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Edwin Fisher
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Le 6 Octobre 1886 naît à Bâle en Suisse, Edwin Fisher

On ne résistera pas à l'envie d'appliquer à Edwin Fischer la définition que Romain Rolland donnait de la sonate Appassionata de Beethoven :
"un torrent de feu dans un lit de granite" .
Peu auront su en effet conjuguer comme lui la passion la plus brûlante avec une rigueur humblement acceptée. Possédé de la divine ivresse que donne la liberté, Edwin Fischer emplit ses interprétations d'une vie tour à tour débordante et sereine.
Bach y retrouve son souffle puissant, Mozart son fragile équilibre entre larmes et rires, Beethoven cet élan dramatique qui n'appartient qu'à lui. Avec Edwin Fischer, c'est dans le mouvement que s'éveille la musique.

Edwin Fischer naît à Bâle, en Suisse, le 6 octobre 1886. La famille est musicienne : le père, hautboïste à l'orchestre municipal de Bâle, s'adonne avec passion à la musique de chambre comme altiste dans un quatuor à cordes.
Dès ses quatre ans, Edwin Fischer aborde l'étude du piano et entre à dix ans (1896) au Conservatoire de sa ville natale. Il y travaille, jusqu'à la mort de son père en 1904, avec Hans Huber.
Il s'installe alors à Berlin. Il entre au conservatoire Stern, où il étudie avec Martin Krause (1904-1905). Âgé à peine de dix-neuf ans, il est jugé digne d'y enseigner, ce qu'il fera jusqu'à la Première Guerre mondiale (1905-1914).
Eugen d'Albert guide de ses conseils ses premiers pas dans la carrière de soliste. Après avoir débuté en accompagnant le chanteur Ludwig Willner, il se produit en récital et, pour les concertos, trouve les plus grands chefs comme partenaires : Nikisch, Weingartner, Beecham, Walter, Mengelberg, Furtwängler.
Depuis toujours, cependant, la direction d'orchestre le passionne, de même que le fascine ce répertoire orchestral et concertant du XVIIIe siècle sur lequel pèse une fausse tradition d'ennui et dont l'esprit échappe à ses contemporains.
Alors, parallèlement à une carrière instrumentale qui continue à se développer, Edwin Fischer se lance dans celle de chef, qui lui permet de redonner vie, avec des formations aux effectifs enfin appropriés, à Bach, Mozart ou Haydn.
Cela à la tête du Musikverein de Lübeck (1926-1928) et du Bachverein de Munich (1928-1932), avant qu'il ne fonde son propre orchestre de chambre à Berlin. Le premier, il renoue avec les habitudes de Mozart et dirige de son clavier l'orchestre qui accompagne les concertos de l'époque classique. En 1930 — imagine-t-on plus belle succession ? — il prend la suite d'Artur Schnabel à la Musikhochschule de Berlin et l'assume jusqu'en 1939.
En 1942 il se réfugie en Suisse, où il fonde un trio fameux avec Enrico Mainardi (violoncelle) et Carl Flesch (violon) ; ce dernier y sera successivement remplacé par Karl Kulenkampf et Wolfgang Schneiderhan.
Malgré une célébrité croissante qui ne lui est venue que sur le tard, il se consacre essentiellement à l'enseignement à partir de 1945 et donne à Lucerne des cours d'interprétation très suivis.
Parmi ses principaux élèves, il convient de citer Alfred Brendel, Paul Badura-Skoda et Reine Gianoli. Il crée à cette époque une fondation pour aider les jeunes musiciens et s'investit beaucoup dans l'édition des œuvres pour clavier de Bach, des sonates pour piano de Mozart et de celles pour piano et violon de Beethoven.
Le génie vit mal la tranquillité des habitudes.
Resterait-il aussi présent dans nos mémoires sans cet engagement total de soi, sans ces risques pris parfois au-delà du raisonnable mais sans lesquels peut-être le charme sous lequel il nous tient se serait depuis longtemps éventé ? Interprète romantique, il l'est avec fougue et poésie.
Témoins ces Schubert à l'énergie rayonnante, ces Beethoven qu'il nous jette à la figure comme autant de provocations, ce Deuxième Concerto pour piano de Brahms avec Furtwängler où, au-delà d'une avalanche d'accrochages techniques — il s'agit, il est vrai, d'un concert public à une époque où le triomphe de l'esprit s'embarrassait peu des contraintes de l'exactitude — se dessine un prodigieux talent d'architecte.
Romantique certes, mais pas seulement. Bach fut la passion de toute une vie. Le premier, il ose l'enregistrement intégral du Clavecin bien tempéré — considéré jusque-là comme un simple exercice didactique et digital — ainsi que celui des concertos pour clavier.
Et il l'aborde avec une clarté, une liberté de ton si extraordinaires que, depuis les années trente, il s'impose encore à nous avec une souveraine évidence que les modes successives n'ont pas réussi à brouiller.
Mais s'il fallait choisir le plus précieux dans ce somptueux héritage, ce serait sans doute sa vision des concertos pour piano de Mozart. Un Mozart dont il préserve miraculeusement la sveltesse du romantisme pesant dont on l'avait trop souvent affublé, un Mozart grave avec pudeur ou gai jusqu'au fou rire, un Mozart dont la secrète déchirure teinte en mineur la virtuosité la plus brillante, un Mozart qui, sans lui, nous serait certainement moins proche.
Bien peu depuis Edwin Fischer — seuls sans doute une Clara Haskil ou un Rudolf Serkin — ont su nous y offrir ce bouleversant mélange d'humaine chaleur et de perfection divine.

Quand il meurt à Zurich, le 24 janvier 1960, il nous laisse deux ouvrages — Jean-Sébastien Bach (1949) et Considérations sur la musique (1951) — ainsi que quelques partitions : des lieder, des œuvres pour piano et la transcription pour cet instrument de pages de Mozart.

Liens

http://youtu.be/ajo3Y0xtFXo Edwin Fischer - Brahms Piano Concerto No 2, 1rst mvt
http://youtu.be/chhPa2LniBE Mozart 20 Beethoven 5
http://youtu.be/fc78baFyMOs Great Pianists play Beethoven Opus 111 - Edwin Fischer
http://www.youtube.com/watch?v=Z3r8Gl ... e&list=PL70703ACC6EAE6CC8 6 vidéos


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Posté le : 05/10/2013 22:05
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page du 28 Septembre, Le Tintoret, Le Caravage, F.Boucher, Cervantès, Paul Féval,Antonioni
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Texte à l'affiche :
" Tiare Nui de MUSLOCH " 




Le 29  Septembre 1518 naît Le TINTORE


Le 29 Septembre 1547 naît 
Miguel  CERVANTES

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Le 29 Septembre 1912 naît  Michelangelo ANTONIONI
Lire ICI

 



Aujourd'hui Dimanche 29 Septembre  2013
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 Nouveau  vos rendez-vous hebdomaires :

*Bacchus sa tribune : quand sa lyre délire

*Emma "dos à dos" sa chronique d'jeuns
*Iktomi "chef-d'oeuvre, pas chef-d'oeuvre ?

*Les bons mots de la semaine de Grenouille
*La pensée de la semaine de Grenouille

" On ne se dèbarasse pas d'une habitude en la flaquant par la fenêtre, il faut lui faire descendre les escaliers marche par marche ..."   ( Mark Twain )


Le 29 Septembre 1571 naît Le CARAVAGE
Lire ICI



Le 29 Septembre 1793 naît François BOUCHER
Lire ICI



Le 29 Septembre 1816 naît Paul FEVAL 
LIre
ICI



*Emma vous propose :

Je voudrais proposer un recueil de texte collectif d’environ une centaine de pages à partir des textes publiés sur ce site en 2012. Recueil sous forme d’un fichier PDF (et même en version imprimée, si ce projet en intéresse certains ?)
Pour donner votre choix de texte c'est ICI

            ---*ATELIER CONCOURS
*--

        *Cliquez ici pour rejoindre Couscous 
                   dans son nouveau défi 

         Lucinda vous pose deux questions :
         *Pourquoi le mensonge ?
         *pourquoi avons-nous besoin des autres ?                                               
                                                            
        
 


      
     




Posté le : 05/10/2013 20:39
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Le Corbusier 1
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Le 6 Octobre 1887 à la chaux de Fonds naît Charles-Édouard Jeanneret-Gris dit Le Corbusier

Architecte du mouvement modrene, courant puriste, brutaliste; il est aussi, unrbaniste, deisgner, décorateur, dessinateur, peintre, sculpteur, technicien du béton, conférencier, écrivain, et émailleur sur tôle,
Il est Influence à l'époque par Henri Sauvage, Eugène Grasset, Tony Garnier, Il Découvre les architectes du Werkbund

"Le Corbusier, ce théoricien, cet artiste, dont on ne parviendra jamais, je crois, à dire à la fois assez de mal et assez de bien" : l'opinion de Pierre Francastel dans Art et technique résume bien les sentiments étonnamment contradictoires que suscitent l'œuvre et la personnalité de Le Corbusier. Aux yeux du grand public, celui-ci symbolise à lui seul l'architecture contemporaine, et on le tient pour responsable, en bien comme en mal, de toute la production moderne – dont il a été à la fois l'ardent stimulateur par une activité incessante de polémiste et de théoricien et le visible porte-drapeau.
Artiste vedette, Le Corbusier a bien eu une personnalité de leader, prenant à son compte et à sa charge les ambitions d'une époque et leur assurant une continuelle publicité. Personnalité provocante : cet homme que les militants d'extrême droite qualifiaient si aisément de bolchevik était membre d'une organisation fasciste ; cet artiste tenant du "fonctionnalisme", dont il prêchait chaque jour les vertus, était rien moins que fonctionnaliste dans son architecture, où la dimension poétique atteint souvent au lyrisme. Mais c'est justement par ces aspects contradictoires d'une personnalité aussi envahissante que déconcertante que Le Corbusier – à la fois comme homme et comme artiste – s'est assuré une place prééminente dans l'histoire de l'architecture du xxe s.
Voyages et rencontres
Le Corbusier a connu de grands rivaux, déclarait André Malraux dans son hommage posthume à l'architecte en 1965, mais, ajoutait-il, aucun n'a signifié avec une telle force la révolution de l'architecture, parce qu'aucun n'a été si longtemps, si patiemment insulté. » Architecte, urbaniste mais aussi peintre, ensemblier, sculpteur avec Joseph Savina (1901-1983) et créateur de tapisseries, Le Corbusier se passionne pour tous les moyens d'expression. À la fin des années quarante, il inventa le Modulor, un nouveau système de mesure qui se voulait la synthèse entre les principes de compositions modulaires et ceux de la section d'or. Ses meubles, créés avec Charlotte Perriand (1903-1999), sont encore édités par le designer italien Cassina. Militant infatigable, il intellectualise chaque expérience et la traduit non dans un langage abscons et prétentieux, mais dans des termes accessibles à tous. Cette clarté servie par un sens inné de la formule, proche du slogan publicitaire, possède une efficacité que l'on retrouve intacte dans la cinquantaine de livres qu'il publie de 1912 à 1966. À ce titre, il fut le premier architecte médiatique du XXe siècle et certainement le plus médiatisé.
C'est l'un des principaux représentants du mouvement moderne avec, entre autres, Ludwig Mies van der Rohe, Walter Gropius, Alvar Aalto et Theo van Doesburg.
Le Corbusier a également œuvré dans l'urbanisme et le design. Il est connu pour être l'inventeur de l'unité d'habitation , concept sur lequel il a commencé à travailler dans les années 1920, expression d'une réflexion théorique sur le logement collectif. L’unité d’habitation de grandeur conforme nom donné par Le Corbusier lui-même ne sera construite qu'au moment de la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, en cinq exemplaires tous différents, à Marseille, Briey-en-Forêt, Rezé, Firminy et Berlin. Elle prendra valeur de solution aux problèmes de logements de l'après-guerre. Sa conception envisage dans un même bâtiment tous les équipements collectifs nécessaires à la vie — garderie, laverie, piscine, école, commerces, bibliothèque, lieux de rencontre.
Sommaire

Biographie

Charles-Édouard Jeanneret est, par son père, le descendant d'une lignée d'artisans, protestants émigrés du sud-ouest de la France, et par sa mère, de famille d'industriels essentiellement horlogers de Suisse, du nord de la France et de la Belgique. Parmi ces derniers, le patronyme belge "Corbésier" influencera un des divers noms de plume dès 1920 utilisés dans la rédaction de L'Esprit nouveau, l'unique revue du courant puriste qu'il anime avec Ozenfant. Il semble que ce soit le totem indien du corbeau ou Corbu qui transforme ce nom en Le Corbusier.
Ne s'agit-il pas à l'évidence d'un surnom collectif, pour le collectif de l'Esprit nouveau ?

1900-1916 Formation, premières réalisations et voyages

En 1900, Charles-Édouard entame une formation de graveur-ciseleur à l'école d'art de La Chaux-de-Fonds dans le Jura suisse. Il suit les traces de son père, émailleur de cadran et chef d'une petite entreprise spécialisée dans une filière spécifique de l'industrie horlogère jurassienne, en particulier la confection de montres et des boitiers qui les protègent.
L'élève-artisan réalise sa première gravure à quinze ans, obtenant une première récompense à l'exposition des arts décoratifs de Turin en 1902. Mais l'évolution catastrophique de sa vue – il ne voit que d'un œil – ne lui permet plus d'envisager la poursuite de cette formation, encore moins d'espérer faire carrière. Charles-Édouard désire devenir artiste peintre. Le professeur de dessin, directeur de l'école, Charles L'Eplattenier, émule de l'Art nouveau, l'accueille dans son cours de dessin d'art, mais, ne percevant pas son talent, le dirige vers l'architecture et la décoration en 1904. Il l'invite avec deux autres élèves à participer à la réalisation d'une maison sous l'égide de l'architecte Chapallaz, en particulier la décoration de sa première villa à l'âge de dix-sept ans.
Dès 1909, au terme d'un voyage de fin d'étude en Italie, en Autriche, avec retour par l'Allemagne du Sud et la France de l'Est, il visite Paris et rencontre Eugène Grasset, architecte spécialiste de la décoration dont le livre a constitué la base de sa formation d'architecte-décorateur, il n'en a pourtant pas le diplôme.
Sur les conseils d'Eugène Grasset, il apprend les premiers rudiments du dessin technique concernant l'architecture en béton armé en travaillant quelques mois à Paris comme dessinateur chez les frères Perret, industriel du bâtiment spécialisé dans des constructions techniques en France. Il rencontre le dernier fils de la fratrie qui est l'architecte de la maison par nécessité, Auguste Perret.
En 1910, il est chargé, en tant que jeune professeur, par son école d'art d'une mission d'étude sur l'évolution des rapports entre industrie et arts du bâtiments en Allemagne. Au terme des rencontres et des colloques prévus, il gagne Berlin et se fait embaucher quelques mois comme dessinateur dans la grande agence dirigée par Peter Behrens. Il est un simple collègue, parmi d'autres dessinateurs ou architectes novices embauchés, de Ludwig Mies Van Der Rohe et Walter Gropius. Ses gains salariaux lui permettent d'accompagner vers la Roumanie et la Grèce son copain Klipstein qui prépare une thèse sur le peintre Le Gréco.
Le Corbusier, dans une publication posthume intitulée Voyage d'Orient, relate ce lent périple, tantôt à pied, tantôt en voiture, tantôt en train, tantôt en bateau, entamé en mai 1911 par celui qui est encore Charles-Édouard Jeanneret. Voici Prague, Vienne, Budapest, Istanbul, jusqu'à Athènes en Grèce.
Voici aussi les fascinants paysages du Danube et des Balkans avant les rivages de la mer Égée. Tout particulièrement il est captivé par les maisons traditionnelles de Roumanie et de Bulgarie, les formes architecturales d'Istanbul, les ruines blanches de l'Acropole, la conception des monastères perchés du nord de la Grèce, en particulier du mont Athos. Le voyage inspire sa première philosophie d'architecte. Il décide de rentrer en revoyant l'Italie qu'il apprécie depuis son premier voyage, Pise, Florence, le monastère d'Ema en Toscane et nombre de villes chargées d'histoire et d'œuvres d'art en Italie.
Durant ce voyage, il remplit six carnets de dessins dont il se servira à de nombreuses reprises pour illustrer ses propos et ses publications. Il écrit aussi déjà des textes sur sa pérégrination à destination des journaux de sa ville natale.
De retour à La Chaux-de-Fonds, le jeune professeur s'engage dans la rénovation de son école, elle échoue et il démissionne début 1914. Il s'empresse de passer l'examen fédéral de dessinateur, pour ne pas être sans diplôme officiel.
Après quelques missions d'expert décorateur du bâtiment auprès des instances fédérales helvétiques, il décide de s'établir librement comme architecte. Il a déjà construit la villa Jeanneret-Perret, plan de 1912, dite Maison Blanche, pour ses parents, même si l'industriel Favre-Jacot, effrayé du retard et du dépassement du coût prévu, lui a retiré la réalisation de sa villa au profit de l'architecte Chapallaz.
Avant le début des hostilités en 1914, il visite l'exposition du Werkbund à Cologne. Il en revient avec un projet de cité-jardin pour La Chaux-de-Fonds. Les terribles destructions de Reims au début du conflit mondial stimule son imagination pour reconstruire la ville, avec le système Dom-Ino.
Malgré un lancement publicitaire intense, l'agence d'architecture Jeanneret vivote et son architecte est contraint d'exercer son œil exercé de décorateur dans de menus services plus lucratifs, par exemple comme employé saisonnier dans le commerce de meubles d'occasion venant de France pendant la Guerre. En 1916, il construit la villa Schwob, dite aussi villa Turque .
Mais, soucieux de bien construire, il dépasse le prix du devis de construction. De multiples tracas exaspèrent le jeune architecte, les fuites dans la toiture en béton dont il a revêtu un cinéma de La-Chaux-de-Fonds et les impayés de son agence. Mais, en 1917, le jeune architecte végétant sans véritable clientèle rêve de participer à la reconstruction de la France dont il anticipe la victoire. Il a des projets plein la tête, pour (re)construire en série et à faibles coûts dans un grand pays.
Paris est aussi une capitale de l'art et de la culture, il y a étudié avec joie en 1910, mais il n'a pas rencontré les milieux artistes. Dès qu'il le peut, l'apprenti architecte presque trentenaire, artiste dans l'âme, fasciné par les machines et la vitesse, s'engage à transférer son petit cabinet d'architecte à Paris.

1917-1925 : L'aventure artistique du Purisme

Dès 1917, il habite rue Jacob à Paris. Il fonde rue d'Astorg un premier atelier d'architecture, inscrit au registre administratif sous le nom de société d'entreprise industrielle et d'étude. Auguste Perret le présente aussitôt à Amédée Ozenfant, qui l'initie à la peinture à l'huile. Ensemble, ils jettent les bases en 1918 du purisme, courant artistique proposant un retour à l'ordre, opposé aux dérives de l'art avant la déflagration mondiale, en particulier stigmatisant le cubisme, lire les propos acides sur le cubisme dans le livre manifeste Après le cubisme , 1918 ou les excès futuristes.
Il expose ses deux premières toiles galerie Thomas avec celles d'Ozenfant. La peinture doit être pure, autant au niveau de la morale que par sa simplicité. L'art a vocation à être rationnel, l'abstraction fruit d'une application ordonnée et rigoureuse appelle un langage normalisé de forme géométrique élémentaire, des constructions proscrivant a priori la figuration humaine, acceptant des couleurs types. L'art doit engendrer un émoi vibrant et réveiller l'esprit avec sobriété.
L'exubérance et surtout l'exhibitionnisme sont condamnés.
L'émotion et les sens sont intimement rapprochés par la saisie intellectuelle. C'est ce qui frappe d'emblée ceux qui découvrent l'explication corbuséenne avec la réalisation concrète. Naît ainsi une gamme de sentiments de pensée, qui n'est pas sans correspondance avec l'effet de la musique.
Pourtant l'avant-garde créatrice ne permet pas à Charles-Édouard de vivre décemment. C'est pourquoi il travaille dès qu'il le peut en tant que dessinateur pour l'entreprise de bâtiment des frères Perret.
Il multiplie les fonctions précaires de responsables techniques ou d'agent administratif dans l'industrie du bâtiment. Au sortir de la guerre, en 1919, il devient même directeur d'une entreprise de matériaux en banlieue parisienne. Mais celle-ci fait rapidement faillite.
Les deux compères rejoints par un ami poète définissent le sens du nouveau mouvement d'avant-garde qu'ils inventent en détail dans leur revue L'Esprit Nouveau dès 1920. Très vite, pour remplir les colonnes vides de la revue à diffusion confidentielle, le peintre actif et écrivain prolixe Jeanneret s'échine à rédiger de nombreux articles manifestes sur l'homme moderne : "Les œuvres sont rendues lisibles par des formes simples et dépouillées, organisées en constructions ordonnées, génératrices d'harmonie."
C'est au lancement de cette revue en 1920 qu'il utilise pour la première fois son pseudonyme Le Corbusier, qui est une adaptation du nom de son ancêtre du côté maternel « Lecorbésier », d'origine albigeoise5. Il continue quand même à utiliser son nom pour signer certains de ses articles dans cette même revue de façon à faire diversion sur le nombre théorique de contributeurs.
Ozenfant expose quelques toiles dans le Pavillon de l'Esprit nouveau, éphémère construction de Le Corbusier à l'occasion de l'Exposition internationale des Arts décoratifs, Expositions universelles de Paris en 1925.
Mais déjà, Charles-Edouard Jeanneret accaparé par les créations architecturales ou d'équipement du logis, comme par les violents polémiques sur l'architecture moderne et l'art décoratif fréquente avec plus de réticence le peintre Ozenfant. Il ne dévoile plus sa peinture au public et Ozenfant juge mal son évolution picturale, cette phase de réaction poétique qui le rapproche des productions d'un Léger et d'un Picasso auxquels il accorde une amitié durable, bientôt suivie d'une attirance vers le saugrenu message surréaliste.
Ne prend-il pas les objets trouvés, coquillages, bois, os, fossiles, cailloux, pommes de pins pour composer ses tableaux de collages ? Et ces dessins commencent à rechercher les courbes sensuelles du corps féminin ? La brouille entre les créateurs du purisme s'enfle ainsi irrémédiable après 1925.


1922-1931 Au temps des villas blanches

En 1922, la venue à Paris de son cousin, le jeune architecte et futur designer Pierre Jeanneret lui permet de trouver un solide associé pour relancer son activité d'architecte, son entreprise rue d'Astorg ayant fait faillite l'année précédente. Les deux cousins suisses installent leur agence commune au premier étage dans un long couloir de 50 mètres, soustrait à la partie supérieure d'un ancien vaste cloître d'un couvent jésuite, c'est l'atelier 35 S rue de Sèvres qui restera l'unique atelier architectural de Le Corbusier sa vie professionnelle durant. Pour faire connaître leur agence, Charles-Édouard publie dans un livre une sélection des textes sur l'architecture parus dans la revue puriste, signée Le Corbusier. Le livre anti-académique, farouchement contre le décor dégradant la forme et les cinq ordres de l'architecture pontifiante, est un succès éditorial qui surpasse l'aura avant-gardiste de la revue puriste.
La décennie 1920-1930 le voit réaliser un ensemble remarquable de projets de villas, d'ateliers ou d'habitations manifestes, construites ou non, où l'on voit se formaliser les éléments du langage architectural corbuséen. On peut citer en une liste non exhaustive :
le projet de ville contemporaine de trois millions d'habitants, présenté au salon d'Automne à Paris en 1922,
la Villa Ker-Ka-Ré aussi appelée Villa Besnus, à Vaucresson, sa première réalisation française livrée en 1923 à un couple de rentiers retraités.
la maison-atelier Ozenfant pour son ami peintre, à Paris, également livré en 1923
les six maisons ouvrières réalisées à Lège à l'invitation de l'industriel bordelais Henri Frugès.
la Villa Le Lac à Corseaux au bord du lac Léman, commandée par ses parents, construite en 1924. Sa mère y réside seule trente années, après la disparition du père avant la fin des années vingt.
la villa La Roche (1923-1925), pour le collectionneur et banquier Raoul La Roche. Le bâtiment comprend un appartement destiné à la famille de son frère pianiste, Alfred Jeanneret. Elle est l'actuelle Fondation Le Corbusier, à Paris.
les ateliers des sculpteurs Lipchitz-Miestchaninoff, livrés en 1925 à Boulogne-sur-Seine
la réalisation en 1925 du Pavillon de l'Esprit nouveau, à l'occasion de l'Exposition internationale des Arts décoratifs (Expositions universelles de Paris),
le projet du Plan Voisin pour Paris en 1925,
la Cité Frugès à Pessac est composé de 50 logements dans le quartier moderne de Pessac, commandés en 1924 par le promoteur Henri Frugès et construits en 1926. L'absence de viabilisation du quartier entraîne la faillite du promoteur.
la maison du peintre René Guiette à Anvers en 1926,
la villa du couple Ternisien, musiciens et artistes, à Boulogne-Billancourt, achevée en 1926.
Cette série culmine avec plusieurs études et(ou) réalisations remarquables entre 1927 et 1929:
Deux unités d'habitations dans la cité expérimentale du Weissenhof, conçue en 1926 et construite en 1927 sous l'égide du Deutsches Werkbund, près de Stuttgart. Il publie une plaquette en allemand exposant la base de son travail avec les « cinq points d'une architecture moderne ».
la villa du sculpteur Planeix à Paris en 1927,
le pavillon Nestlé à la foire de Paris en 1927,
la participation au concours international pour le siège de la SDN sur les rives du lac à Genève,
la Villa Stein, connue aussi sous le nom de villa les terrasses, livrée vers 1929 à Garches. Cette maison, remaniée à plusieurs reprises, fut dénaturée par une division en appartements,
la Villa Church, à Ville-d'Avray, terminée en 1929 également détruite.
la Villa Savoye, (1928-1931, Poissy) application littérale des cinq points d'une architecture moderne, la plus remarquable de cette période, et qui aura une influence considérable dans l'histoire de l'architecture.
le projet du Mundaneum, centre de culture mondiale à Genève. Non réalisé, il expose déjà le principe du plan du musée à croissance illimitée en 1939, qui influence l'architecture muséale des dernières décennies de sa vie, à Ahmedabad, Chandigarh ou Tokyo.
le siège du Centrosoyus (1928-1935), siège de l'union des coopératives de l'URSS, à Moscou. Architectes et ingénieurs soviétiques réalisent la construction.
l'appartement Beistegui, construit en surélévation d'un immeuble des Champs-Élysées, à Paris, livré en 1933 et détruit depuis.
Le Corbusier conçoit son métier d'architecte de façon moderne : construire nécessite une mise en œuvre rigoureuse, autant qu'une mise à l'épreuve d'idées architecturales qui, en dehors des volumes et des formes conçues par une pensée nécessairement mathématique, n'excluent nullement la façon d'habiter, et donc le mobilier et l'agencement des espaces et le cadre de vie urbain et paysager dans son ensemble. Il mène ainsi une réflexion théorique sur l'urbanisme, avec des projets qui provoquent parfois de violentes polémiques comme le Plan Voisin en 1925, dans lequel il propose de réurbaniser Paris, en détruisant les habitations le long des quais et du centre (sauf les monuments historiques reconnus) pour y construire de vastes immeubles gratte-ciel. L'atelier 35 rue de Sèvres accueille les jeunes architectes de passage dans la capitale ainsi que des étudiants et stagiaires qui se prépare à leur vie professionnelle, les plus familiers sont souvent étrangers, mais les périodes de travail sont courtes, parfois renouvelées.
Il y a aussi des jeunes dessinateurs amateurs, voire des jeunes artistes ou des inventeurs-bricoleurs qui parviennent par leur talent technique à s'inclure dans l'activité souvent vespérale de l'atelier anti-académique. Les responsables soucieux de l'ordre et les stagiaires fidèles de l'atelier se voient attribuer des surnoms basée sur leurs acronymes (« LC » pour Le Corbusier) ou le début du (pré)nom usuel (Corbu). À l'instar de jeunes architectes, techniciens ou ingénieurs familiers de l'atelier, l'assistant puis chef d'atelier de la fin des années trente, André Wogenscki (Vog) y rencontre sa future femme. Pour suivre les chantiers, Le Corbusier et Pierre Jeanneret choisissent des collaborateurs maîtres d'œuvre, comme Alfred Roth dans les années trente.
Dès le début des années vingt, Le Corbusier multiplie les contacts avec les fournisseurs de mobilier. En 1925, mis à part ses propres créations, il n'est nullement satisfait du mobilier commercial qu'il peut exposer au Pavillon de l'Esprit Nouveau. Il entame une recherche sur les matières et les formes de base les plus sobres et/ou économiques. Sa collaboration avec l'artisan Thonet est riche. Le salon d'automne de Paris 1929 le voit présenter une ligne de mobilier dessinée avec Charlotte Perriand. Le Corbusier fonde à cette occasion avec les autres designers français l'Union des Artistes Modernes (UAM). Alors qu'il apparaît avec son trio avec Charlotte Perriand et Jean Prouvé, très en pointe pour la fabrication industrielle, il faudra attendre 1965 pour qu'un industriel du luxe italien, Cassina, produise en modeste série quelques-unes de leurs œuvres.
Il est parmi les architectes modernes européens qui prennent l'initiative de l'organisation, souhaitée par la mécène genevoise Hélène de Mandrot en 1928, du premier Congrès international d'architecture moderne (CIAM) réuni au château de La Sarraz, pays de Vaud. Ce co-fondateur, qui s'enorgueillit d'un succès puisque 21 nationalités sont représentées, participe d'emblée à la bataille du premier congrès. Au troisième congrès en 1930 à Bruxelles, l'axe Zürich-Amsterdam s'impose, laissant dans les marges Le Corbusier, vu et entendu parfois comme un agitateur dogmatique.

