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Le traité de Paris-fin de la guerre de Crimée
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Le 30 Mars 1856 est signé le traité de Paris mettant fin à la guerre de Crimée

commencée le 4 Octobre 1853, Elle conclut la Victoire de l'alliance franco-britannico-sardo-ottomane contre la Russie, ce traité marque le début d'un sévère déclin de l'influence russe dans la région.
Le traité de Paris du 30 mars 1856, met fin à la guerre de Crimée 1853-1856. Entré en vigueur le 16 avril 1856, il déclare la neutralité de la mer Noire, y interdit la navigation aux navires de guerre ainsi que la construction de fortifications.

Déclaration réglant divers points de droit maritime. Paris, 16 avril 1856

Lors de la conclusion du traité, les plénipotentiaires signèrent également la présente déclaration. Elle est le résultat d'un modus vivendi passé entre la France et le Royaume-Uni en 1854, qui concernait originellement la guerre de Crimée.
Ces deux puissances avaient reconnu qu'elles n'opèreraient pas la saisie de biens ennemis sur des bateaux neutres ni de biens neutres sur des bateaux ennemis. Les belligérants avaient également déclaré qu'ils ne délivreraient plus de lettre de marque, abolition théorique de la guerre de course.
La Déclaration de Paris confirme ces règles et y rajoute le principe que les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs.
Elle pose également le principe de la liberté des détroits maritimes. Elle sera complétée par la Convention de Constantinople sur la liberté des canaux interocéaniques en 1888.
Le traité de Paris institua la première Commission du Danube.

Les signataires

Pratiquement tous les États ont adhéré à cette déclaration. Les États-Unis, qui souhaitaient obtenir une exemption complète de prise en mer pour la propriété privée, ont retiré leur adhésion formelle, leur amendement n'ayant pas été accepté par toutes les puissances.
En 1861, au début de la guerre civile, les États-Unis ont pourtant annoncé qu'ils respecteraient les principes de la déclaration pendant les hostilités. Ils ont fait de même en 1898 pendant la guerre contre l'Espagne, en affirmant que la politique du gouvernement des États-Unis dans la conduite des hostilités serait de se conformer aux dispositions de la Déclaration. Les règles contenues dans cette déclaration ont été considérées plus tard comme faisant partie du droit international général et même les États-Unis, qui n'y sont pas formellement partie, suivent ses dispositions.

Préalablement

Constantinople – soutenue par Londres et Paris – refuse de céder à la Russie la protection des orthodoxes dans l'Empire ottoman déclenche la guerre en 1853. Français et Anglais, aidés par des troupes piémontaises, débarquent en Crimée en 1854 et assiègent la forteresse de Sébastopol. Le choléra et le froid tuent des milliers de soldats. Sébastopol tombe en 1855.

Conséquence de la politique menée par Napoléon III pour essayer de rompre la coalition européenne qui, depuis 1815, réduit le rôle de la politique étrangère de la France. Envisageant certains remaniements de frontières, avec l'accord de l'Angleterre et de la Russie, et voulant engager l'intérêt de ces deux pays, Napoléon III choisit comme terrain d'action le Moyen-Orient et, en homme habile qu'il est, il invoque un prétexte — la question des lieux saints —, certain d'ouvrir une discussion sans déclencher d'hostilités. Quel pays voudrait entrer en guerre pour une question de cet ordre ? Malheureusement, cette politique échoue, parce que la France n'a pas suffisamment de poids dans la diplomatie européenne pour contrôler la marche des événements. L'Angleterre semble appuyer la politique française, mais elle ne le fait en réalité qu'en vue de ses propres objectifs, c'est-à-dire pour arrêter l'expansion russe au Moyen-Orient. Quant à la Russie, craignant une renaissance napoléonienne, elle réagit contre la politique française. Napoléon III réclame la réunion d'un congrès qui, pacifiquement, provoquerait des changements dans le système européen. Cependant, la Turquie, se sentant menacée par la Russie et encouragée par l'Angleterre, prend une position qui aboutit au déclenchement des hostilités en octobre 1853. La France et l'Angleterre déclarent la guerre à la Russie et font débarquer leurs troupes en Crimée, mettant le siège devant Sébastopol. Mais les opérations militaires sont mal organisées et se déroulent dans des conditions désastreuses. En dépit des batailles de l'Alma et d'Inkermann, charge de la brigade légère à Balaklava, aucune victoire décisive n'est possible en 1854.

Le traité de paix est signé à Paris en mars 1856. La Russie est évincée des Balkans et la défaite poussera le tsar à mettre en œuvre des réformes de modernisation de la société russe. L'intégrité de l'Empire ottoman et des principautés danubiennes est désormais garantie par les puissances européennes. La neutralisation de la mer Noire s'accompagne de la liberté de circulation sur le Danube. La paix est aussi considérée comme une réussite de la diplomatie française : l'ordre européen des traités de 1815 est remis en cause, et la question des nationalités est posée sur la scène internationale.


Guerre de Crimée


Celle-ci ne doit pas être confondue avec Campagne de Crimée, Offensive de Crimée ni Crise de Crimée.

Elle sévit du 4 octobre 1853 au 30 mars 1856 principalement autour de la mer Noire, Crimée, Caucase, Balkans mais aussi en mer Baltique, en mer Blanche et en Extrême-Orient et se termina par la victoire de l'alliance franco-britannico-sardo-ottomane et la signature du traité de Paris
Les belligérants étaient d'un part l' Empire français, celui du Royaume-Uni, l'Empire ottoman et Royaume de Piémont-Sardaigne contre l'Empire russe
Les commandants de ce conflit étaient Napoléon III et de Armand Jacques Leroy de Saint-Arnaud, le maréchal Canrobert, Aimable Pélissier, François Achille Bazaine
Patrice de Mac Mahon pour la France, la reine Victoria, lecomte d'Aberdeen, lord Raglan, Sir James Simpson, Sir William John Codrington, Pour la Turquie, le général Omer Pacha, İskender Pacha, Alfonso La Marmora et pour la Russie Nicolas Ier, Alexandre II, prince Menchikov, Pavel NakhimovVassili, ZavoïkoNikolay, MouraviovIev, fimy Poutiatine, VladimirIstomine et le comte Tolstoï
Les forces en présence étaient de 1 000 000 dont 400 000 Français, 300 000 Turcs, 250 000 Britanniques, 18 000 Sardes
Se trouvaient également sur place, sous commandement britannique : British German Legion : 4 250 hommes, British Swiss Legion : 2 200 hommes, British Polish Legion : 5 000 hommes, au total : 710 000 hommes auxiliaires.
du côté Russe, combattaient 700 000 Russes, 3 000 Bulgares, 2 000 Serbo-Monténégrins, 1 000 Grecs
Il y eut au total des pertes importantes en hommes des deux côtés soit 300 000 à 375 000 morts :
Les Batailles furent Oltenița · Cetate · Silistra · Sinope · Kurekdere · Bomarsund · Petropavlovsk · Alma · Balaklava · Inkerman · Sébastopol · Eupatoria · Taganrog · Tchernaïa · Kars · Malakoff · Grand Redan (en) · Kinburn

La guerre de Crimée a opposé de 1853 à 1856 l'Empire russe à une coalition comprenant l’Empire ottoman, le Royaume-Uni, l'Empire français de Napoléon III et le royaume de Sardaigne. Relativement coûteuse en hommes, principalement à cause des maladies, comme le choléra qui furent plus meurtrières que les combats, elle s'acheva par une défaite russe. Elle révéla une certaine inefficacité du commandement britannique et français mais surtout des mauvaises conditions sanitaires,entrainant des problèmes d'approvisionnement des corps expéditionnaires, avec des généraux nommés par opportunisme politique plus qu'en fonction de leurs compétences. Par ailleurs elle montra que les Russes avaient sous-estimé la valeur des Turcs.

Présentation de la Crimée

Situation géographique
La presqu'île de Crimée est située au sud du territoire ukrainien. Elle se trouve dans la mer Noire et est reliée au territoire par l’isthme de Perekop. La Crimée constitue aujourd'hui une république autonome de l'Ukraine et sa capitale est Simferopol. À l'époque de la guerre de Crimée, elle se trouvait dans la province de Nouvelle Russie.

Contexte historique

La Crimée, successivement occupée par plusieurs peuples, dont les Hérules, les Huns, les Coumans, les Tatars, devenue possession de la République de Gênes, est conquise en 1475 par les Ottomans.
En 1774, Catherine II de Russie oblige l'Empire ottoman à reconnaître l’indépendance de la presqu’île. Neuf ans plus tard, elle annexe le territoire et y implante des colons russes et ukrainiens à côté des Tatars, qui forment la majorité de la population.
Sébastopol devient une importante base navale sur la mer Noire et le principal centre de peuplement russe de la région.
Au milieu du XIXe siècle, la circulation des marchandises se fait essentiellement par mer, car le réseau routier est très mauvais et se révélera un des graves handicaps des armées russes pendant les opérations militaires.

