| A + A -
Connexion     
 + Créer un compte ?
Rejoignez notre cercle de poetes et d'auteurs anonymes. Lisez ou publiez en ligne
Afficher/Cacher la colonne
Accueil >> newbb >> Les Forums - Tous les messages

 Bas   Précédent   Suivant

« 1 ... 14 15 16 (17) 18 19 20 ... 60 »


Pablo Neruda
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57675
Hors Ligne
Le 12 juillet 1904 naît Pablo Neruda

nom de plume de Ricardo Eliecer Neftalí Reyes Basoalto, il naît à Parral province de Linares au Chili, mort à 69 ans, le 23 Septembre 1973 à Santiago du Chili poète, écrivain, diplomate, homme politique et penseur chilien. Il est considéré comme l'un des quatre grands de la poésie chilienne avec Gabriela Mistral, Pablo de Rokha et Vicente Huidobro.
Il emprunte son pseudonyme au poète tchèque Jan Neruda 1834-1891 et publie son premier poème, la Chanson de la fête 1921. Son premier recueil, Crépusculaire, influencé par le symbolisme et le modernisme, paraît en 1923. Avec Vingt Poèmes d'amour et une chanson désespérée 1924 s'ouvre la deuxième étape de son itinéraire poétique : ce livre, dont les thèmes sont l'amour, la solitude et l'angoisse, connaît, dès sa parution, un immense retentissement. En même temps, Neruda s'occupe de revues, subit l'influence du surréalisme Tentative de l'homme infini, 1925 ou de l'ultraïsme Bagues, avec Tomás Lago, 1926. Il reçoit le prix national de Littérature en 1945, le prix Nobel de littérature en 1971

En bref

C'est au contact de la nature que Pablo Neruda fait son apprentissage de la vie. Mon enfance, ce sont des souliers mouillés, des troncs cassés / Tombés dans la jungle, décorés par les lianes. À Temuco, petite ville du Chili austral située au pied des volcans couverts de neige, et dans la grande forêt voisine gorgée d'eau, le jeune Neftalí Ricardo découvre le monde du vent et du feuillage, se grise de cette pluie qui tombe inlassablement, jour après jour, pénètre les secrets de la nature avant de signer avec elle un pacte poétique : l'œuvre du poète sera riche d'images empruntées à cet univers primitif, images de pluie, d'humidité, de sel (les fortes lames du Pacifique frappent la côte toute proche, symboles sous sa plume de désintégration, de pourriture, de corrosion.
Étudiant triste égaré dans le crépuscule.
Auprès de Gabriela Mistral, de César Vallejo, de Nicolas Guillén, le Chilien Pablo Neruda représente une des voix les plus prestigieuses de la poésie contemporaine d'Amérique latine. Dans Le Chant général, son chef-d'œuvre, il a su, dépassant le cadre étroit de son pays, devenir le chantre de tout un continent. Poète romantique, poète surréaliste, poète épique ou simple poète des choses quotidiennes, Neruda a été tout cela successivement. Une œuvre abondante, puissante et tourmentée illustre, au gré des événements personnels ou politiques, une inspiration et une sensibilité de visionnaire. Neruda n'a jamais démenti ce portrait incisif que Federico García Lorca donnait de son ami, en décembre 1934, lors d'un récital à l'université de Madrid : Je vous dis de vous disposer à entendre un poète authentique, de ceux dont les sens sont apprivoisés à un monde qui n'est pas le nôtre et que peu de gens perçoivent ; un poète plus proche de la mort que de la philosophie, plus proche du sang que de l'encre ; un poète plein de voix mystérieuses que lui-même, heureusement, ne sait pas déchiffrer ; un homme véritable qui sait bien que le jonc et l'hirondelle sont plus éternels que la joue dure de la statue.
En 1968, Pablo Neruda est l'un des poètes les plus célèbres du monde. Ses livres sont partout traduits et ses œuvres complètes, en deux volumes, rééditées pour la troisième fois à Buenos Aires. La consécration ne tarit point sa veine poétique : sept recueils, publiés de son vivant, et huit posthumes auxquels s'ajoute une autobiographie seront conçus entre 1968 et 1973. Tous les thèmes antérieurs réapparaissent dans les nouveaux poèmes, selon des perspectives différentes toutefois ; le regard et le ton ont changé, la méditation se fait plus grave, l'écriture s'est dépouillée : atteint par une grave maladie, Neruda sait que son avenir ne représente plus désormais que le temps d'une rémission. D'autre part, le Chili s'oriente vers une expérience politique déterminante, celle de l'Unité populaire, à laquelle le poète va se dévouer passionnément jusqu'à sa mort. La poésie reste donc inséparable de l'engagement et redevient, comme au temps de la guerre civile espagnole, une arme redoutable au service d'un combat sans merci.
Le poète chilien Pablo Neruda 1904-1973. Il est nommé ambassadeur du Chili à Paris en 1970, et reçoit le prix Nobel de littérature en 1971.
Qui ai-je été ? Et quoi ? Qu'avons-nous donc été ?
D'origine modeste, Pablo Neruda, de son vrai nom Ricardo Neftali Reyes Basoalto, est né le 12 juillet 1904 à Parral, au Chili. Son enfance, très proche de la nature, a pour cadre Temuco, petite ville de l'Araucanie. Dès l'adolescence, et pendant ses études dans la capitale Santiago, il écrit avec avidité. Depuis 1923, date de Crépusculaire Crepusculario, les œuvres se succèdent au long d'une vie marquée par les voyages, l'errance, l'exil :
ainsi toute ma vie, je suis allé, venu,
changeant de vêtements et de planète.
À partir de 1927, il occupe plusieurs postes consulaires : Rangoon, Colombo, Batavia, Buenos Aires ; il se trouvait à Madrid en 1935, à la veille de la guerre civile. Après un séjour au Chili, Neruda est nommé, en 1940, consul général au Mexique. La peinture des grands muralistes, Orozco, Rivera, Siqueiros, n'est pas sans influence sur Le Chant général Canto general qu'il compose alors. En 1945, le poète est élu sénateur des provinces minières du nord du Chili ; la même année, il adhère au Parti communiste mais les persécutions du président de la République, Gabriel González Videla, l'obligent à fuir son pays. Les voyages à nouveau se multiplient aux quatre coins du monde. En 1950, Neruda a obtenu le prix Staline de la paix. Sous le gouvernement socialiste du président Allende, il a été nommé en 1970 ambassadeur du Chili à Paris, et, en 1971, il a reçu la consécration du prix Nobel de littérature. Les œuvres, cependant, au fil des ans, n'ont pas cessé de voir le jour, tout imprégnées des péripéties d'une vie tumultueuse et généreuse :
Je déclare ici que personne n'est passé près de moi qui ne m'ait partagé.J'ai brassé jusqu'au coude et rebrassé dans une adversité qui n'était pas faite pour moi dans le malheur des autres.

Sa vie

Sa mère, Rosa Basoalto, institutrice, meurt deux mois après sa naissance. Son père, José del Carmen Reyes Morales, se remariera en 1906. Son premier apprentissage est la nature Mon enfance, ce sont des souliers mouillés, des troncs cassés / Tombés dans la jungle, décorés par les lianes. C'est la découverte du monde du vent et du feuillage.
De 1910 à 1920, il fréquente le lycée pour garçons de Temuco au Chili. À treize ans déjà, il publie ses premiers poèmes et textes en prose. À partir de 1921, il étudie la langue et la littérature française à Santiago et la pédagogie. Nombreux sont ceux qui pensent, à tort, qu'il a choisi son pseudonyme en hommage au poète tchèque Jan Neruda 1834-1891. En effet, comment un jeune chilien de 17 ans aurait pu connaitre ce poète qui n'a été traduit en espagnol que bien plus tard. Cependant, Ricardo Eliecer Neftalí Reyes Basoalto avait lu les Sherlock Holmes de Conan Doyle, notamment A Study in Scarlett où apparaît le nom de Neruda chapitre 4, " Je veux aller au concert de Hallé, cet après-midi, pour entendre Norman Neruda.. Voulant devenir professeur de français, il se fait très rapidement une renommée avec ses publications et des récitals de poésie.
À dix-neuf ans, il publie son premier livre Crepusculario, Crépusculaire. Suit, un an plus tard, Veinte poemas de amor y una canción desesperada, Vingt Poèmes d'amour et une chanson désespérée.
En 1927, Neruda entre au service diplomatique. Il devient consul à Rangoon, Colombo, Batavia, Calcutta, Buenos Aires. En décembre 1930, il épouse une hollandaise, Maryka Hagenaar qu'il renomme Maruca, avec qui il aura une fille : Malva Marina Reyes, née le 18 août 1934. En 1932, il rentre au Chili, en 1933, il publie Residencia en la tierra, Résidence sur la Terre.
À partir de 1935, il est consul en Espagne où il entretient des relations amicales avec Federico García Lorca qu'il avait connu à Buenos Aires et qui aura une influence déterminante sur sa vie et son œuvre, mais aussi avec Rafael Alberti et Jorge Guillén. Après le putsch de Franco du 18 juillet et l'assassinat de García Lorca, Neruda se fait l'avocat de la République espagnole. Il rédige J'explique certaines choses sur la guerre d'Espagne en 1937. Il est révoqué comme consul et commence España en el corazón, L'Espagne au cœur, qu'il publie en 1937 et dans lequel il franchit un pas décisif dans sa démarche. Son chant, de sombre et solitaire, devient solidaire et agissant Jean-Paul Vidal. La même année, il fonde le Comité hispano-américain pour le soutien à l'Espagne et l'Alliance des intellectuels chiliens pour la défense de la culture.
Il fait la connaissance de sa seconde épouse Delia del Carril. En août 1939, il affrète un bateau, le Winnipeg, pour transporter des réfugiés espagnols de la France vers le Chili, sélectionnant soigneusement parmi eux ses amis communistes au détriment des trotskistes et des anarchistes. Il se verra reprocher d'avoir délivré un visa chilien à David Alfaro Siqueiros, organisateur de la première tentative d'assassinat de Trotsky du 24 mai 1940. Il fait des voyages au Mexique, à Cuba et au Pérou. Il visite la forteresse inca de Machu Picchu. En 1945, il est élu au Sénat et devient membre du parti communiste chilien.
En 1946, Neruda dirige la campagne électorale de González Videla qui, après son élection comme président, se révèlera être un dictateur farouchement anticommuniste. Le poète réagit par un discours au Sénat portant le célèbre titre d'Émile Zola : J'accuse ! Il échappe de justesse à son arrestation et se réfugie à l'étranger. Son exil en Europe le conduit en URSS, en Pologne, en Hongrie, en Italie. Il visitera également l'Inde et le Mexique. C'est là que paraîtra en 1950 son Canto General, Chant Général, écrit dans la clandestinité. L'œuvre est interdite au Chili.
En 1949, Neruda est devenu membre du Conseil Mondial de la Paix à Paris. En 1953, il obtient le Prix Staline pour la paix et en 1955, en même temps que Pablo Picasso, le Prix international de la paix. Il rencontre la femme de sa vie, Matilde Urrutia qui l'inspire pour des poèmes d'amour d'une fulgurante beauté Cien sonetos de amor, Cent Sonnets d'Amour. De retour au Chili en 1952, il publie en 1954 les Odes élémentaires. En 1957, il devient président de l'Union des écrivains chiliens, l'année suivante il publie : Extravagario, Vaguedivague. Cette même année, tout comme en 1964, il soutient pleinement la campagne électorale de Salvador Allende comme candidat à la présidence de la République. Il a été à cette période l'une des cibles du Congrès pour la liberté de la culture, association culturelle anticommuniste fondée en 1950. En 1964, Neruda publie Memorial de Isla Negra, le retour sur son passé et son rêve d'une humanité plus fraternelle. En 1965, il est nommé Doctor honoris causa de l'Université d'Oxford.

Sa seule pièce de théâtre : Fulgor y muerte de Joaquín Murrieta, Splendeur et Mort de Joaquín Murrieta, est créée en 1967. Neruda publie, coup sur coup, La Barkarole, La Barcarole, Las manos del dia, Les mains du jour et Arte de pájaros, L'Art des oiseaux. En 1969, le parti communiste le désigne comme candidat à l’élection présidentielle, mais Neruda renonce en faveur d'Allende comme candidat unique de l'Unidad Popular. Après l'élection d'Allende, Neruda accepte le poste d'ambassadeur en France où il rencontrera Mikis Theodorakis et où il publiera La espada encendida, L'épée en flammes, et Las piedras del cielo (Les pierres du ciel), livres, dans lesquels sa méditation sur la solidarité nécessaire et le silence du monde, atteint son expression la plus intense. C'est lors de ce poste d'ambassadeur en France que son cancer de la prostate est diagnostiqué à l'hôpital Cochin où il est admis.
Le 21 octobre 1971, Pablo Neruda obtient, après Gabriela Mistral en 1945 et Miguel Ángel Asturias en 1967, comme troisième écrivain d'Amérique Latine, le Prix Nobel de littérature. En 1972, il retourne au Chili et est triomphalement accueilli au stade de Santiago. Neruda rédige Incitación al Nixoncidio y elogio de la revolución, Incitation au nixoncide et éloge de la révolution.
Le Coup d'État du 11 septembre 1973 au Chili renverse le président élu, Salvador Allende. La maison de Neruda à Santiago est saccagée et ses livres jetés au bûcher. Le poète et homme politique meurt le 23 septembre 1973 de cachexie cancéreuse selon son certificat de décès. L'inhumation du corps de Pablo Neruda, transporté depuis sa maison saccagée jusqu'au cimetière central de Santiago, devient, malgré la surveillance policière, la première manifestation publique de protestation contre la terreur militaire du nouveau pouvoir militaire. À la fin de la dictature militaire, son corps est inhumé selon ses vœux aux côtés de sa compagne près de sa maison à la Casa de Isla Negra.
Le poète est officiellement décédé d'un cancer de la prostate à la clinique Santa Maria de Santiago. Cependant, à la suite de témoignages convergents dont celui de Manuel Araya, jeune militant désigné par le Parti communiste chilien comme chauffeur, garde du corps et secrétaire de Neruda soutenant que Neruda a été assassiné par injection létale à la veille de son exil pour le Mexique afin de l'empêcher de témoigner des crimes du régime du général Pinochet, le parti communiste chilien a demandé le 2 juin 2011 l'ouverture d'une enquête pour déterminer les conditions exactes de sa mort. L'exhumation des restes de Pablo Neruda a été entreprise le 8 avril 2013 sous l'autorité du juge Mario Carroza, le magistrat étant aiguillonné par le développement des enquêtes sur des morts suspectes, notamment celle de l'ancien président chilien Eduardo Frei Montalva : Eugenio Berríos, biochimiste chilien travaillant pour la DINA pendant le régime de Pinochet, est ainsi fortement suspecté de complicité d'assassinat en tant que concepteur de poisons sophistiqués. Mais le 8 novembre 2013, le groupe d'experts internationaux a écarté l'hypothèse de l'empoisonnement. Le dossier judiciaire reste cependant encore ouvert.
En 1974, l'autobiographie de Neruda Confieso que he vivido, J'avoue que j'ai vécu, est parue à titre posthume. Extrait :

Je veux vivre dans un pays où il n'y ait pas d'excommuniés.
Je veux vivre dans un monde où les êtres soient seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une règle, par un mot, par une étiquette.
Je veux qu'on puisse entrer dans toutes les églises, dans toutes les imprimeries.
Je veux qu'on n'attende plus jamais personne à la porte d'un hôtel de ville pour l'arrêter, pour l'expulser.
Je veux que tous entrent et sortent en souriant de la mairie.
Je ne veux plus que quiconque fuie en gondole, que quiconque soit poursuivi par des motos.
Je veux que l'immense majorité, la seule majorité : tout le monde, puisse parler, lire, écouter, s'épanouir. »

Des rêves pareils à des cavaliers noirs

Sous un titre d'ombre et de mélancolie, Crépusculaire est bien une œuvre de jeunesse ; l'auteur n'a pas vingt ans ; une langueur diffuse donne à ce recueil disparate une tonalité en harmonie avec le modernisme hérité de Rubén Darío. Dès l'année suivante, avec ses Vingt Poèmes d'amour et une chanson désespérée, Veinte Poemas de amor y una canción desesperada, Neruda affirme son génie dans l'expression de l'érotisme charnel, dans l'exaltation de la femme et de la jouissance, auxquelles se mêlent en contrepoint les échos de la mort. À cette époque, l'esprit du poète est fasciné par les appels des profondeurs. Tentative de l'homme infini Tentativa del hombre infinito, 1926 et surtout Le Frondeur enthousiaste (El Hondero entusiasta, 1933 rendent compte de ce vertige de l'imagination tentée, à la suite des grands voyants, comme William Blake, Rimbaud, Lautréamont ou André Breton, de percer le mystère, d'élucider le monde, de révéler le cœur des choses. Dans L'Habitant et son espérance El Habitante y su esperanza et Anneaux Anillos, 1926, Neruda abandonne le vers pour la prose. Mais un lyrisme brûlant emporte ces récits de passions, de crimes, de vengeances où l'auteur semble poursuivre indéfiniment le sillage de souvenirs qui s'éloignent toujours. La même quête des contours d'une mémoire sans rivages se prolonge, à travers l'évocation de voyages, de paysages, d'états d'âme ou de nouvelles amours, dans les deux premiers recueils de Résidence sur la terre Residencia en la tierra, 1933 et 1935. La nature, et sa luxuriance exotique découverte en Asie, semble de plus en plus participer au destin intime du poète, dont ces deux livres traduisent le cheminement indécis, les détours obscurs ou lumineux. Mais ce cours sinueux, brusquement, va prendre une orientation imprévue. Troisième Résidence Tercera Residencia, 1947 révèle cette transformation. Après les remous des Furies et des peines Furias y penas, 1937, Neruda y inclut le chant de la guerre civile espagnole : Espagne au cœur España en el corazón, 1938) ainsi que le Chant à Stalingrad Canto a Estalingrado, 1942. Une prise de conscience nouvelle s'est faite chez lui : la poésie aussi peut être une arme dans le combat des hommes pour la justice.

L'épopée de l'Amérique

Entrepris par le poète au mois de mai 1938, le lendemain de la mort de son père, Le Chant général fut achevé plus de dix ans plus tard. Il se termine par ces mots :
Ainsi finit ce livre, je laisse ici
mon Chant général écrit
dans la persécution, en chantant sous les ailes clandestines de ma patrie.Aujourd'hui 5 février, en cette année1949, au Chili, à Godomarde Chena, quelques mois avant
la quarante-cinquième année de mon âge.
Abandonnant l'idée primitive d'écrire un poème à la gloire du Chili, Neruda, lors d'une ascension au Macchu-Picchu en 1943, décida de composer un chant général américain. Le livre fut publié en 1950 au Mexique. Il comprend quinze parties, ensemble composite et divers qui brosse, en un panorama grandiose, une sorte d'immense fresque lyrique et épique du continent américain, depuis les temps précolombiens, la conquête et l'indépendance jusqu'à l'histoire la plus récente ; il s'y mêle l'histoire des hommes, des indigènes, des clans, des factions, de leurs combats, de leurs révoltes, de leurs espoirs. La dernière partie, intitulée Je suis Yo soy, est une autobiographie poétique, une manière de testament et de profession de foi. Embrassant à la fois l'histoire d'un homme et celle de toute l'Amérique hispanique, Le Chant général s'élargit aussi aux dimensions de l'histoire universelle, des États-Unis d'Amérique aux nations opprimées comme l'Espagne ou la Grèce. Dans ce tableau démesuré, dans cette exaltation grandiose de la libération des hommes, le chantre a su faire passer toute la violence et l'humour, toute la tendresse et la force d'imprécation d'un lyrisme qui sait allier spontanément les formes les plus raffinées aux tonalités les plus âpres, la simplicité la plus sobre à l'invective la plus mordante, et les cris les plus discordants à la mélodie la plus envoûtante.

Toute clarté est obscure

Foisonnante et capricieuse, l'inspiration de Neruda semble, après Le Chant général, rejaillir de sources nouvelles. Le cycle des Odes montre, à la suite des grands élans de révolte ou d'exaltation, comme un repli d'intériorisation : Odes élémentaires, Odas elementales, 1954, Nouvelles Odes élémentaires Nuevas Odas elementales, 1956, Troisième Livre des Odes Tercer Libro de la Odas, 1957, Navigations et retours, Navigaciones y regresos, 1957. Sur des rythmes allègres, on y voit célébrées les choses quotidiennes : l'artichaut, les oiseaux, le livre, la tomate... ; des abstractions morales : la joie, l'énergie, l'espérance... ; des admirations littéraires : Jorge Manrique, Rimbaud, Whitman... Dans ces livres, Neruda a su, sur le mode mineur, renouer le dialogue ininterrompu qu'il entretient avec le monde et qui se poursuit, d'autre façon, dans d'autres livres : Les Raisins et le Vent Las Uvas y el Viento, 1954, Les Pierres du Chili Las Piedras de Chile, 1961. Publié en 1958, Vaguedivague Estravagario, sur un ton ambigu de tristesse ironique, est une sorte de méditation du poète sur son propre destin. Dans cette œuvre aux accents quasi métaphysiques brillent, comme toujours chez Neruda, des images splendides, insolites et fascinantes. La même force d'évocation des profonds de l'être se révèle dans La Centaine d'amour Cien sonetos de amor, 1959, où l'écrivain poursuit l'autobiographie amoureuse dont Les Vers du capitaine Los Versos del capitán, 1952 avait, quelques années plus tôt, montré d'autres détours.

Je suis celui qui remémore

Depuis son adolescence, Neruda n'a jamais cessé, à travers son œuvre multiple, de tenir le journal d'une vie dont on dirait qu'il craint de perdre la moindre page. Sur des rythmes aussi divers que les moments d'une journée ou d'une destinée, Mémorial de l'île Noire, Memorial de isla Negra, publié en 1964, pour le soixantième anniversaire de l'auteur, est le livre des souvenirs. L'enfance, les amours, les voyages, la politique, la nature, la joie et la souffrance, et l'amour de nouveau offrent les thèmes de ces évocations d'un lyrisme passionné à l'image de l'inspiration qui a toujours brûlé chez Pablo Neruda.
Son œuvre se renouvelle encore ; d'autres titres s'ajoutent, en sa vieillesse, à la liste des ouvrages cités. En 1967 est créée sa première œuvre dramatique : Splendeur et mort de Joaquín Murieta Fulgor y muerte de Joaquín Murieta. Mais, depuis longtemps déjà, Neruda a donné à la littérature de l'Amérique de langue espagnole la marque de son génie composé à la fois de force et de simplicité, d'intuitions fulgurantes et de généreuse humanité. Bernard SESÉ

Pourquoi m'a-t-on donné des mains ?

C'est en novembre 1968 que paraît le recueil intitulé Les Mains du jour Las Manos del día, 1968. Le poète regarde ses mains et les déclare inutiles puisque lui-même n'a rien bâti de concret. Qui est-il ? Non point l'un de ces travailleurs manuels auxquels il a tant rendu hommage, notamment dans les Odes élémentaires, mais un simple spectateur de l'œuvre matérielle des hommes. Certes, le chant poétique magnifie la fabrication des choses, mais la feuille de papier et les mots qui y sont déposés par le poète garderont toujours un caractère amer et dérisoire. Neruda retrouve la solitude, tentation jusqu'alors conjurée par la poésie. L'heure de la mort approchant, il convient de dire clairement quel fut le sens de toute une vie. Une conclusion se dégage malgré les incertitudes : l'œuvre nérudienne est un cadeau fait aux hommes, un acte de partage qui renverra les êtres à leur propre vie et les aidera à prendre conscience d'eux-mêmes. La forêt chilienne demeure aussi inépuisablement belle et le poète l'exalte une fois de plus avant l'invocation terminale à toutes les mains des hommes et à chacune des mains du jour.
C'est encore la nature de son pays qui inspire à Neruda le livre suivant : Encore Aún, juillet 1969. Alors qu'il fête son soixante-cinquième anniversaire, le poète proclame la nécessité d'éclairer ses devoirs terrestres. Aussi chante-t-il sa terre, l'Araucanie, rose mouillée dont les racines se trouvent dans son propre corps, et dont les chemins le conduisent vers le pôle Sud, entre des arbres brûlés. Chaque terme géographique renvoie à un jalon de l'itinéraire matériel et poétique qui amena l'enfant de Temuco à la découverte du verbe, c'est-à-dire à sa véritable naissance. La mort du poète a déjà commencé, mais seule importe l'éternité de la vague :
Je meurs dans chaque vague chaque jour.
Je meurs dans chaque jour en chaque vague.
Pourtant le jour ne meurt jamais. Il ne meurt pas. Et la vague ? non plus. Merci.

L'angoisse et l'espoir

C'est aussi en juillet 1969 que paraît Fin de monde Fin de mundo. Ce livre évoque le possible et absurde anéantissement de notre univers par l'éclatement de l'arme atomique. Neruda dénonce avec véhémence les horreurs d'une guerre toujours présente en ce monde, notamment au Vietnam. Il révèle l'expérience de la mort humaine à travers les objets, les signes qui subsistent après les catastrophes ; ainsi parle-t-il de l'enfant brûlée sous les décombres de sa maison ou étouffée dans la rizière, en évoquant simplement une poupée aux yeux vides, seule rescapée du bombardement. La mer, si importante dans l'œuvre nérudienne, représente ici encore l'éternité, mais elle aussi est menacée par les atteintes de l'homme. Refusant toute forme de culte et d'autosatisfaction, l'écrivain réaffirme humblement son espérance et sa volonté de comprendre les hommes, ses frères, y compris les bourreaux car il n'est point de lutte sans une part de complicité avec le mal.
L'activité politique du poète ne connaît point de relâche durant les années 1969 et 1970. Le 30 septembre 1969, Neruda est désigné par son parti comme candidat à la présidence de la République. Il parcourt le Chili en tous sens et clame son adhésion à l'Unité populaire qui vient de se créer. En janvier 1970, il retire sa candidature afin de permettre à un candidat unique de l'Unité populaire de se présenter aux élections. Salvador Allende est élu en septembre, avec 36,3 p. 100 des voix, et le Congrès confirme cette élection le 24 octobre 1970. L'activité poétique de Neruda ne subit aucun ralentissement au cours de cette période : ainsi deux livres de poèmes sont-ils publiés en 1970.

1970 : L'Épée de flammes et Les Pierres du ciel

L'Épée de flammes La Espada encendida, 1970 s'ouvre sur une citation de la Genèse III, 24 évoquant l'homme chassé de l'Éden, les chérubins et l'épée de feu qui s'agite de tous côtés, pour garder le chemin de l'arbre de la vie. Au seuil de ce livre, il est clair que le cataclysme universel a eu lieu. Un seul survivant, Rhodo le guerrier, contemple les statues disséminées, puis traverse la forêt mythique pour redevenir le premier homme, porteur d'une infinie solitude. Surgit alors Rosie, la jeune Blanche nue, survivante de la légendaire Ville des Césars dont parle J. Vicuña Cifuentes dans Mythes et superstitions du Chili Mitos y supersticiones de Chile, 1919, livre cité par Neruda à la fin du recueil. Rhodo reprend peu à peu conscience des merveilles de son corps et de l'évidence du désir. Tels deux innocents perdus, Rosie et Rhodo se rejoignent charnellement et leur étreinte est à la mesure de l'immense paradis sauvage où ils se sentent à la fois neige, pierre et feu, où ils vivent un amour qui ne va pas sans haine, un plaisir qui est aussi une agonie anticipée. Mais l'épée de feu – ici représentée par un volcan américain – menace cet Adam et cette Ève du nouvel éden patagonien. Contrairement à la légende, le feu dévastateur n'ensevelira pas dans l'océan l'arche fragile où se sont réfugiés les animaux, autour du couple symbolique qui, libéré de Dieu, accède à son tour à la divinité.
Et la liberté de la mer les soulevaitdans son ventre spacieux :ils ondulaient sans route fixe et sans douleur sur la nef solitaire,de nouveau seuls, et pourtant maîtres désormaisde leurs artères, maîtres de leurs paroles, dieux communs et libres sur la mer.
Ainsi s'achève cette sonate noire où Neruda écrit une genèse du continent américain, suivant une dialectique qui restitue à l'homme ses pleins pouvoirs.
Les Pierres du ciel Las Piedras del cielo, 1970 ne sont pas sans rappeler Les Pierres du Chili (Las Piedras de Chile, 1961. Chaque gemme du nouveau recueil, topaze, obsidienne, agate, cornaline, est célébrée dans un court poème où de somptueuses métaphores révèlent la beauté et le secret de la matière, pour conduire à la méditation sur la fragilité humaine : chair et pierre : entités à jamais ennemies.

Le séjour en France

Nommé ambassadeur à Paris, Neruda arrive en France en mars 1971. Réceptions, voyages, vie mondaine épuisent le poète déjà très affaibli. Le 21 octobre 1971, le prix Nobel de littérature lui est décerné. Dans le discours qu'il prononce à Stockholm, le poète évoque avec tendresse les frères inconnus qui l'aidèrent à franchir les Andes alors que sa tête était mise à prix dans son propre pays 1949. Réaffirmant « qu'il n'y a pas de solitude inexpugnable et que le poète n'est pas un petit dieu, Neruda se rallie à la prophétie de Rimbaud : À l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes, en laquelle il voit la proclamation d'un avenir certain. En 1972, il prononce devant le Pen Club International un discours dénonçant le blocus américain contre le Chili. Géographie infructueuse Geografía infructuosa, 1972 paraît en mai à Buenos Aires : pressentant sa proche agonie, le poète s'interroge sur sa vie et sur son œuvre poétique. Renonçant à son poste, il quitte la France le 20 novembre 1972 et rentre au Chili avec Mathilde Urrutia. Son peuple l'accueille triomphalement à Santiago.
1973, le dernier combat : Ma chanson est offensive et dure comme la pierre araucane
Neruda participe à la campagne pour les élections de mars en écrivant Incitation au nixonicide et éloge de la révolution chilienne Incitación al nixonicidio y alabanza de la revolución chilena, 1973 ; tout en chantant l'Océan et Quevedo, il fustige dans de courts pamphlets les politicards et les larrons. Le 11 septembre, un putsch militaire renverse le gouvernement de l'Unité populaire. Allende est assassiné à la Moneda. Le 23 septembre Pablo Neruda meurt à Santiago. Ses obsèques se déroulent en présence de l'armée : des chants jaillissent de la foule, témoignant, par-delà la mort, du pouvoir subversif de la poésie.

Coups d'État au Chili et en Argentine, 1973 et 1976

Dès le milieu des années 1960, l'Amérique latine voit se multiplier les dictatures militaires. Au Chili, le 11 septembre 1973, le coup d'État du général Pinochet met un terme sanglant à l'expérience de gouvernement d'Unité populaire de Salvador Allende. Le président Allende mourra dans le palais de…
Les livres posthumes. Huit livres de poèmes publiés à Buenos Aires reprennent les questions essentielles de toute une vie, mais en les approfondissant. La Rose détachée La Rosa separada, 1973 évoque une visite à l'île de Pâques, le va-et-vient entre le Moi et le Nous et la nécessité pour le poète du retour aux origines. La Mer et les cloches El Mar y las campanas, 1974 réunit toutes les voix du poète dans le temps et la géographie ; Jardin d'hiver Jardín de invierno, 1974 définit la permanence de l'être en la matière ; 2000 1974 répète l'avertissement de Fin de monde. Le Livre des questions Libro de las preguntas, 1974 et le Cœur jaune El corazón amarillo, 1974 restent fidèles à la veine amorcée dans Vaguedivague Estravagario, 1958 ; Élégie Elegía, 1974 évoque les compagnons disparus, enfin Défauts choisis Defectos escogidos, 1974 noue étroitement la géographie américaine aux expériences intimes du poète.
Les Mémoires, parues en 1974, J'avoue que j'ai vécu Confieso que he vivido, ne consistent pas en une somme de souvenirs mais en une méditation sur la poésie : Ma vie est une vie faite de toutes les vies : les vies du poète. Marie-Claire Zimmerman

Œuvres de Pablo Neruda

J'explique certaines choses, 1937 Gallimard
Les Hommes du Nitrate 1950 Gallimard
Vaguedivague 1958 1971 Gallimard
Les vers du capitaine, 1952, Imprenta L'Arte Tipografica
(es) Una Casa en la arena, textes de Neruda, photographies de Sergio Larrain
Valparaíso, textes de Neruda, photographies de Sergio Larrain, éditions Hazan, 1991,
Influence de la France et de l'Espagne sur la littérature 1997 Caractères
Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée 1998 Gallimard
Né pour naître 1996/1996 Gallimard
La Centaine d'amour 1995 Gallimard
Premio nobel de littérature 1971
Confieso que he vivido . Memorias. Barcelona, Seix Barral, 1974.
J'avoue que j'ai vécu, Gallimard, 1975, 1997.
Chant Général 1984 Gallimard
La Rose détachée et autres poèmes, Gallimard, 1982
Les Premiers Livres 1982 Gallimard
Splendeur et mort de Joaquim Murieta 1978 Gallimard
Mémorial de l'île noire 1977 Gallimard
Odes élémentaires 1974 Gallimard
L'Épée de flammes 1973 Gallimard
Incitation au nixonicide et Éloge de la révolution chilienne, 1973 adaptation de Marc Delouze Éditeurs français réunis.
Résidence sur la terre 1972 Gallimard
Les Pierres du ciel - Les pierres du Chili, photographies d'Antonio Quintana, 1972 Gallimard
L'Espagne au cœur 1938 Denoël
"Sévérité", traduction par Victor Martinez d'un poème inédit en français de Neruda, in moriturus no 5, Les Cabannes, 2005.
Espagne dans le cœur , poème, 1937
Oda a la manzana, poème, 1957
Le livre des questions, édition Gallimard jeunesse
.
Iconographie liste non exhaustive

1939 vers - Au bar de La Coupole à Paris avec sa seconde épouse et Paul Grimault, photographié par Émile Savitry

Pablo Neruda dans la culture populaire

Pablo Neruda est cité à de nombreuses reprises dans la série télévisée How I Met Your Mother (2005-2014).
Philippe Noiret interprétera le rôle de Pablo Neruda dans le film Il postino (Le facteur) de Michael Radford, sorti en 1994 et inspiré du livre d'Antonio Skármeta Ardiente paciencia Une Ardente Patience paru en 1985.

Cinéma

Philippe Noiret a joué Neruda dans Il Postino de Michael Radford 1994 ; Fiche sur IMDB

Musique

Jean Ferrat a chanté la Complainte de Pablo Neruda sur un poème écrit par Louis Aragon;
Míkis Theodorákis a mis en musique le Canto General composé par Theodorakis, CD live Auguste 13, 1975, Kairaskakis Stadium, Pireus, and on August 16, 1975, at the Panatninaikos-stadium, Athens, by Polysound studio
Paco Ibáñez a mis en musique et chanté quelques-uns de ses plus beaux poèmes en 1977.
Canta u Populu Corsu, groupe Corse, a repris la chanson de Jean Ferrat en y adaptant les paroles en langue corse et cela a donné Cantu à Pablo Neruda
Víctor Jara a chanté Canta a Pablo Neruda


Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l

Posté le : 11/07/2015 18:37
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


François Furet
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57675
Hors Ligne
Le 12 juillet 1997 meurt François Furet

à 70 ans, à Figeac, né le 27 mars 1927 à Paris, historien français. Il est notamment connu pour ses ouvrages sur la Révolution française. Formé à l'Université de Paris, ses titres sont : président de l'EHESS, membre de l'Académie française. Il fait une approche de l'histoire de la Révolution française. Ses ouvrages sont Travaux La Révolution française avec Denis Richet en 1965, Penser la Révolution française en 1978, Le Passé d'une illusion en 1995
Cet hHistorien français marqué par la nouvelle histoire, il s'attache à définir de nouveaux objets pour l'histoire, notamment la manière de penser le politique Penser la Révolution française, 1978 ; l'Atelier de l'histoire, 1982 ; le Passé d'une illusion. Essai sur l'idée communiste au XXe siècle, 1995. Il a assuré, en collaboration avec Mona Ozouf, la direction du Dictionnaire critique de la Révolution française 1988.

En bref

S'il est difficile de brosser le portrait de François Furet, un homme qui a dénié toute vertu explicative aux biographies, il est néanmoins possible d'établir quelques jalons dans une vie, réussie dans le domaine professionnel comme dans la sphère de l'opinion publique, et une œuvre représentative de toute une génération d'historiens, consacrées l'une et l'autre par son élection à l'Académie française, le 21 mars 1997, au fauteuil de Michel Debré.
François Furet est né à Paris le 27 mars 1927, dans un milieu bourgeois ; son père, banquier, lié aux grandes familles catholiques du Choletais, publie en 1950 un livre sur l'histoire de Cholet, digne de l'école des Annales. Après des études au lycée Janson-de-Sailly et des activités dans la Résistance, puis des ennuis de santé, François Furet obtient l'agrégation d'histoire en 1954. Se détournant de l'enseignement, il est attaché de recherches au C.N.R.S. dès 1956, entre à la VIe section de l'École pratique des hautes études, par la suite École des hautes études en sciences sociales, comme sous-directeur d'études en 1961, puis est directeur d'études en 1966 et préside cet organisme de 1977 à 1985. Ayant créé l'institut Raymond-Aron, dans la mouvance de l'école, il le dirige jusqu'en 1992. Parallèlement, il intervient dans des universités étrangères, avant d'être professeur permanent à l'université de Chicago à partir de 1982.
Cette réussite professionnelle se double d'une implication durable dans la vie publique française. Militant communiste jusqu'en 1956, il participe à l'élaboration des réformes de l'enseignement supérieur engagées par Edgar Faure après 1968, tient régulièrement des rubriques dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur. Cet intérêt pour les interventions au plus haut niveau se poursuit dans la création de la Fondation Saint-Simon en 1982, lieu de rencontre où des universitaires, des hommes politiques et des responsables économiques envisagent les problèmes de notre époque dans une optique libérale.
Son œuvre est l'écho de cette double orientation. Commencée dans le domaine de l'histoire sociale et économique, sous la tutelle d'Ernest Labrousse, elle s'infléchit vers l'histoire culturelle. Le tournant est attesté par la publication, au milieu des années 1960, d'un livre présentant la Révolution française à un large public, rédigé avec Denis Richet. Contestant les leçons de l'école marxisante liée à Albert Soboul, cet ouvrage insiste sur les dérapages précoces de l'évolution politique conduisant vers la Terreur. Considéré comme un intrus dans un domaine spécifique, François Furet tire des années de débats passionnés qui suivent le recueil d'articles Penser la Révolution française, qui donne la clé de son œuvre. Il y dénonce les a priori du catéchisme révolutionnaire délivré depuis la Sorbonne, qui le qualifie de « révisionniste, il instaure une nouvelle historiographie, citant Tocqueville et Cochin, récuse l'idée de la rupture révolutionnaire et estime que la Révolution est terminée, puisque notre société n'est plus orientée par les luttes héritées du XVIIIe siècle.
Dans une nouvelle série de livres publiés entre 1986 et 1991, il approfondit son analyse des apports de l'historiographie et de la progressive élaboration des concepts marxistes. La Révolution française est ainsi pensée par lui dans sa dimension culturelle et politique, puisque c'est là que s'est opéré, entre 1787 et 1789, le basculement des principes du gouvernement et des références politiques. Il estime que ce qui se produit par la suite relève d'une deuxième révolution, liée à l'action des sociétés de pensée et à l'influence des philosophes utopistes. Ceux-ci enracinent un discours commémoratif, libèrent la violence, dont le paroxysme est atteint pendant la Terreur, et entraînent le pays dans une politique d'essence totalitaire. L'enfermement quasi originel des révolutionnaires dans un système de langage et de pensée les conduit à des surenchères idéologiques, les coupe du réel et les incite à faire le bonheur des hommes malgré eux. Ainsi, pour lui, 1793 serait dans 1789 comme le ver dans le fruit, et contiendrait 1917. Cela le conduit à dire qu'il faut rompre avec le jeu historiographique du XIXe siècle, déjà clos par la IIIe République, qui a mené la Révolution à son port, et récuser l'historiographie ultérieure absorbée par sa rencontre avec la Révolution bolchevique, annoncée par 1793. Michelet, Quinet auraient ainsi contribué à créer autant qu'à transmettre une tradition républicaine inspirée par une vision légendaire et militante de la Révolution française, léguant des idées reçues sur les catégories, les datations, etc. que les recherches du XXe siècle n'auraient pas remises en cause mais introduites dans une exégèse sans recul.
Cette double dénonciation, d'une historiographie illusionniste qui ne reconnaît pas les principes politiques qui l'animent et d'une tradition aveugle sur ses présupposés, permet de comprendre le dernier ensemble des ouvrages publiés par François Furet. Celui-ci poursuit l'histoire de l'héritage révolutionnaire et dénonce la séduction que les approches révolutionnaires et marxisantes ont opérée sur les intellectuels ; Le Passé d'une illusion est en cela une des conclusions essentielles de cette quête. Son œuvre n'a donc jamais cessé d'être polémique et profondément ancrée dans les débats des trente dernières années. Elle a épousé et illustré les grandes évolutions de l'opinion, accompagnant la faillite du système totalitaire soviétique et des illusions du progrès, jusque dans la récusation des analyses socio-économiques. Elle critique les pratiques empiriques des historiens, asservies à l'historiographie commémoratrice. Elle réaffirme le primat du récit et de la synthèse interprétative, au moment où la communauté intellectuelle s'interroge sur les fondements de ses connaissances.
Sacré roi de l Révolution en 1989, tant sa place dans les médias a été considérable, alors qu'il ne jouait officiellement aucun rôle dans l'organisation du bicentenaire, François Furet aura incarné brièvement la réconciliation improbable entre la recherche et l'Académie sur le sujet historique qui les avait le plus opposées depuis le début de ce siècle. Jean-Clément MARTIN

Sa vie

Issu d'une famille bourgeoise, son père exerçant la profession de banquier, François Furet entreprit des études secondaires au lycée Janson-de-Sailly. Élève brillant, il commença des études à la faculté des lettres et à la faculté de droit de Paris mais, atteint de tuberculose, il dut cesser ses études en 1950. Jusqu'en 1954, il passa plusieurs mois en sanatorium dans les Alpes, puis en convalescence au centre de post cure de la Fondation de France, rue Quatrefages à Paris.