1929-1944 Logements collectifs, bâtiments publics et urbanisme

À partir de la crise économique de 1929, Le Corbusier va concentrer sa réflexion théorique sur l'organisation de la concentration urbaine. Ces propositions d'urbanisme concernent :
l'étude d'urbanisation de Rio de Janeiro en 1929 au cours de son voyage d'automne en Argentine et au Brésil
Moscou en 1930,
l'aménagement du front de mer d'Alger de 1930 à 1933
Barcelone en 1932, puis
Anvers, Genève, Stockholm en 1933.
Tous ces projets une fois publiés sont fortement critiqués.
En même temps il mène les réalisations, de la Cité-refuge de l'Armée du salut de 1929 Paris, le Pavillon Suisse de la Cité internationale universitaire de Paris (1930-1932).
En 1930, Charles-Édouard Jeanneret demande et obtient la nationalité française, faisant inscrire sur son passeport la profession d'homme de lettres. Il épouse Yvonne Gallis, ancien mannequin monégasque née le 1er janvier 1892. Le couple aménage en 1933 au dernier étage d'un immeuble d'appartements construit par le cabinet Le Corbusier rue Jacob. Yvonne, sa femme d'origine méditerranéenne, généreuse et joyeusement humaniste, a, de l'avis de nombreux observateurs, beaucoup influencé Charles-Edouard, encore raide et dogmatique sur de nombreux thèmes de société.
Ainsi le racisme latent qui a marqué la Belle Époque et le jeune professeur-architecte jurassien, ou la tentation d'ordre totalitaire qui saisit de nombreux artistes au cours des années vingt s'estompent sous cette douce influence.
Sa peinture a admis la figuration et les formes humaines depuis des années, elle inclut désormais des objets à réaction poétique, qui peuvent être des formes glanées par la main concrète ou l'œil. Du point de vue architectural, il accorde une attention dite d'esthétique brutaliste à la matière rendue en surface, béton brut de décoffrage, lissé ou moulé, briques nues ou bois non poncés, cailloux ou cailloutis grossiers cimentés…
À partir des études d'urbanisme réalisées pour le CIAM, il propose le projet générique de ville radieuse, ainsi que celui d'un palais des soviets à Moscou en 1931.
Le CIAM d’Athènes, tenu en 1933 sur le paquebot qui, de Marseille, se rend au Pirée, prend pour thème la ville fonctionnelle. Les quatre fonctions habiter, travailler, se cultiver, entretenir son corps et son esprit, circuler, enthousiasment Le Corbusier, pourtant toujours marginalisé au même titre que l'architecture moderne française. Ses simples notes servent à rédiger l'ouvrage La charte d'Athènes, paru sous l'Occupation.
En 1942 pour sa naissance et en 1943 pour son lancement, l'auteur est partie prenante de l'assemblée des constructeurs pour la rénovation architecturale ou ASCORAL. Il s'agit d'une organisation élargie du groupe CIAM-France à des acteurs de nombreuses disciplines d'ingénierie et de recherche scientifique qui vise à établir des normes dans l'industrie de la construction qui puissent répondre avec cohérence à ces principales fonctions.
Après 1934, la crise touche les cabinets d'architecture en France. Mais Le Corbusier est déjà une autorité internationale de l'architecture. Profitant de son audience à l'étranger, son cabinet qui a l'avantage d'accueillir un grand nombre de jeunes collaborateurs ou stagiaires non rémunérés continue d'être une ruche bourdonnante.
Le conférencier au rayonnement attendu sur l'art architectural moderne multiplie les voyages en Amérique ou en Europe. La fondation Rockfeller l'invite à New York en 1934. En juillet et août 1936, Le Corbusier réside à Rio de Janeiro au Brésil, officiellement pour une tournée, rémunérée de conférences, officieusement comme super-consultant pour améliorer le projet de construction du ministère de l'Éducation nationale et de la santé publique.
L'architecte Lucio Costa, ancien élève des Beaux-Arts de Paris familier de l'atelier rue de Sèvres, est à l'origine de cette invitation déguisée. Avec son adjoint Oscar Niemeyer, ils essaient de tirer le meilleur des propositions dessinées foisonnantes du maître.
Les deux architectes brésiliens, avec d'autres collaborateurs, construisent ensuite à leurs façons le ministère de l'Éducation nationale à Rio de Janeiro de 1936 à 1943.
En France, les affaires des cabinets d'architecture sont inexistantes.
Le Corbusier travaille à coût réduit et s'adapte à la demande. La maison de vacances pour monsieur Peyron aux Mathes près de Royan est construite par l'entrepreneur du village, elle a des murs porteurs qui supportent une charpente, portant une couverture en fibrociment. Le budget serré n'a pas permis le déplacement de l'architecte, qui s'est contenté d'être le dessinateur et le superviseur des plans précis réalisés à l'atelier. La maison de week-end pour monsieur Félix, à La Celle-Saint-Cloud, est, autre concession, de plain-pied, sans étage. Des voûtes de béton armé surbaissées permettent d'engazonner le toit, tout en réservant des entrées de lumière par des lanterneaux. L'art corbuséen s'investit dans les contrastes de matériaux : béton, maçonnerie de pierre meulière locale, brique de verre, panneaux de bois…
L'atelier participe sans succès au concours pour le musée d'art moderne de Paris en 1935.
Le Corbusier prend sa revanche au cinquième CIAM qu'il organise en 1937 à Paris avec un mécénat français, sur le thème « logis et loisirs ». Un trio directeur, désolidarisant l'ancienne direction, se forme durablement : l'architecte allemand Walter Gropius, le secrétaire général des CIAM, le professeur zurichois Siegfried Giedon et Le Corbusier représentent l'architecture moderne jusqu'au sixième CIAM de Bridgwater (Angleterre) en 1947, qui voit l'irruption d'une nouvelle génération d'architectes turbulente, qui conteste et vilipende l'ancienne. Les congrès vidés de leurs disputes ardentes, malgré la fidélité du vieux Le Corbusier, se maintiennent jusqu'en 1959.
En 1937, invité in extremis à l'exposition internationale de Paris, Le Corbusier élabore le pavillon des Temps Nouveaux qui montre, peut-être avec ironie l'état précaire de l'architecture en France, par sa conception. L'abri-tente, soutenu par des pylônes auxquels s'accrochent haubans et câbles, met exposants et expositions, en particulier celles des CIAM, sous une toile couvrant 1 200 m2. Théoriquement démontable pour être reconstitué dans d'autres villes, selon le vœu corbuséen, le chapiteau n'est pas réutilisé et les composants sont vendus ou dispersés.
En mai 1940, il ferme son atelier de dessin-cabinet d'architecture rue de Sèvres. Pierre Jeanneret part à Grenoble. Le Corbusier et Yvonne se réfugient dans le midi français, le couple réside ensuite dans le petit village pyrénéen d'Ozon.
Le Corbusier (re)devient un découvreur rêveur et artiste en collectionnant les objets trouvés ou jetés, en s'adonnant à la peinture murale. Mais la deuxième année d'occupation allemande le fait revenir à Vézelay en Bourgogne occupée, avec son épouse. Muni d'une doctrine des trois établissements humains, il intrigue - aux dires des hommes politiques - dans les ministères de Vichy.
Son souhait de hâter la mutation industrielle du secteur du bâtiment reste vain. Il n'obtient que des modélisations de fabrications rapides pour le logement provisoire des sinistrés et des animations techniques de chantier de jeunes.
De cette période morne sortent diverses constructions à base de matériaux naturels accessibles, qu'il avait dénommés les murondins. Il ne revient à Paris qu'après 1942. Son atelier n'est définitivement rouvert pour ses anciens collaborateurs qu'après la libération de Paris.

1941-1942 Le Corbusier et le régime de Vichy

Selon l'Encyclopédie Larousse : Personnalité provocante : cet homme que les militants d'extrême droite qualifiaient si aisément de bolchevik était membre d'une organisation fasciste. De même source : En 1941 Destin de Paris reprenant le Plan Voisin est un appel ouvert à l'autorité de Vichy.
Le Corbusier est proche du Faisceau de Georges Valois, en 1926. En janvier 1931 il devient membre du comité de rédaction de la revue Plans fondée par Philippe Lamour, un ancien membre du Faisceau, tout comme Hubert Lagardelle membre du comité de rédaction. En 1933, Le Corbusier collabore à la revue Prélude dirigée par son ami Pierre Winter, ancien membre du Faisceau également.
François de Pierrefeu contribue à la revue Plans et à la revue Prélude.
Bien que d'origine suisse, Le Corbusier a côtoyé de près le régime de Vichy, ville dans laquelle il a vécu 17 mois 1/2 de janvier 1941 à juillet 1942. François de Pierrefeu est aux côtés de Le Corbusier à Vichy, période durant laquelle ils signent ensemble le livre La Maison des hommes. Après le départ de Le Corbusier, le 1er juillet 1942, François de Pierrefeu continue de défendre les intérêts de l'architecte auprès du régime de Vichy. Hubert Lagardelle est quant à lui ministre du Travail du régime de Vichy dans le gouvernement Pierre Laval, avril 1942-novembre 1943.
En 1944, Pierre Winter est Inspecteur Général du Travail du gouvernement de Vichy.
En 1943, en plein conflit, Le Corbusier avait comme principale préoccupation la publication de la Charte d’Athènes. Il est également soupçonné d'antisémitisme au point qu'en 2010, la banque UBS décide de le retirer de ses publicités.

1945-1965 : L'après-guerre

Les destructions de la guerre mondiale, puis la croissance démographique en France appellent avec vigueur une reconstruction.
Reconstruire dans l'urgence, que ce soit pour des sinistrés ou des démunis, nécessite, selon Le Corbusier, une disposition d'esprit différente de construire où la quête d'émotions partagées nourrissant l'architecture créatrice s'adapte suivant un rythme propre à une manière d'habiter individuelle ou familiale. La solution économique idéale passe par l'industrialisation du bâtiment et les fabrications standardisées d'équipements en série.
Pour répondre à ce défi, l'ATBAT ou atelier des bâtisseurs se crée rue de Sèvres. Des hommes de l'art reconnus apportent leurs compétences, leurs soutiens ou contributions financières, ou sympathisent avec l'atelier. Parmi eux :
les architectes Pierre-André Emmery, André Sive, André Wogenscky, Roger Aujame, Nadir Afonso, Soltan, Gérald Hanning…
l'ingénieur des mines Jean Commelin
l'organisateur Jacques Lefebvre
le directeur des travaux Marcel Py
le technicien et industriel nancéien Jean Prouvé
l'ingénieur Vladimir Bodiansky
L'architecte planificateur souhaite pourtant développer des cités jardins verticales, en hauteur et horizontales, délimiter au mieux les espaces marchands, industriels, administratifs de la ville au bénéfice des transports efficaces et rapides tout en créant espaces verts et centres piétonniers, en respectant les éléments paysagers. C'est dans ce cadre qu'il accepte en 1945 les plans de villes, tel le port de La Rochelle-La Palisse, Saint-Gaudens ou Saint-Dié. Ses plans d'urbanisme n'auront pas de succès.
Pourtant, de 1945 à 1952, Le Corbusier voit avec satisfaction se réaliser en France des unités modèles de sa ville moderne :
l'unité d'habitation dont la première est inaugurée à Marseille,
le bâtiment industriel dont le seul exemplaire corbuséen est l'usine Claude et Duval, 1948-51
Le Corbusier, à la demande du ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme, le député communiste François Billoux, élabore les plans et supervise la construction de la Cité radieuse de Marseille, sa première unité d'habitation.
Il s'agit d'un immeuble d'habitation sous la forme d'un parallélépipède sur pilotis en forme de piètements évasés à l'aspect rugueux, qui constitue une innovation importante dans la conception architecturale des résidences d'habitations. Dans cet immeuble, il a tenté d'appliquer ses principes d'architecture pour une nouvelle forme de cité en créant un village vertical, composé de 360 appartements en duplex distribués par des « rues intérieures.
Édifié entre 1945 et 1952, situé sur le boulevard Michelet de Marseille, près du Stade Vélodrome, cet immeuble est l'une des cinq unités d'habitation construites par Le Corbusier au cours de sa carrière. Essentiellement composée de logements, elle comprend également à mi-hauteur de ses dix-sept niveaux, des bureaux et divers services commerciaux, épicerie, boulangerie, café, hôtel/restaurant, librairie, etc.
Le toit-terrasse de l'unité, libre d'accès au public, est occupé par des équipements publics : une école maternelle, un gymnase, une piste d'athlétisme, une petite piscine et un auditorium en plein air. Son inauguration officielle sur le toit-terrasse le 14 octobre 1952 en présence du ministre de la Reconstruction, Eugène Claudius-Petit, est un grand moment d'émotion dans la vie de son architecte concepteur.
Entre 1953 et 1956, l'État pour récupérer les fonds investis vend l'ensemble des duplex aux particuliers privés et se désintéresse de la vie sociale interne qui l'impliquait paradoxalement dans la conception. Notons que l'unité d'habitation est expressément conçue pour le logement social, autant par son agencement que par l'ameublement.
En 1950, à 63 ans, au départ récalcitrant, il est choisi par l'archevêque de Besançon et se lance dans l'aventure de la reconstruction de la chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp en Franche-Comté, détruite par les bombardements de septembre 1944. C'était son premier projet d'un bâtiment de culte, bien qu'il ait travaillé en 1929 sur les plans de l'église de Tremblay-lès-Gonesse : Je n'avais rien fait de religieux, mais quand je me suis trouvé devant ces quatre horizons, je n'ai pu hésiter ». Athée, il disait avoir des ancêtres cathares, desquels il tire son pseudonyme Corbusier pouvant signifier marchand de corbeilles ou encore cordonnier. En mai 1955, il se réjouit de retrouver son premier métier d'apprentissage, il réalise seul en usine le décor de la grande porte de l'église de Ronchamp en y appliquant 18 m2 de peinture sur émail.
Il participe à l'édification de deux autres bâtiments cultuels :
le couvent de Sainte-Marie de la Tourette à Éveux-sur-Abresle près de Lyon, dessiné en 1953, réalisé de 1954 à 1959, inauguré en 1960 et
l'église Saint-Pierre de Firminy à Firminy, près de Saint-Étienne dans la Loire. Jamais terminée de son vivant, c'est seulement en 2006 qu'elle sera achevée.
Ce chantier tout à fait inhabituel, aura été mené par José Oubrerie, ancien collaborateur de l'agence Corbu.
La notoriété mondiale s'attache à sa figure. Dès 1947, il siège au conseil économique et préside différentes délégations françaises d'affaires culturelles vers les pays francophiles, où il est populaire. Ses services envers l'État lui valent d'être nommé commandeur de la Légion d'honneur avant 1950. La modestie du commandeur influença probablement le choix définitif de l'archevêque bisontin qui n'était qu'officier.
Ses obligations officielles, voire ses préparations minutieuses des CIAM, par exemple, le septième congrès de l'été 1949 à Bergame, n'entravent pas les activités de son cabinet d'architecture et leur participation à des chantiers internationaux. Par exemple, le 24 février 1949, il signe à Bogota avec son fidèle ancien élève barcelonais Sert et le New-Yorkais Wiener un contrat de reconstruction de la ville colombienne.
Il va appliquer ses principes urbains et architecturaux à l'échelle d'une ville quand les autorités indiennes, au début des années 1950, lui confient le projet de la ville de Chandigarh, nouvelle capitale du Pendjab située sur un haut plateau dominé par la chaîne himalayenne. Prenant en charge l'urbanisme entier, il dessine en premier lieu les bâtiments du complexe administratif ou capitole pour la ville indienne encore quasiment déserte :
le palais de Justice ou de Haute Cour achevé en 1956, inauguré le 19 mars 1956 en présence du président Nehru ;
le palais du Capitole ou du Gouverneur jamais construit ;
le Secrétariat maison des ministères achevé en 1958 ;
le palais de l'Assemblée inauguré en 1961.
Avant les grands chantiers, Le Corbusier répond aux sollicitations des classes aisées indiennes en concevant des résidences privées de luxe. Ainsi de 1951 à 1954, il supervise la construction du palais de l'association des filateurs d'Ahmedabad, ainsi que les villas Sarabhaï et Shodan.
Des observateurs ont montré que la villa Jaoul, quartier Neuilly, a bénéficié en retour de l'approche pragmatique indienne.
Son cousin collaborateur, Pierre Jeanneret, supervise sur place sur le chantier l'avancée des travaux. La sculpture pacifique de la Main ouverte, la Tour des ombres, la Fosse des considérations, sont des réalisations différées de trente années. Chandigarh offre une synthèse entre les théories novatrices de ses débuts et l’utilisation de formes non linéaires, influencées par la tradition locale.

Le cabanon à Roquebrune

Entre 1948 et 1950, Le Corbusier gère un projet de résidences de vacances Roq et Rob sur une colline escarpée dominée par les bastions de Roquebrune à Cap Martin. Il y regroupe des modules d'habitation type maison Monol ou villa du Week-End à La Celle-Saint-Cloud. Mais le projet est abandonné par le promoteur.
En 1952, le bâtisseur d'édifices gigantesques, séduit par ce bord de mer, construit en se foutant des règles du Modulor avec Fernand Gardien, à Roquebrune-Cap-Martin, un cabanon-baraque de 3,66 m × 3,66 m × 2,26 m à bardage de croûte de pin sur un bout de rocher battu par les flots.
Quelque temps auparavant, le 11 avril 1952, une exposition de ses dessins de la période 1918-1928 - période intense et cruciale, affirmait-il - était inaugurée à la galerie parisienne Denise René. Après trente ans d'éclipse, surtout en France, l'artiste discret choisit de revenir sur le devant de la scène. En décembre 1953, une grande exposition de ses œuvres marque le public au Musée national d'art moderne. Elle est aussi présentée à Londres.
Au cours des années cinquante, si florissantes pour les grosses agences d'architecture engagées dans la Reconstruction, Le Corbusier gouverne avec dureté son atelier qui stagne à l'échelle artisanale, selon l'opinion d'Oscar Niemeyer.
Le Corbusier, architecte ascétique et rigoureux sans concession, n'affiche que mépris pour les confrères enrichis, étalant un train de vie luxueux par propriété privée et voitures interposées. Les commandes de l'atelier restent faibles, mais le réseau des anciens étudiants-collaborateurs s'affirme efficace. Lucio Costa vient construire avec le maître le pavillon du Brésil à la cité universitaire de Paris, de 1957 à 1959. José-Luis Sert, doyen de la section d'urbanisme à l'université d'Harvard, impose Le Corbusier pour le centre Carpenter consacré aux arts visuels, projeté en 1959 et terminé en 1965.
Les anciens étudiants nippons de l'atelier, Mayekawa et Sahakura, l'invitent à Tokyo construire le musée d'art occidental. Le Corbusier, figure internationale de l'architecture, passe ainsi de nombreuses semaines chaque année dans les avions et les aéroports.
La fin des années cinquante est douloureuse. Il perd les deux femmes qui comptaient le plus dans sa vie, son épouse le 5 octobre 1957 puis sa mère début 1959. Mais Le Corbusier en privé ne s'enferme que pour créer. Il cultive l'amitié, on le voit copain avec André Malraux. Lorsqu'il réside à Paris, il passe en matinée à l'atelier pour accomplir ses obligations avec sa secrétaire et répondre aux sollicitations des collaborateurs et visiteurs. Mais l'après-midi il trouve refuge dans l'activité artistique dans son appartement-terrasse situé rue Nungesser et Coli. Il prend invariablement au minimum un mois de délassement estival dans son cabanon, en compensation de ses nombreux voyages et déplacements lointains.
Ce sportif amaigri par l'âge meurt le 27 août 1965, à l'âge de 77 ans, à la suite d'un malaise cardiaque au cours de sa séance quotidienne de natation en Méditerranée, plage du Buse, située près du cabanon, à Roquebrune-Cap-Martin. Après de grandioses obsèques nationales dans la cour du Louvre, orchestrées par le ministre André Malraux, il est simplement enterré sur un promontoire de Roquebrune avec sa femme. Le sobre monument funéraire en béton à double forme est de sa conception.

Les théories de Le Corbusier

"Là où naît l'ordre, naît le bien-être." Les premiers choix de Le Corbusier en architecture sont ceux qui définissent le purisme : simplicité des formes, organisation, rigueur. Cette vision est mêlée d'utopie, le bonheur étant l'une des clés de ses réflexions sur l'urbanisme. Son langage architectural s'applique aussi bien au logement économique qu'à la villa de luxe.
Dès 1926, Le Corbusier définit UNE architecture moderne, et non pas l'architecture moderne en cinq points, ce sont les Cinq points de l'architecture moderne :
les pilotis
le toit-terrasse
le plan libre
la fenêtre-bandeau
la façade libre
En 1933, au Congrès international d'architecture moderne (CIAM) d'Athènes, il affirme : Les matériaux de l'urbanisme sont le soleil, l'espace, les arbres, l'acier et le ciment armé, dans cet ordre et dans cette hiérarchie.
Le docteur Pierre Winter lui déclare : notre rôle et le vôtre, aujourd'hui est de restituer la nature à l'Homme, de l'y intégrer.
En 1938 et ce jusqu'en 1965, il n'eut de cesse de s'intéresser au projet de La Sainte-Baume, qui lui servit de brainstorming toute sa vie. Le projet utopique d'alors était de réconcilier les Français et les pays autour de la France, et de relever l'âme et l'esprit et la raison des gens pour leur redonner goût et espoir après toutes ces années de guerre.
Déjà en 1938 il écrivait un livre avec comme titre : Des canons, des munitions ? Merci ! Des logis… SVP.
Son amitié avec Édouard Trouin, géomètre de père en fils depuis cinq générations, fut très prolifique.
Le Corbusier a consigné ses théories et ses recherches dans 35 ouvrages écrits entre 1912 et 1966. Ses pairs le considéraient comme un visionnaire, mais un piètre bâtisseur. Le Corbusier s'en défendait : En architecture, je ne serai jamais l'un de vos concurrents, puisque j'ai renoncé … à pratiquer l'architecture de manière générale et que je me suis réservé certains problèmes qui mettent en jeu exclusivement des questions de plastique.
À l'annonce de la mort de Le Corbusier, Alvar Aalto reconnaissait qu'il n'avait jamais apprécié le prophète dogmatique ou le porte-parole de l'architecture moderne. Une fois la première surprise des présentations, il ne restait qu'un flux verbeux. Mais les réalisations méticuleuses de l'architecte bâtisseur méritaient, selon le maître finlandais, une tout autre considération, par leur variété et leur originalité, leur fonctionnalité et leur adaptation à la contrainte, leur spiritualité généreuse ou leur dénuement géométrique, leur surprenante évolution avec le temps…


Centre Le Corbusier à Zurich

Le Corbusier se révèle l'architecte de la conciliation des contraires. Les dualités art/technique, règle/arbitraire, géométrie/nature, lumière/ombre, continuité/rupture appellent une véritable réponse artistique in loco. On peut aussi inclure l'esprit corbuséen de conciliation aux divers pôles opposés au sens corbuséen : nature/architecture, volumes essences géométriques/ objets décorum sculpture ou peinture, vie individuelle/vie collective, compacité du béton/transparence du verre, construire/reconstruire…
Le Corbusier artiste et les artistes

En même temps que sa pratique architecturale, Le Corbusier n'a de cesse de nourrir sa réflexion par une pratique régulière des arts plastiques.
Son premier voyage d'Orient le fait passer par Vienne où il rencontre entre autres Gustav Klimt. On l'a vu, sa collaboration avec Amédée Ozenfant a été féconde (l'esprit nouveau, le purisme, etc.).
Il s'est ensuite rapproché de Fernand Léger puis de Pablo Picasso et Georges Braque.
Il ne cesse d'exercer, après 1917 la peinture, et compte de nombreuses expositions à l'étranger, malgré une trentaine d'années de mise entre parenthèses de son activité picturale en France (1923-1953). Dès 1940, il se lance dans la peinture murale.
Le dessinateur instaure des partenariats en ce qui concerne la sculpture après 1947 et les tapisseries à partir de 1948 :
Il était lié d'amitié avec l'ébéniste breton de Tréguier Joseph Savina, artiste et sculpteur amateur, à qui il confie - dès 1947 et au début des années cinquante - la réalisation de sculptures en bois, dont il faisait le projet dessiné.
Il réalise de nombreux cartons de tapisserie : après une première pièce tissée en 1936 à Aubusson pour Marie Cuttoli15, il collabore avec Pierre Baudouin16, professeur à l'École nationale des arts décoratifs d'Aubusson, et fait réaliser plusieurs dizaines d'œuvres en tapisserie d'Aubusson (en particulier avec les manufactures Picaud et Pinton.
Après 1950, il s'intéresse aux collages. Dans l'atelier de Jean Martin, à partir de 1953, il grave des émaux sur tôle d'acier.
La diffusion de ses lithographies est immense.
Pour expliquer cette production gigantesque de dessins, d'aquarelles et de toiles, il suffit de connaître son emploi du temps. Il avoue qu'après le sommeil réparateur, il se réserve en règle général la matinée de 8 h à 13 h. C'est le premier temps libre pour la création picturale et le dessin.
L'après-midi est réservée aux affaires d'architecture et d'urbanisme. Le soir, il peut se plonger dans l'écriture et les rapports de congrès ou de voyage.
L'âge venant, après la disparition d'Yvonne, à la fin des années cinquante, il supervise le matin le travail à l'atelier et prend son après-midi et sa soirée au calme dans son haut logement 24, rue Nungesser et Coli. Ce lecteur assidu des aventures d'Ulysse, de Panurge ou du chevalier Don Quichotte, pour ne citer que ses héros favoris, grand observateur du toit-terrasse adjacent laissé en friche, préférait souvent peindre ou dessiner jusqu'à la nuit tombante.
Il a beaucoup œuvré pour faire connaître son autre cousin Louis Soutter, qui est maintenant reconnu comme un grand artiste suisse et dont il possédait plusieurs centaines de dessins.


L'influence de Le Corbusier

Palais Gustavo Capanema, Rio de Janeiro (Brésil).

Le plan libre

Influencé par son stage effectué en 1909 chez Auguste Perret -célèbre précurseur de l'architecture poteau-poutre en béton armé, ossaturisme- Le Corbusier est connu pour la technique constructive poteau/dalle dont l'archétype est la villa Savoye et dont l'élaboration théorique est passée par la maison Dom-Ino. Les planchers sont supportés par de fins poteaux disposés sur une trame. Ainsi les façades sont libérées de la fonction structurelle. Elles ne sont plus chargées de porter le bâtiment, comme dans la construction en maçonnerie, dite aussi période pré-moderne.
L'organisation intérieure poursuit l'idée : les divisions de l'espace ne sont pas soumises aux impératifs de structure du bâtiment. Les ouvertures ainsi que les parties pleines sont implantées librement et organisent la façade.
Cette nouvelle façon de concevoir la construction des bâtiments est riche de conséquences. Si Le Corbusier n'en est pas l'inventeur, il est cependant celui qui a su la formuler en termes lapidaires : le plan libre, et en développer un vocabulaire architectural réellement nouveau.

Néo-Corbusianisme ?

On a pu voir une redécouverte du travail de Le Corbusier à la fin des années 1960, où son vocabulaire est repris tantôt dans le détail formel, tantôt dans ses principes fondateurs. Les villas blanches de Richard Meier par exemple, quoique construites en bois et acier, reprennent des détails de liaison poteau-poutre aux réalisations de Le Corbusier, comme si elles étaient réalisées en béton. Au-delà de cet aspect anecdotique, ces villas quoique de conception américaine forment une sorte d'hommage aux villas corbuséennes des années trente.
En France, cette redécouverte se formalisera dans les années 1970-1990, où une génération d'architectes formée principalement par Enrique Ciriani a pu être qualifiée de néo-corbuséenne

Le Modulor

Réalisations et projets
Chronologie de ses réalisations
Maison blanche à La Chaux-de-Fonds
Musée national d'art occidental de Tokyo
Bâtiment de l'Assemblée de Chandigarh
Bâtiment de la Haute-Cour de Chandigarh
1905 : villas Fallet, Stotzer et Jacquemet, chemin de Pouillerel à La Chaux-de-Fonds, Suisse
1912 : Villa Favre-Jacot, 6 côte de Billodes, Le Locle, Suisse
1912 : Villa Jeanneret-Perret (dite aussi Maison Blanche), La Chaux-de-Fonds, Suisse
1916 : Villa Schwob (appelée aussi Villa Turque), La Chaux-de-Fonds, Suisse
1916 : Cinéma Scala, 52 rue de la Serre à La Chaux-de-Fonds, Suisse
1917 : Château d'eau à Podensac (Gironde)
1917 : Prototype de maison pour une cité ouvrière, rue Raphaël-Hennion, Saint-Nicolas-d'Aliermont (Seine-Maritime)18
1921 : Aménagement de la villa Berque, villa de Montmorency, à Paris 16e
1922 : villa Besnus, 85 boulevard de la République à Vaucresson (Hauts-de-Seine transformée)
1922 : maison-atelier du peintre Amédée Ozenfant, 53 avenue Reille, à Paris 14e
1923 : Villas La Roche-Jeanneret, 8-10 square du Docteur-Blanche, Paris 16e
1923 : Villa Le Lac, 21 route de Lavaux, Corseaux, Suisse
1923 : Maisons-ateliers Lipchitz et Miestchaninoff, respectivement 9 allée des Pins et 7 rue des Arts à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine)
1923 : Cité Frugès, Pessac, Gironde
1923 : Villa Ternisien, 5 allée des Pins, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), détruite
1924 : Lotissement de Lège, route de Porge, Lège-Cap-Ferret (Gironde)
1924 : Maison du Tonkin, rue Jean-Descas, Bordeaux (Gironde), détruite
1925 : Les habitations de la Cité Frugès à Pessac (Gironde)
1925 : Pavillon de l'Esprit Nouveau à l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes (Paris)
1926 : Maison Cook, 6 rue Denfert-Rochereau à Boulogne-Billancourt
1926 : Maison Guiette, Populierenlaan 32, à Anvers (Belgique)
1926 : Armée du Salut, Palais du Peuple, 29, rue des Cordelières 13e arrondissement de Paris
1926 : Villa Stein appelée aussi Les Terrasses, 15, rue du Professeur Pauchet à Vaucresson (Hauts-de-Seine)20
1927 : Maison Planeix, 26 boulevard Masséna, 13e arrondissement de Paris
1929 - 1931 : Villa Savoye, Poissy (Yvelines)
1930 : Pavillon Suisse de la Cité internationale universitaire de Paris (14e arrondissement de Paris).
1930 : Villa l'Artaude, chemin de l'Artaude, Le Pradet (Var). Plan de 1929. Finition en 1931.
1931 - 1932 : Immeuble Clarté, Genève, Suisse
1931 : début de construction de l'immeuble d'habitation 24 rue Nungesser et Coli à la limite entre Boulogne-Billancourt et le 16e arrondissement de Paris. Le Corbusier habite avec Yvonne dès 1933 l'appartement et l'atelier privé jouxtant la terrasse.
1934 : Armée du salut, rue du Chevaleret, 13e arrondissement de Paris
1934 : Maison de week-end Henfel, 49 avenue du Chesnay à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines)
1935 : villa Le Sextant, 17, avenue de l'océan à La Palmyre dans la commune des Mathes (Charente-Maritime)
1946 - 1952 : Cité radieuse de Marseille (Unité d'habitation), Marseille
1948 - 1951 : Usine Claude et Duval à Saint-Dié (Vosges), sa seule création à vocation industrielle
1950 - 1955 : Chapelle Notre-Dame-du-Haut, Ronchamp (Haute-Saône)
1951 : Le Palais des Filateurs, Villa Sarabhai et Villa Shodan, Ahmedabad, Inde
1952 Les Unité d'habitation de Le Corbusier, Marseille (Bouches-du-Rhône) surnommée par les autochtones La Maison du Fada , inaugurée par Claudius Petit, ministre de la reconstruction, d'une longueur de cent trente mètres et d'une hauteur de cinquante-six mètres.
1953 - 1955 : Cité Radieuse de Rezé (non identique, mais sur le modèle et le même principe de celle de Marseille), appelée aussi Maison radieuse, Rezé, près de Nantes (Loire-Atlantique)
1952 Les maisons Jaoul (A et B), Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)
1952-1959 : Bâtiments à Chandigarh, Inde
1952 : Haute Cour de Chandigarh
1952 : Musée et Galerie d'Art de Chandigarh
1953 : Secrétariat de Chandigarh
1953 : Club Nautique de Chandigarh
1955 : Assemblée de Chandigarh
1959 : École d'Art de Chandigarh
1954 : Pavillon du Brésil à la Cité internationale universitaire de Paris (14e arrondissement de Paris).
1956: Sanskar Kendra, musée municipal d'Ahmedabad
1957 : Unité d'habitation de Berlin, Berlin, Charlottenburg
1958 : Pavillon du groupe électroménager Philips à l'exposition universelle de Bruxelles.
1959 : Couvent de La Tourette, Éveux (Rhône)
1959 : Musée national d'art occidental de Tokyo, Tôkyô
1960 : Cité radieuse de Briey (non identique, mais sur le modèle et le même principe de celle de Marseille), Briey (Meurthe-et-Moselle)
1961 : Écluse de Kembs-Niffer (Haut-Rhin)
1961-1963 : Carpenter Center for the Visual Arts, Harvard, Cambridge
1964 -1969 Firminy-Vert (Loire)
1965 : Maison de la culture de Firminy-Vert nom actuel de l'édifice : Espace Le Corbusier
1967 : Unité d'habitation de Firminy-Vert réalisé sur le modèle, mais un autre principe architectural de celle de Marseille)
1968 : Stade de Firminy-Vert
1970-2006: Église Saint-Pierre de Firminy (œuvre posthume, réalisée par José Oubrerie)

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Posté le : 05/10/2013 20:30
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Le Modulor

Réalisations et projets

Chronologie de ses réalisations
Maison blanche à La Chaux-de-Fonds
Musée national d'art occidental de Tokyo
Bâtiment de l'Assemblée de Chandigarh
Bâtiment de la Haute-Cour de Chandigarh
1905 : villas Fallet, Stotzer et Jacquemet, chemin de Pouillerel à La Chaux-de-Fonds, Suisse
1912 : Villa Favre-Jacot, 6 côte de Billodes, Le Locle, Suisse
1912 : Villa Jeanneret-Perret (dite aussi Maison Blanche), La Chaux-de-Fonds, Suisse
1916 : Villa Schwob (appelée aussi Villa Turque), La Chaux-de-Fonds, Suisse
1916 : Cinéma Scala, 52 rue de la Serre à La Chaux-de-Fonds, Suisse
1917 : Château d'eau à Podensac (Gironde)
1917 : Prototype de maison pour une cité ouvrière, rue Raphaël-Hennion, Saint-Nicolas-d'Aliermont (Seine-Maritime)18
1921 : Aménagement de la villa Berque, villa de Montmorency, à Paris 16e
1922 : villa Besnus, 85 boulevard de la République à Vaucresson (Hauts-de-Seine transformée)
1922 : maison-atelier du peintre Amédée Ozenfant, 53 avenue Reille, à Paris 14e
1923 : Villas La Roche-Jeanneret, 8-10 square du Docteur-Blanche, Paris 16e
1923 : Villa Le Lac, 21 route de Lavaux, Corseaux, Suisse
1923 : Maisons-ateliers Lipchitz et Miestchaninoff, respectivement 9 allée des Pins et 7 rue des Arts à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine)
1923 : Cité Frugès, Pessac, Gironde
1923 : Villa Ternisien, 5 allée des Pins, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), détruite
1924 : Lotissement de Lège, route de Porge, Lège-Cap-Ferret (Gironde)
1924 : Maison du Tonkin, rue Jean-Descas, Bordeaux (Gironde), détruite
1925 : Les habitations de la Cité Frugès à Pessac (Gironde)
1925 : Pavillon de l'Esprit Nouveau à l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes (Paris)
1926 : Maison Cook, 6 rue Denfert-Rochereau à Boulogne-Billancourt
1926 : Maison Guiette, Populierenlaan 32, à Anvers (Belgique)
1926 : Armée du Salut, Palais du Peuple, 29, rue des Cordelières 13e arrondissement de Paris
1926 : Villa Stein appelée aussi Les Terrasses, 15, rue du Professeur Pauchet à Vaucresson (Hauts-de-Seine)20
1927 : Maison Planeix, 26 boulevard Masséna, 13e arrondissement de Paris
1929 - 1931 : Villa Savoye, Poissy (Yvelines)
1930 : Pavillon Suisse de la Cité internationale universitaire de Paris (14e arrondissement de Paris).
1930 : Villa l'Artaude, chemin de l'Artaude, Le Pradet (Var). Plan de 1929. Finition en 1931.
1931 - 1932 : Immeuble Clarté, Genève, Suisse
1931 : début de construction de l'immeuble d'habitation 24 rue Nungesser et Coli à la limite entre Boulogne-Billancourt et le 16e arrondissement de Paris. Le Corbusier habite avec Yvonne dès 1933 l'appartement et l'atelier privé jouxtant la terrasse.
1934 : Armée du salut, rue du Chevaleret, 13e arrondissement de Paris
1934 : Maison de week-end Henfel, 49 avenue du Chesnay à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines)
1935 : villa Le Sextant, 17, avenue de l'océan à La Palmyre dans la commune des Mathes (Charente-Maritime)
1946 - 1952 : Cité radieuse de Marseille (Unité d'habitation), Marseille
1948 - 1951 : Usine Claude et Duval à Saint-Dié (Vosges), sa seule création à vocation industrielle
1950 - 1955 : Chapelle Notre-Dame-du-Haut, Ronchamp (Haute-Saône)
1951 : Le Palais des Filateurs, Villa Sarabhai et Villa Shodan, Ahmedabad, Inde
1952 Les Unité d'habitation de Le Corbusier, Marseille (Bouches-du-Rhône) surnommée par les autochtones La Maison du Fada , inaugurée par Claudius Petit, ministre de la reconstruction, d'une longueur de cent trente mètres et d'une hauteur de cinquante-six mètres.
1953 - 1955 : Cité Radieuse de Rezé (non identique, mais sur le modèle et le même principe de celle de Marseille), appelée aussi Maison radieuse, Rezé, près de Nantes (Loire-Atlantique)
1952 Les maisons Jaoul (A et B), Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)
1952-1959 : Bâtiments à Chandigarh, Inde
1952 : Haute Cour de Chandigarh
1952 : Musée et Galerie d'Art de Chandigarh
1953 : Secrétariat de Chandigarh
1953 : Club Nautique de Chandigarh
1955 : Assemblée de Chandigarh
1959 : École d'Art de Chandigarh
1954 : Pavillon du Brésil à la Cité internationale universitaire de Paris (14e arrondissement de Paris).
1956: Sanskar Kendra, musée municipal d'Ahmedabad
1957 : Unité d'habitation de Berlin, Berlin, Charlottenburg
1958 : Pavillon du groupe électroménager Philips à l'exposition universelle de Bruxelles.
1959 : Couvent de La Tourette, Éveux (Rhône)
1959 : Musée national d'art occidental de Tokyo, Tôkyô
1960 : Cité radieuse de Briey (non identique, mais sur le modèle et le même principe de celle de Marseille), Briey (Meurthe-et-Moselle)
1961 : Écluse de Kembs-Niffer (Haut-Rhin)
1961-1963 : Carpenter Center for the Visual Arts, Harvard, Cambridge
1964 -1969 Firminy-Vert (Loire)
1965 : Maison de la culture de Firminy-Vert nom actuel de l'édifice : Espace Le Corbusier
1967 : Unité d'habitation de Firminy-Vert réalisé sur le modèle, mais un autre principe architectural de celle de Marseille)
1968 : Stade de Firminy-Vert
1970-2006: Église Saint-Pierre de Firminy (œuvre posthume, réalisée par José Oubrerie)

