchévisme. Il devient une figure dans le milieu intellectuel nationaliste. Il publie en 1930 l'essai historico-politique intitulé La Mobilisation totale, et, en 1932, Le Travailleur, couronnement des réflexions politiques de l'auteur selon Louis Dupeux. Dans ces deux publications, le néo-nationalisme de Jünger s'exprime largement, dans une célébration de l'État, de la technique, comme force mobilisatrice, et du vitalisme. Walter Benjamin, très critique à l'égard de ses prises de position, voit en Jünger le fidèle exécutant fasciste de la guerre des classes. Pour Éric Michaud de l'EHESS, c'est certainement lorsqu'il s'emploie à dessiner les traits de la figure rédemptrice du Travailleur que Jünger est au plus près du national-socialisme en lui fournissant les aliments de sa croissance et de son développement.

Troisième Reich et Deuxième Guerre mondiale

Approché par le parti nazi du fait de son passé d'ancien combattant et de ses écrits patriotiques, il refuse toute participation et démissionne même de son club d'anciens du régiment en apprenant l'exclusion des membres juifs. Dès avril 1933, la Gestapo perquisitionne sa maison et il est surveillé en permanence par le régime. Il refuse le 18 novembre de la même année de siéger à l'Académie allemande de littérature où il a été élu le 9 juin. Il quitte Berlin pour Goslar. En 1936, il se retire à la campagne, à Überlingen tout d'abord, puis à Kirchhorst. Il entreprend dans les années qui suivent des voyages plus ou moins lointains, Norvège, Brésil, France, Rhodes.
En 1939, paraît ce que beaucoup de critiques considèrent comme son chef-d'œuvre, Sur les falaises de marbre, un roman allégorique souvent vu comme une dénonciation de la barbarie nazie. Cette allégorie dépasse la simple contestation du totalitarisme triomphant alors en Allemagne. Il s'agit d'une illustration subtile des forces à l'œuvre dans l'établissement d'un régime dictatorial. Le monde intemporel qui y est décrit dépasse le cadre factuel de son époque et fait ressentir l'enfermement intérieur sous le poids du monde extérieur. Cette publication irrite dans le camp nazi et le Reichsleiter Philipp Bouhler intervient auprès de Hitler, mais Jünger échappe à toute sanction du fait de la sympathie qu'éprouve le Führer pour le héros de la Première Guerre mondiale, titulaire de la croix Pour le mérite et ses récits de guerre.
Jünger est mobilisé le 30 août 1939 dans la Wehrmacht avec le grade de capitaine. Il participe à la campagne de France puis, après la victoire des Allemands, Hans Speidel lui fait intégrer l'état-major parisien. Il dispose d'un bureau à l'hôtel Majestic. Ce poste le met au cœur des intrigues et des tensions qui opposent le commandement militaire aux différentes unités du parti.Il peut consacrer son temps libre à rédiger son Journal de guerre ainsi qu'un essai intitulé La Paix, appel à la jeunesse d'Europe et à la jeunesse du monde qu'il commence à rédiger dès l'automne 1941 et qui anticipe la nécessaire réconciliation des nations et l'indispensable construction européenne, essai très imprégné de valeurs chrétiennes.
Son journal, dont le premier volume Jardins et routes sort dès 1942 en allemand et en français, est un mélange d'observations de la nature, de comptes rendus de ses fréquentations littéraires dans les salons parisiens, dont celui de Florence Gould, et enfin de remarques d'une lucidité désabusée sur sa position d'officier en temps de guerre, par lesquelles il souligne la nécessité d'un certain retrait dans son monde intérieur : Paris, 30 juillet 1944. Une ondée me fait passer quelques instants au musée Rodin, que d'habitude je n'aime guère. … Les archéologues d'âges futurs retrouveront peut-être ces statues juste sous la couche des tanks et des torpilles aériennes. On se demandera comment de tels objets peuvent être si rapprochés, et on échafaudera des hypothèses subtiles.
On retrouve également dans ses journaux son horreur de ce qui s'est emparé de l'Allemagne, sa haine de Hitler qu'il ne désigne que sous le nom de Kniebolo et de ses partisans, qu'il désigne du nom de lémures et sa honte devant les étoiles jaunes qu'il croise dans les rues : Je suis alors pris de dégoût à la vue des uniformes, des épaulettes, des décorations, des armes, choses dont j'ai tant aimé l'éclat.