Carrière et militance

Furet fut, très tôt, un militant politique, membre du Parti communiste. En 1947, il publia dans La Nouvelle critique, avec Annie Kriegel et d'autres, un article dénonçant Ernest Labrousse comme le complice de Léon Blum, plat valet des Américains, sous le pseudonyme de Jacques Blot.
Sous son impulsion très énergique, Quatrefages devint le centre d'une cellule des étudiants communistes recrutant tout ce que le Quartier latin produisit de plus brillant dans le genre, depuis les normaliens tels Emmanuel Le Roy Ladurie jusqu'aux étudiants étrangers, tel le docteur Vinh, futur ministre des plantations de la République socialiste du Viêt Nam.
Brillamment reçu en 1954 à l'agrégation d'histoire, dont le jury est présidé depuis 1950 par Fernand Braudel, professeur au Collège de France, François Furet est nommé professeur de lycée à Compiègne où il enseigne jusqu'en 1955, avant d'être muté à Fontainebleau. En 1956, il entre au CNRS comme attaché de recherche afin d'entreprendre des recherches sur la bourgeoisie parisienne au XVIIIe siècle. Il publiera quelques uns de ses résultats en collaboration avec Adeline Daumard, dans un Cahier des Annales (Structures et relations sociales à Paris au milieu du XVIIIe siècle, Paris, A. Colin, sorti en 1961.
En 1959, il quitta le PC, puis participa à la fondation du PSU en 1960. Il fut aussi en parallèle journaliste à France-Observateur, le futur Nouvel Observateur.
En 1961, Furet entre comme chef de travaux à la sixième section de l'École pratique des hautes études. Maître de conférences en 1964, il est nommé directeur d'études en 1966.
Après mai 1968, il devient conseiller du ministre de l’Éducation nationale, Edgar Faure.
La sixième section de l'École pratique des hautes études étant devenue en 1975 École des hautes études en sciences sociales, il en est élu président en 1977 et succède alors à Jacques Le Goff ; il le restera jusqu'en 1985, date à laquelle il commence un enseignement régulier aux États-Unis, notamment à l'université de Chicago. Ces activités en Amérique du Nord lui valurent de recevoir un diplôme honoris causa de l'université Harvard.

Fin de vie

Fondateur, avec d'autres, de la fondation Saint-Simon, Furet a aussi présidé l'Institut Raymond-Aron, autant d'activités qui lui ont permis d'élargir son champ de recherches et de réflexions. La variété et le volume de ses travaux lui ont valu d'obtenir de nombreux prix : le prix Alexis-de-Tocqueville en 1991, le prix européen des Sciences sociales et le prix Hannah Arendt de la pensée politique en 1996.
Élu à l'Académie française, le 20 mars 1997, au fauteuil 1 où il succède à Michel Debré mort le 2 août 1996, il décéda peu après à Figeac à la suite d'une chute survenue lors d'un match de tennis. Sa disparition l'empêcha d'être officiellement reçu à l'Académie française où il fut remplacé un an plus tard par René Rémond. C'est ce dernier qui prononça l'éloge de ses deux prédécesseurs. François Furet repose au cimetière de Larroque-Toirac Lot.

Hommages posthumes

Un collège d'Antony Hauts-de-Seine porte son nom depuis 20035.
Les amphithéâtres de l'École des hautes études en sciences sociales à Paris et de l'Institut d'études politiques de Lille portent son nom.

Distinctions

Prix Alexis-de-Tocqueville
Grand prix Gobert
Prix Chateaubriand
Élu à l'Académie française en mars 1997

Publications Penser la Révolution française

Spécialiste du XVIIIe siècle, Furet a marqué, par l'ouvrage La Révolution française qu'il a publié avec Denis Richet en 1965, un tournant de la recherche historique sur cette période. Après plusieurs décennies où la Convention et le Comité de salut public mobilisent la plupart des recherches universitaires, ce livre se place résolument dans une perspective plus large, dépassant le cap de Thermidor, habituellement considéré par les historiens qui l'ont précédé, Aulard, Mathiez, Lefebvre, Soboul, comme le terme des événements de la Grande Révolution.
Ce choix de rééquilibrer l'analyse de la période révolutionnaire en y intégrant la Convention thermidorienne et le Directoire n'est pas anodin. Furet prend à contrepied les théories admises par les historiens marxistes. Pour ces derniers, Soboul et Lefebvre principalement, la Révolution française est d'abord une expression de la révolte des masses populaires, à l'exemple du mouvement jacobin soutenu par l'avant-garde des sans-culottes qui disparaît après le 9-Thermidor. À l'inverse, non sans susciter des polémiques dans le monde universitaire français, François Furet et Denis Richet défendent l'idée d'une révolution des élites qui aurait dérapé en 1793. La confiscation violente du pouvoir par les masses durant la Terreur aurait perturbé le cours pacifique d'une modernisation sociale menée par le haut à partir de 1787.
Furet approfondira ces réflexions dans son ouvrage, Penser la Révolution française, publié en 1978, notamment en s'appuyant sur les travaux d'Augustin Cochin que l'historiographie avait largement oublié après sa mort en 1916, non sans revenir sur la thèse du dérapage, relevant les prémices de la Terreur dès 1789 et percevant une possible consonance de la Terreur avec la Révolution tout entière. Dans sa synthèse La Révolution, 1770-1880, envisageant le temps long, il montre les continuités entre l'Ancien Régime et la Révolution, dont le long processus ne prend fin qu'avec l'arrivée au pouvoir des républicains opportunistes, qui séparent la démocratie de la révolution et refusent de sacrifier la liberté individuelle aux nécessités historiques.

Le passé d'une illusion

En 1995, François Furet publia Le Passé d'une illusion dont le titre est une allusion à l'ouvrage de Sigmund Freud, L'Avenir d'une illusion. Cet ouvrage analyse sans concession le courant communiste du XXe siècle, en croisant deux niveaux, son propre cheminement militant et sa connaissance approfondie de la Révolution française. Cet ouvrage reçut simultanément, le prix du livre politique, le prix Chateaubriand et le grand prix Gobert de l'Académie française.

Autres publications

La Révolution, avec Denis Richet, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1965 ; 2e éd., La Révolution française, Hachette Littératures, coll. Pluriel nº 950, Paris, 1999, 944
Lire et écrire, avec Jacques Ozouf, Éditions de Minuit, Paris, 1977. Tome 1 et tome 2
L'Atelier de l'histoire, Éditions Flammarion, Paris, 1982, 312 p. ; rééd., coll. Champs nº 739, 2007, 312 p.
Penser la Révolution française, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires, Paris, 1978, 259 p. ; nouvelle éd. revue et corrigée, 1983
La Gauche et la Révolution au milieu du XIXe siècle. Edgar Quinet et la question du jacobinisme, Hachette, Paris, 1986
Dictionnaire critique de la Révolution française dir. avec Mona Ozouf, Éditions Flammarion, Paris, 1988, 1 154 p. ; nouvelle éd., coll
La république du centre, avec Jacques Julliard et Pierre Rosanvallon, éd. Calmann-Lévy, 1988
Le Siècle de l'avènement républicain dir. avec Mona Ozouf, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires, Paris, 1993, 475 p.
Le Passé d'une illusion. Essai sur l'idée communiste au xxe siècle, Éditions Robert Laffont et Éditions Calmann-Lévy, Paris, 1995, 580 p.
La Monarchie républicaine. La constitution de 1791, avec Ran Halévi, Librairie Arthème Fayard, coll. « Les Constitutions françaises, Paris, 1996, 605 p.
Fascisme et communisme, avec Ernst Nolte, Éditions Plon, Paris, 1998, 145 p. ; rééd., Hachette Littératures, coll. Pluriel, Paris, 2000, 145 p.
La Révolution en débat, Paris, Gallimard coll. Folio, 1999, 195 p.,
Itinéraire intellectuel. L’historien journaliste, de France-Observateur au Nouvel Observateur 1958-1997, éd. établie et préfacée par Mona Ozouf, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l'esprit, Paris, 1999, 617 p
Marx et la Révolution française, Paris, Flammarion, 1986

Bibliographie

Notices d’autorité : Fichier d’autorité international virtuel • International Standard Name Identifier • Bibliothèque nationale de France • Système universitaire de documentation • Bibliothèque du Congrès • Gemeinsame Normdatei • WorldCat
François Dosse, L'Histoire en miettes. Des Annales à la nouvelle histoire, La Découverte, Paris, coll. « La Découverte Poche / Sciences humaines et sociales » (ISSN 1272-1522) nº 195, 2005 (1re éd. 1987), 268 p. (ISBN 2-7071-4590-4)
Ran Halévi, L'expérience du passé : François Furet dans l'atelier de l'histoire, Paris, Gallimard,‎ 2007, 116 p. (ISBN 978-2-0707-8382-3)
Philippe Poirrier, Les enjeux de l'histoire culturelle, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire »,‎ 2004, 435 p. (ISBN 978-2-0204-9245-4)
O. Bétourné, I. Aglaia Hartig, Penser l'histoire de la Révolution française, deux siècles de passion française, La Découverte, 1989. (une lecture critique des écrits de François Furet et une étude des travaux marquants sur la Révolution).
Enzo Traverso, Révolutions. 1789 et 1917 après 1989. Sur François Furet et Arno J. Mayer », dans L’Histoire comme champ de bataille, Paris, La Découverte, 2011.
Christophe Prochasson, François Furet les chemins de la mélancolie, Paris, Stock,‎ 2013, 576 p.



Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l


Posté le : 11/07/2015 18:35
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Jean Cocteau
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57675
Hors Ligne
Le 5 juillet 1889 naît Jean Cocteau

né Clément Eugène Jean Maurice Cocteau à Maisons-Laffitte et mort à 74 ans le 11 octobre 1963 dans sa maison de Milly-la-Forêt, poète, graphiste, dessinateur, céramiste, mithographe, tapissier, dramaturge et cinéaste français. Il est élu à l'Académie française en 1955.
Comptant parmi les artistes qui ont marqué le XXe siècle, il a côtoyé la plupart de ceux qui ont animé la vie artistique de son époque. Il a été l'imprésario de son temps, le lanceur de modes, le bon génie d'innombrables artistes. En dépit de ses œuvres littéraires et de ses talents artistiques, Jean Cocteau insista toujours sur le fait qu'il était avant tout un poète et que tout travail est poétique. Szs Œuvres principales sont Le Sang d'un poète en 1930, La Machine infernale en 1934

En bref

Le 11 octobre 1963 avait lieu, à Cuverville, la vente aux enchères de la bibliothèque de Gide. Le même jour, à Milly-la-Forêt, une crise cardiaque terrassait Jean Cocteau.
L'avenir n'aura pas de peine à voir là la fin d'une époque, que Cocteau couvrit tout entière et dont il fut peut-être le porte-parole le plus éloquent. Osant la vivre, osant affronter toutes ses formes d'expression, il l'habita si exactement qu'on a peine à présent à l'en détacher.
Il avait pris la précaution de naître en 1889, la même année que Charlie Chaplin. Il prendra celle de mourir en même temps que Francis Poulenc et Édith Piaf.
Il est des œuvres qui s'édifient loin du public, d'autres qui s'adressent à lui et attendent ses réponses pour rebondir. D'emblée, celle de Cocteau appartient au second genre, celui des coqueluches et des enfants maudits.
À dix-neuf ans, il est fêté par le tout-Paris. On organise une matinée théâtrale où sont présentées les œuvres du jeune poète. Il n'avoue coquettement que dix-huit ans. Le succès suit. Les femmes du monde, les poètes en vue s'arrachent l'enfant prodige, réputé pour avoir la conversation la plus spirituelle de Paris.
Succès essentiellement mondain, d'ailleurs. Ces recueils de poèmes paraissent au public du temps aussi brillants qu'inoffensifs. Ils offrent aujourd'hui l'aspect d'une collection d'influences, mal armée pour résister au passage des modes. On a peine cependant à imaginer ce que fut cet engouement tout parisien pour un Parisien-né, cette popularité parmi les élites mondaines et artistiques du jeune bourgeois issu d'une lignée d'agents de change et d'amiraux. Bien peu d'œuvres longtemps approfondies connurent une telle inauguration !
Ce Prince frivole fréquente tout ce qui compte alors dans les arts et les lettres : Catulle-Mendès, les Daudet, les Rostand, la comtesse de Noailles, Proust... Autant de figures dont il dessinera les traits dans ses Portraits-souvenirs 1935. L'homme qui marche vers la cinquantaine se penche, dans cette délicate autobiographie, sur les médaillons d'un salon qui serait le Paris mondain des années folles. Il observe surtout l'enfant qu'il y fut, heureux de la Madeleine à Maisons-Laffite ; étonné par les réceptions musicales ou la découverte du cirque ; ébloui devant les monstres sacrés » de la Comédie-Française. Un enfant baigné dans l'air du temps, et mis en éveil par tout ce qui bouge en art. Le jeune garçon tient du petit prince, l'adolescent, de la vedette de salon. Qui n'eût succombé à de si brillants auspices ? Cocteau, lui, sait échapper au sort des innombrables étoiles filantes qui illuminent l'époque.
Avec une intuition significative, il choisit, pour rallier l'avant-garde, la date qui marque, esthétiquement, l'avènement du XXe siècle. Cocteau connaissait Diaghilev, pour lui avoir fourni le scénario d'un ballet, Le Dieu bleu. Stravinski était aussi de ses proches. Au printemps de 1913, le compositeur et le chorégraphe créent Le Sacre du printemps. Le tout-Paris, scandalisé en fait aussitôt un échec. Cocteau, lui, s'en trouve « déraciné de fond en comble », comme il le dira plus tard. Il comprend la leçon, et en retient ce qui lui paraît être désormais la voie à suivre.
Cette voie, il l'emprunte résolument. Tournant le dos, peu à peu, au parisianisme, il se retire dans la solitude, et compose Le Potomak. Ton neuf, réflexions lucides, ironie mordante : ici commence la prose nerveuse, scintillante et fluide, ses phrases lapidaires et ses métaphores empruntées aux rêves. En ai-je suivi des crapules, des imbéciles, des princes ! je me déchausse et je me brosse. Ici, surtout, se déclare l'éclectisme. Le Potomak s'offre comme un recueil de dessins et de proses, les uns et les autres marqués de la même tendance au laconisme, à la précision, au saisissement et, en même temps, à la dérive onirique. Conscient de sa mue, Cocteau s'écrie : Me voilà quelque chose de tout à fait machine, de tout à fait antenne, de tout à fait Mors. Un Stradivarius des baromètres. Un diapason. Un bureau central des phénomènes. Le voilà prêt à affronter les bouleversements, et à y prendre part.
Les bouleversements, c'est d'abord la guerre. Cocteau se porte au front, comme ambulancier et comme poète : volontaire, il entre dans la Section d'ambulances aux armées créée par Étienne de Beaumont ; il compose le Discours du grand sommeil, qu'il déclare traduit de cette langue morte, de ce pays mort où ses amis sont morts ». On songe aux poèmes de guerre d'Apollinaire, et pourtant, l'écriture est plus nue, le ton plus halluciné.
De retour à Paris, le permissionnaire retrouve ses amis dans les ateliers de Montparnasse et de Montmartre. Peintres, écrivains, musiciens, ils ont nom Max Jacob, Apollinaire, Picasso et Satie. Sous l'impulsion de Cocteau-le-rassembleur, qui travaille à établir un courant communiquant entre toutes les formes d'expression artistique, le peintre, le poète et le musicien se rejoignent. De la conjuration de Satie, de Picasso et de Cocteau naît le ballet Parade. Il est créé sous les huées : c'est la preuve qu'il dérange ! C'est le signe qu'on est sur la bonne voie ! Dans Parade, comme dans Le Coq et l'Arlequin, que Cocteau écrit peu après, c'est l'air ambiant, ses atmosphères de symbolisme, ses relents de complexité gratuite, qui enregistrent la secousse. « Satie enseigne la plus grande audace à notre époque : être simple.
Fraternité fiévreuse, qui se scelle par des manifestations collectives, comme celles du groupe des Six, auquel s'adjoint Cocteau, par des créations de revues, par des chroniques ; par des inimitiés aussi, comme celles qu'il entretient avec Breton et le groupe Dada à sa naissance. Qu'importe ! Cocteau est partout : il joue, il danse, il fait la guerre, il vole avec Roland Garros. Et il écrit.
Tout ce qu'il écrit alors se rattache de près ou de loin à une rencontre. À une révélation, plutôt : celle de Raymond Radiguet. Le seul honneur que je réclame, écrira Cocteau, est d'avoir donné pendant sa vie à Raymond Radiguet la place illustre que lui vaudra sa mort. Le futur auteur du Bal du comte d'Orgel a quinze ans. Cocteau flaire en lui le génie. Il en fait l'inséparable ami, tôt associé à l'écriture, dans Les Mariés de la tour Eiffel. Au Picquey, près d'Arcachon, où ils se retirent tous deux, Cocteau travaille au Secret professionnel, pendant que son compagnon écrit Le Diable au corps. Il y définit les choix de son esthétique personnelle. Toujours sous l'impulsion de Radiguet, il se met au roman. Le Grand Écart, Thomas l'imposteur voient le jour. Période d'intense activité, qui donne le ton de ce que seront désormais la vie et l'œuvre de Cocteau : du surréalisme, il ne supporte pas le dogme ; de tout ce qui peut l'aider à parler, il adopte les moyens fulgurants, les traits sans détours, les formules sans obscurité. Il va droit au coup de maître, sans plus rien devoir aux modèles. On croit percevoir une rage de créer, mais on est surpris de la découvrir délicate et sans bavures.

Sa vie

Clément Eugène Jean Maurice Cocteau est né le 5 juillet 1889, dans la maison de son grand-père maternel, place Sully à Maisons-Laffitte dans une famille bourgeoise de Paris. Son père, Georges Alfred Cocteau, né le 8 juillet 1842 à Melun, avocat et peintre amateur, et sa mère, Marie Junia Émilie Eugénie Lecomte, née le 21 septembre 1855 à Maisons-Laffitte, se sont mariés le 7 juillet 1875 dans le 9e arrondissement de Paris. Son grand-père paternel, Athanase Cocteau 1798-1865 était notaire et maire de Melun, son grand-père maternel, Eugène Lecomte 1828-1906, agent de change et collectionneur d'art, son oncle maternel, Raymond Lecomte, diplomate.
Son père qui vivait de ses rentes se suicide le 5 avril 1898 à Paris, Jean Cocteau portera longtemps cette blessure. Il a une grande sœur, Marthe 1877-1958 et un grand frère, Paul 1881-1961. Il découvre le théâtre et le cinéma à six ans.
Dès l'âge de quinze ans, Cocteau quitte le cocon familial. Élève au lycée Condorcet avec notamment comme camarade le vénéneux Pierre Dargelos qui exerce sur lui une véritable fascination, il manifeste peu d'intérêt pour les études, est renvoyé du lycée pour indiscipline en 1904 et rate son baccalauréat deux fois.
En 1908, le tragédien Édouard de Max organise au théâtre Femina une matinée poétique avec le premier récital des poésies du jeune Cocteau.
Il publie son premier recueil de poèmes à compte d'auteur, La Lampe d'Aladin inspiré des Mille et Une Nuits, à 20 ans 1909 et devient alors connu dans les cercles artistiques bohème comme le prince frivole. C'est sous ce titre qu'il publie à 21 ans, en 1910, son second recueil de poèmes. Edith Wharton le décrit comme un homme pour qui chaque grande ligne de la poésie était un lever de soleil, chaque coucher du soleil la base de la ville merveilleuse... Il est également fasciné par le maître des ballets russes, Serge de Diaghilev et ses artistes principaux, le peintre Léon Bakst et le danseur Vaslav Nijinsky. La rencontre avec Diaghilev qu'il veut étonner marque la première crise dans la création coctalienne : il renie ses recueils de poèmes, pastiches assez ampoulés, et se rapproche de l'avant-garde cubiste et futuriste.
De sa collaboration avec les artistes russes naissent Le Dieu bleu en 1912, avec des costumes et décors de Léon Bakst sur une musique composée par Reynaldo Hahn, puis Parade, ballet produit en 1917 avec des costumes et décors de Pablo Picasso et une musique composée par Erik Satie. Cette œuvre inspire à Guillaume Apollinaire le néologisme de surréalisme, repris ensuite par André Breton et Philippe Soupault pour la création du mouvement culturel que l'on connaît. Cocteau collabore au mouvement dada et a une grande influence sur le travail des autres, dans le groupe même composé par ses amis, Les Six dont il devient le porte-parole.
Ayant été réformé du service militaire, Cocteau décide néanmoins de participer à la guerre de 1914 comme ambulancier avec un convoi sanitaire civil. Adopté par un régiment de fusiliers marins, il vit à Dixmude, vole avec Roland Garros mais est rapidement démobilisé pour raisons de santé. Il rejoint Paris et reprend ses activités artistiques. Après le nécessaire temps de gestation, il écrira sur cette guerre l’un de ses meilleurs romans : Thomas l’Imposteur. Dans les années 1920, Cocteau s'associe avec Marcel Proust, André Gide et Maurice Barrès.

Raymond Radiguet

En 1918, Max Jacob lui présente le jeune poète Raymond Radiguet. Il exercera sur la courte carrière de ce dernier une influence prépondérante : Jean Cocteau aussitôt devine — À quoi ? Je me le demande, écrira-t-il plus tard dans La Difficulté d’être — un talent caché. Enthousiasmé par les poèmes que Radiguet lui lit, Cocteau le conseille, l’encourage et le fait travailler ; il l’aide ensuite à publier ses vers dans les revues d’avant-garde, notamment dans Sic et dans Littérature.
Les deux hommes entreprennent beaucoup de voyages ensemble. Toujours en admiration devant le talent littéraire de Radiguet, Cocteau promeut les travaux de son ami dans son cercle artistique, et s'arrange pour faire publier par Grasset Le Diable au corps une histoire en grande partie autobiographique sur le rapport adultère entre une femme dont le mari est au front et un homme plus jeune, exerçant son influence pour recueillir le prix littéraire du Nouveau Monde pour le roman.
En 1921, il collabore avec le Groupe des Six pour le livret argumentaire des Mariés de la Tour Eiffel, œuvre collective qui lance la nouvelle génération musicale en France dans le sillage d'Erik Satie qui en est le mentor. En 1921 également, Cocteau organise une rencontre entre Radiguet et un de ses amis le secrétaire général du Quai d'Orsay, Philippe Berthelot.

Le programme du ballet Parade en 1920

La réaction de Cocteau à la mort soudaine de Radiguet, en 1923, crée un désaccord avec certains proches qui déclarent qu'il l'a laissé désespéré, découragé et en proie à l'opium. Cocteau n'aurait même pas assisté à l'enterrement. Mais Cocteau n'assiste généralement pas aux enterrements. L'auteur quitte alors aussitôt Paris avec Diaghilev pour une représentation des Noces par les Ballets russes à Monte-Carlo. Cocteau, lui-même, qualifie beaucoup plus tard son attitude de réaction de stupeur et de dégoût.
Son penchant pour l'opium à cette époque-là, Cocteau l'explique comme un simple hasard lié à sa liaison fortuite avec Louis Laloy, le directeur de l'Opéra de Monte-Carlo. La dépendance de Cocteau envers l'opium et ses efforts pour s'en sevrer auront une influence décisive sur son modèle littéraire.
Son livre le plus connu, Les Enfants Terribles, est d'ailleurs écrit en une semaine, au cours d'un difficile sevrage.

Cocteau et les Bourgoint

C'est à l'hôtel Welcome à Villefranche-sur-Mer où il réside que Jean Cocteau lie connaissance avec la famille Bourgoint ; ils se sont connus à travers un ami commun, Christian Bérard, un peintre qui réalisa les décors des pièces de théâtre de Cocteau. Les Bourgoint avaient trois enfants, les jumeaux Maxime et Jeanne, et le cadet Jean.
Jeanne et Jean Bourgoint revirent Cocteau en 1925. Jean Cocteau rencontre à Meudon, le 15 juin 1925 chez les Maritain, Charles Henrion. Ce disciple de Charles de Foucauld, vêtu d'un burnous blanc orné du Sacré-Cœur rouge, fait une grande impression sur Cocteau, qui se convertit. Le 19 octobre, Jean Cocteau communie, entouré de Jean Bourgoint et de Maurice Sachs. Ils se fréquentent jusqu'en 1929, date à laquelle Jeanne se suicide, laissant son frère démuni. La vie de Jeanne et de Jean Bourgoint impressionne tant Cocteau qu'il se met presque aussitôt à écrire leur histoire qui deviendra Les Enfants terribles.

La passion du spectacle

À travers l'écriture, à travers le dessin, à travers la musique, ce qui porte Cocteau, c'est une attirance irrépressible pour le spectacle. Sa prose est images ; ses images fondent un langage et sa langue est musicale. Tout l'amenait naturellement au théâtre, et plus tard, au cinéma.
Après la mort de Radiguet, en 1923, s'ouvre, avec Roméo et Juliette, la longue série des œuvres théâtrales. Œdipe roi, Antigone adaptés de Sophocle, et Orphée se succèdent. Autant qu'au goût du théâtre, ils correspondent tous trois à une tentation du sacré. La perte cruelle qu'il vient de subir, l'amitié de Jacques Maritain, l'influence d'un membre de l'Ordre du père de Foucauld, enfin, aboutirent à un retour au catholicisme. À cette étape intérieure correspond la Lettre à Jacques Maritain, qui aura tant d'échos dans les milieux artistiques du moment.
Le mythe grec passe par le sacré parce qu'il fait appel aux puissances ténébreuses, aux ressorts du tragique : à la Destinée. L'idée, portée sur scène, nous semble familière : n'oublions pas que c'est en grande partie à l'auteur d'Orphée que nous devons cette familiarité.
L'œuvre de Cocteau est une avancée menée continûment sur plusieurs fronts. Si le théâtre s'enrichit par lui, la poésie reçoit aussi son intarissable tribut. En 1927, paraît Opéra, un des sommets d'inspiration de Cocteau. La poésie de roman, quant à elle, n'est pas oubliée. En 1929, la critique accueille avec enthousiasme Les Enfants terribles, composés en trois semaines sous la dictée d'une force impérieuse. Ici éclate le génie romanesque : construction, émotion, finesse des thèmes, limpidité du style, grandeur tragique, tout contribue au renouvellement du genre romanesque par ce récit qui pourrait n'être que souvenirs d'enfance. Il faut savoir que l'abord des grands chefs-d'œuvre de Cocteau est souvent modeste. Bien des méprises sont à mettre au compte de cette apparente légèreté, située à cent lieues des discours pontifiants.

Maturité

Dans les années 1930, Cocteau aurait eu une liaison avec la princesse Nathalie Paley, fille morganatique d'un grand duc de Russie, elle-même modiste, actrice ou modèle et ancienne épouse du couturier Lucien Lelong. Elle aurait été enceinte, mais la grossesse n'aurait pu être menée à son terme, ce qui plongea Cocteau et la jeune femme dans un profond désarroi. Cocteau évoque la fausse couche de Nathalie dans Le passé défini, et dit que cet avortement serait la conséquence d'une scène violente avec Marie-Laure de Noailles : Elle est responsable de l'avortement de Nathalie. Cependant, Cocteau ayant initié la princesse à l'opium, il se peut qu'il y ait eu des répercussions dues à cette drogue sur la grossesse.
Vers 1933, Cocteau fait la connaissance de Marcel Khill qui devient son compagnon et joue, à sa création, le rôle du messager de Corinthe dans La Machine Infernale. Ils feront ensemble, en 1936, un tour du monde en 80 jours relaté par Jean Cocteau dans Mon Premier Voyage, Éditions Gallimard.
Cocteau entretient ensuite une relation de longue durée avec deux acteurs français, Jean Marais et Édouard Dermit, ce dernier officiellement adopté par Cocteau. Il aurait entretenu une relation avec Panama Al Brown, un boxeur dont il prend en charge la carrière à un moment donné.
En 1940, Le Bel Indifférent, une pièce de Cocteau écrite pour Édith Piaf, est un énorme succès. Il travaille également avec Picasso et Coco Chanel sur plusieurs projets, est l'ami de la majeure partie de la communauté européenne des artistes, et lutte contre son penchant pour l'opium durant la plus grande partie de sa vie d'adulte. Alors qu'il est ouvertement homosexuel, il a quelques aventures brèves et compliquées avec des femmes. Son travail recèle de nombreuses critiques envers l'homophobie.
Jean Cocteau joue un rôle ambigu durant la Seconde Guerre mondiale, les résistants l'accusent de collaboration avec les Allemands, une partie de son passé 1939-1944 reste mystérieuse. Jean Cocteau écrira dès le début de l’Occupation dans l’hebdomadaire collaborationniste La Gerbe créé par le célèbre écrivain breton Alphonse de Châteaubriant. En décembre 1940 il y lance une adresse aux jeunes écrivains, sorte de message pour les jeunes Français les appelant à prendre part au Nouvel Ordre européen.

Une maturité inquiète

Le visage des productions de Cocteau, vers cette époque, se ride d'un profond pli d'amertume. Dans Le Livre blanc, dans l'Essai de critique indirecte, dans Opium. Journal d'une désintoxication, ainsi que dans La Machine infernale, apparaissent la douleur et l'angoisse, d'autant plus sensibles qu'elles font tache d'ombre dans une lumière apollinienne. C'est alors que Cocteau, comme s'il ne disposait pas encore d'assez d'espace où imprimer ses rêves, aborde le cinéma. Et, ici encore, en même temps qu'il découvre un langage neuf, il le renouvelle. Le Sang d'un poète est le film le plus libre qui ait jamais été vu. Cocteau y emploie l'art cinématographique « comme un dessinateur qui tremperait son doigt pour la première fois dans l'encre de Chine et tacherait une feuille avec ». L'essai restera sans lendemain jusqu'à La Belle et la Bête, tourné en 1945. Mais il s'agit sans doute de l'avancée extrême et de la synthèse d'une poussée poétique qui investissait jusque-là romans, dessins et théâtre.
Sombre passe, pour Cocteau, que ces années trente. La solitude et l'équilibre sans cesse menacés le condamnent à une recherche intérieure plus fiévreuse que jamais. La Machine infernale, qui reprend le mythe d'Œdipe, conduit au triomphe cette approche personnelle du tragique. Paris n'a plus l'entrain des années folles, en ce difficile avant-guerre. Les salons ne brillent plus autant, et on est las du scandale ; l'évasion, Cocteau la cherche ailleurs : dans la drogue, dans les voyages. Qui est-il alors ? Un homme de cinquante ans qui rencontre, pour l'avoir trop peu connu adolescent, peut-être, ce mal existentiel que Fontenelle nomme « difficulté d'être ». Au bord de la vieillesse, et plus mobile que jamais, il tente encore toutes les magies, de l'art et du monde.

La passion du spectacle

À travers l'écriture, à travers le dessin, à travers la musique, ce qui porte Cocteau, c'est une attirance irrépressible pour le spectacle. Sa prose est images ; ses images fondent un langage et sa langue est musicale. Tout l'amenait naturellement au théâtre, et plus tard, au cinéma.
Après la mort de Radiguet, en 1923, s'ouvre, avec Roméo et Juliette, la longue série des œuvres théâtrales. Œdipe roi, Antigone adaptés de Sophocle, et Orphée se succèdent. Autant qu'au goût du théâtre, ils correspondent tous trois à une tentation du sacré. La perte cruelle qu'il vient de subir, l'amitié de Jacques Maritain, l'influence d'un membre de l'Ordre du père de Foucauld, enfin, aboutirent à un retour au catholicisme. À cette étape intérieure correspond la Lettre à Jacques Maritain, qui aura tant d'échos dans les milieux artistiques du moment.
Le mythe grec passe par le sacré parce qu'il fait appel aux puissances ténébreuses, aux ressorts du tragique : à la Destinée. L'idée, portée sur scène, nous semble familière : n'oublions pas que c'est en grande partie à l'auteur d'Orphée que nous devons cette familiarité.
L'œuvre de Cocteau est une avancée menée continûment sur plusieurs fronts. Si le théâtre s'enrichit par lui, la poésie reçoit aussi son intarissable tribut. En 1927, paraît Opéra, un des sommets d'inspiration de Cocteau. La poésie de roman, quant à elle, n'est pas oubliée. En 1929, la critique accueille avec enthousiasme Les Enfants terribles, composés en trois semaines sous la dictée d'une force impérieuse. Ici éclate le génie romanesque : construction, émotion, finesse des thèmes, limpidité du style, grandeur tragique, tout contribue au renouvellement du genre romanesque par ce récit qui pourrait n'être que souvenirs d'enfance. Il faut savoir que l'abord des grands chefs-d'œuvre de Cocteau est souvent modeste. Bien des méprises sont à mettre au compte de cette apparente légèreté, située à cent lieues des discours pontifiants.

Le grand public

C'est avec L'Éternel Retour que Cocteau touche enfin le grand public. Le film, daté de 1943, est tourné en commun avec Jean Delannoy. Le public... Cocteau avait-il oublié l'audience de son œuvre ? Non, sans doute. Mais le voici plus sensible qu'auparavant à l'accueil qui lui est réservé. Le théâtre et le cinéma l'accaparent presque à eux seuls. Déjà, en 1938, Les Parents terribles avaient renouvelé jusqu'à le transcender le genre boulevardier. Le public avait répondu, comme il répondra à L'Aigle à deux têtes. Voici donc Cocteau en homme célèbre. Prince encore, mais un peu moins « frivole » qu'au temps de La Lampe d'Aladin. On l'interroge à la radio, on commence la publication de ses Œuvres complètes, on l'élit à l'Académie française. Lui, cherche toujours. Il accompagne les tournées théâtrales où sont jouées ses œuvres, il porte à l'écran ses grands drames de l'avant-guerre. Une figure s'inscrit, comme l'emblème d'une parfaite communion, au coin de toutes ces entreprises : celle de Jean Marais.
Jusqu'à sa mort, Cocteau habita ces deux personnages qu'il voulut fondre en un : celui de l'artiste épris de toutes les formes, et celui de l'homme aimé et admiré de tous les publics. Il se fait peintre, encore, décorant la chapelle de Villefranche-sur-Mer ou celle de Saint-Blaise-des-Simples à Milly : sollicité de toute part, il accepte toutes les besognes.
Le 11 octobre 1963, il s'éteint. L'homme éparpillé a-t-il conquis sous les honneurs son unité ? Aux yeux des contemporains, certainement pas. Cocteau reste aujourd'hui, pour beaucoup, l'éclectique que ses dons perdirent, l'esprit foisonnant qui ne sut se fixer nulle part.
Cocteau garde en lui cette irréparable brisure qui sépare le brillant élève et l'artiste maudit. Comment comprendre l'œuvre qui se fraye, sans interruption, un chemin entre les deux, si ce n'est en faisant état d'une infaillible fidélité à soi-même ? Le secret de l'exigence sans relâche est là. Celui de la douleur aussi.
Le poète qui accepte de poursuivre la route à pied jusqu'au bout devient une victime de la société, qui l'expulse comme indésirable. Il dérange. Il est considéré comme un flâneur contre qui se heurte une foule où chacun s'imagine savoir où il va. Il est ordre en forme de désordre. Un aristocrate à figure d'anarchiste. Un empêcheur de danser en rond. Christian Doumet

Akos Biro et Jean Cocteau.

Cocteau est d'ordinaire assez réservé quant à l'affirmation de son engagement politique. Pendant l'Occupation, il fait preuve d'un certain pacifisme, L'honneur de la France, écrit-il dans son Journal du 5 mai 1942, sera peut-être, un jour, d'avoir refusé de se battre, mais surtout, il n'hésite pas à accueillir Arno Breker, sculpteur officiel du troisième Reich, lors de son exposition à Paris, pendant l'été 1942. Leni Riefenstahl bénéficie de sa protection après la guerre pendant sept ans.
L'Allemagne nazie n'est pas non plus sans le séduire, surtout son chef, dont il se fait une représentation qu'il faut placer au musée des Hitler imaginaires. … Il est fasciné par l'idée du chef-artiste, politique tout-puissant en même temps que mécène et protecteur des arts, à la fois Napoléon et poète, Chez Hitler, c'est le poète qui échappait à ces âmes de pions, écrit-il en parlant des dirigeants français de l'avant-guerre.
En 1941, la décision du préfet de police d'interdire sa Machine à écrire est annulée par la Propaganda Abteilung, soucieuse de ne pas trop museler la muse française. Reste qu'à la Libération, il est rapidement acquitté par le Comité national du cinéma et le Comité national des écrivains devant lequel il ne se présente pas, comités d'épuration devant lesquels il comparaît pour collaboration.
À l'occasion d'un reportage sur les écrivains du Palais-Royal, Jean Cocteau fait la connaissance du photographe Pierre Jahan. En 1946, les éditions du Compas éditent La mort et les statues, ouvrage pour lequel Cocteau rédige les poèmes qui seront en regard des photos prises clandestinement, en décembre 1941, par Pierre Jahan sur les statues de bronze réquisitionnées par Vichy puis concassées pour soutenir l'effort de guerre allemand.
Quelques immenses succès firent passer Cocteau à la postérité : Les Enfants terribles, Les Parents terribles de 1938, La Belle et la Bête. Devenu une référence cinématographique, il préside le Festival de Cannes de 1953, puis celui de 1954. Au printemps 1950, Jean Cocteau est invité par Francine Weisweiller, l'épouse d'Alec Weisweiller, le riche héritier de la société Shell, à venir passer une semaine de vacances dans leur villa Santo Sospir, à la pointe de Saint-Jean-Cap-Ferrat. L'artiste commence bientôt par dessiner sur les murs blancs un Apollon au-dessus de la cheminée du salon ; encouragé par Matisse, il entreprend de décorer tout le reste de la maison où il se plaît tellement qu'il y reviendra pendant onze ans ; et de proche en proche, il décore ainsi entièrement la villa de fresques a tempera, de mosaïques et d'une tapisserie sur des thèmes de la mythologie grecque ou de la Bible16, utilisant la couleur pour la première fois. Il y fait venir par la suite un grand nombre de célébrités, entre autres Picasso, Charlie Chaplin et Jean Marais qui s'initie à la peinture à l'huile. C'est par amitié pour Jean Cocteau que Francine Weisweiller baptise son yacht Orphée II.
En 1960, l'artiste tourne Le Testament d'Orphée avec le soutien financier de François Truffaut.
Parallèlement, il s'engage dans la défense du droit à l'objection de conscience, entre autres en parrainant le comité créé par Louis Lecoin, aux côtés d'André Breton, Albert Camus,Jean Giono et de l'abbé Pierre. Ce comité obtient un statut, restreint, en décembre 1963 pour les objecteurs.
Cocteau ne sera pas là pour s'en féliciter: en octobre 1963, apprenant le décès de son amie Édith Piaf, il est pris d'une crise d'étouffement et succombe quelques heures plus tard d’une crise cardiaque dans sa demeure de Milly-la-Forêt, le 11 octobre 1963 à l'âge de 74 ans. Cependant, Jean Marais déclare dans un entretien télévisé le 12 octobre 1963 : Il est mort d'un œdème du poumon, son cœur a flanché. Il aimait beaucoup Édith mais je ne pense pas que ce soit la mort d'Édith qui ait provoqué la mort de Jean.

Jean Cocteau vécut longtemps au Palais-Royal, 36 rue de Montpensier. Sa maison de Milly-la-Forêt, la Maison Cocteau, est devenue un musée, inauguré le 22 juin 2010.
Il est enterré dans la Chapelle Saint-Blaise-des-Simples à Milly-la-Forêt Essonne Sur sa tombe, cette épitaphe : « Je reste avec vous.


Œuvres

La Bibliothèque historique de la ville de Paris possède un fonds Jean Cocteau composé de manuscrits, correspondances ou encore photographies acquises en trois temps : l'achat d'une partie des manuscrits entre 1990 et 2002, l'achat de la bibliothèque de Cocteau à partir de 1995 et la donation Pierre Bergé en 2006. Pierre Bergé est l'ayant droit moral des œuvres de l'écrivain et président de la fondation Cocteau.