Typologie de ses réalisations

L'habitat collectif

Pavillon Suisse de la Cité universitaire de Paris (1930)
Immeuble d'habitation, 24 rue Nungesser-et-Coli à la limite entre Boulogne-Billancourt et le 16e arrondissement de Paris.
L'immeuble dans le quartier d'Auteuil est achevé en 1933. Le Corbusier et son épouse Yvonne s'installent dans l'appartement supérieur donnant accès au toit-terrasse au huitième étage. Par une large baie vitrée, il contemple le parc des Princes.
Ils l'achèteront deux fois 300 000 francs, au cours des années trente et après 1945, victimes d'une falsification de facture après la défection du promoteur.
Immeuble Clarté à Genève en Suisse, premiers dessins en 1928, construction 1930-1932.
L'entreprise de construction métallique de l'industriel Edmond Wanner, maîtrisant la soudure de l'acier, assure la construction de cet ensemble locatif de 45 appartements
Cité-refuge de l'Armée du Salut à Paris 1930-1934, changement de la verrière imposée en 1935.
La princesse de Polignac, généreuse donatrice de 1,8 million de francs en juin 1929, impose l'agence Le Corbusier qui veut en faire une vitrine de l'innovation bâtie. L'accumulation de nouveautés, mal maîtrisée ou émancipatrice des pointilleuses réglementations en vigueur, entraîne surcoûts, rappels à l'ordre et insatisfactions.
Cité radieuse à Marseille (1946-1952)
Pavillon du Brésil de la Cité universitaire de Paris (1954)
Unité d'habitation de Briey (1960)
Immeuble Molitor (appartement LC) à Paris
L'habitat standardisé
Unité d'habitation de Firminy-Vert, Firminy.
Cité Frugès à Pessac (1925)
Cité radieuse à Rezé (1953)
Unités d'habitation à Berlin (Allemagne, 1957)
Unité d'habitation de Firminy-Vert (1964)
Cabanon de Le Corbusier à Roquebrune-Cap-Martin
Maison du Weissenhof-Siedlung à Stuttgart (Allemagne)

La maison individuelle

Maison Jeanneret-Perret à La Chaux-de-Fonds (Suisse, 1912)
Maison Schwob à La Chaux-de-Fonds (Suisse, 1916)
Maison au bord du Lac Léman à Corseaux (Suisse, 1923)
Maison La Roche et Maison Jeanneret à Paris (1924)
Villa Stein appelée aussi Les Terrasses à Vaucresson (1926)
Maison Planeix à Paris (1927)
Villa Savoye à Poissy (1929)
Maison de week-end Henfel à La Celle-Saint-Cloud (1934)
Villa Le Sextant à La Palmyre dans la commune des Les Mathes (1935)
Maisons Jaoul à Neuilly-sur-Seine (1952)
Maison du docteur Curutchet à La Plata (Argentine)
Bâtiments du secrétariat, Chandigarh.
Stade de Firminy-Vert, Firminy.
La résidence atelier
Maisons-ateliers Lipschitz et Miestchaninoff, respectivement 9 allée des Pins et 7 rue des arts à Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine
Maison Guiette à Anvers (Belgique)
Maison Cook à Boulogne-Billancourt
L'urbanisme
Bâtiments du Musée, de la Galerie d'Art et de la Haute-Cour à Chandigarh (Inde, 1952)
Bâtiments du Secrétariat et du Club nautique à Chandigarh (Inde, 1953)
Bâtiment de l'Assemblée à Chandigarh (Inde, 1955)
Musée Sanskar Kendra à Ahmedabad (Inde, 1956)
Musée national d'art occidental à Tôkyô (Japon, 1959)
Bâtiment de l'École d'Art à Chandigarh (Inde, 1959)
Carpenter Center for the Visual Arts à l'Université Harvard (1961)
Maison de la culture de Firminy-Vert (1965)
Stade de Firminy-Vert (1966)
Les programmes industriels
Usine Claude et Duval à Saint-Dié (1948)
Palais des Filateurs à Ahmedabad (Inde, 1954)
Écluse de Kembs-Niffer (1961)

L'architecture sacrée

Chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp (1950)
Couvent de La Tourette à Éveux (1958)
Église Saint-Pierre de Firminy à Firminy (1969)
Projets non construits[modifier | modifier le code]
Même si ces études et projets n'ont jamais vu le jour, ils ont marqué la réflexion sur l'architecture moderne.
1920 : Projet de la maison Citrohan.
1922 : Projet de l'immeuble-villa
1925 : Plan Voisin : projet d'aménagement urbain pour Paris
1926 : Projet de la maison minimum (maison Ribot)
1927 : Projet pour le concours du Palais de la Société des Nations à Genève
1929 : Projet de maison Loucheur (Loi sur le bâtiment)
1930 : Projets d'urbanisme dit « Plan Obus » pour la ville d'Alger
1931 : Projets pour le concours du Palais des Soviets, études d'urbanisme pour Moscou et Alger.
1932 : Étude d'urbanisme pour Barcelone.
1933 : Projets d'urbanisme pour la rive gauche de la ville d'Anvers. Ce projet comportait aussi la construction d'un Mundaneum (voir Paul Otlet). Études d'urbanisme pour Genève et Stockholm.
1934 : Ferme et village coopératif, (Piacé, projet en collaboration avec Norbert Bézard)
1935 : Projets pour les musées d'art moderne de Paris
1938 : Projet pour le quartier de la marine à Alger
1939 : Étude pour la station de ski de Vars
1940 : Étude pour loger à coût minimal les réfugiés des frontières (qui se transforme ensuite en « maisons Murondins »)
1945 : Projet de Plan de reconstruction et d'aménagement pour la ville de Saint-Gaudens en collaboration avec Marcel Lods, Projet d'urbanisme pour La Rochelle-La Pallice
1945 : Projet de Plan de reconstruction et d'aménagement pour la ville de Saint-Dié
1945 : Projet de Plan de reconstruction et d'aménagement pour la ville de La Rochelle-La Pallice
1947 : Palais des Nations Unies à New York
1948 : Projet d'urbanisme pour la ville d'Izmir, Turquie, projet de basilique sainte Madeleine pour la Sainte-Baume en Provence.
1949 : Projet d'urbanisme pour la ville de Bogota
1950 : Basilique Universelle de la Paix par le Pardon à Plan-d'Aups-Sainte-Baume (travaux et études commencés avec Édouard Trouin, dès le 12 août 1945).
1951 : Projet pour le concours pour le grand ensemble du quartier Rotterdam à Strasbourg
1955 : Ville radieuse à Meaux
1961 : Projet pour le concours du Palais des congrès et hôtel en lieu et place de la Gare d'Orsay à Paris
1962 : Projet de 3500 logements repartis dans 3 unités d’habitation, mais seul 1 unité vue le jour sur les hauteurs de la ville Firminy-Vert, projet d'un centre de calcul pour le groupe de bureautique italien Olivetti
1964 : Projets pour le palais des congrès de Strasbourg et pour l'ambassade de France à Brasilia.
1965 : Projet d'une piscine dans le centre civique de Firminy Vert, finalement réalisé par son disciple André Wogenscky. Ultime projet pour l'hôpital de Venise, à proximité de la lagune.

Collaborateurs les plus connus

Le Corbusier a travaillé à l'atelier rue de Sèvres avec plus de 200 collaborateurs directs de 1922 à 1965. Ce sont principalement des étudiants français et suisse avant 1929, qui œuvrent sous son égide rarement au-delà de six mois. Les étudiants étrangers sont beaucoup plus nombreux dès les années trente. N'oublions pas non plus les permanents ou les collaborateurs, employés ou élèves-stagiaires de l'atelier ou à l'étranger, sur des projets définis ou des axes de recherches.
Ces derniers parfois, n'ont jamais été auparavant étudiants en art ou architecture. La liste non exhaustive ci-dessous en témoigne :
Edith Aujame, Roger Aujame, Badovici, Balkrishna Vithaldas Doshi (entre 1951 et 1954), Vladimir Bodiansky (surnommé Bod), Bossard, Bossu, Candilis, Lucio Costa, Jane Drew, M. Ducret, Écochard, Marc Emery, Maxwell Fry, Guillermo Jullian de la Fuente, Fernand Gardien, Guillermo Gómez Gavazzo (es), Jean Ginsberg, Pierre Jeanneret, André Maisonnier (entre 1950 et 1959), Jean de Maisonseul, Georges Maurrios (surtout après 65), Mayekawa, Jacques Michel, Miquel, Serge Micheloni, Oscar Niemeyer, José Oubrerie, Amédée Ozenfant, Charlotte Perriand, Jean Petit, Jean Prouvé, Sahakura, Rogelio Salmona, German Samper, Rainer Senn, José-Luis Sert, Justino Serralta (es), N.N Sharma, Jerzy Soltan, Édouard Trouin, Guy Rottier, Simonet, Jean-Louis Véret, André Wogenscky (surnommé « Vog »), Woods, Iannis Xenakis (entre 1947 et 1960), etc.
Reconnaissance

Hommages

Il figure sur le billet de 10 francs suisses mis en circulation le 8 avril 1997, où il est représenté avec les lunettes aux grands verres ronds, cerclés de noir, qu'il portait habituellement. En 1988, la place Le Corbusier à Paris prend son nom en hommage.

Patrimoine mondial de l'UNESCO

De nombreuses réalisations de Le Corbusier sont proposées à l'inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO, conjointement par plusieurs pays, sous le titre de L’œuvre architecturale et urbaine de Le Corbusier, Allemagne, Argentine, Belgique, France, Japon et Suisse . Lors de la 33e session du comité de L'UNESCO, celui-ci a retourné le dossier aux États afin qu'ils complètent leur dossier.

Controverse

Même si à d'autres moments il qualifie le leader allemand de monstre, il écrit à sa mère en octobre 1940 : S'il est sérieux dans ses déclarations, Hitler peut couronner sa vie par une œuvre grandiose : l'aménagement de l'Europe, et s'installe en 1941 à Vichy pour collaborer avec le régime de Vichy.

Jugements

À propos de Le Corbusier, né la même année que lui, Marcel Duchamp a noté : L.C. : cas de ménopause masculine précoce sublimisée en coït mental.

Citations

Oser et vouloir créer
La maison est une machine à habiter, mais aussi le temple de la famille.
L'architecture scelle l'alliance de l'homme et de la nature (cosmos) par la géométrie réglée sur les lois de l'univers.
L'architecture est l'émanation humaine fondamentale, où toute œuvre faite à l'échelle humaine constitue un maillon de la tradition, faite de la chaîne de tous les maillons révolutionnaires successifs du passé.
La grandeur n'est pas dans la dimension mais dans l'intention

Ses Publications

Sous le nom Charles-Édouard-Jeanneret
Articles de journal sur des thèmes divers (voyage, compte-rendu), Feuille d'Avis de La Chaux-de-Fonds, 1911
Étude sur le mouvement d'art décoratif en Allemagne, Haefeli et Cie, La Chaux-de-Fonds, 1912 (rapport du voyage de 1911).
Après le cubisme, avec Amédée Ozenfant, édition des commentaires, Paris, 1918

Sous le nom Le Corbusier

Vers une architecture, Paris 1923
Urbanisme, Paris 1924
La peinture moderne', avec Amédée Ozenfant, Paris 1925
L'art décoratif aujourd'hui, Paris 1925
Almanach d'architecture moderne, Paris 1925-1926
Architecture d'époque machiniste, Paris 1926
Requête adressée à la Société des Nations, avec Pierre Jeanneret, Paris 1928
Une maison, un palais, Paris 1928
Vers le Paris de l'époque machiniste, Le redressement français, 1928.
Œuvre complète, 1910-1929, publiée par Willy Boesiger et O. Stonorov, édition Girsberger, Zürich 1929
Précisions sur un état présent de l'architecture et de l'urbanisme, Paris 1930
Clavier de couleur Salubra, Bâle 1931
Requête à Monsieur le Président du Conseil de la Société des Nations, avec Pierre Jeanneret, Paris 1931
Croisade ou le crépuscule des académies, Paris 1933
Œuvre complète, 1929-1934, publiée par Willy Boesiger, édition Girsberger, Zürich 1934
La ville radieuse, Boulogne, 1935
Aircraft, Londres - New York 1935
Quand les cathédrales étaient blanches. Voyage au pays des timides, Plon, Paris 1937
Les tendances de l'architecture rationaliste en rapport avec la peinture et la sculpture, Rome 1937
Îlot insalubre no 6, avec Pierre Jeanneret, Paris 1938
Des canons, des munitions ? Merci, des logis SVP, Boulogne 1938
Œuvre complète, 1934-1938, préface de Pierre Winter, publiée par Max Bill, édition Girsberger, Zürich 1938
Le lyrisme des temps nouveaux et l'urbanisme, Le Point, Colmar, 1939.
Destin de Paris, Paris - Clermont-Ferrand 1941
Sur les quatre routes, Paris 1941
La maison des hommes, avec François de Pierrefeu, Paris 1942
Les constructions murondins, Paris - Clermont-Ferrand 1942
La Charte d'Athènes, Paris 1943 (adaptation pour la publication)
Les trois établissements humains, Paris 1945
Propos d'urbanisme, Bourrelier, Paris 1945-1946
Manière de penser l'urbanisme, Boulogne, 1946
Œuvre complète, 1938-1946, publiée par Willy Boesiger, édition Girsberger, Zürich 1946
United Nations Headquarters, Reinhold, New York 1947
New world of space, New York, 1948
Grille C.I.A.M. d'urbanisme : mise en application de la Charte d'Athènes, Boulogne 1948
Le modulor, Boulogne 1950
Les problèmes de la normalisation : rapport présenté au Conseil économique, in La charte de l'habitat, vol.1, Paris 1950
L'unité d'habitation de Marseille, Souillac - Mulhouse 1950
Poésie sur Alger, Paris 1950
Œuvre complète, 1946-1952, publiée par Willy Boesiger, édition Girsberger, Zürich 1952.
Poème de l'angle droit, éditions Verve, Paris, 1954. Le Poème de l'angle droit, 1955
Une petite maison, Zurich 1954
Le Modulor II (La parole est aux usagers), Boulogne 1955
Architecture du bonheur, l'urbanisme est une clef, Paris 1955
Les plans de Paris : 1956-1922, Paris 1956
Von der Poesie des Bauens, Zurich 1957
Ronchamp carnet de la recherche patiente, édition Girsberger, Zurich 1957
Œuvre complète, 1952-1957, publiée par Willy Boesiger, édition Girsberger, Zürich 1957
Entretien avec les étudiants des écoles d'architecture, Paris 1958
Second clavier des couleurs, Bâle 1959
L'atelier de la recherche patiente, Paris 1960
Orsay Paris 1961, Paris 1961
Œuvre complète, 1957-1965, publiée par Willy Boesiger, édition Girsberger, Zürich 1965
Le voyage d'Orient, Paris 1966
Mises au point, Paris 1966
Œuvre complète, les dernières œuvres, publiée par Willy Boesiger, Les éditions d'architecture Artemis, Zürich 1967
Les maternelles vous parlent, Paris 1968
Carnets de Le Corbusier, en quatre volumes, éditions Herscher, Paris, 1982.
Œuvre complète, en 8 volumes, réédition Zurich, Artémis, 1991. Consultable à la bibliothèque de la fondation Le Corbusier.
The Le Corbusier Archive, en 32 volumes contenant les 32000 dessins conservés par la Fondation Le Corbusier, éditions Garland Publishing Co, New York, 1984.
Choix de lettres, sélection, introduction et notes par Jean Jenger, éd. Birkaüser, 2002, 568 p.
Conférences de Rio (1936). Introduction, établissement du texte et notes par Yannis Tsiomis. Paris, Flammarion, 2006

Liens

http://youtu.be/Z0weEXKdSEA Le Corbusier
http://youtu.be/vhbcceKXX5U La maison du fada cité radieuse
http://youtu.be/3Idue26ztuQ le corbusier fossoyeur de l'architecture
http://youtu.be/zpj5utbmeKg Villa Savoye
http://youtu.be/yRLCBcM6gFw Le Corbusier Ronchamp

http://youtu.be/rWbcbC7uUaQ Le Corbusier 1
http://youtu.be/XnrPtcRaOhg Le Corbusier 2
http://youtu.be/jPK9wmNH_CI Le Corbusier Chandigarh

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Histoire du cinéma
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Histoire du cinéma

La première projection du cinématographe Lumière a lieu le 28 décembre 1895, au Grand Café, boulevard des Capucines à Paris.
Le nouvel art puisera abondamment dans le trésor dramatique aussi bien théâtral que romanesque, du XIXe siècle finissant. Il lui empruntera sa puissance d'évocation liée à l'appétit de conquête d'une société industrielle en plein essor.
Il prolongera sa vocation à l'universel.

Ni Dickens, ni Dumas père, morts en 1870, ni Dostoïevski, mort en 1881, ni Herman Melville, mort en 1891, ni Dumas fils, mort en 1893, n'ont pu soupçonner les immenses virtualités cinématographiques de leurs œuvres.
Au cours de ces mêmes années naissent D. W. Griffith en 1875, Carl Dreyeren 1889, Fritz Lang en 1890, Jean Renoir en 1894, John Ford en 1895 et S. M. Eisenstein en 1898.
À l'aube du XXe siècle, au moment où tous les arts se découvrent dans une impasse et doivent se soumettre à des mutations, le jeune cinéma voit s'ouvrir devant lui le plus vaste et le plus neuf des champs d'investigation.
En France, Louis Lumière se contente de cinématographier, comme il a toujours photographié, avec une science discrète de la composition.
Il filme la sortie de ses usines, l'entrée d'un train en gare, une baignade en mer, une partie d'écarté, un bocal de poissons rouges. Il envoie ses opérateurs à travers le monde filmer Venise ou le couronnement du tsar Nicolas II.
Le cinéma permet désormais d'enregistrer un évènement, du plus mince au plus considérable, dans sa durée propre. Il donne corps à la fugacité même.
Le cinéma ne reproduit pas seulement le réel, il fixe à raison de 16, puis de 24 images par seconde des moments d'attention pure, exacte, singulière. Jusqu'à Lumière, la réalité n'était que le modèle proposé à l'artiste.
Dès ses premiers films, elle change radicalement de fonction en devenant une matière, aussi digne que le marbre du sculpteur, la couleur du peintre, les mots de l'écrivain.
"Écrire pour le cinéma, écrire des films, dira plus tard Alexandre Astruc, c'est écrire avec le vocabulaire le plus riche qu'aucun artiste ait eu jusqu'ici à sa disposition, c'est écrire avec la pâte du monde.

Le spectacle et le récit

Parallèlement, Georges Méliès poursuit par d'autres voies son métier d'illusionniste. Il se sert du même appareil pour saper les vérités irréfutables établies par Lumière. Les personnages apparaissent, disparaissent, se substituent les uns aux autres, voyagent à travers l'impossible.
L'automaboulof, dans ce film tourné en 1904, emporte ses passagers dans le Soleil, puis retombe sur la Terre et s'enfonce dans l'océan, mais une explosion le ramène à la surface.
La seule magie de la réalité découverte par Lumière ne suffit plus.
Il s'agit, comme dit Guillaume Apollinaire, rendant visite à Méliès, d' enchanter la vulgaire réalité.
La poésie du Voyage dans la Lune (1902), de L'Homme à la tête de caoutchouc (1901) ou des Quatre Cents Farces du diable (1906) est d'autant plus sensible, aujourd'hui, qu'elle ne se donne pas d'abord comme poésie.
La fantaisie et la fièvre hallucinatoire qui emportent les films de Méliès visent avant tout à l'effet de surprise ou d'émerveillement, à l'effet de spectacle.
La caméra de Lumière nous éveille au monde.
Méliès tend derrière ses personnages les toiles peintes de l'inconscient collectif. Avec les cinéastes anglais de l'école de Brighton, le cinéma découvre sa troisième fonction, celle du récit visuel.
Anciens photographes de plage, Williamson et Smith seront les premiers à faire valoir l'utilisation du découpage et des différentes échelles de plans.
Dans La Loupe de grand-mère, réalisé en 1900 par G. A. Smith, des gros plans de détail s'insèrent dans le tableau principal. La loupe du garçonnet isole successivement une montre, un canari, l'œil de grand-mère ou la tête du chat.

Thèmes et tensions

Avant la guerre de 1914, le cinéma explore les voies où il s'engagera dans les cinquante années suivantes. L'appât du gain aidant, l'art se confond très vite avec la fabrication et le commerce de pellicule impressionnée. En France, Charles Pathé et Léon Gaumont bâtissent leur empire.
Aux États-Unis, William Fox, Louis B. Mayer, Adolph Zukor, les frères Warner s'emparent du marché de l' exploitation avant de conquérir les instruments de production.
Le cinéma international est une gigantesque foire d'empoigne, où la propriété artistique se débite au mètre, où l'on s'attaque allégrement aux plus grands thèmes de la culture universelle. En 1904, Ferdinand Zecca tourne La Passion en s'inspirant de tableaux célèbres, dont La Cène de Vinci.
Or c'est déjà la troisième vie du Christ portée à l'écran, sans compter Le Christ marchant sur les eaux (1899) de Méliès.
Le cinéma exploite tous les thèmes existants avant de donner un éclat jusqu'alors inconnu à certains d'entre eux, qui apparaîtront bientôt comme les siens propres : l' érotisme, le grand spectacle, le réalisme, le suspense, la tarte à la crème, le western.
Déjà les premières tensions apparaissent.
La projection de sujets grivois, dans les nickel odeons permanents à 5 cents américains, suscite une première levée de boucliers des ligues de vertu, qui imposent la création d'une censure, ou plutôt de quarante-huit censures différentes, correspondant à chacun des États américains.
Mais l'érotisme reparaît au Danemark, qui invente la vamp avec Asta Nielsen et filme le baiser prolongé.
À la veille de la guerre, les cinéastes danois Urban Gad L'Abîme, Le Vertige et Holger Madsen Les Morphinomanes, L'Amitié mystique se sont acquis une réputation internationale.

L'Italie invente le peplum, c'est-à-dire l'épopée historico-légendaire à grand spectacle.
Les cinéastes italiens bénéficient du soleil, des décors et d'une figuration à bon marché.
On construit les remparts de Troie, on déploie les légions romaines, on jette les chrétiens aux lions. Gabriele d'Annunzio signe le scénario de Cabiria 1914, mais c'est Giovanni Pastrone qui l'écrit et le réalise. Ce film marque l'apogée du genre.
Cependant, la tradition réaliste se maintient face à l'épopée et au drame mondain.
Zola inspire Les Victimes de l'alcoolisme (1902) de Zecca, Germinal (1913) de Capellani, la série de films de La Vie telle qu'elle est (1911-1913) de Louis Feuillade, ainsi qu'une Thérèse Raquin italienne réalisée par Nino Martoglio (1915).
La contradiction du réalisme et de la fiction apparaît féconde, comme en témoigne la série des Fantomas, réalisée en 1913 par Feuillade, qui lançait trois ans plus tôt le manifeste de La Vie telle qu'elle est
"Ces scènes, écrivait-il, veulent être et sont des tranches de vie. Elles s'interdisent toute fantaisie et représentent les choses et les gens tels qu'ils sont et non tels qu'ils devraient être".
La poésie de Fantomas et des Vampires (1915) s'inscrira tout naturellement dans la réalité du paysage parisien.
En 1908, le film d'art se propose d'élever le niveau de la production cinématographique.
Cette contradiction entre l'esthétique et le spectacle populaire est assez grave, dans la mesure où elle demeure théorique et par conséquent promise à un bel avenir de malentendus.
On ouvre donc les portes du cinéma aux gloires de la littérature et de la Comédie-Française.
L'Assassinat du duc de Guise scénario de Lavedan, musique de Saint-Saëns, réalisation de Le Barge, connaît un grand succès mondain.
Les ambitions académiques du film d'art s'opposent à la fraîcheur d'invention des bandes comiques de l'époque, André Deed, Jean Durand, Max Linder, à la merveilleuse naïveté des films à épisodes et des mélodrames, à tout ce qui fait, précisément, le génie des primitifs.
"Ceux qui nous ont précédés avaient bien de la veine, dira Jean Renoir en 1948 : pellicule orthochromatique interdisant toute nuance et forçant l'opérateur le plus timide à accepter des contrastes violents ; pas de son, ce qui amenait l'acteur le moins imaginatif et le metteur en scène le plus vulgaire à l'emploi de moyens d'expression involontairement simplifiés."
"Heureux les potiers étrusques qui, pour la décoration de leurs vases, ne connaissaient que deux couleurs... / "Heureux les faiseurs de films qui se croyaient encore des forains."

L'ère du muet. La souveraineté américaine

En 1914, l'entrée en guerre inaugure une période lourde de conséquences pour les différentes écoles européennes.
Elles chercheront des voies nouvelles, en marge de la suprématie tant matérielle qu'esthétique du cinéma américain.
En l'espace de deux ans, grâce à deux films réalisés par D. W. Griffith, le cinéma accède à la maturité. Naissance d'une nation, Birth of a Nation, 1915 et Intolérance (1916)concentrent tous les faisceaux jusqu'alors divergents du spectacle et de l'intimité, de l'épopée et du naturel, de la tension dramatique et de la contemplation.
Il n'est pas un cinéaste de la génération des Renoir, Vidor, Hitchcock, Gance, Hawks qui ne se réclame de Griffith. Intolérance porte l'avenir du cinéma mondial.
La partie babylonienne et la Passion du Christ demeurent des modèles de composition plastique, d'exaltation de l'espace. La partie contemporaine contient en puissance tout le cinéma social à venir. L'orchestration du suspense y est déjà parfaite.
Le montage alterné de quatre lignes dramatiques :
Chute de Babylone, Vie et Passion du Christ , Massacre de la Saint-Barthélemy , La Mère et la loi préfigure les recherches soviétiques.
Les frères Lumière avaient inventé le cinématographe.
On pourrait dire que D.W. Griffith, lui, invente le cinéma.
Goût de la démesure dans l'évocation historique, cadrages inédits, efficacité d'un récit qui tire le meilleur parti de formes telles que l'épopée ou le feuilleton.

Naissance d'une nation pourrait s'intituler Naissance du cinéma américain.
On y trouve cette ampleur, cette générosité et cette fièvre de l'invention, cette simplicité, enfin, qui imposeront les films d'Hollywood sous toutes les latitudes. La jeune Amérique a trouvé dans le cinéma son moyen d'expression privilégié.
À la guerre civile désastreuse que se livrent les pays de la vieille Europe, elle oppose l'exemple de son unité continentale durement gagnée à l'issue de la guerre de Sécession.
L'intervention des États-Unis dans la guerre va leur conférer une responsabilité mondiale, qui était celle des puissances coloniales européennes à la fin du XIXe siècle.
"Certitude de l'espace, de l'accroissement, de la liberté, du futur ", écrivait Walt Whitman cinquante ans plus tôt. La conquête de l'Ouest est à peine achevée lorsque, dans les studios de Hollywood hâtivement bâtis sur les lieux mêmes de la Terre promise californienne, l'Amérique se donne un miroir à sa mesure, à la fois précis et déformant.
Rien de plus échevelé que les films poursuites que dirige alors Mack Sennett. Ils révèlent pourtant la fièvre d'action et la fabuleuse dépense d'énergie qui caractérisent le bond en avant de la civilisation industrielle.
Le goût de l'efficacité, de la préparation méthodique, de l'expression juste, directe, se retrouve dans le découpage technique des westerns de Thomas Ince : Pour sauver sa race, The Aryan, 1916, Carmen du Klondyke (1918).
Douglas Fairbanks incarne la magnifique santé d'un peuple, sa bonne conscience et son humour : Robin des bois (Robin Hood, 1922) ; Le Signe de Zorro, The Mark of Zorro, 1920 ; Le Voleur de Bagdad, The Thief of Bagdad, 1924.
Ses exploits acrobatiques ne sont pas seulement des performances sportives. Ils apparaissent sur l'écran comme des raccourcis saisissants, des figures de liberté.
"L'art américain, en cette période, écrit Henri Langlois, est surtout caractérisé par une concision extrême, une simplicité totale, la pureté du style. Tout y est dit en quelques instants et l'on passe aussitôt à ce qui va suivre. L'image est à la fois concise, pleine et aérienne."
Mais déjà dans L'Émigrant, The Immigrant, 1917, le personnage de Charlot attaque de sa verve corrosive les belles certitudes américaines. Il montre la misère réelle sous la générosité officielle, la férocité dissimulée par le dynamisme.
Déjà, le Viennois Stroheim se prépare à opérer la révolution du concret : Folies de femmes, Foolish Wives, 1919.
"J'ai voulu, disait-il, et je veux toujours montrer au cinéma la vraie vie avec sa crasse, sa noirceur, sa violence, sa sensualité et – singulier contraste –, au milieu de cette fange, la pureté."
Hollywood accueille les apports étrangers et les naturalise sans rien leur ôter de leur accent propre. L'unité du cinéma américain est faite de mille contributions diverses et contradictoires.
Là comme ailleurs n'est-ce pas le signe de la puissance et de l'originalité américaines que de tout fondre en un creuset, un melting-pot ? En 1920, le cinéma européen renaît de ses cendres.
En France, en Suède, en Allemagne, en Union soviétique, de nouvelles écoles naissent. Des cinéastes de génie s'imposent. Beaucoup d'entre eux s'accompliront à Hollywood.