Il fait partie de l'entourage de Rommel qui a demandé à lire son essai La Paix. Il ne participe pas au complot à l'origine de l'attentat du 20 juillet 1944 contre Adolf Hitler, mais est dans le secret de sa préparation. Je ne me consolerai jamais d'avoir brûlé après le 20 juillet le journal que je tenais à cette époque-là écrit-il le 25 mai 1988. Il est démobilisé et rentre en Allemagne au cours de l'été 1944. Il se retrouve à la tête d'un groupe local du Volkssturm et, à l'arrivée des troupes anglaises et américaines, début avril 1945, il demande à ses hommes de ne pas résister. Il avait appris le 11 janvier 1945 que, le 29 novembre 1944, son premier fils âgé de 18 ans était tombé sous les balles des partisans dans les montagnes de Carrare en Italie centrale. Depuis l'enfance, il s'appliquait à suivre son père. Et voici que, du premier coup, il fait mieux que lui, le dépasse infiniment.

Après-guerre : l'arnarque centenaire

Après la capitulation, il est interdit de publication pendant quatre années à cause de son refus de se soumettre aux procédures de dénazification des alliés. Dans l'Allemagne de l'après-guerre il devient plus que jamais une figure controversée. La polémique concerne essentiellement ses articles publiés dans des revues nationalistes de l'entre-deux-guerres, et l'influence qu'il aurait pu exercer sur l'intelligentsia nazie, notamment avec la publication en 1932 de son essai Le Travailleur.
De 1950 jusqu'à sa mort, il vit dans un petit village de Souabe, Wilflingen, et il voyage à travers le monde pour assouvir sa passion de l'entomologie, passion qui a fait l'objet du livre Chasses subtiles. À Wilflingen, il emménage dans une vaste maison que lui loue un cousin du comte Stauffenberg impliqué dans l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler. Maison qu'avait occupée quelques années plus tôt Pierre Laval alors que le gouvernement de Vichy en exil s'était replié à Sigmaringen. Comme le remarque Elliot Neaman : Que Jünger ait élu domicile dans la maison du grand forestier où le principal collaborateur français Laval avait vécu est un exemple des nombreuses interactions ironiques entre la vie et la littérature générées par la guerre. Que le fils de Jünger ait été tué dans les carrières de marbre de Carrare en est une autre.
Lui qui avait été jusqu'en 1933 une figure de la droite nationaliste défend après 1945 un individualisme anarchisant, radicalement hostile à l'État-Léviathan, avec ses essais Passage sur la ligne 1950 et Traité du rebelle 1951, puis son roman Eumeswill 1977. Dans ce roman, Jünger forge la figure de l'anarque, qui prolonge celle du rebelle Waldgänger décrite deux décennies plus tôt. Comme l'explique Patrick Louis : L'Anarque a renoncé au combat, il a choisi l'émigration intérieure. Il se replie sur lui-même … Son souci est son intimité, et parce qu'il ne s'engage pas, il pense préserver son intégrité. Jünger a été en la matière influencé par la pensée de Max Stirner.
L'œuvre de Jünger semble devoir être considérée sous l'éclairage des expériences vécues par l'homme dans sa vie intime. Il est en particulier un des rares écrivains à avoir consacré une œuvre à l'ivresse au sens large, celle donnée par les drogues les plus diverses éther, haschich, opium, cocaïne, LSD… et les boissons traditionnelles bière, vin, thé. L'auteur entend le mot ivresse au sens de modification de la perception des sens et du rapport au temps. Son expérience personnelle de ces substances est relatée dans l'essai Approches, drogues et ivresses 1970 qui n'est pas sans rappeler Du vin et du haschisch de Charles Baudelaire ou surtout Les portes de la perception d'Aldous Huxley.
En 1982, l'attribution à Jünger du prix Goethe déclenche de violentes protestations en Allemagne et une polémique nourrie pendant plusieurs mois. Ces protestations émanent en majorité de la gauche en général et des Verts en particulier. Ces voix — qui se font entendre jusque devant les marches de l'église Saint-Paul de Francfort où a lieu la cérémonie de remise du prix le 28 août — n'acceptent pas que le prix allemand le plus prestigieux soit remis à une personne qui incarne à leurs yeux un passé militariste et anti-démocratique. Mais, contrastant avec cette manifestation nationale de rejet, son centième anniversaire, en 1995, est l'occasion de plusieurs célébrations officielles et il est invité à déjeuner au Palais de l'Élysée par le président François Mitterrand qui éprouve une grande admiration pour lui. Il s'est également lié après guerre avec Julien Gracq, qui a souvent exprimé l'admiration qu'il éprouve pour l'œuvre de Jünger et notamment pour Sur les falaises de marbre. Il est le deuxième grand écrivain européen à devenir centenaire après le français Fontenelle au XVIIIe siècle.
Le 26 septembre 1996, il se convertit au catholicisme. Après avoir été actif jusque dans les derniers jours de sa vie, il meurt dans son sommeil à l'aube du 17 février 1998 à l'hôpital de Riedlingen.