Œuvres littéraires

Poésie


1909 : La Lampe d'Aladin
1910 : Le Prince frivole
1912 : La Danse de Sophocle
1919 : Ode à Picasso - Le Cap de Bonne-Espérance
1920 : Escale - Poésies 1917-1920
1922 : Vocabulaire
1923 : La Rose de François - Plain-Chant
1925 : Cri écrit
1926 : L'Ange Heurtebise
1927 : Opéra
1934 : Mythologie publié avec dix lithographies de Giorgio De Chirico
1939 : Énigmes
1941 : Allégories
1945 : Léone
1946 : La Crucifixion
1948 : Poèmes
1952 : Le Chiffre sept - La Nappe du Catalan en collaboration avec Georges Hugnet
1953 : Dentelles d'éternité - Appoggiatures
1954 : Clair-obscur
1958 : Paraprosodies
1961 : Cérémonial espagnol du Phénix - La Partie d'échecs
1962 : Le Requiem
1968 : Faire-Part posthume

Romans et récits

1919 : Le Potomak édition définitive 1924
1923 : Le Grand Écart - Thomas l'imposteur roman
1928 : Le Livre blanc
1929 : Les Enfants terribles
1940 : La Fin du Potomak
2012 : La Croisière aux émeraudes posthume

Théâtre, musique et ballet

1912 : Le Dieu bleu, musique de Reynaldo Hahn, chorégraphie de Michel Fokine, décors et costumes de Léon Bakst
1917 : Parade, musique d'Erik Satie, chorégraphie de Léonide Massine, décors et costumes de Pablo Picasso
1921 : Les Mariés de la tour Eiffel, musique de Georges Auric, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre
1921 : Le Gendarme incompris critique bouffe de Jean Cocteau et Raymond Radiguet, musique Francis Poulenc, mise en scène Pierre Bertin, Théâtre Michel
1922 : Antigone
1924 : Les Biches, musique de Francis Poulenc, chorégraphie de Bronislava Nijinska, décors et costumes de Marie Laurencin
1924 : Roméo et Juliette
1926 : Orphée
1930 : La Voix humaine
1934 : La Machine infernale
Avril 1936 : L'École des veuves A.B.C.
1937 : Œdipe-roi. Les Chevaliers de la Table ronde20
1938 : Les Parents terribles
1940 : Les Monstres sacrés
1940 : Le Bel Indifférent
1941 : La Machine à écrire
1943 : Renaud et Armide. L'Épouse injustement soupçonnée
1944 : L'Aigle à deux têtes
1946 : Le Jeune Homme et la Mort, ballet de Roland Petit
1948 : Théâtre I et II
1951 : Bacchus
1960 : Nouveau théâtre de poche
1962 : L'Impromptu du Palais-Royal
1963: "Ballett Theater" ouvrage collectif: Jean Cocteau - Carl Orff - Rudolf Betz, Werner Egk - Hermann Frieb'
1971 : Le Gendarme incompris posthume, en collaboration avec Raymond Radiguet
Poésie et critique
1913 : Notes sur les ballets de Jean Cocteau in Arsène Alexandre, L'Art décoratif de Léon Bakst
1918 : Le Coq et l'Arlequin
1920 : Carte blanche
1922 : Le Secret professionnel
1926 : Le Rappel à l'ordre - Lettre à Jacques Maritain
1930 : Opium
1932 : Essai de critique indirecte
1935 : Portraits-Souvenir
1937 : Mon Premier voyage Tour du monde en 80 jours
1943 : Le Greco
1947 : Le Foyer des artistes - La Difficulté d'être
1949 : Lettres aux Américains - Reines de la France
1951 : Jean Marais - Entretiens autour du cinématographe avec André Fraigneau
1951 : Jean Marais par Jean Cocteau, Calmann-Lévy
1952 : Gide vivant
1953 : Journal d'un inconnu. Démarche d'un poète
1955 : Colette discours de réception à l'Académie royale de Belgique - Discours de réception à l'Académie française
1956 : Discours d'Oxford
1957 : Entretiens sur le musée de Dresde avec Louis Aragon - La Corrida du 1er mai
1959 : Poésie critique I
1960 : Poésie critique II
1962 : Le Cordon ombilical
1963 : La Comtesse de Noailles, oui et non
1964 : Portrait souvenir posthume ; entretien avec Roger Stéphane
1965 : Entretiens avec André Fraigneau posthume
1973 : Jean Cocteau par Jean Cocteau posthume ; entretiens avec William Fielfield
1973 : Du cinématographe posthume. Entretiens sur le cinématographe posthume
Poésie de journalisme 1935-1938 posthume
Scénario découpage technique
1983 : Le Testament d'Orphée posthume. Éditions du Rocher

Œuvres cinématographiques

Réalisateur

Courts métrages
1925 : Jean Cocteau fait du cinéma
1950 : Coriolan
1951 : La Villa Santo-Sospir
1957 : 8 X 8: A Chess Sonata in 8 Movements
1960 : Voyage au pays de l'Insolite
1962 : Jean Cocteau s'adresse à l'an 2000
Longs métrages
1930 : Le Sang d'un poète
1946 : La Belle et la Bête
1948 : L'Aigle à deux têtes
1948 : Les Parents terribles
1950 : Orphée
1960 : Le Testament d'Orphée

Scénariste

1943 : L'Éternel Retour réalisé par Jean Delannoy
1948 : Ruy Blas réalisé par Pierre Billon
1950 : Les Enfants terribles réalisé par Jean-Pierre Melville, scénario de Jean Cocteau d'après son roman
1954 : Pantomimes, court métrage de Paul Paviot commentaire et voix
1958 : Django Reinhardt, court métrage de Paul Paviot texte d'introduction
1961 : La Princesse de Clèves réalisé par Jean Delannoy
1965 : Thomas l'imposteur réalisé par Georges Franju, scénario de Jean Cocteau d'après son roman

Dialoguiste

1942 : Le Baron fantôme réalisé par Serge de Poligny
1945 : Les Dames du bois de Boulogne réalisé par Robert Bresson
1961 : La Princesse de Clèves réalisé par Jean Delannoy
1965 : Thomas l'imposteur réalisé par Georges Franju
Directeur de la photographie
1950 : Un chant d'amour réalisé par Jean Genet
Acteur
1942 : Le Baron fantôme réalisé par Serge de Poligny
1943 : La Malibran réalisé par Sacha Guitry
1957 : 8 X 8: A Chess Sonata in 8 Movements coréalisé par Jean Cocteau - Hans Richter
1960 : Le Testament d'Orphée
Poésies graphiques
1924 : Dessins
1925 : Le Mystère de Jean l'oiseleur Illustrations et commentaires sur cette œuvre.
1926 : Maison de santé
1929 : 25 dessins d'un dormeur
1935 : Soixante dessins pour Les Enfants terribles
1941 : Dessins en marge du texte des Chevaliers de la Table ronde
1948 : Drôle de ménage
1957 : La Chapelle Saint-Pierre, Villefranche-sur-Mer
1958 : La Salle des mariages, hôtel de ville de Menton - La Chapelle Saint-Pierre lithographies
1959 : Gondol des morts
1960 : Chapelle Saint-Blaise-des-Simples, Milly-la-Forêt
Années 1960 : vitraux de l’église Saint-Maximin21 de Metz
Céramiques 1957-1963
Dans l'atelier de Madeleine Jolly et Philippe Madeline à Villefranche-sur-Mer, il crée plus de 300 céramiques et des bijoux. Durant la même période il dessine des poèmes-objets.
Il travaille sur engobe mélange de barbotine et d'oxydes métalliques disposés sur les fonds et invente le crayon d'oxyde pour donner à ses décors un aspect pastel.
Le catalogue raisonné d'Annie Guédras présente des photos couleurs et noir et blanc des céramiques créées par Jean Cocteau.
Durant la même période, il dessine des bijoux, parures et sculptures.

Dessins et tableaux

1938, Rêverie d'opium, dessin
1952, Autoportrait à la veste jaune, huile sur toile

Tapisseries

Jean Cocteau : Il n'y a rien de plus noble qu'une tapisserie. C'est notre langue traduite dans une autre, plus riche, avec exactitude et avec amour. C'est un mélodieux travail de harpiste. Il faudrait les voir, nos harpistes, jouant sur les fils à toute vitesse, tournant le dos au modèle, allant le consulter, revenant jouer leur musique de silence. On s'étonne qu'un tel luxe existe à notre époque où le confort le remplace. Un jour avec Picasso, à l'Opéra, nous constatâmes que des oeuvres médiocres prenaient de la grâce et du style, traduites dans cette langue. Mais lorsque texte original et traduction s'équilibrent, alors on s'émerveille de notre artisanat de France.
Les poésies de laine de Jean Cocteau », ainsi étaient nommées ses tapisseries et cet intitulé témoigne de son admiration pour l'art du tissage. Raymond Picaud tissera les premières tapisseries en partant des cartons dessinés par Cocteau à la manufacture d'Aubusson dans l'atelier qu'il dirige. De nos jours les tapisseries sont visibles dans certains musées et dans des galeries tels que la galerie Boccara25 spécialisée en tapis et tapisseries artistiques.

Enregistrements discographiques

Colette par Jean Cocteau, discours de réception à l'Académie Royale de Belgique, Ducretet-Thomson 300 V 078 St.
Les Mariés de la Tour Eiffel et Portraits-Souvenir, La Voix de l'Auteur LVA 13
16 septembre 1963 : Derniers propos à bâtons rompus avec Jean Cocteau, enregistrés à Milly-la-Forêt, Bel Air 3110
1971 : Plain-chant par Jean Marais, extraits des pièces Orphée par Jean-Pierre Aumont, Michel Bouquet, Monique Mélinand, Les Parents terribles par Yvonne de Bray et Jean Marais, L'Aigle à deux têtes par Edwige Feuillère et Jean Marais, L'Encyclopédie Sonore 320 E 874
1984 : Coffret 3 vinyles Jean Cocteau comprenant La Voix humaine par Simone Signoret, 18 chansons composées par Louis Bessières par Bee Michelin et Renaud Marx, au double-piano Paul Castanier, Le Discours de réception à l'Académie Française, Jacques Canetti JC1
1989 : Hommage à Jean Cocteau, mélodies d'Henri Sauguet, Arthur Honegger, Louis Durey, Darius Milhaud, Erik Satie, Jean Wiener, Max Jacob, Francis Poulenc, Maurice Delage, Georges Auric, Guy Sacre, par Jean-François Gardeil (baryton) et Billy Eidi piano, CD Adda 581177
1992 : Les Enfants terribles version radio, avec Jean Marais, Josette Day, Silvia Monfort et Jean Cocteau, 1 CD Phonurgia Nova/INA
1997 : Anthologie, 4 CD comprenant nombreux poèmes et textes dits par l'auteur, Anna la bonne, La Dame de Monte-Carlo et Mes sœurs, n'aimez pas les marins par Marianne Oswald, Le Bel indifférent par Édith Piaf, La Voix humaine par Berthe Bovy, Les Mariés de la Tour Eiffel avec Jean Le Poulain, Jacques Charon et Jean Cocteau, le discours de réception à l'Académie Française, des extraits des pièces Les Parents terribles, La Machine infernale, des pièces de Parade au piano à quatre mains par Georges Auric et Francis Poulenc, Frémeaux & Associés FA 064
1997 : Poèmes de Jean Cocteau dits par l'auteur, CD EMI 8551082
1998 : Le Testament d'Orphée, journal sonore, par Roger Pillaudin, 2 CD INA / Radio France 2117
Journaux
1936 Mon Premier Voyage, Tour du monde en 80 jours
1946 La Belle et la Bête journal du film
1949 Maalesh, journal d'une tournée de théâtre
1983 Le Passé défini posthume - rééd. 2012
1989 Journal, 1942-1945
Timbre postal
Marianne de Cocteau, 1960
Lieux et musées
Lieux décorés par Cocteau sur la Côte d'Azur
Jean Cocteau a décoré la salle des mariages et le bureau du maire de l’Hôtel de ville de Menton.
Il a dessiné et peint « à fresque » les murs de la villa « Santo Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferrat dans laquelle il a aussi réalisé des mosaïques et une tapisserie.
Il a peint des fresques dans la Chapelle Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer.
Il a décoré l'orchestra du théâtre en plein air de Cap d'Ail.
On peut voir des mosaïques et des fresques dans la chapelle Notre-Dame de Jérusalem à Fréjus réalisées par Édouard Dermit d'après les croquis de Cocteau.
Musée de Milly-la-Forêt
Maison Jean Cocteau
Musées de Menton
Musée Jean Cocteau Collection Séverin Wunderman : Une donation de 1 800 œuvres représentant 7,5 millions d'euros a été offerte à la ville de Menton par ce collectionneur belge vivant à Los Angeles. Ce musée, inauguré en novembre 2011, devient ainsi la première et la plus importante ressource publique mondiale sur l’œuvre de Jean Cocteau.
Menton abrite aussi un autre musée Jean Cocteau dit musée du Bastion œuvres de la période 1950 à 1963.
Église Saint-Maximin de Metz : les vitraux
L'œuvre verrière réalisée par Jean Cocteau à Metz constitue son dernier grand chef-d’œuvre achevé pour l'essentiel à titre posthume puisqu'il est décédé le 11 octobre 196329. Trois idées majeures permettent de caractériser l'originalité de son travail sur les vitraux une œuvre-témoin de l'art du XXe siècle, une œuvre novatrice et prophétique et enfin une œuvre célébrant l'immortalité et l'au-delà, l'église Saint-Maximin de Metz.
Sur le thème de l'immortalité développé dans les 24 fenêtres de cette petite église paroissiale, il n'a cessé d'utiliser la mythologie et notamment le personnage d'Orphée pour faire revenir à la vie les êtres chers et les rendre même immortels.
À la suite du film Orphée de 1950, il est dit : Jean Cocteau transpose le mythe d’Orphée à l’époque actuelle... L’homme est sauvé, La Mort meurt, c’est le mythe de l’immortalité.

Iconographie

Le musée Carnavalet conserve un portrait en pied de Jean Cocteau par Jacques-Emile Blanche, daté de 1913. Cette toile a été offerte au musée par Georges Mevil-Blanche en 1949. A Villefranche sur Mer, l'hôtel Welcome, où descendait Cocteau, et les restaurateurs commandent au sculpteur Cyril de La Patellière un buste en bronze à son effigie en 1989. Installé face à l'hôtel Welcome et à côté de la chapelle Saint-Pierre sur le port, il a été inauguré en présence d'Edouard Dermit et du sculpteur. Sur le socle est écrit cette phrase de Jean Cocteau : « Quand je vois Villefranche, je revois ma jeunesse, fassent les hommes qu'elle ne change jamais ». Un autre buste du même sculpteur se trouve au musée Cocteau de Menton, commandé par Hugues de La Touche, ancien conservateur des musées de Menton[réf. nécessaire].

Récompenses et distinctions

En 1955, Cocteau était membre de l'Académie française et de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.
Dans sa vie, Cocteau fut commandeur de la Légion d'honneur, membre de l'Académie Mallarmé, de l'Académie allemande, de l'American Academy, de la Mark Twain Academy, président d'honneur du Festival du film de Cannes, président d'honneur de l'Association France-Hongrie, Président de l'Académie du jazz et de l'Académie du Disque.
En 1989, à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance, il fut commandé au sculpteur Cyril de La Patellière un buste en bronze le représentant. Placé sur le haut d'une ancienne pierre taillée en guise de socle et provenant de la citadelle de Villefranche, ce buste fut inauguré le 5 juillet 1989 anniversaire jour pour jour de sa naissance) en présence du sculpteur, d'Edouard Dermit, de Jean Marais, de Charles Minetti commanditaire du projet, du directeur de l'hôtel Welcome. Sur la base est écrit cette phrase du poète : Quand je vois Ville franche, je revois ma jeunesse, fasse les hommes qu'elle ne change jamais. Un tiré à part de ce buste se trouve au Musée Cocteau de Menton le Bastion.



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Posté le : 03/07/2015 17:52
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Georges Bernanos
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57675
Hors Ligne
Le 5 juillet 1948, à 60 ans meurt Georges Bernanos

né Louis-Émile-Clément-Georges Bernanos, à Neuilly sur Seine, écrivain français, auteur de romans, essais, pamphlets, né le 20 février 1888 dans le 9e arrondissement de Paris. Sers Œuvres principales sont Sous le soleil de Satan en 1926, Journal d'un curé de campagne en 1936, Les Grands Cimetières sous la lune en 1938, Monsieur Ouine en 1943, Dialogues des carmélites, publication posthume.
Georges Bernanos passe sa jeunesse en Artois et cette région du Nord constituera le décor de la plupart de ses romans. Il participe à la Première Guerre mondiale et est plusieurs fois blessé, puis il mène une vie matérielle difficile et instable en s'essayant à la littérature. Il obtient le succès avec ses romans Sous le soleil de Satan en 1926 et Journal d'un curé de campagne en 1936.
Dans ses œuvres, Georges Bernanos explore le combat spirituel du Bien et du Mal, en particulier à travers le personnage du prêtre catholique tendu vers le salut de l'âme de ses paroissiens perdus comme Mouchette.

En bref

Figure emblématique de l'écrivain catholique au XXe siècle – avec Claudel et Mauriac –, Bernanos ne saurait relever d'une école littéraire ou d'une tendance politique univoque. Si ses premiers romans Sous le soleil de Satan, L'Imposture, La Joie s'insèrent, par leur écriture, dans la tradition balzacienne, ils n'en dépassent pas moins les structures romanesques du XIXe siècle en y introduisant l'univers du surnaturel, tandis que Monsieur Ouine semble préfigurer les recherches du nouveau roman.
Face à l'histoire contemporaine, les différentes prises de position de son œuvre politique, au premier abord contradictoires, imposent l'image d'un homme anticonformiste, libre de toute allégeance à une hiérarchie catholique ou à un mouvement politique l'Action française. Admirateur de Drumont, qu'il appelle son vieux maître, Bernanos récuse l'antisémitisme d'Hitler. Fervent catholique, il fustige l'Église espagnole pour son comportement pendant la guerre d'Espagne. Adepte de Maurras, il se rallie d'emblée à l'appel du 18 juin 1940 lancé par le général de Gaulle et incarne, en Amérique latine, lors de la Seconde Guerre mondiale, l'esprit de la Résistance au moment où, dans son ensemble, l'Action française soutient le maréchal Pétain. Monarchiste, Bernanos rejette la Terreur de 1793, mais se réclame du mouvement révolutionnaire de 1789. Foncièrement anticommuniste, il réprouve les excès du capitalisme. Seule, une vision du monde humaniste spécifique peut rendre compte de ces contradictions.
Georges Bernanos naît à Paris, le 20 février 1888, au cœur de la République opportuniste 1879-1899, qui avait progressivement établi un régime républicain et promulgué une législation anticléricale opposée aux valeurs de l'Ancien régime, monarchiste et catholique, auxquelles adhéraient ses parents. Son ascendance – espagnole et lorraine par son père tapissier-décorateur à Paris, berrichonne par sa mère paysanne– devait exercer sur lui une profonde influence.
Qui veut découvrir le secret de sa vocation d‘écrivain doit se pencher sur son enfance, où prennent naissance les sources d'une création littéraire, qui s'est accomplie sur une période relativement brève 1926-1948 : J'ignore pour qui j'écris, mais je sais pourquoi j'écris. J'écris pour me justifier. – Aux yeux de qui ? – Je vous l'ai déjà dit, je brave le ridicule de vous le redire. Aux yeux de l'enfant que je fus. Les Enfants humiliés. L'enfance de Bernanos est, en effet, le temps et le lieu d'une expérience privilégiée : la prise de conscience de la nécessité de vivre une foi chrétienne authentique. Dispensée par ses parents, puis dans des établissements religieux – à Paris et en province – au cours de ses études secondaires, l'éducation catholique transmet à Bernanos une foi qui ne se réduit en aucune manière au respect traditionnel d'un code moral imposé, mais se révèle, au contraire, être l'adhésion de l'être entier à une personne : au Dieu sensible au cœur de Pascal.
Toute sa vie, dans ses romans inspirés par Balzac, découvert et lu avec passion à l'âge de treize ans comme dans ses essais politiques – où il veut porter témoignage par fidélité à Drumont, dont son père était un fervent lecteur –, Bernanos cherchera à transmettre, par le langage, une expérience de foi.
Catholique et monarchiste par tradition familiale, il n'est pas homme à séparer la pensée de l'action. Menant de front, à Paris, licence en droit et licence ès lettres, entre 1906 et 1913, il milite activement dans les rangs des camelots du roi de l'Action française, au point d'être arrêté par la police au cours d'une manifestation, et condamné à cinq jours de prison à la Santé, en mars 1909. Réformé pour raison de santé en 1911, il parvient, en août 1914, à se faire admettre au sein du 6e régiment de Dragons, engagé au front. Il est blessé en 1918 et reçoit la Croix de guerre.
Né de la Grande Guerre et des souffrances assumées dans les tranchées, Sous le soleil de Satan répond à une volonté de rendre au langage – dénaturé par de multiples formes de mensonges au cours des années de guerre et d'après-guerre – sa vérité, en lui donnant mission d'évoquer la réalité la plus haute et la plus pure à laquelle puisse accéder l'homme : la sainteté. Le succès inattendu de ce premier roman, publié en mars 1926, incite Bernanos à abandonner sa profession d'inspecteur d'assurances pour se consacrer à la création littéraire.
Jusqu'à sa mort, il lui faudra assurer l'existence de sa femme rencontrée à Rouen, alors qu'il dirigeait, en 1913-1914, un petit hebdomadaire monarchiste, L'Avant-Garde de Normandie et de ses six enfants. Ses soucis d'argent seront permanents. Si l'écriture est, pour lui, exigence de salut, elle est aussi nécessité de vie. C'est ce qui explique une vie itinérante, répondant au souci de rechercher les conditions économiques d'existence les moins onéreuses. Une vie qui conduit successivement Bernanos de Clermont-de-l'Oise à la Côte d'Azur 1930-1934, puis aux Baléares 1934-1937, où il observe les excès de la croisade franquiste. Rentré en France en mars 1937, il embarque à destination de l'Amérique du Sud, en juillet 1938, deux mois avant les accords de Munich. Il séjourne presque sept ans au Brésil, septembre 1938-juillet 1945, où il défend l'esprit de la Résistance par ses articles, ses conférences et ses messages radiophoniques. La dernière période de sa vie est marquée par une intense activité journalistique et un séjour en Tunisie, au cours duquel il compose les Dialogues des carmélites, avant de revenir à Paris, où il meurt le 5 juillet 1948.
Deux registres d'inspiration scindent son œuvre : les romans et les essais et écrits de combat. Ils sont réunis par un dénominateur commun : une fidélité à l'Évangile et au Christ qui garantit la dignité de l'homme.

Sa vie

Son père, Émile Bernanos, est un tapissier décorateur d'origine lorraine. Sa mère, Hermance Moreau, est issue d'une famille de paysans berrichons (Pellevoisin, Indre). Il garde de son éducation une foi catholique et des convictions monarchistes. Il passe sa jeunesse à Fressin en Artois. Il fréquente le Collège Sainte-Marie, à Aire-sur-la-Lys. Cette région du Nord marquera profondément son enfance et son adolescence, et constituera le décor de la plupart de ses romans.

Premiers engagements et premières œuvres

Catholique fervent, monarchiste passionné, il milite très jeune dans les rangs de l'Action française en participant aux activités des Camelots du roi pendant ses études de lettres, puis à la tête du journal L'Avant-garde de Normandie jusqu'à la Grande guerre. Réformé, il décide tout de même de participer à la guerre en se portant volontaire, d'abord dans l'aviation, en particulier à Issy-les-Moulineaux et sur la future Base aérienne 122 Chartres-Champhol, puis dans le 6e régiment de dragons et sera plusieurs fois blessé. Après la guerre, il cesse de militer, rompant avec l'Action française, avant de s'en rapprocher lors de la condamnation romaine de 1926 et de participer à certaines de ses activités culturelles.
Ayant épousé en 1917 Jeanne Talbert d'Arc 1893-1960, lointaine descendante d'un frère de Jeanne d'Arc, il mène alors une vie matérielle difficile et instable il travaille dans une compagnie d'assurances dans laquelle il entraîne sa famille de six enfants et son épouse à la santé fragile.
Ce n'est qu'après le succès Sous le soleil de Satan que Bernanos peut se consacrer entièrement à la littérature. En moins de vingt ans, il écrit l'essentiel de son œuvre romanesque où s'expriment ses hantises : les péchés de l'humanité, la puissance du mal et le secours de la grâce.

Sous le soleil de Satan

Publié en 1926 aux éditions Plon, ce premier roman est à la fois un succès public et critique. André Gide place Bernanos dans la lignée de Barbey d'Aurevilly, mais en diablement mieux ! ajoute Malraux.
Sous le soleil de Satan est, selon Bernanos, un livre né de la guerre. Il commence à l'écrire durant un séjour à Bar-le-Duc en 1920, époque où pour lui le visage du monde devenait hideux. Il confie être malade et douter de vivre longtemps mais ne pas vouloir mourir sans témoigner.
Inspiré du curé d'Ars, le personnage principal du livre, l'abbé Donissan, est un prêtre tourmenté qui doute de lui-même, jusqu'à se croire indigne d'exercer son ministère. Son supérieur et père spirituel, l'abbé Menou-Segrais voit pourtant en lui un saint en devenir. Et en effet cet athlète de Dieu tel que le définit Paul Claudel5 possède la faculté de transmettre la grâce divine autour de lui. Plus tard, il recevra même le don de lire dans les âmes, au cours d'une rencontre nocturne extraordinaire avec Satan lui-même, celui dont la haine s'est réservé les saints. Son destin surnaturel va le confronter aussi à Mouchette, une jeune fille qu'il ne parviendra pas à sauver malgré un engagement total de lui-même.
L'adaptation cinématographique du roman vaudra à Maurice Pialat la Palme d'or au Festival de Cannes 1987.
Sous le soleil de Satan est suivi de L'Imposture en 1927 et de sa suite La Joie, qui reçoit le prix Fémina en 1929.

La Grande Peur des bien-pensants

Publié en 1931, ce livre polémique, considéré comme le premier pamphlet de Georges Bernanos, avait au départ comme titre Démission de la France. Bernanos commence par une condamnation sévère de la répression de la Commune pour poursuivre sur un violent réquisitoire contre son époque, la Troisième République et ses politiques, la bourgeoisie bien-pensante et surtout les puissances d'argent. Bernanos y rend hommage aussi à Édouard Drumont, avec lequel il partage sa détestation de la bourgeoisie mais aussi l'association des juifs à la finance, aux banques, au pouvoir de l’argent sur celui du peuple, un sujet qui fait polémique dans la France de cette époque et qui suscite des propos antisémites de l'écrivain. Bernanos, qui a fait la guerre de 1914-1918, y fustige aussi un patriotisme perverti qui humilie l'ennemi allemand dans la défaite au lieu de le respecter, en trahissant ainsi l'honneur de ceux qui ont combattu et en hypothéquant l'avenir.
En 1932, sa collaboration au Figaro, racheté par le parfumeur François Coty, entraîne une violente polémique avec l'Action française et sa rupture publique définitive avec Charles Maurras.
Le 31 juillet 1933, en se rendant d'Avallon en Suisse, où l'un de ses enfants est pensionnaire, il est renversé, à Montbéliard, par la voiture d'un instituteur en retraite qui lui barre le passage : le garde-boue lui rentre dans la jambe, là même où il a été blessé en 14-188.

Journal d'un curé de campagne

Bernanos s'installe aux Baléares en 1934, en partie pour des raisons financières. Il y écrit Le Journal d'un curé de campagne. Publié en 1936, il sera couronné par le Grand prix du roman de l'Académie française, puis adapté au cinéma sous le même titre par Robert Bresson 1950.
Ce livre est l'expression d'une très profonde spiritualité. Il témoigne d'un style limpide et épuré. La figure du curé d'Ambricourt rejoint celle de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, portée sur les autels par Pie XI en 1925. Il est possible qu'elle soit aussi inspirée par un jeune prêtre l'Abbé Camier, mort de tuberculose à vingt-huit ans, que Bernanos a côtoyé dans son enfance. De Thérèse, son personnage suit la petite voie de l'enfance spirituelle. Le Tout est grâce final du roman n'est d'ailleurs pas de Bernanos lui-même, mais de sa prestigieuse aînée. Ce roman lumineux, baigné par l'extraordinaire dans l'ordinaire, est l'un des plus célèbres de son auteur. Probablement parce qu'il s'y révèle lui-même, de manière profonde et bouleversante, à travers la présence du curé d'Ambricourt. Il est vrai que Bernanos a la particularité d'être toujours extrêmement proche de ses personnages, tel un accompagnateur témoignant d'une présence extrêmement attentive, et parfois fraternelle.

Les Grands Cimetières sous la lune

C'est également lors de son exil que Bernanos rédige Les Grands Cimetières sous la lune, un violent pamphlet anti-franquiste qui aura en France un grand retentissement lors de sa publication en 1938.
Bernanos séjourne à Majorque lorsque la guerre civile éclate. D'abord sympathisant du mouvement franquiste pendant les trois mois qui suivent le soulèvement, Bernanos est choqué par la barbarie des combats et révolté par la complicité du clergé espagnol avec Franco. En janvier 1937, il évoque l'arrestation par les franquistes de pauvres types simplement suspects de peu d'enthousiasme pour le mouvement ... Les autres camions amenaient le bétail. Les malheureux descendaient ayant à leur droite le mur expiatoire criblé de sang, et à leur gauche les cadavres flamboyants. L'ignoble évêque de Majorque laisse faire tout ça.
Alors qu'il réside encore à Palma de Majorque, sa tête est mise à prix par Franco. Bernanos offre un témoignage de combat qui prend rapidement une actualité extraordinaire pour se révéler une prophétie des grandes catastrophes du siècle. Ce livre qui, comme L'Espoir d'André Malraux, est un témoignage important de la guerre d'Espagne, lui vaudra l'hostilité d'une grande partie de la droite nationaliste, en particulier de son ancienne famille politique, l'Action française, avec laquelle il avait rompu définitivement en 1932.

Exil au Brésil

Il quitte l'Espagne en mars 1937 et retourne en France. Le 20 juillet 1938, deux mois avant les accords de Munich, la honte que lui inspire la faiblesse des politiques français face à l'Allemagne de Hitler conduit Bernanos à s'exiler en Amérique du Sud. Réalisant un rêve d'enfance, il envisage initialement de se rendre au Paraguay. Il fait escale à Rio de Janeiro au Brésil en août 1938. Enthousiasmé par ce pays, il décide d'y demeurer et s'installe en août 1940 à Barbacena, dans une petite maison au flanc d'une colline dénommée Cruz das almas, la Croix-des-âmes. Il y reçoit entre autres l'écrivain autrichien Stefan Zweig peu avant le suicide de ce dernier.
Après la défaite de 1940, il se rallie à l'appel lancé le 18 juin 1940 depuis Londres par de Gaulle et décide de soutenir l'action de la France libre dans de nombreux articles de presse où il met cette fois son talent de polémiste contre le régime de Vichy et au service de la Résistance. Il entretient alors une longue correspondance avec Albert Ledoux, le représentant personnel du général de Gaulle pour toute l'Amérique du Sud. Il qualifie Pétain de vieux traître et sa révolution nationale de révolution des ratés.
En 1941, son fils Yves rejoint les Forces françaises libres à Londres. Son autre fils, Michel, jugé trop jeune par le Comité de la France libre de Rio, partira l'année suivante. Il participera plus tard au débarquement de Normandie, tout comme son neveu Guy Hattu, second-maître au Commando Kieffer, qui prendra part à la prise de l'île de Walcheren en Hollande à la Toussaint 1944.
Avant de rentrer en France en 1945, Bernanos déclare aux Brésiliens : Le plus grand, le plus profond, le plus douloureux désir de mon cœur en ce qui me regarde c’est de vous revoir tous, de revoir votre pays, de reposer dans cette terre où j’ai tant souffert et tant espéré pour la France, d’y attendre la résurrection, comme j’y ai attendu la victoire.

La Libération

Il continue de poursuivre une vie errante Bernanos a déménagé une trentaine de fois dans sa vie après la Libération.
Le général de Gaulle, qui l'a invité à revenir en France Votre place est parmi nous, lui fait-il savoir dans un câble daté du 16 février 1945, veut lui donner une place au gouvernement. En dépit d'une profonde admiration pour lui, le romancier décline cette offre. De Gaulle confiera plus tard, à propos de Bernanos : Celui-là, je ne suis jamais parvenu à l'attacher à mon char.
Pour la troisième fois, on lui propose alors la Légion d'honneur, qu'il refuse également. Lorsque l'Académie française lui ouvre ses portes, il répond : Quand je n'aurai plus qu'une paire de fesses pour penser, j'irai l'asseoir à l'Académie.
Lors de son retour en France, Bernanos est, en fait, écœuré par l'épuration et l'opportunisme qui prévaut à ses yeux dans son pays. N'ayant pas l'échine souple, il reste en marge. Il voyage en Europe pour y faire une série de conférences, dans lesquelles il alerte ses auditeurs, et ses lecteurs, sur les dangers du monde de l'après-Yalta, de l'inconséquence de l'homme face aux progrès techniques effrénés qu'il ne pourra maîtriser, et des perversions du capitalisme industriel voir La Liberté pourquoi faire ? et La France contre les robots, 1947.

Dialogues des Carmélites

Bernanos part pour la Tunisie en 1947. Il y rédige, sur l'idée du père Bruckberger, un scénario cinématographique adapté du récit La Dernière à l'échafaud de Gertrud von Le Fort, lui-même inspiré de l'histoire véridique des carmélites de Compiègne guillotinées à Paris sur la place du Trône, le 17 juillet 1794, auquel la romancière avait ajouté le personnage fictif de Blanche de la Force translittération de von Le Fort. Bernanos y traite de la question de la Grâce, de la peur, du martyre.
Bien plus qu'un scénario, Dialogues des carmélites est considéré comme le testament spirituel de Bernanos. Publié de façon posthume en 1949, il est d'abord adapté au théâtre par Jacques Hébertot et créé le 23 mai 1952 au théâtre Hébertot, avant de devenir le livret de l'opéra homonyme du compositeur Francis Poulenc, représenté en 1957 à la Scala de Milan.
Le scénario original a par la suite servi de base au film Le Dialogue des carmélites réalisé en 1960 par Philippe Agostini et le père Bruckberger, puis à un téléfilm de Pierre Cardinal en 1984 qui fut, entre autres, primé à la Cinémathèque française.
Georges Bernanos meurt d'un cancer du foie, en 1948, à l'Hôpital américain de Neuilly, en laissant le manuscrit d'un dernier livre, paru de façon posthume : La France contre les robots. Il est enterré au cimetière de Pellevoisin Indre.
Il est le père de l'écrivain Michel Bernanos. Son fils cadet, Jean-Loup Bernanos mort en 2003 et qui consacra sa vie à l'œuvre de son père, est aussi l'auteur d'une biographie Georges Bernanos, à la merci des passants.

Postérité

Dans l'immédiat après-guerre, Georges Bernanos est devenu une figure tutélaire pour une nouvelle génération d'écrivains. Ceux que Bernard Franck a baptisé les Hussards 15 ont ainsi placé dans leur Panthéon, parmi Stendhal, Joseph Conrad ou Marcel Aymé, celui à qui Roger Nimier dédia son livre Le Grand d'Espagne, La Table ronde, 1950, dont le titre est une allusion et un hommage à la position iconoclaste que Bernanos adopta face à la Guerre d'Espagne, à rebours de celle de son ancienne famille intellectuelle et politique.

Analyse de l'œuvre Mouchette

Bernanos a donné le nom de Mouchette à deux personnages de son œuvre romanesque. La première Mouchette, qui figure dans Sous le soleil de Satan 1926 a pour nom Germaine Malhorty. C'est une adolescente de seize ans, vive et orgueilleuse, victime de l'égoïsme des hommes qui la désirent sans parvenir à l'aimer, ce qui attise son mépris d'elle-même et sa révolte envers l'ordre établi. La seconde Mouchette n'a pour appellation que ce surnom. Elle a treize ans et apparaît dans Nouvelle histoire de Mouchette 1937.
En ce personnage s'incarnent tous les misérables qui subissent l'acharnement du sort sans jamais parvenir à comprendre le malheur de leur condition. Mouchette n'existe ici que par sa seule et unique sensibilité, aussi aiguë que douloureuse pour elle-même. Le miracle, pour ainsi dire, de cette Mouchette-là, c'est la vérité qui en émane. Une vérité d'autant plus étonnante qu'elle est l'œuvre d'un homme qui avait 50 ans lorsqu'il conçut ce personnage, découvrant les mouvements les plus profonds et les plus inexprimables d'une féminité qui s'éveille et s'affirme.
Bernanos signe ici un portrait intemporel et poétique de gamine désespérée. Seul le regard de l'écrivain, dans sa justesse et son humanité, semble laisser entrouvrir une perspective de salut possible pour la jeune fille. En réalité, Mouchette malgré son absence de toute référence religieuse directe rejoint la figure des martyrs de Bernanos, ceux qui, écrira-t-il plus tard dans Dialogues des carmélites, ne peuvent tomber qu'en Dieu. En dépit des apparences celles du réel, on peut considérer que Mouchette suit aussi le même parcours.

Nouvelle histoire de Mouchette a été adaptée au cinéma par Robert Bresson en 1967, Mouchette

Monde romanesque

Bernanos situe souvent l'action de ses romans dans les villages de l'Artois de son enfance, en en faisant ressortir les traits sombres. La figure du prêtre catholique s'avère très présente dans son œuvre. Elle en est parfois le personnage central, comme dans Journal d'un curé de campagne. Autour de lui, gravitent les notables locaux châtelains nobles ou bourgeois, les petits commerçants et les paysans. Bernanos fouille la psychologie de ses personnages et fait ressortir leur âme en tant que siège du combat entre le Bien et le Mal. Il n'hésite pas à faire parfois appel au divin et au surnaturel. Jamais de réelle diabolisation chez lui, mais au contraire, comme chez Mauriac, un souci de comprendre ce qui se passe dans l'âme humaine derrière les apparences.

Combat des idées

Georges Bernanos est un auteur paradoxal et anti-conformiste. Pour lui, la France est fondamentalement dépositaire des valeurs humanistes issues du christianisme dont elle est responsable à la face du monde. Royaliste, il applaudit pourtant l'esprit de révolte de 1789 : un grand élan ... inspiré par une foi religieuse dans l'homme et constitue selon les mots de Jacques Julliard, un rempart de la démocratie, même à son corps défendant. Un moment proche de Maurras, il déclare ne s'être jamais senti pour autant maurrassien, et dit du nationalisme qu'il déshonore l'idée de patrie. Catholique, Bernanos attaque violemment Franco et l'attitude conciliante de l’Église d'Espagne à son égard dans Les Grands Cimetières sous la lune.
S'il tient des propos antisémites en 1931 dans La Grande Peur des bien-pensants, son évolution vers les juifs est sensible à partir de 1938 et il condamne violemment l'antisémitisme nazi et celui de la France pétainiste. Convaincu que le monde moderne est une conspiration contre toute espèce de vie intérieure il dénonce la dépossession progressive des États au profit des forces anonymes de l’Industrie et de la Banque, cet avènement triomphal de l’argent, qui renverse l’ordre des valeurs humaines et met en péril tout l’essentiel de notre civilisation. Il affirme ne pas se reconnaître dans les notions de droite et de gauche et déclare « démocrate ni républicain, homme de gauche non plus qu’homme de droite, que voulez-vous que je sois ? Je suis chrétien.

Style pamphlétaire

Georges Bernanos s'adresse souvent directement, dans une écriture nerveuse, parfois véhémente, à des lecteurs futurs les fameux imbéciles qu'il cherche à sortir de leur léthargie par cette injure fraternelle, interpellés parfois comme des contradicteurs, tel le clergé complice de Franco dans Les Grands Cimetières sous la lune. Passionné souvent, excessif voire injuste à ses heures, son style est engagé, incisif et percutant, souvent dicté par la révolte et l'indignation.
Il ne manquera pas de sujets durant les dix dernières années de sa vie et avouera lui-même que les romans peuvent mourir à la guerre car il lui faut témoigner coûte que coûte. Révolté par les accords de Munich, il fustige ensuite le gouvernement de Vichy qu'il définit comme le promoteur de la France potagère. Il alerte la France, et le monde à travers elle, sur les dangers de l'aliénation par la technique et l'argent. Taxé par certains de pessimisme dans l'après-guerre, dont Raymond Aron dans 18 leçons sur la société industrielle, d'autres voient aujourd'hui en lui un visionnaire, l'associant sur ce plan à l'écrivain George Orwell. Jacques Julliard écrit ainsi : Lorsque Bernanos prédit que la multiplication des machines développera de manière inimaginable l'esprit de cupidité, il tape dans le mille.
Bernanos se détache progressivement des clivages droite-gauche pour affirmer sa liberté de conscience. Il revendique la Commune et vitupère la bourgeoisie, mais dénonce le communisme comme un totalitarisme. Il se dit monarchiste mais se voit rejeté par la droite après Les Grands Cimetières sous la lune et par l'Action française après sa rupture avec Maurras. Il règle ses comptes avec certains mots en vogue chez les politiques comme conservatisme, Qui dit conservateur dit surtout conservateur de soi-même ou réalisme, Le réalisme, c'est précisément le bon sens des salauds.

Le romancier du visible et de l'invisible

Sans conteste, Sous le soleil de Satan, roman de la vie spirituelle, suggérant l'invisible par le visible, selon le mot de Léon Daudet L'Action française, 7 avril 1926), comme les autres romans de l'auteur, s'inscrit dans une tradition – la fidélité aux dogmes catholiques – et dans un mouvement littéraire – le renouveau catholique de la fin du XIXe siècle, ouvert par Huysmans et Verlaine, prolongé par Léon Bloy et Barbey d'Aurevilly. Le réalisme du surnaturel, qui fait l'originalité profonde des romans bernanosiens, rappelle, dans une certaine mesure, le matérialisme résolument spiritualiste inspiré à Huysmans par La Crucifixion de Grünewald : c'est-à-dire une volonté d'appliquer à l'univers de l'âme et du spirituel le sens de l'observation, limité par Zola et les naturalistes au domaine des mœurs et de la vie en société. Mais Bernanos renouvelle l'esprit de cette tradition, comme l'esthétique de ce mouvement.
Son catholicisme repose avant tout sur le Christ, et sa vision du monde se révèle, par essence, christique. Que faut-il entendre par ce terme ? Une vision du monde selon laquelle la réalité première est le Christ, source même de la connaissance de Dieu et de nous-même, comme de l'épanouissement de l'homme. Une vision du monde selon laquelle le destin des personnages romanesques – surtout des prêtres – se calque sur celui de la tragédie du Christ.
C'est pourquoi se discernent, dans le récit bernanosien, tant de références et d'allusions à Jésus de Nazareth, La Joie, et les symboles christiques la nuit, l'aube, la lumière, la croix, le sang, l'eau, les larmes y tiennent un rôle important. C'est pourquoi les prêtres de Bernanos – Donissan, Sous le soleil de Satan, Chevance L'Imposture, le curé d'Ambricourt, Journal d'un curé de campagne –, mais aussi Chantal de Clergerie, La Joie, insèrent leur itinéraire intérieur dans le sillon tracé par le Christ. C'est pourquoi enfin l'œuvre romanesque de Bernanos évoque une immense métaphore de la Passion et de la Résurrection du Christ : la nuit de Gethsémani, la souffrance, l'angoisse, la mort, mais aussi l'aube radieuse de Pâques (le salut des pécheurs grâce aux souffrances du saint.
En véritable créateur de formes, Bernanos inscrit sa vision du monde dans une esthétique. La qualité, l'originalité de cette inscription dans la matière romanesque fondent son génie de romancier. Certes, en ce qui concerne l'emploi des temps, les procédés narratifs, le goût des dialogues et des portraits, le choix d'un cadre rural et provincial, en règle générale, l'Artois et le Pas-de-Calais ; la Normandie, pour La Joie, les Alpes, pour Un crime, la place importante accordée aux faits dramatiques – meurtres et suicides –, ses romans s'appuient sur les formes héritées du XIXe siècle, mais ils ne s'y soumettent pas. Ils les dépassent en y introduisant un surnaturel évoqué de l'intérieur, par l'écriture même. Partant de Balzac, Bernanos s'élève au niveau de Dostoïevski. Ouvert sur une exploration de la psychologie des profondeurs » – comme chez l'auteur de L'Idiot – ce surnaturel s'unit à une esthétique qui en suggère la réalité, au moyen de procédés d'écriture spécifiques : structure du récit, paysages, notations descriptives des visages, des mains, des regards, images, symboles et métaphores... Les personnages de Bernanos évoluent selon une ligne brisée, faite de réactions imprévues, contradictoires, en apparence incompréhensibles. Le temps romanesque est ici non celui de l'enchaînement, des rapports de causalité interne ordinaire, mais celui de la rupture entre les instants, grâce à laquelle l'être s'affirme comme une personne libre. Les faits traduisent les réactions de l'âme sans les expliquer entièrement, laissant subsister l'ambiguïté. Ils n'ont, en réalité, que bien peu d'importance car ils sont les reflets de conflits intérieurs aigus opposant le péché et la grâce.
De 1926 Sous le soleil de Satan à 1940 Monsieur Ouine, le récit romanesque bernanosien a nettement évolué. Au travers du destin christique des personnages, on observe le passage d'une thématique de l'Ancien Testament Sous le soleil de Satan au Nouveau Testament L'Imposture, 1927 ; La Joie, 1929 ; Journal d'un curé de campagne, 1936, thématique elle-même ouverte sur une écriture du non-dit, Nouvelle Histoire de Mouchette, 1937 ; Monsieur Ouine, 1940. Clairement suggéré dans les premiers romans, le mystère de la communion des saints fait ensuite place à une interrogation sur le salut possible d'un être en perdition. Il faut envisager le salut des créatures d'Un crime 1935, d'Un mauvais rêve 1935 ou de la seconde Mouchette comme un acte de foi.