La France, de la Belle Époque aux années folles : l'avant-garde

On peut s'étonner en constatant que ce n'est ni à Rome, ni à Londres, ni à New York, ni à Stockholm, ni à Moscou, mais à Paris que s'est formé, entre 1909 et 1919, l'art des temps modernes.
Il est surprenant que ces années où la France est plongée dans la plus terrible des guerres voient fleurir un art nouveau, complètement étranger au grand massacre.
Un art qui n'est pas fonction de l'homme comme celui d'Apollinaire et de Barbusse, mais qui a besoin pour s'épanouir d'une technique toute-puissante et de la fièvre des studios.
Cette avant-garde française semble s'inscrire en marge de tous les courants du cinéma mondial.
Elle rompt aussi bien avec le film d'art qu'avec le cinéma populaire de Feuillade.
Elle s'éloigne délibérément du grand cinéma américain, celui de Griffith et de Ince.
Elle a son critique, Louis Delluc. Et son poète, Abel Gance. À ce dernier, un peu trop oublié aujourd'hui, Henri Langlois a rendu justice :
"Plus que Louis Delluc, plus que Germaine Dulac, Abel Gance est le véritable père de l'avant-garde française ; elle aurait existé sans eux, elle n'aurait jamais existé sans lui. Comme elle n'aurait jamais existé sans les films de Chaplin et de la Triangle " la Triangle était la société formée par Mack Sennett, Griffith et Ince
Gance était déjà prêt en 1915 ; il portait son œuvre en lui ; elle avait commencé à mûrir bien avant celle de Delluc et de Dulac, dès avant la guerre.
Il savait déjà que le temps du cinéma était venu, il en entrevoyait la lumière et c'est pourquoi, dès 1917, il donnera La Dixième Symphonie, premier chef-d'œuvre de l'avant-garde française.
La Folie du docteur Tube (1911), son premier film, n'avait pas été compris. Sa véritable carrière commence en 1919 avec J'accuse, ce cri de révolte contre la guerre, qui fut entendu jusqu'à New York.
En 1938, il tournera un second J'accuse pour s'élever contre la nouvelle guerre menaçante. Mais c'est surtout La Roue (1922) qui, par ses recherches techniques, montage accéléré, fera la célébrité de Gance, avant son Napoléon (1927) qui confirme son génie épique.
À l'opposé de Gance, véritable grand primitif du cinéma français, Marcel L'Herbier, aristocrate, raffiné, est hanté par cette rage de l'expression que l'on retrouve aujourd'hui chez Godard.
Un film de Gance est un éclair, un cri ; un film de L'Herbier est déjà un langage.
En cela, il a une place à part dans cette avant-garde française dite impressionniste. Il est du côté des grands expressionnistes, du côté d'Eisenstein, des Russes.
Il veut faire parler le muet, L'Homme du large, 1920 ; Eldorado, 1921 ; L'Argent, 1928.
Louis Delluc et Jean Epstein ne furent pas seulement les deux grands théoriciens de cette école. Delluc (1890-1934), bien qu'il soit mort très jeune, laisse deux œuvres marquantes : Fièvre (1921), La Femme de nulle part (1922).
Peintre, sensible plus que tout autre à l'atmosphère, il est un pur impressionniste. Il annonce le cinéma de Vigo et de Renoir, qui s'affirmera dix ans plus tard.
Quant à Jean Epstein (1899-1953), l'importance de son œuvre critique se vérifie de jour en jour. Lui aussi est un peintre qui veut faire de chaque plan un univers de sensations.
Cœur fidèle (1923), La Glace à trois faces et Finis terrae (1928), L'Or des mers (1931), Le Tempestaire (1947) sont les grandes étapes d'un ensemble qui doit être redécouvert.
En revanche, Jacques Feyder et René Clair sont aujourd'hui les deux cinéastes qui émergent curieusement de cette époque.
Feyder (1888-1948) avait su tirer profit des recherches de quelques pionniers, exactement comme Lelouch a su aller au succès en exploitant les trouvailles du jeune cinéma.
C'est une recette toujours payante. Et les générations bourgeoises qui n'avaient rien compris aux romans de Zola purent s'extasier en toute bonne conscience sur la Thérèse Raquin (1928) de Feyder.
À cette époque, René Clair donne Paris qui dort (1924), Entracte (1924), Un chapeau de paille d'Italie (1927), qui sont sans aucun doute, avec ses premiers films parlants, ce qu'il a fait de meilleur.
La course-poursuite , héritée de l'école burlesque d'avant la guerre, devient la cellule mère d'un cinéma où l'accélération est la règle, réduisant les personnages à des marionnettes.
Rien de très neuf, sinon peut-être cette nostalgie du passé que René Clair exprimera plus tard dans un de ses films les plus personnels : Le silence est d'or (1947).
Pris dans la ronde de ces années folles, le cinéma français, à la veille du parlant, n'a pas pu constituer une école, comme son émule soviétique. Pourtant, l'avant-garde française – la première vague –, incomprise et vite endiguée, aura une influence souterraine inestimable.

Sagas nordiques et démons germaniques


Au moment où les cinéastes américains captent la lumière crue du soleil californien, les réalisateurs suédois découvrent à leur tour la magie du paysage naturel.
À propos du Trésor d'Arne (1919), où Mauritz Stiller montrait un cortège funèbre cheminant sur les glaces qui enserrent la coque d'un navire, Léon Moussinac écrivait :
"Avec quelle puissance singulière le décor ainsi utilisé accuse le caractère d'une scène, explique et complète un geste ou une expression, révèle la psychologie du drame."
Victor Sjöström, avec Les Proscrits, Berg-Ejving och Hans Huslru, 1918, La Charrette fantôme (Körkarleu, 1920), s'affirme comme un réalisateur puissant et âpre. Mauritz Stiller se montre plus sensible, vulnérable, indécis :
Dans les remous, Sangen on den Eldreda Blömman, 1918, Le Trésor d'Arne (1919).
Inspirés l'un et l'autre par les romans de Selma Lagerlöf, ils tentent de rendre visibles sur l'écran les vieilles hantises nordiques, le charme mystérieux des sagas.
Au même moment en Allemagne, tout un peuple sombre dans une crise économique et politique sans précédent. Une société s'écroule. Une nation voit son destin lui échapper.
Paradoxalement, une industrie cinématographique florissante permet l'éclosion de très grandes œuvres.
À l'heure de Caligari (Robert Wiene, 1920) et de Mabuse ( Fritz Lang, 1922), l'écran démoniaque se fait l'asile d'un peuple de somnambules.
Les cinéastes germaniques découvrent le pouvoir de la fascination et de l'hypnose. À l'intérieur de chaque cadre, les angles vifs du décor, la pantomime crispée des comédiens expriment une menace latente, la présence aiguë du désastre.
Ni les créatures asservies du Docteur Caligari et du Docteur Mabuse, ni les ouvriers esclaves de Metropolis, Lang, 1926, ni les victimes de La Mort lasse, c'est la traduction exacte du titre original des Trois Lumières, 1921, de Fritz Lang : Der müde Tod et de Nosferatu, le vampire, Friedrich Murnau, 1922, ni le portier d'hôtel possédé par son uniforme rutilant dans Le Dernier des hommes, Der letzte Mann, Murnau, 1924 ne peuvent se libérer de l'étreinte maléfique. La lumière même devient, selon Lotte Eisner, "Une sorte de cri d'angoisse que les ombres déchirent, telles des bouches avides" .
Fritz Lang et Friedrich Murnau dominent de très haut cette période.
Le premier impose sa marque : fermeté du dessin, tension architecturale, rigueur esthétique, exigence morale, également obstinées.
L'importance de Friedrich Murnau (1889-1931) n'a cessé depuis sa mort de croître dans l'esprit des cinéphiles. Toute son œuvre répond à la question de Hölderlin : L'ombre est-elle la partie de notre âme ? osferatu (1922), Le Dernier des hommes (1924), Tartuffe (1925), Faust (1926) portent l'art germanique à son degré extrême de pureté et de raffinement.
"Tout ici, écrit Alexandre Astruc, est marqué au sceau du pressentiment, toute tranquillité est menacée par avance, sa destruction inscrite dans les lignes de ces cadrages si clairs faits pour le bonheur et l'apaisement. Et voici, je crois, la clé de toute l'œuvre de Murnau, cette fatalité cachée derrière les éléments les plus anodins du cadre : cette présence diffuse d'un irrémédiable qui va ronger et corrompre chaque image comme elle va sourdre derrière chacune des phrases d'un Kafka."
Après Lubitsch, avant Lang, Murnau ira poursuivre à Hollywood sa fulgurante carrière. Il réalise L'Aurore (Sunrise) en 1927. C'est le point d'orgue de l'art du silence.
Le cinéma muet tend vers la perfection. Il est à présent un mode d'expression maîtrisé, fluide, qui transmet la vision intime des créateurs : Griffith, Chaplin, Stroheim, Keaton, Harry Langdon, auxquels sont venus se joindre Sternberg, Vidor, Hawks, alors débutants. Jamais les gags de la comédie burlesque n'ont été aussi précis : Le Cirque, The Circus, Chaplin, 1928, Le Cameraman, The Cameraman, Keaton, 1928.
Stroheim, Sternberg, Cecil B. De Mille déploient chacun une poésie à fleur de chair, où la réalité s'enveloppe d'une somptueuse lumière : La Marche nuptiale, The Wedding March, Stroheim, 1927, Les Nuits de Chicago, Underworld, Sternberg, 1927.
King Vidor trouve des accents d'épopée pour traduire le désarroi contemporain : La Grande Parade, The Big Parade, 1925, La Foule, Show People, 1928
Cet envoûtement qui tenait du sommeil... :
la formule d'Henri Langlois définit admirablement le sentiment qui nous attache à l'âge d'or du cinéma muet. En 1930, la révolution du parlant remet tout en question.

La vague soviétique

Le cinéma avait été en Russie, avant la révolution de 1917, ce qu'il était partout : un divertissement. Lui aussi avait eu ses vedettes, ses stars, mais non ses créateurs.
Il demeurait sagement à la remorque des cinémas américain et scandinave. Particulièrement théâtral, il n'avait pas toujours la chance d'être entre les mains d'un Stanislavsky.
Florissant pendant la guerre de 1914-1918, parce que celle-ci avait réduit l'importation des films étrangers, il ne léguait à la postérité qu'un nom d' acteur : Mosjoukine.
Encore celui-ci est-il associé dans nos mémoires au nom d'un réalisateur qui fut l'un des premiers théoriciens du cinéma soviétique : Koulechov.
L'expérience Koulechov-Mosjoukine est l'exemple le plus fameux de l'efficacité du montage, que les Soviétiques découvrent et développent dans les années 1920.
On sait que Koulechov avait emprunté à un vieux film un gros plan de l'acteur Ivan Mosjoukine qui s'y montrait impassible.
On avait monté ce plan successivement après une image d'une table bien garnie, puis après celle d'un cadavre, puis après celle d'un enfant.
Chaque fois le public crut que l'acteur avait un jeu différent, exprimant tour à tour son appétit, sa peur ou sa faiblesse. Cette expérience, devenue légendaire, est révélatrice du véritable esprit révolutionnaire de l'époque. Par elle, Koulechov veut démystifier l'acteur qui a fait les beaux soirs du cinéma tsariste. Le cinéma de montage succédera au cinéma d'acteur, comme le marxisme a renversé la bourgeoisie décadente.
Mais Koulechov avoue ainsi l'énorme influence de Griffith sur le cinéma soviétique naissant. Il est un lien précieux entre l'épopée américaine et l'épopée russe naissante.
Koulechov demeure un théoricien, incapable de réaliser dans des œuvres ce qu'il a pressenti. Après avoir démystifié l'acteur, il dirige les interprètes de ses propres films en les poussant à la grandiloquence et à une gesticulation forcenée.
Eisenstein, lui aussi admirateur passionné du cinéma américain, bouleversé par les films de Griffith, retiendra la leçon.
Il se voue au cinéma avec la fougue de sa jeunesse. Quand il tourne La Grève (1924), il n'a que vingt-cinq ans.
C'est à vingt-six ans qu'il improvise Le Cuirassé Potemkine, tourné en quelques semaines, dans une fièvre créatrice qui emporte toutes les idées, toutes les consignes, toutes les contraintes d'un cinéma encore pauvre, mais gonflé d'une immense ferveur.
À l'opposé de l'avant-garde française, à l'opposé de ses contemporains, Delluc et Epstein, Eisenstein n'a pas au départ d'idées sur le cinéma.
Il a avoué que son intuition de l'importance primordiale du montage lui était venue de sa connaissance des langues orientales, de leur logique différente.
C'est avec la même passion qu'il découvre l'âme asiatique, le théâtre révolutionnaire et le cinéma. Son œuvre est celle d'un passionné avant d'être celle d'une prodigieuse intelligence.
La Grève, Le Cuirassé Potemkine, Octobre, 1928 témoignent d'un extraordinaire tempérament lyrique, avant de laisser transparaître une rigueur de composition qu'Eisenstein se plaira lui-même à analyser avec son sens critique précis, impitoyable.
Il a éclipsé tous ses compatriotes. Pourtant, autour de lui, d'autres grands cinéastes s'imposent dans l'élan de la révolution. Poudovkine (1893-1953) est de ceux-là.
On connaît la boutade célèbre de Léon Moussinac :
"Un film d'Eisenstein est un cri. Un film de Poudovkine est un chant modulé et prenant".
Par là, Poudovkine est le plus russe des cinéastes soviétiques. Et peut-être aussi le plus spontanément communiste.
Ce qui fait la beauté d'un film d'Eisenstein, c'est la tension déchirante entre un individualisme forcené et le sens des masses. Eisenstein est un aristocrate, un seigneur qui découvre le peuple. Poudovkine, lui, a des affinités naturelles, évidentes avec ce peuple. Il n'a pas besoin de hausser le ton pour lui parler sa langue de tous les jours.
Les images gonflées de tendresse qui donnent à ses films une résonance cosmique – ces champs frissonnant au vent, ces fleuves qui font éclater leur prison de glace – sont celles qui se pressent tout naturellement sous la plume des grands poètes russes.
Les métaphores d'Eisenstein se justifiaient par leur efficacité, celles de Poudovkine par leur vérité. Ce scientifique, ingénieur comme Eisenstein, ne cherche pas la rigueur que celui-ci poursuit de film en film avec une rage crispée.
La Mère 1926, La Fin de Saint-Pétersbourg 1927 et Tempête sur l'Asie 1928 sont les œuvres d'un grand conteur et d'un grand poète.
Plus enraciné encore dans la terre russe apparaît Dovjenko (1894-1956).
Ce paysan ukrainien, obligé de venir travailler à Moscou, réussira cette chose rarissime : un cinéma de paysan. Il sait s'arrêter pour faire participer à tout ce qu'il aime.
Il n'utilise pas cette caméra fébrile, exaspérée, qui emporte les figures des films d'Eisenstein dans un tourbillon de formes frémissantes ; il est sensible à ce qui dure, à la paix des moissons rentrées, à l'angoisse de l'automne, bref aux grands rythmes de la nature.
Chez lui, le tragique naît toujours d'une rupture de cet ordre qu'il faut coûte que coûte retrouver. La Terre (1930) est son chef-d'œuvre.
À l'écart de ces trois grands du jeune cinéma soviétique, et à l'origine de celui-ci, on trouve un cinéaste qui a dû attendre les années 1960 pour que son héritage soit recueilli : Dziga Vertov (1897-1954), le créateur du Kino Pravda, cinéma-vérité.
Ses films pris sur le vif, dans la rue, veulent être des documents. Mais, pour ne pas troubler le sujet, il est obligé de se cacher et ses prises de vues au téléobjectif deviennent du voyeurisme.
Pour donner ensuite quelque intérêt à ses documents, il doit faire appel à toutes les ressources du montage. Par là, il altère le sens originel de ce qu'il a saisi.
C'est en reposant courageusement ces problèmes éludés par Vertov que Jean Rouch fera sortir le cinéma-vérité de l'impasse, quarante ans plus tard.

Le parlant : les années 1930. En Amérique

Le règne des producers
Le cinéma muet avait su compenser son infirmité foncière par un surcroît de sensibilité et d'invention. Mais il ne pouvait se passer plus longtemps de la parole et du son.
La mise au point technique du parlant ne fut pas déterminante, puisque les premiers essais concluants du synchronisme entre l'image et le son avaient été réalisés en 1919.
À l'époque, les producteurs et les distributeurs d'un cinéma muet florissant avaient purement et simplement négligé l'invention.
Guettés par la faillite en 1927, les frères Warner jouèrent cette dernière carte.
Ce fut Le Chanteur de jazz, dont le succès bouleversa de fond en comble l'industrie et l'art cinématographiques.
Toute résistance s'avéra bientôt inutile. Les cinéastes qui avaient porté l'art muet à son apogée durent se plier à la technique sonore, ou se retirer.
La loi d'airain du succès entraîna de bien cruelles déchéances : la retraite de D. W. Griffith, l'élimination progressive de Buster Keaton et de Harry Langdon, le départ d'Eric von Stroheim pour l'Europe, où il devait poursuivre sa carrière de comédien.
Mais déjà, à Hollywood, la formidable machine industrielle s'organisait en vue de nouvelles conquêtes. L'invention du doublage permettait à nouveau l'exportation des films. Les grandes sociétés affirmaient leur emprise sur la production, la distribution, l' exploitation, concentration verticale.
"Les pionniers bottés ont fait place aux financiers à lunettes, écrira plus tard René Clair. C'est par une sorte de superstition que l'on continue de nommer les réalisateurs et les écrivains d'un film américain. À quelques exceptions près, leurs signatures ne signifient guère rien de plus que celles qui figurent sur les billets de banque."
Une telle sévérité ne résiste pas à la vision des films.
Lorsque les exceptions se nomment Ernst Lubitsch, Josef von Sternberg, Howard Hawks, King Vidor, Leo Mac Carey, George Cukor, Fritz Lang, pour ne citer que les plus grands, on ne peut qu'admirer une fois de plus la puissance créatrice d'Hollywood.
Certes, le cinéma parlant a grandement contribué à établir le producer, gardien de l'efficacité et des conventions, dans ses prérogatives contraignantes.
Mais on oublie que cet intermédiaire entre l'art et l'argent, entre le réalisateur, director et la hiérarchie financière de la compagnie, est souvent un homme de goût, voire de talent : Joseph L. Mankiewicz, par exemple, le futur réalisateur de Chaînes conjugales, A Letter to Three Wives, 1948, et de La Comtesse aux pieds nus, The Barefoot Contessa, 1954, restera huit ans producer à la Metro-Goldwyn-Mayer ; c'est lui qui produira en 1936 le premier film américain de Fritz Lang, Furie.
D'une manière générale, les grands studios imposent aux réalisateurs et aux auteurs un contrat strict, mais honnête : celui d'un spectacle à réussir. Il s'agit d'abord de plaire et de toucher. Le public, roi, jouit alors d'un très grand respect.

Malice et gravité. Lubitsch et Sternberg

La nécessité commerciale n'est nullement avilissante, comme en témoignent les comédies de Lubitsch et les mélodrames de Josef von Sternberg.
Lubitsch (1892-1947) a réalisé ses premiers films en Allemagne dès 1915, puis il s'est expatrié en Amérique en 1922.
Très vite, il s'est imposé comme un réalisateur à succès. Il produit ses propres films : L'Éventail de Lady Windermere, Lady Windermere's Fan, 1925 ; Le Prince étudiant, The Student Prince in Old Heidelberg, 1927.
Né à Vienne, Sternberg débute à Hollywood en 1925. Il est un des maîtres de l'art muet : Les Nuits de Chicago (1927) ; Les Damnés de l'océan, The Docks of New York, 1928.
Il se rend à Berlin en 1930 pour y réaliser le film qui lui conférera la célébrité, L'Ange bleu, Der blaue Engel, avec Marlene Dietrich.
Comme Murnau et Lang, comme Stroheim le Viennois, Lubitsch et Sternberg illustrent la synthèse entre la très vieille culture judéo-germanique et l'esprit d'efficacité de la jeune Amérique.
Entre 1929 et 1948, Lubitsch donnera au cinéma américain plus de dix chefs-d'œuvre où brillent une invention sans pareille, un goût anxieux de la fête, une lucidité sans défaillance.
Ce sont : Haute Pègre, Trouble in Paradise, 1932 ; La Veuve joyeuse, The Merry Widow, 1934 ; Ange (Angel, 1937) ; Ninotchka (1939) ; Jeux dangereux, To Be or Not To Be, 1942 ; Le ciel peut attendre (Heaven Can Wait, 1943). En France, cette œuvre a suscité des appréciations diverses.
Dans son Histoire du cinéma, Georges Sadoul exécute Lubitsch en quelques lignes :
"Le roublard Lubitsch ... Sa vulgarité, sa lourdeur l'empêchèrent d'être le roi de la comédie légère."
Plus tard, François Truffaut l'a réhabilité en un vibrant hommage :
"Si vous me dites : „Je viens de voir un Lubitsch dans lequel il y avait un plan inutile“, je vous traite de menteur. Ce cinéma-là, le contraire du vague, de l'imprécis, de l'informulé, ne comporte aucun plan décoratif, rien qui soit là „pour faire bien“, non, on est dans l'essentiel jusqu'au cou".
La malice de Lubitsch, la gravité de Sternberg sont également profondes sous des apparences de pure séduction. Dans Cœurs brûlés (Morocco, 1930), X 27 (1931), L'Impératrice rouge (The Scarlet Empress, 1934), où il trouva en Marlene Dietrich l'idéale Galatée du Pygmalion tyrannique qu'il était, mais aussi dans Une tragédie américaine (1931), Josef von Sternberg impose sa vision hautaine et raffinée, inquiète et splendide. Il est le grand cinéaste baudelairien, exprimant mieux que tout autre
l'horreur de la vie et l'extase de la vie .

L'Amérique humaniste

Le cinéma américain ne manque pas de personnalités de premier plan. King Vidor signe en 1929 Halleluyah ; en 1934, Notre Pain quotidien (Our Daily Bread) ; en 1939, Le Grand Passage (Northwest Passage). C'est à lui que revient l'héritage de Griffith.
Il se fait le chantre d'une Amérique en gestation, dont il exorcise les démons et fait valoir les élans de manière purement lyrique.
Un autre poète s'affirme, l'Irlandais John Ford, qui bénéficie lui aussi d'une longue expérience de cinéaste du muet. Il réalise en 1934 La Patrouille perdue, The Lost Patrol et en 1935 Le Mouchard, The Informer, ses films les plus célèbres, mais qui ne doivent pas faire oublier Je n'ai pas tué Lincoln, The Prisoner of Shark Island, 1936 et Le Jeune Monsieur Lincoln, Young Mister Lincoln, 1939.
À lui seul, Ford incarne l'esprit des années 1930 dans une Amérique qui se veut forte et tolérante, aventureuse et paisible, généreuse et lucide. Le souvenir du président Lincoln plane sur les États-Unis, qui viennent d'élire le démocrate humaniste Franklin D. Roosevelt.
C'est l'Amérique de La Chevauchée fantastique, Stagecoach, 1939 et des Raisins de la colère, The Grapes of Wrath, 1940, celle aussi des Lumières de la ville (City Lights, 1931) et des Temps modernes (1936)de Chaplin.
De cette période, on retiendra surtout des visages : le masque buriné et pathétique de Victor Mac Laglen dans Le Mouchard, la trogne irradiée de Thomas Mitchell, le médecin ivrogne de La Chevauchée fantastique, la délicieuse vivacité de Paulette Godard, fiancée à Charlot dans Les Temps modernes, l'assurance familière de Walter Huston dans le personnage d'Abraham Lincoln, dernier film de Griffith, en 1930, ou de Henry Fonda dans Le Jeune Monsieur Lincoln, de John Ford, en 1939.
La comédie même se veut sociale, humanitaire. C'est le sens de l'œuvre de Frank Capra. Dans l'autocar qui la mène de New York à Miami, New York-Miami (It Happened One Night, 1934), Claudette Colbert, la riche et insupportable héritière, partage les joies saines de ses compagnons de route plébéiens. Elle se laisse séduire par Clark Gable, un journaliste aux manières frustes. Gary Cooper, dans L'Extravagant Monsieur Deeds (Mr. Deeds Goes to Town, 1936), distribue sa fortune aux chômeurs. Le milliardaire acariâtre de Vous ne l'emporterez pas avec vous (You Can't Take It With You, 1938) est conquis à la liberté d'esprit qui règne dans une famille modeste.

Le cinéma américain classique

Mais le registre de Capra demeure limité. Howard Hawks et Leo Mac Carey, qui sont ses rivaux en matière de comédie, ont un projet bien plus vaste. Pour l'un et l'autre, la comédie représente simplement le terme privilégié d'une alternative personnelle. L'œuvre de Hawks oscille entre le burlesque, L'Impossible Monsieur Bébé Bringing Up Baby, 1938 et le tragique, Scarface Scarface Shame of the Nation, 1932, celle de Leo Mac Carey entre l'observation bouffonne des mœurs, L'Extravagant Monsieur Ruggles, 1935 et le pathétique intime,Place aux jeunes, 1936.
Ils couvrent ainsi l'essentiel du domaine américain.
Hawks se place à hauteur d'homme, il déclare ne s'intéresser qu'à des personnages normaux. Mac Carey, qui dirigea avant 1930 les meilleures comédies muettes de Laurel et Hardy, est un peintre moins distant, mais tout aussi précis. Leurs films sont d'autant plus riches qu'ils apparaissent plus simples. Peut-on définir autrement le classicisme ?
En 1940, dix ans à peine après l'introduction du parlant, le cinéma américain dans son ensemble tend vers un classicisme. Chaque genre est parvenu à un point de perfection. John Ford condense tout l'esprit du western dans La Chevauchée fantastique.
Lubitsch anime Greta Garbo et la lance dans le tourbillon enivrant de Ninotchka. George Cukor, venu du théâtre, et qui s'est affirmé comme le plus sensible directeur de comédiens du cinéma américain – Sylvia Scarlett (1935) ; Camille, Le Roman de Marguerite Gautier, 1936–, réalise avec Indiscrétions, The Philadelphia Story, 1941 la plus brillante des comédies américaines.
Katharine Hepburn, James Stewart et Cary Grant y donnent toute leur mesure. La même année, Howard Hawks signe Seuls les anges ont des ailes, Only Angels Have Wings, un film d'une rare noblesse sur les pionniers de l'aviation.
C'est l'année aussi où William Wyler réalise Les Hauts de Hurlevent, Wuthering Heights, d'une perfection plus académique que classique, et où Victor Fleming adapte Autant en emporte le vent, Gone With the Wind, chef-d'œuvre en son genre de l'esprit romanesque américain, succès populaire encore inégalé.

En Allemagne

En 1930, en Allemagne, sortent L'Ange bleu, Quatre de l'infanterie (Westfront 18), réalisé par G. W. Pabst avant L'Opéra de quat' sous. Mais déjà les bandes hitlériennes parcourent les villes. Le nouveau réalisme du cinéma allemand, qui succède aux formes hallucinées de l'expressionnisme et aux lumières moites du cinéma de chambre (Kammerspiel), traduit une terrible angoisse.
Fritz Lang résiste avec une force exemplaire. Il réalise coup sur coup M le Maudit (1932) et Le Testament du docteur Mabuse (1933).
Cette histoire d'un bandit fou, qui dirige son gang depuis la cellule de l'asile où il est enfermé, sera interdite par le docteur Goebbels, qui propose cependant à Lang de diriger le nouveau cinéma allemand. Les nazis ont besoin d'un Potemkine qui chantera selon eux l'idéologie nationale-socialiste.
Le soir même de cette flatteuse proposition, Lang s'exile définitivement.
Il avait maudit par avance la sombre fascination à laquelle cède soudain un grand peuple. La tragédie de M le Maudit est celle d'une culpabilité qui gagne implacablement toutes les couches d'une société.
Les délibérations de la pègre et de la police sont réunies dans un montage d'une lucidité prophétique.
C'est encore Lang qui parle de Mabuse en ces termes :
" Le docteur Mabuse qui dit de lui-même : „Je suis la loi“, est le criminel parfait, le grand montreur de marionnettes... Il est le grand joueur qui joue en Bourse avec l'argent, avec l'amour et avec le destin des hommes, mais qui ne laisse rien au hasard. Son arme favorite est l'hypnose."
Après le départ de Lang, le cinéma allemand s'enfonce dans la nuit. Certes les talents ne lui manquent pas, Leni Riefenstahl, Le Triomphe de la volonté, Hans Steinhoff, La Lutte héroïque ou Veit Harlan, Le Juif Süss.

Le réalisme français (1930-1940)Le cinéma, art populaire

Lorsque les premières démonstrations de cinéma sonore ont lieu à Paris, en 1927 et 1928, l'avant-garde appartient déjà au passé.
Les hommes qui vont faire le cinéma de demain sont peu ou pas du tout connus. Ils vont aborder le parlant sans préjugés. Ils s'appellent Luis Buñuel, Jean Vigo, Jean Cocteau, Jean Renoir.
Eisenstein vient faire des conférences à Paris en 1930 et apporte toute son autorité au service de l'avènement du parlant.
Pendant que l'élite pleure le cinéma muet, le grand art disparu, le cinéma trouve en France sa seconde chance d'être ce qu'il fut à son origine : un art populaire.
Dans cette période de 1930 à 1936, où la conscience populaire s'éveille, le cinéma français – pour la seule fois de son histoire – va être l'écho et le miroir fidèle de cet élan.
Tout commence par un cri silencieux de révolte.
Le Chien andalou (1928), film muet de Buñuel, est peut-être le premier film de cette période. Avec L'Âge d'or (1930), Buñuel répète le scandale.
Mais il ne le cultivera pas et, au lieu de devenir la bonne conscience d'une société déchirée, retournera en Espagne, son pays natal, tourner Terre sans pain, Las Hurdes, 1934, le premier document cinématographique sur la misère.
Buñuel a donné le ton. Le cinéma français appartiendra aux poètes.
Avec Zéro de conduite (1932) et L'Atalante (1934), Jean Vigo (1905-1934), avant de mourir prématurément, donne au cinéma français deux joyaux dont personne, à l'époque, n'est capable d'estimer la valeur. À peu près seul, Élie Faure salue l'auteur de L'Atalante, en qui il a reconnu le grand peintre du cinéma.
Il faudra quinze ans pour que Vigo soit enfin réhabilité par les siens. Pendant ces quinze ans, comme il arrive toujours, des médiocres tenteront vainement de forcer son secret.
Chaque film de Carné est un hommage indirect à Vigo.
De Quai des brumes (1938) aux Portes de la nuit (1946), le trop fameux « réalisme poétique » français se révèle aujourd'hui l'héritage mal compris de la poésie fulgurante et inimitable de L'Atalante. Mais Carné a du succès parce que ses images sont chargées des signes de la poésie.
Chez Vigo, la poésie n'est que ce qu'elle doit être : le réel mis à nu, troublant, angoissant, merveilleux ou sordide.
On ne peut pas récupérer ces images, les réduire à une technique.
Elles nous mettent face à face avec le monde. C'est pourquoi, d'abord, elles font peur.

Dans une société au bord de l'abîme

Pendant les années bouillonnantes du muet, un autre cinéaste avait travaillé discrètement, indifférent aux grands courants de la mode.
À travers le naturalisme de Delluc, d'Epstein et de L'Herbier, il était allé chercher son inspiration dans la peinture impressionniste, dont il était l'héritier : il était le fils d'Auguste Renoir.
"Je me mis à regarder autour de moi et, émerveillé, je découvris des quantités d'éléments purement de chez nous, tout à fait transposables à l'écran. Je commençais à constater que le geste d'une laveuse de linge, d'une femme qui se peigne devant une glace, d'un marchand des quatre-saisons devant sa voiture avaient souvent ici une valeur plastique incomparable. Je repris une espèce d'étude du geste français à travers les tableaux de mon père et des peintres de sa génération .... Je sais que je suis français et que je dois travailler dans un sens absolument national. Je sais aussi que, ce faisant, et seulement comme cela, je puis toucher les gens des autres nations et faire œuvre d'internationalisme. "
C'est ainsi que jean Renoir se libéra de l'influence des maîtres américains, de Stroheim entre autres, et qu'il inventa un nouveau cinéma français.
C'est dans La Chienne (1931), La Nuit du carrefour et Boudu sauvé des eaux (1932) qu'il faut chercher la poésie de Paris et de sa banlieue, la magie inquiétante de la nuit, la fascination des quais.
La Grande Illusion (1937), La Bête humaine (1938), La Règle du jeu (1939) approfondissent l'analyse d'une société que Renoir sait au bord de l'abîme.
L'anarchisme de Prévert, qui est sans conséquence dans les films écrits pour Carné, prend chez Renoir une valeur prophétique, Le Crime de M. Lange, 1935, où sont exprimés tous les espoirs du Front populaire.

La caméra, appareil d'enregistrement

À l'autre bout du pays, à Marseille, un autre homme va s'opposer au concert de lamentations des cinéphiles du muet. Méprisé par les critiques, adoré par le grand public, il va, en même temps que Vigo et Renoir, inventer le cinéma parlant, libre, dégagé de toute volonté expressionniste.
Avec lui, la caméra redevient ce qu'elle fut pour Louis Lumière : un appareil d'enregistrement.
Ce méridional, homme de théâtre, professeur, mais qui a su garder le contact avec le pays où il vit et les gens qui l'habitent, c'est Marcel Pagnol.
En 1935, il invite Renoir à venir tourner en décors naturels, près de Marseille, un drame populaire : Toni. Avec une superbe audace, il ose faire une déclaration dont on n'est pas sûr qu'elle soit une évidence pour le public d'aujourd'hui, tant le mythe du cinéma muet a la vie dure. Il disait notamment :
"Le film muet va disparaître à jamais , ce film parlant doit parler, le film parlant peut servir tous les arts et toutes les sciences, mais il n'a découvert aucun des buts qu'il nous permet d'atteindre. Ce n'est qu'un admirable moyen d'expression" .

Néanmoins, Pagnol, qui s'était contenté au départ d'être le scénariste de ses films, Marius fut réalisé par Alexandre Korda, Fanny par Yves Allégret, devient avec César (1936) réalisateur.
Il faudra attendre 1950 pour que les néo-réalistes italiens lui rendent justice et se reconnaissent ses héritiers.
Les jeunes cinéastes français des années 1960 retrouveront sa liberté de mise en scène.