Causes de la guerre

L'expansionnisme russe vers l'Empire ottoman

celui-ci se manifeste d'abord avec Pierre le Grand. Dans la même logique, l'empereur Nicolas Ier, qui règne depuis 1825, souhaite s’installer à Istanbul pour accéder aux détroits du Bosphore et des Dardanelles. De plus, et c'est évidemment important pour légitimer ses visées, il entend protéger les communautés chrétiennes orthodoxes de l'Empire ottoman et occupe la Moldavie et la Valachie.
En février 1854, la France et la Grande-Bretagne demandent à la Russie de quitter ces deux principautés.
Le 27 mars 1854, sans réponse de la Russie, les nations française et britannique lui déclarent la guerre. Loin du prétexte religieux, la véritable raison du conflit est d'empêcher la Russie de profiter de la faiblesse de l'Empire ottoman pour s'assurer le contrôle des détroits du Bosphore et des Dardanelles, et du commerce maritime entre la mer Noire et la Méditerranée.

Les événements qui affectent l’Empire ottoman sont à l’origine du premier conflit qui aboutit à la guerre de Crimée. Le problème se trouve posé depuis le début du siècle par la décadence de la puissance ottomane et par l’opposition radicale du Royaume-Uni et de la Russie quant à l’avenir des territoires qui la composent.
Afin de légitimer cet expansionnisme de la Russie, et se déclarant protecteur des Slaves orthodoxes, Nicolas Ier souhaite établir sa domination sur la plus grande partie de la péninsule balkanique et s’assurer le contrôle des détroits afin d’obtenir ce débouché sur la mer Méditerranée. Or cette ambition expansionniste se heurte aux intérêts de la Grande-Bretagne, qui entend maintenir le contrôle de la route des Indes par le Proche-Orient, et pour ce faire préserver l’intégrité de l’Empire ottoman.
En 1853, tirant argument de la préférence donnée par le sultan aux moines latins, protégés par la France, sur les moines grecs, soutenus par l’Empire des tsars, le gouvernement de Saint-Pétersbourg adresse à l'Empire ottoman un ultimatum lui demandant d’accepter le protectorat russe. Le sultan Abdülmecit Ier ayant refusé de se plier au diktat de Nicolas Ier, celui-ci donne l’ordre à ses troupes, le 4 octobre 1853, d’envahir les provinces roumaines de l’Empire.

Affaire des Lieux saints

Au-delà de la volonté de l'Empire britannique de contenir la Russie hors de la Méditerranée, la guerre de Crimée a aussi pour contexte lointain un conflit religieux : la querelle opposant Français, catholiques romains et Russes, chrétiens orthodoxes pour la protection des Lieux saints. Le Vendredi saint 10 avril 1846, une querelle entre les deux communautés religieuses fait plus de 40 morts au Saint-Sépulcre à Jérusalem. La modernisation des transports, chemin de fer, navires à vapeur a fait exploser le nombre de pèlerins à Jérusalem. Dans les années qui précèdent la guerre, Jérusalem est d'ailleurs l'objet d'une intense concurrence religieuse et diplomatique : les autorités britanniques fondent un évêché anglican, le pape rétablit un patriarche permanent, le premier depuis le XIIe siècle, les Grecs y réinstallent le patriarche de Constantinople, les Français ouvrent un consulat, etc. À cette époque, les Russes forment la majorité des pèlerins, environ 15 000 chaque année.
Ce prétexte est exploité par le pouvoir tsariste pour imposer sa domination sur un Empire ottoman qui semble à sa merci. Depuis l’indépendance grecque, Nicolas Ier ne cesse de penser au démantèlement de l’Empire. Après leurs victoires dans la guerre russo-ottomane de 1828-1829 et surtout après le traité d'Unkiar-Skelessi en 1833, les Russes veulent s’assurer le protectorat des peuples slaves et orthodoxes des Balkans pour dominer la plus grande partie de la péninsule. Le but est aussi de s’emparer des détroits, Bosphore, mer de Marmara, Dardanelles pour obtenir un débouché sur la Méditerranée.
À cette vision impérialiste mêlant religion et volonté de puissance s’oppose celle du gouvernement de Londres. Pour les Britanniques, il s’agit de protéger la route des Indes par le Proche-Orient en empêchant le tsar de prendre pied dans les détroits et sa flotte de faire irruption en Méditerranée orientale.
Quant à la France, en vertu des capitulations conclues en 1535 entre François Ier et Soliman le Magnifique, elle a obtenu que la garde des Lieux saints, église du Saint-Sépulcre et tombeau de la Vierge à Jérusalem, église de la Nativité à Bethléem soit assurée par des moines latins. Or, depuis la fin du XVIIIe siècle, les pèlerins et les moines orthodoxes sont de plus en plus nombreux à venir en Terre sainte et à s’y fixer afin d’en chasser les franciscains.
À cette date, les relations entre Nicolas Ier et Napoléon III sont courtoises mais sans plus après la proclamation de l’Empire par la France et le refus de l'empereur russe de donner à Napoléon III une épouse parmi les princesses de sa famille. Ni l’un ni l’autre n’ont pris l’échange de piques très au sérieux et ne songent à déclencher une crise pour une simple querelle de moines. La question des Lieux saints semble donc réglée. L’accord conclu fin avril et rendu officiel le 5 mai 1853 établit une nouvelle répartition des sanctuaires plus favorable aux pèlerins de rite byzantin. Napoléon III veut bien s’en accommoder. Grâce aux concessions françaises, l’affaire paraît donc entendue. Pourtant, c’est de cette bénigne querelle que naît le premier conflit armé entre puissances de première grandeur qu’ait connu l’Europe depuis 1814.
À la suite du refus ottoman, l'Empire russe fait occuper les principautés roumaines de Moldavie et de Valachie le 1er juillet 1853.
En tant que suzerain de ces principautés chrétiennes qui sont vassales de l'Empire ottoman, le sultan ottoman déclare alors la guerre à la Russie le 4 octobre.

Motifs de l'intervention française

Bien que Napoléon III, empereur de fraîche date, ait affirmé :" L'empire, c'est la paix ", il veut manifester sa bonne volonté à l'égard du Royaume-Uni et de la reine Victoria en envoyant des troupes françaises combattre aux côtés des Britanniques pour la défense de l'Empire ottoman et surtout des intérêts britanniques, le maintien dans leurs mains de la route des Indes. Il entraîne dans l'aventure le royaume de Piémont-Sardaigne qui attendait son appui contre l'Autriche. C'est une occasion pour lui de briser l'isolement politique en se montrant l'allié fidèle des Britanniques — chez qui il avait trouvé refuge après son évasion du fort de Ham en 1846 —, sans autre grand profit immédiat pour la France elle-même.
Selon l'ouvrage d'Alain Gouttman La Guerre de Crimée 1853-1856, Napoléon III semble au contraire avoir tout fait pour éviter la guerre, mais une fois celle-ci inévitable, il prend l'initiative avant l'Angleterre, contrairement à ce qui est communément écrit.

Déroulement de la guerre.

Les Russes occupent donc les principautés de Moldavie et Valachie, mais Nicolas Ier refuse de franchir le Danube : il craint une réaction autrichienne sur ses frontières, même si l'Autriche proclame sa neutralité dans le conflit. Le général turc Omer Pacha occupe le sud du Danube et harcèle les Russes avec quelques succès.
La guerre se déroule non seulement dans les principautés, mais aussi de l'autre côté de la mer Noire, à l'est. Des éléments ottomans, les bachi-bouzouks, prennent un avant-poste russe et commettent nombre d'atrocités.
Quand les Franco-Britanniques entrent en guerre, le conflit s'élargit à la mer Baltique et même à l'océan Pacifique, où des navires britanniques attaquent les ports russes, sans succès.

Entrée en guerre des Franco-Britanniques

Le Royaume-Uni, qui a poussé le gouvernement ottoman à la résistance, ne peut rester les bras croisés devant une agression dont le but évident est d’assurer à la flotte russe la clé de la Méditerranée orientale. Mais il souhaite ne pas agir seul et s’efforce d’entraîner la France dans l’aventure.
Celle-ci n’a aucun intérêt immédiat à entrer en guerre contre la Russie. Mais Napoléon III voit dans l’entreprise un triple avantage :
elle pourrait lui offrir la gloire militaire dont le nouveau régime a besoin pour se consolider ;
elle lui permettrait de briser l’isolement diplomatique qui a suivi la proclamation de l’empire, laquelle a réveillé chez les souverains européens les souvenirs des conquêtes napoléoniennes ;
elle constituerait enfin un moyen d’affaiblir l’une des puissances qui garantissent l’ordre instauré en 1815.
Un arrangement paraît néanmoins possible, lorsque l’on apprend, le 30 novembre 1853, la destruction par la flotte russe d’une escadre ottomane dans le port de Sinop, sur la mer Noire, qui soulève une réclamation pleine de colère au Royaume-Uni et en France. Pendant six mois, les pourparlers se poursuivent entre Londres, Paris et Saint-Pétersbourg, mais l’intransigeance du gouvernement russe fait échouer toutes les tentatives de compromis.
Le 29 janvier 1854, Napoléon III adresse à l'empereur russe une lettre personnelle : "Les coups de canons de Sinope ont retenti douloureusement dans les cœurs de tous ceux qui, en Angleterre et en France, ont un vif sentiment de la dignité nationale."Il fait appel à ses sentiments pacifiques et propose l’évacuation des principautés danubiennes en échange du retrait des flottes occidentales. La réponse de Nicolas Ier est sans appel : " Ma confiance est en Dieu et en mon droit ; et la Russie, j’en suis garant, saura se montrer en 1854 ce qu’elle fut en 1812." Une semaine plus tard, les ambassadeurs russes quittent Londres et Paris.