En ce qui concerne l'écriture romanesque, si le Journal d'un curé de campagne, son chef-d'œuvre, accentue la rupture avec les techniques d'expressions romanesques balzaciennes à partir du procédé littéraire du journal intime, en suggérant dans le plus grand dépouillement l'omniprésence du surnaturel, Monsieur Ouine, parabole du mystère du Mal, relie le surnaturel à l'incohérence, à l'énigmatique, parce qu'il cherche à dire l'opacité du Mal, le non-être de Satan. La structure en creux du roman répond précisément au vide de la conscience éprouvé par le héros éponyme. L'évocation de sa présence à travers le prisme des autres personnages, de même que le recours à l'intrigue policière, la fragmentation du récit, la présence d'énigmes non résolues, la thématique du regard, enfin le souci de laisser au lecteur le soin de découvrir le sens de l'œuvre rompent, là encore, avec le roman traditionnel. Avec Monsieur Ouine et Nouvelle Histoire de Mouchette, les mots ne « disent » plus explicitement la réalité du salut des personnages, elle se décrypte en filigrane dans le récit.

Un dialogue avec l'Histoire

Romancier du surnaturel incarné, Bernanos affirme dans ses essais politiques une même fidélité à la vision du monde christique et aux valeurs de l'Évangile qui sous-tendent ses romans. Par son ton, où s'unissent fièvre, passion et véhémence, par ses apostrophes cinglantes, ses jugements très tranchés, sa verve satirique, son œuvre politique a souvent été rattachée au courant polémique de la littérature française, illustré par Pascal, Louis Veuillot ou Léon Bloy. Au-delà d'un premier niveau de lecture, la polémique, chez Bernanos, signifie, en réalité, non pas dispute ou diatribe, mais débat. Débat fondamental qui confronte l'homme avec sa conscience, l'écrivain avec l'Histoire.
Au cours des années 1930-1940, qu'il s'agisse de la guerre d'Espagne, de la montée des fascismes, des accords de Munich ou de la Seconde Guerre mondiale et de ses prolongements, Bernanos a toujours commenté l'événement à travers le prisme d'une conscience qui se veut chrétienne. Ses prises de position politiques font de lui, aux côtés de Malraux, Gide, Sartre et Camus, une exceptionnelle figure d'écrivain engagé.
De l'unité profonde qui existe entre ses romans et ses essais, Les Grands Cimetières sous la lune 1938 fournit un exemple éclatant. Face à la tragédie espagnole de 1936, le livre recherche, là aussi, la signification surnaturelle des événements. Déchiffrer le monde, celui de la fiction comme celui de l'Histoire, revient à y découvrir la présence de Satan, la réalité implacable du Mal. Aux yeux de Bernanos, cette présence éclate dans ce qu'il tient pour un crime essentiel : le ralliement de l'Église au coup de force nationaliste de Franco, le scandale d'une Terreur cléricale, d'une mystique terroriste qui inverse le sens de la Passion du Christ.
La guerre d'Espagne a joué un rôle primordial dans la pensée et l'œuvre politique de l'écrivain. Elle l'a incité à renoncer aux romans exception faite de la fin de Monsieur Ouine) pour mettre en scène l'Histoire, en y insérant les thèmes de sa création romanesque la sainteté, l'enfance, l'honneur, le refus du mensonge, l'aspiration à la liberté. Elle scelle la rupture avec Maurras – dont l'idéologie avait inspiré La Grande Peur des bien-pensants 1931, composé en hommage à Drumont –, qui approuve la croisade des franquistes puis les accords de Munich et qui, en ne s'opposant pas à la montée des fascismes, trahit à la fois la monarchie et le Christ.
Bernanos place la montée du nazisme sous le signe de l'inversion des Béatitudes de l'Évangile. Le témoignage porté par Les Grands Cimetières sous la lune recoupe celui de l'ensemble de son œuvre politique : opposer à l'idée totalitaire – fascisme, nazisme, communisme – les valeurs de l'Évangile ; à l'esprit de vieillesse – prudence, égoïsme, calcul – l'esprit d'enfance ; à la trahison des clercs l'honneur des pauvres ; à la soif de l'argent et du pouvoir la quête de la sainteté, où l'homme s'épanouit dans la liberté.
À partir de cet essai, Bernanos rejoint le Péguy de Notre Jeunesse et de Note conjointe. Une même conception de l'écriture dans ses rapports avec l'Histoire rapproche les deux hommes : transcrire par le langage l'univers du surnaturel ; confronter la vocation de l'homme et de la France avec l'événement temporel en interprétant celui-ci par rapport à l'éternité ; refuser la dégradation de la mystique en politique.
Dans l'itinéraire politique de Bernanos, si l fidélité à Maurras censé défendre la monarchie et les valeurs chrétiennes recoupe les années 1906-1931, l'adhésion à Péguy s'insère dans le refus du fascisme et du nazisme Scandale de la vérité, Nous autres Français, 1939 et s'ouvre sur l'appui apporté par l'écriture à la Résistance Lettre aux Anglais, 1942 ; La France contre les robots, 1947 ; Le Chemin de la Croix-des-âmes, 1948.
Après la Seconde Guerre mondiale, face à l'invasion des « machines » et des « robots », qui aliènent la vie intérieure, la France est appelée par Bernanos à promouvoir la renaissance d'une société à la mesure de l'homme, inspirée par un christianisme authentique.Michel Estève.

La question de l'antisémitisme

Même si l'antisémitisme ne constitue pas véritablement un thème directeur de la pensée et de l'œuvre de Georges Bernanos aucun de ses romans n'y fait référence, il y a bien question et la polémique reste encore vive. La personnalité complexe de Bernanos transparaît dans ce débat avec lui-même et si on relève chez cet écrivain des propos antisémites jusqu'au milieu des années 1930, son évolution se révèle à travers ses écrits contre l'antisémitisme entre 1938 et 1946.
Selon l'historien Michel Winock l'antisémitisme de Bernanos s'analyse comme la combinaison de l'antijudaïsme chrétien et du social-antisémitisme qui associe les Juifs à la finance, aux banques, au pouvoir de l’argent sur celui du peuple. Il apparaît déjà dans certains articles de l'Avant-garde de Normandie mais c'est dans La Grande Peur des bien-pensants, publié en 1931 dans une France déchirée sur la question de l'antisémitisme, qu'il trouve véritablement son expression. Dans cet ouvrage, Bernanos affiche son admiration pour Édouard Drumont : Le vieil écrivain de La France juive fut moins obsédé par les juifs que par la puissance de l'Argent, dont le juif était à ses yeux le symbole ou pour ainsi dire l'incarnation. Il y tient aussi certains propos clairement antisémites : Devenus maîtres de l'or ils les Juifs s'assurent bientôt qu'en pleine démocratie égalitaire, ils peuvent être du même coup maîtres de l'opinion, c'est-à-dire des mœurs.
Quant à qualifier Bernanos de raciste, certaines phrases dans La Grande Peur des bien-pensants le laissent à penser. Ainsi, les Juifs traînent nonchalamment sur les colonnes de chiffres et les cotes un regard de biche en amour ou ces bonshommes étranges qui parlent avec leurs mains comme des singes. Pour critiquables que soient de tels propos, on n'en retrouve plus de semblables dans la suite de ses écrits. Max Milner, Michel Estève et Michel Winock lui-même considèrent dans leurs ouvrages qu'il s'agit d'emportement polémique mais qu'il n'y a fondamentalement pas de racisme chez Bernanos.
À partir de 1938, on peut lire chez Bernanos les prémices d'une profonde évolution : Aucun de ceux qui m’ont fait l’honneur de me lire ne peut me croire associé à la hideuse propagande antisémite qui se déchaîne aujourd’hui dans la presse dite nationale, sur l’ordre de l’étranger. En 1939, il écrit dans Nous autres Français : J’aimerais mieux être fouetté par le rabbin d’Alger que faire souffrir une femme ou un enfant juif. Qu'il s'agisse de son engagement en février 1943 en faveur de Georges Mandel ou de sa rencontre au Brésil avec Stefan Zweig l'écrivain plaide en faveur des Juifs. Mais plus significative encore, peut-être, est la netteté avec laquelle Bernanos mesure lui-même le chemin parcouru depuis son origine à l'égard des Juifs en reconnaissant que la chrétienté médiévale n'a pas compris l'honneur juif : Elle fermait obstinément les yeux sur les causes réelles de la survivance du peuple juif à travers l'Histoire, sur la fidélité à lui-même, à sa loi, à ses ancêtres, fidélité qui avait pourtant de quoi émouvoir son âme.
Pourtant, lorsque Bernanos affirme en 1944 Antisémite : ce mot me fait de plus en plus horreur. Hitler l'a déshonoré à jamais. Tous les mots, d'ailleurs, qui commencent par “anti” sont malfaisants et stupides, on s'interroge sur le sens de la formule, demeurée célèbre. Alors que Jacques Julliard ironise en se demandant s'il y a jamais eu un antisémitisme honorable, Adrien Barrot, commentant la citation d'Alain Finkielkraut, répond : C’est vraiment comprendre la formule de Bernanos à l’envers. Celle-ci marque indubitablement une véritable crise et une véritable prise de conscience chez Bernanos et ne mérite pas un tel procès d’intention.
Elie Wiesel, dans un livre d’entretiens avec Michaël de Saint-Cheron, salue en Bernanos un écrivain qui eut le courage de s'opposer au fascisme, de dénoncer l'antisémitisme et de dire justement ce qu'il a dit et écrit de la beauté d'être juif, de l'honneur d'être juif, et du devoir de rester juif. Il explique : J'admire beaucoup Bernanos, l'écrivain. ... C'est l'antisémitisme qui m'a gêné au départ chez lui, ainsi que son amitié pour Édouard Drumont bien entendu. Mais un écrivain de droite qui a le courage de prendre les positions qu'il a prises pendant la guerre d'Espagne fait preuve d'une attitude prémonitoire. Il était clair que Bernanos allait venir vers nous. Sa découverte de ce que représentent les Juifs témoigne de son ouverture, de sa générosité
Malgré tout le débat demeure entre des historiens comme Alexandre Adler, des polémistes comme Bernard-Henri Lévy ou des essayistes comme Jean-Paul Enthoven qui considèrent que Bernanos n'a jamais vraiment renoncé totalement à son antisémitisme, notamment en ne reniant pas Drumont, et ceux qui insistent au contraire, comme Elie Wiesel, l'académicien Alain Finkielkraut, le journaliste Philippe Lançon34 ou M. Simon Epstein, sur l'évolution de Bernanos.

Œuvre Romans

Sous le soleil de Satan, Paris, Plon, 1926 rééd., Le Castor Astral, 2008.
L'Imposture, Paris, Plon, 1927 rééd., Le Castor Astral, 2010.
La Joie, La Revue universelle, 1928 ; Paris, Plon, 1929.
Un crime, Paris, Plon, 1935.
Journal d'un curé de campagne, La Revue hebdomadaire, 1935-1936 ; Paris, Plon, 1936.
Nouvelle histoire de Mouchette, Paris, Plon, 1937 rééd. Le Castor Astral, 2010.
Monsieur Ouine, Rio de Janeiro, 1943 ; Paris, Plon, 1946 rééd. Le Castor Astral, 2008.
Un mauvais rêve, édition posthume, Paris, Plon, 1950.

Nouvelles et premiers écrits

Dialogues d'ombres, Paris, Seuil, 1955, complété en 1991.

Théâtre

Dialogues des carmélites, Paris, Seuil, 1949.

Essais et écrits de combat

La Grande Peur des bien-pensants, Paris, Grasset, 1931.
Les Grands Cimetières sous la lune, Paris, Plon, 1938 ; rééd. Le Castor Astral, 2008 ; rééd. Points, 2014.
Scandale de la vérité, Gallimard, Paris, 1939.
Nous autres, Français, Gallimard, 1939.
Lettre aux Anglais, Atlântica editora, Rio de Janeiro 1942.
La France contre les robots, Rio de Janeiro, 1944, puis Robert Laffont, 1947 ; rééd. Le Castor Astral, 2009.
Le Chemin de la croix-des-âmes, Rio de Janeiro de 1943 à 1945, 4 volumes, puis Gallimard, 1948 ; rééd. augmentée : Le Rocher, Paris, 1987.
Français, si vous saviez... Recueil d'articles écrits entre 1945 et 1948, Paris, Gallimard, 1961.
Les Enfants humiliés, Gallimard, 1949.
La Liberté, pour quoi faire ? cinq conférences prononcées en 1946 et 1947, Gallimard, 1953.
Le Crépuscule des vieux, Gallimard, NRF, 1956 recueil de textes qui s'échelonnent de 1909 à 1939 : explication de son œuvre de romancier commentaires de lecture, notes sur la poésie, sur l'histoire contemporaine....
Brésil, terre d'amitié, choix de lettres et de textes consacrés au Brésil présentés par Sébastien Lapaque, coll. « La petite vermillon », La Table Ronde, Paris, 2009.

Intégrales publiées

Romans suivis de Dialogues des carmélites, coll. La Pléiade, Gallimard, 1961.
Essais et écrits de combat, tome 1, coll. La Pléiade, Gallimard, 1971.
Essais et écrits de combat, tome 2, coll. La Pléiade, Gallimard, 1995.

Correspondance

Le Combat pour la liberté. Correspondance inédite, tome 1 1904-1934, Paris, Plon, 1971.
Le Combat pour la liberté. Correspondance inédite, tome 2 1934-1948, Paris, Plon, 1971.
Lettres retrouvées. Correspondance inédite, tome III 1904-1948, Paris, Plon, 1983.

Bibliographie

Notices d’autorité : Fichier d’autorité international virtuel • International Standard Name Identifier • Bibliothèque nationale de France • Système universitaire de documentation • Bibliothèque du Congrès • Gemeinsame Normdatei • Bibliothèque nationale de la Diète • WorldCat

Monographies

Hans Urs von Balthasar. Le Chrétien Bernanos, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Paris, Seuil, 1956.
Albert Béguin, Bernanos par lui-même, Paris, Seuil, 1958.
Jean-Loup Bernanos, Georges Bernanos, À la merci des passants, Paris, Plon, 1986.
Jean-Loup Bernanos, Georges Bernanos, Paris, Plon, 1988. Iconographie
Jean Bothorel, Bernanos : Le Mal-pensant, Paris, Grasset, 1998.
Louis Chaigne, Bernanos, éd. universitaires, 1954; rééd. 1970.
Michel Estève, Georges Bernanos : Un triple itinéraire, Paris, Hachette, 1981.
Jean de Fabrègues, Bernanos tel qu'il était, Paris, Mame, 1962.
Monique Gosselin-Noat, Max Milner, Bernanos et le Monde moderne, Presses universitaires de Lille, 1989 actes du colloque organisé pour le centenaire de la naissance de Bernanos
Monique Gosselin-Noat, Bernanos, militant de l'éternel, Paris, Michalon, 2007.
Joseph Jurt, Les Attitudes politiques de Georges Bernanos jusqu'en 1931, Fribourg, éditions Universitaires, 1968, 359 p.
Sébastien Lapaque, Georges Bernanos encore une fois, L'Âge d'Homme/Les Provinciales, 1998, puis Actes Sud, collection Babel, 2002
Sébastien Lapaque, Sous le soleil de l'exil, Georges Bernanos au Brésil 1938-1945, Paris, Grasset, 2003
Frédéric Lefèvre, Georges Bernanos, Paris, la Tour d'ivoire, 1926.
Dominique Millet-Gérard, Bernanos, un sacerdoce de l'écriture, Via Romana, 2009.
Max Milner, Bernanos, Paris, Desclée de Brouwer, 1967 ; réédition : Paris, Librairie Séguier, 1989.
Timour Muhidine, Sous le soleil de Bernanos, Empreinte, 2010.
Tahsin Yücel, Bernanos et Balzac, éditions Lettres modernes, Minard, 1974

Études

Juan Asensio, La Littérature à contre-nuit, Paris, Sulliver, 2007. Contient Monsieur Ouine de Georges Bernanos et Les Ténèbres de Dieu.
Michel Estève, Le Christ, les Symboles christiques et l'Incarnation dans les romans de G. Bernanos.
Marie Gil, Les Deux Écritures. Étude sur Bernanos, Paris, éditions du Cerf, 2008.
Philippe Le Touzé, Le Mystère du réel dans les romans de Georges Bernanos, Nizet, 1979.
Jean-Louis Loubet del Bayle, L’Illusion politique au xxe siècle. Des écrivains témoins au xxe siècle, Paris, Economica, 1999.
Yvon Rivard, L'imaginaire et le quotidien, essai sur les romans de Bernanos. Bibliothèque des lettres modernes 21, 1978.
Henri Guillemin, Regards sur Bernanos, Paris, Gallimard, 1976.
Odile Felgine, L'écriture en exil, Dianoïa, PUF, 2014.

Œuvres collectives

Cahier Bernanos, dirigé par Dominique de Roux, Paris, L'Herne, 1963.
Cahiers de l'Herne : Bernanos, dirigé par Dominique de Roux, avec des textes de Thomas Molnar, Michel Estève et al., Paris, Pierre Belfond, 1967.
Études bernanosiennes, revue éditée par Minard.
« Une parole prophétique dans le champ littéraire, dans Europe, no 789-790, janvier–février 1995, p. 75-88.
Georges Bernanos témoin, recueil publié sous la dir. de Dominique Millet-Gérard, Via Romana, 2009.

Roman

Lydie Salvayre, Pas pleurer, éditions du Seuil, 2014.
Prix Goncourt 2014.



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l





Posté le : 03/07/2015 16:53
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Marcel Achard
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57675
Hors Ligne
Le 5 juillet 1899 naît Marcel Ferréol, dit Marcel Achard

à Sainte-Foy-lès-Lyon, écrivain français, à la fois auteur de comédie légère et de pièce de boulevard, acteur, auteur dramatique et homme de cinéma, à commencer par scénariste et pour finir réalisateur, mort le 4 septembre 1974 à Paris.
Cet auteur et acteur de boulevard, de comédie légère et plus tardivement auteur de comédie musicale a été un représentant de la fantaisie, de l'humour, de la poésie consolatrice au cours de l'entre-deux-guerres. L'auteur de La vie est belle ou du Jean de la Lune connaît un succès croissant sur les scènes européennes libres qui ne sont pas soumises à la censure au cours des années trente. Patate, pièce écrite en 1957, le fait renouer les vivifiants succès d'avant-guerre. Cet Immortel, élu surprise en mai 1959 à l'Académie française, a émis le vœu ultime de retrouver la tranquillité d'un petit village des bords de Loire. Il est inhumé au cimetière La Chaussée-Saint-Victor en Loir-et-Cher. Auteur type du boulevard avec ses comédies légères, comme Jean de la Lune, 1929 ; Patate, 1957 et musicales, la Polka des lampions, 1961, il dut à ses débuts d'acteur, le rôle du clown Grockson dans sa pièce Voulez-vous jouer avec moâ ?, 1923 de voir son élection à l'Académie française 1959 faire presque figure d'audace.

En bref

Né à Sainte-Foy-lès-Lyon dans le Rhône, Marcel Achard passe toute sa jeunesse à Lyon et fait ses études à Calluire. Il écrit sa première pièce à l'âge de dix ans, pièce de cape et d'épée d'une violence inouïe. En 1917, il écrit une parodie de Tartuffe qu'il intitule Tartuffe pour le théâtre Guignol. C'est un succès. Il écrit alors une dizaine de pièces qui, toutes, sont unanimement refusées. En 1918, il « monte » à Paris, où il exerce de nombreux métiers. À la suite d'articles sincères et élogieux sur Lugné-Poe et Charles Dullin, ceux-ci lui demandent chacun une pièce. Il se lance alors à l'assaut des scènes parisiennes avec La messe est dite, un acte violent, sarcastique et parfaitement amoral, pour Lugné-Poe, et Celui qui vivait sa mort pour Charles Dullin. Sans être des succès, ces deux pièces constituent des encouragements, et Marcel Achard écrit, pour le théâtre de l'Atelier, Voulez-vous jouer avec moâ ? 1923 qui soulève enthousiasme et polémiques. Il y a déjà là en substance tout le théâtre de Marcel Achard. L'amour dans la poésie la plus mélancolique comme dans l'humour le plus constant, le sourire omniprésent, le trait, la pointe d'esprit le plus pur, la cabriole qui va du comique au sévère, du gros rire à la tendresse la plus émouvante, la femme rouée, roublarde, menteuse, dissimulée mais toujours pardonnée et comprise, et surtout l'homme lunaire, charmant, drôle qui sait souffrir en souriant et qui sait voir dans la vie ce qu'il y a de vrai et de consolant, tandis que le rire est là, sous-jacent, et fait passer le drame le plus triste, la situation la plus décevante.
Marcel Achard écrit en 1924 Malborough s'en va-t-en guerre, dont le succès ne s'affirme que quelques années plus tard, dans une reprise faite par Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault. Puis Je ne vous aime pas 1926 et Une balle perdue, adaptation de La Femme silencieuse de Ben Jonson.
En 1929, Jean de la Lune, monté par Louis Jouvet, est une révélation : chaque homme peut reconnaître dans Jeff ses propres faiblesses, tandis que l'éternel féminin se retrouve dans le personnage de Marceline qui rejoint, à travers les siècles, la Célimène du Misanthrope de Molière. Jean de la Lune, traduit dans de très nombreuses langues, joué et rejoué dans le monde entier, totalise des dizaines de milliers de représentations.
En 1957, Patate va imposer définitivement Marcel Achard comme le poète et le défenseur de la tendresse, de la bonté et de l'amour en dépit de tout et de tous. Puis ce sera La Bagatelle 1959, L'Idiote 1961, avec Annie Girardot, qui remporte un immense succès au Théâtre-Antoine, La Polka des lampions, opérette au Châtelet 1962, avec Jean Richard et Georges Guétary ; Turlututu 1962 ; Eugène le Mystérieux 1963, opérette au Châtelet ; Machin-chouette 1964 ; Gugusse 1968 ; La Débauche 1973, qui sera sa dernière pièce jouée au théâtre de l'Œuvre.
Ses admirations sincères, spontanées ou raisonnées vont à Molière, à Musset, à Sacha Guitry et ont conditionné son œuvre entière. Il en a la profondeur, la poésie, la légèreté et le goût immodéré de plaire. Robert Manuel

Sa vie

Marcel Achard, à l'occasion journaliste, commence jeune souffleur dans un théâtre. Il a une grande maîtrise de sa voix. Attiré par les planches et les comédiennes, il commence à jouer un rôle de comédien dans ses premières pièces et d'acteur au cinéma muet dès 1923. Il se révêle dans le rôle du clown Grockson, un des trois personnages clefs de sa pièce Voulez-vous jouer avec moâ ?. Cette pièce à l'accent de Jules Laforgue est son premier franc succès, il y eut plus de deux cents représentations et ce succès auprès du public parisien lui permit d'être découvert par Lugné-Poe et Charles Dullin. Ce dernier, au nom du Théâtre de l'Atelier, lui avait commandé d'ailleurs la pièce. Dans celle-ci, tous les personnages achardiens, sans épaisseur et sans grande passion, sont déjà en germe : êtres sentimentaux et tendus, la femme belle et inconstante, un peu naïve, l'homme timide et naïf et les dialogues qui nous mènent, au terme d'un parcours où ne peut s'effacer des allusions aux cynismes et à la mélancolie des temps, vers un monde où tout se résout avec le temps.

Poète et homme de cinéma

Si au moment de sa première reconnaissance théâtrale, Marcel Achard a voulu livrer sa veine poétique avec le recueil de ses inspirations, La muse perègrine, il a, dès le début des années trente, sa notoriété définitivement acquise dans le milieu du théâtre français, éprouvé et gardé une fascination pour l'image et le son cinématographiques. C'est pourquoi il a participé, sous la direction de Jean Choux, à la première réalisation de Jean de la Lune au cinéma en 1931 et repris lui-même en 1948 l'adaptation de sa pièce au cinéma. Il a ainsi, entre ces deux dates, contribué à une dizaine de longs métrages, alors que ses œuvres théâtrales étaient jouées avec succès dans la plupart des pays de l'Europe du nord et du sud avant guerre.

Élection à l'Académie française

Marcel Achard est élu à l'Académie française, le 28 mai 1959, au fauteuil d'André Chevrillon. Ce siège numéroté 21 est vacant depuis deux ans. Au scrutin destiné à pourvoir la place, plusieurs candidats étaient en lice et déclarés depuis longtemps, notamment Jean Guitton et Henri Bosco. La candidature de Marcel Achard surgit à l'improviste, une semaine avant la clôture, et c'est le comédien et auteur de théâtre qui l'emporte finalement au troisième tour. Son talent, sa gaieté, son brio et son regard de myope derrière de grosses lunettes rondes avaient conquis 17 voix fidèles. Marcel Pagnol lui donne son épée le 3 décembre 1959. Son épouse Juliette est décédée en 1978 à 75 ans. Une médaille commémorative de l'élection de Marcel Achard lui ayant appartenu est conservée au musée Carnavalet ND 928.

Œuvres

Pièces de théâtre
Celui qui vivait sa mort, écrite en 1922, mise en scène Charles Dullin, Théâtre de l'Atelier, 9 mai 1923
Voulez-vous jouer avec moâ ?, mise en scène Charles Dullin, Théâtre de l'Atelier, 18 décembre 1923
La Messe est dite, 1923
Malbrough s'en va-t-en guerre, pièce en 3 actes, mise en scène Louis Jouvet, Comédie des Champs-Élysées, 9 décembre 1924
Et dzim la la ..., mise en scène Georges Pitoëff, Théâtre des Arts, 16 juin 1926
Je ne vous aime pas, 1926
La Femme silencieuse, adaptée de Ben Jonson et jouée après 1926.
La vie est belle, 1928
Jean de la Lune, mise en scène Louis Jouvet, Comédie des Champs-Élysées, 16 avril 1929
La Belle Marinière, Comédie-Française, 4 novembre 1929
Une balle perdue, 1929
Le Rendez-vous, mise en scène Lugné-Poe, Théâtre Edouard VII, 3 octobre 1930
Mistigri, comédie en 4 actes, mise en scène Jacques Baumer, Théâtre Daunou, 22 décembre 1930
Domino, comédie en 3 actes, mise en scène Louis Jouvet, Comédie des Champs-Élysées, 3 février 1932
La Femme en blanc, 1932, Théâtre Michel, 8 mars 1933
Pétrus, pièce en 4 actes, mise en scène Louis Jouvet, Comédie des Champs-Élysées, 7 décembre 1933
Le Cinéma à vol d’oiseau, 1934
Noix de coco, Théâtre de Paris, 4 décembre 1935
Gribouille, 1937
L'Alibi, 1938
Le Corsaire, conte en 2 actes et 6 tableaux, mise en scène Louis Jouvet, Théâtre de l'Athénée, 25 mars 1938
Adam, Théâtre du Gymnase, 1938
Mademoiselle de Panama, mise en scène Marcel Herrand, Théâtre des Mathurins, 1942
Colinette, 1942
Auprès de ma blonde, comédie, mise en scène Pierre Fresnay, Théâtre de la Michodière, 7 mai 1946
Les Sourires inutiles, Comédie-Française, 4 février 1947
Nous irons à Valparaiso, mise en scène Pierre Blanchar, Théâtre de l'Athénée, 2 mars 1947
Savez-vous planter les choux ?, mise en scène Pierre Fresnay, Théâtre de la Michodière, 25 septembre 1947
La Demoiselle de petite vertu, comédie en 3 actes, mise en scène Claude Sainval, Comédie des Champs-Élysées, 21 novembre 1949
Histoires d’amour, 1949
Nouvelles Histoires d’amour, 1950
La P'tite Lili, comédie musicale en 2 actes et 8 tableaux, musique Marguerite Monnot, A.B.C., 1951
Le Moulin de la Galette, mise en scène Pierre Fresnay, Théâtre de la Michodière, 18 décembre 1951
Les Compagnons de la Marjolaine, mise en scène Yves Robert, Théâtre Antoine, 3 octobre 1952
Le Mal d’amour, comédie en 1 prologue 3 actes et 1 épilogue, Théâtre de la Michodière, 1955
Patate, écrite en 1956, mise en scène Pierre Dux, Théâtre Saint-Georges, 25 janvier 1957
La Bagatelle, mise en scène Jean Meyer, Théâtre des Bouffes Parisiens, 16 décembre 1958
L'Idiote, mise en scène Jean Meyer, Théâtre Antoine, 22 septembre 1960
La Polka des lampions, opérette, livret Marcel Achard, musique Gérard Calvi, Théâtre du Chatelet, 1961
Turlututu, mise en scène Jean Meyer, Théâtre Antoine, 28 septembre 1962
Eugène le Mystérieux, comédie musicale en 20 tableaux d'après Eugène Sue, livret Marcel Achard, musique Jean-Michel Damase, Théâtre du Chatelet, 7 février 1964
L'amour ne paie pas, 1963
Machin-Chouette, mise en scène Jean Meyer, Théâtre Antoine, 3 octobre 1964
Gugusse, mise en scène Michel Roux, Théâtre de la Michodière, 13 septembre 1969
La Débauche, mise en scène Jean Le Poulain, Théâtre de l'Œuvre, 16 février 1973

Filmographie En tant que scénariste ou conseiller

1931 : Jean de la Lune de Jean Choux
1932 : La Belle Marinière de Harry Lachman scénario, d'après sa pièce
1937 : Naples au baiser de feu d'Augusto Genina
1937 : Gribouille de Marc Allegret scénario
1938 : Orage de Marc Allégret scénario, dialogues
1938 : L'Étrange Monsieur Victor de Jean Grémillon scénario
1939 : Noix de coco de Jean Boyer scénario, d'après sa pièce
1939 : Le Corsaire de Marc Allégret scénario, d'après sa pièce - film inachevé
1941 : Parade en 7 nuits de Marc Allégret scénario, dialogues
1942 : La Belle Aventure de Marc Allégret scénario, dialogues
1942 : L'Arlésienne de Marc Allégret scénario, dialogues
1942 : Monsieur La Souris de Georges Lacombe adaptation et dialogue
1943 : Domino de Roger Richebé scénario, d'après sa pièce
1944 : Les Petites du quai aux fleurs de Marc Allégret scénario, dialogues
1946 : Lunegarde de Marc Allégret scénario, dialogues
1946 : Pétrus de Marc Allegret dialogues, d'après sa pièce
1949 : Ceux du Tchad, court métrage de Georges Régnier scénario

En tant que réalisateur

1935 : Folies-Bergère version française, tournée à Hollywood, du film de Roy Del Ruth titré en anglais Folies Bergère de Paris
1943 : Les Deux timides coréalisé avec Yves Allégret et Marc Allégret ce dernier n'étant pas crédité
1949 : La Valse de Paris
1949 : Jean de la Lune
1953 : Madame De réalisé par Max Ophuls, dialogues de Marcel Achard

En tant qu'acteur

1924 : Entr'acte de René Clair
1926 : Le P'tit Parigot de René Le Somptier
1951 : Traité de bave et d'éternité d'Isidore Isou
1952 : L'Amour, Madame de Gilles Grangier - simple apparition -
1961 : Aimez-vous Brahms Goodbye Again d'Anatole Litvak : caméo
1964 : Cherchez l'idole de Michel Boisrond : caméo
1964 : Les Durs à cuire ou Comment supprimer son prochain sans perdre l'appétit de Jack Pinoteau - simple apparition
-
À la scène

1923 : Voulez-vous jouer avec moâ ? mise en scène Charles Dullin, Théâtre de l'Atelier
1933 : La Femme en blanc, Théâtre Michel
1967 : Jean de la Lune mise en scène Jean Piat, Théâtre du Palais-Royal

Metteur en scène

1952 : Harvey de Mary Chase, mise en scène et adaptation au Théâtre Antoine.



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l

Posté le : 03/07/2015 14:07
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Luigi Pirandello
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57675
Hors Ligne
Le 28 juin 1867 naît Luigi Pirandello à Agrigente en Sicile

au lieu dit Le Chaos entre Agrigente et Porto Empedocle, écrivain italien, poète, nouvelliste, romancier et dramaturge, durant une épidémie de choléra, mort à Rome, à 69 ans le 10 décembre 1936. Son œuvre a été récompensée du Prix Nobel de littérature en 1934.
C'est le père du peintre Fausto Pirandello. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1934. Ses Œuvres principales sont Nouvelles pour une année entre 1894 et 1936, Feu Mathias Pascal en 1904, Six personnages en quête d'auteur en 1921, Henri IV en 1922, Un, personne, cent mille en 1925, Ce soir on improvise en 1930.
Avant la révolution brechtienne, la subversion pirandellienne représente, entre les deux guerres, l'entreprise la plus vaste et la plus systématique de renouvellement de la dramaturgie contemporaine ; non seulement son influence s'étendit bien au-delà des scènes italiennes, mais elle s'exerça plus encore à l'étranger qu'en Italie, notamment à Paris, où Pirandello fut mis en scène dès 1922 par Charles Dullin la Volupté de l'honneur et dès 1923 par Georges Pitoëff Six Personnages en quête d'auteur.
Comme il l'avait été pour ses contemporains, Pirandello est avant tout pour la postérité un dramaturge. Il n'empêche qu'il n'a abordé le théâtre qu'une fois passée la cinquantaine, et toujours sur le mode de la parenthèse ou de la prétérition : Je ne suis par un dramaturge, mais un narrateur encore une pièce et je reviendrai à ma véritable nature, le récit, etc. Certes, cette parenthèse nous valut une quarantaine de pièces et une vingtaine d'années d'activité ; mais pour considérable que soit la part du théâtre dans l'œuvre de Pirandello, elle n'en représente que le tiers : le second tiers est composé de nouvelles, et le troisième, d'une part de romans, d'autre part de poèmes et d'essais.

En bref

Enfant de Sicile, puisqu'il est natif d'Agrigente, Pirandello produisit au fil de ses quarante-cinq ans de carrière littéraire quatre recueils de poèmes, sept romans, plus de deux cents nouvelles, une quarantaine de pièces de théâtre, ainsi que deux volumes d'essais. Si les nouvelles constituent la part la plus riche et peut-être la plus originale de son œuvre, ce fut son théâtre qui le rendit célèbre ; il souleva des polémiques et donna naissance au terme de pirandellisme, notion plurivoque et qui se laisse difficilement définir.
En 1934, deux ans avant la mort de l'écrivain à Rome, le prix Nobel couronna une œuvre qui, bien qu'inégale, marqua son temps plus sans doute que la littérature italienne contemporaine.
Les sept romans de Luigi Pirandello sont de valeur inégale. Le premier est L'Exclue L'Esclusa, 1901, marqué par l'influence du vérisme, récit paradoxal du destin social d'une femme injustement accusée d'adultère et qui, chassée, ne reconquiert un statut social qu'en se livrant effectivement à la faute qu'on lui reprochait. La femme est également le centre d'attraction du ballet de corbeaux de Chacun son tour Il Turno, 1902, farce lugubre et grinçante sur le thème du mariage de raison et de gratitude, où déjà l'intensité du dialogue préfigure les rapides échanges de passes verbales des grandes comédies. Trois autres romans, Son Mari Suo Marito, 1911, On tourne Si gira, 1915, inspiré par les débuts du cinéma et marqué par la décomposition et la déformation du monde que cause la prise de vue, Un, personne et cent mille Uno, nessuno e centomila, 1926, centré sur le problème du relativisme psychologique, ne sont que des essais assez médiocres en eux-mêmes, mais qui servent d'arrière-fond au reste de la production pirandellienne. En revanche, les deux autres romans de Pirandello sont d'une importance capitale pour la connaissance de son œuvre.
Feu Mathias Pascal Il Fu Mattia Pascal, 1904 marque le passage du roman de mœurs à l'analyse d'un personnage particulier. Mathias Pascal, qui a fait une escapade hors de sa famille, apprend par les journaux son prétendu suicide, et décide de jouer le jeu en repartant de zéro. Mais il n'est plus rien pour les autres, et l'absence de statut social le réduit à l'inexistence ; aussi décide-t-il de réintégrer sa famille, où entre-temps chacun l'a cru mort et a réorganisé sa vie. Sa femme s'est remariée, Mathias Pascal n'a plus qu'à aller, symboliquement, déposer des fleurs sur sa propre tombe. Ici s'esquisse une des lignes de la problématique socio-psychologique qui se développera dans le théâtre de Pirandello : la question de l'existence de l'individu et de sa dépendance par rapport à un ordre social et à une attente psychologique de la part d'autrui.
Les Vieux et les Jeunes I Vecchi e i Giovani, 1908-1909 constitue un retour à la matière et à la technique vériste. Il traite du heurt des intérêts et des générations au lendemain de l'unité, en Sicile et à Rome. La technique est reconnaissable dans l'accumulation des données socio-historiques et dans les procédés de collage de textes non littéraires. Sensibilisé par l'agitation sociale notamment les fasci siciliani de 1892, Pirandello se livre à un examen de tous les vices constitutifs du système politico-social issu du Risorgimento : injustices sociales, exploitation du Sud par le Nord, corruption administrative, intrigues politiques de tous les partis. Les solutions possibles sont incarnées par Antonio Del Re, qui représente un anarchisme juvénile et stérile, par Laurentano, tenant d'un socialisme humanitaire, et par don Cosmo Laurentano, agnostique politique. L'importance de ce roman est grande pour la compréhension du reste de l'œuvre de Pirandello, qui n'est ni insensible à la réalité politico-sociale de son temps, ni étroitement et unilatéralement engagé. On trouvera des échos de cette matière politique à la fois dans des farces quasiment antiparlementaires comme L'Imbecille et dans les grandes œuvres ambitieuses et confuses de la fin de sa carrière, aussi bien le drame musical La Fable du fils échangé La Favola del figlio cambiato que l'utopie mystique de La Nouvelle Colonie La Nuova Colonia. Toutefois, c'est dans les nouvelles, dont la production s'étend de 1894 à la fin de sa carrière, que l'on trouve le plus de correspondances avec la matière de ce roman.

Sa vie

L'été de la naissance de Luigi Pirandello, la Sicile subit une terrible épidémie de choléra, comme vingt années plus tôt. C'est cette maladie qui emporte, en 1837, son grand-père paternel, Andrea, riche propriétaire qui laisse une grosse fortune et une famille nombreuse dont le dernier-né, Stefano, est le père de Luigi. Stefano est un homme courageux et aventureux qui a rejoint les troupes de Garibaldi et combattu pour l'unité italienne. Sa mère, Caterina Ricci-Gramitto, vient d'une aristocratique famille de patriotes.
Le jeune Pirandello grandit entre une mère douce et aimante, qu'il adore, et un père autoritaire et coléreux, avec lequel il entretient des relations difficiles. La servante de la famille imprègne le jeune Luigi du folklore sicilien en lui apprenant des chansons populaires et en lui contant les fables et les légendes de son pays natal, qui enflamment son imagination. Il entreprend des études au collège technique. Elles ne lui plaisent guère. Il fait croire à son père qu'il a échoué à l'examen de mathématiques et pendant ses vacances, au lieu de prendre des leçons dans cette discipline, il suit des cours de latin qui lui permettront d'entrer au Gymnase, le lycée classique, en deuxième année. Le jeune Luigi aime la lecture et les mots et, dès 1880, il rédige ses premiers poèmes. À dix-sept ans, en 1884, il publie Cahute, sa première nouvelle, située en Sicile, qui raconte l'enlèvement d'une jeune fille par son amant.
Amoureux de sa cousine Lina, il envisage de l'épouser et de rejoindre son père à la soufrière, dans l'entreprise familiale, mais la littérature l'attire irrésistiblement. En 1887, à vingt ans, il quitte Palerme pour Rome. En 1889, il fait paraître des articles dans la revue Vita Nuova et son premier recueil de vers Le Mal joyeux. Il part alors pour l'université de Bonn, séduit par le romantisme allemand et Goethe dont il traduira les Élégies romaines. En 1891, il accède au grade de docteur en philosophie et lettres de l'université de Bonn, avec une thèse de dialectologie romane sur le dialecte d'Agrigente, écrite en allemand. Le jeune homme rentre en Italie et rompt ses fiançailles avec sa cousine.

Le mariage et les premiers écrits

En 1894, à vingt-sept ans, il épouse Maria Antonietta Portulano, la fille de l'associé de son père, qui lui apporte une belle dot. Ce mariage arrangé par les parents, ne fut pas heureux. Les jeunes époux partent s'installer à Rome. De ce mariage naîtront trois enfants : Stefano 1895-1972, Lietta 1897-1971 et Fausto 1898-1975. Cette année 1894, il publie Amours sans amour son premier recueil de nouvelles dont les personnages appartiennent à la petite bourgeoisie provinciale et au peuple des campagnes de sa Sicile natale. Pirandello écrira des nouvelles toute sa vie. En 1897, il enseigne la stylistique à l'Instituto Superiore di Magistero, une école normale pour jeunes filles où il passera vingt-quatre ans, de sa trentième à sa cinquante-quatrième année. Il publie sa première pièce, L'Étau en 1898 et son premier roman L'Exclue en 1901. Il écrit également des essais et collabore à des journaux. En 1902, il renonce à la poésie.

La folie de sa femme et son travail acharné

La jeune épouse de Pirandello, peu instruite, ne comprenait pas les préoccupations littéraires de son mari, intellectuel brillant. Cette incompréhension s'est fixée en une jalousie maladive causée par la fascination que son mari exerçait sur ses jeunes élèves de l'école normale pour jeunes filles. Cette jalousie sans fondement va se transformer, peu à peu, après la faillite de l'entreprise familiale, en une véritable folie. Le critique et essayiste Nino Frank se demande à ce sujet : Lequel est né d'abord, de l'œuf ou de la poule ? Pirandello est-il devenu Pirandello parce que sa femme était folle, ou vice versa ? Peu importe à l'heure qu'il est. Ce qui importe, c'est que ce cas familial conditionne désormais l'inspiration de l'écrivain. En 1903, un éboulement détruit la mine de soufre et provoque la faillite de l'entreprise paternelle dans laquelle était investi tout ce qu'il possédait ainsi qu'une partie de la dot de sa femme. Ruiné, Pirandello, qui a envisagé de se suicider, reprend courage en s'investissant dans son travail de créateur. Il publie l'année suivante, en 1904, son roman le plus connu, Feu Mathias Pascal. A trente-sept ans, ce succès lui ouvre les portes de la plus grande maison d'édition italienne de l'époque, Trèves, et lui assure la sécurité matérielle.
La vie familiale de Pirandello et de ses enfants est difficile et douloureuse. La paranoïa de sa femme, qui commence après la naissance de leur troisième enfant, aurait nécessité un internement mais Pirandello, qui ne peut s'y résoudre, garde sa femme au foyer familial pendant dix-sept années. L'écrivain, qui a trouvé refuge dans un travail acharné, écrit des nouvelles, des romans et des essais. Il publie son essai sur l'Humour en 1908 et collabore l'année suivante au Corriere della sera. En 1910 deux de ses pièces de théâtre, L'étau et Figues de Sicile, sont représentées pour la première fois au Teatro Metastasio de Rome. L'année 1915 est une année difficile pour Pirandello : l'Italie entre en guerre, ses fils Stefano et Fausto partent au front où Stefano est fait prisonnier, sa mère meurt et la folie de sa femme devient de plus en plus violente. Elle accuse notamment son mari d'inceste envers leur fille Lietta, qui a fait une tentative de suicide et devra être confiée à sa tante Lina, la sœur de Pirandello. Maria Antonietta sera finalement internée en 1919 elle mourra en 1959. Pirandello a alors cinquante-deux ans.