Cinéma et théâtre

Pagnol, en tout cas, n'est pas le seul homme de théâtre français qui s'intéresse au cinéma. Avec lui, Sacha Guitry travaille sous les quolibets des esthètes, mais avec la confiance du grand public. Son cinéma, comme celui de Pagnol, est un cinéma d'acteurs et, de même, sa caméra enregistre d'un point de vue documentaire un drame qui existe sans elle.
Curieusement, c'est vers Guitry que Renoir évoluera plus tard, ses films devenant des documents sur un univers théâtral, La Règle du jeu est le premier pas dans cette voie.
On mesure ici combien il serait vain d'opposer cinéma réaliste et théâtre filmé. Une telle opposition ne se concevait qu'au niveau du contenu.
En vérité, par leurs méthodes, Renoir, Pagnol et Guitry sont tous réalistes ; plus que Carné, plus que Duvivier, Pépé le Moko, 1936, qui font réalistes avec les artifices les plus suspects : effets de lumière, pavés glissants, brumes et décors sordides, etc..
Enfin, Jean Grémillon inscrit son œuvre – discrète, sensible, attentive au contexte social de l'époque – dans ce grand courant du réalisme français : Gueule d'amour (1937), Remorques (1940).
Quant à René Clair, il avait su prolonger dans le parlant l'esthétique du muet.
Les poursuites du Million (1931) et de À nous la liberté (1932) sont justement célèbres. Il avait su, le premier, deviner les effets comiques du son et en tirer une multitude de gags. La poésie populiste de Paris était depuis longtemps son univers familier.
Néanmoins, il n'hésita pas à s'expatrier, dès 1935, en Angleterre, puis aux États-Unis.
Malgré la prodigieuse vitalité du cinéma français de cette époque, la fascination de l'Amérique était encore grande. La guerre venue, Renoir allait rejoindre, à son tour, Hollywood.
Les Soviétiques aussi ressentaient cet attrait : Eisenstein avait fait en 1930 son expérience américaine.

Les grands Soviétiques après 1930

À l'avènement du parlant, comment allaient réagir les grands cinéastes soviétiques, eux qui avaient fait du cinéma muet un authentique moyen d'expression ?
Il est frappant de voir que leur attitude fut à la fois réactionnaire, lucide et constructive. Dès 1930, Eisenstein, Poudovkine et Alexandrov publient un manifeste devenu célèbre, où ils prennent position :
"Le film sonore, écrivent-ils, est une arme à deux tranchants, et il est très probable qu'on l'utilisera selon la loi du moindre effort, c'est-à-dire pour satisfaire la curiosité du public .... Le son détruira l'art du montage, moyen fondamental du cinéma."
Pourtant cette méfiance s'accompagne d'une intuition profonde de la valeur du son et de l'infirmité du cinéma muet :
"Le son introduira inévitablement un moyen nouveau et extrêmement affectif d'exprimer et de résoudre les problèmes complexes auxquels nous nous sommes heurtés jusqu'à présent, et que nous n'avions pu résoudre en raison de l'impossibilité où l'on était de leur trouver une solution à l'aide des seuls éléments visuels. "
Déjà, ils entrevoyaient une technique où le son doit être utilisé en contrepoint de l'image.
Déjà, ils introduisaient la distinction fondamentale entre images-vision et images-sons.
Ils inventaient un langage audio-visuel. Malgré cela, le cinéma soviétique sera le dernier à s'équiper pour le parlant, en 1934, six ans après les États-Unis.
Eisenstein, dont le génie avait été immédiatement reconnu dans le monde entier, crut pouvoir commencer une carrière américaine.
Il troqua les contraintes idéologiques contre celles de l'argent, et ne gagna pas au change : ayant entrepris une vaste fresque sur le Mexique, il dut interrompre son travail par suite d'un désaccord avec ses producteurs.
Que Viva Mexico (1931-1932) est une grande œuvre inachevée.
Eisenstein revint à Moscou, retomba dans les tracasseries politiques. Le Pré de Béjine (1935) est son échec le plus cuisant. Le tournage fut interrompu, et l'esprit d'Eisenstein sévèrement critiqué.
À l'écart de la production jusqu'en 1937, il put au moins se consacrer entièrement à ses recherches théoriques.
Alexandre Newsky (1938) sera le fruit éclatant de cette longue et douloureuse maturation. Né de la collaboration amicale et féconde d'Eisenstein et de Prokofiev, Alexandre Newsky témoigne d'une maîtrise absolue de la matière audio-visuelle.
Le montage sonore y atteint une subtilité souveraine. Pourtant Eisenstein, jalousé par ses pairs, étranger dans son propre pays, solitaire et trop lucide, à l'image des grands personnages de ses films, donne, si on ne considère que lui, une image inexacte du cinéma soviétique d'avant guerre.
Tandis que le cinéma français découvrait une nouvelle forme de réalisme, les Soviétiques s'orientaient vers ce que Poudovkine a appelé le réalisme socialiste .
Le cinéma devait peindre les rapports de l'homme et de son travail ; par là, rendre sensibles les liens qui unissent l'individu à la nation tout entière.
Cette perspective, beaucoup plus imposée que ressentie, restera liée à l'image d'un cinéma stalinien où l'idée écrase le fait, où le montage reconstruit le réel au lieu de le faire apparaître. Là, Vertov triomphe, lui qui a toujours créé par le montage.
Trois Chants sur Lénine (1934) est une vibrante épopée du socialisme.
Mais les cinéastes qui, outre Eisenstein, ont marqué cette époque sont peut-être ceux qui œuvrent en marge du réalisme socialiste.
Nicolas Ekk tourne Le Chemin de la vie (1931). En 1937, un programme de production de films pour enfants va permettre à deux cinéastes de se révéler.
D'abord Legotchine, avec Au loin une voile (1937). Mais surtout Mark Donskoï, avec la célèbre trilogie des mémoires de Gorki : Enfance, En gagnant mon pain, Mes Universités (1938-1940), qui ont fait les beaux soirs de tous les ciné-clubs français après la guerre.
Donskoï tient une place à part dans le cinéma soviétique.
Cet homme de la première génération – il a un an de plus qu'Eisenstein – attendra la maturité pour donner le meilleur de lui-même.
Peu soucieux de recherches techniques, il crée avec un instinct sûr, une sensibilité révoltée qui l'apparente à Buñuel et qui est – comme chez ce dernier – le revers d'une immense tendresse pour les êtres désarmés devant la cruauté de la vie. Comme Dovjenko, Donskoï est le peintre des fleuves, des étendues frissonnantes, des ciels sanglants, des soleils noyés, des êtres perdus dans un monde où la force prime le droit, où l'argent a corrompu les sentiments les plus nobles.
Attaché à l'œuvre de Gorki, il est le chantre de la vieille Russie tsariste. Dans cette évocation du passé, il n'y a pas trace de complaisance, mais la recherche d'une vérité universelle, l'évidence d'une révolution toujours inachevée, toujours à recommencer.
Donskoï est le poète de l'intimité, du foyer, de l'humble maison où les êtres se déchirent, où les conflits de générations s'exaspèrent.
Avec une admirable simplicité, il va droit à l'essentiel : la noblesse d'un geste, d'un visage usé, d'une confidence difficile.
Ses derniers films n'ont rien à envier à sa trilogie. L'Arc-en-ciel (1944), La Mère (1956), Le Cheval qui pleure (1957), Thomas Gordeiev (1959) sont les jalons d'une œuvre profondément indépendante qui couvre vingt ans de cinéma soviétique.
D'Aerograd (1935) au Poème de la mer (1958), Dovjenko laisse une œuvre que sa veuve Solntzeva a continuée avec une admirable fidélité.
Au lendemain de la guerre, Eisenstein tourne Ivan le Terrible (Ivan Grozny, 1944-1945), diptyque inachevé qui restera son testament.
Le problème du cinéma soviétique sera, plus qu'ailleurs, celui de la relève par les jeunes cinéastes. Mais les conditions idéologiques de la période stalinienne retarderont la venue de cette nouvelle vague. C'est loin de Moscou, en Ukraine ou en Géorgie, que se dessine le renouveau du cinéma soviétique.
Plus que les films de Tchoukhraï, La Ballade du soldat, 1958 ou le mélodramatique Quand passent les cigognes (1957) de Kalatozov, La Chute des feuilles (1968) de Iosseliani apparaît comme le premier film du jeune cinéma soviétique.


Le cinéma mondial de la guerre à l'après-guerre. La France, de la poésie à la littérature

Sous l' Occupation, le cinéma français devient le cinéma des poètes. Les Allemands ont offert leurs capitaux pour maintenir une production française. Mais, pour la contrôler, ils ont créé aussi le Centre national du cinéma qui a survécu à l'Occupation, à la Libération, et par lequel le gouvernement continue à surveiller le cinéma français.
Pourtant, malgré de grandes difficultés, le cinéma français continue à vivre au mépris de la tutelle des occupants.
Rompant avec le réalisme d'avant guerre s'affirme une veine poétique avec Le Mariage de Chiffon (1942) et Douce (1943) de Claude Autant-Lara, et La Nuit fantastique (1942) de Marcel L'Herbier.
Elle s'épanouira au lendemain de la guerre dans les œuvres maîtresses de Cocteau : La Belle et la Bête (1946), Orphée (1950).
Parallèlement se manifeste une inspiration historique motivée par le même impératif d'évasion. Marcel Carné tourne Les Visiteurs du soir (1942) et Les Enfants du paradis (1943).
Pourtant, bien qu'il soit difficile d'envisager un cinéma en prise sur l'actualité, un courant réaliste reprend fidèlement la tradition du meilleur cinéma d'avant guerre.
Elle est représentée par celui qui fut l'assistant de Renoir et qui sera l'un des cinéastes les plus marquants de l'après-guerre : Jacques Becker (1906-1960).
Avec Goupi Mains-Rouges (1943), celui-ci entreprend cette ambitieuse Comédie humaine qui va, de film en film, tenter une peinture de la société française, de ses classes, de ses milieux, de ses générations.
Goupi Mains-Rouges nous plonge dans le monde paysan, Antoine et Antoinette (1947) dans le peuple de Paris ; Rendez-vous de juillet (1949) est le premier document juste sur la jeunesse de Saint-Germain-des-Prés ; Édouard et Caroline (1951) décrit, dans un style très proche de la comédie américaine, la grande bourgeoisie parisienne ; mais, surtout, Casque d'or (1952), sur les truands de la Belle Époque, reste le chef-d'œuvre de Becker et l'un des joyaux du cinéma français. Becker disparaîtra prématurément en 1960, alors qu'il achevait Le Trou, et que la nouvelle vague – qui lui devait tout – faisait son entrée en scène.
Jean Grémillon, Lumière d'été, 1942 ; Le ciel est à vous, 1943 est le second artisan de cette veine réaliste.
En marge de ces courants s'impose la figure de celui qui va être le plus grand cinéaste français de l'après-guerre : Robert Bresson.
Les Anges du péché (1943), Les Dames du bois de Boulogne (1945) étonnent avant de rencontrer, difficilement, leur public.
Cocteau et Becker se font les défenseurs ardents et lucides de Robert Bresson au début de sa carrière.
Après le départ des Allemands, la production américaine tente d'envahir le marché français.
Pour affronter cette concurrence, les producteurs français jouent la carte de la qualité et décident de conquérir le public bourgeois réfractaire aux westerns et aux films hollywoodiens en général.
C'est la grande ruée vers la littérature, l'âge d'or du cinéma d' adaptation dont le trio Aurenche - Bost - Autant-Lara se fera une spécialité.
Sacrifiant aux impératifs de cette mode, plusieurs cinéastes vont donner de grandes œuvres : Robert Bresson adapte Le Journal d'un curé de campagne de Bernanos (1950).
Max Ophüls(1902-1957), rentrant d'Amérique, adapte trois nouvelles de Maupassant, Le Plaisir, 1951 et une nouvelle de Louise de Vilmorin, Madame de..., 1953.
Mais son chef-d'œuvre, totalement incompris à l'époque, sera son dernier film : Lola Montès (1954)
En marge, comme Bresson, Jacques Tati invente un nouveau comique avec Jour de fête (1948) et Les Vacances de M. Hulot (1952).
Enfin, deux anciens critiques passent à la mise en scène : Roger Leenhardt avec Les Dernières Vacances (1947), un des films les plus justes, les plus subtils sur l'adolescence et la bourgeoisie, qui annonce la liberté de ton du jeune cinéma ; et Alexandre Astruc qui adapte Le Rideau cramoisi en 1953, première œuvre de ce qui deviendra la Nouvelle Vague.

Le néo-réalisme italien. Un essor considérable

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, c'est en Italie que le cinéma prit un essor considérable. Le renouveau du cinéma italien peut s'expliquer par des raisons politiques, historiques, artistiques, et aussi de générations.
Politiquement, les cinéastes, comme les écrivains et tous les artistes italiens, sont sévèrement surveillés par le pouvoir fasciste.
Les hommes de talent, condamnés au silence et à la retraite, mettent à profit cette retraite pour réfléchir sur le cinéma.
Et cette réflexion va se révéler extrêmement féconde, comme le sera plus tard, à la veille des années 1960, celle des jeunes critiques français. Pendant cette période s'ébauchent les grands principes du mouvement néo-réaliste.
Historiquement, l'expérience de l'occupation, puis de la libération de l'Italie, est un évènement qui dépasse toute fiction.
Ce que l'on vient de vivre, cette actualité brûlante, déchirante, immédiate, c'est cela qu'il faut porter à l'écran. Les Italiens ont vu beaucoup de films français pendant la guerre. Ils ont découvert les films de Carné, de Renoir et, surtout, parce qu'il est latin, méditerranéen, de Pagnol.
Ils ont senti que ce réalisme français d'avant guerre correspondait aussi à leur goût, à leur tempérament. Il n'y aura pas de cassure profonde entre les films de Pagnol et ceux de Rossellini.
Par ailleurs, alors que les cinéastes d'âge mûr se compromettent en 1940 avec le régime de Mussolini, les jeunes critiques, les futurs auteurs passent à l'opposition.
Cette génération groupée au Centre expérimental du cinéma fera le cinéma à venir.
Le terme néo-réalisme se trouve employé pour la première fois par le critique Umberto Barbaro, dans la revue Film, le 5 juin 1943.
Il est révélateur que ce terme s'applique alors au cinéma français d'avant guerre.
Deux hommes vont représenter les deux tendances du néo-réalisme. Pour Luchino Visconti, qui est marxiste, le réalisme doit être une reconstitution, un choix, un essai d'explication sociale, un processus d'analyse conforme au matérialisme dialectique.
Ossessione (1942) apparaît ainsi comme le premier film néo-réaliste.
"Ce qui m'a conduit au cinéma, dira Visconti, c'est le devoir de raconter des histoires d'hommes vivants : des hommes qui vivent parmi les choses et non pas les choses pour elles-mêmes."
Avec La terre tremble (La terra trema, 1948), chronique des pêcheurs siciliens, tragédie moderne où un homme seul essaie de briser l'esclavage de la société capitaliste, Visconti a réalisé le premier chef-d'œuvre du néo-réalisme.
Pour Roberto Rossellini, le néo-réalisme doit se fonder, non pas sur une interprétation de l'histoire, mais sur une attention aux faits, une vision globale des événements, sans préjugé :
"Si vous avez une idée préconçue, dit-il, vous faites la démonstration d'une thèse. C'est la violation de la vérité." L'attitude de Rossellini correspond assez exactement à celle de la phénoménologie :
"Une histoire racontée peut signifier le monde avec autant de profondeur qu'un traité de philosophie" Merleau-Ponty).
En 1952, Rossellini donnait cette définition du néo-réalisme : "Ce n'est pas une doctrine. C'est un fait intérieur, un état d'âme, une représentation tout à fait humble du monde, un acte de courage, en somme, qui tend à accepter l'homme tel qu'il est, un effacement parfois difficile. À la base du néo-réalisme, il y a d'abord une attitude d'humilité chrétienne."
De Rome, ville ouverte, Roma, città aperta, 1945 à La Prise du pouvoir par Louis XIV (1966), conçu pour la télévision française, l'œuvre de Rossellini, prophète incompris dans son pays, est un témoignage, un constat.
C'est pourquoi plusieurs de ses films en prise sur l'actualité sont datés : Allemagne, année zéro, Germania, Anno Zero, Europe 51, India 58.
Mais le témoignage est toujours celui d'un homme passionné, lyrique.
Outre ces deux personnalités, le néo-réalisme s'est fait connaître à travers d'autres cinéastes : l'acteur Vittorio de Sica réalisa plusieurs films dont Zavattini fut le scénariste : Sciuscia (1946) ; Le Voleur de bicyclettes (Ladri di biciclette, 1948) ; Miracle à Milan, Miracolo a Milano, 1950 ; et surtout Umberto D (1952), qui restera sans doute son meilleur film.
C'est souvent à travers l'œuvre de De Sica qu'on a connu le néo-réalisme. Pourtant, inégale et mélodramatique, elle est loin d'égaler celles de Visconti et de Rossellini.

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Posté le : 05/10/2013 18:58
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Histoire du cinéma suite
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Le renouvellement

Federico Fellini, assistant et scénariste de Rossellini, est un poète, un peintre baroque et un visionnaire. Il se soucie moins de témoigner de la réalité, sociale ou politique. Il porte un univers qu'il doit impérieusement exprimer. Ce qu'il voit n'est que le miroir de ses songes.
Ses personnages sont des créatures imaginaires, ses récits sont des fables. Il est le plus brillant conteur du cinéma européen.
Il est aussi, avec Bergman, le seul véritable homme de spectacle, fasciné par le cirque, les comédiens, les clowns et les feux de la rampe.
C'est La Strada, en 1954, qui l'a révélé au grand public. Mais déjà Les Vitelloni (1952) et plus tard Il Bidone (1955) sont des œuvres admirables, plus sincères que La Dolce Vita (1959).
En 1963, avec Huit et demi, Fellini a réalisé son film le plus beau, le plus personnel, le plus courageux.
En marge du néo-réalisme, Antonioni a commencé en 1950 une carrière d'auteur maudit. Cet ancien assistant de Carné, architecte passionné du cinéma, compose ses plans avec une nostalgie évidente de l'équilibre plastique, de l'harmonie des masses, de l'immobilité.
Chaque geste, chaque travelling bouleversent cet ordre comme une brise la surface d'un lac. Un film d'Antonioni est d'abord un conflit sévèrement organisé entre le mouvement et le repos, l'agitation fébrile de la vie et la pétrification fascinante, le spasme de la mort.
C'est à ce niveau d'abord que son cinéma peut paraître morbide. Le Cri, Il Grido, 1957, après Femmes entre elles, Le Amiche, 1955, lui vaudra un succès d'estime.
Mais c'est la révélation de L'Avventura en 1960 qui fera de lui le cinéaste dont on parle. Il a profité de ce snobisme pour réaliser La Nuit (La Notte, 1961) et L'Éclipse, L'Eclisse, 1962.
Dans Le Désert rouge, Il Deserto rosso, 1964, il a abordé la couleur avec une exigence admirable.
Tourné en Angleterre, Blow-up (1966) est à la fois une réflexion sur l'ambiguïté de l'image et un instantané des swinging sixties.
Dans ces mêmes années, Francesco Rosi, disciple de Visconti, Main basse sur la ville Le Mani sulla città, 1963, Ermanno Olmi, Les Fiancés, Fidanzati, 1962, et surtout Bertolucci, Prima della rivoluzione, 1963 ; Le Conformiste, 1971, enfin Marco Bellocchio, Les Poings dans les poches, 1965 ; Au nom du Père, 1971 démontrent l'étonnante diversité et l'indépendance du jeune cinéma italien.
Pier Paolo Pasolini, écrivain, poète, cinéaste, est sans doute le plus bel exemple de cette indépendance. Comme Godard en France, il s'ingénie à briser toutes les conventions du spectacle cinématographique. Dans ses films, toutes les formes des cultures les plus diverses, toutes les mythologies, toutes les musiques se rencontrent, se heurtent, se détruisent, s'éclairent d'une lumière éclatante.
Accatone (1961), L'Évangile selon saint Matthieu (1964), Œdipe-roi (1967) et Théorème (1968) bousculent nos habitudes de penser et de voir.
Pasolini, transfuge de la littérature, entre dans le cinéma avec un regard vierge. Son œuvre violemment critique et transgressive trouvera une manière d'accomplissement avec Saló, ou les Cent Vingt Journées de Sodome (1975).

Le nouvel essor américain. Welles et Bogart

Le coup de force de Citizen Kane (1941) sera aussi déterminant pour les vingt années à venir que celui, en son temps, de Naissance d'une nation.
En 1915 s'affirmait l'unité américaine ; en 1941, cette unité se brise en la personne d'un Américain exemplaire. Le journaliste qui enquête sur la personnalité fabuleuse du citoyen Kane ne réunit que des bribes, des cendres, le bric-à-brac hétéroclite d'une existence désintégrée.
Les formes héritées de Griffith n'ont pas résisté à l'irruption du doute. Avec Citizen Kane, le cinéma entre à son tour dans l' ère du soupçon .
Welles est le premier cinéaste moderne. C'est lui qui fournira à Chaplin l'idée maîtresse de Monsieur Verdoux (1947), le film qui scandalisera l'Amérique, en opérant la destruction la plus sereine des valeurs qu'elle croyait fondamentales. Charlot lève le masque et se venge.
À présent il tue pour gagner sa vie confortablement.
C'est Welles qui filme, dans La Splendeur des Amberson, The Magnificent Ambersons, 1942, la fin d'un monde, celui du XIXe siècle bourgeois, dont il contemple les fastes abolis avec une lucidité mêlée de nostalgie. Il confronte les redoutables requins de la finance contemporaine dans La Dame de Shanghai, The Lady from Shanghai, 1947, où il libère la puissance poétique contenue dans le film noir.
En 1941, précisément, Humphrey Bogart interprète un gangster qui sort de prison dans La Grande Évasion (High Sierra) de Raoul Walsh. Dès lors, il impose son personnage, puis son mythe.
Avec la complicité de ses amis Huston, Hawks et Walsh, il va donner au film noir ses lettres de noblesse :
Le Faucon maltais, The Maltese Falcon, 1941 ; Le Port de l'angoisse, To Have and Have Not, 1945 ; Le Grand Sommeil (The Big Sleep, 1946) ; Le Trésor de la Sierra Madre, The Treasure of Sierra Madre, 1948.
Soudain, l'Amérique se réveille, découvre ses plaies secrètes, que l'humour de Bogart met à vif. Dans le même temps, Hitchcock, L'Ombre d'un doute, Shadow of a Doubt, 1943, Fritz Lang, Le Secret derrière la porte Secret Beyond the Door, 1948 et Otto Preminger, le Mystérieux Docteur Kowo Whirlpool, 1949 ressuscitent le jeu d'ombres et de lumières de l'expressionnisme, qui agit comme un révélateur.
La psychanalyse, naïvement mise à contribution dans le récit policier, est plus profonde qu'il ne paraît.
Après cette jeunesse intempérante, entièrement vouée à l'action, qu'incarnaient si bien avant la guerre Erroll Flynn, Clark Gable, Gary Cooper, Cary Grant, le cinéma américain est entré dans son âge adulte.
Bogart a dû attendre sa quarantième année pour accéder au succès. Ce n'est pas un hasard. Désormais, les héros vieillissent, de film en film et d'année en année.
L'histoire du cinéma américain est un peu celle des rides de Gary Cooper et de son regard tourné de plus en plus intensément vers la réflexion.

Les années 1950. Un nouvel équilibre

En 1945, après Hiroshima, c'en est fini des illusions de Capra. L'Amérique devient le champ clos d'un combat qui oppose les libéraux épris de justice et de progrès aux réactionnaires qui établissent un rempart autour des valeurs nationales.
À Hollywood, les libéraux sont nombreux : Jules Dassin, Joseph Losey, Abraham Polonsky, Elia Kazan, qui s'attaquent courageusement aux fléaux de la société américaine, la volonté de puissance, la corruption, le racisme.
La commission des activités anti-américaines du sénateur Mac Carthy contraindra les uns au silence et à l'exil, les autres à la délation.
Mais les chasseurs de sorcières ne peuvent empêcher le cinéma de refléter très exactement les aspirations et les inquiétudes américaines.
Une nouvelle génération de cinéastes et d'acteurs s'impose au cours des années 1950, qui vont représenter pour le cinéma parlant ce que furent les années 1920 pour le cinéma muet. Richard Brooks, Anthony Mann, Nicholas Ray, Robert Aldrich, Samuel Fuller achèveront avec une violence nouvelle l'immense fresque à laquelle travaillent encore les grands anciens : Ford, Hawks, Walsh, Lang, Hitchcock, Vidor, Mankiewicz, Cukor. La génération de 1940, Preminger, Huston, Minnelli, Kazan assure la transition,
Montgomery Clift, James Dean.
Les années 1950 seront marquées par l'accomplissement de tous les genres traditionnels, western, film noir, policier psychologique, comédie, comédie musicale, qui trouvent chacun un nouvel équilibre entre la réalité et la fiction, l'invention et la convention.
Les progrès techniques de l'écran large et de la couleur sont très facilement assimilés. À Paris, des jeunes gens qui se nomment Truffaut, Chabrol, Rivette, Rohmer, Godard découvrent avec passion ce cinéma foncièrement créateur, à la fois romanesque et lucide, qui éveille leur vocation de cinéaste. Dans la seule année 1955, ils ont vu et admiré : En quatrième vitesse, Kiss Me Deadly d'Aldrich ; À l'Est d'Eden, East of Eden d'Elia Kazan ; L'Homme de la Plaine, The Man from Laramie d'Anthony Mann ; Fenêtre sur cour, Rear Window d'Hitchcock ; Graine de violence, The Blackboard Jungle de Brooks ; La Comtesse aux pieds nus de Mankiewicz ; Johnny Guitare de Nicholas Ray ; Désirs humains, Human Desire de Fritz Lang. Pour eux, comme pour Jean Renoir en 1920, le cinéma est américain.
Pourtant l'éclosion de la Nouvelle Vague correspond dans les années 1960 à un recul d'ensemble du cinéma hollywoodien. La concurrence de la télévision contraint les grandes compagnies à de vaines superproductions où se compromettent de nombreux talents.
Les genres eux-mêmes ne sont plus porteurs d'énergie créatrice. L'assassinat du président Kennedy, le déclenchement de la guerre au Vietnam contraignent l'intelligentsia américaine à un surcroît de lucidité – qui tourne souvent à la complaisance. Seuls les vrais créateurs, Hawks, Ford, Kazan, Jerry Lewismaintiennent la tradition.
D'autres cinéastes ouvrent de nouvelles voies, Arthur Penn, Stanley Kubrick.

Le cinéma japonais

À Venise, en 1951, le cinéma japonais fit une entrée triomphale sur la scène d'Occident, et il y tient depuis lors une bonne place.
Le film présenté cette année-là était une œuvre d'Akira Kurosawa, Rashomon.
Un peu plus tard, on découvrait à la Cinémathèque française le plus grand cinéaste japonais, et sans doute l'un des plus grands de tout le cinéma : Kenji Mizoguchi. Mizoguchi, (1898-1956), né la même année qu'Eisenstein, avait connu une enfance pauvre.
Sa culture était celle d'un autodidacte. C'est peut-être pour cela qu'il était si redouté de ses collaborateurs, si connu pour son intransigeance : il ne leur apprenait rien, ne leur commandait rien. Il leur laissait une liberté redoutable.
Il voulait que chacun créât, comme lui, par soi-même. Il les rendait à leur solitude. Ses actrices le craignaient parce qu'il était capable de les laisser longtemps chercher le sens d'une scène, d'un geste, d'un dialogue. Il ne dirigeait personne. Il attendait que chacun trouvât sa vérité.
Il était par-dessus tout, lui-même, un créateur.
Mais il avait peur de s'attacher à son œuvre. Celle-ci est déchirée entre un formidable élan et une implacable volonté de destruction. Nul n'a su mieux que lui mettre en présence les forces de la vie et celles de la mort, inséparables dans l'acte même de la création.
"Ce qu'on a créé, ce n'est que du vent, disait-il à son scénariste. Après m'être efforcé, avec beaucoup de peine, de produire quelque chose, cela ne m'intéresse plus. Il est détestable celui qui se satisfait à contempler ses propres excréments. "
Plus que tout autre aussi, il est sensible au miroitement des apparences. Si la prostitution est l'un de ses thèmes majeurs, c'est parce qu'il a compris que l'homme est prisonnier d'un rêve et qu'il poursuit ce rêve toute sa vie en se détruisant.
Un film de Mizoguchi est toujours un règlement de comptes, un piège qui se referme sur un personnage qui n'arrive pas à se détacher des apparences, à se dégriser, ou, comme il le disait lui-même, à " se laver les yeux entre chaque regard".
Chaque plan de ses films est un tout qui contient déjà tout le drame. Aussi les films de Mizoguchi nous donnent-ils un sentiment de cauchemar, celui d'une fuite sur place, d'un élan cent fois répété, condamné. Le temps ici ne veut pas être réaliste, il est illusoire, liturgique.
C'est le temps d'une mise à mort, d'un sacrifice.
De cette œuvre immense, plus de quatre-vingts films, dont certains sont détruits, on ne connaît en France que des bribes, mais elles sont éclatantes :
Les Sœurs de Gion (1935), La Vie de O. Haru (1951), Les Contes de la lune vague après la pluie (1952), Les Amants crucifiés, Chikamatsu monogatori, 1954, L'Impératrice Yang Kuei Fei, Yokihi, 1955, Le Héros sacrilège (1955).
Il a fallu attendre 1978 pour découvrir en France celui qui est avec Mizoguchi et Kurosawa le plus grand cinéaste japonais, Yasujiro Ozu, mort en 1963.
Parmi ses cinquante-trois films, nous en connaissons moins d'une dizaine : Gosses de Tōkyō (1932), Voyage à Tōkyō (1953), Fin d'automne (1960), Dernier Caprice (1961), Le Goût du saké (1962).
Son art est celui du dépouillement.
Son parti pris du plan fixe fait de l'écran un lien de passage.
Avant, après, à côté, il y a le vide, l'absence. Jamais austère, débordant d'humour tendre, Ozu regarde les familles – son sujet de prédilection – à hauteur d'enfant.
Toujours un peu seul, hors du jeu, complice amusé, il filme des êtres qui se perdent et qui ne le savent pas. Il leur offre un espace où ils se révèlent. Il est un des plus grands architectes du cinéma.