Le 12 mars 1854, le Royaume-Uni et la France s’unissent à l'Empire ottoman. Le 14, ils somment la Russie d'évacuer les principautés roumaines et, le 27, leur ultimatum étant resté sans réponse, ils lui déclarent la guerre.
Persuadés qu’il suffira de quelques opérations ponctuelles pour convaincre l'Empire russe de leur détermination commune, Français et Britanniques ne se sont pas préparés à une longue et dure campagne menée à des milliers de kilomètres de leur base. C’est la raison pour laquelle l’empereur Napoléon III ne prend pas personnellement le commandement de son armée, confiant celle-ci à Armand de Saint-Arnaud.
Trois divisions sont envoyées à Gallipoli, sur la rive nord des Dardanelles, où elles attendent un matériel insuffisant qui arrive tardivement. Le corps expéditionnaire britannique, placé sous les ordres de lord Raglan, s’établit à Malte, là encore en attente de moyens. Aucun objectif n’a encore été défini. On se montre d’autant moins pressé que l’Autriche, à son tour, donne des signes d’impatience et qu’à Vienne on songe à entrer en guerre aux côtés des alliés occidentaux.
La menace autrichienne, conjuguée avec le débarquement à Varna, le 29 avril 1854, de troupes franco-britanniques, amène les Russes, qui ont mis le siège devant Silistrie, à évacuer sans combattre les provinces roumaines. En attendant que l’Autriche se joigne à la coalition, les alliés adoptent durant l’été une attitude conciliante. On décide finalement d’adopter le plan proposé dès le mois d’avril par Napoléon III, qui consiste à avancer à la rencontre des Russes ou d'attaquer la Crimée et de s’emparer de Sébastopol, où une puissante base navale s'est établie.

Siège de Sébastopol

Pour débloquer la situation, les alliés décident finalement de débarquer en Crimée et d’attaquer Sébastopol. Le 14 septembre 1854, ils arrivent dans la baie d’Eupatoria, à une soixantaine de kilomètres au nord de Sébastopol. Les Russes ont 51 000 hommes en Crimée, dont 40 000 à l’ouest, sous les ordres du prince Menchikov. Campés sur les hauteurs qui dominent la rivière de l’Alma, ils tentent de barrer la route de Sébastopol. Ainsi se déroule la première bataille en Crimée proprement dite. La bataille de l'Alma est une bataille courte, les Franco-Britanniques, appuyés par leur flotte à l’embouchure de l’Alma, mettent les Russes rapidement en déroute. L’inertie dans le haut commandement allié, tout au long de ce conflit — et aussi bien chez les Français que chez les Britanniques —, fait qu'ils ratent une excellente occasion de terminer rapidement ce conflit. En effet, l’armée russe a souffert de nombreuses pertes — environ 6 000 hommes — et est en déroute, mais les alliés tardent à poursuivre l’ennemi avec leur cavalerie pour lui infliger encore d’autres pertes et provoquer une plus grande confusion parmi ses troupes.
De plus, l’armée alliée, tardant à reprendre sa marche sur Sébastopol, perd plusieurs journées. Cela donne le temps à l’armée russe de battre en retraite et de se reformer dans la forteresse de Sébastopol.
Lorsque les Britanniques arrivent devant Sébastopol, la ville est mal défendue par des fortifications inachevées. Elle ne résisterait probablement pas à une attaque rapide et vigoureuse. Mais Saint-Arnaud, déjà affaibli par le choléra, il meurt le 29 septembre, doit céder le commandement à François de Canrobert. Les alliés tergiversent et manquent une autre occasion de prendre d’assaut la ville, ce qui aurait permis d'éviter un siège de huit mois.
Les semaines passent, laissant aux Russes le temps d’organiser la défense. Sur ordre de Menchikov, sept bâtiments de l’escadre sont coulés à l’entrée de la rade, bloquant l’accès aux alliés. Ceux-ci sont obligés de s’enterrer à leur tour pendant une année entière, tantôt repoussés par une défense intraitable, tantôt assaillis par les unités envoyées en renfort par les Russes.
Le siège et la chute de Sébastopol constituent les éléments les plus importants de la guerre de Crimée et conduisent à sa conclusion. Le blocus n’est cependant pas complet puisque à plusieurs reprises les Franco-Britanniques doivent repousser les armées russes de secours, lors des batailles de Balaklava et d’Inkerman, en automne 1854. Avec le choléra et le scorbut, l’état sanitaire des armées devint désastreux.
Pendant le siège, les adversaires s’affrontent au sud de la ville, à la bataille de Balaklava, le 25 octobre 1854. L’armée britannique s’impose face aux forces russes. Le même épisode se reproduit le 5 novembre, sur le plateau d’Inkerman, tandis que les assiégés tentent une sortie.

La chute de Sébastopol.

L’arrivée de 140 000 hommes, du côté des alliés, ne suffit pas à renverser la situation avant l’hiver. Le 14 novembre, une violente tornade balaie la région, coulant des navires, emportant les tentes et les équipements. À cela s'ajoutent les ravages des épidémies. Le choléra, puis le typhus et la dysenterie, font plusieurs dizaines de milliers de victimes. Attaques et contre-attaques, tirs d’artillerie et corps à corps sauvages coûtent d’innombrables vies humaines.
Avec le printemps, cependant, la situation des alliés s’améliore un peu. À défaut de l’Autriche, la coalition reçoit le renfort du royaume de Sardaigne qui ne semble pourtant avoir aucune raison de s’engager contre la Russie. Cavour, récemment nommé président du Conseil, entend ainsi se ménager le soutien de la France et de l’Angleterre dans la perspective d’un conflit avec l’Autriche auquel il se prépare. L’alliance est conclue le 26 janvier 1855. 15 000 hommes sont envoyés en Crimée à partir du mois d’avril. L’arrivée de ces renforts fait renaître l’espoir d’un dénouement rapide.
Le 16 mai, Canrobert est à son tour remplacé par Aimable Pélissier, tandis que Simpson prend la place de lord Raglan, atteint lui aussi du choléra. Le 7 juin, les alliés s’emparent du mamelon vert, un ouvrage fortifié qui couvre Malakoff à l’est. Le 18 juin l’assaut général ordonné par Pélissier se solde par un sanglant échec.
Le 7 septembre 1855, le général Patrice de Mac Mahon attaque le fort de Malakoff, clé de la défense russe. Le lendemain, les Russes abandonnent la position après y avoir mis le feu. La tour Malakoff tombe aux mains des Français et des Britanniques. Par cette victoire, Mac Mahon passe à la postérité. C’est à ce moment qu’il prononce son fameux " J’y suis ! J’y reste ".
Le soir même, après avoir incendié leurs navires, et détruit les défenses de la ville, les Russes évacuent Sébastopol. En 332 jours de siège, les alliés ont perdu 120 000 hommes, autant que l’adversaire : les Français ont perdu 95 000 hommes dont 75 000 de maladies, les Britanniques en ont perdu environ 25 000 et les Sardes, entrés plus tard dans le conflit, environ 2 000.

Campagne franco-britannique en mer Baltique

Une escadre franco-britannique est envoyée en mer Baltique sous les commandements de l'amiral Charles Napier et d'Alexandre Ferdinand Parseval-Deschênes. Forte de 20 000 hommes, marins, marines britanniques, troupes de l'infanterie de marine et de l'infanterie coloniale françaises, elle s'attaque aux forts de la côte finlandaise, en particulier à la forteresse de Bomarsund, dans les îles Åland, à l'entrée du golfe de Botnie, édifiée 22 ans auparavant.
En août 1854, après un bombardement intense de la forteresse de Bomarsund, les alliés débarquent 12 000 soldats, 1er, 2e et 21e RIMa, sous les ordres du général Achille Baraguey d'Hilliers contre les 3 000 défenseurs finlandais. Les alliés ont 17 tués, alors que les Finlandais perdent 1 700 hommes, dont 300 prisonniers qui sont déportés dans une petite ville du sud de l'Angleterre : Lewes east Sussex.

En août 1854 :

par calme plat, le HMS Duke of Wellington bombarde la forteresse de Bomarsund. Napier, le chapeau de paille aux bord rabattus sur les yeux et la longue-vue sous le bras, rend une visite débonnaire à une de ses pièces en action. Noter le boulet posé sur le pont dans un cordage lové, le jack-tar agenouillé qui prépare une gargousse — et à gauche les deux jeunes hommes appuyés au bastingage qui à l'aide de leur longue-vue transmettent aux artilleurs les corrections nécessaires.
En 1855 Richard Saunders Dundas remplace Napier tombé en disgrâce pour avoir, entre autres, refusé de bombarder des forts russes trop bien défendus. Napier, desservi par le mauvais temps et l'absence de batteries flottantes, était par ailleurs harcelé par la presse : alimentée par les correspondants de guerre nouvellement apparus, elle critiquait à la fois son inaction, les destructions et les morts que les bombardements infligeaient aux populations côtières… Dundas, lui, bombarde — massivement et inutilement — la forteresse de Sveaborg, devant Helsinki, ainsi que Kronstadt, devant Saint-Pétersbourg.
La campagne franco-britannique en mer Baltique aura en somme mis en jeu d'énormes moyens pour peu de résultats. Elle aura cependant empêché la Russie d'envoyer 30 000 hommes vers la Crimée et ses bateaux de guerre vers la mer Noire.
Si les navires de la flotte de la Baltique sont restés au port, privant les Franco-Britanniques de combat naval, en revanche la technique des opérations de débarquement conjointes a été éprouvée, et de nouvelles armes sont apparues. Les mines marines — expérimentées pour la première fois en 1842 pour couler un navire sur le Potomac — ainsi que les torpilles furent perfectionnées par Immanuel Nobel, le père d'Alfred Nobel.