Sa réussite théâtrale et sa renommée universelle

L'histoire de la littérature reconnaît surtout en Pirandello le dramaturge. Il n'a vraiment réussi au théâtre qu'à la cinquantaine. Il pensait que ce genre ne devait être qu'une parenthèse dans son œuvre : "Le théâtre,comme tu sais, ne me tente pas beaucoup. Je fermerai cette parenthèse théâtrale pour me remettre à mon travail de narrateur, plus naturel" écrit-il à son fils Stefano en 19171. Et pourtant il publie en 1917 ses premières grandes pièces : Chacun sa vérité et La volupté de l'Honneur et ensuite C'était pour rire 1918, Tout pour le mieux 1919, L'Homme, la bête et la vertu 1919. En 1921, après un échec cuisant en mai à Rome, Six personnages en quête d'auteur triomphe en septembre à Milan et, la même année, la pièce sera jouée à New-York. Henri IV en 1922 est un succès. À Paris, Charles Dullin met en scène dès 1922 La Volupté de l'honneur et Georges Pitoëff dès 1923 Six Personnages en quête d'auteur dont la première a lieu en la présence de l'auteur. En 1922, Pirandello abandonne l'enseignement.
Son œuvre théâtrale renouvelle profondément la scène de l'entre-deux-guerres en y introduisant fantaisie, poésie et liberté. Ses pièces les plus célèbres évoquent le théâtre dans le théâtre : Comme ci ou comme ça 1924, Ce soir on improvise 1930 qui semblent former à ce sujet une trilogie avec Six Personnages en quête d'auteur. Le théâtre de Pirandello, avec ses 43 pièces écrites en une vingtaine d'années, lui assura la renommée universelle.
En 1922, Pirandello commence à rassembler ses nouvelles sous le titre Nouvelles pour une année Novelle per un anno en quinze volumes. Le nouvelliste rêve, dans l'avertissement de la première édition, d'un grand volume qui, selon le principe du titre du recueil, donnerait à lire au lecteur une nouvelle par jour pendant une année, soit trois cent soixante-cinq nouvelles. L'édition de 1937-1938 de Manlio Lo Vecchio-Musti compte 237 nouvelles dont 21 inédites du vivant de leur auteur. Comme pour Tchekhov, le succès de son théâtre a longtemps éclipsé l'originalité et la beauté de ses nouvelles. L'œuvre de Pirandello ne se réduit pas à sa production théâtrale. Elle pourrait être divisée en trois parties presque égales, ses nouvelles, son théâtre et enfin ses romans et essais. Ses travaux de conteur et de dramaturge sont liés. Ainsi, pas moins de vingt-sept nouvelles sont adaptées au théâtre : "Madame Frola et monsieur Ponza, son gendre" donnera "Chacun sa vérité", de "Leonora, Addio !" naîtra "Ce soir on improvise", etc. Certains titres de nouvelles sont conservés pour leurs adaptations théâtrales : "Cédrats de Sicile", "Le devoir du médecin", "Gare à toi, Giacomio !", "La jarre", etc. Avec "Pirandello. Nouvelles complètes", en 2.240 pages, les Éditions Gallimard, réalisent en 2000 le souhait de Pirandello de voir toutes ses nouvelles réunies en un seul volume. Dans l'avertissement de la première édition de "Novelle per un anno", Pirandello écrivait que "[l'auteur de ces nouvelles] espère que les lecteurs voudront bien lui pardonner si, nées de la conception qu'il a eue du monde et de la vie, trop d'amertume et une joie trop rare s'offriront à eux et se donneront à voir dans cette multitude de petits miroirs qui la reflètent tout entière. Cette comédie humaine sicilienne reflète en effet la perception subjective de Pirandello, à laquelle son art de conteur donne une portée universelle. Un de ses traducteurs, le romancier et essayiste Georges Piroué intitulera d'ailleurs son étude sur Pirandello, parue en 1988 aux Éditions Denoël :"Luigi Pirandello, Sicilien planétaire".
En 1924, Pirandello adhère au fascisme et rencontre Mussolini. Mais il ne s'engagea jamais activement en politique. Son activité théâtrale internationale l'écartera peu à peu du régime fasciste, dont il supporte mal la suspicion et l'autoritarisme. Cependant, en 1929, il fait partie des premiers membres, nommés par décret du Président du Conseil, de la Reale Accademia d'Italia, créée trois ans plus tôt par Mussolini.
C'est aussi avec l'appui de Mussolini qu'il fonde, avec son fils Stefano, en 1925, le Teatro d'Arte di Roma. Il y découvre la vie et le travail d'un directeur de théâtre et d'un metteur en scène. Il engage une jeune et talentueuse comédienne, Marta Abba, pour laquelle il éprouve un amour impossible. Elle devient son interprète principale et son inspiratrice. En cette année 1925 également, il publie un nouveau chef-d'œuvre, qu'il a mis quinze ans à écrire, le roman Un, personne et cent mille. Il voyage ensuite à l'étranger avec sa compagnie mais l'expérience du Teatro d'arte di Roma prend fin à l'été 1928, ainsi que sa collaboration avec Marta Abba qui crée sa propre troupe de théâtre. L'écrivain s'exile alors volontairement deux années à Berlin puis une à Paris. L'écrivain et la jeune comédienne s'écrivent pendant toutes ces années et leur correspondance sera publiée sous le titre Lettres d'amour de Pirandello à Marta Abba. Avec Quand on est quelqu'un 1933, Pirandello met en scène son propre drame d'homme seul, prisonnier de sa célébrité.

Le prix Nobel de littérature

Le 10 décembre1934, il reçoit à Stockholm le prix Nobel de littérature "pour son renouvellement hardi et ingénieux de l'art du drame et de la scène" mais il subit de plus en plus d'incidents cardiaques. Travaillant sans relâche, il meurt en 1936 d'une pneumonie alors qu'il prépare l'adaptation cinématographique de Feu Mathias Pascal et écrit une nouvelle pièce, qui reste inachevée : Les Géants de la montagne, dont il a le sentiment qu'elle est son chef-d'œuvre. "Je crois vraiment que je suis en train de composer, avec une ferveur et une anxiété que je ne réussis pas à t'exprimer, mon chef d'œuvre, avec ces "Géants de la montagne"... Mon art n'a jamais été aussi plein, aussi varié et imprévu : c'est vraiment une fête pour l'esprit et pour les yeux... " écrit-il à Marta Abba.
Dix années après sa mort, ses cendres sont transportées à Agrigente. Comme l'écrit la critique littéraire Rosanna Delpiano : " ... son destin de personnage se clôt sur un dernier jeu entre apparence et réalité : par les rues de sa ville, les cendres de Pirandello passent, enfermées dans une caisse qui donne l'impression que la crémation n'a pas eu lieu, que le corps est dans le cercueil. Il paraît qu'en ont décidé ainsi les autorités ecclésiastiques : ainsi, sans le savoir, elles s'employaient à donner la dernière touche "pirandellienne" au séjour involontaire sur la terre de Luigi Pirandello." Après la Seconde Guerre mondiale, ses cendres sont scellées dans un mur près de sa maison natale, classée monument national en 1949. Sa femme meurt en 1959, dans une clinique psychiatrique, à l'âge de 87 ans.

Pirandello vu par lui-même

Luigi Pirandello, dans une lettre adressée à Benjamin Crémieux, son premier traducteur français, a un regard lucide et poignant sur sa propre vie. Il lui écrit en effet pour la parution de Vieille Sicile par la NRF : "Vous désirez quelques notes biographiques sur moi et je me trouve extrêmement embarrassé pour vous les fournir; cela, mon cher ami, pour la simple raison que j'ai oublié de vivre, oublié au point de ne pouvoir rien dire, mais exactement rien, sur ma vie, si ce n'est peut-être que je ne la vis pas, mais que je l'écris. De sorte que si vous voulez savoir quelque chose de moi, je pourrais vous répondre : Attendez un peu, mon cher Crémieux, que je pose la question à mes personnages. Peut-être seront-ils en mesure de me donner à moi-même quelques informations à mon sujet. Mais il n'y a pas grand-chose à attendre d'eux. Ce sont presque tous des gens insociables, qui n'ont eu que peu ou point à se louer de la vie." Benjamin Crémieux, aidé par sa femme Marie-Anne Comnène, est un de ceux qui le révèlent au public parisien en traduisant puis en faisant jouer ses plus importantes pièces.

Quelques caractéristiques des œuvres de Pirandello :

La Sicile reste une référence constante dans ses œuvres. Il définit la vie comme "un séjour involontaire sur la terre". On peut observer une grande interrogation sur la vie, l'individu et la société. On trouve le thème de la multiple personnalité dans Feu Mathias Pascal. Il fait ressortir dans ses œuvres un conflit entre la vie, qui change avec le temps, et la forme, c'est-à-dire les conventions sociales qui nous obligent à bloquer notre image sociale selon les mœurs Feu Mathias Pascal. Selon lui, les hommes ne peuvent se comprendre, il parle d'incommunicabilité. La parole ne peut exprimer correctement la réalité et, même si elle le pouvait, les différences de points de vue entre les individus continueraient à en brouiller le sens. Dans Six Personnages En Quête d'Auteur, il met en scène l'impossibilité de représenter un drame à cause des images différentes que les uns ont des autres. Le théâtre de Luigi Pirandello est un théâtre de réflexion sur le paradoxe et l'absurdité de la vie. sources: cours de terminale sur la littérature italienne

Les nouvelles : de Verga à Kafka

On peut distinguer, avec quelque artifice, quatre catégories dans les nouvelles de Pirandello : chacune tour à tour domine ou se combine avec une autre, sans qu'il soit possible de dessiner clairement une évolution chronologique. On reconnaît d'abord l'influence du vérisme, et nommément de Giovanni Verga 1840-1922, dans de nombreux récits dont la matière est sicilienne. Mais le récit s'oriente toujours vers une autre signification, un autre registre. La Jarre La Giara transpose en ballet grotesque l'âpre soif de gain matériel des paysans de Verga, en montrant les démêlés d'un propriétaire irascible et chicaneur avec un flegmatique réparateur d'ustensiles de terre cuite. Ailleurs, ce sont d'autres scènes : exploitation des uns par les autres, enlèvements, mauvais œil, distractions violentes et joies passagères, qui se nourrissent d'une matière réaliste exploitée en une déformation consciente.
Celle-ci peut s'orienter vers le paradoxe et le funambulisme, comme dans l'histoire de Perazzetti, Mais c'était pour rire Ma non è una cosa seria, 1918, qui épouse la première venue afin de pouvoir désormais faire la cour à qui il voudra sans se trouver obligé d'épouser. Les nouvelles abstraites comme La Tragedia d'un personaggio ou le Colloque avec mes personnages Colloquii coi personaggi qui sont des mises en récit de réflexions sur la création artistique et le peu de réalité des humains.
Enfin les nouvelles de l'étrange et du surréel, comme Café de nuit Caffè notturno, où un personnage condamné par une tumeur se livre à une oiseuse et vertigineuse décomposition du réel, en racontant par exemple comment on fait un paquet ; ou La Peur du sommeil Paura del sonno, récit hallucinant d'une psychose. Un montreur de marionnettes a cru perdre sa femme : alors qu'on allait l'enterrer, elle s'est réveillée de sa léthargie ; depuis lors, le mari ne supporte plus de la voir s'assoupir. De l'étrange à l'allégorie, la distance est faible, et certaines nouvelles franchissent aisément la frontière. C'est le cas d'Une journée Una giornata, récit onirique d'une amnésie soudaine et d'une biographie reconstituée sous forme d'interrogations et de surprises, dont on trouve clairement l'écho dans plus d'une nouvelle de Dino Buzzati.
Ainsi, la constante déformation du vérisme, la mise en doute systématique du réel aboutissent-elles à des récits où dominent le paradoxe et la perplexité, mais un paradoxe et une perplexité systématiquement extraits du réel même par une logique et une cohérence qui, si elles font éclater l'inconséquence des humains, révèlent également les périls inconnus de la réflexion, moins capable de construire un monde idéal que de corroder et de décomposer l'univers réel. Les nouvelles de Pirandello offrent un grouillement de cas, individuels – psychologiques et métaphysiques – et collectifs – sociaux ou, encore, psychologiques –, dont une vingtaine seront repris et fourniront la matière directe de la moitié des œuvres théâtrales, mais on peut dire que les nouvelles ont constitué l'humus où a germé l'œuvre dramatique de Pirandello, aussi bien dans son aspect idéologique que dans son aspect technique.

Du vaudeville au nouveau théâtre

On a souvent observé que le théâtre de Pirandello, qui passe pour être si profondément révolutionnaire, est par d'autres côtés insupportablement vieillot et complaisamment démodé. Des critiques représentant des idéologies opposées l'ont tour à tour, et à peu près sur les mêmes bases, encensé et violemment attaqué. C'est que l'unité et la diversité du théâtre de Pirandello ne reposent pas sur les mêmes facteurs, comme on le verra.
En un premier temps, Pirandello adopte et adapte la comédie bourgeoise, en y introduisant des facteurs de corrosion et de désagrégation qui la transforment radicalement. Reprenant le trop fameux triangle du vaudeville, Pirandello développe diverses intrigues inattendues, ou subvertit les structures conventionnelles du théâtre d'alors. Cha Cosi è se vi pare, 1917, enquête sur une psychose un homme et sa belle-mère ne sont pas d'accord sur l'identité de l'épouse du premier, que la seconde prend pour sa fille alors que le mari prétend qu'il s'agit de sa seconde femme, est en même temps une destruction de la notion de dénouement. La Volupté de l'honneur Il Piacere dell'onestà, 1917, qui devrait être l'histoire d'un mari de complaisance, est en fait l'illustration de la panique que cause l'entrée soudaine de la rectitude et surtout de la logique dans une famille futile et corrompue de la haute société. Le Jeu des rôles Il Giuoco delle parti, 1918, Tout pour le mieux Tutto per bene, 1920 présentent des solutions héroïques à des situations ridiculement banales : là, c'est un mari qui, ayant défié un homme qui a insulté sa femme, envoie se faire tuer à sa place l'amant de celle-ci, au nom d'une répartition des rôles ; ici un veuf apprend, longtemps après la mort de sa femme, que celle-ci le trompait avec celui qui l'a aidé dans sa carrière, et que tout le monde le croyait informé et complice ; il décide alors de continuer, de détruire le mensonge par le mensonge et la comédie par la comédie. La corrosion porte donc, à cette étape de la production pirandellienne, aussi bien sur la technique (pas de dénouement, pas de crise... que sur la thématique des situations de vaudevilles résolues par le refus ou le paradoxe.
Pendant la même période, Pirandello opère une reconnaissance comparable sur le terrain du théâtre dialectal de dérivation vériste. Plusieurs pièces, en effet, ont été soit écrites, soit représentées en sicilien, de sorte que le texte italien qu'on en possède est un texte second. La parenté est évidente entre les nouvelles et le théâtre, qui d'ailleurs maintes fois s'en inspire. Il s'agit toujours d'œuvres d'une extrême vivacité, soit dans le domaine de l'action scénique La Jarre, 1917, soit dans celui du dialogue Le Brevet La Patente, 1918, histoire d'un homme qui, réputé jeteur de sorts, ne trouve plus de travail et exige un brevet pour exercer cette profession, soit enfin dans la matière même, comme dans L'Offrande au seigneur du navire Sagra del signore della nave, 1924, où la religion qui sert de prétexte et de couverture à une fête campagnarde masque mal la soudaine et violente résurgence du passé païen de la Sicile mille fois conquise et disputée. Cette matière sicilienne, rurale et dialectale, sert également de terrain à la description de conflits aigus et profonds, dont témoignent Les Vieux et les Jeunes et Cédrats de Sicile Lumie di Sicilia, 1910. Liolà enfin 1916 constitue une transposition moderne et virulente de La Mandragore ; une jeune femme est obligée de recourir aux services d'un vigoureux jeune homme, Liolà, pour donner un enfant à son vieux mari. Mais le vieillard est au courant, et Liolà, conscient de l'importance de son rôle, analyse la situation avec une étonnante lucidité. Dans une société fermée et arriérée comme celle de la Sicile, où les enfants représentent un capital un cheptel au même titre que la terre, les rapports d'état civil deviennent des rapports économiques, voire politiques : et Liolà annonce le jour où ceux qui, comme lui, travaillent la terre des autres, s'empareront de ce qui leur revient. On voit à quel point est important, dans cette production en apparence légère et pittoresque, le sentiment de frustration et de colère impuissante, parfois ignoré, du Sicilien que l'unité a seulement isolé davantage.
Entre 1920 et 1930, et tout en exploitant épisodiquement des thèmes développés dans le théâtre de la première période, selon une technique de variation et de combinaison, Pirandello produit une série de pièces qui fondent une nouvelle dramaturgie, et constituent, avec celle que l'on doit à Brecht, une des deux grandes révolutions théâtrales de la première moitié du XXe siècle. Cette révolution est l'aboutissement logique de plusieurs lignes déjà indiquées : corrosion des formes dramatiques traditionnelles, problèmes du relativisme psychologique et de l'existence par les autres, sens aigu des conflits sociaux et de la fonction des individus les uns par rapport aux autres. Dans les ouvrages majeurs de ces années, l'enquête sur l'homme va de pair avec celle sur le théâtre, parce que la vie de l'homme est un théâtre, et parce que le théâtre est le lieu de la réflexion de l'homme sur lui-même.
Sei Personaggi in cerca d'autore 1921 a marqué la naissance du grand théâtre pirandellien et, quelques années plus tard, le début de la célébrité internationale du dramaturge. Au premier niveau, un mélodrame larmoyant : une famille désunie, la rencontre honteuse d'un père et de sa belle-fille dans un mauvais lieu. Au second niveau, la tragédie de ces personnages : le père veut faire appel de cet acte dans lequel veut l'enfermer la belle-fille qui ainsi, obscurément, justifie et rachète sa conduite, la mère et le fils, chacun à sa façon, refusent d'entrer dans le jeu et ne jouent que leur refus, tandis que les deux enfants qui ne parlent pas représentent silencieusement l'instinct de mort que chacun des autres porte en lui et auquel il donne un nom illusoire. En face de ce mélodrame et de cette tragédie de l'aspiration à l'être, la parodique légèreté d'un groupe de comédiens tout occupés à se jalouser et à s'égratigner, seuls capables de répéter et de poursuivre cette histoire, mais sourds au drame intime des protagonistes, s'exprime en problèmes de décor. L'analyse de la vie intérieure et de sa transposition en théâtre est ici menée de la façon la plus complète, sans illusions, mais aussi sans solution.
Comme ci ou comme ça Ciascuno a suo modo, 1924 montre une autre interpénétration du théâtre et de la vie sur le plateau, le public reconnaît un fait divers qui a défrayé la chronique et divisé les gens ; les intéressés aussi se reconnaissent, un scandale se produit, au cours duquel les faits représentés se répètent, la femme dont il est question se trouvant au bout du compte attaquée et défendue de la même façon que dans la pièce, et que dans la réalité qui l'avait inspirée. Une fois de plus l'impasse apparaît dans le fait que, à la pièce à faire qu'était Six Personnages en quête d'auteur, fait ici pendant une pièce interrompue.
À l'inhibition, à l'inachèvement feints s'oppose, dans Ce soir on improvise Questa sera si recita a soggetto, 1930, la troisième pièce de la trilogie du théâtre dans le théâtre, selon une expression usée. Après avoir chassé leur metteur en scène, des acteurs en grève du zèle improvisent, après divers incidents, un troisième acte si intensément vécu que la comédienne qui mime la mort de l'héroïne s'évanouit. Cette parodie de mort, cette sanction pitoyable d'un effort qui n'a atteint que les apparences, est d'autant plus dérisoire que l'on apprend que le metteur en scène, qui fait une rentrée tonitruante et enthousiaste, a en fait réglé les éclairages. À jouer sur scène avec la vie on s'expose donc à s'apercevoir qu'on était en fait dirigé sans s'en rendre compte, et que de toute façon l'effet reste celui du théâtre.
Ce thème de l'universel théâtre a constamment sollicité Pirandello, que ce soit dans Se trouver Trovarsi, 1932, histoire d'une actrice que son métier a détournée d'elle-même au point qu'elle a l'impression de jouer lorsqu'elle vit, ou dans les grands drames de la folie, du mensonge, de la culpabilité, comme Enrico IV 1922, Vêtir ceux qui sont nus Vestire gli ignudi, 1922, On ne sait comment Non si sà come, 1934, ou enfin dans ces tragédies de l'amour offert et mal reçu que sont Comme avant, mieux qu'avant Come prima, meglio di prima, 1920, Ève et Line La Signora Morli, una e due, 1920, Comme tu me veux Come tu mi vuoi, 1930, où des femmes prêtes à se modeler, à se laisser créer par ceux qui les entourent, à condition que l'on reconnaisse avoir besoin d'elles, se trouvent prises au piège de l'intérêt, de l'égoïsme, des conventions, du chantage à l'affection, sortent de la scène comme les héros tragiques en sortaient pour mourir.
Déjà dans cette thématique de la femme, créature qui donne à condition qu'on lui demande, créature proche des grandes forces élémentaires, biologiques et cosmiques de la création, s'esquisse l'inspiration toute différente de la dernière production pirandellienne, celle des « mythes ». Une maladroite préfiguration en est Diana e la Tuda 1926, drame allégorique, lourdement ibsénien, qui dresse les uns contre les autres l'artiste, sa maîtresse, son modèle, la statue, l'artiste vieilli, dans un jeu de faux-semblants, d'ambitions déçues, de désirs détournés de leur objet, de jalousies, qui conduit à la mort l'innocente Tuda, tuée par le manque d'amour du sculpteur qui ne voyait en elle que l'imparfaite image de la Diane qu'il s'efforce de créer.
À partir de 1928, Pirandello écrit une série de pièces qui s'écartent résolument des thèmes et des techniques qu'il avait jusqu'alors illustrés. Les pièces qui ont reçu le nom de « mythes » sont La Nouvelle Colonie La Nuova Colonia, 1928, Lazzaro 1929, Les Géants de la montagne I Giganti della montagna, 1931, 1934, 1937. Pirandello y affronte ouvertement de grands problèmes, dont certains déjà avaient été traités plusieurs dizaines d'années auparavant dans ses romans. L'utopie sociale de La Nouvelle Colonie, où un ramassis de mendiants, voyous et autres pauvres hères décident de fonder sur une île une société sans attaches, sombre au milieu des intrigues des politiciens et des commerçants, tandis que l'île elle-même s'abîme au sein des flots, et que ne reste plus qu'une prostituée, et son enfant, enfin en contact direct avec les grandes forces telluriques, après la destruction des constructions artificielles des hommes. C'est à une solution analogue qu'aboutit Lazare, dont le sujet est apparemment le problème de la définition scientifique et métaphysique de l'état de mort : problème religieux, mais aussi d'engagement vital, que résolvent différemment un homme et sa femme, lui se confiant tout entier au dogme, elle tout entière aux œuvres, allant jusqu'à quitter son mari pour vivre avec un paysan et travailler de la même pâte ses enfants et ses champs.
Les Géants de la montagne, pièce inachevée, porte à l'extrême la désagrégation de l'édifice logique et technique du théâtre pirandellien. Dans le temps de la composition de cette pièce, Pirandello avait produit La Fable du fils échangé 1934, inspirée d'une légende sicilienne, où l'on assiste à la classique substitution d'un prince : mais ici, contrairement à la tradition, c'est le prince qui est un monstre à demi idiot, et qui repartira vers le Nord. Le lyrisme croissant de ces dernières œuvres envahit Les Géants de la montagne, où s'opposent l'entêtement de l'actrice Ilse à interpréter les écrits d'un jeune auteur mort d'amour pour elle, l'incompréhension des géants qui finissent par la tuer, et, face à ces deux passions, le théâtre intérieur, silencieux et béat, des doux illuminés de Cotrone, le magicien, théoricien de l'art idéal et non communicable. L'œuvre de Pirandello s'achève ainsi dans l'ambiguïté, thématique et formelle, dans une évasion vers la gratuité de l'art, dans un retour à une forme de symbolisme théâtral qu'on peut rapprocher de celui de Maeterlinck, tandis que, sur un autre plan, divers recours techniques attestent de l'influence du cinéma sur le dramaturge.

Le pirandellisme : un faux problème ?

Le terme de pirandellisme éveille une constellation d'idées plutôt vagues, que l'on peut résumer en quelques mots : humour, logique déréglée, manie gratuite de raisonner, thèmes particuliers, dont les principaux sont : la comédie sociale, le théâtre, la force de l'inconscient et la folie, l'absurde. Cette accumulation mêle ce qui est justifié et ce qui ne l'est pas. C'est Pirandello lui-même qui a fait la théorie de ce qu'il a appelé l'humorisme, défini comme le sentiment du contraire, comme la reconnaissance, à la fois comique et douloureuse, de ce qui devrait être là où l'on rencontre, justement, le contraire une vieille femme outrageusement fardée alors qu'elle devrait être dignement effacée, par exemple : l'humorisme n'est pas dans l'objet, mais dans le sujet. De là naît l'importance des personnages de raisonneurs, commentateurs, meneurs de jeu, metteurs en scène au sens propre et au sens figuré, qui sont la conscience de l'œuvre, comme celle de l'auteur au travail dans le micro-univers qu'il est en train de créer. La passion du raisonnement n'est que le revers de la folie qui guette la conscience si elle se penche sur elle-même et découvre qu'elle n'est que le centre creux où se croisent les projets des autres.
Au cours des années vingt, un critique de formation philosophique, Adriano Tilgher, interpréta les œuvres de Pirandello comme l'illustration du conflit entre la Vie, fluide et spontanée, et la Forme, rigide, conventionnelle, statique. Le dramaturge, inconsciemment flatté de ce passeport philosophique, donna raison au critique dans des pièces médiocres comme Diane et Tuda, qui d'ailleurs furent vertement attaquées par le même critique. En fait, Pirandello n'est pas un philosophe, et quarante pièces de théâtre ne forment pas un système. Le pirandellisme est constitué de tous les défauts que les critiques les plus opposés lui ont assignés, et des qualités corrélatives. Ainsi, le raisonnement à vide dont on vient de voir la fonction lui a été reproché par Antonio Gramsci, qui, d'accord avec les autres critiques marxistes, loue dans Liolà, en des termes curieusement idéalistes, la peinture de l'homme d'avant la chute ! Ces mêmes critiques n'ont point relevé les discours fort marxistes » de Liolà. Naturellement, les catholiques reprochèrent à Pirandello son agnosticisme, l'immoralité des situations et surtout des solutions. Chacun trouva, et trouve toujours en Pirandello matière à attaque ou à louanges, et c'est cela qui constitue le pirandellisme.
En fait, dans le théâtre de Pirandello car le reste de son œuvre, infiniment moins connu, ne sollicite et ne passionne guère, à l'exception sans doute de Feu Mathias Pascal, et, dans ce dernier cas, strictement en fonction du théâtre, cohabite la tradition la plus éculée et la plus rassurante celle du vaudeville, et celle d'une certaine image de l'Italie avec des ferments de subversion et de désagrégation qui ne sont pas limités au théâtre. La technique théâtrale de Pirandello a une valeur et une signification idéologiques précises : la corrosion de la société est représentée par la désagrégation analytique des formes d'art qui la mimaient. La grande comédie de l'homme, celle de Molière, devenue comédie sociale avec Goldoni, dégradée en comédie de mœurs avec les auteurs de boulevard, s'est ainsi transformée en un instrument idéal pour la représentation de la crise d'une société. Sans peut-être tout à fait mesurer la portée de cet acte, Pirandello a lancé dans l'univers frelaté et futile de la comédie des personnages de tragédie, ridicules, grandiloquents, excessifs, des Alceste que nul Philinte ne raisonne, mais qu'en revanche de rusés et cauteleux tartufes sont constamment prêts à circonvenir. Il y a, chez Pirandello, du Corneille, dans le contraste tantôt grinçant et tantôt truculent entre une médiocrité triomphante et un sublime pathétique, ridicule, accepté en façade par tous, exploité et enfin exclu quand le monde des apparences et des conventions peut retrouver sa surface lisse, un moment égratignée par les cris et les raisonnements des gêneurs.
On voit pourquoi Pirandello séduit et irrite : la critique en lui séduit, superficiellement en tant qu'attaque contre les malformations de la société, et plus profondément comme signe d'une conscience de crise au moins confuse de cette dernière. Mais le décor traditionnel, les oripeaux passés dans lesquels il enveloppe ses héros agacent par leur air désuet, et irritent comme la marque du caractère finalement timoré et étroit de son attaque, qui porte sur des détails, non sur un système entier sauf dans les dernières œuvres, significativement décriées par une critique assez embarrassée. On a dit que Pirandello, comme écrivain, n'a pas d'histoire : et de fait, on serait en peine d'indiquer une voie principale de son développement idéologique ou technique, hors celle, fort approximative, qui a servi ici de canevas. Et si ces personnages sont à l'image des Siciliens, à la fois taciturnes et gesticulants, tout en façade, mais fous de métaphysique et d'honneur masculin, l'ensemble de son théâtre est à l'image de la Sicile dont l'histoire n'est que celle des conquêtes qu'elle a subies ; ici, les conquêtes sont les lectures, l'exploitation, le pillage, qui font rendre à ce théâtre ce qu'il n'était peut-être pas fait pour donner. La valeur historique du théâtre de Pirandello est d'avoir servi de terrain de réflexion et de sujet d'imitation à plus de cinquante ans de théâtre mondial, et d'avoir ainsi rendu témoignage des crises et des conquêtes dramaturgiques de toute une époque : son sens n'est pas en lui, mais dans ce qu'il s'est fait en fonction, positive ou négative, de lui. Gérard Genot

Œuvres

Poésies
Mal joyeux 1889
Les Pâques de Gea 1891
Élégies rhénanes 1895
Traduction des élégies romaines de Goethe 1896
Cornemuse 1911
Scamandre 1919
Hors clefs 1922

Essais

Laute und lautentwickelung der mundart van Girgenti thèse 1891
Art et science 1908
L'humour 1908

Nouvelles

Nouvelles pour une année 15 volumes entre 1894 et 1936 : 431 nouvelles

Romans

L'exclue 1901
Chacun son tour 1902
Feu Mathias Pascal 1904
Les Vieux et les jeunes 1913
Giustino Roncella né Boggiolo 1911
On tourne 1915
Les cahiers de Séraphin Gubbio, opérateur 1925
Un, personne, cent mille 1926

Théâtre

L'Étau 1898
Le Devoir du médecin 1912
Lumie di Sicilia Cédrats de Sicile 1912
Cécé 1913
La Jarre 1915
Le Bal 1916
À la sortie 1916
Liola 1917
Méfie-toi, Giacomino 1917
Le Bonnet du fou 1918
La Patente 1918
Chacun sa vérité 1916
La Volupté de l'honneur 1918
L'Homme, la bête et la vertu 1919
Le Jeu des rôles 1918
La Greffe 1919
C'était pour rire 1918
Tout pour le mieux 1919
Six personnages en quête d'auteur 1921
Henri IV 1922
Vêtir ceux qui sont nus 1922
La Vie que je t'ai donnée 1923
La Fleur aux lèvres 1923
Chacun à sa façon 1924
La Nuova Colonia 1926
Lazare 1928
Comme tu me veux 1929
Ce soir on improvise 1930
Se trouver 1932
On ne sait comment 1935
Les géants de la montagne 1936, inachevé

Adaptations

Le roman 'Feu Mathias Pascal' est adapté au cinéma à trois reprises :
en 1926 en France par Marcel L'Herbier. Mathias Pascal est interprété par Ivan Mosjoukine.
en 1937 par Pierre Chenal dans une version française portant le titre L'Homme de nulle part et une version italienne tournée parallèlement. Les deux films mettent en vedette Pierre Blanchar et Isa Miranda.
en 1985 en Italie par Mario Monicelli. Marcello Mastroianni tient le rôle principal de ce film présenté au Festival de Cannes en 1985.
Parmi les autres adaptations :
En 1930, la nouvelle 'In Silencio' est adaptée au cinéma par Gennaro Righelli sous le titre La canzone dell'amore dans ce qui est le premier film parlant italien.
En 1932, la pièce Comme tu me veux As You Desire Me est adaptée par George Fitzmaurice. Le film, qui met en vedette Greta Garbo, devait initialement être réalisé par Jacques Feyder.
En 1984, les frères Taviani réalisent le film Kaos contes siciliens , inspiré de cinq nouvelles de Luigi Pirandello. Les deux frères récidivent en 1998 avec Kaos II Tu ridi, adaptant cette fois deux nouvelles de l'auteur.

Citations

Il est l'auteur de la célèbre citation : "A chacun sa vérité".
"Il est plus facile d'être héros qu'un honnête homme. Héros nous pouvons l'être une fois par hasard ; honnête homme il faut l'être toujours."



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l






Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l






Posté le : 27/06/2015 22:19

Edité par Loriane sur 29-06-2015 16:32:57
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Robert Sabatier
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57675
Hors Ligne
Le 28 juin 2012, à 88 ans meurt Robert Sabatier

à Boulogne-Billancour né le 17 août 1923 à Paris, écrivain et poète français. Écrivain français Paris 1923-Boulogne-Billancourt 2012. Membre de l'académie Goncourt, il reçoit aussi le prix Artaud et le Grand prix de poésie de l'Académie française
Ses Œuvres principales sont Les Allumettes suédoises en 1969, Trois sucettes à la menthe en 1972, Les Noisettes sauvages en 1974, Les Fillettes chantantes en 1980.

En bref

Orphelin de bonne heure, ouvrier typographe, il participe à la Résistance, imprime lui-même ses premiers vers et fonde à Roanne une revue, la Cassette. Il restera toujours fidèle à l'inspiration poétique les Fêtes solaires, 1951 ; Dédicace d'un navire, 1959 ; les Poissons délectables, 1965 ; les Châteaux de millions d'années, 1969 ; l'Oiseau de demain, 1981 et publiera même une Histoire de la poésie française 1975-1988. Romancier Alain et le Nègre, 1953 ; Boulevard, 1956 ; Canard au sang, 1958 ; la Sainte Farce, 1960 ; le Chinois d'Afrique, 1966, il pourchasse avec ténacité les rêves et les souvenirs de son enfance, à travers les aventures d'Olivier, le héros des Allumettes suédoises 1969 : Trois Sucettes à la menthe 1972, les Noisettes sauvages 1974, les Fillettes chantantes 1980, David et Olivier 1986. Cette recherche anime également le conte merveilleux des Enfants de l'été 1978 et le voyage symbolique évoqué dans les Années secrètes de la vie d'un homme 1984. Il publie en 1997 le Lit des merveilles, roman situé dans le Quartier latin des années 1950.

Sa vie

Issu de parents et grands-parents auvergnats, originaires de Saugues en Margeride, mais élevé à Montmartre, puis dans le quartier du Canal Saint-Martin, Robert Sabatier raconte son enfance dans les séries du "roman d'Olivier", dont les Allumettes suédoises, porté à l'écran par Jacques Ertaud en 1996, Trois sucettes à la menthe, les Noisettes sauvages . Avec plus de trois millions d'exemplaires vendus, en y intégrant les épisodes les plus récents comme Olivier 1940 et les Trompettes Guerrières, l'auteur rencontre un important succès de librairie.
Les années secrètes de la vie d'un homme, traduit en allemand et en suédois sous le titre d'Ego, mais aussi Diogène et le Traité de la Déraison Souriante révèlent un auteur plus grave, proche davantage de Cioran que de Mac Orlan.
En 1950, Robert Sabatier travaille aux Presses universitaires de France. Il devient par après directeur littéraire des éditions Albin Michel, jusqu'à son élection à l'Académie Goncourt en 1971, ainsi qu'à l'Académie Mallarmé.
Il est l'auteur d'une Histoire de la poésie française en 9 volumes.
À partir de 1956, il fait paraître quelques romans policiers sous le pseudonyme de Robert Vellerut.
Vers 1978, il réalise un enregistrement en 33 tours où il récapitule déjà sa carrière d'auteur. Il fut l'un des sociétaires de l'émission de radio Les Grosses Têtes sur RTL.
L'écrivain Robert Sabatier est né à Paris le 17 août 1923. Les innombrables lecteurs de son roman d'Olivier successivement Les Allumettes suédoises, 1969 ; Trois Sucettes à la menthe, 1972 ; Les Noisettes sauvages, 1974 ; Les Fillettes chantantes, 1980 ; La Souris verte, 1990 ; Olivier et ses amis, 1993 ; Olivier 1940, 2003 ; Les Trompettes guerrières, 2007 ont d'emblée reconnu en lui un écrivain populaire, au sens le plus généreux du terme. Dans ce cycle, l'auteur ne déserte jamais un réalisme solide fondé sur les souvenirs vécus. L'émotion directe y affleure sans insistance. Elle est provoquée par les difficultés d'un enfant qui découvre le monde, après la mort de ses parents.
C'est ainsi que le héros du Cygne noir 1995 s'affronte à l'image du père inconnu. Pour cocasses qu'ils apparaissent souvent, les personnages de Robert Sabatier fleurent l'authenticité, d'autant plus que l'auteur se veut la mémoire exacte d'une époque révolue : les années 1930, à Montmartre, par exemple, avec son drôle de monde qu'il s'efforce de recréer jusqu'à recourir à de fréquents inventaires les films du moment, les acteurs oubliés, les publicités d'alors, les modes langagières, etc.
Alain Bosquet pourra parler avec justesse d'un néo-naturalisme romantique, appréciation que contredit, à l'occasion, tel ou tel autre roman naviguant dans le genre picaresque La Sainte Farce, 1960 ou le conte fantaisiste et merveilleux Les Enfants de l'été, 1978 ; Le Lit de la merveille, 1997.
À côté de son œuvre romanesque, Robert Sabatier n'a cessé de s'intéresser passionnément à la poésie, avec une belle fécondité d'historien et de poète. Son Histoire de la poésie française neuf volumes parus de 1975 à 1988 est devenue un monument très important de l'histoire littéraire française. Robert Sabatier y fait montre d'une largeur de vues peu commune, d'une grande hardiesse à sortir de l'ombre les poètes méconnus de toutes époques, d'une absence de dogmatisme, enfin, qui lui permet de rendre compte tout aussi sereinement des traditions qui se perpétuent et des ruptures éclatantes. Le poème, seul prince, dit l'historien qui confère explicitement au genre poétique une fonction libératrice.
L'œuvre poétique de Robert Sabatier compte de nombreux recueils, parmi lesquels Les Fêtes solaires 1955, Les Poisons délectables 1965, Icare et autres poèmes 1976, L'Oiseau de demain 1981, Écriture 1993, Les Masques et le miroir 1998. Très sensible à l'éclatement de la parole, caractéristique de la poésie du XXe siècle, Robert Sabatier fait volontiers profession de chercher à opérer un rassemblement, une réédification, une reconstruction de la parole.
Il se veut un poète influencé par tous les autres, qu'il connaît si bien, et non par la toute dernière avant-garde que, pour autant, il n'ignore pas. Sa poésie est, le plus souvent, régulièrement rythmée, parfois rimée. Dans ce mode traditionnel, elle se fait l'écho des angoisses que peut à bon droit susciter notre époque. Robert Sabatier fut membre de l'académie Goncourt de 1971 jusqu'à sa mort, survenue le 28 juin 2012. Jacques Jouet

Robert Sabatier meurt le 28 juin 2012 à l'hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt. Il est inhumé le 2 juillet 2012 à Paris, au cimetière du Montparnasse 18e division.

Œuvres

Robert Sabatier a écrit des romans, des essais, des recueils d'aphorismes et de poésies.

Romans Série Le roman d'Olivier

Les Allumettes suédoises, Éditions Albin Michel, Paris1969
Trois sucettes à la menthe, Éditions Albin Michel, Paris 1972
Les Noisettes sauvages, Édition Albin Michel 1974
Les Fillettes chantantes 1980
David et Olivier 1986
Olivier et ses amis 1993
Olivier 1940 2003
Les Trompettes guerrières 2007

Autres romans

Alain et le Nègre Éditions Albin Michel, 1953
Le Marchand de sable 1954
Le Goût de la cendre 1955
Boulevard 1956
Canard au sang 1958
La Sainte Farce 1960
La Mort du figuier 1963 Prix Richelieu
Dessin sur un trottoir 1964
Le Chinois d'Afrique 1966
Les Enfants de l'été 1978
Les Années secrètes de la vie d'un homme 1984
La Souris verte 1990
Le Cygne noir 1995
Le Lit de la Merveille 1997
Le Sourire aux lèvres 2000
Le Cordonnier de la rue triste 2009

Poésie

Les Fêtes solaires Prix Artaud 1952
Dédicace d'un navire 1984
Les Poisons délectables
Les Châteaux de millions d'années
Icare et autres poèmes
L'Oiseau de demain
Lecture
Ecriture
Les Masques et le Miroir
Les Feuilles volantes
Sahel
Lumiére vivante
L'Enfant sauvage

Histoire littéraire

Histoire de la poésie française 9 volumes

Romans policiers sous le pseudonyme de Robert Vellerut

Pourquoi tuer un chien ?, Le Masque no 557, 1956
Le Portrait dans la vitrine, Le Masque no 656, 1956
Piste en zigzag, Le Masque no 915, 1966

Bibliographie

Jean-Pierre Leclerc, L'Auvergne des douze : Blaise Pascal, Chamfort, Jules Vallès, Pierre Teilhard de Chardin, Valery Larbaud, Jules Romains, Henri Pourrat, Georges Bataille, Alexandre Vialatte, Jean Anglade, Robert Sabatier, Georges Conchon., 297 p., Trois Arches, Chatou, 1993

Cinéma

Alain et le nègre a été adapté au cinéma par Maurice Delbez en 1964 sous le titre : Un gosse de la butte Rue des Cascades


Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l









Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Posté le : 27/06/2015 20:38
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Françoise Sagan
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57675
Hors Ligne
Le 21 juin 1935 à Cajarc Lot naît Françoise Sagan

de son vrai nom Françoise Quoirez, écrivain, dramaturge française née le 21 juin 1935 à Cajarc Lot et morte le 24 septembre 2004 à l'hôpital de Honfleur d'une embolie pulmonaire. Elle reçoit pour distinctions, les prix des Critiques pour Bonjour tristesse, prix du Brigadier pour Château en Suède, prix Prince-de-Monaco pour l'ensemble de son oeuvre 1985. Elle appartient au mouvement nouvelle vague, dans ses oeuvres, romans théâtre et essais les principales sont Bonjour tristesse en 1954, Aimez-vous Brahms... en 1959, Château en Suède en 1960, La Chamade en 1965, Des bleus à l'âme en 1972, Avec mon meilleur souvenir en 1984. Elle a contribué à la coécriture de scénarios et de dialogues de films. Alors que sa vie privée défraie la chronique mondaine et judiciaire qui dépeignent un charmant petit monstre à la tête du monde saganesque, elle est surtout connue pour sa petite musique mélancolique au ton nonchalant dans ses œuvres aux thèmes romantiques mettant en scène la bourgeoisie riche et désabusée, comme dans son premier roman, le plus célèbre, Bonjour tristesse 1954.