Le rêveur éveillé

Considéré par le philosophe marxiste Lukács comme un représentant typique de l'irrationalisme allemand et de l'impérialisme militaire prussien, Jünger n'appréhende pas la vie de l'esprit comme simple épiphénomène qui se développerait sur des bases économiques. Sans contact direct avec le groupe surréaliste – bien que Julien Gracq ait salué en lui un grand romancier emblématique –, il puise lui aussi aux sources du romantisme allemand et du symbolisme français, cherchant comme André Breton ce « point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire cessent d'être perçus contradictoirement ». Son premier ouvrage à se dégager de l'expérience immédiate du front, Le Cœur aventureux 1929, accorde une large place aux récits de rêves que l'on rencontrera dans toutes ses œuvres, soit sous forme directe, soit comme cellule initiale du développement romanesque. L'idée première de l'univers intemporel de Sur les falaises de marbre lui apparaît dans un rêve, et la charge onirique puissante des dernières séquences du livre le combat contre les forces démoniaques du Grand Forestier, la lutte entre les chiens et les vipères, l'incendie final doit au rêve sa cohérence et sa justification. Plus ou moins mêlé d'éléments de science-fiction, ce trait persiste dans ses autres utopies romanesques Abeilles de verre, Héliopolis, Eumeswil, à côté de récits où domine l'élément autobiographique Jeux africains, Trois chemins d'écolier combiné à la tradition narrative allemande Le Lance-pierres. Jünger n'hésite pas à recourir à la drogue pour briser l'illusion des apparences ainsi dans l'essai Approches ou pour en tirer la matière même du récit Visite à Godenholm. Pourtant, si selon sa propre expression il s'embarque sur des vaisseaux cosmiques pour traverser les empires du rêve, c'est toujours muni d'un matériel que la science a produit.

Le monde hiéroglyphique

Quant à l'art perfectionniste de Jünger, il est aux antipodes de l'écriture automatique. Dans cet âge où il lit le retrait de Dieu – même s'il fait, à la fin de sa vie, les démarches nécessaires en Allemagne pour se déclarer catholique –, la langue reste pour lui l'un des rares moyens d'accéder au sacré : l'univers apparaît comme un miroir, lui aussi fait de signes, de hiéroglyphes à déchiffrer. La foi absolue en une harmonie cachée dont les fragments nous sont livrés sous forme d'une mosaïque éparpillée se traduit par une application minutieuse à la description de l'objet, une vision distanciée mais précise comme celle que procure le microscope ou la longue-vue. Chez ce grand chasseur d'insectes, l'écriture prend parfois un aspect brillant et glacé comme un instrument d'entomologiste, lorsqu'elle n'atteint pas à la précision visionnaire de l'hallucination. Julien Hervier

Œuvre

Du vivant de l'auteur, ont été publiées successivement deux éditions générales de ses œuvres : la première en dix volumes de 1960 à 1965 chez Ernst Klett titre original : Gesammelte Werke, la seconde en dix-huit volumes de 1978 à 1983 chez Klett-Cotta titre original : Sämtliche Werke. Il ne s'agit pas d'œuvres véritablement complètes dans la mesure où aucun de ses nombreux articles politiques publiés dans des journaux entre 1920 et 1933 n'y figure. Ils ont fait l'objet d'une édition en 2002 par S. O. Berggötz sous le titre Politische Publizistik également chez Klett-Cotta. Ses journaux de guerre en deux tomes – tome I 1914-1918 et tome II 1939-1948 – ont été publiés en février 2008 dans la Bibliothèque de la Pléiade.