Refus d'élargir le conflit

Les Tcherkesses du Caucase, en révolte contre les Russes, envoient des émissaires aux Français pour leur demander des armes. Napoléon III, qui ne souhaite pas engager ses forces vers l'intérieur ni attirer des représailles sur les populations, décline leur offre. Il renoncera aussi, lors des négociations, à évoquer la question de la Pologne : le nouvel empereur Alexandre II de Russie, fils de Nicolas Ier mort en 1855 a clairement fait savoir qu'il combattrait jusqu'à la dernière extrémité pour conserver la souveraineté russe sur ce pays. Les puissances vont donc vers une paix de compromis. Cette défaite fait prendre conscience à Alexandre II que son pays a beaucoup de retard sur les plans économique et social.

Congrès de Paris

Nicolas Ier meurt le 2 mars 1855. Son fils et successeur Alexandre II se décide à accepter les quatre points du congrès de Vienne du 4 août 1854 :
substitution d’une tutelle collective de l’Europe au protectorat russe sur les principautés ;
liberté de navigation sur le Danube ;
révision de la convention de 1841 sur les détroits ;
démilitarisation des îles d'Åland ;
abandon des prétentions russes à un protectorat sur les chrétiens de rite grec de l’Empire ottoman.
L’Autriche conclut un premier accord le 1er février 1856. Le 26 février, un congrès s’ouvre à Paris sous la présidence de Alexandre Colonna Walewski, ministre français des Affaires étrangères. Les Britanniques et les Français obligent la Russie à reconnaître l’indépendance de l’Empire ottoman. Les négociations aboutissent le 30 mars, avec la signature du traité de Paris, dont les clauses principales reprennent les dispositions des quatre points de Vienne.
Le traité signé à l’issue de la rencontre prévoit également l’autonomie des deux principautés roumaines de Moldavie et de Valachie qui doivent chacune élire un hospodar (gouverneur). En fait, appuyées par Napoléon III, elles choisissent le même gouverneur en la personne d’Alexandre Cuza. Le congrès s’achève enfin sur un débat de politique générale le 8 avril. Pour Cavour, c'est le moment de dénoncer l’occupation autrichienne dans la péninsule italienne.
Le Royaume-Uni a obtenu ce qu’il désirait en faisant garantir par les puissances l’intégrité de l’Empire ottoman, la fermeture des détroits, la neutralisation de la mer Noire, tandis que l’Autriche tire de son habile jeu diplomatique un avantage de taille : la liberté de navigation sur les bouches du Danube. Pour la France, le congrès de Paris apparaît un peu comme la revanche du congrès de Vienne et des humiliations subies en 1815, c’est le début d’une nouvelle période de prépondérance.

Dépenses militaires pendant la guerre de Crimée, en millions de livres sterling


1852 1853 1854 1855 1856
Russie 15,6 19,9 31,3 39,8 37,9
France 17,2 17,5 30,3 43,8 36,3
Royaume-Uni 10,1 9,1 76,3 36,5 32,3
Empire ottoman 2,8 ? ? 3,0 ?
Sardaigne 1,4 1,4 1,4 2,2 2,5
Source : P. Kennedy, Naissance et déclin…, chap. 5.

Conséquences et perspectives Armement et technique

La guerre de Crimée est considérée comme étant la première guerre moderne. On y voit apparaître de nouvelles armes et de nouvelles blessures. Les fusils à canon rayé, employés pour la première fois à grande échelle par les Français et les Britanniques, décuplent la portée du tir d'infanterie et font des ravages dans les rangs russes. Les obus et les boulets explosifs font plus de morts que les armes blanches. Au cours du conflit, le chemin de fer est pour la première fois utilisé de façon tactique et le télégraphe électrique permet des communications plus rapides y compris avec le pouvoir politique.
Cette guerre marque aussi la naissance des cuirassés. En effet, les manœuvres de l'infanterie appuyées par la marine démontrent l'utilité de navires de guerre fortement armés, à coque renforcée et ligne de flottaison basse.
À côté de percées techniques remarquables, ce conflit est aussi resté célèbre pour diverses manifestations d'incompétence militaire et logistique, dont on trouve un exemple dans la charge de la brigade légère immortalisée par le poème d'Alfred Tennyson. La plupart des soldats tombés au cours de cette guerre périssent de maladies plutôt que des combats. La mauvaise viande de mouton mal fumée en Dobrogée, barbaque avait déjà provoqué une violente dysenterie avant même le début des hostilités. L'eau croupie et la mauvaise hygiène provoquent le choléra, qui sape les préparatifs français du siège de Sébastopol. La tempête du 14 novembre 1854 incite le Français Le Verrier à mettre au point un réseau européen d'information météorologique afin d'anticiper les variations climatiques et météorologiques.

Opinion et action humanitaire

C'est au cours de cette guerre que pour la première fois un photographe est engagé par un gouvernement pour faire un reportage photographique. C'est ainsi que le Britannique Roger Fenton réalise environ 360 photographies entre mars et juin 1855. D'autres le suivent bientôt, bien que ne bénéficiant pas d'une mission officielle du gouvernement britannique, comme James Robertson et Felice A. Beato. Les photographies des champs de bataille sont publiées dans la presse londonienne et provoquent un certain émoi, non sans effet sur le gouvernement britannique. La guerre de Crimée marque ainsi la naissance balbutiante des opinions publiques.
L'insuffisance des secours aux malades et aux blessés apparaît avant même le débarquement de Crimée, lorsque le choléra décime le corps expéditionnaire en mer Noire. Une prise de conscience aidée par la presse permet un début d'organisation de l'aide humanitaire, avec des figures comme, en France, Valérie de Gasparin, la grande-duchesse Helena Pawlowna, belle-fille du tsar, qui envoie plus de deux cents sœurs aux hôpitaux de Crimée, et, au Royaume-Uni, la plus connue, Florence Nightingale. Celle-ci, avec des volontaires venues d'Angleterre, entreprend d'améliorer la prise en charge des blessés, introduisant des méthodes de soins modernes, à l'hôpital d'Üsküdar, Scutari sur le Bosphore, puis à celui de Balaklava en Crimée.

Reconnaissance des nationalités

L'autonomie des principautés roumaines marque la reconnaissance officielle du principe des nationalités et la rupture avec l'ordre dynastique hérité du congrès de Vienne. La participation du royaume de Sardaigne à cette guerre permet à Victor-Emmanuel II de revendiquer ce principe, point de départ de la progressive unification de l'Italie autour du Piémont-Sardaigne.

Commémorations

On trouve un mémorial français de la guerre de Crimée - Sebastopol - Bâtiment principal - édifié sous la direction de Jules Bezard-Falgas
La guerre de Crimée est contemporaine des grands travaux du baron Haussmann à Paris. Aussi beaucoup de grands axes urbanistiques reçoivent-ils le nom de victoires de Crimée : le boulevard de Sébastopol, le pont de l'Alma avec sa fameuse statue du zouave, la commune de Malakoff dans les Hauts-de-Seine près de Vanves.
L'église Saint-Nicolas de Sébastopol abrite le cimetière des militaires russes tombés pendant le conflit. Cette église, où se trouve l’icône de saint Théodore Ouchakov vice-amiral, décédé en 1817 et saint protecteur de la marine russe, accueille encore aujourd'hui une cérémonie annuelle célébrée par l'amiral de la flotte russe de la mer Noire.
De 1863 à 1865, en hommage aux victimes françaises du conflit, un mémorial sera construit près de Sébastopol, à l'emplacement du grand quartier-général du corps expéditionnaire français. Edifié sous la direction du capitaine du Génie Jules Bezard-Falgas (1824-1872)14, cet espace funéraire de 100 m de côté ceint d'un mur, était composé dans son centre d'un mausolée principal haut de 9,5 mètres où reposaient les cendres de 80 membres de l'Etat-major, accompagné de 17 monuments secondaires abritant les ossements des officiers et soldats. Sévèrement endommagé pendant la Deuxième Guerre mondiale, et laissé à l'abandon depuis lors, il sera renové en 2004 par Le Souvenir français.