En bref

À un journaliste qui lui demandait en 1961 : Comment vous situez-vous dans la littérature actuelle ?, Françoise Sagan répondit : L'écrivain le plus lu. Boutade peut-être et constat lucide aussi de celle qui, en 1954, connut avec son premier roman une célébrité immédiate et mondiale. Avec plus de trente millions de livres vendus en France et une œuvre traduite dans une quinzaine de pays, l'auteur de Bonjour tristesse est un des écrivains les plus populaires de la seconde moitié du XXe siècle. Pourtant, son œuvre a été continuellement regardée avec suspicion par la critique.
Françoise Quoirez naît le 21 juin 1935 à Cajarc dans le Lot. Ses parents, Pierre Quoirez, fils d'industriels du nord de la France, ingénieur en électricité et Marie Quoirez, née Laubard, ont eu précédemment deux autres enfants : une fille, Suzanne, née en 1922 et un fils, Jacques, né en 1925. La famille vit à Paris, au 167 boulevard Malesherbes, dans le XVIIe arrondissement. La jeune Françoise reçoit une éducation bourgeoise entre des parents aimants et son frère et sa sœur dont elle restera toute sa vie très proche. Sa scolarité est médiocre. Aux mornes leçons de ses professeurs, elle préfère très tôt la lecture. Ses premières amours ont pour nom Stendhal, Proust, Faulkner, Scott Fitzgerald, les grands écrivains russes et les existentialistes. En 1950, elle est renvoyée du très catholique cours Louise-de-Bettignies, mais ne dit rien à ses parents. Pendant plusieurs mois, elle découvre Paris. Après un rappel à l'ordre et un bref séjour au couvent des Oiseaux, elle obtient non sans difficultés son baccalauréat et s'inscrit en propédeutique à la Sorbonne. Qu'importe si, en 1953, elle rate son examen. Elle a d'autres projets.
La romancière française Françoise Sagan, de son vrai nom Françoise Quoirez. Elle écrivit son premier roman Bonjour tristesse à dix-huit ans.
Cet été-là, en effet, Françoise Sagan s'enferme dans l'appartement du boulevard Malesherbes. En six semaines, elle écrit son premier roman, qu'elle intitule, en souvenir d'un poème de Paul Eluard, Bonjour tristesse. Au mois de janvier 1954, elle porte son manuscrit chez René Julliard. Quelques jours après l'avoir lu, l'éditeur signe un contrat avec la jeune femme, qui a choisi son nom de plume, Sagan, emprunté à Proust. Le succès est immédiat. Le premier tirage de 5 000 exemplaires est épuisé en quelques jours, suivi des réimpressions à 3 000, 25 000 et 50 000 exemplaires avant les vacances d'été. En un an, il se vendra près d'un million d'exemplaires : un best-seller. Le prix de la Critique, attribué le 24 mai, déchaîne les journalistes. François Mauriac, qui à la une du Figaro a qualifié l'auteur de charmant petit monstre de dix-huit ans, défend l'œuvre : Le talent éclate à la première page. Ce livre a toute l'aisance, toute l'audace de la jeunesse sans en avoir la moindre vulgarité. De toute évidence, mademoiselle Sagan n'est en rien responsable du vacarme qu'elle déclenche. ... On peut dire qu'un nouvel auteur nous est né.
Bonjour tristesse vient de paraître. La machine à écrire, pièce indispensable du rêve américain, et le mobilier bourgeois, le détachement théâtralisé à l'extrême, aussi bien dans le regard que dans la posture: tous les éléments sont ici réunis pour la création d'un personnage d'écrivain aux antipodes de ceux – Malraux, Sartre, Simone de Beauvoir – qui étaient alors familiers.
Cécile, l'héroïne du roman, a dix-huit ans. Elle passe l'été dans le Midi avec son père. Au sortir du couvent, elle découvre l'insouciance, la liberté et la sensualité. La rencontre entre son père et une femme plus âgée, Anne, dont il tombe amoureux, fait sombrer l'histoire dans la tragédie. Cécile pousse Anne au désespoir et la conduit au suicide. Le scandale est énorme. Cependant, il n'a pas pour origine la conduite meurtrière de l'héroïne mais sa liberté sexuelle : on ne tolérait pas qu'une jeune fille de dix-huit ans fît l'amour sans être amoureuse avec un garçon de son âge et ne fût pas punie. L'inacceptable étant qu'elle ne fût pas éperdument amoureuse et qu'elle ne tombe pas enceinte à la fin de l'été, Derrière l'épaule, 1998. Bien que les femmes aient obtenu dix ans plus tôt le droit de vote et malgré la publication en 1949 du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, que Françoise Sagan avait lu, le plaisir de la femme et son droit à une sexualité libre sont encore largement niés par la société. À dix-neuf ans, Françoise Sagan est riche et mondialement célèbre. Son roman est porté à l'écran par Otto Preminger en 1957. Le succès la libéra du souci de la gloire et de la réussite, comme elle le dira plus tard, mais il la condamna en même temps. En effet, la proximité entre l'âge de l'héroïne et celui de son auteur conduisirent les journalistes à prêter à la seconde les excès de la première. La légende Sagan était née.

Sa vie

Fille de Pierre et Marie Quoirez, mariés le 3 avril 1923, Françoise Quoirez naît dans une famille d'industriels aisés, le 21 juin 1935. Elle est la troisième enfant : sa sœur Suzanne est née le 6 janvier 1924, Jacques le 20 août 1927 ; un autre frère, Maurice, meurt en bas âge. Sa naissance apparaissant comme un cadeau du ciel après la perte de cet enfant, ses parents lui passent tous ses caprices : Elle était une enfant pourrie-gâtée. Toute sa vie, elle a joui d'une totale impunité, dira sa grande sœur à une biographe, Marie-Dominique Lelièvre. Adulte, gâtée par le succès, elle restera un Petit Poucet androgyne, qui sème des trous de cigarettes partout sur son passage, écrit Tristan Savin.
Son enfance se déroule dans le Lot, à Lyon et dans le Dauphiné où son père dirige une usine pendant la guerre. Quelques souvenirs d'école lui reviendront en mémoire :
… On faisait les prières avant les cours. Ça on n’y coupait pas. Et puis, après on gambadait. … J’écoutais quand ça m’amusait. Vous savez, il y a de très bons professeurs qui font de très bons cours sur les mathématiques, il y a de très mauvais professeurs qui font de très mauvais cours sur la philosophie. … J'étais assez infernale. Finalement j'ai été mise à la porte. J'avais pendu un buste de Molière par le cou avec une ficelle à une porte parce que nous avions eu un cours particulièrement ennuyeux sur lui. Et puis, en jouant au ballon, j'ai flanqué une gifle à quelqu'un, je ne sais plus.
En 1931, la famille engage une gouvernante, Julia Lafon, qui deviendra au fil des années un pilier de la famille. C'est à partir de cette époque que Françoise est surnommée Kiki.
Ses amis proches qu'elle gardera toute sa vie, Bernard Frank et Florence Malraux, ont le même âge qu'elle, les mêmes origines bourgeoises et le même amour des livres à cette différence près qu'ils sont juifs, explique Tristan Savin qui ajoute : La lucidité, face aux horreurs du monde, aux mensonges des adultes, les rapproche tous les trois. J'avais tout compris à douze ans, déclarera Bernard Frank. Françoise aussi. Avant de lâcher, dans un sourire complice : Elle était menteuse. Françoise Sagan restera marquée toute sa vie par un film d'actualité sur les camps de la mort qu'elle voit en 1945 quand elle a dix ans. Dès lors, comment composer avec une famille qu'elle perçoit comme banalement antisémite ?
Sa scolarité est mouvementée, elle change souvent de cours privés Couvent des oiseaux, cours Hattemer à Paris. Cependant, elle lit énormément : Cocteau, Rimbaud, Proust, Stendhal, Flaubert, Faulkner, Hemingway, Camus, Fitzgerald, un peu Malraux et puis Sartre avec qui elle deviendra amie plus tard elle déjeunera régulièrement avec lui à la Closerie des Lilas. En 1951, après un échec au baccalauréat et un été de bachotage, elle réussit son examen ; sans qu’elle le sache, le sujet de l’épreuve de français : En quoi la tragédie ressemble-t-elle à la vie ? inspirera toute son existence. Elle s'inscrit ensuite à la Sorbonne. Parallèlement, Jacques, son frère aîné, l'entraîne dans les boîtes de nuit et les clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés. Elle y côtoie la jeunesse parisienne bourgeoise, la fête et l'alcool. En 1953, elle échoue à son examen de propédeutique.

Le charmant petit monstre et le succès

Durant l'été 1953, elle écrit Bonjour tristesse, son premier roman dont elle emprunte le titre à un vers d'Éluard : Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.... Encouragée par son amie Florence Malraux, elle envoie le manuscrit à plusieurs maisons d'édition. François Nourissier, alors lecteur chez Denoël, tarde à le lire, ce qui fait le bonheur de François Le Grix, lecteur chez Julliard où le roman est édité. Son père ne voulant pas que son nom apparaisse, Françoise Quoirez devient Françoise Sagan en référence à un personnage de Proust, Hélie de Talleyrand Périgord, prince de Sagan. On retrouve également, toujours chez Proust, cette phrase : Il est vrai que ces grands hommes voyaient chez les Guermantes la princesse de Parme, la princesse de Sagan, que Françoise entendant toujours parler d'elle, finit par appeler, croyant ce féminin exigé par la grammaire, la Sagante.Elle a 19 ans et son court roman, qui sort en librairie le 15 mars 1954, obtient le prix des Critiques décerné par un jury prestigieux Jean Paulhan, Maurice Nadeau, Georges Bataille, Marcel Arland et Roger Caillois, et connaît un succès de librairie immédiat un an après sa publication, 850 000 exemplaires ont été vendus.
François Mauriac écrit à la une du Figaro : … ce prix des Critiques décerné … à un charmant petit monstre de dix-huit ans dont le mérite littéraire éclate dès la première page et n'est pas discutable. Dans la France de René Coty, le roman fait un scandale : Toute une classe établie fut effarouchée au point de faire de ce premier roman un phénomène, qui poussa un François Mauriac à prendre à partie le ciel, Le diable n'était-il pas envoyé sur terre en voiture de sport ? tandis que ses pairs concluaient à la décadence pendant que la légende prenait son essor. Interrogée quelques années plus tard sur ce sujet, elle répond : En fait, j'ai été très surprise du scandale que ce livre a suscité. Pour les trois quarts des gens, le scandale de ce roman, c'était qu'une jeune femme puisse coucher avec un homme sans se retrouver enceinte, sans devoir se marier. Pour moi, le scandale dans cette histoire, c'était qu'un personnage puisse amener par inconscience, par égoïsme, quelqu'un à se tuer.
La même année 1954, Hélène Gordon-Lazareff, la directrice du magazine Elle, lui commande une série d'articles sur l'Italie. On ne sait si elle en profite pour voir Les Vitelloni, le film de Federico Fellini qui décrit la jeunesse dorée de Rimini, mais elle joue au reporter du sud au nord de la péninsule. L'hebdomadaire titre ses reportages Bonjour Naples, Bonjour Capri, Bonjour Venise... Dans ces petits textes légers, où chaque ville visitée est comparée à une femme, ce Bonjour devient sa griffe. Elle se lie d'amitié avec de grands noms : Julien Green, Michel Déon, Pierre Lazareff, Florence Malraux... En 1955, elle part pour New York faire la promotion de son livre. Elle rencontre alors l'éditeur Guy Schoeller qui deviendra quelques années plus tard son mari. Elle devient l'amie intime de l'écrivain Bernard Frank et du danseur Jacques Chazot.
Son deuxième roman Un certain sourire, dédié à Florence Malraux, paraît en 1956. C'est à nouveau un succès. Happée par le succès et l'argent, Sagan se laisse prendre dans les rets du jeu, notamment à Monte-Carlo. Elle gagne beaucoup d'argent en 1955, Julliard lui assurait qu'elle avait 500 millions d'anciens francs. Elle suit le conseil de son père : À ton âge, c'est dangereux. Dépense-les !. Ce seront les casinos, son gain de 80 000 francs une nuit du 8 août 1958 à Deauville lui permet d'acheter le manoir du Breuil à Équemauville près de Honfleur, les boîtes de nuit, à Saint-Tropez, Chez Castel, chez Régine, les voitures de sport, Jaguar XK et Type E, Aston Martin DB, Ferrari 330 california, AX Sport, qu'elle conduit à vive allure dans Paris la nuit avec son frère Jacques Quoirez, son complice, ce que la presse appellera le monde saganesque... Le public la confond avec ses personnages et elle devient rapidement, malgré elle, le symbole d'une génération aisée, insouciante et désinvolte, sexuellement libérée, un James Dean au féminin. Éternelle adolescente, elle incarne un mode de vie et même une mode pour les jeunes gens avec ses jeans, ses tee-shirts à rayures, type marinière, ses espadrilles sans chaussettes. Françoise Sagan a tout, dans ces années de prospérité de l'immédiat après-guerre, du phénomène de société.

La "légende Sagan "

Les succès s'enchaînent. Ses romans Un certain sourire 1956, Dans un mois, dans un an 1957, Aimez-vous Brahms... 1959, La Chamade 1965 se vendent très bien, malgré des critiques presque toujours défavorables, et font sa fortune. En 1960, la pièce de théâtre Château en Suède connaît un énorme succès. Françoise Sagan fait la une des médias qui popularisent son apparence décontractée, son éternelle cigarette, sa mèche blonde et son débit de paroles de plus en plus rapide. Une vraie panoplie pour starlette de la littérature, comme se plairont à le rappeler les critiques. Elle dépense beaucoup et sans compter. Il y a les fêtes, les amis, à commencer par Florence Malraux et Bernard Frank, l'alcool, les paradis artificiels qu'elle a découverts après son accident de voiture en 1957, le jeu, les courses, les voitures de sport et une extraordinaire générosité. En 1972, elle quitte Julliard pour Flammarion, chez qui elle publie ses romans Des bleus à l'âme 1972, Un profil perdu 1974, Le Lit défait 1977, Le Chien couchant 1980, deux recueils de nouvelles, Des yeux de soie 1975 et Musiques de scène 1981, et deux pièces de théâtre, Un piano dans l'herbe 1970 et Il fait beau jour et nuit 1978. Ses livres se vendent encore très bien, mais on est loin du million d'exemplaires de Bonjour tristesse et les dettes s'accumulent dangereusement. Les années 1980 et 1990 sont marquées par de multiples affaires qui l'affaiblissent aussi bien moralement que financièrement : accusation de plagiat, mise en examen pour usage de drogue et mise en cause dans l'affaire Elf. L'admiration et l'amitié que lui porte François Mitterrand, élu président de la République en 1981, lui sont un réconfort précieux. Mais Françoise Sagan court après l'argent. Elle écrit beaucoup, accepte toutes les sollicitations au risque de ne pas respecter certains contrats. Ses derniers romans Un orage immobile 1983, Un sang d'aquarelle, 1987, La Laisse 1989, Les Faux-fuyants, 1991, Un chagrin de passage 1994 et Le Miroir égaré 1996 ainsi que ses textes de souvenirs Avec mon meilleur souvenir, 1984, ... et toute ma sympathie 1993 et Derrière l'épaule 1998 n'ont pas le succès escompté. Ses droits d'auteur sont entièrement engloutis par le remboursement de ses dettes et elle doit sa survie à la générosité de quelques amis fidèles. Elle qui avait revendiqué l'insouciance et la liberté achève sa vie dans une prison dorée. Après la disparition, en 1989, de son frère et de sa mère, puis, en 1991, de Peggy Roche, qui lui assurait protection et stabilité depuis quinze ans, la solitude que Sagan avait fui toute sa vie est désormais son lot. Les excès passés et la consommation de drogue l'ont physiquement affaiblie. Ses ennuis de santé se multiplient. Réfugiée dans le manoir d'Equemauville en Normandie, Françoise Sagan s'éteint le 5 septembre 2004. Elle est inhumée dans sa ville natale en présence des autorités, de ses amis fidèles et de très nombreux admirateurs. Son fils, Denis Westhoff, né de son second mariage, a, malgré les dettes, accepté la succession et décidé de se battre pour assurer la postérité de l'œuvre.

"Je suis un accident qui dure"

En cinquante ans de carrière, Françoise Sagan a publié une trentaine d'ouvrages, des romans essentiellement, des pièces de théâtre et des textes de souvenirs, sans compter des scénarios et des dialogues pour le cinéma. Dès ses premières œuvres, le lecteur découvre ce qui deviendra rapidement sa marque : des textes, le plus souvent brefs, qui mettent en scène un trio ou un quatuor amoureux appartenant à la bourgeoisie dorée et oisive. La critique a souvent stigmatisé ce milieu saganesque et l'artificialité des personnages et des sentiments, sans toutefois noter la profonde humanité de l'œuvre et la crainte de la solitude qui, comme une fêlure, court à travers toute l'œuvre. Celle-ci s'est construite à l'écart des chapelles et des avant-gardes littéraires. Je ne crois pas aux techniques, ni aux histoires de renouvellement du roman, affirmait-elle. Il y a tout l'être humain à fouiller. C'est une histoire de bûcheron. L'arbre est assez énorme pour qu'on ne passe pas son temps à vérifier la hache. Femme de convictions, signataire du Manifeste des 121 sur les droits à l'insoumission dans la guerre d'Algérie, farouche opposante à la peine de mort et ennemie de toute forme de racisme, Françoise Sagan n'avait pourtant rien d'un porte-drapeau. Les scandales qui ont émaillé la vie de la femme ont malheureusement fait oublier les qualités de l'écrivain, son art très personnel de peindre en quelques mots simples et choisis une situation ou un personnage. Cette petite musique qui dans toute la littérature n'appartient qu'à elle et qui avait ébloui François Mauriac en 1954 : Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse, Bonjour tristesse". Colonisée par la littérature, Françoise Sagan a toute sa vie brûlé d'une unique passion. Prodigue jusqu'à l'excès, conduisant sa vie à la façon d'une de ces voitures de course qu'elle aimait tant, elle a parfois cédé à l'urgence et à la facilité qui, rappelait-elle, demande aussi du travail. De cette course effrénée à la vie, il nous reste des prodiges de beauté, dont la force demeure aujourd'hui intacte. Frédéric Maget

La Mademoiselle Chanel de la littérature

Le 14 avril 1957, au volant de son Aston Martin, en compagnie de Bernard Frank, Voldemar Lestienne et Véronique Campion, elle est victime d’un grave accident sur la route de Corbeil près de Paris, qui la laissera entre la vie et la mort durant quelques jours. Elle souffre de multiples fractures du crâne, du thorax et du bassin. Pour atténuer la douleur, et durant trois mois, on lui administre du Palfium 875, un dérivé morphinique. Ses passagers quant à eux s'en tireront avec de légères blessures. À sa sortie de l’hôpital, elle entame une cure de désintoxication dont elle tient le journal. Dans Toxique, illustré par des dessins de Bernard Buffet, elle s'observe, elle s'analyse : il y avait longtemps que je n'avais pas vécu avec moi-même et elle s'aperçoit qu'elle ne s'aime pas. Désormais, comme la passion de l'écriture et l'addiction à la drogue, l'horreur de la solitude est l'un des fils rouges de son existence. Cette première cure de désintoxication sera un échec, elle se mettra à boire, ce qui lui provoque une polynévrite qui la fait atrocement souffrir. Désormais la jeune femme libre est devenue dépendante des médicaments, de l'alcool et des drogues, comme elle le confirme elle-même : La seule chose que je trouve convenable - si on veut échapper à la vie de manière un peu intelligente – c'est l'opium.
En 1958, elle épouse l'éditeur Guy Schoeller, plus âgé qu'elle de vingt ans, qui la protège depuis de nombreuses années comme un père. Elle en divorce en 1960 pour se marier deux ans plus tard avec un mannequin américain Robert Westhoff 1930-1990, dont elle a un fils, Denis Westhoff, en 1962 : Quand on me l'a mis dans mes bras, j'ai eu une impression d'extravagante euphorie … je sais ce que c'est d'être un arbre avec une nouvelle branche : c'est d'avoir un enfant. Le couple divorce rapidement mais poursuit la vie commune avant de se séparer en 1972.
Si Françoise Sagan montrait son amour du jeu et sa passion des belles voitures, elle n'avouait pas sa bisexualité et pourtant les histoires d'amour qui comptent dans sa vie sont féminines. Son grand amour est la styliste Peggy Roche, ancienne journaliste de mode et ex-épouse de l'acteur Claude Brasseur qui, jusqu'à sa mort en 1991, fut sa fidèle compagne.
Sagan a vécu entourée d'un petit cercle d'intimes dont Bernard Frank, qui avait sa chambre chez elle et qui la surnommait la Mademoiselle Chanel de la littérature, Florence Malraux, Jacques Chazot, Juliette Gréco, Charlotte Aillaud et Massimo Gargia. Elle gagne beaucoup d'argent et se montre très généreuse. Ses livres lui rapportent beaucoup d'argent mais cet argent lui brûle les doigts : elle le distribue, comme ses vêtements, ses bijoux et même ses manuscrits dont pas un seul ne parviendra à son fils Denis.
Restant volontiers à l'écart des batailles littéraires, Françoise Sagan écrit une vingtaine de romans : 30 millions de livres vendus en France, de nombreuses traductions en 15 langues. Ses thèmes favoris : la vie facile, les voitures rapides, les villas bourgeoises, le soleil, un mélange de cynisme, de sensualité, d'indifférence et d'oisiveté. Le besoin d'écrire la taraude : Écrire est la seule vérification que j'ai de moi-même... J'ai toujours l'impression d'aller à un échec relatif. C'est à la fois fichu et gagné. Désespérant et excitant. Elle publie régulièrement, connaît chaque fois de grands succès de librairie malgré la critique agacée par l'incontournable désinvolture de sa petite musique : La Chamade 1965, Un peu de soleil dans l'eau froide 1969, Des bleus à l'âme 1972.
Si sa préférence va au roman, Ce que je préfère au monde, c'est le roman. On se crée une famille dans laquelle on vit pendant deux ou trois ans..., le théâtre tient une place importante dans son œuvre mais le succès ne sera pas toujours au rendez-vous. Ses pièces seront représentées avec des fortunes diverses : sa première pièce, Un château en Suède, créée par André Barsacq au théâtre de l'Atelier, interprétée par Philippe Noiret et Claude Rich, connaît un très grand succès et reçoit le prix du Brigadier 1960. La seconde, Les Violons parfois est un échec retentissant mais La Robe mauve de Valentine écrite pour Danielle Darrieux retrouve les faveurs du public. Elle met elle-même en scène Juliette Gréco, Jean-Louis Trintignant et Daniel Gélin dans Bonheur, impair et passe ; la pièce éreintée par la critique est un demi-échec. Elle adapte Doux oiseaux de la jeunesse de Tennessee Williams, monté par André Barsacq au théâtre de l'Atelier avec Edwige Feuillère et Bernard Fresson. Le résultat est en demi-teinte. Elle commentera avec humour : Généralement, je faisais un succès, un flop, un succès, un flop.
Son œuvre comprend également des nouvelles, dont Des yeux de soie publié en 1975, recueil de dix-neuf récits légers et graves, doux et cruels sur le thème cher à Sagan de la rupture, des scénarios, des biographies, des fragments d'autobiographie, Avec mon meilleur souvenir et même des chansons pour Juliette Gréco, Sans vous aimer.

Ses engagements politiques

L'Express envoie en 1960 la nouvelle révélation de la littérature française en reportage à Cuba alors qu'elle n'a que 25 ans. Au grand dam de l'intelligentsia parisienne, elle en rapporte un reportage visionnaire qui annonce les dérives autoritaires futures du nouveau régime castriste.
Françoise Sagan aime aussi la provocation et le risque : en 1961, en pleine guerre d'Algérie, elle signe la Déclaration sur les droits à l'insoumission dans la guerre d'Algérie, qui approuve l'insoumission des appelés en Algérie, ce texte est connu également sous le nom abrégé de Manifeste des 121. En représailles l'OAS plastique le domicile de ses parents le 23 août 1961 mais heureusement l'explosion ne fera que des dégâts matériels. Bien des années plus tard, en décembre 2001, elle adressera au rédacteur en chef de Libération un fax par lequel elle rappellera qu'elle et Bernard Frank ont signé le Manifeste des 121 et elle conclura son texte par cette formule cinglante : Ma réputation de futilité étant bien assise, je vous serais reconnaissante d'en citer à l'occasion les exceptions.
En mai 1968, elle arrive en plein meeting étudiant au théâtre de l'Odéon où on l'interpelle : " La camarade Sagan est venue dans sa Ferrari pour encourager la révolution ? " -" Faux, rétorque-t-elle. C'est une Maserati !" En avril 1971 elle signe le Manifeste des 343, plus connu sous le nom de Manifeste des 343 salopes. Elle fait don de ses droits polonais à Solidarność.
" Je ne suis inscrite à aucun parti politique, mais je suis engagée à gauche. Je déteste tuer, s'il y avait une guerre, je m'en irais. Où ? Je ne sais pas... Mais s'il y avait une invasion fasciste, je me battrais. Contre une cause indigne, je me battrais."

Une fin désargentée et désenchantée

Françoise Sagan et François Mitterrand ont fait connaissance dans un aéroport de province et ont pris l'avion ensemble. Ils se lient d'amitié et une grande complicité naît entre eux dont Laure Adler, conseillère culturelle de l'Élysée, sera le témoin. Le président aime les écrivains et l'emmènera dans ses voyages présidentiels. En octobre 1985, invitée par François Mitterrand en voyage officiel à Bogota, elle y fait, officiellement, un accident respiratoire. Tombée dans le coma, elle est rapatriée d'urgence. Le protocole indiquera que fatiguée par le voyage, Madame Sagan a été victime du mal de l'altitude. Plusieurs décennies plus tard, il sera évoqué qu'elle aurait pu alors être victime d'une overdose de cocaïne. En mars 1988, Sagan est inculpée pour usage et transport de stupéfiants pour 250 grammes d'héroïne et 250 grammes de cocaïne. L'année précédente toutefois, elle avait publié Un sang d'aquarelle qui avait désarmé une partie de la critique et que Jérôme Garcin dans son émission littéraire la Boîte aux lettres avait qualifié de grand et beau roman qui est balayé par le cyclone de la guerre et qui est habité par des personnages puissants .
Après la mort de son frère Jacques, en 1989, qui l'affecte beaucoup, la disparition prématurée, en septembre 1991, de Peggy Roche qui apportait de la stabilité dans sa vie est un choc pour Françoise Sagan. Pendant quinze ans, Peggy Roche avait veillé sur elle, l'avait protégée et soutenue, avait éduqué son fils Denis Westhoff. En quelques années, elle perdra également ses parents, Jacques Chazot, Robert Westhoff : son socle affectif, en somme.
Malgré la fidélité de ses amis dont Juliette Gréco et son mari, le compositeur Frédéric Botton, la tristesse l'envahit. Ses ennuis de santé ne lui laissent aucun répit et, si ses lecteurs la suivent, la critique l'exécute à nouveau, comme Angelo Rinaldi dans son article de L’Express du 25 août 1994 à propos de la parution de Un chagrin de passage :
Le succès commercial de Madame Sagan est à ce point automatique désormais que la critique en vient à ne plus examiner ce qu'elle publie. Elle jouit d'une rente de situation. On dirait que le personnage malin et subtil qu'elle présente à travers ses interviews dispense à jamais de prendre connaissance de ses écrits. Il est entendu qu'elle bâcle — elle-même en convient. Et, c'est universellement admis, si elle voulait vraiment, quelles merveilles ne renouvellerait-elle pas ! Le dernier livre est-il exécrable ? Attendons le suivant. Et ainsi passent les années. Cependant, un jour on se décide à y regarder de près. Un jour, on se souvient qu'en littérature comme en amour ce sont les actes, les preuves qui comptent, et non les virtualités…
Elle défraie la chronique mondaine et la chronique judiciaire avec les affaires de drogues en 1995 et de fraude fiscale dans l'affaire Elf en 2002. En 1991, elle avait accepté d'intervenir auprès de François Mitterrand pour le compte d'André Guelfi, un intermédiaire douteux d'Elf qui souhaite exploiter le pétrole de l'Ouzbékistan malgré l'opposition du ministre des Affaires étrangères. Son intervention auprès du Président a été couronnée de succès et elle s'attendait à recevoir une commission importante 9 millions de francs pour financer des travaux de rénovation dans son manoir du Breuil en Normandie, incendié en 1991, commission qu'elle ne recevra jamais, selon son fils Denis Westhoff, mais en échange de son intervention, la facture de la rénovation, quatre millions de francs, est réglée par André Guelfi. Françoise Sagan n'ayant jamais déclaré cette somme au fisc, elle est condamnée en février 2002 à un an d'emprisonnement avec sursis pour fraude fiscale et doit acquitter, avec d'importantes pénalités, l'impôt sur les revenus dissimulés grâce à ces travaux de rénovation. Elle est ruinée par sa condamnation dans l'affaire Elf et doit quitter son appartement de la rue de l'Université pour un plus petit, d'abord quai d'Orsay, puis 73, rue de Lille.
Démunie, privée de chéquier, elle est recueillie par une amie et dernière compagne, Ingrid Mechoulam, qui dans sa maison parisienne la soigne et la soutient pendant ses douze dernières années. Elle cesse d'écrire après son roman Le Miroir égaré publié en 1996. Guillaume Durand la rencontre avenue Foch pour un livre d'entretiens : Sa principale blessure venait de cette histoire avec le fisc. Elle se sentait coincée. Elle s'est enfermée dans un désenchantement élégant. Elle restait en pyjama, lisait les grandes romancières anglaises et écrivait au lit, sa célèbre Kool à la main. Elle demeurait pourtant pudique et coquette, se remaquillait un peu avant de me recevoir. Ingrid Mechoulam, épouse d’un millionnaire, rachète ses maisons et ses meubles au rythme des saisies. Elle devient ainsi la propriétaire du manoir du Breuil, près d’Équemauville, rachetée à la banque Dexia mais lui en laisse la jouissance, tout en la coupant du monde. Sagan décline physiquement ne pesant bientôt plus que 48 kilos.
Elle meurt le 24 septembre 2004 d'une embolie pulmonaire à l'hôpital de Honfleur près de son ancienne résidence d'Équemauville. Elle est inhumée auprès de son frère, de ses parents, de son second mari, Robert Westhoff, et de sa compagne Peggy Roche dans le cimetière du village de Seuzac à quelques kilomètres de Cajarc dans le Lot. Elle a demandé à être enterrée à Seuzac dans le Lot, le pays où elle est née, qu'elle aimait, avec une femme qu'elle a aimée, Peggy Roche et qui l'a aimée jusqu'au bout, confie Juliette Gréco. Françoise Sagan et Robert Westhoff partagent le même tombeau ; celui de Peggy Roche est juste à côté.
En 1998, la romancière avait rédigé son épitaphe : Sagan, Françoise. Fit son apparition en 1954, avec un mince roman, Bonjour tristesse, qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre également agréables et bâclées, ne fut un scandale que pour elle-même.

Œuvres Romans

Bonjour tristesse, Paris, Julliard, 1954.
Un certain sourire, Paris, Julliard, 1956.
Dans un mois, dans un an, Paris, Julliard, 1957.
Aimez-vous Brahms..., Paris, Julliard, 1959.
Les Merveilleux Nuages, Paris, Julliard, 1961.
La Chamade, Paris, Julliard, 1965.
Le Garde du cœur, Paris, Julliard, 1968.
Un peu de soleil dans l'eau froide, Paris, Flammarion, 1969; rééd. Paris, Stock, 2010.
Des bleus à l'âme, Paris, Flammarion, 1972; rééd. Paris, Stock, 2009.
Un profil perdu, Paris, Flammarion, 1974; rééd. Paris, Stock, 2010.
Le Lit défait, Paris, Flammarion, 1977; rééd., Paris, Stock, 2010.
Le Chien couchant, Paris, Flammarion, 1980; rééd. Paris, Stock, 2011.
La Femme fardée, Paris, Ramsay, 1981; rééd. Paris, Stock, 2011.
Un orage immobile, Paris, Julliard, 1983; Paris, rééd. Stock, 2010.
De guerre lasse, Paris, Gallimard, 1985.
Un sang d'aquarelle, Paris, Gallimard, 1987.
La Laisse, Paris, Julliard, 1989.
Les Faux-fuyants, Paris, Julliard, 1991.
Un chagrin de passage, Paris, Plon, 1993.
Le Miroir égaré, Paris, Plon, 1996.

Nouvelles

Meurtre à la carte, paru dans Mystère magazine no 221, juin 1966.
Des yeux de soie, Paris, Flammarion, 1975; rééd. Paris, Stock, 2009.
Musiques de scènes, Paris, Flammarion, 1981; rééd. Paris, Stock, 2011.
La Maison de Raquel Vega, Paris, La Différence, 1985.
Un matin pour la vie, Ed. Les Cent Une société de femmes bibliophiles, 2011, édition limitée.
Menu, paru dans La Revue de Paris, 1955.
Histoire d'août, paru dans VSD.
Un vrai macho, paru dans Playboy, octobre 1985.

Biographies

Sarah Bernhardt : Le Rire incassable, biographie, éditions Robert Laffont, 1987

Mémoires, journal et entretiens

Toxiques, journal, Paris, Julliard, 1964; rééd., Paris, Stock, 2009.
Il est des parfums, Paris, Jean Dullis, 1973
Roman conçu comme une promenade à travers le jardin des parfums, ce livre fut écrit avec Guillaume Hanoteau
Réponses, entretiens, Paris, Pauvert, 1975
Avec mon meilleur souvenir, roman autobiographique, Paris, Gallimard, 1984.
Au marbre, chroniques 1952-1962, La Désinvolture, 1988.
Répliques, entretiens, Paris, Quai Voltaire, 1992.
...Et toute ma sympathie, roman autobiographique, Paris, Julliard, 1993.
Derrière l'épaule, mémoires, Paris, Plon, 1998.
Bonjour New-York, Paris, Les Carnets de l'Herne, 2007.
Un certain regard, regroupant Réponses et Répliques, autobiographie, Paris, L'Herne, 2008.
Maisons louées, Paris, L'Herne, 2008.
Le régal des chacals, Paris, L'Herne, 2008.
Au cinéma, Paris, L'Herne, 2008.
De très bons livres, Paris, L'Herne, 2008.
La Petite Robe noire, Paris, L'Herne, 2008.
Lettre de Suisse, Paris, L'Herne, 2008.

Livre audio

Avec mon meilleur souvenir, lu par Françoise Sagan, Paris, Éditions des Femmes, 1986, coll. "Bibliothèque des voix".

Théâtre

1958 - Le Rendez-vous manqué, Julliard
1960 - Château en Suède, Julliard
1960 - Le Gigolo, Julliard
1961 - Les Violons parfois, Julliard
1963 - La Robe mauve de Valentine, Julliard
1964 - Bonheur, impair et passe, Julliard
1966 - Le Cheval évanoui, Julliard
1970 - L'Écharde, Julliard
1970 - Un piano dans l'herbe, Flammarion, 1970 ; rééd. Stock, 2010
1978 - Il fait beau jour et nuit, Flammarion, 1978 ; rééd. Stock, 2010
1987 - L'Excès contraire, Stock, 2010

Cinéma

1963 : Landru de Claude Chabrol - scénario et dialogues
1970 : Le Bal du comte d'Orgel de Marc Allégret - dialogues d'après le roman de Raymond Radiguet
1974 : Encore un hiver, court-métrage, scénario et réalisation.
1977 : Les Borgia ou le Sang doré - scénario co-écrit avec Jacques Quoirez d'après le récit d'Étienne de Monpezat
1977 : Les Fougères bleues - réalisation et adaptation d'après sa nouvelle Les Fougères bleues, contenue dans le recueil Des yeux de soie
En 1990, elle ne participera pas en revanche au film La Femme fardée de José Pinheiro, adaptation de son roman éponyme, le scénario étant écrit par Frédéric H. Fajardie, Jacques Cortal, Jean-Jacques Pauvert, Lou Inglebert et le réalisateur.

Chansons

Quelques cris, interprétée par Johnny Hallyday, Mercury, 2000
Le Jour, interprétée par Annabel, musique de Michel Magne, Versailles
Pour toi et moi, interprétée par Annabel, musique de Michel Magne, Versailles
De toutes manières
Dis-moi
Les Doux Oiseaux de la jeunesse
Goodbye Again
Les Jours perdus, interprétée par Annabel, musique de Michel Magne, Versailles
La Valse, interprétée par Annabel, musique de Michel Magne, Versailles
Melanco
Quand tu dors près de moi
Roses
Sans vous aimer

Distinctions

En 1979, Sagan préside le 32e festival de Cannes.

Récompenses

1954 : prix des Critiques pour Bonjour tristesse
1960 : prix du Brigadier pour Château en Suède, théâtre de l'Atelier
1985 : prix Prince-Pierre-de-Monaco pour l’ensemble de son œuvre

Film consacré à sa vie

Sagan film.
En 2008, la réalisatrice Diane Kurys a consacré à Françoise Sagan un film plus ou moins biographique, intitulé Sagan, et sorti le 11 juin 2008, avec Sylvie Testud dans le rôle principal. Il y a des choses vraies — la maison en Normandie, les huit millions qu'elle gagne au casino qui lui permettent de l'acheter — et d'autres, un peu réinventées.


Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l


Posté le : 19/06/2015 18:00
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Elisabeth Harriet Beecher Stowe
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57675
Hors Ligne
Le 14 juin 1811 naît Elizabeth Harriet Beecher Stowe

à Litchfield dans le connecticut, décédée, à 85 ans, le 1er juillet 1896 à Hartford, femme de lettres américaine, abolitionniste. Elle est principalement connue pour être l'auteur de La Case de l'oncle Tom en 1852, une représentation de la vie des Afro-Américains sous l'esclavage. Le roman se vend à des millions d'exemplaires et exerce une influence notable aux États-Unis et au Royaume-Uni. Il alimente les forces anti-esclavagistes dans le nord-américain, tout en provoquant une colère largement répandue dans le Sud. Elle a écrit plus de 20 livres, dont des romans, trois mémoires de voyage et des collections d'articles et de lettres. Ses Œuvres principales sont La case de l'Oncle Tom, Dred, histoire du grand marais maudit. Elizabeth Harriet Beecher Stowe a exercé une influence à la fois par ses écrits et ses prises de position publiques sur des questions sociales contemporaines.

En bref

La Case de l’oncle Tom Uncle Tom’s Cabin est un roman de l’écrivain américaine Harriet Beecher Stowe. Publié d’abord sous forme de feuilleton en 1852, il valut le succès immédiat à son auteur. Le roman eut un profond impact sur l’état d’esprit général vis-à-vis des Afro-Américains et de l’esclavage aux États-Unis ; il fut un facteur de l’exacerbation des tensions qui menèrent à la Guerre de Sécession.
L’auteur de La Case de l’oncle Tom est profondément touchée de l’enthousiaste sympathie avec laquelle le beau pays de France répond au cri de fraternité et d’émancipation poussé par l’esclave américain. C’est l’honneur de la France d’avoir aboli l’esclavage dans toutes ses colonies ; c’est sa gloire que pas une goutte du sang de l’esclave ne souille son manteau d’hermine. Harriet Beecher-Stowe.
Issue d'un milieu puritain, elle reçoit de son père, le pasteur protestant Lyman Beecher, une éducation stricte et rigoureuse. Son frère est le pasteur Henry Ward Beecher, resté célèbre pour les bibles de Beecher. En 1832, son père fonde un séminaire dans l'Ohio. C'est l'occasion pour Elizabeth de se lancer dans l'écriture avec les Scènes et types descendant des pèlerins.
Plus tard, elle épouse un pasteur avec qui elle partage un engagement contre l'esclavagisme. Leurs opinions abolitionnistes ouvertement déclarées font qu'ils doivent quitter la ville de Cincinnati pour se réfugier à Brunswick dans le Maine. C'est dans cet esprit qu'elle écrit La Case de l'oncle Tom Uncle Tom's Cabin, qui connaît un succès immense et immédiat, et qui porte un coup terrible à la cause de l'esclavage 1852.
Elle avait auparavant publié quelques contes ou nouvelles. Forte de ce succès, elle tente de publier une suite en 1856, Dred, histoire du grand marais maudit. Mais le titre ne rencontre pas la même ferveur populaire que La Case de L'Oncle Tom qui restera son ouvrage incontournable, et qui connut un immense succès en Amérique et en Europe et fut traduit dans de nombreuses langues.