Le jeune cinéma des années 1960

La première génération du cinéma était née en même temps que le cinéma : un peu avant 1900. Il fallut attendre les années 1960 pour qu'elle cède le pas à la seconde génération, née, elle, en même temps que le cinéma parlant.
Ce qui surprend, c'est que ce renouvellement s'est produit dans tous les pays à la fois. Et souvent avec plus d'efficacité dans les pays où l'industrie cinématographique était peu développée, voire inexistante. En effet, des pays comme l'Inde, qui était en 1956 au deuxième rang de la production mondiale, ou comme l'Égypte, qui bénéficie de l'exportation de sa production dans le monde arabe, ne se distinguent guère par des œuvres de qualité – à quelques exceptions près :
Le Monde d'Apu, Apur Sensar, 1959 de Satyajit Ray, en Inde ; Gare centrale, Bab el-Hadid, 1958 de Youssef Chahine, en Égypte.
C'est en France que le mouvement de la Nouvelle Vague a ouvert la voie, prenant une signification exemplaire, devenant l'emblème d'une révolution à la fois critique et économique.
Pendant les années 1950, l'équipe des Cahiers du cinéma, réunie autour du critique André Bazin, fréquente assidûment la Cinémathèque et remet en question tous les jugements sur l'histoire du cinéma.
Le cinéma d'Hollywood est réhabilité autour de Hitchcock, Hawks, Lang, Lubitsch et quelques autres. Mais Renoir, Rossellini, Bresson viennent aussi au premier plan.
Par cette réflexion sur le cinéma, il s'agit de dégager la notion d'"auteur de films" .
Il faut faire la preuve qu'à travers les pires contraintes de l'industrie et du commerce un homme parvient à s'exprimer.
Cette révolution critique débouche sur une révolution économique.
Les jeunes critiques français, au lieu de suivre la filière réglementée de l'assistanat stérilisant, tournent des films par tous les moyens.
Ils parviennent à réaliser leurs premières œuvres avec des budgets dérisoires : Le Beau Serge de Chabrol (1958) ; Les 400 Coups de Truffaut (1959) ; À bout de souffle de Godard (1960) ; Lola de Demy (1960). Agnès Varda avait été la première à tourner un film à petit budget, en 1954 : La Pointe courte, qui avait été boycotté par les commerçants du cinéma.
Dans ces deux domaines, une insolente liberté s'affirmait.
Elle allait mettre en question toutes les routines professionnelles, hâter les progrès de la technique, précipiter l'avènement des caméras légères qui, avec leur synchrone, bouleversaient les conditions de tournage d'un film. Jean Rouch, ethnologue et cinéaste, que Rossellini devait saluer comme un frère, avait montré la voie en inventant, caméra de 16 mm au poing, sur les quais d'Abidjan ou dans la brousse du Niger, un cinéma dépourvu de toute contrainte, La Chasse au lion à l'arc, 1965.
À la même époque, Rossellini tournait India 58, à peu près dans les mêmes conditions. Rouch allait par la suite révéler au public des œuvres étonnantes qui eurent une influence décisive sur les jeunes Français : Les Maîtres fous (1957) ; Moi, un Noir (1958) ; La Pyramide humaine (1961).
L'influence de Rouch se fit sentir jusqu'au Canada, où des jeunes n'attendaient que cet exemple pour oser tourner des grands films en 16 mm.
Des aînés aussi se trouvaient enlisés dans les contraintes du film de commande, du court-métrage industriel. Alain Resnais et Georges Franju étaient prêts à apporter leur concours aux jeunes qui voulaient faire une entrée en force.
Au festival de Cannes 1959 furent révélés Hiroshima, mon amour, premier long-métrage de Resnais, et Les 400 Coups, premier film de Truffaut.
La maîtrise souveraine du premier, la liberté de ton, l'humour, la sensibilité du second suffirent à impressionner l'opinion mondiale. Le jeune cinéma avait conquis le droit à l'existence.
Alors, dans d'innombrables pays, de jeunes cinéastes purent tourner ou montrer leur premier film, tels, en France, Jacques Rozier (Adieu Philippine, 1960-1962), Jacques Rivette, Paris nous appartient, 1960, Éric Rohmer, Le Signe du lion, 1960...
En Pologne, grâce à une politique d'aide aux jeunes, ce mouvement a pu se dessiner en même temps qu'en France. Andrzej Wajda a tourné en 1958 Cendres et diamants, Popiōl i Diament, où jouait Roman Polanski qui réalisera son premier film en 1962, Le Couteau dans l'eau NōÝ w Wodzie avant de partir faire une brillante carrière en Angleterre et aux États-Unis (Répulsion, 1964 ; Cul-de-sac, 1966 ; Rosemary's Baby, 1968).
Ce sera le cas aussi de Jerzy Skolimowsky, autre acteur de Wajda, dans La Barrière, qui viendra travailler en Belgique, Le Départ, 1967.
Dans les autres pays de l'Est, le même mouvement se dessine : en Tchécoslovaquie, à partir de 1963, avec l'école de Prague : L'As de pique, Cerny Pets, 1963, Les Amours d'une blonde (1965), de Forman ; Quelque chose d'autre (1963), Les Petites Marguerites (1966), de Vera Chytilova ; Du courage pour chaque jour (1965), d'Ewald Schorm.
En Hongrie, avec Jancso, Les Sans-Espoirs, 1966 ; Rouges et blancs, 1967 ; Silence et cri, 1968, en Yougoslavie, avec Makavejev, Une affaire de cœur, 1967, c'est le même courant de liberté dans tous les domaines : politique, social, moral et esthétique.
Au Brésil, un cinema novo s'organise autour de Glauber Rocha, Le Dieu noir et le diable blond Deus eo Diablo na terra do Sol, 1964 et de Ruy Guerra, formé à Paris, Les Fusils Os Fuzis, 1964.
Le cinema novo s'efforce de renouer avec les sources profondes de l'art populaire. Il entend témoigner sur la misère et l'aliénation du peuple brésilien, bref, il veut être un véritable cinéma politique.
C'est aussi l'ambition du jeune cinéma tchèque et du cinéma hongrois, qui multiplient les références au stalinisme et les métaphores transparentes sur la faillite d'un certain communisme.
Au Canada, les cinéastes québécois se servent de la caméra comme d'une arme pour crier leur volonté d'indépendance, Le Chat dans le sac, 1964 ; ou Il ne faut pas mourir pour ça, 1967.
En Belgique, André Delvaux crée une œuvre solitaire et bouleversante, d'une poésie et d'une maîtrise extraordinaire : L'Homme au crâne rasé (1966) ; Un soir, un train (1968) ; Rendez-vous à Bray (1971).
On n'en finirait pas d'énumérer les noms et les pays.
Car le propre du jeune cinéma, parti de la notion bourgeoise d'auteur, est d'être arrivé aussitôt à une telle profusion d'œuvres et de talents qu'il faut renoncer à les classer.
Cet épanouissement prouve que le cinéma est devenu une écriture universelle et qu'il faudra bientôt renoncer au concept d'œuvre, en même temps qu'à celui d'auteur, et peut-être à celui d'art.
Proche de la télévision dans son inspiration spontanée, le jeune cinéma veut être la marque d'une époque qui se cherche.
C'est pourquoi, malgré la diversité des expressions nationales, il exprime la stupéfiante unité des préoccupations de la jeunesse. Pour elle, le cinéma est un cri.
Elle se sert du cinéma pour tuer le cinéma, détruire le langage, exhaler son angoisse.
Et la France aura vu disparaître en 1968 la belle unité de sa Nouvelle Vague sous la pression des événements et la contagion des jeunes cinémas étrangers : d'un côté Truffaut, Resnais, Chabrol, fidèles à la notion de spectacle, Baisers volés, 1968 ; Je t'aime, je t'aime, 1968 ; Les Biches, 1967.
De l'autre, Godard, Jean Eustache et le très jeune Philippe Garrel, La Concentration, 1968 ; La Cicatrice intérieure, 1970, qui jette sur l'écran un univers halluciné, et des images effrayantes où il faut reconnaître le miroir qu'une génération tend à ses pères.

Maturité et mondialisation. Fin du cinéma ?

Avec le recul d'un quart de siècle, on s'aperçoit que les années 1980 ont formé une période charnière, et à bien des égards fondamentale, dans l'histoire du cinéma.
Les décennies précédentes avaient marqué le recul inexorable d'une pratique sociale peu à peu remplacée par la télévision. Entre 1946 et 1963, trois fois moins de spectateurs allaient voir un film en salle pour les seuls États-Unis – et trois fois moins de films étaient produits.
L'année 1963, avec notamment la faillite de la maison de production américaine Fox, reste dans l'histoire celle de la crise : non seulement la fréquentation et la production connaissaient alors leur assiette la plus basse, mais le système des studios avait vécu.
Les grandes compagnies ne disparaissaient certes pas de la carte, mais l'instrument de travail – le studio – ne leur appartenait plus : il était tout simplement supprimé, transformé en parking ou en supermarché, ou bien encore cédé au vainqueur de la partie : la télévision. La période qui s'ouvrait conjuguait le dérisoire (adaptation de best-sellers, coups montés avec des stars, le funèbre (retraite imposée à de grands artistes) et le passionnant (invention de nouvelles formes, montée en puissance des « indépendants »). Par une série de contrecoups, comme toujours décalés dans le temps, cette crise allait inexorablement affecter le monde entier, en dépit de la résistance de grandes cinématographies : la France et l'Italie, d'ailleurs fortement soudées par un accord de coproduction, furent les emblèmes de la persistance d'un objet pourtant fort mal en point.
Le premier mouvement du cinéma au début des année 1980, du côté de certains grands auteurs, consista à mettre en évidence la prise de conscience de son éventuelle disparition.
Des cinéastes-cinéphiles comme Wim Wenders, L'État des choses, 1982 et Jean-Luc Godard, Passion, 1982, ou de vieux maîtres comme Federico Fellini, Intervista, 1987 s'attachaient à décrire la fin d'une liaison fatale ou désenchantée, après les films flamboyants des années 1970, Fellini-Roma, 1972 ; Amarcord, 1973.
Ce qui avait été aimé plus que tout, le grand cinéma, qui avait fait l'objet de luttes gigantomachiques pour la reconnaissance, était pensé, de fort hégélienne façon, comme une chose du passé, ce que confirmerait le début de la vogue du magnétoscope : désormais disponible hors de l'espace premier de la salle ou de sa diffusion dans le flux audiovisuel, le film pouvait être vu et étudié comme on lit un livre.
Mais ce qui peut s'interpréter comme un incontestable progrès, en parfaite synchronie avec la montée de l'individualisme comme nouvel horizon indépassable de notre temps, démontre à la fois le caractère inéluctable d'un déclin et la dimension mélancolique d'une relation où la mémoire du film n'est plus de même nature.
Baudelaire avait grandi adossé à une bibliothèque, le cinéphile vivra maintenant face à sa collection, ne visionnant qu'une part infime du trésor accumulé.

Naissance du blockbuster

Tel était l'état des choses dans les années 1980. Le cinéma avait eu lieu, sa survie ne pouvait être qu'artificielle à partir du moment où les conditions qui avaient fait son succès n'étaient plus réunies. Il ne s'agit pas de critiquer ici ce diagnostic historiciste largement partagé par les générations de la cinéphilie. Mais, si utile et juste soit-elle, cette vision ne peut qu'être nuancée, à partir du moment où l'on constate non seulement la survivance, mais surtout l'éclatante santé d'un certain champ de la production cinématographique.
La compréhension de la situation, et de l'écart entre le diagnostic mélancolique et la vigueur du patient, impose dès lors qu'on se reporte à la crise des années 1960-1970, aux réponses qui y furent apportées – et de traverser une nouvelle fois l'Atlantique.
Les années 1972-1975 avaient marqué un net frémissement. Le succès des deux premiers épisodes de la trilogie du Parrain (1972, 1974), de Francis Ford Coppola, et de L'Arnaque (1973), de George Roy Hill, préparait le terrain à un retour du spectaculaire, d'abord marqué par la vogue du film-catastrophe, L'Aventure du Poséidon, 1972, de Ronald Neame ; Tremblement de Terre, 1974, de Mark Robson, le retour du film d'horreur, L'Exorciste, 1973, de William Friedkin, qui battit les recettes du Parrain, mais surtout d'une forme nouvelle, mêlant horreur, aventure et critique sociopolitique, et dont Steven Spielberg fut l'inventeur avec Les Dents de la mer en 1975.
À partir de là, George Lucas fut à son tour capable de se lancer, dès 1977, dans l'aventure de la trilogie de La Guerre des étoiles, et la face du cinéma commercial changea radicalement. La rencontre avec un jeune (et moins jeune) public montra bien que la demande était à la hauteur de l'offre, si cette dernière savait afficher les signes de son renouveau.
La politique du blockbuster était née : grand spectacle, nouvelles techniques, croyance en l'art de la mise en scène évidente, affichée et d'autant plus maîtresse de ses effets ; mais aussi renouveau des salles, généralisation des multiplex, multiplication des copies pour asphyxier la concurrence. En quelques années, la physionomie de la programmation cinématographique changea du tout au tout.
Cette attitude conquérante permit au cinéma américain d'écraser une concurrence dont la faiblesse était devenue criante, compte tenu de la libéralisation des réseaux télévisuels : le cinéma italien offrit le plus triste exemple d'une production de grande qualité – à la fois artistique et commerciale – anéantie en quelques années de berlusconisme audiovisuel.
Inversement, quoi que l'on puisse penser de l'action de Jack Lang comme ministre de la Culture, il est incontestable que le soutien de l'État, appuyé sur la clé de voûte de l'avance sur recettes, permit au cinéma français de conserver une production digne de ce nom, et des parts de marché importantes. L'exception est notable, même si à la fin des années 1980, et pour la première fois de l'histoire, la part de marché du cinéma américain dépassa celle de son homologue français sur notre territoire.

Le Nouvel Hollywood

Il ne faudrait pas cependant se contenter d'une lecture purement économique. Le désir de fiction – le fait n'est pas nouveau – rencontre toujours sur son chemin la production américaine, et le blockbuster n'est pas nécessairement synonyme de navet. Des Aventuriers de l'Arche perdue (1981), de E.T. (1982) à La Liste de Schindler (1993), Il faut sauver le soldat Ryan (1998) et Munich (2005), Steven Spielberg, né en 1946, montre parfaitement que du pur divertissement aux grands sujets, la nouvelle matrice hollywoodienne peut engendrer une grande diversité de productions tout en maintenant une réelle exigence artistique. Il en va de même pour son compère George Lucas, né en 1944, dont l' audace wagnérienne dans La Guerre des étoiles. L'ultime séquence du dernier épisode, La Revanche des Sith, 2005 fait ainsi le lien entre les parties, quand Anakin Skywalker devient Dark Vador pour l'éternité...
L'esprit de suite est une qualité prise à la lettre par l'équipe de Steven Spielberg, comme en témoignent les trois épisodes de Retour vers le futur (1985, 1989 et 1990) de Robert Zemeckis, sur le thème du voyage dans le temps, et les deux Gremlins (1984 et 1990) où Joe Dante parvient à imposer son style inquiétant dans un paysage familier.
Dans ces cas, la relation spielbergienne à la réalité américaine – la narration partant d'une petite ville, à l'instar du film de Frank Capra La vie est belle (1946) – imprègne sincèrement un dispositif fondé sur l'identification de masse. Mais l'élaboration de sagas permet aussi, pour reprendre l'expression de Fritz Lang dans Le Mépris (1963) de Jean-Luc Godard, de finir ce que l'on a commencé.
Tel est le cas de Francis Ford Coppola qui offre une magnifique méditation sur le temps et la filiation dans Le Parrain III (1990), quinze ans après le second épisode. Les cinéastes italo-américains forment un groupe remarquablement stable : la carrière de Coppola, né en 1939, mais aussi celles de Brian De Palma, né en 1940, avec Phantom of the Paradise (1974), et de Martin Scorsese, né en 1942, avec Taxi Driver (1976), démontrent que, si l'esprit du Nouvel Hollywood des années 1970 s'est quelque peu dilué, les artistes d'importance font souvent mieux que de tirer leur épingle du jeu.
Le plus beau film américain de cette période, Il était une fois en Amérique (1984), fut d'ailleurs réalisé par Sergio Leone (1929-1989).
Le cas de Michael Cimino, né en 1939, est une exception : le désastre de La Porte du Paradis (1980), magnifique fresque sur l'Amérique et échec retentissant, contraignit son auteur au silence, puis à une carrière à éclipses, avant l'abandon définitif du cinéma pour la littérature.
Si l'Europe, dans les années 1950, inventa le « cinéma d'auteur », ce fut en référence à des réalisateurs hollywoodiens tels Howard Hawks, Joseph Mankiewicz ou encore Ernst Lubitsch.
La génération suivante allait s'appuyer sur ces classiques pour délivrer un cinéma d'une grande diversité, avec Arthur Penn (1922-2010), à qui l'on doit Missouri Breaks (1976), Sam Peckinpah (1925-1984) avec Les Chiens de paille (1971), Alan J. Pakula (1928-1998) avec Les Hommes du Président (1976), Sydney Pollack (1934-2008) avec Jeremiah Johnson (1972).
Cette lignée historique allait rester active très longtemps. John Frankenheimer (1930-2002) et Blake Edwards (1922-2010), firent mieux que se survivre, tandis que Robert Altman (1925-2005) et Stanley Kubrick (1928-1999) donnèrent certaines de leurs plus grandes œuvres à la fin du siècle avec Short Cuts (1993) et Eyes Wide Shut (1999).
Si l'on ne peut que déplorer la disparition prématurée de John Cassavetes (1929-1989), il faut remarquer l'étonnante vitalité de Woody Allen, né en 1935, dont la production – un film par an – fait alterner facilité et profondeur, maîtrise et prise de risque, Crimes et délits, 1989 ; Harry dans tous ses états, 1997 ; Match Point, 2005). Quant à Clint Eastwood, né en 1930, son œuvre récente a su gagner en ampleur tragique, Mystic River, 2003 ; Million Dollar Baby, 2004 sans jamais perdre de sa force de persuasion classique. On verra une forme d'aboutissement dans ce registre avec le diptyque consacré en 2006 à la bataille d'Iwo Jima, d'abord du point de vue américain, Mémoires de nos pères, puis japonais, Lettres d'Iwo Jima.
En restant dans cette perspective auteuriste, il faut aussi souligner la réalité du renouveau américain de ces vingt dernières années. Joel et Ethan Coen, nés respectivement en 1954 et 1957, Miller's Crossing, 1990 ; Barton Fink, 1991 ; The Big Lebowski, 1998 ; O Brother, 2000, Michael Mann, né en 1943, heat, 1995 ; Collateral, 2004, Spike Lee, né en 1957, Malcolm X, 1992, Quentin Tarantino, né en 1963, Reservoir Dogs, 1992 ; Pulp Fiction, 1994 ; Jackie Brown, 1997, et David Lynch, né en 1946, Sailor et Lula, 1990 ; Lost Highway, 1997 ; Mulholland Drive, 2001, sont sans conteste les individualités marquantes de la période.
L'imagination débridée et le nouvel élan insufflé à la narration s'allient pour produire une nouvelle image de l'Amérique qui renoue avec la tradition purement autochtone d'un Mark Twain ou d'un Preston Sturges, tout en la mêlant de culture populaire et d'art contemporain.
D'autres tentatives de description de l'âme américaine adoptent un registre plus grave. La grande surprise de la fin du XXe siècle dans ce domaine fut le retour au cinéma de Terrence Malick, né en 1943, près de vingt ans après la réalisation des Moissons du ciel (1978).
Avec La Ligne rouge (1998) et Le Nouveau Monde (2005), le cinéaste poursuit lui aussi sa quête de l'Amérique à partir de deux moments cruciaux de l'histoire, la bataille de Guadalcanal, la rencontre de John Smith et Pocahontas en développant sa méditation sur l'offense directe faite par l'homme à la nature. Digne héritier du transcendantalisme d'Emerson, Malick renouvelle son propre idiome : pluralité des points de vue, voix multiples qui ne se réduisent en aucune façon à la seule narration, vision cosmique où la musique marque une quête d'harmonie qui vise l'accord – toujours contrarié – de l'homme et du monde. L'ampleur esthétique et philosophique de son projet le place loin au-dessus de la production traditionnelle. En même temps, son statut à part dans le cinéma américain lui confère une aura telle que les plus grandes vedettes, George Clooney, John Travolta se bousculent pour apparaître, ne serait-ce que fugitivement, dans ses films qui ne ressemblent à rien de connu, aux États-Unis ou ailleurs.
Si Hollywood reste une terre de transfert culturel où de grands cinéastes européens, le Tchèque Milos Forman, né en 1932, le Hollandais Paul Verhoeven, né en 1938, l'Italien Bernardo Bertolucci, né en 1940, l'Anglais Stephen Frears, né en 1941 ou asiatiques, le Chinois John Woo, né en 1946, le Taïwanais Ang Lee, né en 1954 sont toujours appelés à travailler – comme ce fut le cas dans le passé pour F. W. Murnau, A. Hitchcock, F. Lang ou O. Preminger –, il faut cependant reconnaître que cet espace globalisé permet aussi l'émergence de talents nationaux souvent inspirés par la manière européenne. Tel est le cas de Steven Soderbergh, né en 1963, pilier du box-office depuis Sexe, mensonges et vidéo (1989) découvert au festival de Cannes, mais aussi de Tim Burton, Edward aux mains d'argent, 1990, Todd Haynes – qui se livre à un splendide hommage aux mélodrames de Douglas Sirk dans Loin du Paradis (2002).
Dans un registre moins délibérément artistique, on ne peut que louer l'intelligence cinématographique d'auteurs comme Oliver Stone, Spike Lee, Jonathan Demine, Rob Reiner et même des frères Farrely.
Il faut rappeler enfin que le renouveau du système hollywoodien – en quoi il ne diffère pas de l'ancien – est fondé sur la capacité toujours actualisée d'imposer de nouvelles stars.
La relation avec le public n'a guère changé en près de cent ans, et c'est toujours à une vedette qu'il revient de créer ce lien. Bruce Willis et George Clooney, Leonardo DiCaprio et Tom Cruise, Nicole Kidman, Julia Roberts et quelques autres du même acabit n'apparaissent donc pas, elles non plus, comme de simple créatures du système, mais bien plutôt comme l'un des points d'ancrage d'un processus appelé Hollywood. S'il faut craindre une quelconque dénaturation du spectacle cinématographique, elle réside surtout dans une médiatisation accrue où ce qui arrive aux stars dans la vie s'avère plus important que notre relation aux œuvres. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il est indéniable que sa généralisation ne laisse pas d'inquiéter.

Le cinéma européen. Le cinéma français

Dans l'espace occidental, il est le seul concurrent sérieux de son homologue américain. Le soutien étatique et le dynamisme de la production fondée sur la relation privilégiée avec la chaîne de télévision Canal Plus, qui s'est imposée comme le grand argentier du cinéma français n'expliquent cependant pas tout. Si dans d'autres domaines la France a fait valoir, à tort ou à raison, la prépondérance du politique sur l'économique, la dimension symbolique apparaît essentielle en ces matières. Le succès considérable – y compris à l'exportation – de films comme L'Ours (1988) de J.-J. Annaud, Le Grand Bleu (1988) de Luc Besson, Les Visiteurs (1993) de J.-M. Poiré, Astérix Mission Cléopâtre (2002) d'Alain Chabat ou Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain (2001) de J.-P. Jeunet confirme, certes, la réalité des prétentions commerciales. Et cela même si la France continue d'être à l'étranger le pays des frères Lumière, du festival de Cannes, de la Nouvelle Vague, des Cahiers du cinéma, de l'exception culturelle et du film d'auteur.
Aux yeux des amateurs britanniques et américains, la catégorie French Film représente un espace de liberté, déconnecté de la production standard, où tout peut se dire et se montrer. La force du cinéma national tient précisément dans la conjonction de l'économique et du symbolique.
La longévité des représentants de la Nouvelle Vague peut servir d'emblème à cette dimension originale du cinéma français. La disparition prématurée de François Truffaut en 1984, qui venait de donner La Chambre verte (1978) et La Femme d'à côté (1981), n'a pas sonné le glas d'une génération toujours très active. Après avoir achevé la série des Contes moraux (1962-1969), Éric Rohmer (1920-2010) se lance dans l'aventure des Comédies et proverbes qui vont scander au long des années 1980 la pérennité d'une inspiration – et rencontrer un public plus large, car étendu à de nouvelles générations.
La décennie suivante fut consacrée à un quatuor des saisons. Puis Éric Rohmer renouvela profondément son inspiration avec L'Anglaise et le duc (2001) consacré à la Révolution française, Triple Agent (2004) où est abordée la trouble période des années 1930, avant de réaliser un vieux rêve : l'adaptation, en 2007, de L'Astrée d'Honoré d'Urfé.
Jacques Rivette, né en 1928, qui construit une œuvre exigeante (Out One, 1971 ; Céline et Julie vont en bateau, 1974), poursuit son travail dans une direction plus secrète mais davantage à l'écoute des nouvelles générations d'actrices et de spectateurs : on retiendra en particulier La Belle Noiseuse (1991), avec Emmanuelle Béart, adaptation très personnelle du Chef-d'œuvre inconnu de Balzac ; Jeanne la Pucelle (1994), avec Sandrine Bonnaire, où l'amateur de Roberto Rossellini et d'Otto Preminger donne sa propre version du personnage de Jeanne d'Arc ; Haut, bas, fragile (1995), avec Marianne Denicourt – qui rejoint Juliet Berto et Bulle Ogier dans le panthéon des grandes actrices rivettiennes ; ou encore Ne touchez pas la hache (2007), d'après La Duchesse de Langeais de Balzac.
Claude Chabrol (1930-2010) est resté égal à lui-même, tant par la quantité de films réalisés (un par an depuis un demi-siècle) que par l'intérêt toujours actualisé de productions souvent liées au genre policier, de Poulet au vinaigre (1985) à La Demoiselle d'honneur (2004), en passant, entre autres, par La Cérémonie (1995) et Merci pour le chocolat (2000), deux films attestant de la relation privilégiée avec Isabelle Huppert, grande star française parfaitement à l'aise dans l'univers chabrolien.
Jean-Luc Godard, né en 1930, comparable au cinéaste précédent pour sa frénésie de production, a effectué son retour au cinéma au tout début des années 1980, après avoir réalisé un certain nombre de films militants.
De Passion (1982) à Allemagne 90 neuf zéro (1991), cette décennie a représenté le dernier grand investissement créatif dans le cinéma français d'un artiste hors norme. Comme à l'accoutumée, il fit alterner les œuvres plus confidentielles et les « coups » médiatiques, fondés sur la collaboration avec de grandes vedettes, Johnny Hallyday dans Détective, 1985 ; Alain Delon dans Nouvelle Vague, 1990 ; et jusqu'à Gérard Depardieu, en 1993, dans Hélas pour moi.
Mais la grande affaire de la période 1988-1998 fut pour Godard l'élaboration de sa monumentale Histoire(s) du cinéma, véritable œuvre d'art totale, en plusieurs épisodes, où l'historien-philosophe donne à sa manière, mélancolique s'il en est, la seule version possible de l'histoire du cinéma : celle qui s'écrit en images avec l'histoire du XXe siècle.
Alain Resnais, né en 1922, autre grand aîné moderniste (Providence, 1977 ; Mon Oncle d'Amérique, 1980), poursuit une aventure tout à fait originale, qui – au contraire de Godard – le voit se rapprocher d'un plus large public sans jamais céder pour autant sur le primat de la forme, ce qu'attestent de très grandes œuvres comme Mélo (1986), Smoking/No Smoking (1993) ou Cœurs (2006).
Parmi les autres grands anciens , Louis Malle (1932-1995) et Maurice Pialat (1925-2003) livrèrent certains de leurs plus beaux films jusqu'au milieu de la décennie 1990. Le premier retrouva les faveurs du grand public avec Au revoir les enfants (1987), qui réactivait un souvenir traumatique essentiel pour comprendre l'inspiration du cinéaste, celui de l'arrestation et du départ pour les camps de la mort de deux collégiens juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mais on retiendra aussi les grands documentaires télévisés consacrés aux États-Unis, la seconde patrie de Malle (en particulier God's Country, 1985 ; et And the Pursuit of Happiness, 1986). Maurice Pialat restera l'atrabilaire que nous aimons tant ; il est aujourd'hui l'auteur qui manque le plus au cinéma français. De sa dernière période, on retiendra en particulier trois œuvres majeures réalisées coup sur coup : Police (1985) ; Sous le soleil de Satan (1987), d'après le roman de Georges Bernanos ; et Van Gogh (1990).
Pour en terminer avec une génération très active, il faut encore mentionner Bertrand Blier, Alain Cavalier, Jacques Doillon, Jean Eustache, La Maman et la putain, 1973, Luc Moullet et Jean-Pierre Mocky, Jean-Daniel Pollet, Jacques Rozier, Claude Sautet et Bertrand Tavernier, André Téchiné, Catherine Breillat, cinéastes essentiels, moins portés que d'autres à jouer les premiers rôles, mais qui, par la fantaisie de leur poésie, marchent souvent sur la ligne de crête de l'inspiration française.
Plus marginaux et en dépit de bien des résistances, Jean-Marie Straub (né en 1933) et Danielle Huillet (1936-2006) ont également réalisé certaines de leurs plus belles œuvres (La Mort d'Empédocle, 1987 ; Cézanne, 1989 ; Du jour au lendemain, 1997) au cours des deux dernières décennies. Pour la génération intermédiaire, Chantal Ackerman, née en 1950, et surtout Philippe Garrel, né en 1948, ont confirmé leur dimension d'artistes reconnus, en apportant à leur projet artistique une rare dimension autobiographique. C'est notamment le cas de Garrel depuis L'Enfant secret (1982) jusqu'aux Amants réguliers (2005), avec une mention particulière pour J'entends plus la guitare (1991), où le cinéaste revient sur sa relation avec la chanteuse Nico.
Parmi les nouveaux venus se détachent Olivier Assayas, né en 1955, et Arnaud Desplechin, né en 1960. Le premier, ancien critique aux Cahiers du cinéma, amateur de cinéma contemporain américain et de musique rock, épouse délibérément son époque au risque de tourner parfois à l'attitude branchée, mais en donnant des œuvres de plus en plus abouties – et qui sortent du franco-français.
La rupture dans sa filmographie apparaît avec sa belle adaptation des Destinées sentimentales (2000) de Jacques Chardonne, qui le conduit à abandonner l'évocation du petit monde parisien et à se consacrer à des formes nouvelles. Arnaud Desplechin, lui, s'est fait connaître avec le moyen-métrage La Vie des morts (1991), chronique familiale sensible et d'une grande inventivité formelle.
Cinéaste-philosophe, influencé comme Terrence Malick par l'œuvre de Stanley Cavell, Desplechin s'intéresse aux racines de notre propre expérience du monde en tâchant de répondre au scepticisme, qui est la basse continue de nos vies.
Réalisé en 1996, Comment je me suis disputé, ma vie sexuelle apparaît avec le recul comme le premier jalon d'une mise en forme de cette ambitieuse problématique.
Esther Kahn (2000) et Rois et reine (2004) ont marqué son authentique déploiement. Du côté du cinéma d'auteur, il convient de citer aussi Bruno Podalydès, Bruno Dumont, Pascale Ferran, Patricia Mazuy et le très original Emmanuel Mourret, digne successeur de Sacha Guitry dans la tradition des auteurs-acteurs. Somme toute un bilan assez riche, auquel il faut adjoindre quelques belles réussites d'un cinéma plus ouvert sur le grand public, mais qui n'abandonne pas le projet de trouver sa place dans le monde : tel est notamment le cas de Cédric Klapisch avec le diptyque que forment L'Auberge espagnole (2002) et Les Poupées russes (2005).

Les pays nordiques

La production européenne a été remarquable dans les pays nordiques, où la tradition cinématographique est séculaire. En Suède, Bille August, né en 1948, deux fois primé à Cannes (Pelle le conquérant, 1987, et Les Meilleures Intentions, 1992), a confirmé son talent.
Au Danemark, Lars Von Trier, né en 1956, a puissamment influencé le cinéma contemporain, par son talent propre, mais aussi en fédérant autour de lui – par l'entremise du mouvement Dogma 95 – les énergies rebelles à la production standard et en revitalisant les acquis du néo-réalisme. Une telle recherche de la vérité est perceptible dans ses propres réalisations (Les Idiots, 1998).
Mais les œuvres récentes les plus précieuses sont celles où l'auteur parvient à les intégrer au style du mélodrame – tel est le cas notamment de Breaking the Waves (1996) et surtout de Dancer in the Dark (2000), autre production nordique récompensée au festival de Cannes.
La cinématographie finlandaise fit quant à elle une entrée remarquable dans le cercle international, avec notamment l'œuvre tragi-comique d'Aki Kaurismaki (Leningrad Cowboys go to America, 1989 ; J'ai engagé un tueur, 1990).

Le cinéma anglais

Le cinéma britannique a connu une renaissance au début des années 1980, à l'époque où la fresque olympique de Hugh Hudson, Les Chariots de feu (1981), remportait l'oscar du meilleur film étranger. Ce succès était ambigu, car il consacrait certaines qualités, reconstitution historique, photographie impeccable, beauté et talent des acteurs qui ont souvent été utilisées – au moins depuis François Truffaut – pour faire du cinéma britannique un monument d'académisme.
Il est indéniable que certains attributs stylistiques et de production typent très nettement les productions d'outre-Manche. Il n'y a d'ailleurs aucune raison de se plaindre de cette anglicité.
D'autant que l'étonnante diversité de la production britannique infirme le verdict truffaldien :
"l'expression cinéma anglais est une contradiction dans les termes ".
En laissant délibérément de côté les films américains de Tony Richardson, John Schlesinger et autres Ridley Scott ou Mike Figgis, et sans même mentionner l'inoxydable série des James Bond, il faut souligner que le cinéma anglais a produit certains des grands succès des vingt dernières années.
L'un des plus réjouissants est le fait d'un vétéran du studio Ealing, Charles Chrichton (1910-1999), qui signa en 1988 une comédie mémorable : Un poisson nommé Wanda. Révélé en 1985 par l'insolite Dance with a Stranger, Mike Newell, né en 1942, réalisa l'autre blockbuster planétaire de la comédie britannique avec 4 Mariages et un enterrement (1994).
La période confirma le grand talent d'auteurs comme John Boorman, né en 1933 (Hope and Glory, 1987 ; The General, 1998), ou Ken Loach, né en 1936 (Regards et sourires, 1981 ; Raining Stones, 1993 ; Sweet Sixteen, 2002), autant de cinéastes dont les préoccupations politiques et sociales permirent de porter un regard toujours plus acéré sur la réalité qui vit Tony Blair suivre le chemin de Margaret Thatcher. Ce type de cinéma fit un émule avec Mike Leigh, né en 1943, l'auteur de High Hopes (1988) et Secrets et mensonges (1996).
Quant à Stephen Frears, né en 1941, ancien assistant de Lyndsay Anderson et Karel Reisz, prolifique réalisateur de télévision, il est devenu l'une des valeurs sûres du cinéma international (My Beautiful Laundrette, 1985 ; The Snapper, 1993 ; Mary Reilly, 1996 ; The Queen, 2006).
On découvrit aussi de très attachantes personnalités. L'acteur Kenneth Branagh, né en 1960, s'imposa au cinéma comme un grand shakespearien, héritier de Laurence Olivier, Beaucoup de bruit pour rien, 1993 ; Hamlet, 1996.
Mais il se livra aussi à de passionnantes lectures d'autres classiques, en particulier avec son Frankenstein (1994), meilleure adaptation du chef-d'œuvre de Mary Shelley.
Dans un tout autre registre, qui fait rimer cinéma, tableau vivant et chanson populaire, Terence Davies, né en 1945, a réalisé l'un des films les plus enthousiasmants de l'histoire du cinéma, en racontant l'histoire de sa propre famille à Liverpool dans les années 1950 : Distant Voices, Still Lives (1988) reste totalement singulier – car le cinéaste devait tout de même passer à autre chose, parler de son homosexualité, The Long Day Closes, 1992 ou adapter Edith Warthon, Chez les heureux du monde, 2000.
En laissant de côté Peter Greenaway, qui s'est révélé une fausse valeur, il faut saluer la mémoire de Derek Jarman (1942-1994), auteur de Wittgenstein (1993), et rappeler que, s'il est américain, James Ivory, né en 1928, a bien réalisé certains films qui demeurent les fleurons de l' anglicité au cinéma, depuis Chambre avec vue (1985) et Maurice (1987), jusqu'à La Coupe d'or (2000) et Le Divorce (2003).