Points généraux et anecdotes

Les sections Anecdotes, Autres détails, « Le saviez-vous ? », « Citations », etc., peuvent être inopportunes dans les articles.
Pour améliorer cet article il convient, si ces faits présentent un intérêt encyclopédique et sont correctement sourcés, de les intégrer dans d’autres sections.
Les soldats des troupes occidentales virent leurs camarades ottomans rouler leurs cigarettes dans du papier, ce qui était bien plus efficace que les feuilles de tabac qu'ils utilisaient jusqu'alors, parce que celles-ci s'émiettaient.
Durant la défense de Sébastopol, l'armée coula des navires, d'une part pour encombrer l'accès à la rade, d'autre part pour éviter qu'ils ne tombent aux mains de l'ennemi. Une fois la paix signée, une vaste entreprise de renflouement fut organisée pour récupérer les bâtiments et leurs équipements, dont une partie avait été préparée à cet effet avant le sabordage.
Dans ses Souvenirs d'un demi-siècle, Maxime Du Camp raconte que Napoléon III, résolu à s'engager à fond dans le conflit et désirant un point d'appui pour les armées françaises, regarda vers Saint-Pétersbourg, car il avait toujours penché du côté de l'alliance russe. Il envoya donc son cousin, le prince Napoléon, en mission secrète auprès du prince Alexandre Gortchakov, en poste à Baden-Baden. Celui-ci s'entremit avec Nicolas Ier de Russie. La réponse fut lente à venir mais concise : Entre un Romanoff et un Bonaparte, il ne peut y avoir rien de commun. Trois jours après, la France et l'Angleterre se serraient la main.

Chronologie de la guerre de Crimée

1774 : Catherine II de Russie oblige les Turcs à reconnaître l’indépendance de la Crimée
1783 : la Russie annexe la Crimée
1851 : rivalité franco-russe à propos des Lieux saints
1853 :
janvier : l'empereur Nicolas Ier propose officieusement au Royaume-Uni un plan de démembrement de l’Empire ottoman (réserves de Londres)
juillet : Nicolas Ier prétend vouloir protéger les orthodoxes et les chrétiens de l’Empire ottoman et occupe la Moldavie et la Valachie
4 octobre : l’Empire ottoman attaque la Russie
30 novembre : la flotte ottomane est anéantie à Sinope, en mer Noire
1854
janvier : Britanniques et Français entrent en mer Noire
février : la Grande-Bretagne et la France demandent à la Russie d’évacuer la Moldavie et la Valachie
mars :
25 : les deux nations, n’obtenant pas de réponse, déclarent la guerre à la Russie
27 : début de la guerre de Crimée
août :
du 18 au 27 : siège de Petropavlovsk
septembre :
14 : débarquement d'Eupatoria
20 : bataille de l’Alma
26 : début du siège de Sébastopol
octobre
25 : bataille de Balaklava
novembre
5 : bataille d'Inkerman
1855 :
janvier : le royaume de Piémont-Sardaigne apporte son aide aux Franco-Britanniques
février :
17 : bataille d'Eupatoria
mai-août
12 mai - 31 août : siège de Taganrog
juillet-novembre
siège de Kars
août
16 : bataille de la Tchiornaïa
septembre :
8-9 : fin du siège à Sébastopol par la prise de la tour Malakoff par Mac Mahon
1856 :
février
1er : signature des préliminaires de Vienne pour la paix
mars
30 : congrès de Paris, qui aboutit au traité de Paris

La guerre de Crimée dans la littérature

Pendant la guerre, le dessinateur français Gustave Doré compose une des premières bandes dessinées, Les Russes, dans laquelle il raconte l'histoire de la Russie en tournant en dérision le despotisme et l'ambition de Nicolas Ier.
Léon Tolstoï écrit les Récits de Sébastopol en 1856.
La comtesse de Ségur, née Rostopschine, a situé pendant la guerre de Crimée un épisode de son roman pour enfants Le Général Dourakine, paru en 1863. Dourakine est un officier russe capturé à Sébastopol et accueilli par une famille française. A. Gouttman relève que la captivité a souvent débouché sur des liens d'estime et d'amitié entre les officiers des deux camps, contribuant à la réconciliation franco-russe.
Dans la série de romans uchroniques Thursday Next de Jasper Fforde, la guerre de Crimée est encore d'actualité en 1985 et n'est toujours pas terminée. Les armes et les équipements ont changé, mais les vieux conflits et les vieilles incompréhensions culturelles sont toujours les mêmes.

Liens

http://youtu.be/Z5PucXC73oo La guerre de Crimée 2000 ans d'histoire
http://youtu.be/-4T2NdDZ3lg Guerre de Crimée 1853
http://youtu.be/9-fhEoeEaTY Guerre de Crimée
http://youtu.be/CQ2fBuL3Pbg Guerre de Crimée Traité de Paris

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Posté le : 29/03/2014 20:34

Edité par Loriane sur 30-03-2014 15:17:38
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Loi Millerand ramène la journée de travail à 11 Heures
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Le 30 mars 1900 est voté la loi Millerand qui réforme le droit du travail,

et limite la journée de travail à 10 heures

Le 2 mars 1848, le gouvernement propose de limiter la durée de travail à 10 heures à Paris et à 11 heures en province. Mais, le 9 septembre, la loi est abrogée.
En mai 1874, une loi prévoit des réformes et de nouvelles règles en ce qui concerne les conditions de travail des enfants et des femmes.
Désormais, il est interdit d’employer un enfant de moins de 12 ans, sauf cas exceptionnel.
D’autre part, les femmes et les mineurs seront dispensés de travailler le dimanche ainsi que les jours fériés et leur journée de travail sera limitée à 12 heures.

Alexandre Millerand inaugure le vendredi 30 mars 1900 un ensemble de lois qui va modifier le statut de l’ouvrier d’avant-guerre.
Loi du 30 mars 1900, dite loi Millerand, limite la journée de travail à dix heures et en fixant l'application progressive sur un délai de quatre ans.
La limitation du temps de travail concerne pour la première fois toute la population.
Fonctionnant par paliers, la limitation horaire absolue est de onze heures par jour.
C’est le début d’une série de lois qui vont se succéder en dix ans sur les thèmes de la sécurité, du repos hebdomadaire ou encore des retraites.
Par ailleurs, on s’oriente vers une réglementation du travail qui n’est plus unilatérale mais qui inclut les syndicats dans les négociations.

Le temps de travail

La réduction du temps de travail devient très tôt une revendication syndicale. La journée de douze heures donne lieu à de nombreuses luttes sociales dès les années 1830. A cette époque, on travaille quinze à dix-sept heures par jour. Les rapports médicaux révèlent que ces effroyables conditions de travail sont à l'origine d'une morbidité importante, en particulier chez les femmes et les enfants. Un décret de 1848 fixe, pour la première fois, la journée de travail à douze heures. Mais ce verrou va rapidement sauter sous les coups de boutoirs des dogmes libéraux qui condamnent l'intervention de d'Etat. Le patronat impose l'allongement de la durée du travail sous le second Empire, alors que le pays s'industrialise de façon intensive. L'historien P. Pierrard rapporte ces propos tenus par un patron du textile à l'adresse d'un inspecteur des fabriques : " La science économique veut que l'homme, dut-il y périr, doit toujours suivre le rythme de la machine qui, elle-même, pour assurer la prospérité, ne doit jamais s'arrêter. "

La revendication des huit heures apparaît en 1864 au sein de la Première Internationale et sera popularisée en France par le parti ouvrier de Jules Guesde. Le congrès ouvrier socialiste, réuni en 1889 à Paris, décide d'inviter les travailleurs de tous les pays à organiser, chaque année, une journée revendicative internationale. La date en est fixée au 1er mai avec l'objectif d'obtenir la réduction de la durée légale du travail à huit heures par jour 1er mai et rtt . Dès lors, le 1er mai devient une grande journée de lutte internationale pour la réduction du temps de travail (voir " Aperçus " n° 68 et plaquette Raymond Lavigne .
La loi Millerand organise progressivement la transition vers la journée de dix heures. Le repos dominical obligatoire est acquis en 1906. La loi de 1919 institue la journée de huit heures, sur la base générale de six jours de travail par semaine. Les historiens relèvent que la législation sociale a surtout pour effet d'officialiser et de régulariser des pratiques déjà largement existantes.

Ce n'est pas le cas en 1936, lorsque le Front populaire et le puissant mouvement de grève avec occupations d'usines, imposent la semaine de quarante heures et l'instauration de deux semaines de congés payés. Le succès est considérable, à tel point que certains ont du mal à y croire. Les temps de non travail seront-ils vraiment rémunérés ? Très vite, c'est la cohue en direction des bords de mer et le gouvernement Blum crée un sous-secrétariat d'Etat aux loisirs, confié au député Léo Lagrange. Le patronat ne décolère pas, il désavoue ses négociateurs et se réorganise sous l'égide de la Confédération générale du patronat français, ancêtre du Cnpf et du Medef.

La désagrégation du Front populaire va conduire à une remise en cause de la loi des quarante heures. En 1938, Daladier promulgue un décret autorisant la semaine de quarante-huit heures pour trois ans. Puis la semaine de soixante heures est généralisée, la durée du travail pouvant atteindre jusqu'à onze heures par jour.

Au lendemain de la Libération, le gouvernement abroge tous les textes de Vichy sur la durée du travail promulgués pendant la guerre. C'est officiellement le retour aux quarante heures. Mais avec la possibilité d'effectuer des dépassements d'horaires "pour accroître la production", dans la limite de vingt heures par semaine. Ces heures supplémentaires donnent lieu à des majorations de salaire, + 25 % jusqu'à 48 heures et + 50 % au-delà.