Sa vie

Elle épousa un ardent abolitionniste, le révérend Calvin Stowe, et, à l'occasion d'un voyage dans le Kentucky, découvrit concrètement le monde de l'esclavage. De cette expérience elle tira un roman, la Case de l'oncle Tom en 1852, qui décrit dans un style pathétique la traite des esclaves et leur condition. Premier roman américain vendu à plus d'un million d'exemplaires, ce fut l'un des plus puissants moyens de propagande du mouvement antiesclavagiste.
Fille d'un révérend évangéliste, épouse d'un révérend évangéliste, Calvin Stowe, qui était collègue de son père, élevée et vivant dans une atmosphère de rigorisme religieux, Harriet Beecher est connue pour avoir été l'auteur d'un best-seller, dont le retentissement immédiat, fracassant, s'est prolongé dans le monde entier sous forme d'adaptations multiples ; il s'agit de La Case de l'oncle Tom Uncle Tom's Cabin, 1852, roman antiesclavagiste qui vint renforcer, peu de temps avant la guerre de Sécession, la campagne abolitionniste.
La plupart des critiques s'accordent pour reconnaître les défauts principaux du livre : coïncidences, incohérences, surcharge mélodramatique, perspective moralisante. En revanche, ces mêmes critiques divergent sur l'appréciation de la peinture de l'esclavage faite par l'auteur et de la vie des esclaves sur la plantation. Il est certain que la documentation de première main de Harriet Beecher-Stowe était extrêmement réduite, et sa présentation de l'institution particulière, comme on nommait pudiquement l'esclavage trop peu corrosive pour inquiéter les sudistes, tout au moins lors de la parution du récit. Mais, au-delà des critiques, le véritable problème reste celui que pose l'engouement rencontré par ce livre, que ce soit non seulement au nord des États-Unis, mais aussi dans l'Europe entière, où George Sand et Musset, pour ne citer qu'eux, crièrent immédiatement au génie.
À vrai dire, l'opinion la plus intéressante, en définitive, risque fort d'émaner de ceux que le sujet du livre concerne le plus directement, les Noirs américains. Les écrivains noirs contemporains ont fait du livre une critique féroce ; ils y voient une protestation sentimentale aisément récupérable, et vite récupérée par le libéralisme blanc, qui pouvait se donner ainsi bonne conscience à bon compte ; d'autant que le personnage central, l'oncle Tom, constitue par sa piété, son dévouement et son incroyable gentillesse, une image du Noir très rassurante. L'auteur, mettant en scène le paternalisme, touchait chez ses lecteurs la fibre la plus paternaliste. Il faut certes garder en mémoire un contexte qui obligeait beaucoup d'esclaves à se conduire comme oncle Tom, mais l'Amérique noire a, depuis quelque temps déjà, définitivement réglé son compte à ce personnage : le terme est devenu un symbole infamant, un symbole de faiblesse et de lâcheté, en un mot de collaboration
Dans le sillage de cet énorme succès, Harriet Beecher-Stowe a publié quelques ouvrages sur des sujets qu'elle connaissait beaucoup mieux, puisqu'ils touchent à sa Nouvelle-Angleterre natale ; ils dénotent l'influence calviniste qu'elle avait subie et assumée. Ces vignettes régionalistes ne sont pas sans intérêt, mais c'est La Case de l'oncle Tom qui maintient encore aujourd'hui l'importance de l'écrivain, importance dont il faut bien convenir qu'elle est essentiellement historique.

Hommage

Elle est inscrite au National Women's Hall of Fame.

Citation

"Les larmes les plus amères que l'on verse sur les tombes viennent des mots que l'on n'a pas dits, des choses que l'on n'a pas faites "
"Traitez les gens comme des cochons et vous obtiendrez un travail de cochons. Traitez les gens comme des hommes et vous obtiendrez un travail d'hommes"

La case de l'oncle TOM


La Case de l'oncle Tom Uncle Tom's Cabin est un roman de 141 pages paru en 1852, chez l'éditeur John P. Jewett and Company, il appartient au genre roman-feuilleton, de l'écrivaine américaine Harriet Beecher Stowe, son titre original est "Uncle Tom's Cabin; or, Life Among the Lowly". Publié d'abord sous forme de feuilleton en 1852, il vaut le succès immédiat à son auteur.Publié à Paris il est traduit par Léon de Wally et Edmond Auguste Texier. Le roman eut un profond impact sur l'état d'esprit général vis-à-vis des Afro-Américains et de l'esclavage aux États-Unis ; il est un des facteurs de l’exacerbation des tensions qui menèrent à la Guerre de Sécession.
Stowe, née dans le Connecticut et pasteure à la Hartford Female Academy, était une abolitionniste convaincue. Elle centre son roman sur le personnage de l'oncle Tom, un esclave noir patient et tolérant autour duquel se déroulent les histoires d'autres personnages, aussi bien esclaves que blancs. Ce roman sentimental dépeint la réalité de l'esclavage tout en affirmant que l'amour chrétien peut surmonter une épreuve aussi destructrice que l'esclavage d'êtres humains.
La Case de l'oncle Tom est le roman le plus vendu du XIXe siècle et le second livre le plus vendu de ce même siècle, derrière la Bible. On considère qu'il aida à l'émergence de la cause abolitionniste dans les années 1850. Dans l'année suivant sa parution, 300 000 exemplaires furent vendus aux États-Unis. L'impact du roman est tel qu'on attribue à Abraham Lincoln ces mots, prononcés lorsqu'il rencontre Harriet Stowe au début de la guerre de Sécession : C'est donc cette petite dame qui est responsable de cette grande guerre.
Le roman, et encore plus les pièces de théâtre qu'il inspira, contribuèrent également à la création de nombreux stéréotypes concernant les Noirs, dont beaucoup persistent encore aujourd'hui. On peut citer l'exemple de la mammy, servante noire placide et affectueuse, des enfants noirs à moitié habillés aux cheveux en bataille, et de l'oncle Tom, serviteur dévoué et endurant, fidèle à son maître ou sa maîtresse blancs. Plus récemment, les associations négatives avec le roman ont, dans une certaine mesure, éclipsé l'impact historique de La Case de l'oncle Tom en tant que livre antiesclavagiste.
La Case de l’oncle Tom Uncle Tom’s Cabin est un roman de l’écrivain américaine Harriet Beecher Stowe. Publié d’abord sous forme de feuilleton en 1852, il valut le succès immédiat à son auteur. Le roman eut un profond impact sur l’état d’esprit général vis-à-vis des Afro-Américains et de l’esclavage aux États-Unis ; il fut un facteur de l’exacerbation des tensions qui menèrent à la Guerre de Sécession.
L’auteur de La Case de l’oncle Tom est profondément touchée de l’enthousiaste sympathie avec laquelle le beau pays de France répond au cri de fraternité et d’émancipation poussé par l’esclave américain. C’est l’honneur de la France d’avoir aboli l’esclavage dans toutes ses colonies ; c’est sa gloire que pas une goutte du sang de l’esclave ne souille son manteau d’hermine. Harriet Beecher-Stowe.

Inspiration et références

Harriet Stowe écrit ce roman en réponse à l'adoption en 1850 du second Fugitive Slave Act, qui entend punir ceux qui aident les esclaves fugitifs en diminuant leurs droits ainsi que ceux des esclaves libérés. La majeure partie du livre est écrite à Brunswick dans le Maine où le mari de Harriet, Calvin Ellis Stowe, enseigne au Bowdoin College.
Pour écrire La Case de l'oncle Tom, Stowe s'inspire en partie de l'autobiographie de Josiah Henson, un Noir qui vécut et travailla dans une plantation de tabac de 15 km² appartenant à Isaac Riley et située à North Bethesda dans le Maryland. Henson échappe à l'esclavage en 1830 en s'enfuyant dans la province du Haut-Canada, à présent l'Ontario, où il aida d'autres esclaves à s'échapper et à devenir autonomes, et où il écrivit ses mémoires. Stowe reconnut manifestement s'être inspirée des écrits de Henson pour La Case de l'oncle Tom. Lorsque l'œuvre de Stowe devint célèbre, Henson publia à nouveau ses mémoires sous le titre Les Mémoires de l'oncle Tom, et voyagea aux États-Unis et en Europe.
Le roman de Stowe a donné son nom à la demeure de Henson, devenue Uncle Tom's Cabin Historic Site, près de Dresden, en Ontario, et transformée en musée depuis les années 1940. La véritable cabane dans laquelle Henson vécut lorsqu'il était esclave existe toujours dans le comté de Montgomery, dans le Maryland.
American Slavery As It Is: Testimony of a Thousand Witnesses, un livre coécrit par Theodore Dwight Weld et les sœurs Angelina et Sarah Grimké, est également à l'origine d'une partie du contenu du roman. Stowe affirma également avoir fondé son livre sur des entretiens avec des esclaves fugitifs, rencontrés lorsqu'elle vivait à Cincinnati dans l'Ohio, ville proche du Kentucky qui était alors un état esclavagiste. Le chemin de fer clandestin avait des sympathisants abolitionnistes à Cincinnati. Ce réseau aidait activement les esclaves à s'échapper des États du Sud.
Harriet Stowe mentionne une partie des sources d'inspiration utilisées pour son roman dans A Key to Uncle Tom's Cabin, publié en 1853. Ce livre, qui au contraire de La Case de l'oncle Tom n'est pas une fiction, est écrit pour soutenir les affirmations de Stowe concernant l'esclavage. Cependant, des études ultérieures ont tenté de démontrer que Stowe ne lut la plupart des œuvres mentionnées qu'après la publication de son roman.

Publication


La Case de l'oncle Tom est d'abord publié en feuilleton de 40 épisodes dans le National Era, un journal abolitionniste, à partir du 5 juin 1851. Au vu de la popularité de l'histoire, l'éditeur John Jewett propose à Harriet Stowe de transformer le feuilleton en roman bon pour une publication en volume. Bien que Stowe n'était pas du tout certaine que La Case de l'oncle Tom serait lu une fois publié en volume, elle consentit finalement à cette requête.
Convaincu que le livre serait aimé par le public, Jewett prend la décision, inhabituelle pour l'époque de faire graver pour la première édition six illustrations pleine page par Hammatt Billings. Publié en volume le 20 mars 1852, le roman est bientôt épuisé et d'autres éditions sont imprimées peu après, en particulier une édition de luxe en 1853, comptant 117 illustrations de Hammatt Billings.
Pendant sa première année de publication, 300 000 exemplaires de La Case de l'oncle Tom sont vendus. Le livre est traduit dans de nombreuses langues et devient finalement le deuxième livre le plus vendu après la Bible.
La Case de l'oncle Tom se vend également bien en Grande-Bretagne, où la première édition est publiée en mai 1852 et s'écoule à 200 000 exemplaires. En quelques années, plus de 1,5 million d'exemplaires sont mis en circulation en Grande-Bretagne[réf. nécessaire], la plupart étant des copies illégales, le même phénomène eut lieu aux États-Unis. Certaines des premières éditions contiennent une introduction par le révérend James Sherman, ministre du culte protestant londonien, bien connu pour ses convictions abolitionnistes.

Résumé


Elisa s'enfuit avec son fils, Tom est vendu sur le Mississippi

Au XIXe siècle, dans le Kentucky, État sudiste, Mr Shelby, riche planteur, et son épouse, Emily, traitent leurs esclaves avec bonté. Mais le couple craint de perdre la plantation pour cause de dettes et décide alors de vendre deux de leurs esclaves : Oncle Tom, un homme d'âge moyen ayant une épouse et des enfants, et Henry, le fils d'Elisa, servante d'Emily. Cette idée répugne à Emily qui avait promis à sa servante que son fils ne serait jamais vendu ; et le mari d'Emily, George Shelby, ne souhaite pas voir partir Tom qu'il considère comme un ami et un mentor.
Lorsqu'Elisa surprend Mr et Mme Shelby en train de discuter de la vente prochaine de Tom et Henry, elle décide de s'enfuir avec son fils. Le roman précise que la décision d'Elisa vient du fait qu'elle craint de perdre son unique enfant survivant elle a déjà perdu deux enfants en couches. Elisa part le soir même, laissant un mot d'excuse à sa maîtresse.
Pendant ce temps, Oncle Tom est vendu à Augustin St. Clare et embarque sur un bateau qui s'apprête à descendre le Mississippi. À bord, Tom rencontre une jeune fille blanche nommée Evangeline et se lie d'amitié avec elle. Lorsque Eva tombe à l'eau, Tom la sauve. Pour le remercier, le père d'Eva lui donne des biscuits.

La famille d'Elisa est pourchassée,

tandis que Tom vit chez les St. Clare

Au cours de sa fuite, Elisa retrouve son mari Georges Harris, qui s'était échappé de sa plantation auparavant. Ils décident d'essayer de gagner le Canada. Ils sont cependant poursuivis par un chasseur d'esclaves nommé Tom Loker. Loker finit par piéger Elisa et sa famille, ce qui conduit Georges à tirer sur Loker. Ne souhaitant pas que Loker meure, Elisa convainc George d'amener le chasseur d'esclaves jusqu'à un village quaker proche pour qu'il y soit soigné.
De retour à La Nouvelle-Orléans, Augustin St. Clare discute de l'esclavage avec sa cousine nordiste Ophelia qui, bien qu'opposée à l'esclavage, a cependant des préjugés contre les Noirs. St. Clare considère que lui n'a pas de préjugés, bien que possédant des esclaves. Dans une tentative pour montrer à Ophelia que ses idées concernant les Noirs sont erronées, il achète Topsy, une jeune esclave noire, et demande à Ophelia de l'éduquer.
Deux ans après que Tom fut arrivé chez les St. Clare, Eva tombe gravement malade. Avant de mourir, elle a une vision du paradis, qu'elle partage avec les personnes qui l'entourent. En conséquence de cette vision et de la mort d'Eva, les autres personnages décident de modifier leur manière de vivre : Ophelia promet de se débarrasser de ses préjugés contre les Noirs, Topsy de s'améliorer et Augustin St. Clare d'affranchir libérer l'oncle Tom.

Tom est vendu à Simon Legree

Augustin St. Clare est poignardé en entrant dans une taverne de La Nouvelle-Orléans et meurt avant de pouvoir tenir sa promesse. Sa femme revient sur la promesse de son mari décédé et vend Tom aux enchères à un propriétaire malveillant nommé Simon Legree. Legree, originaire du nord, emmène Tom dans une région rurale de la Louisiane, où Tom fait la connaissance des autres esclaves de Legree, et en particulier d'Emmeline, que Legree a achetée en même temps que Tom. La haine de Legree pour Tom naît lorsque celui-ci refuse son ordre de fouetter un autre esclave. Legree bat sauvagement Tom, et décide de broyer la foi en Dieu de son nouvel esclave. Cependant, malgré la cruauté de Legree, Tom refuse de cesser de lire sa Bible et de réconforter les autres esclaves. À la plantation, Tom rencontre Cassy, une autre esclave de Legree, qui a été séparée de son fils et de sa fille lorsque ceux-ci ont été vendus ; incapable de supporter la vente d'un autre de ses enfants, elle a tué son troisième.
Tom Loker fait à ce moment sa réapparition dans l'histoire ; à la suite de sa guérison par les quakers, il a profondément changé. George, Elisa et Henry ont obtenu leur liberté après être parvenus au Canada. En Louisiane, l'oncle Tom succombe presque au désespoir alors que sa foi en Dieu est mise à l'épreuve par les rigueurs de la plantation. Il a cependant deux visions, une de Jésus et une d'Eva, qui renouvellent sa détermination à rester un chrétien fidèle, même si sa vie est en jeu. Il encourage Cassy à s'enfuir, ce qu'elle fait en emmenant Emmeline avec elle. Lorsque Tom refuse de révéler à Legree leur destination, ce dernier ordonne à ses employés de tuer Tom. Alors qu'il est mourant, Tom pardonne aux employés de l'avoir battu. Impressionnés par la personnalité de l'homme qu'ils ont tué, les deux hommes deviennent chrétiens. Juste avant la mort de Tom, Georges Shelby, le fils d'Arthur Shelby, le maître original de Tom, apparaît pour acheter la liberté de Tom, mais se rend compte qu'il arrive trop tard.

Dernière partie

Sur le bateau qui les emmène vers la liberté, Cassy et Lucy rencontrent la sœur de Georges Harris et l'accompagnent au Canada. Une fois arrivée, Cassy découvre que Elisa est sa fille, qui avait été vendue enfant et dont elle n'avait pas eu de nouvelles depuis. Leur famille enfin reconstituée, ils partent pour la France puis finalement pour le Liberia, nation africaine créée pour les anciens esclaves d'Amérique, où ils retrouvent le fils de Cassy, également perdu de vue depuis longtemps. Georges Shelby retourne dans sa plantation du Kentucky et libère tous ses esclaves, en leur disant de se souvenir du sacrifice de Tom et de sa foi dans la véritable signification du christianisme.

Personnages principaux L'oncle Tom

L'oncle Tom, le personnage éponyme, est un esclave chrétien possédant patience et noblesse d'âme. Plus récemment, son nom est cependant devenu une épithète désignant les Afro-Américains accusés de s'être vendus aux Blancs. Pour Stowe, Tom est un héros noble et digne d'éloges. Tout au long du roman, bien loin de se laisser exploiter, Tom défend ses croyances et est même admiré à contrecœur par ses ennemis.

Eva

Eva, dont le véritable nom est Evangeline St. Clare est la fille d'Augustin St.Clare qui, durant une période, est le maître de Tom. Eva est gentille, souriante, généreuse, belle, compatissante et elle se lie d'amitié avec tous les esclaves de son père. Elle devient très vite amie de Tom

Simon Legree et l'oncle Tom

Simon Legree est un maître cruel, né dans le Nord, dont le nom est devenu synonyme d'avidité. Son but est de démoraliser Tom au point de le faire abandonner sa foi religieuse ; il finit par battre Tom à mort par frustration devant la foi inébranlable de son esclave en Dieu. Le roman révèle qu'il a, dans sa jeunesse, abandonné sa mère malade pour partir en mer, et qu'il a ignoré sa lettre le priant de venir la voir une dernière fois sur son lit de mort. Il exploite sexuellement Cassie, qui le méprise, puis porte son désir sur Emmaline.

Personnages secondaires

La Case de l'oncle Tom met en scène un grand nombre de personnages secondaires. Parmi les plus importants, on peut citer :
Arthur Shelby, le maître de Tom dans le Kentucky. Shelby est présenté comme un « bon » maître, stéréotype du gentleman du Nord.
Emily Shelby, épouse d'Arthur Shelby. C'est une femme profondément croyante qui s'efforce d'exercer une influence bénéfique et morale sur ses esclaves. Elle est scandalisée lorsque son mari vend ses esclaves à un marchand, mais en tant que femme ne possède pas de moyen légal de s'y opposer puisque la propriété appartient à son mari.
Georges Shelby, fils d'Arthur et d'Emily, qui considère Tom comme un ami et comme le chrétien parfait.
Augustin St. Clare, second maître de Tom et père d'Eva. Le plus compréhensif des possesseurs d'esclaves rencontrés dans le roman. St. Clare est un personnage complexe, souvent sarcastique et à l'esprit vif. Après une cour difficile, il a épousé une femme qu'il a fini par mépriser, bien qu'il soit trop poli pour le montrer. St. Clare est conscient du mal que constitue l'esclavage, mais il ne veut pas renoncer à la richesse qu'il lui apporte. Après la mort de sa fille, il devient plus sincère dans ses convictions religieuses et commence à lire la Bible à Tom. Il compte finalement prendre parti contre l'esclavagisme en libérant ses esclaves, mais ses bonnes intentions ne sont pas concrétisées.
Topsy, une jeune esclave un peu vaurien. Lorsqu'on lui demande si elle sait qui l'a créée, elle professe son ignorance de Dieu et de sa mère, en disant : J'pense que j'ai grandi. J'pense pas que quelqu'un m'ait créée. Elle est transformée par l'amour de la petite Eva. Pendant la première moitié des années 1900, plusieurs fabricants de poupées créèrent des poupées à l'effigie de Topsy. L'expression grandir comme Topsy, à présent un peu archaïque, est passée dans la langue anglaise, d'abord avec la notion de croissance imprévue puis juste celle de croissance impressionnante.
Mademoiselle Ophelia, cousine d'Augustin St. Clare venant du Vermont, personnage pieux, travailleur et abolitionniste. Elle met en évidence les sentiments ambigus des Nordistes envers les Afro-américains à l'époque. Elle est opposée à l'esclavage, mais l'idée d'esclave en tant qu'individu lui répugne, du moins au début.

Thèmes abordés

Un thème unique domine La Case de l'oncle Tom :
celui du caractère maléfique et immoral de l'esclavage. Bien que Stowe aborde d'autres thèmes mineurs tout au long du roman, comme par exemple l'autorité morale de la mère de famille ou encore la possibilité de rédemption offerte par le christianisme, elle donne beaucoup d'importance à leurs liens avec les horreurs de l'esclavage. Elle aborde le thème de l'immoralité de l'esclavage quasiment à chaque page du livre, lui arrivant même parfois de changer de point de vue narratif afin de donner une véritable homélie sur la nature destructrice de l'esclavage, telle cette femme blanche sur le bateau conduisant Tom vers le sud : La pire des choses dans l'esclavage, à mon avis, est son atrocité envers les sentiments et l'affection - la séparation des familles, par exemple. L'une des manières pour Stowe de dénoncer l'esclavage était de montrer comment cette bizarre institution forçait les familles à se séparer.
Harriet Stowe considérait le statut de mère comme le modèle éthique et structurel pour toute l'Amérique et pensait que seules les femmes avaient l'autorité morale pour sauver les États-Unis du démon de l'esclavage ; c'est pourquoi un autre thème majeur de La Case de l'oncle Tom est le pouvoir moral et le caractère saint de la femme. À travers des personnages comme Eliza, qui fuit l'esclavage pour sauver son jeune fils, et finit par réunir sa famille entière, ou Petite Eva, qui est considérée comme la chrétienne idéale, Stowe montre de quelle manière elle pense que les femmes peuvent sauver leurs prochains des pires injustices. Bien que des critiques notèrent plus tardivement que les personnages féminins de Stowe constituent souvent des clichés domestiques plutôt que des femmes réalistes, le roman réaffirma l'importance de l'influence des femmes et ouvrit la voie aux mouvements pour les droits des femmes qui se manifestèrent dans les décennies suivantes.
Les croyances religieuses puritaines de Stowe se révèlent dans le thème général qui sous-tend le roman, qui n'est autre que l'exploration de la nature du christianisme et de la manière dont Stowe pense qu'il est fondamentalement incompatible avec l'esclavage. Ce thème est fortement présent lorsque Tom exhorte St. Clare à regarder vers Jésus après la mort de sa fille bien-aimée Eva. Après la mort de Tom, George Shelby fait l'éloge de Tom en disant : C'est quelque chose que d'être chrétien. De par le rôle important joué par les thèmes chrétiens dans La Case de l'oncle Tom - et à cause de l'utilisation répétée dans le roman d'interventions de l'auteur elle-même sur la religion et la foi - le livre prend souvent la forme d'un sermon.

Style

La Case de l'oncle Tom est écrit dans le style mélodramatique et sentimental commun aux romans sentimentaux et à la fiction domestique ou fiction féminine du XIXe siècle. Ces genres de récits étaient parmi les plus populaires au temps de Stowe et mettaient en général en scène des personnages principaux féminins, dans un style visant à provoquer compassion et émotion chez le lecteur. Bien que le livre de Stowe diffère des romans sentimentaux en s'intéressant à un thème plus large, l'esclavage, et en ayant un homme comme personnage principal, il cherche cependant à susciter une forte émotion chez ses lecteurs, en provoquant par exemple les larmes lors de la mort de Petite Eva. La force de ce style d'écriture est manifeste lorsqu'on se réfère aux réactions des lecteurs contemporains de Stowe. Georgiana May, une amie de Stowe, écrit dans une lettre à l'auteur : Je suis restée éveillée la nuit dernière bien après une heure du matin, pour finir La Case de l'oncle Tom. Je ne pouvais pas plus l'abandonner que je n'aurais pu abandonner un enfant mourant. Un autre lecteur est décrit comme étant obsédé à tout moment par le livre et comme ayant pensé à renommer sa fille Eva. La mort de Petite Eva affecta de manière évidente un grand nombre de personnes à l'époque puisqu'à Boston, au cours de la seule année 1852, ce prénom fut donné à 300 petites filles.
Malgré ces réactions positives de la part des lecteurs, les critiques littéraires méprisèrent durant des années le style dans lequel La Case de l'oncle Tom et d'autres romans sentimentaux étaient écrits, du fait que ces livres étaient rédigés par des femmes et présentaient de manière si évidente un sentimentalisme féminin. Un critique littéraire affirma que si le roman n'avait pas abordé le thème de l'esclavage, il n'aurait été qu'un autre roman sentimental, tandis qu'un autre décrivit le livre comme l'œuvre d'un écrivaillon.
Ce n'est pas l'avis de Jane Tompkins, professeur d'anglais à l'université de l'Illinois à Chicago. Dans son livre In Sensational Designs: The Cultural Work of American Fiction 1985. Tompkins fait l'éloge de ce style que tant d'autres critiques avaient méprisé, écrivant que les romans sentimentaux montraient comment les émotions féminines avaient le pouvoir d'améliorer le monde. Elle affirme également que les fictions domestiques populaires du XIXe siècle, dont La Case de l'oncle Tom fait partie, étaient remarquables de par leur complexité intellectuelle, leur ambition et leur ingéniosité; et que La Case de l'oncle Tom offrait une critique de la société américaine bien plus dévastatrice que d'autres effectuées par des auteurs plus connus tels que Hawthorne ou Melville.

Réactions et critiques

Dès sa publication, le livre a donné lieu à une importante controverse, suscitant des protestations de la part des défenseurs de l'esclavage, qui firent paraître un certain nombre d'autres livres en réponse à celui-ci et des éloges de la part des abolitionnistes. Le roman influença profondément des œuvres protestataires postérieures, telle La Jungle d'Upton Sinclair.

Critiques Réactions contemporaines

Dès sa publication, La Case de l'oncle Tom indigne les habitants du Sud américain. Le roman est également violemment critiqué par les partisans de l'esclavage.
L'écrivain sudiste William Gilmore Simms déclara que le livre était entièrement faux, tandis que d'autres qualifièrent le roman de criminel et diffamatoire. Les réactions allèrent d'un libraire de Mobile dans l'Alabama qui fut obligé de quitter la ville parce qu'il avait mis le roman en vente, à des lettres de menace adressées à Stowe elle-même, qui reçut même un paquet contenant une oreille coupée appartenant à un esclave. De nombreux écrivains sudistes, tel Simms, écrivirent peu après leur propre livre en réaction à celui de Stowe.
Certains critiques, soulignèrent le manque d'expérience de Stowe concernant la vie du Sud, affirmant que ce manque d'expérience l'avait poussée à produire des descriptions inexactes de la région. Elle n'avait par exemple jamais véritablement été dans une plantation sudiste. Stowe affirma cependant toujours qu'elle avait bâti ses personnages sur des récits faits par des esclaves fugitifs lorsqu'elle vivait à Cincinnati, dans l'Ohio. On rapporte que Stowe eut l'occasion d'assister à plusieurs incidents qui la poussèrent à écrire le roman. Des scènes qu'elle observa sur l'Ohio, en particulier un mari et une femme séparés au cours d'une vente, ainsi que des articles de journaux et des entretiens lui fournirent de la matière pour le développement de l'intrigue.
En réponse à ces critiques, Stowe publia en 1853 A Key to Uncle Tom's Cabin, tentant de montrer la véracité de la description de l'esclavage faite dans La Case de l'oncle Tom à travers des documents historiques. Dans ce livre, Stowe considère chacun des principaux personnages du roman et cite des personnes équivalentes ayant réellement existé, tout en fustigeant à nouveau l'esclavagisme du Sud de manière plus agressive encore que dans le roman lui-même. Tout comme La Case de l'oncle Tom, A Key to Uncle Tom's Cabin eut également un grand succès. Il doit cependant être noté que, bien que Harriet Stowe prétendit que A Key to Uncle Tom's Cabin traitait des sources qu'elle avait consultées au moment d'écrire son roman, elle ne lut une grande partie des œuvres mentionnées qu'après la publication de celui-ci.
D'après le fils de l'auteur, lorsqu'Abraham Lincoln rencontra Stowe en 1862, il déclara : C'est donc cette petite dame qui est responsable de cette grande guerre. L'avis des historiens, Lesquels ? diverge sur la véracité de cette anecdote, et dans une lettre que Stowe écrivit à son mari quelques heures après avoir rencontré Lincoln on ne trouve mention nulle part de cette phrase. Par la suite, de nombreux spécialistes, considérèrent que le roman concentra la colère du Nord sur les injustices de l'esclavage et sur le Fugitive Slave Act, et attisa les ardeurs du mouvement abolitionniste. Le général de l'Union et politicien James Baird Weaver affirma que le livre le persuada de devenir actif au sein du mouvement abolitionniste.
La Case de l'oncle Tom souleva également un grand intérêt en Grande-Bretagne. La première édition londonienne parut en mai 1852 et se vendit à 200 000 exemplaires. Une partie de cet intérêt était dû à l'antipathie éprouvée par les britanniques envers les États-Unis. Comme l'expliqua un écrivain de l'époque, les sentiments que La Case de l'oncle Tom déchaîna en Angleterre n'étaient pas la vengeance ou la haine, de l'esclavage, mais plutôt une jalousie et une fierté nationale. Nous avons longtemps souffert de la suffisance de l'Amérique - nous sommes fatigués de l'entendre se vanter d'être le pays le plus libre et le plus éclairé qu'ait connu le monde. Notre clergé hait son système de volontariat - nos Tories haïssent ses démocrates - nos Whigs haïssent ses parvenus - nos radicaux haïssent ses manières procédurières, son insolence et son ambition. Tous les partis saluèrent Mme Stowe comme une insurgée au sein du camp ennemi. Charles Francis Adams, ambassadeur des États-Unis en Angleterre durant la guerre, affirma plus tard que La Case de l'oncle Tom, publié en 1852, exerça, grâce à des circonstances principalement fortuites, une influence sur le monde plus immédiate, plus considérable et plus spectaculaire qu'aucun autre livre jamais imprimé.
Le livre a été traduit dans plusieurs langues, y compris en chinois la traduction du roman par le traducteur Lin Shu fut la première traduction en chinois d'un roman américain et en amharité, la traduction datant de 1930 fut effectuée dans le but de soutenir les efforts de l'Éthiopie visant à atténuer les souffrances des Noirs. Le livre fut lu par tant de personnes que Sigmund Freud rapporta un certain nombre de cas de tendances sado-masochistes chez des patients, qui selon lui avaient été influencés par la lecture de scènes de La Case de l'oncle Tom où des esclaves se faisaient fouetter.
À partir de 1845, l'usage s'établit au Carnaval de Paris de baptiser pour la fête les Bœufs Gras qui défilent à la promenade du Bœuf Gras. Le nom est choisi en fonction des œuvres littéraires à succès du moment, ou en rapport avec des événements importants récents, ou une chanson à la mode. Le premier Bœuf Gras baptisé ainsi s'appelera Le Père Goriot. En 1853, l'immense succès remporté en France par La Case de l'oncle Tom fait que les trois Bœufs Gras qui défilent du 6 au 8 février sont baptisés du nom de héros de ce livre : Père-Tom, Shelby et Saint-Clare.

Impact littéraire et critique

La Case de l'oncle Tom fut le premier roman à teneur politique à être lu par un grand nombre de personnes aux États-Unis. À ce titre, il influença grandement le développement non seulement de la littérature américaine mais aussi de la littérature engagée en général. Un certain nombre de livres publiés après La Case de l'oncle Tom doivent beaucoup au roman de Stowe ; on peut citer en particulier La Jungle d'Upton Sinclair et Printemps silencieux de Rachel Carson.
Malgré son importance incontestable, La Case de l'oncle Tom est perçu par l'opinion populaire comme un mélange de conte pour enfants et de propagande. Le roman a également été décrit par nombre de critiques littéraires comme étant tout juste un roman sentimental, tandis que le critique George Whicher affirma dans son Histoire littéraire des États-Unis que Mme Stowe ou son ouvrage ne peuvent justifier du succès considérable du roman ; son talent en tant qu'écrivain amateur n'était en rien remarquable. Elle avait tout au plus une certaine maîtrise des stéréotypes en termes de mélodrame, d'humour et de pathos, et son livre est composé de ces éléments populaires.
D'autres critiques ont cependant fait l'éloge du roman : Edmund Wilson déclara que démontrer une telle maturité dans l'écriture de La Case de l'oncle Tom prouve une expérience étonnante. Jane Tompkins affirme que le roman est un classique de la littérature américaine et émet l'hypothèse que de nombreux critiques littéraires ont boudé le livre pour la simple raison qu'il fut extrêmement populaire en son temps.
En tant que chrétienne fervente et abolitionniste active, Stowe a par exemple introduit beaucoup de ses croyances religieuses au sein de l'histoire. Certains spécialistes Qui ? affirment que Stowe considérait que son roman offrait une solution aux dilemmes politiques et moraux qui troublaient de nombreux opposants à l'esclavage.
Les experts, Qui ? considèrent également que le roman véhicule les valeurs et les idées du Parti du sol libre. Dans cette optique, le personnage de George Harris personnifie le principe du travail libre, tandis que le personnage complexe d'Ophelia représente les nordistes qui toléraient un compromis avec l'esclavage. À l'opposé d'Ophelia est Dinah, qui agit de manière passionnée. Au cours du roman Ophelia se transforme, de la même manière que le Parti Républicain qui proclama trois ans plus tard que le Nord devait se transformer et défendre ses principes antiesclavagistes.
Des théories féministes peuvent également être vues à l'œuvre dans le livre de Stowe, le roman constituant une critique de la nature patriarcale de l'esclavage. Pour l'auteur, les liens formant la famille étaient avant tout les liens du sang plutôt que les relations paternalistes entre maîtres et esclaves. De plus, Stowe considérait la solidarité nationale comme une extension de la famille, le sentiment d'appartenir à une nation ayant donc ses racines dans le fait de partager une race. Par conséquent, elle prêchait la colonisation de l'Afrique pour les esclaves libérés et non leur intégration dans la société américaine.
Le livre a également été considéré, Par qui ? comme une tentative de redéfinition de la masculinité en tant qu'étape nécessaire vers l'abolition de l'esclavage. Dans cette optique, les abolitionnistes avaient commencé à rejeter la vision de l'homme agressif et dominant que la conquête et la colonisation du début du xixe siècle avaient mis en avant. Dans le but de modifier la notion de virilité de telle manière que les hommes puissent s'opposer à l'esclavage sans mettre en danger leur image ou leur place dans la société, certains abolitionnistes se rapprochèrent de principes tels que le droit de vote des femmes, la chrétienté ou la non-violence, et firent l'éloge de la compassion, de la coopération et de l'esprit civique. D'autres courants du mouvement abolitionniste prônaient une action masculine plus agressive et plus conventionnelle. Tous les hommes dans le roman de Stowe sont des représentants de l'un ou l'autre de ces courants.

Création et popularisation de stéréotypes

Au cours des dernières décennies, aussi bien lecteurs que spécialistes ont critiqué le roman pour ses descriptions racistes et condescendantes des personnages Noirs, en particulier en ce qui concerne leur apparence, leur manière de parler et leur comportement, mais aussi la nature passive de l'oncle Tom face à son destin. L'importance de la création par le roman de nouveaux stéréotypes ainsi que son usage de stéréotypes déjà existants est d'autant plus grande que La Case de l'oncle Tom fut le roman le plus vendu au monde au xixe siècle. En conséquence, le livre, ainsi que les images l'illustrant et les pièces de théâtre associées contribua grandement à implanter de manière permanente ces stéréotypes dans la mentalité américaine.

Parmi les stéréotypes de Noirs présents

dans La Case de l'oncle Tom se trouvent :

Le happy darky, incarné par le personnage paresseux et insouciant de Sam ;
Le mulâtre à la peau claire utilisé comme objet sexuel personnages d'Eliza, Cassy et Emmeline ;
La mammy à la peau noire, de nature affectueuse à travers plusieurs personnages, en particulier Mammy, une cuisinière à la plantation St. Clare ;
Le stéréotype de l'enfant Noir Pickaninny, personnage de Topsy ;
L'oncle Tom, ou afro-américain trop désireux de plaire aux Blancs personnage de l'oncle Tom. Stowe voyait Tom comme un héros noble. L'image de Tom représenté comme un imbécile servile s'inclinant devant les Blancs provient manifestement des adaptations scéniques du roman, sur lesquelles Stowe n'avait aucun contrôle.
Au cours des décennies récentes, ces associations négatives ont éclipsé de manière importante l'impact historique de La Case de l'oncle Tom en tant que outil antiesclavagiste vital. Ces changements dans la perception du roman prennent racine dans un essai de James Baldwin intitulé Everybody’s Protest Novel. Dans cet essai, Baldwin qualifie La Case de l'oncle Tom de très mauvais roman, racialement stupide et à l'esthétique grossière.
Dans les années 1960 et 1970, les mouvements du Black Power et du Black Arts attaquèrent le roman, affirmant que le personnage de l'oncle Tom se livrait à une trahison raciale et que Tom faisait apparaître les esclaves comme étant pires que les maîtres. Les critiques visant les autres stéréotypes présents dans le livre augmentèrent également durant cette période.
Ces dernières années cependant, des spécialistes tels que Henry Louis Gates Jr. ont commencé à réévaluer La Case de l'oncle Tom, affirmant que le livre est un document central dans les relations interraciales en Amérique et une importante exploration morale et politique des caractéristiques de ces relations.

Littérature anti-Tom

En réponse à La Case de l'oncle Tom, certains écrivains du Sud des États-Unis produisirent des livres destinés à combattre le roman de Stowe. Cette littérature, ainsi appelée littérature anti-Tom, était en général pro-esclavagiste, soutenant que les questions portant sur l'esclavagisme telles qu'elles étaient posées dans le livre de Stowe étaient trop sentencieuses et incorrectes. Les romans de ce genre présentaient généralement un maître blanc patriarcal et bienveillant et une épouse à l'âme pure, gouvernant tous deux des esclaves semblables à des enfants au sein d'une plantation à l'atmosphère familiale et bienveillante. Les romans sous-entendaient ou affirmaient ouvertement que les Afro-Américains étaient semblables à des enfants, incapables de vivre sans être directement supervisés par des Blancs.
Parmi les plus célèbres livres anti-Tom se trouvent The Sword and the Distaff de William Gilmore Simms, Aunt Phillis's Cabin de Mary Henderson Eastman et The Planter's Northern Bride de Caroline Lee Hentz, cette dernière ayant été une amie proche de Stowe lorsqu’elles vivaient toutes deux à Cincinnati. Le livre de Simms fut publié quelques mois après le roman de Stowe et contient un certain nombre de discussions contestant le livre de Stowe et sa vision de l'esclavage. Le roman de Caroline Lee Hentz, paru en 1854, lu par de nombreuses personnes à l'époque mais à présent largement oublié, présente une défense de l'esclavage à travers les yeux d'une femme du Nord, fille d'un abolitionniste, qui épouse un propriétaire d'esclaves du Sud.
Durant la décennie s'étendant entre la publication de La Case de l'oncle Tom et le début de la guerre de Sécession, entre vingt et trente livres anti-Tom furent publiés. Parmi ces romans se trouvent deux livres intitulés Uncle Tom's Cabin As It Is, l'un de W.L. Smith et l'autre de C.H. Wiley. Plus de la moitié de ces œuvres anti-Tom furent écrits par des femmes blanches, ce que Simms commenta en parlant de l'apparente justice poétique du fait qu'une femme du Sud réponde à la femme du Nord Stowe.

Adaptations Les Tom shows

Même si La Case de l'oncle Tom fut le livre le plus vendu du xixe siècle, à cette époque un nombre beaucoup plus important d'américains virent l'histoire sous forme de pièce de théâtre ou de comédie musicale que sous forme de livre. Eric Lott, dans son livre Uncle Tomitudes: Racial Melodrama and Modes of Production, estime qu'au moins 3 millions de personnes assistèrent à ces spectacles, ce qui représente dix fois les ventes du livre durant sa première année de parution.
Les lois de l'époque sur le copyright étant peu restrictives, des pièces de théâtre basées sur La Case de l'oncle Tom, appelées aussi Tom shows, commencèrent à apparaître alors que le roman n'était pas encore entièrement publié. Stowe refusa d'autoriser l'adaptation de son œuvre à cause de sa méfiance puritaine envers le théâtre, bien qu'elle finisse cependant par assister à la version de George Aiken et, selon Francis Underwood, fut charmée par l'interprétation par Caroline Howard du personnage de Topsy. Le refus de Stowe laissa le champ libre à nombre d'adaptations, certaines créées pour des raisons politiques et d'autres uniquement pour des raisons commerciales.
Il n'y avait à l'époque aucune loi sur le copyright international. Le livre et les pièces de théâtre furent traduits dans plusieurs langages ; Stowe ne reçut que peu d'argent et fut privée des trois quarts de ses revenus légitimes.
Tous les Tom shows semblent avoir incorporé des éléments de mélodrame et de minstrel show. Ces pièces variaient beaucoup dans leurs opinions politiques : certaines reflétaient de manière fidèle les vues antiesclavagistes de Stowe, tandis que d'autres étaient plus modérées, voire pro-esclavagistes. Beaucoup de productions présentaient des caricatures racistes et humiliantes des Noirs, tandis qu'un grand nombre d'entre elles utilisaient également des chansons de Stephen Foster, en particulier My Old Kentucky Home, Old Folks at Home, et Massa's in the Cold Ground. Les Tom shows les plus connus furent ceux de George Aiken et H.J. Conway.
Les nombreuses variantes théâtrales de La Case de l'oncle Tom dominèrent la culture populaire du Nord pendant plusieurs années au cours du XIXe siècle et les pièces étaient toujours jouées au début du XXe siècle.
L'une des variantes les plus originales et controversées fut Mickey's Mellerdrammer de Walt Disney, un film distribué par United Artists sorti en 1933. Le titre est une corruption du mot melodrama, mélodrame, destiné à évoquer les premiers minstrel shows, et le film est un court métrage mettant en scène les personnages de Disney, Mickey Mouse et ses amis, montant leur propre adaptation de La Case de l'oncle Tom.
Mickey était déjà de couleur noire, mais l'affiche du film le montre habillé et maquillé en blackface avec des lèvres orange proéminentes, des rouflaquettes blanches et abondantes faites en coton et des gants blancs, qui font à présent partie de son costume habituel.