Récits et romans

Couverture de l'édition originale de Sur les falaises de marbre 1939.
Orages d'acier In Stahlgewittern - 1920
Le Combat comme expérience intérieure (Der Kampf als inneres Erlebnis - 1922
Lieutenant Sturm Sturm -1923 Postface d'Olivier Aubertin
Le Boqueteau 125, Chronique des combats de tranchée 1918 Das Wäldchen 125, eine Chronik aus den Grabenkämpfen, 1918 -1925
Feu et sang - Bref épisode d'une grande bataille Feuer und Blut. Ein kleiner Ausschnitt aus einer grossen Schlacht -1925
Le Cœur aventureux Das abenteuerliche Herz - 1929
Jeux africains Afrikanische Spiele - 1936
Sur les falaises de marbre Auf den Marmorklippen - 1939
Voyage atlantique Atlantische Fahrt - 1947
Héliopolis Heliopolis - 1949
Visite à Godenholm Besuch auf Godenholm - 1952
Abeilles de verre Gläserne Bienen - 1957
San Pietro 1957
Serpentara 1957
Le Lance-pierres Die Zwille - 1973
Eumeswil Eumeswil - 1977
Le Problème d'Aladin Aladins Problem - 1983
Une dangereuse rencontre Eine gefährliche Begegnung 1985
Trois chemins d'écolier - Tardive vengeance Sp. R. - Drei Schulwege - 2003 — posthume

Essais

Couverture de l'édition originale de Le Combat comme expérience intérieure 1922.
Le Travailleur Der Arbeiter - 1931
Feu et mouvement- 1934
La Paix Der Friede - 1946
Le traité du Rebelle ou le recours aux forêts Der Waldgänger - 1951
Le Nœud Gordien Der Gordische Knoten - 1953
Traité du Sablier Das Sanduhrbuch - 1954
Mantrana Mantrana, Einladung zu einem Spiel - 1958
Le Mur du temps An der Zeitmauer - 1959
L'État universel Der Weltstaat - 1960
Chasses subtiles Subtile Jagden - 1967
Approches, drogues et ivresse Annäherungen, Drogen und Rausch - 1970
Rivarol et autres essais 1974
Le contemplateur solitaire 1975
L'Auteur et l'Écriture Autor und Autorschaft - 1982
Les ciseaux Die Schere - 1990

Journaux

Jardins et routes - pages de journal 1939-1940 trad. fr. Plon 1942
Journal de guerre Strahlungen 1949, trad. fr. René Julliard 1951 et 1953
Sous le signe de Halley, Paris, Gallimard, coll. Du monde entier, 1989.
Soixante-dix s'efface Siebzig verweht 1977
Soixante-dix s’efface, I – Journal 1965-1970 Siebzig verweht
Soixante-dix s’efface, II – Journal 1971-1980 Siebzig verweht II
Soixante-dix s’efface, III – Journal 1981-1985 Siebzig verweht III
Soixante-dix s’efface, IV – Journal 1986-1990 Siebzig verweht IV
Soixante-dix s’efface, V – Journal 1991-1996 Siebzig verweht V - 1997

Correspondance

Ernst Jünger & Martin Heidegger, Correspondance 1949-1975, Christian Bourgois, 2010.

Postérité

Un taxon végétal et une vingtaine de taxons animaux ont été dédiés à Jünger.
Le prix Ernst-Jünger décerné par le land de Bade-Wurtemberg récompense des travaux de recherche en entomologie.
La bourse d'étude Ernst-Jünger destinée aux chercheurs en sciences humaines est octroyée par le land de Bade-Wurtemberg.
Jünger est un des personnages principaux du roman Nocturne du Chili 2002 de l'écrivain hispanophone Roberto Bolaño et figure également dans Les Bienveillantes 2006 de Jonathan Littell.


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Posté le : 28/03/2015 19:39
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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