De l'après-guerre au milieu des années 60, la durée annuelle du travail se stabilise sous l'effet combiné d'une légère augmentation de la durée hebdomadaire du travail et de l'allongement des congés payés annuels. La 3e semaine de congés payés est légalisée en 1956. La période du milieu des années 60 au début des années 80 se caractérise par une baisse de la durée hebdomadaire du travail. On voit là trace du passage de mai et juin 68, fruit des grèves et du constat_grenelle fixant pour " but de mettre en œuvre une politique de réduction progressive de la durée hebdomadaire du travail an vue d'aboutir à la semaine de 40 heures ". A cela s'ajoute en 1969 la généralisation de la 4e semaine de congés payés, vote unanime de l'assemblée nationale du 2 mai 1968 sur proposition des députés communistes. Le gouvernement décrète en 1982 le passage de la semaine de travail à 39 heures et la généralisation de la 5e semaine de congés payés. Depuis, la durée du travail des salariés à temps complet a plutôt tendance à augmenter, tandis que le travail à temps partiel s'envole. On observe simultanément un mouvement de diversification croissante des horaires.
La loi sur les 35 heures constitue la dernière grande étape historique de la réduction du temps de travail en France.

Bataille du temps

1841 : le travail des enfants de moins de 12 ans est limité à 8 heures par jour et à 12 heures pour les enfants de moins de 16 ans.
1848: la durée maximale de la journée de travail est fixée à 12 heures. La durée hebdomadaire est donc de 84 heures.
1892 : limitation de la durée quotidienne du travail à 11 heures pour les femmes et les enfants, assortie de l'interdiction du travail de nuit dans l'industrie.
1900 : la journée de travail est ramenée à 10 heures dans l'industrie, soit 70 heures par semaine.
1906 : la loi institue pour la première fois un jour de repos hebdomadaire obligatoire, le dimanche.
1919 : la durée légale du travail est fixée à 8 heures par jour à raison de 6 jours par semaine, soit 48 heures hebdomadaire.
1936 : le gouvernement du Front populaire ramène la durée hebdomadaire du travail à 40 heures et accorde deux semaines de congés payés.
1946 : chaque branche de l'industrie définit ses horaires de référence, souvent supérieurs à la durée légale du travail. L'âge de la retraite est fixé à 65 ans.
1956 : troisième semaine de congés payés. La victoire ds métallos de Renault en septembre 1955 devient celle de tous les salariés. En effet la loi du 27 mars 1956 fixe à 1,5 jour ouvrable par mois de travail la durée des congés payés.
1969 : quatrième semaine de congés payés. Là encore, la loi du 16 mai 1969 étendra à tous les salariés les quatre semaines de congés payés obtenues en décembre 1962 par les métallos de Renault et que 85 % des salariés du privé avaient arrachées au cours de mai 68.
1982 : la durée légale du travail passe à 39 heures par semaine, sans perte de salaire, et la cinquième semaine de congés payés est étendue. L'âge de la retraite est abaissé à 60 ans.
1984 : échec des négociations engagées par le patronat sur la flexibilité du temps de travail.
1987: la loi Seguin facilite le recours à la modulation des horaires de travail.
1993 : la loi quinquennale sur l'emploi introduit la notion d'annualisation du temps de travail.
1996 : la loi de Robien organise une réduction du temps de travail, en échange d'un abattement des charges sociales patronales.
13 juin 1998 : vote de la première loi sur les 35 heures, dite "loi Aubry d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail", qui définit les conditions de la RTT obligatoire en incitant à la signature d'accords de branche.
1999 : Entre le 5 et le 15 décembre : vote final de la deuxième loi Aubry par les députés en dernière lecture.
1er janvier 2000 : les entreprises de plus de 20 salariés doivent appliquer les 35 heures
1er janvier 2002 : passage aux 35 heures pour les entreprises de moins de 20 salariés
2003 : La réforme Fillon-Raffarin voir notamment les lois n° 2003-47 du 17 janvier 2003, n° 2004-391 du 4 mai 2004 et n° 2005-296 du 31 mars 2005) 1er coup porté au 35 heures
2008 : sera t-elle l'année de tous les dangers, pour la réduction du temps de travail ? à suivre.



Les circulaires Millerand DE 1900
extraits des cahiers du Chatefp n° 5, mai 2001
Présentation