Le cinéma espagnol

Pedro Almodóvar, né en 1949, est l'auteur phare du cinéma espagnol, affirmation que nul ne songerait à contester aujourd'hui, mais qui ne manque pas d'ironie rétrospective quand on songe aux débuts de l'auteur-acteur-chanteur au temps de la movida madrilène.
Jusqu'à Femmes au bord de la crise de nerfs (1988), son septième film qui marque le début de son époque classique, Almodóvar était un vrai punk du cinéma, imposant de manière très trash un univers composé de junkies, de transsexuels et de paumés qui composaient une étonnante comédie humaine.
S'il est resté fidèle à ce monde et à ce personnel dramatique, le cinéaste leur a imposé peu à peu une forme, d'abord celle de la comédie américaine héritée d'un Preston Sturges ou d'un Billy Wilder – c'est le moment de Femmes... – puis du grand mélodrame international, hollywoodien, allemand, italien, français, espagnol, sud-américain.
Ses films ont pris alors une force inédite et, lestés de leurs scories provocatrices, sont devenus des œuvres d'une grande humanité, où les femmes occupent le premier plan.
Le tournant a lieu avec Talons aiguilles (1991).
Mais l'œuvre connaît son acmé avec la trilogie formée par En chair et en os (1997), Tout sur ma mère (1999) et Parle avec elle (2002). Parmi ses compatriotes, si l'on peut regretter que Carlos Saura, né en 1932, aime vraiment trop le tango pour se consacrer au cinéma, on saluera l'inspiration d'un Fernando Trueba, né en 1955, dans le très réussi Belle Époque (1992).

Le cinéma allemand

Contrairement à l'Espagne, le cinéma allemand connaîtra une éclipse, les années 1980-1990 ne tenant pas les promesses des décennies précédentes, en dépit de cinéastes tels que Werner Herzog, Wim Wenders, Werner Schroeter, Hans-Jürgen Syberberg, Volker Schlöndorff, Margarethe von Trotta.
Il est vrai que la carrière des anciens jeunes cinéastes allemands a eu tendance, pour une part d'entre eux, soit à se tourner vers la vidéo ou la mise en scène d'opéra, soit à se dérouler hors des frontières de la R.F.A. ou de l'Allemagne réunifiée.
La mort de R. W. Fassbinder, en 1982, a renvoyé le pays à son propre vide. Le poids de l'histoire permit cependant à l'Allemagne de se réconcilier avec son cinéma, ce qu'un Wim Wenders, né en 1945 – par ailleurs la grande déception de la période –, a su percevoir avec beaucoup de lucidité dans Les Ailes du désir (1987), deux ans avant la chute du Mur de Berlin et le début de la réunification.
Les essais de Harun Farocki, la fresque Heimat (1984-2006), d'une durée de 15 h 40 min, de Edgar Reitz, et les œuvres de Rudolf Thome, Le Microscope, 1988 ; Le Philosophe, 1989 sont d'évidence à découvrir.
On notera enfin au début du XXIe siècle un authentique regain de la production allemande, il est vrai toujours portée par l'histoire, avec deux œuvres emblématiques : Good Bye Lenin ! (2003), de Wolfgang Becker, et La Vie des autres (2006), de F. Henckel von Donnersmarck.

Le cinéma italien

Les exemples tirés de l'histoire récente du cinéma en Europe sont beaucoup moins probants, et se limitent souvent à l'œuvre d'un grand artiste éclipsant la médiocrité nationale : Emir Kusturica, né en 1954 en Yougoslavie ; Krzysztof Zanussi et Krzysztof Kieslowski, nés respectivement en 1939 et 1941 en Pologne ; Béla Tarr, né en 1955 en Hongrie ; le Grec Theo Angelopoulos (1935-2012) ; les Russes Andrei Tarkovski (1932-1986) et Alexandre Sokourov, né en 1951 ; le Géorgien Tenguiz Abouladzé (1924-1994).
Il est beaucoup plus inquiétant que ce type de constat affecte une patrie non négligeable du cinéma italien. En truffant d'antennes de télévision ses derniers films, Ginger et Fred, 1986 ; La Voce della Luna, 1990, Federico Fellini (1920-1993) avait clairement désigné l'ennemi d'un cinéma qui non seulement reflète mais requiert pour condition la sociabilité italienne.
Le genre de la comédie italienne ne semble être repris qu'épisodiquement. Quant aux grandes fresques historiques telles que Senso (1954), Le Guépard (1963), Les Damnés (1969), Ludwig II (1972), où un savoir-faire hérité de la mise en scène d'opéra s'alliait à une profonde culture littéraire, il semble bien que leur possibilité ait disparu avec leur auteur, Luchino Visconti (1906-1976).
L'œuvre de Nanni Moretti, né en 1953, a permis aux amateurs de ce cinéma d'entamer un travail de deuil d'autant plus pénible que le cinéaste-acteur, loin de panser leurs plaies, prend un plaisir masochiste – et bien sûr narcissique – à les rouvrir. Après ses critiques ouvertes des mondes télévisuel, Sogni d'oro, 1981 et politique, Palombella rossa, 1989, Moretti a d'abord observé le chemin parcouru avec un certain recul, Journal intime, 1993) avant d'attaquer de nouveau avec une rage sourde un pays qu'il dépeint sous emprise, Le Caïman, 2006. Mais en dépit d'un nouveau volontarisme dont il convient de prendre acte, et de belles tentatives comme Nos Meilleures Années, 2003, de Marco Tullio Giordana, il ne semble pas que le cinéma puisse vraiment reprendre ses droits dans un pays largement sous influence télévisuelle.

Vers une cinéphilie globalisée

La situation italienne se révèle être le meilleur point de vue pour observer et comprendre la profonde modification du marché mondial du cinéma.
Elle montre par l'exemple qu'une partie du monde qui se « contente » de la télévision laisse la part trop belle aux pays affamés de cinéma. Et si les cinéphiles adoubent les pays « émergents » dans les festivals, il va de soi que l'offre cinématographique pivote sur son axe et bascule clairement vers l'Est.
L'Iran dévoilé par Abbas Kiarostami, né en 1940, apparaît ainsi comme une terre du cinéma moderne, où la quête du sens par l'esthétique cinématographique héritée du néo-réalisme trouve une forme de nouvel espace. Mais c'est surtout en Extrême-Orient que le désir de cinéma a trouvé ses conditions les plus viables.
Les cinémas du Japon, de Corée, de Hong Kong, Taïwan et de Chine, fondés sur de solides traditions artisanales, ont su réactiver leur production à partir de genres traditionnels, des films de combat au mélodrame et engendrer des artistes singuliers, vedettes ou en position d'outsiders dans leur propre pays, mais qui n'ont pas tardé à être reconnus par les critiques, les cinéphiles et le public d'Occident. Tel fut le cas notamment de Hong Kar-wai, né en 1958, Chunking Express, 1994 ; In the Mood for Love, 2000, et de Johnie To, né en 1955, The Mission, 1999 ; Election, 2005, à Hong Kong ; de Hou Hsiao-hsien, né en 1947 (Les Fleurs de Shanghai, 1998 ; Millenium Mambo, 2001), et de Tsai Ming Liang, né en 1957, Vive l'amour, 1994 ; I Don't Want to Sleep Alone, 2006, à Taïwan ; de Bong Joon-ho, né en 1969, Memories of Murder, 2003 ; The Host, 2006, et de Kim Ki-duk, né en 1960, Printemps, été, automne, hiver... et printemps, 2003, en Corée du Sud ; de Jiu Zhang Ke, né en 1970, Still Life, 2006, en Chine ; de Takeshi Kitano, né en 1947, Sonatine, 1993 ; Hana-bi, 1997 ; Dolls, 2002, ou de Kiyoshi Kurosawa, né en 1955, Cure, 1997 ; Kairo, 2001, au Japon.
Si l'astre du cinéma s'est bien levé à l'Est pendant une bonne décennie, il n'est cependant pas sûr que cette position soit définitivement acquise.
La grande leçon du cinéma asiatique a en effet consisté à renouveler puissamment les vieilles grammaires cinématographiques, qui ne sont plus adaptées pour simplement expliquer les processus de narration – et leur exportation.
Il ne serait guère étonnant que le réveil des cinématographies d'Amérique centrale, le Mexique, avec par exemple Bataille dans le ciel, de Carlos Reygadas, 2005 et d'Amérique du Sud, l'Argentine, avec La Ciénaga, de Lucrecia Martel, 2001 vienne perturber le bal d'une cinéphilie globalisée où la bourse de valeurs n'a plus rien d'éternel. Il n'est pas certain qu'un tel constat soit plaisant.
On peut se consoler par l'examen de la réelle richesse d'une offre qui mérite certes mieux que le dédain écœuré du vieil amateur – qui a pourtant bien des raisons de ne pas vouloir mourir...

Posté le : 05/10/2013 18:53
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"Le chanteur de Jazz"premier film parlant
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6 octobre 1927 Sortie du premier film parlant

Le 6 octobre 1927 sort aux États-Unis le film Jazz singer ; "Le chanteur de jazz", réalisé par Alan Crosland.

Il s'agit du premier film parlant, chantant et musical, avec en vedette le comédien Al Jolson. L'acteur, un juif originaire de Russie, apparaît grimé en blackface, en Noir.

Le film exploite un procédé de sonorisation appelé Vitaphone. La bande sonore comporte tout juste 354 mots !
Mais le succès est immédiat et permet aux producteurs, les frères Warner, d'échapper à une faillite.
Les autres professionnels du cinéma restent réservés... Ils s'inquiètent de l'impossibilité d'exploiter les films parlants hors des pays anglophones (le doublage est encore inconnu).
Plusieurs vedettes du muet seront incapables de s'adapter au parlant. C'est le cas de Buster Keaton. D'autres, comme Charlie Chaplin, se reconvertiront non sans difficulté.
L'avènement du parlant consacrera aussi de nouveaux réalisateurs comme Howard Hawks aux États-Unis et, en France, Marcel Pagnol ou Sacha Guitry.

Le film :

Un vieux chantre juif dans une synagogue (Rabinowitz) espère voir son fils lui succéder. Mais le jeune Jackie préfère courir les bars à la mode et chanter du jazz. Chassé du toit paternel, il commence une brillante carrière de chanteur profane, maquillé en Noir. Il est remarqué par une actrice (Mary Dale) qui se propose de l'aider dans sa carrière. Grâce à elle, il devient une vedette sous le nom de Jack Robin. Son père tombe malade. À l'appel de la mère, le fils accourt pour lui demander pardon. Jackie apaise les derniers instants de son père en chantant à sa place à la synagogue le Kol Nidre . Sa passion pour le music-hall sera la plus forte : il remonte sur les planches où il remporte un triomphe. Il dédie à sa mère la chanson Mamma

À la charnière du muet et du parlant

Le Chanteur de jazz, adapté d'une pièce de théâtre qui oppose le folklore yiddish à la musique moderne et profane représentée par le jazz, obtint un succès phénoménal lors de son exploitation en octobre 1927 aux États-Unis. Il marque le triomphe du film sonore, chantant et parlant, bien que les dialogues synchrones y soient réduits à deux minutes et que le film comporte encore de très nombreux intertitres écrits.
La pièce eut elle-même un très gros succès en 1925.
Elle reprend un thème très voisin, développé dans un film allemand de 1923 réalisé par Ewald A. Dupont, Das alte Gesetz, connu sous le titre de Baruch.
L'acteur qui incarnait le rôle au théâtre refusa de le faire pour le film et la Warner fit appel à Al Jolson, dynamique acteur et animateur des spectacles de Broadway alors très célèbre.
Al Jolson, lui-même juif, était concerné par le rôle du jeune Jack Robin. Mais il devait initialement se contenter de chanter cinq chansons et des chants religieux, et éviter le langage parlé, à l'exception d'une incise en début de numéro :
"Attendez un peu, vous n'avez encore rien entendu ! You ain't heard nothin'yet !",
réplique demeurée fort célèbre puisqu'elle inaugure véritablement le parlant.
C'est au cours d'une chanson accompagnée au piano, Blue Skies, thème célèbre d'Irving Berlin, que l'acteur, tout à coup s'adressant à sa mère, improvise un véritable dialogue pendant 1 minute 20 secondes : Ça t'a plu, maman ? Oui. J'en suis ravi, car plus qu'à n'importe qui, c'est à toi que j'aime faire plaisir… La mère ne répond que par monosyllabes et reste enfermée dans l'univers de la représentation aphone, celle du cinéma muet. La spontanéité pathétique et quotidienne eut un effet de conviction décisif sur le public, subjugué par ce dialogue de piété filiale.
Paradoxalement, Warner utilise dans ce film le procédé Vitaphone, fondé sur le synchronisme avec disques, qui va rapidement disparaître au profit du son optique, procédés Fox Movietone, Western Electric, etc.


Le cinéma Parlant


Le terme, conservé par l'usage, de cinéma parlant n'est pas complètement adéquat pour désigner un genre où les bruits et la musique jouent un rôle essentiel. C'est de cinéma sonore qu'il faudrait parler.
D'ailleurs, l'expression a été employée pour caractériser les films antiparlants, qui, refusant le dialogue synchrone, ne faisaient entendre qu'une musique d'accompagnement et quelques effets sonores (Les Lumières de la ville, de Chaplin). Ce courant lui-même confirme, a contrario, la place centrale de la voix et du dialogue dans le genre cinématographique, ce qu'on peut appeler son vococentrisme ; un vococentrisme qui est aussi un fait humain universel.
Rupture ou continuité ?

Ce qu'il y a de plus visible dans l'histoire du cinéma, c'est qu'elle se trouve coupée en deux parties par une rupture visible à l'œil nu et datable : celle que représente le passage du muet au parlant, qui se situe entre 1927 (année du Jazz Singer) et le début des années 1930.
Personne ne s'attend à voir le cinéma vivre une deuxième rupture de même importance : les hologrammes, la vidéo, le 3-D mettent en jeu des technologies nettement différentes, qui bouleversent tellement la nature du simulacre cinématographique qu'on se retrouve face à quelque chose de radicalement autre.
Quant aux apports techniques intervenus après la naissance du parlant – essentiellement la couleur, l'écran large et le son stéréophonique –, ils se sont introduits progressivement et sont loin d'avoir représenté une rupture analogue à celle du parlant. On sait d'autre part que l' enregistrement sonore a existé avant la reproduction des images animées.
Pour créer le parlant, il suffisait donc de superposer l'un et l'autre en les gardant synchronisés, ce qui était encore délicat avec le disque, les tout premiers films parlants utilisèrent pourtant le sound-on-disc, mais n'a plus posé de problème avec l'emploi du son optique, c'est-à-dire du son transformé en variations lumineuses inscrites sur une pellicule perforée formant une étroite bande le long de la pellicule image.


Diaporama. Du muet au parlant

Avant l'avènement du cinéma parlant des années 1930, différents stratagèmes avaient été imaginés pour rendre le cinéma sonore. Les bonimenteurs, pianistes, orchestres, acteurs cachés derrière les écrans ou bruiteurs assurent la bande son des films en commentant les actions ou interprètent, en distribuant un procédé dû à Léon Gaumont, le procédé Gaumont

Animation Le son optique

Dès le début du XXe siècle, les techniciens du cinéma, parmi lesquels le Français Eugène Lauste et l'Américain Lee De Forest, cherchent à fixer image et son sur un même support, des films 35.mm à cette époque. De nombreuses expérimentations ont lieu avant l'avènement du son dit parlant…
À quelques aménagements près l'invention de l'amplification électrique, le cinéma parlant était donc techniquement possible dès le début du XXe siècle.
On le rencontra même assez tôt, dès 1906, à titre d'attraction ou de tentative isolée, comme plus tard le cinéma en relief. De multiples documents et témoignages, et bien sûr des bobines conservées, attestent différentes expériences de parlant, soit avec du doublage vivant par des comédiens situés dans la salle, le célèbre Frégoli l'a pratiqué, soit avec un phonographe plus ou moins couplé au projecteur.


Photographie. Cinéma parlant: premières tentatives

Dès le début du XXe siècle, de nombreuses techniques de sonorisation sont expérimentées pour permettre le couplage de l'image et du son. Parmi les procédés mis en place, celui où le son est capté au moyen d'un phonographe, simultanément à l'enregistrement de l'image par une caméra.
On peut donc dire que le cinéma s'est offert, avec le muet, un temps de répit, de mise au point d'une expression visuelle. Seulement, loin de dissimuler son mutisme en inventant un art de pure pantomime, le cinéma muet s'est ingénié à le mettre en évidence, puisqu'il adaptait souvent des pièces de théâtre et des opéras, et faisait parler d'abondance les personnages, donnant le texte de leurs répliques sur des cartons.
L'étonnant dans la révolution du parlant n'est donc pas tant la rupture évidente qu'il a introduite dans le langage cinématographique, mais bien que, tout compte fait, il se soit greffé sans trop de mal sur le cinéma tel qu'il s'était déjà constitué.
C'est pourquoi l'adaptation au parlant s'est globalement faite assez vite, si l'on tient compte des données culturelles et économiques qui ont ralenti son implantation dans un certain nombre de pays, dont la France.
La thèse centrale de l'étude faite par un chercheur américain, David Bordwell, sur l'introduction du son dans le cinéma est que celle-ci est loin d'avoir modifié autant qu'on aurait pu le croire le style des films.
Le cinéma parlant, même s'il a bouleversé un temps les méthodes de tournage, aurait été selon lui absorbé par le modèle cinématographique classique, en même temps qu'il contribuait à le changer : ainsi pour le montage et le découpage, dont le parlant risquait de remettre en cause la souplesse en assujettissant les images au déroulement d'un dialogue continu.
Étant donné le rôle central du montage dans le modèle classique, la venue du son représentait une menace .... D'où, d'emblée, l'adoption de la technique de tournage à plusieurs caméras (2 à 9) qui fut prédominante entre 1929 et 1931.Le tournage multicaméra, repris par la suite par certains réalisateurs comme Kurosawa, Renoir, avant d'être banalisé par la télévision, permettait en effet de fragmenter le découpage visuel et de répondre au besoin de mouvement que ressent le spectateur moyen.

Les apports du cinéma parlant

On a dit et redit ce que le parlant avait fait disparaître en ses débuts : la pureté du genre, la suggestion, le mystère, la magie liés à l'absence de son, l'ambiguïté des situations, la liberté dans l'enchaînement des plans, la stylisation de la réalité, la liberté de tournage en extérieur, le parlant imposait au début l'insonorisation, donc le studio, etc. Toutes choses qu'il a dû lentement reconquérir avec ses moyens propres.
"Chaque fois, écrivait Benjamin Fondane, défendant en cela une thèse que partageaient largement les réalisateurs russes Eisenstein ou Poudovkine, que la parole s'empare du réel ..., par l'acte même de son existence, elle affirme ; aucun doute n'est possible sur ce qu'elle veut, sur les valeurs qu'elle tend à nous imposer .... Tout malentendu est supprimé ..., ce malentendu qui faisait la force du cinéma muet. "
Selon Fondane, la parole venait également enchaîner la caméra à un point de vue à hauteur d'homme, la prise de vue ne pouvant plus s'élever sur les praticables en alpiniste visuel .
"La liberté du montage [...] s'est vue menacer ruine..., le dialogue est là, inamovible, irréductible, il tient l'image en suspens."
Ce qui prouve la justesse de ces remarques écrites en 1932, c'est le fait que nombre des acquisitions ultérieures du parlant seront celles-là même qui réintroduiront dans le cinéma les valeurs qu'il avait commencé par lui ôter, comme – pour citer celles qu'évoque Fondane – la possibilité du malentendu, par l'utilisation d'un dialogue semi-intelligible, d'une voix off énigmatique, ou d'une langue étrangère non traduite – possibilité qu'exploite l'Anatahan de Sternberg et la liberté de placer la caméra, que le parlant retrouvera en décrochant le point d'écoute sonore u point de vue visuel parti pris d'une voix systématiquement en gros plan, même quand les personnages sont vus d'avion.
En 1929, Chaplin accuse :
"Le film parlant s'attaque aux traditions de la pantomime que nous avons essayé d'établir avec tant de peine à l'écran, et sur quoi l'art cinématographique doit être jugé."
Il reproche aussi au parlant d'amener la vulgarité, la promiscuité. Il rejoint par là les griefs de René Clair, déplorant que le parlant nous plonge dans la trivialité et nous ramène au théâtre : c'est pourquoi, dans son premier film parlant, Sous les toits de Paris, le réalisateur français va chercher à réduire au minimum la part du dialogue par toutes sortes d'artifices.
On a pu donc dire que le cinéma parlant interrompait prématurément le développement d'un art qui n'avait pas encore épuisé ses ressources.
Ce qui n'est pas faux, mais en rester là serait oublier que certains films muets appelaient le son de toutes leurs forces.
Enfin, on ne peut nier que le parlant a amené de nouvelles possibilités, dont certaines ont contribué au développement de l'art cinématographique.

Augmentation du pouvoir narratif

Le pouvoir narratif de l'image animée seule, sans le secours d'un texte, est faible. Il a fallu beaucoup d'efforts et de très grands artistes comme Murnau pour parvenir, dans un film comme Le Dernier des hommes, à faire raconter une histoire par des images privées de tout secours d'un texte, qu'il soit écrit, intertitres ou oral, le bonimenteur qui officiait dans les salles des débuts du cinéma muet et qui dans certains pays, notamment au Japon, continua de jouer un rôle majeur à travers toute l'histoire du muet.
En général, les intertitres venaient donc appuyer les images par un texte forcément limité.
Le jeu des acteurs était alourdi, parfois outré, par la nécessité de faire comprendre en gestes certaines paroles, certains sentiments et certaines décisions.
Le parlant représenta donc un progrès quantitatif et qualitatif considérable dans la narration, non seulement par la quantité de dialogue et de texte bien plus grande qu'il apportait, sans laquelle le scénario subtil d'une œuvre pourtant très visuelle comme La Mort aux trousses, de Hitchcock, serait absolument incompréhensible, mais aussi par les nuances de la voix, avec ses émotions, ses nuances psychologiques, ses informations physiques, par le procédé de la voix off, par le langage des bruits, etc. – tout cela pouvant se superposer, le son du cinéma est polyphonique, alors que l'image ne l'est que rarement....
Et enfin, tout simplement, parce que l'apport du parlant se résume, au départ, à une piste sonore en plus, donc à un quasi-doublement de la quantité d'informations et de sensations données au spectateur.
Dans le même sens, le parlant donne un champ beaucoup plus grand et varié à l'art de l' acteur, puisqu'il lui permet de se servir de sa voix et, en outre, le délivre de la contrainte d'avoir à signifier un contenu verbal ou émotionnel par des gestes très démonstratifs : le parlant libère le corps de l'acteur et, bien évidemment, fait de la voix un élément de la présence physique.
Le cinéma parlant français, entre autres, a imposé des acteurs aux voix et aux intonations très caractérisées, comme Arletty, Raimu, Jouvet ou Michel Simon.
Le parlant amène également des possibilités de parallélisme : le son peut démentir l'image, et réciproquement. Possibilités dont il n'a pas toujours usé, mais dont on trouve des exemples fréquents chez Hitchcock, lorsque les personnages, pris dans une scène pleine de danger et de tension, parlent de choses anodines, tout en jetant des regards anxieux sur des objets ou sur des présences qui les inquiètent.


Temps réel, naturalisme, présence du monde concret

D'une manière générale, l'avènement du son a commencé – ne serait-ce que parce qu'il apporte la pièce manquante au puzzle audiovisuel conçu comme simulacre – par tirer le cinéma du côté du concret, du quotidien, du réel. En premier lieu, il a contribué puissamment à linéariser le temps du film et à en faire un temps concret. Ce qui veut dire que deux plans successifs dans un film muet peuvent encore correspondre à deux aspects simultanés d'un même phénomène, notamment pour les scènes d'ensemble ou de groupe, tandis que, s'ils sont accompagnés d'un son synchrone émettant paroles et bruits, leur enchaînement dans le déroulement du film implique automatiquement une succession dans le temps diégétique.
Alors que l'absence de son synchrone permettait au film muet une certaine élasticité de la durée narrative, faire durer, voire figer, ou au contraire précipiter une action, la venue du son a commencé par ancrer les scènes dans un temps concret, linéaire et chronométré.
La preuve en est que, lorsque le réalisateur d'un film parlant veut retrouver cette élasticité primitive, il commence par couper le son synchrone en le remplaçant par de la musique non diégétique, ce que nous appelons musique de fosse , qui fonctionne ainsi comme un véritable appareil temps-espace permettant, comme dans l'opéra, de dilater, voire d'immobiliser le déroulement d'une action ou d'une situation.

Les bruits du monde

Dans un film classique, le nombre de bruits entendus est extrêmement pauvre, presque limité à ceux que ferait entendre un bruitage de théâtre. Les bruits du monde auraient pu envahir le cinéma, mais ils y ont été longtemps tenus à distance.
La raison en est partiellement technique : dans un cinéma de fiction construit sur une action dialoguée, la bande passante encore étroite du son optique ne permettait pas, étant donné les conditions techniques régnantes, de mélanger à la voix des bruits nombreux sans sacrifier plus ou moins l'intelligibilité du texte.
Un sacrifice qui ne fut fait qu'exceptionnellement par Renoir, dans Le Crime de M. Lange, ou par Godard dans certains de ses films où le vacarme urbain couvre la voix des personnages. Aujourd'hui, avec les perfectionnements techniques, il est possible de faire entendre simultanément des dialogues intelligibles et un riche orchestre de bruits .
Certains genres cinématographiques, notamment le film de guerre, le film d'arts martiaux et le cinéma fantastique et de science-fiction, reposent beaucoup sur le pouvoir de suggestion et d'évocation des bruits. En revanche, dans les genres cinématographiques de base tels que le policier, le drame sentimental et même la comédie, ils sont réduits la plupart du temps au strict minimum d'effets codés : la rumeur du monde, dans toute sa richesse, en est absente.
C'est parce que la musique, héritée du muet et de la nécessité de neutraliser le silence et de mobiliser l'attention du spectateur envers une image muette, ne s'est pas laissée déloger par le parlant au profit de la réalité sonore que, aujourd'hui encore, le cinéma est très rarement, sauf chez des isolés comme Bresson, un art des bruits.
Le bruit pose aussi la question du réalisme, sa présence étant souvent destinée à ajouter à l'action de la densité concrète, alors même qu'il ne correspond pas à la moindre réalité ; par exemple, dans les films de science-fiction, on entend, en plein vide spatial, où il n'y a par définition aucun son, rugir et gronder des astronefs qui, sans ce bruit totalement injustifié, se réduiraient peut-être à ce qu'ils sont : des maquettes.
Stanley Kubrick a voulu, dans son 2001, respecter la vérité scientifique, mais, pour faire admettre ses astronefs silencieux, il lui a fallu employer une idée musicale très forte, à savoir utiliser le thème du Beau Danube bleu.
Que la présence du son donne une impression accrue de réalité est donc une chose, et qu'il s'agisse là du bruit réel de la chose en est une autre.
Prenons l'exemple des scènes de combat et de bagarre, si fréquentes au cinéma : le choc des coups ou des détonations correspond rarement au son que l'on entendrait dans la situation réelle ; il est souvent exagéré, plus fort, plus intense, il obéit donc à des conventions

Redéfinition du rôle de la musique

Dans la première période du parlant, on avait cherché à ce que la musique entendue dans les films – par exemple dans La Chienne, de Renoir – trouve systématiquement sa cause matérielle justifiée par l'action : phonographe, orchestre, piano mécanique, chanteur de rue... Ainsi voulait-on la marquer, elle aussi, du sceau du réalisme.
C'est quand on revint au principe de l'accompagnement musical par un orchestre de fosse non justifié dans l'action, on parle aussi de musique non diégétique, que put réapparaître le romantisme dans le cinéma.
Il faudra un jour analyser les effets, sur le statut du son au cinéma, de ce retour imprévu de la musique dans la fosse d'orchestre dont l'avait initialement délogée la propension réaliste du parlant.

Création ou renouvellement de genres

On peut se demander si, dans un premier temps, le parlant n'a pas entraîné le cinéma vers certains genres particuliers en le détournant d'autres possibilités d'expression spécifiques du muet, telles que le mélodrame sentimental flamboyant. Là encore, on constate que tous les genres abandonnés avec le parlant ont été peu à peu reconquis par celui-ci, une fois qu'il a eu maîtrisé ses moyens.
Il était évident que le parlant en ses débuts amènerait une débauche de théâtre filmé, et c'est ce qui se produisit en effet. Seulement, on n'oubliera pas que le muet faisait déjà une grande consommation d'adaptations scéniques. Dans un premier temps, le parlant, par son effet naturaliste, voire trivial et quotidien, a pu favoriser certains genres plutôt que d'autres ; la comédie de boulevard, la fantaisie alerte ou amère, et le film d'action sec, comme Scarface, 1932, de Hawks au détriment des films plus romantiques, plus oniriques et plus lents. Au fond, le cynisme réaliste de La Chienne en1931 de Renoir ou de Sous les toits de Paris de René Clair en 1930 serait peut-être dû pour beaucoup à la nature d'un cinéma parlant qui ne permettait plus de rêver sur des images muettes.
Le parlant n'a pas seulement favorisé les genres bavards ou bruyants, tels que ceux qui sont cités plus haut. Il a aussi créé des genres qu'on pourrait appeler taciturnes – ceux qui font entendre les bruits du silence.
Comme beaucoup l'ont souligné, Robert Bresson, Béla Balázs, c'est le parlant qui a rendu le silence expressif.
L'absence totale de son synchrone, dans le muet, n'était qu'un postulat technique ; dans un film parlant, elle devient un élément expressif.
C'est ce qu'éprouvèrent vivement les spectateurs de l'Hallelujah de Vidor (1929) dans une séquence où deux hommes se poursuivent dans les marais, et où l'on n'entend que leurs halètements.

Le cinéma à l'ère de Babel. Le doublage

Dans le cinéma muet, les personnages et les évènements, à la faveur de la rareté du verbe et de l'absence de voix, pouvaient conserver un certain caractère de généralité, d'abstraction, demeurer des essences. Au générique et dans les intertitres, on lisait souvent non des noms propres comme Scarlett, Philip Marlowe ou le père Jules, mais la femme de la ville, le père, le Chinois.
Tout cela a changé avec le parlant qui, en donnant une voix, donc une langue, une identité ethnique et souvent un nom propre aux personnages, les immergeait dans une réalité plus quotidienne et davantage située. Le cinéma parlant a ainsi introduit dans le cinéma la division de Babel.
"La technique du parlant, signalait Fondane en 1931, a morcelé le cinéma en autant de productions que de pays"
Jusqu' à l'invention du doublage, survenue assez rapidement (vers 1931-1932), cela posa un réel problème pour la carrière internationale des films et des acteurs.
Un film muet pouvait rassembler les acteurs des nationalités les plus diverses. Pour diffuser le film dans le monde entier, il n'y avait qu'à changer les cartons des sous-titres ou, dans certains pays – en Orient notamment –, à les faire traduire par un bonimenteur.
Mais avec le parlant le problème de la langue et de l'accent devenait épineux. Dans son premier film parlant, Blackmail, Chantage, 1929, prévu à l'origine pour être muet, Hitchcock avait pour star une actrice allemande, Anny Ondra, qui ne parlait pas très bien l'anglais.
Il tourna la difficulté en la faisant doubler en direct sur le tournage par une actrice anglaise présente sur le plateau et placée hors champ.
Les solutions adoptées dans les premières années, pour la diffusion internationale des films, furent multiples et chaotiques, à l'image des films eux-mêmes dont la formule était souvent composite et variable : soit muets aux quatre cinquièmes avec deux ou trois scènes parlantes cas du premier parlant officiel, Le Chanteur de jazz, soit tournés en muet puis complètement postsynchronisés après coup en studio dans la langue du pays, cas du film français tourné par Louise Brooks, Prix de beauté, d'Augusto Genina, 1930, soit carrément bilingues, comme Allo Berlin ici Paris, de Julien Duvivier, 1931, tourné en une seule version, avec pour héros deux jeunes téléphonistes qui, à Paris et à Berlin, montrent qu'ils savent se faire comprendre dans leurs langues réciproques, soit enfin, solution fréquemment adoptée mais coûteuse, réalisés en deux ou plusieurs versions dans les mêmes décors avec des distributions différentes. Le Marius de Pagnol fut ainsi filmé, parallèlement à la version française d'Alexandre Korda que nous connaissons, dans une version suédoise avec des acteurs suédois qui succédaient aux interprètes français pour chaque plan !
Mais le doublage, mis au point par la suite, a ses inconvénients bien connus, le principal étant de plaquer sur le corps et sur le visage d'un acteur une voix et une langue qui sont étrangères à sa façon d'être et de bouger ; et, bien sûr, de mutiler son interprétation.
Sans compter, tout comme pour une œuvre littéraire, les problèmes de traduction et de fidélité à l'esprit. Le sous-titrage, qui est préféré par les cinéphiles, a d'autres inconvénients. Il abîme l'image et ne donne qu'une version extrêmement abrégée du texte, où les sous-entendus, les nuances d'expression sont forcément traduits et simplifiés.
Couplé à ce problème du doublage, celui du choix entre le son direct et la postsynchronisation est apparu avec le parlant. Il faut savoir que, dans la plus grande partie des films montrés aujourd'hui, le dialogue entendu dans la version originale n'est pas celui qui a été prononcé sur le tournage, c'est un dialogue ré-enregistré après coup et en studio par les interprètes.
Cela pour des raisons essentiellement pratiques : le tournage est ainsi libéré des problèmes de son, surtout aujourd'hui où l'on tourne fréquemment en extérieurs et en décors réels. Ceux qui allèguent, pour combattre cette habitude de postsynchroniser, l'exemple de la pratique coutumière du « son direct » dans les années trente oublient en effet qu'à l'époque on tournait largement en studio, ce qui supprimait le problème de l'intrusion de bruits extérieurs.
À décor faux, son vrai ; à décor vrai, son faux : cette équation n'est pas incontournable, mais si l'on ajoute que le monde extérieur actuel est beaucoup plus sillonné de sons que celui d'il y a trente ans, on accordera que tourner un dialogue intelligible en son direct et extérieur pose plus de problèmes aujourd'hui qu'autrefois.