Les adaptations : cinéma

1853 La Case de l'oncle Tom écrit par Dumanoir, Adolphe d'Ennery - Théâtre de l'Ambigu-Comique

La Case de l'oncle Tom a été adapté de nombreuses fois au cinéma. La plupart des adaptations cinématographiques furent réalisées à l'ère du cinéma muet, La Case de l'oncle Tom est d'ailleurs l'histoire la plus souvent filmée durant cette période. Ceci était dû à la popularité toujours grande à la fois du roman et des Tom shows, ce qui signifiait que le public était déjà familier avec les personnages et l'histoire, rendant ainsi les films sans paroles plus compréhensibles.
La première version de La Case de l'oncle Tom fut l'un des premiers longs métrages, bien que le terme long métrage désignait à l'époque une durée comprise entre 10 et 14 minutes. Sorti en 1903 et réalisé par Edwin S. Porter, le film était joué par des acteurs blancs déguisés en Noirs pour les rôles principaux et n'utilisait des acteurs Noirs qu'en tant que figurants. Cette version était similaire à beaucoup des premiers Tom shows et faisait figurer un grand nombre de stéréotypes sur les Noirs en faisant par exemple danser les esclaves dans n'importe quel contexte, en particulier à une vente d'esclaves.
En 1910, la Vitagraph Company of America produisit une adaptation réalisée par J. Stuart Blackton et adaptée par Eugene Mullin. Selon le Dramatic Mirror, ce film était une innovation marquée dans le domaine du cinéma et la première fois qu'une compagnie américaine faisait sortir un film en trois bobines. Jusque-là, les longs métrages de l'époque ne faisaient que 15 minutes de long et contenaient une seule bobine de film. Le film était joué par Clara Kimball Young, Marie Eline, Florence Turner, Mary Fuller, Charles Kent, Edwin R. Phillips, Flora Finch, Genevieve Tobin et Carlyle Blackwell.

Au cours des deux décennies suivantes, plusieurs autres adaptations cinématographiques virent le jour :

en 1910 : Uncle Tom's Cabin, film muet réalisé par Barry O'Neil, avec Frank Hall Crane et Anna Rosemond.
en 1913 : Uncle Tom's Cabin, film muet réalisé par Sidney Olcott, avec Miriam Cooper.
en 1913 : Uncle Tom's Cabin, film muet réalisé par Otis Turner, avec Margarita Fischer.
en 1914 : Uncle Tom's Cabin, film muet réalisé par William Robert Daly, avec Paul Scardon.
en 1918 : Uncle Tom's Cabin, film muet réalisé par J. Searle Dawley.
La dernière version muette est sortie en 1927. Réalisée par Harry A. Pollard, qui avait joué l'oncle Tom dans la version de 1913, ce film long de deux heures mit plus d'un an à être réalisé et fut le troisième film le plus cher de l'ère du cinéma muet avec un budget de 1,8 million de dollars. L'acteur noir Charles Gilpin, d'abord choisi pour le rôle-titre, fut renvoyé lorsque le studio trouva sa performance trop agressive. Le rôle de Tom échut ensuite à James B. Lowe. Une différence entre ce film et le roman est qu'après la mort de Tom, celui-ci revient sous la forme d'un esprit vengeur et affronte Simon Legree, avant de le mener à la mort. Les médias Noirs de l'époque firent l'éloge du film, mais le studio, craignant une réaction de la part du public blanc et sudiste, finit par couper au montage les scènes prêtant à controverse, en particulier la séquence d'ouverture du film où une mère est arrachée à son enfant lors d'une vente d'esclaves. L'histoire fut adaptée par Pollard, Harvey F. Thew et A. P. Younger, avec des titres de Walter Anthony. Le film était joué par James B. Lowe, Stymie Beard, Raymond Massey, Virginia Grey, George Siegmann, Margarita Fischer, Mona Ray et Madame Sul-Te-Wan.
Pendant plusieurs décennies après la fin du cinéma muet, la matière du roman de Stowe fut jugée trop sensible pour être à nouveau l'objet d'adaptations cinématographiques. En 1946, la Metro-Goldwyn-Mayer envisage de filmer l'histoire, mais arrête la production après des protestations de la part de la National Association for the Advancement of Colored People.
Une version en allemand, Onkel Toms Hütte, réalisée par Géza von Radványi, sort en 1965, avec Mylène Demongeot, O. W. Fischer, Herbert Lom. Elle fut distribuée aux États-Unis par Kroger Babb.

Télévision

En 1987 est diffusé Uncle Tom's Cabin, un téléfilm réalisé par Stan Lathan, avec Avery Brooks, Phylicia Rashad, Edward Woodward, Jenny Lewis, Samuel L. Jackson et Endyia Kinney.

Dessins animés

En plus des adaptations en film, des versions de La Case de l'oncle Tom virent le jour sous forme de dessins animés : Mellerdrammer 1933 de Walt Disney, où Mickey Mouse joue la pièce de théâtre déguisé en Noir ; Southern Fried Rabbit 1953 avec Bugs Bunny, où Bugs se déguise en oncle Tom et chante My Old Kentucky Home afin de traverser la ligne Mason-Dixon ; Uncle Tom's Bungalow 1937, un dessin animé des Warner Brothers supervisé par Tex Avery ; Eliza on Ice 1944, l'un des premiers dessins animés mettant en scène Mighty Mouse, produit par Paul Terry ; et Uncle Tom's Cabaña 1947, un dessin animé de 8 minutes réalisé par Tex Avery.

Héritage et influence au cinéma

La Case de l'oncle Tom a également influencé un grand nombre de films, en particulier Naissance d'une nation. Cette œuvre controversée, sortie en 1915, utilisait une cabane similaire à la maison de l'oncle Tom pour le point culminant de l'action, où des Sudistes blancs s'unissent à leurs anciens ennemis, des soldats Yankees pour défendre ce que la légende du film décrit comme leur origine caucasienne. Selon les experts, cette réutilisation d'une cabane familière aurait trouvé un écho auprès du public de l'époque.
Parmi les autres films influencés par La Case de l'oncle Tom ou utilisant le roman se trouvent Dimples, un film de 1936 avec Shirley Temple, Uncle Tom's Uncle, un épisode des Petites Canailles de 1926, son remake de 1932 intitulé Spanky, la comédie musicale de Rodgers et Hammerstein Le Roi et moi, dans laquelle un ballet intitulé Small House of Uncle Thomas est joué dans le style traditionnel du Siam et Gangs of New York, où les personnages de Leonardo DiCaprio et Daniel Day-Lewis assistent à une adaptation imaginaire de La Case de l'oncle Tom.


Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Posté le : 12/06/2015 19:34
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


René Char
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57675
Hors Ligne
Le 14 juin 1907 naît René Emile Char

à L'Isle-sur-la-Sorgue, Alias Capitaine Alexandre pendant la Résistance poète et résistant français, mort à Paris, à 80 ans, le 19 février 1988. Ses Œuvres principales sont : Arsenal en 1929, Le Marteau sans maître en 1934,Feuillets d'Hypnos en 1946, Fureur et mystère en 1948, La Parole en archipel en 1962. Il est de l'avis des critiques le dernier grand poète de la littérature française. Son entrée de son vivant dans la bibliothèque de la Pléiade, la diffusion de son œuvre en éditions de poche, des colloques et des hommages attestent de sa présence. Le questionnement incessant de la poésie comme pratique et son interrogation d'autres cantons de l'art, en particulier la peinture, établissent sa modernité. De Cloches sur le cœur 1928 à Éloge d'une soupçonnée 1988, sa voix et son succès se sont amplifiés. Des auteurs comme Dupin mais aussi Camus ont été influencés par lui ; des critiques, J.-P. Richard, J. Starobinski ont travaillé sur une œuvre dont la difficulté réelle naît d'une concentration extrême, quasi oraculaire et hermétique, du propos Plus que les mots essentiels. L'obscur y est de recherche.
Char naît avec le surréalisme son horizon pour cinq ans, qu'il rejoint à l'invitation d'Éluard. Il devient un élément d'un dispositif qui nourrit son sens physique Arsenal, 1929, son amour de la vérité, comportement et langage et le merveilleux cher au Manifeste de Breton. En 1930, il écrit avec ce dernier et Éluard Ralentir travaux. Il œuvre à la fondation de la revue le Surréalisme au service de la révolution. Mais plus encore que sa participation, les raisons de son éloignement du mouvement éclairent sa démarche personnelle. La surréalité du rêve – pourtant éclatante dans Artine 1930 – et plus encore sa systématisation, tout autant que la dictée de l'inconscient de l'écriture surréaliste ou le phénomène d'école lui sont, comme la gnose et l'urbanité, à peu près étrangers. S'il quitte sans éclat le groupe, dont il éclaire ainsi les dissensions internes, il n'en trahit pas les principes moraux et esthétiques la Lettre hors-commerce, 1947. Pas plus, il ne rompt avec l'esprit surréaliste, à qui il doit l'essentiel de sa voix, son goût du poème en prose et des éclairantes possibilités verbales.
Son écriture, qui sera désormais inséparable du cadre géographique provençal, sorte de terre natale du poème, dont les patronymes irriguent les textes ne se comprend pas sans son arrière-pays romantique.

En bref

Désormais classique – son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade en est le signe –, l'œuvre, haute, fraternelle, de René Char rayonnait depuis longtemps d'une illuminante obscurité : J'aime qui m'éblouit puis accentue l'obscur à l'intérieur de moi. La fascination qu'elle exerce semble naître d'une ouverture et d'un resserrement, de l'union paradoxale d'une parole chaleureuse et d'une écriture elliptique. Mots de grand vent, mais tirés d'une mine souterraine.
Le grand adolescent qui en 1925 suit les cours de l'École de commerce de Marseille est-il déjà René Char ? Et le vendeur de porte-à-porte qui place du whisky de bar en bar, et en même temps lit Villon, Vigny, Nerval ou Baudelaire, n'est-il pas déjà René Char – peut-être le plus grand poète du siècle ?
Les Char sont de purs Vauclusiens, vrais prolétaires. Le grand-père paternel, enfant trouvé, était plâtrier ; le père continua dans cette voie, passant lentement à un stade de petite industrie. Le grand-père maternel, républicain farouche, chahuta Gambetta en 1876. Double filiation jamais révoquée : le poète est en quelque manière artisan et toujours combattant.
S'impose d'abord l'irréfutable présence du poète : à la pointe du pessimisme lucide, sa parole élargit l'espace, redresse l'homme, d'autant plus souverain qu'il s'expose, vulnérable. Grand style d'une vie requalifiée, d'un marcheur noble naturellement et délié autant qu'il se peut. Si toute respiration propose un règne, la vigueur du souffle, l'ampleur de la foulée s'appuient sur le sol d'une écriture dense, d'une nuit nourricière, où les mots pèsent le poids d'une forte expérience terrestre, éclairent en gardant une réserve de sens. Vigoureusement affirmative et personnelle, cette poésie ne se croit pas tenue pour autant d'effacer ses ascendants : les présocratiques et Nietzsche lui montrent que pensée et poésie peuvent être consubstantielles ; Rimbaud, que la poésie n'atteint la vérité que dans le bond, l'accélération, l'en-avant ; le romantisme allemand, que la parole se qualifie dans une relation à l'inconnu qui ne le réduit pas à du connu.
Mais quelles que soient les dettes, c'est d'abord l'attention aiguë au devenir imprévisible, la force du lien à un lieu, la certitude d'un droit naturel qui fondent un amour et une morale, une physique de la poésie et une politique. Le lieu, c'est L'Isle-sur-la-Sorgue, où Char naît en 1907, où il passe une enfance buissonnière, entre les prêles de l'entre-rail et les gifles qui meurtrissent l'adolescent souffleté, se réfugiant dans la maison fabuleuse des demoiselles Roze, se mettant sous la protection des bons maîtres de la Sorgue, l'Armurier de Dieu et Louis Curel. Lieu qui incarne déjà la tension créatrice de la paroi et de la prairie : ici, la prairie qui prolonge le parc des Névons maternellement enchâssé par les bras des sorgues, verte rivière où l'éclair finit et où commence ma maison ; là-bas, la paroi, les monts de Provence, le Ventoux, les dentelles de Montmirail et, plus loin, les ruines des Baux ; à l'image de la fontaine de Vaucluse qui sourd de la paroi, la naissance nie violemment ce dont elle s'écarte : Nous regardions couler l'eau grandissante. Elle effaçait d'un coup la montagne, se chassant de ses flancs maternels. La nature morcelée, déniée, retrouvera ainsi ses droits dans le poème, non comme un décor, mais comme un influx, fond lumineux.
Au oui initial d'une existence, la mort du père en 1918 apporte un terrible contrepoint. Les Cloches sur le cœur 1928, poèmes d'adolescent, inscrivent l'épitaphe paternelle dans l'écriture, creusent mélancoliquement l'inanité de vivre. Arsenal 1929 et le Tombeau des secrets 1930 vont mettre en terre ce passé, commuer le deuil en secret fertilisant l'avenir. La mort peut désormais relancer la vie, la pierre funéraire devenir une pierre dressée à l'horizon, le plâtre du père – entrepreneur des Plâtrières de Vaucluse – essaimer en poussière fertile. De 1930 à 1934, Char traverse le surréalisme, reporte sa révolte naturelle sur un feu compagnon : Ralentir travaux 1930 est écrit à trois voix, avec Breton et Eluard. Artine, facettes oniriques d'un diamant noir, L'action de la justice est éteinte, Poèmes militants et Abondance viendra seront réunis en 1934 dans le Marteau sans maître. Ce vœu d'une révolution, enracinée dans la vie nocturne, bouleversant la vie sociale, se concrétise en images telluriques, alchimiques, d'un feu central, d'une « ère de cataclysmes et de séismes. La logique des alchimistes, échappant au principe d'identité, aide à nommer les confrontations attractives et répulsives des choses au sein du poème. Commencé sur l'abrupt meurtrier d'Arsenal, le recueil s'achève sur l'éclaircie des poèmes en prose d'Abondance viendra. Revenu à l'Isle, atteint par une grave septicémie, Char va, de 1934 à 1936, s'écarter du surréalisme ; Moulin premier 1936 fait le bilan et assainit les antagonismes : accord sur la valeur de la rencontre, du hasard, du merveilleux, désaccord sur l' automatisme, et crainte de voir la virulence surréaliste se diluer en phénomène culturel. L'angoisse devant la montée du nazisme marque les recueils suivants : Placard pour un chemin des écoliers 1937 met en parallèle son enfance protégée et le martyre des enfants espagnols, Dehors la nuit est gouvernée 1938 passe des espoirs du Front populaire, des ouvriers aliénés se redressant, tous compagnons de lit, à l'effroi d'une nuit que les monstres gouvernent déjà. Un temps René, encore entre deuil et enfance, entre deux eaux : J'avais dix ans. La Sorgue m'enchâssait. Le soleil chantait les heures sur le sage cadran des eaux. L'insouciance et la douleur avaient scellé le coq de fer sur le toit des maisons et se supportaient ensemble. Mais quelle roue dans le cœur de l'enfant aux aguets tournait plus fort, tournait plus vite que celle du moulin dans son incendie blanc ? la Parole en archipel.

Sa vie

René Émile Char est le cadet des quatre enfants issus des secondes noces, en 1888, d'Émile Char, négociant né en 1863 à L’Isle-sur-la-Sorgue, et de Marie-Thérèse Rouget, sœur de sa première épouse, Julia Rouget, morte en 1886 de tuberculose un an après leur mariage. À la naissance de René Char ses sœurs, Julia et Émilienne, ont dix-huit et sept ans, son frère Albert en a quatorze.
Son grand-père paternel, Magne Albert Char, dit Charlemagne, enfant naturel et abandonné, né en 1826 à Avignon, placé dans une ferme du Thor puis plâtrier à L’Isle-sur-la-Sorgue, avait épousé en 1848 Joséphine Élisabeth Arnaud, fille de meunier. Son grand-père maternel, Joseph Marius Rouget, maçon, avait en 1864 épousé Joséphine Thérèse Chevalier, née en 1842 à Cavaillon.
Son père Joseph Émile Magne Char, qui a abrégé son nom, est maire de L’Isle-sur-la-Sorgue à partir de 1905 et devient en 1907 administrateur délégué des plâtrières de Vaucluse. René Char passe son enfance aux Névons, la vaste demeure familiale dont la construction au milieu d'un parc venait d'être achevée à sa naissance, et où logent également ses grands-parents Rouget. Il bénéficie de l'affection de son père et est attaché à sa grand-mère paternelle, à sa sœur Julia, à sa marraine Louise Roze et sa sœur Adèle qui habitent une vaste maison au centre de la ville, mais subit le rejet hostile de sa mère, catholique pratiquante opposée aux idées politiques de son mari, et de son frère. La famille passe l'été dans une autre de ses propriétés, La Parellie, entre l'Isle et La Roque-sur-Pernes.
En 1913 René Char entre à l'école. Mordu en 1917 par son chien enragé, il est l'un des premiers à recevoir à l'hôpital de Marseille le vaccin mis au point par Pasteur. Après la mort de son père le 15 janvier 1918 d'un cancer du poumon, les conditions matérielles d’existence de la famille deviennent précaires. René Char se lie vers 1921 avec Louis Curel, cantonnier, admirateur de la Commune de Paris et membre du Parti communiste qu'il dépeindra sous le nom d'Auguste Abondance dans Le Soleil des eaux, son fils Francis, élagueur, Jean-Pancrace Nougier dit l'Armurier, il répare les vieux fusils qu'il évoquera dans Le Poème pulvérisé et qui sera lui aussi l'un des personnages du Soleil des eaux, les pêcheurs de la Sorgue et quelques vagabonds au parler poétique qu'il nommera plus tard les Transparents.
Bâti comme un colosse 1,92 m et impulsif, il joue passionnément au rugby qu'il pratique avec son ami Jean Garcin. Interne à partir de 1918 au lycée Mistral d’Avignon, il décide en 1923 de le quitter, après une dispute avec l'un de ses professeurs qui se moque de ses premiers vers. Il fait en 1924 un voyage en Tunisie où son père avait créé une petite plâtrerie, puis, en 1925, suit les cours de L'école de Commerce de Marseille, qui ne l'intéressent pas davantage. Il lit Plutarque, François Villon, Racine, les romantiques allemands, Alfred de Vigny, Gérard de Nerval et Charles Baudelaire mais aussi, vraisemblablement, Rimbaud, Mallarmé et Lautréamont, peut-être des poèmes d'Éluard. Après avoir travaillé à Cavaillon dans une maison d'expédition de fruits et légumes, il effectue en 1927 son service militaire dans l'artillerie à Nîmes, affecté à la bibliothèque des officiers. Il écrit alors une première critique, d'un roman d'André de Richaud, pour la revue parisienne Le Rouge et le Noir à laquelle il collabore jusqu'en 1929. En 1928 est publié aux éditions de la revue, grâce à l'aide financière de sa grand-mère qui meurt en décembre 1926, son premier recueil, Les Cloches sur le cœur, rassemblant des poèmes écrits entre 1922 et 1926, dont il détruira la plus grande partie des 153 exemplaires. Il publie également en revues un texte sur la ville d'Uzès en 1928 dans La Cigale uzégeoise et en 1929 un poème ancien dans Le Feu d'Aix-en-Provence1.

1929-1939

Au début de l'année 1929, René Char fonde à l'Isle-sur-la-Sorgue, aidé financièrement par le directeur de la maison d'expédition de Cavaillon où il avait travaillé, la revue Méridiens avec André Cayatte, rencontré lors de son service militaire, qui connaîtra trois numéros de mai à décembre. Dans le deuxième il publie une lettre inédite du maire de Charenton sur la mort de Sade, trouvée dans la bibliothèque des sœurs Roze, où il découvrira également treize lettres inédites de Sade, et une nouvelle largement autobiographique, Acquis par la conscience. En septembre, il envoie l'un des vingt-six exemplaires hors commerce de son second recueil, Arsenal, publié en août à Nîmes, à Paul Éluard qui vient lui rendre visite à l'automne à L’Isle-sur-la-Sorgue où il passe trois semaines. À la fin novembre, René Char arrive à Paris, rencontre Louis Aragon, André Breton, René Crevel et leurs amis, adhère au groupe surréaliste au moment où Desnos, Prévert et Queneau le quittent, et publie en décembre Profession de foi du sujet dans le douzième numéro de La Révolution surréaliste. Durant quatre ans il va collaborer aux activités du mouvement, dont il est en 1931 et 1932 le trésorier.
Le 14 février 1930 les surréalistes saccagent à Paris le bar Maldoror, lors d'une bagarre au cours de laquelle Char est blessé d'un coup de couteau dans l'aine. Il partage alors avec Éluard une vie, libre et fastueuse et c'est ensemble qu'ils rencontrent en mai 1930 Nush, Maria Benz, figurante sans travail et sans toit, qui vient habiter avec eux et épousera Éluard en 1934. Tandis qu'il lit les philosophes présocratiques et les grands alchimistes, Char publie une deuxième édition remaniée d'Arsenal, puis en avril 1930 à Nîmes Le Tombeau des secrets, douze photographies dont un collage de Breton et d'Éluard, légendées par des poèmes. Paraît simultanément, imprimé à Nîmes Ralentir travaux, d'après un panneau rencontré sur la route de Caumont-sur-Durance, poèmes écrits entre le 25 et le 30 mars en collaboration par Breton, Char et Éluard à Avignon et dans le Vaucluse et L'action de la justice est éteinte en juillet 1931.
Aragon, Breton, Char et Éluard fondent en juillet 1930 la revue Le Surréalisme au service de la révolution. Char revient régulièrement en Provence, durant l'été près de Cannes, et avec Nusch et Éluard s'embarque à Marseille, faisant escale à Barcelone pour séjourner à Cadaqués chez Salvador Dalí et Gala. Ses poèmes d'Artine paraissent en novembre aux Éditions surréalistes, chez José Corti, avec une gravure de Dalí. En février 1931 Éluard lui rend à nouveau visite à l'Isle avec Jean et Valentine Hugo et ils visitent Ménerbes et Gordes, Lacoste et Saumane dont les deux châteaux appartenaient à la famille du marquis de Sade. Char signe en 1931 les tracts surréalistes concernant le film L'Âge d'or réalisé par Dalí et Buñuel et attaqué par les ligues de droite, l'exposition coloniale et la situation politique en Espagne. L'héritage qu'il a reçu de son père dilapidé, Char loge en 1932 rue Becquerel dans l'appartement aménagé par Éluard pour Gala tandis qu'elle le quittait pour Dalí. Pendant l'été il voyage en Espagne avec Francis Curel et rencontre sur la plage de Juan-les-pins Georgette Goldstein qu'il épouse à Paris en octobre 1932, Éluard étant l'un des témoins. En 1933 janvier Char séjourne brièvement à Berlin avec Éluard et signe en mars un tract antifasciste. De juin à octobre 1933 le couple s'installe à Saumane. Durant l'hiver Char revient à L'Isle, loue au début de 1934 un appartement à Paris rue de la Convention, séjourne en février au Cannet, rentre à l'Isle en avril puis surveille à Paris, avec Georgette, l'édition chez José Corti, à 500 exemplaires, du Marteau sans maître, refusé par Gallimard, illustré d'une gravure donnée par Kandinsky. Au mariage d'Éluard le 30 août, Breton est son témoin, Char celui de Nush.
Char se détache à partir de décembre 1934 du groupe surréaliste : Le surréalisme est mort du sectarisme imbécile de ses adeptes, écrit-il dans une lettre à Antonin Artaud. Il demeure principalement à l'Isle l'année suivante mais va en février retrouver en Suisse Éluard et Crevel au sanatorium de Davos. En avril il accueille Tzara et sa femme Greta Knutson à l'Isle et les rejoint avec Éluard à Nice en septembre. Dans une lettre ouverte à Péret, il confirme le 7 décembre 1935 : J'ai repris ma liberté voici treize mois, sans éprouver en revanche le besoin de cracher sur ce qui durant cinq ans avait été pour moi tout au monde. Renonçant à son appartement parisien en mars 1936 il s'installe avec Georgette à l'Isle et est nommé en avril administrateur délégué de la société des Plâtrières du Vaucluse qu'avait dirigée son père, fonction qu'une septicémie le contraint rapidement à ne pas assumer et à laquelle il renoncera en mai 1937. Pendant sa convalescence qui dure plus d'un an, il lit dans la bibliothèque des sœurs Roze des ouvrages de D'Alembert, D'Holbach, Helvétius. Éluard et Man Ray viennent à l'Isle aider Char pour la préparation de Dépendance de l'adieu, avec un dessin de Picasso qu'Éluard lui a fait rencontrer, publié en mai par GLM à 70 exemplaires. À la fin du mois d'août Char s'installe pour quelques semaines à Céreste où il se lie avec maître Roux et ses quatre fils, puis séjourne au Cannet. En décembre GLM édite, avec l'aide financière d'Éluard, Moulin premier à 120 exemplaires. Éluard et Nush lui rendent visite au Cannet en janvier 1937. En août Char reçoit, avec Georgette, à Céreste le couple de surréalistes belges Louis Scutenaire et Irène Hamoir, dont il s'éprend4 et qu'il va rejoindre en septembre à La Haye où elle travaille à la Cour internationale de justice, liaison rapidement interrompue par son mari. À la fin de l'année il s'installe à nouveau avec Georgette à Paris, rue des Artistes. Placard pour un chemin des écoliers, édité en décembre, est dédié aux enfants victimes de la guerre d'Espagne. À travers sa correspondance avec Gilbert Lely, rencontré en 1934, naît une amitié qui se renforce l'année suivante lors de leurs promenades à Paris au square Saint-Lambert puis traversera les années de guerre. Dès février 1938 Char propose à Christian Zervos ses premiers écrits sur les peintres, Corot et Courbet. Cette même année il s'éprend d'une passion amoureuse, qui durera jusqu'en 1944, pour Greta Knutson, peintre d'origine suédoise de huit ans son aînée, séparée depuis l'année précédente de son mari, Tristan Tzara, passe avec elle le mois d'août dans le Luberon à Maubec où il commence d'écrire les poèmes, imprégnés de sa présence, du Visage nuptial. Avec Greta Knutson il découvre le romantisme allemand et particulièrement Hölderlin ainsi que la philosophie de Heidegger. En septembre il est mobilisé à Paris pour une dizaine de jours puis en 1939 à Nîmes comme simple soldat.

1939-1945

Pendant l’Occupation, René Char, sous le nom de Capitaine Alexandre, participe, les armes à la main, à la Résistance, école de douleur et d’espérance. Il commande le Service action parachutage de la zone Durance. Son QG est installé à Céreste Basses-Alpes. Les Feuillets d’Hypnos (repris en volume dans Fureur et mystère, ses notes du maquis, « sont calculés pour restituer l'image d'une certaine activité, d'une certaine conception de la Résistance et, d'abord, d'un certain individu avec sa multiplicité interne, ses alternances et aussi sa différence, qu'il est moins disposé que jamais à oublier [...] L'apparence fragmentaire du récit montre l'allergie de René à toute rhétorique, à ces transitions, introductions et explications qui sont le tissu intercalaire de tout corps de récit normalement constitué ; ne subsistent, séparées, que les parties vives, ce qui donne aux Feuillets un faux air de recueil d'aphorismes ou de journal intime, alors que la composition d'ensemble et même les annotations sont très calculées ... L'ensemble demeure une des images les moins convenues et les plus approfondies de ce que fut la résistance européenne au nazisme. Paul Veyne, René Char en ses poèmes
À ce recueil capital, il convient d'adjoindre les Billets à Francis Curel, datés des années 1941 à 1948 et recueillis dans Recherche de la base et du sommet. Compléments indispensables à la lecture des Feuillets d'Hypnos, ces documents éclairent de l'intérieur cette expérience fondatrice que fut pour Char celle de la Résistance : refus de publier durant l'Occupation, dénonciation du nazisme et de la collaboration française, interrogations aiguës et douloureuses sur son action et ses missions, prise de distance sitôt la guerre terminée.
Enfin, c'est en octobre 1945, à Paris, que René Char et Yves Battistini se rencontrent. Entre eux, c’est le début en amitié d’une longue conversation souveraine avec la philosophie grecque et la poésie.

1946-1988

L'après-guerre laissera Char profondément pessimiste quant à la situation politique française et internationale jusqu'à la fin de sa vie, comme en témoignent À une sérénité crispée et L’Âge cassant, repris en volume dans Recherche de la base et du sommet. Sous ce rapport, ses vues très lucides sont proches de celles d'Albert Camus dans L'Homme révolté, avec qui il entretiendra une indéfectible amitié.
Dans le cadre d'une exposition d'art moderne qu'ils organisent dans la grande chapelle du Palais des papes d'Avignon, Christian Zervos et René Char demandent à Jean Vilar, acteur, metteur en scène et directeur de théâtre, une représentation de Meurtre dans la cathédrale, qu'il a créé en 1945.
Après avoir refusé, Vilar leur propose en 1947 trois créations : La Tragédie du roi Richard II, de Shakespeare, une pièce méconnue en France, La Terrasse de midi, de Maurice Clavel, auteur alors encore inconnu, et L'Histoire de Tobie et de Sara, de Paul Claudel. C'est la naissance du Festival d'Avignon.
Le 9 juillet 1949, il divorce de Georgette Goldstein.
Durant les années cinquante et soixante, en dépit de brèves et malheureuses expériences dans le domaine théâtral et cinématographique, Char atteint sa pleine maturité poétique. Les plaquettes se succèdent : Les Matinaux, La Bibliothèque est en Feu, Lettera amorosa, Retour Amont, repris en volumes dans La Parole en Archipel et Le Nu perdu. Il éprouve également le besoin de rendre hommage aux poètes et aux peintres qui l'ont accompagnés et nourris, ceux qu'il nomme ses "grands astreignants" et ses "alliés substantiels" Recherche de la base et du sommet. Malgré son refus de toute forme de littérature engagée, René Char participe activement en 1966 aux manifestations contre l'installation des missiles à tête nucléaire sur le plateau d'Albion.
Outre la publication de quelques recueils d'importance, tels La Nuit talismanique qui brillait dans son cercle, Aromates Chasseurs et Chants de la Ballandrane, les deux dernières décennies voient la consécration officielle de la figure solitaire de René Char, symbolisée par la publication d'un Cahier de l'Herne en 1971 et, surtout, celle de ses Œuvres complètes dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade, en 1983.
En octobre 1987, il épouse Marie-Claude de Saint-Seine, une éditrice. Il meurt le 19 février 1988 d'une crise cardiaque.
L’Hôtel Campredon ou Maison René Char à L’Isle-sur-la-Sorgue propose au public une collection de manuscrits, dessins, peintures et objets d’art ayant appartenu à René Char jusqu'en décembre 2009. Depuis lors, cette situation pose avec acuité la question de la pérennité de l'œuvre du poète dans la ville et la recherche d'une nouvelle géographie de la mémoire.

L'énergie disloquante

Du front d'Alsace, qui introduira dans sa poésie la pénombre des forêts, la neige voluptueuse, Char passe vite à la Résistance, à Céreste, où il est de 1942 à 1944 le capitaine Alexandre, chef de secteur dans l'Armée secrète. La vie âpre, souterraine, des maquis des Basses-Alpes sera consignée dans les Feuillets d'Hypnos 1946 : affrontement de la mort et de la trahison, régression vers la vie des cavernes, plongée dans une nuit qu'éclaire seule la bougie de Georges de La Tour, amitié fantastique. Après la Libération, Seuls demeurent 1945, somme des temps de guerre, est suivi du Poème pulvérisé 1947, de Fureur et mystère 1948 et des Matinaux 1950 qui ont mission d'éveiller, de redonner chance, au sortir de la réclusion, aux mille ruisseaux de la vie diurne. Le théâtre sous les arbres introduit la vivacité d'une poésie orale qui plonge dans la tradition des conteurs provençaux, des Transparents vagabonds. Après 1950, la vie de Char, dans la proximité d'Yvonne Zervos, se fait plus invisible tout en s'enrichissant de rencontres essentielles : alliés substantiels, Braque, Staël, Miró, Vieira da Silva, philosophes et penseurs, Beaufret, Heidegger, Bataille, Camus, Blanchot. Des plaquettes publiées par Guy Lévis Mano et Pierre-André Benoit sont régulièrement réunies par Gallimard : La Parole en archipel 1962, Le Nu perdu 1971, La Nuit talismanique 1971, témoignage d'une époque d'insomnies habitées par des essais de peinture sur écorce ; Aromates chasseurs 1975 où la figure d'Orion tente de tracer un troisième espace, quand l'espace intime et l'espace extérieur sont subvertis, détruits ; Chants de la Balandrane 1977, Fenêtres dormantes et porte sur le toit 1979, où l'âpre dénonciation des « utopies sanglantes du XXe siècle alterne avec l'éveil des fenêtres des peintres ; dans Les Voisinages de Van Gogh 1985, le sentiment de la proximité de la mort rend une tendresse ravivée, pour saluer le monde dans ses plus minuscules éveilleurs : Maintenant que nous sommes délivrés de l'espérance et que la veillée fraîchit... bergeronnette, bonne fête ! Dans cette œuvre, le trésor des nuages, image paradoxale du poème le plus résistant, prend diverses formes : aphorismes qu'illimite la métaphore sans tutelle, poèmes versifiés au rythme du marcheur, poèmes en prose où le sujet s'intègre à une matière résistante, se noue à la syntaxe, théâtre sous les arbres où la parole allegée vole et s'échange. La poésie, prise entre fureur et mystère, entre la fragmentation d'une énergie disloquante, et la continuité de cette immensité, cette densité réellement faite pour nous et qui de toutes parts, non divinement, nous baignaient, gravite autour de quelques éléments centraux. Ainsi la contradiction, à l'œuvre dans la nature, l'histoire, la langue, anime la lutte des «oyaux adversaires, lampe et vent, serpent et oiseau ; cette exaltante alliance des contraires produit le soulèvement du réel qui permet au poète, passant et passeur, de franchir la haute passe ; aimantée par l'inconnu en-avant, qui éclaire et pulvérise le présent, cette poésie n'a cessé d'affirmer une contre-terreur, d'annoncer l'éclatement des liens de l'homme, emprisonné dans ses intolérances, de s'opposer à l'asservissement des sites par des fusées de mort. Impérieux et tendre, nuage et diamant, aussi attentif aux espaces cosmiques qu'au chant du grillon, le poème de l'appelant, toujours marié à quelqu'un, fonde une commune présence, un commun présent qui fait passer ensemble les êtres vers l'avenir, avec pour viatique l'espoir de l'inespéré.

L'œuvre


Le rapport vital à la nature mais aussi la conscience d'une blessure qui en sépare, la primauté de la figure féminine, Le verbe de la femme donne naissance à l'inespéré mieux que n'importe quelle aurore, l'exaltation de la liberté et, formellement, l'importance accordée à la métaphore, en sont des traits. La vérité sera désormais personnelle, à mesure que Char définit les responsabilités du poète, nouvel Atlas portefaix, celui-ci a désormais, et de manière toute hugolienne, charge d'âme. Sa poésie sera d'action, d'autant plus que, faisant suite à une grave crise personnelle qui n'est pas encore celle de la Parole en archipel 1962, la guerre est là. Sa participation physique aux années essentielles de la Résistance fait de lui, bien plus qu'Aragon ou Éluard, un poète engagé.
Le recueil central Fureur et Mystère, 1948, Char s'est interdit la publication pendant le conflit ne se sépare pas de l'écroulement du pays. Le poème rencontre l'action et met sa raison d'être à l'épreuve. Répondre par l'action à la tyrannie nazie est le premier des devoirs infernaux d'une poésie affectée par l'événement. Cette expérience transforme Char et sa pratique.
Maurice Blanchot, dans La Part du feu, observait que l'une des grandeurs de René Char, celle par laquelle il n'a pas d'égal en ce temps, c'est que sa poésie est révélation de la poésie, poésie de la poésie. Ainsi, dans toute l'œuvre de Char, l'expression poétique est la poésie mise en face d'elle-même et rendue visible, dans son essence, à travers les mots qui la recherchent. Il est hautement significatif que Char ait recueilli et publié une anthologie plusieurs fois augmentée de tout ce qui a trait explicitement dans son œuvre à la parole poétique : Sur la poésie. Sur le plan formel, sa poésie trouve son expression privilégiée dans l'aphorisme, le vers aphoristique, le fragment, le poème en prose, ce que Char nomme sa parole en archipel, si tant est que ces catégories littéraires soient pertinentes.

Dans L'Entretien infini, Blanchot se penche longuement sur cette question :

La parole de fragment n'est jamais écrite en vue de l'unité, même le serait-elle. Elle n'est pas écrite en raison ni en vue de l'unité. Prise en elle-même, en effet, elle apparaît dans sa brisure, avec ses arêtes tranchantes, comme un bloc auquel rien ne semble pouvoir s'agréger. Morceau de météore, détaché d'un ciel inconnu, et impossible à rattacher à rien qui puisse se connaître. Ainsi dit-on de René Char qu'il emploie la forme aphoristique. Étrange malentendu. L'aphorisme est fermé et borné : l'horizontal de tout horizon. Or, ce qui est important, important et exaltant, dans la suite de phrases presque séparées que tant de ses poèmes nous proposent - textes sans prétexte, sans contexte -, c'est que, interrompues par un blanc, isolées et dissociées au point que l'on ne peut passer de l'une à l'autre ou seulement par un saut et en prenant conscience d'un difficile intervalle, elles portent cependant, dans leur pluralité, le sens d'un arrangement qu'elles confient à un avenir de parole [...] Qu'on entende que le poète ne joue nullement avec le désordre, car l'incohérence ne sait que trop bien composer, fût-ce à rebours. Ici, il y a la ferme alliance d'une rigueur et d'un neutre. Les « phrases » de René Char, îles de sens, sont, plutôt que coordonnées, posées les unes auprès des autres : d'une puissante stabilité, comme les grandes pierres des temples égyptiens qui tiennent debout sans lien, d'une compacité extrême et toutefois capables d'une dérive infinie, délivrant une possibilité fugace, destinant le plus lourd au plus léger, le plus abrupt au plus tendre, comme le plus abstrait au plus vivace, la jeunesse du visage matinal

Albert Camus


Dans sa préface à l'édition allemande des Poésies de Char, parue en 1959, Albert Camus écrit :
Je tiens René Char pour notre plus grand poète vivant et Fureur et mystère pour ce que la poésie française nous a donné de plus surprenant depuis Les Illuminations et Alcools ... La nouveauté de Char est éclatante, en effet. Il est sans doute passé par le surréalisme, mais il s'y est prêté plutôt que donné, le temps d'apercevoir que son pas était mieux assuré quand il marchait seul. Dès la parution de Seuls demeurent, une poignée de poèmes suffirent en tout cas à faire lever sur notre poésie un vent libre et vierge. Après tant d'années où nos poètes, voués d'abord à la fabrication de bibelots d'inanité, n'avaient lâché le luth que pour emboucher le clairon, la poésie devenait bûcher salubre. [...] L'homme et l'artiste, qui marchent du même pas, se sont trempés hier dans la lutte contre le totalitarisme hitlérien, aujourd'hui dans la dénonciation des nihilismes contraires et complices qui déchirent notre monde [...] Poète de la révolte et de la liberté, il n'a jamais accepté la complaisance, ni confondu, selon son expression, la révolte avec l'humeur [...] Sans l'avoir voulu, et seulement pour n'avoir rien refusé de son temps, Char fait plus alors que nous exprimer : il est aussi le poète de nos lendemains. Il rassemble, quoique solitaire, et à l'admiration qu'il suscite se mêle cette grande chaleur fraternelle où les hommes portent leurs meilleurs fruits. Soyons-en sûrs, c'est à des œuvres comme celle-ci que nous pourrons désormais demander recours et clairvoyance.

Œuvres

Premières paroles, premiers poèmes
Quand René Émile Char naît le 14 juin 1907 aux Névons, la vaste maison familiale, au milieu d'un grand parc, Dans le parc des Névons / Les sauterelles dorment, qui vient d'être achevée à L'Isle-sur-la-Sorgue, il est le dernier des quatre enfants d'un mariage heureux. Sa sœur Julia a vingt ans de plus que lui. Son père est maire de L'Isle-sur-la-Sorgue depuis 1905 – et meurt peu avant la fin de la guerre, en janvier 1918 :
Ah ! lointain est cet âge.
Que d'années à grandir
Sans père pour mon bras !
le Deuil des Névons, la Parole en archipel

Recueils poétiques

Arsenal, 1929
Ralentir Travaux, 1930, en collaboration avec André Breton et Paul Éluard
Artine, 1930
Le Marteau sans maître, 1934
Placard pour un chemin des Écoliers, 1937
Seuls demeurent, 1945
Le Poème pulvérisé, 1945
Feuillets d'Hypnos, 1946
Fureur et Mystère, 1948 [Le volume contient Seuls demeurent, Feuillets d'Hypnos, Les Loyaux adversaires, Le Poème pulvérisé et La Fontaine narrative]
Le Soleil des eaux, 1949
Les Matinaux, 1950
L'Art bref suivi de Premières alluvions, 1950
À une sérénité crispée, 1951
Lettera Amorosa, 1952
Le Rempart de brindilles, 1953, illustré d'eaux-fortes de Wifredo Lam11
Recherche de la base et du sommet, 1955
En trente-trois morceaux, 1956
La Parole en archipel, 1952-1960, 1962
Dans la pluie giboyeuse, 1968
Le Nu perdu, 1971
Aromates chasseurs, 1976
Chants de la Balandrane, 1977
Fenêtres dormantes et porte sur le toit, 1979
Les Voisinages de Van Gogh, 1985
Éloge d'une soupçonnée, 1988.

Anthologies

René Char, Commune présence, Paris, Gallimard.
René Char, Dans l'atelier du poète. Choix de poèmes présentés dans le texte de leur publication initiale, appareil biographique et critique établi par Marie-Claude Char, Paris, Gallimard, coll. "Quarto", 1996 1064 p.

Œuvres complètes

René Char, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1983; édition revue en 1995. Introduction de Jean Roudaut.

Correspondance

René Char et Nicolas de Staël, Correspondance 1951-1954, éditions des Busclats, 2010.
Albert Camus & René Char, Correspondance 1946-1959, Paris, Gallimard, 2007, édition établie, présentée et annotée par Franck Planeille.
Cher ami, cher poète, lettres de René Char à Vadim Kozovoï, Paris, Po&sie, 2007, no 119, p. 7-39.
En 2008 se trouve dispersé à l'Hôtel Drouot de Paris un ensemble composé de livres dédicacés, de poèmes manuscrits dont onze poèmes inédits et de 521 lettres et cartes postales adressées entre 1951 et 1966 par René Char à Maryse Lafont, Paris, Catalogue Binoche-Renaud-Giquello, Claude Oterelo expert, 19 et 20 mai 2008, Hôtel Drouot, p. 48-54.
René Char et Raúl Gustavo Aguirre, Correspondance 1952-1983, Paris, Gallimard, 2014, traduction de l'espagnol par Michèle Gazier, édition établie par Marie-Claude Char, avant-propos de Rodolfo Alonso.



Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l





Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l




Cliquez pour afficher l



Posté le : 12/06/2015 19:29
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer



 Haut
« 1 ... 14 15 16 (17) 18 19 20 ... 60 »




Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

Connexion
Identifiant :

Mot de passe :

Se souvenir de moi



Mot de passe perdu ?

Inscrivez-vous !
Partenaires
Sont en ligne
60 Personne(s) en ligne (32 Personne(s) connectée(s) sur Les Forums)

Utilisateur(s): 0
Invité(s): 60

Plus ...