Les deux circulaires Millerand de 1900 que nous publions, ont opéré discrètement, en évitant un débat parlementaire à l’issue incertaine, un tournant fondamental dans les missions de l’inspection du travail.
De 1841 à 1900, celle-ci était restée cantonnée dans le contrôle des quelques lois et décrets protégeant la santé et la sécurité des ouvriers de l’industrie, avant tout les enfants, les jeunes filles et les femmes.
Chargée depuis la Restauration de protéger des êtres faibles, mineurs, l’inspection du travail ne reconnaissait pas "la classe ouvrière" en temps que telle et n’avait pas le syndicat ouvrier comme partenaire.
D’établissement en établissement l’inspecteur n’avait au cours de ses tournées que le chef d’établissement pour interlocuteur. Sa fonction était hygiéniste, sa mission préventive, un peu comme aujourd’hui celle du service prévention des C.R.A.M. ou de l’O.P.P.B.T.P.
La République avait bien consacré le droit syndical, mais ce droit d’organisation du travailleur citoyen se faisait sans liaison avec l’inspection du travail. Les relations industrielles n’avaient pas été pensées et, pour la grande majorité des républicains, elles n’avaient pas à l’être, car l’Etat n’avait pas à intervenir dans les relations contractuelles entre le patron et l’ouvrier : L’Etat protégeait la santé de l’ouvrier d’industrie, le syndicat défendait l’intérêt de l’ouvrier face au patron.
Mais en même temps, la classe politique s’inquiétait d’une agitation sociale grandissante, de grèves longues et dures, de l’emprise des courants révolutionnaires, socialistes ou anarchistes, sur les syndicats ouvriers.
Les républicains qui devaient, en pleine Affaire Dreyfus, se garder à droite face à des courants nationalistes venant renforcer les courants réactionnaires et cléricaux, devaient aussi se garder à gauche face à une montée de l’extrême-gauche.
Dans ce contexte, des républicains d’horizons divers cherchaient des voies d’apaisement social, des formes pacifiques de relations entre patrons et ouvriers.
Le long ministère Waldeck-Rousseau, juin 1899-juin 1902 intégra pour la première fois un élu d’extrême-gauche, Alexandre Millerand, à la tête du ministère du commerce dont dépendait alors l’inspection du travail. Dangereux révolutionnaire pour beaucoup, celui-ci était devenu en réalité un authentique réformiste qui allait chercher à réformer les relations sociales.
L’apaisement va être le fil conducteur de projets mis au point sous son autorité par Arthur Fontaine, directeur du travail, partisan convaincu de l’intervention de l’Etat dans le contrat de travail, avec l’accord de Waldeck Rousseau, républicain modéré. Les deux circulaires en forment un volet.
Un décret de 1899 réforme le Conseil supérieur du Travail pour en faire un organisme tripartite composé de représentants patronaux et ouvriers à côté de parlementaires, pour affermir la collaboration féconde des ouvriers, des patrons et du gouvernement à des enquêtes scientifiques suivies de discussions contradictoires. Dans une même optique, les conseils généraux sont invités à introduire des représentants directs des patrons et des ouvriers dans les commissions départementales du travail associées aux missions de l’inspection du travail. Trente-trois conseils généraux accepteront la suggestion de prendre en charge les frais de déplacement des représentants ouvriers. Un décret de 1900 crée des conseils du travail réunissant sur un pied d’égalité patrons et ouvriers pour faciliter des accords syndicaux et les conventions générales entre intéressés et fournir en cas de conflits collectifs des médiateurs compétents.
Mais cette tentative d’institutionnaliser la négociation collective rencontre l’hostilité à la fois des patrons et des syndicats. Elles ne voient le jour que dans
quelques départements et disparaissent rapidement. Un projet d’arbitrage visant à prévenir et réguler les conflits sociaux rencontre la même hostilité : le patronat y voit un projet de grève obligatoire, les syndicats une atteinte à la spontanéité créatrice de la grève, et le projet est enterré en commissions parlementaires. Un autre projet vise à généraliser à tous les grands établissements industriels l’institution des délégués à la sécurité existant dans les mines auprès des ingénieurs des mines. Ces délégués ouvriers noteraient sur un registre spécial les circonstances d’accidents ou les faits réprimables. Ils seraient choisis dans chaque établissement industriel par le personnel. Un petit crédit d’heures alloué serait rémunéré par l’employeur. Mais tous les syndicats se déclarent opposés à ce projet, même la prudente Fédération du Livre qui y voit une machine à enrayer le développement des syndicats dès lors que les délégués ne sont pas désignés par eux.
C’est que les syndicats demandaient depuis longtemps une inspection ouvrière pour faire inspecter les ateliers par des délégués rémunérés par l’Etat mais désignés par les syndicats. Ce projet rencontrait l’hostilité du patronat et ne pouvait conquérir de majorité dans les deux assemblées. Millerand propose de créer un corps d’inspecteurs-adjoints recrutés parmi des ouvriers désignés par les syndicats. Mais le C.S.T. s’y oppose au nom de l’unicité du concours et du corps. Un compromis est trouvé en 1900 dans une réforme du concours visant à faciliter l’accès des ouvriers. D’autres facilités seront encore introduites en 1907.
Seule administration de l’Etat à être en contact direct avec les chefs d’établissements et les ouvriers, l’inspection du travail est la mieux placée pour se voir confier une mission d’apaisement social et de médiation entre les syndicats et les employeurs. Or, il ressort des réponses à un questionnaire de novembre 1899 que jusqu’à ce jour le service de l’inspection a été presque complètement privé du concours des travailleurs. L’ouvrier ne se rend pour ainsi dire jamais chez l’inspecteur ; il lui écrit rarement. A l’atelier, pendant la visite, il ne lui adresse presque jamais la parole de lui-même ; quand il est interrogé, il répond souvent d’une manière évasive ; et il arrive fréquemment d’ailleurs que l’inspecteur ne l’interroge pas, dans la crainte des suites que ce dialogue pourrait avoir pour
l’ouvrier.
Les deux circulaires tentent donc d’opérer un tournant fondamental. L’une, qui en réalité est une lettre, est adressée aux organisations syndicales, l’autre aux inspecteurs divisionnaires. Désormais une collaboration étroite devra s’établir entre l’I.T. et les syndicats ouvriers. Le ministre s’engage au nom de tous les inspecteurs du travail : ils feront désormais tous leurs efforts pour qu’entre eux et les organisations corporatives, bourses du travail, syndicats, s’établissent des relations suivies.
La circulaire aux inspecteurs du travail est plus explicite, plus contraignante. Le ministre prend des dispositions pour que sa volonté ne reste pas lettre morte. Les inspecteurs sont tenus de communiquer aux secrétaires leurs adresses, leur signaler toutes les infractions aux lois protectrices du travail qu’ils pourraient connaître, les aviser dans un délai de quinze jours du résultat des visites faites d’après leurs indications. Et dans le rapport annuel, l’I.T. devra désormais indiquer le nombre de visites provoquées par une plainte de quelque nature que ce soit et plus particulièrement encore le nombre de visites faites à la suite de communications orales ou écrites émanant de groupements ouvriers, enfin le nombre de ces groupements avec lesquels il se sera trouvé en relation pendant l’année.
Ces deux circulaires, derrière leurs dispositions pratiques, ont une forte inspiration politique explicitée dans le Rapport sur la collaboration des ouvriers organisés à l’œuvre de l’inspection du travail pour l’Association nationale pour la protection légale des travailleurs que préside A. Millerand et que dirige A. Fontaine . Il s’agit de reconnaître aux organisations ouvrières seules l’aptitude à faire valoir efficacement les droits des salariés, considérer l’affiliation syndicale comme dénotant chez les syndiqués un sens de la fraternité et une notion de la solidarité qui les élèvent au-dessus de la préoccupation exclusive des avantages individuels matériels immédiats et qui leur donnent, avec l’intelligence de l’intérêt collectif, la conscience d’un idéal à poursuivre ; c’est investir les syndicats
d’un rôle éducateur de la responsabilité sociale, c’est-à-dire du sentiment de l’équilibre nécessaire entre les droits et les devoirs ; c’est enfin engager leur activité dans une direction qui répond à leur raison d’être, qui est susceptible de leur attirer des adhérents et de favoriser le développement de l’organisation du monde ouvrier. Le syndicat ouvrier doit devenir un organisme normal du système républicain et du jeu démocratique. Cela suppose de combattre les pratiques patronale et anarchosyndicaliste qui se complètent pour le diaboliser et le marginaliser. L’inspection du travail doit s’en charger. Vincent Viet observe que peu d’instructions auront marqué aussi profondément le corps des inspecteurs du travail, citant à l’appui des extraits de rapports d’inspecteurs divisionnaires. Pour l’un d’eux, en 1900 de nouvelles relations se sont établies …. Jusqu’à ce moment, les corporations ouvrières tenaient l’Inspection en méfiance et ne s’adressaient jamais à elle ; depuis lors, ces préventions ont cessé et … la méfiance a disparu. … Je le répète, nous ne sommes plus des ennemis pour la population ouvrière. Un autre note avec enthousiasme que l’année 1900 va faire époque dans les annales de l’Inspection. Il observe en effet que toutes les plaintes, aujourd’hui, passent par les bourses du travail ; les secrétaires les examinent d’abord, puis nous les transmettent. De notre côté, nous ne manquons pas de leur donner notre avis sur la suite de nos démarches. … Les ouvriers ne récriminent plus inutilement. Les renseignements fournis sont plus complets et portent sur les faits contraventionnels. L’inspecteur y trouve l’avantage de ne plus se déplacer pour rien et d’avoir connaissance de faits contraventionnels qu’il ne pourrait pas connaître autrement.
Le tournant ne fut pas partout facile à réaliser. Le faible nombre d’inspecteurs, la dispersion des syndicats, le peu de permanents syndicaux, la méfiance réciproque et les préjugés, le poids des pratiques anciennes, se conjuguaient souvent pour freiner les évolutions. A travers des questionnaires de l’Office du travail, le ministère était mis au courant des reproches des syndicats. Soit l’I.T. ne prenait pas contact avec le syndicat, soit il ne donnait pas suite à une plainte, soit il y répondait par une formule évasive toute faite.
L’une des formes de collaboration les plus remarquées fut la tenue de conférences par les inspecteurs du travail devant des ouvriers rassemblés par le secrétaire de la bourse du travail, suivant la volonté d’A. Millerand : Grâce à ces rapprochements que je désire voir se multiplier, par ces conférences,
qu’ils ne devront perdre aucune occasion de faire, les inspecteurs du travail montreront aux ouvriers quel souci ils ont de faire appliquer les lois sur le travail. Ils gagneront ainsi bien vite la confiance due à leurs efforts persévérants et à leur dévouement.

Liens

http://youtu.be/r6_HbrvzgrI Champ de Mars en 1900
http://youtu.be/XB13REAhJ1M La loi Millerand De 1878/1914
http://www.ina.fr/video/R10295962/tou ... -yves-allegret-video.html Germinal d'Allegret
http://youtu.be/E5W_ZfMS6YM Les enfants dans la mine
http://youtu.be/RmYcunCJfyc Germinal de Rappeneau
http://youtu.be/CoCIdorjazM "Germinal" en Chine

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Posté le : 29/03/2014 20:32

Edité par Loriane sur 30-03-2014 15:09:54
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Les vêpres siciliennes
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Le 30 Mars 1282 commence le soulévement et les massacres des siciliens contre

les français

Les Vêpres siciliennes désignent un soulèvement et une révolte populaire de l'île de Sicile contre la domination féodale du roi français Charles d'Anjou, survenu à Palerme et Corleone, le 31 mars 1282, mardi de Pâques. À la suite de ce soulèvement et du massacre des Français, les Siciliens se libèrent du joug angevin en passant sous la protection du roi d'Aragon Pierre III. L'événement est donc à la fois un moment clef de l'histoire nationale sicilienne et un tournant géopolitique.

Le roi angevin, qui distribue de nombreux fiefs à des Français, accentue la pression fiscale et s'établit à Naples ; il mécontente les Siciliens, remuants depuis la mort de Frédéric II. Le 31 mars 1282, à Palerme, un incident entraîne le massacre des Français : ce sont les «Vêpres siciliennes ; la révolte gagne toute l'île, villes et villages se donnent des conseils : l'autonomie locale, soutenue par l'aristocratie, triomphe de la centralisation. Jean de Procida, ancien chancelier de Mandred, fait venir Pierre III d' Aragon, gendre de Manfred, qui, avec l'aide des villes gibelines, s'empare de l'île. En 1296, la Sicile, séparée de la couronne d'Aragon, passe à son second fils, Frédéric. Le traité de Caltabellotta 1302 lui donne le titre de roi de Trinacrie le royaume angevin continental gardant le nom de Sicile. Les deux pays sont durablement séparés.