La voix

La révélation, par le cinéma parlant, de la voix réelle de stars que le public ne connaissait que par leur image – ainsi Greta Garbo – a créé un choc dont on se souvient encore : l'un avait une voix trop perchée, l'autre un accent étranger, le ou la troisième un timbre trop caractéristique par rapport à ce que suggérait son physique. Il a fallu d'un jour à l'autre cesser de rêver à une harmonie a priori des corps avec leur voix naturelle.
De cette révélation, le principe du doublage, imposé par le parlant, a été la contre-épreuve : pour le public français populaire des années trente et quarante, la voix naturelle de Clark Gable était en réalité celle de son invisible doubleur Robert Dalban ; la langue naturelle de Laurel et Hardy, un français parlé avec l'accent anglais ; quant aux acteurs des films italiens, le doublage leur donnait fréquemment un accent du Midi.
Le cinéma parlant travaille donc sur l'être humain en séparant la voix du corps, et en recomposant l'ensemble soit fidèlement, soit tout à fait librement.
Il faut se rappeler que longtemps avant le parlant la voix humaine était déjà, par la radio, le téléphone, le disque, un objet d'enregistrement et de retransmission en soi, détaché de son support corporel et visible : une voix entendue en gros plan pour des nécessités d'intelligibilité et qui régnait puissamment, par la magie des mots proférés, sur l'imaginaire.
C'est cette voix que l'on retrouve assez vite dans le cinéma parlant, mais confrontée cette fois avec la possibilité de sa visualisation.
D'où un jeu de cache-cache où le propriétaire d'une voix qui est en même temps souvent un assassin, un criminel... hante l'écran un certain temps sans se laisser voir par le spectateur, jusqu'à ce qu'il soit éventuellement visualisé, et, par là, devienne vulnérable. Nous avons appelé acousmêtre, de acousmatique, que l'on entend sans en voir la cause ce type de personnage, qui dans certains films existe à part entière par sa voix hors champ. Qu'il s'agisse du criminel Mabuse donnant ses ordres dissimulé derrière un rideau dans Le Testament du docteur Mabuse de Fritz Lang, du Magicien d'Oz dans le film de Victor Fleming ou de la mère invisible et meurtrière du héros dans Psychose d'Alfred Hitchcock, cet acousmêtre souvent malfaisant se voit attribuer des pouvoirs d'omnivoyance et d'ubiquité qui en font le spectateur absolu des images du film – par opposition d'une part avec les personnages incarnés et visualisés qui évoluent sur l'écran et, d'autre part, avec les voix off sereinement désengagées, celles des documentaires, par exemple qui commentent ou suscitent des images après coup sans plus y risquer leur corps actuel.
Le cinéma parlant laisse donc plus ou moins flotter les voix hors des limites de leurs corps, et tire souvent sa magie de ces voix errantes qui tournent autour de l'image dans l'espoir de s'y fixer, comme si la voix, au cinéma, restait première, fondatrice par rapport à l'image qu'elle est pourtant, historiquement, venue rejoindre plus tard. Mais la voix est aussi le support du verbe, elle est parole, dialogue – ou bien, dans certains cas, lecture.
On peut distinguer, en ce sens, trois utilisations de la voix parlée au cinéma :
– L'utilisation la plus courante, et théâtrale : les personnages échangent des propos destinés à être entendus intégralement par le spectateur, qui sont toujours significatifs par rapport à l'action, en même temps qu'ils révèlent humainement, socialement, affectivement ceux qui les prononcent, ne serait-ce que par le biais du mensonge, du silence ou de la dissimulation.
– La deuxième utilisation est à la fois plus rare et d'autant plus marquante quand elle apparaît : c'est celle où le son de la parole a une valeur de texte en soi, capable, comme celui d'un roman, de mobiliser, par le simple énoncé d'un mot ou d'une phrase, les images de ce qu'il évoque. Ce niveau de texte est généralement réservé à des voix off de narration, mais il peut aussi arriver qu'il sorte de la bouche de personnages en action, principaux ou secondaires, par exemple certaines scènes clés des deux premiers films parlants de Fritz Lang : M le Maudit et Le Testament du docteur Mabuse.
– Une troisième utilisation existe, diamétralement opposée en apparence à la deuxième : c'est celle que nous appellerons la parole-émanation, quand le dialogue est comme une sécrétion des personnages, un aspect complémentaire de leur façon d'être ou un élément de leur silhouette, comme chez Tati, burlesque observateur, où les dialogues ne sont entendus que par bribes, mais aussi quand ce dialogue, même si son contenu est capital, n'est pas ce qui contribue à faire avancer le film, et que le découpage cinématographique évite d'en renforcer les divisions et les points forts, la succession des plans se produisant selon une logique extérieure aux articulations du discours tenu.
Ce n'est que chez des auteurs comme Fellini ou Tarkovski, ou encore dans des films isolés comme le 2001 de Stanley Kubrick, que l'on rencontre ce parti pris, plus rare qu'il n'y paraît.

Le contrepoint audiovisuel

"Le cinéma muet, rappelait Belá Balázs, recélait une contradiction entre l'image et la parole écrite. Car on était obligé d'interrompre l'image, le jeu visuel, pour intercaler des sous-titres."
Le parlant, en permettant un flux visuel continu et en déchargeant l'image de certaines contraintes de narration devait permettre, en principe, au cinéma d'être encore plus visuel.
Et il est vrai que certains tempéraments on ne peut plus visuels comme Fellini ou Hitchcock ont su pleinement s'épanouir avec le parlant... En même temps, le son a introduit comme un corps étranger, perturbateur, dans l'idée unie, absolue, que l'on se faisait du cinéma pur .
Finalement, pour les tenants du cinéma comme art, c'était en augmentant ses possibilités de simulacre – donc en le poussant plus loin dans le sens même de ce pour quoi il avait été inventé – que l'on compromettait son développement. À ceux-là, le cinéma parlant apparaissait d'abord victime de la redondance du synchronisme, c'est-à-dire du principe de filmer des talking heads, et la solution dite de l' a-synchronisme semblait être le moyen de libérer l'image des chaînes de la parole : ce qu'ils appelaient le contrepoint audiovisuel.
Pour Balázs, par exemple : Le libre maniement contrapuntique du son et de l'image libérera le cinéma parlant des chaînes de son naturalisme d'origine, et, ce stade atteint, il retrouvera la finesse perdue du cinéma muet. Tandis que pour le cinéaste expérimental allemand Walter Ruttman, cité dans Pour vous, Paris, 17 déc. 1929 :
"Le film sonore est ou devrait être la création visuelle d'une continuité dramatique “secondée” en contrepoint par une continuité acoustique. "
Qui aujourd'hui ne serait prêt à reprendre ces paroles, et à déplorer que ce programme n'ait pas encore été réalisé ? Mais quelques lignes plus loin, dans le même article, Ruttman donne des exemples du « contrepoint » auquel il pense, et nous nous apercevons que tous ces cas sont devenus monnaie courante :
"Vous entendez une explosion et vous voyez le visage effrayé d'une femme, ou vous voyez un match de boxe et vous entendez la foule qui hurle, ou vous entendez un air sentimental sur un violon et vous voyez une main qui en caresse une autre, ou vous entendez le mot et vous voyez l'expression de l'interlocuteur."
Ainsi, ce contrepoint audiovisuel que l'on continue de réclamer à cor et à cri, le cinéma le plus courant le mettrait sans arrêt en œuvre ? Exactement. Souvent, en effet, c'est du son que le spectateur reçoit des informations, des impressions, des sensations, des visions même, dont il attribue la cause à l'image, ou, pour être exact, dont il situe le lieu dans l'image.
Le contrepoint audiovisuel n'est repéré par lui que lorsque la piste sonore fait entendre quelque chose qui est non seulement complémentaire et parallèle à l'image, mais aussi qui semble être contradictoire avec elle : on voit un certain décor et on entend des sons qui ne s'y rattachent nullement ; un objet tombe et le bruit entendu nous choque comme contredisant le son attendu, par exemple, dans les films de Robbe-Grillet sonorisés par Michel Fano). Le problème se pose alors du statut diégétique – c'est-à-dire de la situation dans l'histoire – de ce son en contrepoint : correspond-il à la pensée ou à la perception déformée d'un personnage, son subjectif, à l'expression d'une idée par la mise en scène, contraste entre un monde et un autre ou suggestion d'une métaphore, comme le son d'un match de rugby dans la bagarre du Million, de René Clair ?
Cherche-t-il à faire exister un monde différent du nôtre ? S'agit-il encore d'une sorte de dédoublement de la scène filmique, l'image et le son nous transportant dans deux lieux différents ? Ou enfin ne serait-ce qu'une contradiction apparente, résolue à la fin de la scène, quand on découvre par exemple que la source du son « anormal » était un magnétophone ou un poste de radio ? C'est ce problème qu'il faut d'abord résoudre, et, de fait, c'est parce qu'il n'a pas été résolu par une convention aussi admise que celle de la « musique de fosse » que la question reste entière et que les tentatives de contrepoint audiovisuel radical sont assez rares, et souvent rhétoriques, intellectuelles et forcées.
En revanche, pour d'autres cinéastes que nous appellerons baziniens, en référence au grand critique André Bazin, qui a théorisé cette position, et qui sont par exemple Jean Renoir, Carl Dreyer, Roberto Rossellini, et aujourd'hui Eric Rohmer, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, les choses ne se présentent pas ainsi : le son est d'abord ce qui leur permet de traiter mieux et plus complètement leur sujet, qui est l'homme, la réalité. Le cinéma est parlant parce que l'homme est parlant, l'homme avec sa destinée, sa place dans la société, son histoire, ses sentiments.

Liens
http://youtu.be/j48T9BoKxlI extrait du film
http://youtu.be/y0Gqixif654 Olson story
http://www.youtube.com/watch?v=nAqnUP ... e&list=PLB794C3367FCE3610 Le cinéma parlant d'avant guerre

Histoire du cinéma suite -->
http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=3494#forumpost3494


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Posté le : 05/10/2013 18:51
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Louis-Philippe 1er roi des français
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Le 6 Octobre 1773, à Paris naît Louis Philippe 1er, roi des français

Il est le fils de Louis-Philippe d'Orléans, cousin du roi Louis XVI et de Marie-Adélaïde de bourbon-Siciles, dernier représentant de la branche des Orléans, lignée descendant de "Monsieur", frère du roi Louis XIV. Louis -Philippe d'Orléans est roi des français du 9 Aout 1830 au 24 février 1848; soit durant 17 ans, 6 mois et 2 semaines, il succedè à son cousin de la branche des bourbons, Charles X, il aura pour lui succéderer Jacques Dupont De l'Eure, gouvernement provisoire de 1848, 9éme président du conseil du gouvernement de facto puis suivent : Présidents du Conseil, Jacques Laffitte, Casimir Perier, Duc de Dalmatie, Comte Gérard, Duc de Bassano, Duc de Trévise
Duc de Broglie, Adolphe Thiers, Comte Molé, Duc de Dalmatie, Adolphe Thiers, Duc de Dalmatie, François Guizot, Comte Molé, Adolphe Thiers

Il aura pour enfant: Ferdinand-Philippe d'Orléans, Louise d'Orléans, Marie d'Orléans, Louis d'Orléans, Françoise d'Orléans, Clémentine d'Orléans, François d'Orléans
Charles d'Orléans, Henri d'Orléans, Antoine d'Orléans. Il établira sa résidence au Palais royal, la première année de son règne puis s'établira au palais des tuileries.
Il décéde le 26 août 1850, à l'âge de 76 ans à Claremont dans le Surrey au Royaume-Uni.


Louis-Philippe Ier Avant l'avènement


Quand éclate la Révolution française, la famille d'Orléans compte déjà parmi les forces hostiles à la Cour et à la monarchie absolue.
Le Palais-Royal est plus qu'une résidence, c'est un centre de ralliement. Louis Philippe Joseph, duc d'Orléans, 1747-1793, y vit en prince éclairé, tout acquis aux idées nouvelles. Ses salons sont fréquentés par un milieu cosmopolite, où se côtoient des gens de lettres, des publicistes à gages et des spéculateurs.
Politique d'idonéité, a-t-on dit à ce sujet, c'est-à-dire, en termes vulgaires : savoir se placer avec opportunité en cas de crise du régime et de vacance du trône pour assurer le meilleur destin à la branche cadette des Bourbons ; sacrifier aux courants de pensée et aux engouements de l'heure pour se constituer un fonds permanent de popularité ; entretenir au besoin agitation et agitateurs.
Le duc de Chartres, le futur Louis-Philippe, suit les traces de son père.
En 1790, il est membre du club des Jacobins.
La guerre éclate en avril 1792. Le jeune prince sert sous Kellermann à Valmy, puis sous Dumouriez à Jemmapes. Autant de titres de gloire, qui se monnaieront plus tard. Le duc d'Orléans, lui, est devenu Conventionnel, et dans sa clientèle se profilent les plus prestigieuses – souvent les plus douteuses – figures de la Révolution : Danton, Fabre d'Églantine, Desmoulins.
Il vote la mort de Louis XVI. Mais Dumouriez déserte après Neerwinden, 18 mars 1793, et le duc de Chartres l'accompagne. La trahison du fils entraîne l'exécution du père le 13 novembre suivant. Pour le nouveau duc d'Orléans, c'est l'exil, la gêne matérielle et surtout le discrédit.
Honni par les représentants de la branche aînée et suspecté par les Cours absolutistes, Louis-Philippe ne redore pas son blason en refusant de servir dans les armées autrichiennes.
Après un séjour aux États-Unis, il rejoint l'Angleterre. En 1800, le fils du Conventionnel régicide fait acte d'allégeance à Louis XVIII. Bien considéré à Londres, il sert d'intermédiaire entre le souverain émigré et le gouvernement anglais pour permettre au prétendant de se fixer à Hartwell.
Le 25 novembre 1809, il épouse Marie-Amélie, fille de Ferdinand Ier, roi des Deux-Siciles. Un moment, il a failli porter les armes contre la France.
Le Conseil de régence espagnol lui offre en 1810 le commandement d'une armée. Louis-Philippe est même à Cadix quand Soult assiège la ville. Mais l'affaire ne se fera pas, et la réputation du prince est sauve.
Le 17 mai 1814, le duc d'Orléans rentre à Paris. Jouer un rôle politique l'attire, mais sa position est délicate. Il se consacre surtout à la gestion des biens que la Restauration lui a permis de récupérer, le Palais-Royal, le parc Monceau, les terres normandes.
Pendant les Cent-Jours, il regagne l'Angleterre. Frappé d'interdit à la Cour durant deux ans, il ne revient en France qu'en 1817. Louis XVIII, d'ailleurs, multiplie à l'égard de son cher cousin les vexations protocolaires et lui manifeste publiquement sa défiance :
"Le duc d'Orléans ne se remue pas et cependant je m'aperçois qu'il chemine.
Cette activité sans mouvement m'inquiète …."
L'avènement de Charles X rend au duc la faveur royale et le titre d'Altesse. Louis-Philippe demeure dans une prudente expectative.
D'un côté, il n'est pas avare de déclarations de fidélité respectueuse envers la couronne, mais, de l'autre, il entretient avec certains chefs libéraux des rapports politiques et des rapports d'affaires.
On connaît son amitié pour Jacques Laffitte, le banquier qui patronne le National, un des principaux organes d'opposition.
Les milieux de la Cour ne s'y trompent pas, qui, au fur et à mesure que la crise s'aggrave, désignent ouvertement le duc d'Orléans comme le bénéficiaire, voire l'instigateur de toutes les manœuvres et de toutes les agitations.
Le Palais-Royal redevient, pour une certaine opposition parisienne, le centre de la nouvelle Fronde.
En juin 1830, à l'occasion de la réception du roi de Naples, beau-père de Louis-Philippe, une curieuse émeute éclate au Palais. La populace brûle des fauteuils et pousse des cris hostiles aux aristocrates. Les malveillants – ou les plus lucides ? – y voient la main du duc d'Orléans.
C'est encore au Palais-Royal que se forment les premiers rassemblements au matin du lundi 26 juillet 1830, quand Paris apprend la parution des ordonnances. Pour endiguer la vague révolutionnaire, Laffitte, Thiers et Mignet lancent la candidature orléaniste.
À Neuilly, en l'absence du duc, prudemment caché au Raincy, Thiers précise à Madame Adélaïde qui vécut de 1777-1847, la sœur du monarque de demain, le sens de sa démarche :
"Il nous faut une dynastie nouvelle, qui nous doive la couronne, et qui, nous la devant, se résigne au rôle que le système représentatif lui assigne."
Dans la nuit du 31, le duc d'Orléans rentre à Paris.
Il fait savoir qu'il accepte la lieutenance générale du royaume que lui offrent les députés libéraux.
Dans le même temps, pour se garder du côté de Saint-Cloud, il semble avoir cherché à accréditer l'idée d'un enlèvement par les insurgés.
Le 2 août, Charles X a abdiqué, mais Louis-Philippe n'est pas encore roi. Il lui faudra d'abord accepter les conditions qui lui sont imposées par la Chambre. C'est chose faite, quand il prête serment à la Charte révisée, en cette séance solennelle et significative du « sacre parlementaire », le 9 août 1830.

La personnalité du roi

Louis-Philippe Ier est peu connu de ses contemporains. Ce que l'on sait de lui n'est pas l'essentiel. On est bien renseigné sur son comportement bourgeois, sur sa vie familiale droite et simple. On apprécie qu'il envoie son fils au collège et qu'il rompe avec les pratiques extérieures surannées et quelque peu méprisantes de ses prédécesseurs.
Mais les idées politiques du souverain de Juillet et ses conceptions du gouvernement échappent à tous. Louis-Philippe est très réservé, voire secret. Ses adversaires le disent cauteleux et fourbe.
À coup sûr, il a le goût du pouvoir. Pragmatiste et manœuvrier, il se méfie des doctrines et des doctrinaires. Sa volonté de jouer un rôle de premier plan ne se trahit jamais, tout au moins au début. Le roi respecte scrupuleusement les institutions, en particulier les formes parlementaires.
Il sait ce qu'il doit à la bourgeoisie libérale et évite soigneusement de laisser soupçonner ses vues par des gestes ostentatoires et maladroits.
Mais il ne perd aucune occasion d' occuper le terrain et de profiter des dissensions.
Il se résigne à accepter les ministres que le Parlement lui soumet, mais divise pour régner. La monarchie de Juillet aurait pu être l'occasion d'implanter en France un système parlementaire stable et régulier.
L'action personnelle du roi a tout faussé et a perdu la dynastie.

Le roi et le pouvoir

La Charte modifiée est devenue un contrat entre le souverain et la nation, plus exactement la nation censitaire. Ce pacte contractuel a d'abord affermi le caractère parlementaire du régime de Juillet.
Le roi doit partager le pouvoir législatif avec les Chambres. Les députés ont le droit d'initiative, le droit d'amendement et le droit d'interpellation. Mais la Charte laisse dans l'ombre le rôle exact des ministres et, par là même, le rôle du souverain.
C'est laisser libre cours aux interprétations les plus contradictoires et servir ainsi les desseins secrets de Louis-Philippe.
Il y a d'abord la thèse des partisans de la prééminence royale. Le roi délègue une part du pouvoir exécutif aux ministres choisis dans la majorité des Chambres. La direction des affaires lui appartient en propre, et les ministres ne sont que les fidèles exécutants de la volonté royale. À l'opposé, il y a la doctrine de la prépondérance parlementaire.
" Le roi règne, mais ne gouverne pas" disait Thiers.
Guizot illustre une troisième thèse, bien conforme à son attachement pour le juste milieu.
Le roi gouverne avec l'appui des pouvoirs institués par la Charte, sans privilégier les uns par rapport aux autres, ni dissoudre l'unité institutionnelle qu'elle consacre. Les ministres lui proposent une politique.
Le roi peut accepter ou refuser, mais son accord conditionne alors un appui sans réserve.
Parlementaires, juristes et publicistes débattent de la question. En 1834 paraît une brochure du comte Pierre Louis Rœderer (1754-1835), partisan de la prérogative royale. C'est une attaque véhémente contre les prétentions du pouvoir parlementaire.
"Le roi seul a la direction de l'État", écrit-il. Il dispose d'un domaine réservé, la politique extérieure. Il n'y a pas de Conseil des ministres, mais un Conseil, où le roi appelle ses ministres. Un peu plus tard, la naissance de la grande coalition contre Molé relance la polémique.
À l'opposé de Prosper Duvergier de Hauranne (1798-1881), qui défend la prépondérance parlementaire, Des principes du gouvernement représentatif et de leur application, 1838, Henri Fonfrède (1788-1841) reprend les conclusions de Rœderer, Du gouvernement du roi et des limites constitutionnelles de la prérogative parlementaire, 1839.
Écarté du débat et des urnes, le pays réel tranchera en février 1848.

Louis-Philippe et ses ministres

L'instabilité ministérielle de la monarchie de Juillet ne doit pas faire illusion. S'il y a eu dix-sept ministères en dix-huit ans, ce sont toujours les mêmes hommes qui ont monopolisé la répartition des portefeuilles.
Le roi n'a jamais cessé de manœuvrer pour écarter les obstacles à son ambition. Dans les mois qui ont suivi les Trois Glorieuses, il lui a fallu subir la pression de la rue et celle de la gauche bourgeoise représentée par le Mouvement de Laffitte.
Louis-Philippe, qui sait aussi ne pas garder ses distances, passe des revues, reçoit des délégations et donne du camarade aux gardes nationaux.
Il laisse Laffitte se discréditer et, quand le Mouvement a épuisé ses capacités de louvoiement, renvoie Laffitte et accepte Casimir Perier (mars 1831).
Choix malheureux, car le chef de la Résistance dicte sa volonté au roi. Le Conseil des ministres sera désormais réuni hors de la présence du souverain. Son président étudiera les affaires avant de les lui soumettre.
Quant à l'héritier du trône, il sera purement et simplement exclu des délibérations. Quand Casimir Perier meurt, le 16 mai 1832, Louis-Philippe pense ressaisir les rênes et laisse vacante la présidence.
Mais, jusqu'en 1836, alliés ou désunis, le duc Victor de Broglie, Thiers et Guizot font la loi. Le roi s'acharne à briser le triumvirat, « Casimir Perier en trois personnes », comme il l'appelle.
En 1834, il réussit à écarter le duc de Broglie, mais doit le reprendre l'année suivante. En 1836, il met Thiers dans son jeu, mais les initiatives de l'ambitieux chef du centre gauche ne laissent guère de place aux siennes. Thiers est renvoyé.
Avec le second ministère Molé (de 1837 à 1839), Louis-Philippe entrevoit une possibilité d'influer directement sur les événements. Un parti du château se constitue avec des députés-fonctionnaires et des notables gagnés par de substantielles faveurs.
Mais la coalition de Broglie-Thiers-Guizot-Barrot a raison de Molé.
Ce n'est qu'après une longue crise et un court intermède Thiers que le roi trouve enfin l'homme de confiance, Guizot, qui va le demeurer jusqu'à la fin (1840-1848). L'illustre universitaire, accueilli d'abord comme un ministre de transition, finit par s'imposer. Seul entre tous, il a eu le maître mot :
"Le trône n'est pas un fauteuil vide."
Louis-Philippe appuiera aveuglément sa politique et lui devra sa chute et son exil.

Louis-Philippe et la politique extérieure

Domaine privilégié du souverain, les affaires européennes ont constitué aussi son principal souci. Le « roi des barricades » n'a eu de cesse de faire oublier sa douteuse origine et de se faire reconnaître par les grandes puissances, à commencer par les puissances absolutistes, la Prusse, l'Autriche et la Russie. Dans un premier temps, Louis-Philippe va mener une politique de sauvegarde de la dynastie.
Pour éviter une nouvelle coalition de 1815, il neutralise toute action susceptible d'inquiéter l'Europe et s'oppose à toute modification territoriale ou dynastique, même bénéfique pour le pays. Mais il doit tenir compte du nationalisme de l'opinion française, y compris de l'opinion bourgeoise, prompte à taxer d'abandon le moindre compromis et qui prône l'intervention hors des frontières pour sauver les frères polonais, belges ou italiens.
Son pacifisme procède aussi d'une saine conception de la politique économique, qu'il partage d'ailleurs avec l'oligarchie dirigeante : la paix est nécessaire aux affaires. Le roi n'hésite pas à agir en sous-main, et sa diplomatie double et contrecarre souvent celle de ses ministres et des représentants accrédités.
Quand, au début de son règne, le ministère du Mouvement paraît cautionner une intervention française en faveur des libéraux italiens, Louis-Philippe s'active à rassurer l'Europe. La révolution belge le met dans une position délicate.
En février 1831, le duc de Nemours est élu roi des Belges. Louis-Philippe, qui craint les réactions anglaises, n'hésite pas à notifier un refus formel aux représentants de la sécession. Cette alliance anglaise sera longtemps indispensable pour faire contrepoids à la pression des régimes absolutistes.
Après une certaine éclipse de 1836 à 1840, elle paraît triompher de nouveau.
C'est l'Entente cordiale de 1840 à 1846, qui se heurte rapidement aux intérêts contradictoires des deux pays en Méditerranée orientale et dans la péninsule Ibérique, et à laquelle met fin l'affaire des mariages espagnols (10 octobre 1846).
Louis-Philippe semble envisager sans crainte un renversement des alliances, car sa politique d'ordre à l'intérieur comme à l'extérieur a eu raison de la méfiance autrichienne. Un rapprochement diplomatique s'esquisse depuis 1847 avec Vienne.
Le roi et Guizot n'en sont pas pour autant prêts à s'intégrer dans une nouvelle et paradoxale Sainte-Alliance.
Leur refus de soutenir les mouvements révolutionnaires qui se déchaînent en Italie, en Allemagne et en Suisse n'est que la manifestation de la politique du juste milieu et de leur souci de maintenir le statu quo.
Mais l'opinion française y voit une trahison succédant à une cascade de capitulations : traité de Londres du 15 juillet 1840, qui consacre la défaite de Méhémet Ali, l'allié privilégié ; affaire Pritchard, etc
La chute de Louis-Philippe
Si la révolution de 1848 a été une surprise, elle l'a été surtout pour le roi, inconscient du danger mortel que faisait courir à la dynastie la politique ultra-conservatrice de Guizot, qu'il appuyait sans défaillance.
Malgré les mises en garde, Louis-Philippe s'est obstiné. Son dernier discours du trône en témoigne :
" Au milieu de l'agitation que fomentent les passions ennemies ou aveugles … À dix-huit ans de distance, on croit entendre Charles X :
"Si de coupables manœuvres "… Quand éclate la révolution le 23 février 1848, Louis-Philippe n'a plus que le réflexe du manœuvrier de couloirs qui a perdu conscience de l'importance des forces déchaînées.
Il appelle Molé. Quelques heures après la tragique fusillade du boulevard des Capucines, même Barrot n'est plus l'homme de l'heure. Le 24 février, Louis-Philippe abdique en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, mais la révolution balaie la dynastie. Le roi doit fuir en Angleterre, où il meurt deux ans plus tard.

Abdication et exil

Abdication de Louis-Philippe Ie 24 Février 1848

Devant le déroulement de l’insurrection, Louis-Philippe abdique le 24 février 1848 en faveur de son jeune petit-fils "Louis-Philippe II ", son fils et héritier, le prince royal Ferdinand-Philippe, étant mort dans un accident à Neuilly-sur-Seine en 1842.
Craignant de subir le même sort que Louis XVI et Marie-Antoinette, il se déguise et quitte Paris pour Dreux où il passe la nuit.
Cependant la Chambre des députés, quoique prête, de prime abord, à accepter son petit-fils comme roi, doit faire face à des insurgés qui envahissent le palais Bourbon. Suivant l’opinion publique, elle décide de confier le pouvoir à un gouvernement provisoire qui, dans la soirée, à l’Hôtel de Ville de Paris, proclame la Deuxième République dans des circonstances controversées.
Voyageant dans une voiture banale sous le nom de "Mr. Smith", le roi déchu embarque le 2 mars au Havre sur un paquebot en direction de l'Angleterre où il s'installe avec sa famille au château de Claremont dans le Surrey mis à disposition par la reine Victoria.
Louis-Philippe meurt le 26 août 1850 dans son lieu d'exil et est inhumé dans la chapelle Saint-Charles Borromée à Weybridge.
En 1876, son corps ainsi que celui de sa femme la reine Amélie, décédée le 24 mars 1866, sont ramenés à la chapelle royale Saint-Louis, nécropole familiale que sa mère a fait construire en 1816 à Dreux et qu'il a lui-même fait agrandir pendant son règne.

Famille

Frères et sœurs

Antoine (1775-1807), duc de Montpensier ;
Adélaïde (1777-1847), Mademoiselle : elle restera célibataire et deviendra la confidente indispensable de son frère ;
Louis Charles (1779-1808), comte de Beaujolais ;
Mlle Collard, fille d'une maîtresse de son père, Mme de Genlis, épouse le baron Cappelle, colonel d'artillerie dans la garde impériale.

Fiancée

1804 : Élisabeth du Royaume-Uni (1770-1840), fille du roi George III ; le mariage n'aboutira pas.

Épouse

1809 : Louise-Marie-Amélie de Bourbon-Siciles, princesse des Deux-Siciles (1782-1866), fille du roi Ferdinand IV des Deux-Siciles et de l'archiduchesse Marie-Caroline d'Autriche.

Ascendance de Louis-Philippe Ier, roi des Français 1773-1850

Enfants

Nom Portrait Naissance Mort Notes
Ferdinand-Philippe 3 septembre 1810 13 juillet 1842 Prince royal et duc d’Orléans, épouse Hélène de Mecklembourg-Schwerin, dont postérité.
Louise 3 avril 1812 11 octobre 1850 Première reine des Belges, épouse Léopold Ier de Belgique, dont postérité.
Marie 12 avril 1813 6 janvier 1839 Épouse Alexandre de Wurtemberg, dont postérité.
Louis 25 octobre 1814 26 juin 1896 Duc de Nemours, épouse Victoire de Saxe-Cobourg-Kohary, dont postérité.
Françoise 28 mars 1816 20 mai 1818
Clémentine 3 juin 1817 16 février 1907 Épouse Auguste de Saxe-Cobourg, dont postérité.
François 14 août 1818 16 juin 1900 Prince de Joinville, épouse Françoise du Brésil, dont postérité.
Charles 1er janvier 1820 25 juillet 1828 Duc de Penthièvre.
Henri 16 janvier 1822 7 mai 1897 Duc d’Aumale, épouse Marie Caroline de Bourbon-Siciles, dont postérité.
Antoine 31 juillet 1824 4 février 1890 Duc de Montpensier, épouse Louise-Ferdinande de Bourbon, dont postérité.

Hommages

Noms gravés sous l'Arc de Triomphe de l'Étoile : pilier Nord, 1re et 2e colonnes.
Il fait partie des 660 personnalités à avoir son nom gravé sous l'Arc de triomphe de l'Étoile. Il apparaît sur la 1re colonne, pilier Nord (l’Arc indique CHARTRES).
En France, un musée est consacré au roi Louis-Philippe Ier, il s'agit du Musée Louis-Philippe du château d'Eu.
A Eu, un collège porte son nom.

Citations

"Enrichissez-vous par le travail et par l'épargne ! "(François Guizot)
"Les Orléans passaient, à tort ou à raison, pour fort économes, regardants, et près de leurs intérêts. Louis-Philippe s'était toujours soucié d'une sage économie domestique ...indifférent au qu'en dira-t-on, attentif seulement à ses affaires, menant avec ses banquiers de Londres une correspondance minutieuse, faisant lui-même, refaisant ses comptes, héritier veillant à ce que rien ne se perdît de l'héritage, à ce qu'il s'enrichît d'appoints dès longtemps guettés, bon, excellent père de famille, jusqu'à se substituer à ses enfants et à sauvegarder leur patrimoine en dehors d'eux, sinon contre leur gré. La dernière image que l'on garde (de lui) est celle d'un capitaliste éperdu, balbutiant dans le désastre, réclamant son portefeuille, ses clefs."

Liens

http://www.youtube.com/watch?v=sSQijx ... e&list=PLBFC9B949505FCC85 6 vidéos
http://youtu.be/oQS-5HLdD4s


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Posté le : 05/10/2013 17:16

Edité par Loriane sur 06-10-2013 15:04:15
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Re: Les expressions
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Hors Ligne
« Un appel du pied »


Une invite discrète.
Une proposition allusive.


Malheureusement, cette expression ne semble pas avoir d'origine et de date de naissance claire.

Si elle n'a aucun rapport avec le pied d'appel, celui sur lequel on prend appui au moment de sauter, certains lui voient une relation possible avec l'appel du pied qui existe en escrime.

Mais le lien le plus probable est plutôt avec "faire du pied", pratique qui existe depuis que les hommes (et les femmes) se mettent ensemble autour d'une même table, et qui est également une invitation discrète à passer à d'autres plaisirs que ceux du repas.

Posté le : 05/10/2013 10:52
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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