Histoire

Le contexte italien est celui de la lutte entre les partisans du pape et de l'empereur : les partis des guelfes guelfi, pour le pape et des gibelins ghibellini, pour l'empereur se cristallisent à cette occasion.
La situation sicilienne était complexe depuis la mort en 1250 de l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen, roi de Sicile et ennemi déclaré de la papauté.
Son fils Conrad IV lui succède mais meurt en 1254. Le pape Innocent IV, suzerain nominal de Sicile, veut profiter de la minorité de son fils Conradin pour évincer les Hohenstaufen d'Italie. Le régent de Conradin, Manfred de Hohenstaufen, fils bâtard de Frédéric II, se proclame roi en 1258 au détriment de son neveu.
Il est alors excommunié et privé de son royaume par le pape, qui cherche un nouveau prétendant à faire valoir pour abattre la race de vipères que représente pour le pouvoir pontifical la famille de Hohenstaufen.
En 1266 c'est le comte Charles d'Anjou, frère de Louis IX dit saint Louis qui est investi par le pape du royaume de Sicile. Il envahit le sud de la péninsule italienne et tue Manfred à la bataille de Bénévent le 26 février 1266. Il doit faire face par la suite aux attaques de Conradin, dorénavant assez âgé pour faire valoir ses droits. Toutefois ce dernier est vaincu et fait prisonnier en 1268 à la suite de la bataille de Tagliacozzo.
Le 29 octobre, après un procès pour trahison, il est décapité à Naples.
Dès lors, fort de l'appui du pape et de ses victoires militaires, Charles d'Anjou nourrit des projets plus vastes de croisade : il prend le titre de roi de Jérusalem en 1277, il fait occuper Saint-Jean-d'Acre, et veut contraindre les Byzantins à l'union religieuse. Pour cela, il prépare une expédition contre l'Empire byzantin pour le printemps 1283 et masse sa flotte à Messine.
La mort du dernier des Hohenstaufen et les exactions des seigneurs français de la suite de Charles d'Anjou, peu au fait des institutions particulières de la Sicile, entraînent dans l'aristocratie et les classes urbaines siciliennes un rejet des Français qui se traduit par la préparation d'une révolte.
L'un des souverains les plus intéressés par la Sicile est alors le roi Pierre III d'Aragon, qui avait épousé en 1262 Constance de Sicile, fille de Manfred. S'il n'encourage pas la révolte, il est probable qu'il ne fait rien pour l'empêcher.
L'empereur byzantin Michel VIII Paléologue, inquiet des visées sur l'Orient qu'entretient Charles d'Anjou, est également contacté par des émissaires siciliens.
Début 1282 une flotte de cent quatre-vingts vaisseaux part de Collioure et de Valence. Elle est destinée à punir l'émir de Tunis du non-versement de son tribut à l'Aragon, mais il est probable que le roi Pierre ait également un projet sicilien.

Le soulèvement et l'intervention aragonaise

Le soulèvement des Vêpres siciliennes débute le 30 mars 1282 à Palerme et à Messine. En ce lundi de Pâques à l’heure des vêpres, au son des cloches, c’est un massacre des troupes de Charles d’Anjou à Palerme et de la plupart des Français.
À en suivre les chroniques du temps, le 31 mars, mardi de Pâques, on assiste à un pèlerinage habituel des familles palermitaines de la porte Sainte-Agathe à l'église du Saint-Esprit Santo Spirito hors les murs ; on constate la présence oppressive des soldats français. Le prétexte à l'embrasement n'est pas clair : l'indélicate recherche d'armes sur les jeunes gens et sur les femmes – certaines chroniques évoquent l'offense particulière faite à une jeune fille sur son intimité – ou une pierre lancée par des enfants insultés par les Français ? Dans tous les cas l'étincelle est une atteinte à l'honneur.
La réaction se fait violente, les Français ainsi que le personnel administratif amalfitain, sont alors traqués et massacrés. Les artisans palermitains mettent en place une éphémère commune avant d'être rejoints par les habitants de Corleone. Le 30 août 1282, l’héritier le plus proche de Manfred met fin à la République fédérale. Pendant quatre mois, la république avait connu une liberté aussi extraordinaire que sanglante.
Seul le Château de Sperlinga n’a pas participé à la rébellion de 1282 contre les soldats de Charles d’Anjou. Les documents historiques témoignent de la présence de soldats angevins dans le château et que les habitants fournissaient de la nourriture pendant le long siège qui a duré presque 13 mois. La légende populaire raconte que les Siciliens révoltés obligeaient les étrangers à prononcer le mot cicero pois-chiche pour découvrir s’il s’agissait d’un Français. Ce mot sicilien était difficile à prononcer pour les Français du Moyen Âge.
Sur l’arc en ogive de la première chambre du château on peut apercevoir la devise gravée sur deux pierres qui résume les faits de l’aide du village aux Angevins : Quod Siculis Placuit Sola Sperlinga Negavit (en français : Ce que les Siciliens ont aimé, seulement Sperlinga l’a nié. Finalement ces soldats, guidés par Petro de Lemannon, eurent la vie sauve et arrivèrent en Calabre où Charles d'Anjou les attendait, leur donnant des fiefs.
S'agit-il d'une révolte anti-française ?
Ce point semble indiscutable. Le cri des révoltés était bien Mort aux Français !. Faut-il pour autant, comme l'ont avancé certains auteurs, y voir l'origine historique de la Mafia et en même temps une préfiguration de la lutte de l'Italie pour sa réunification et son indépendance ?
Selon eux, le cri de ralliement des insurgés aurait été " Morta Alla Francia ! Italia Aviva !" en français : À mort la France! Vive l'Italie!, ou bien " Morte a i francesi ! Italia Anella ! en français : Mort aux français ! crie l'Italie ! ce qui constituerait l'acronyme du mot Mafia.
Cette origine prétendue, souvent évoquée, ne résiste cependant guère à l'analyse.
En effet, le concept d'Italie en tant que Nation soumise, qui se serait, dès le Moyen Âge, soulevée contre la France en tant que Nation occupante est tout à fait anachronique au XIIIe siècle, aussi bien d'ailleurs pour l'Italie que pour la France. Il s'agirait plutôt d'une explication controuvée, remontant sans doute au XIXe siècle, et pouvant satisfaire à la fois les partisans de l'unité italienne à l'époque du Risorgimento que la Mafia elle même qui se donnait à bon compte une image de défenseur du peuple contre l'occupant étranger. Au demeurant le rattachement de la Sicile, qui faisait partie du Royaume de Naples, au Royaume d'Italie ne remonte qu'à 1861.
Les sources présentent les vêpres tantôt comme un complot – ainsi l'Anonyme de Messine, La conspiration de Jean Prochyta et ses références au soutien occulte de Pierre III d’Aragon et de Giovanni da Procida, médecin et jurisconsulte en exil depuis 1275 – tantôt comme un mouvement populaire – Crònica de Ramon Muntaner. Quelle que soit la réalité de ces complots – il paraît certain que Procida, alors chancelier de la couronne d'Aragon, ait noué des contacts avec les Gibelins de Sicile – le mouvement fut récupéré par Pierre III d'Aragon, massivement soutenu par l'aristocratie et la bourgeoisie catalane2.

La flotte aragono-catalane débarque à Palerme et chasse les troupes fidèles à Charles d'Anjou en dehors de l'île. Peu de Français échappent au massacre. Une exception est à signaler : Guillaume III des Porcellets, chambellan de Charles d'Anjou et membre de l'illustre Maison de Provence des Porcellets, en considération de sa droiture et de sa vertu. Les émissaires siciliens apportent au roi Pierre la couronne de l'île au nom de sa femme. Il est proclamé roi le 4 septembre.
Toutefois son armée n'arrive pas à mettre le pied dans la partie continentale du royaume de Sicile ; c'est le début de la division entre les royaumes de Naples et de Sicile, dont les rois prétendent tous deux au même titre de roi de Sicile.
Le pape Martin IV, furieux de voir un héritier des Hohenstaufen remettre le pied en Italie, excommunie le roi Pierre et donne son royaume d'Aragon, dont il est également le suzerain, à Charles de Valois, fils de Philippe le Hardi, roi de France, ce qui donne lieu à la croisade d'Aragon.
Portée historique et postérité littéraire

De 1282 à 1372, puis jusqu'en 1422, la Sicile devait connaître un cycle de conflits qui épuisa la monarchie et renforça l'influence des familles gibelines.
La guerre entre la maison de Barcelone et la maison capétienne commence et dure vingt ans, jusqu'à la Paix de Caltabellotta 1302 où le roi de Sicile Frédéric III reconnaît les possessions angevines en Italie du sud. Mais la paix ne fut guère solide qu'en 1373 traité d'Aversa : les Angevins reconnaissent la possession des Aragons sur la Sicile.
Au-delà, comme a pu le souligner Henri Bresc, les Vêpres peuvent être lues comme une l'affirmation tumultueuse de la sicilianité, la première expression unitaire d'une population unie politiquement et bientôt culturellement.

Littérature

Frappant les imaginations, l'événement fut utilisé par Dante Divine Comédie, Paradis, VIII, 75, inspira à Casimir Delavigne une tragédie en cinq actes en 18194 et fut la source d'un roman historique d'Étienne de Lamothe-Langon.

Musique

En 1821 Jean de Procida ou les vêpres siciliennes et en 1855, Verdi y consacra un opéra intitulée Les Vêpres siciliennes.

Les Vêpres siciliennes, I vespri siciliani est un grand opéra en 5 actes de Guiseppe Verdi sur un livret d' Eugène Scribe et de Charles Duveyrier en langue Italienne et française, il fut donné le 26 décembre 1855 au Teatro regio de Parme et Teatro regio de Turin sous le titre Giovanna da Guzman et le 4 février 1856 à la Scala de Milan et 1857 : Teatro San Carlo, Naples, sous le titre Batilde di Turenna

Personnages

Hélène Elena, sœur de Frédéric d'Autriche soprano
Henri Arrigo, jeune sicilien ténor
Montfort Guido di Monforte, gouverneur de Sicile, roi de Naples baryton
Jean de Procida Giovanni da Procida, médecin sicilien basse
De Béthune, officier français basse
Le comte Vaudemont, officier français basse
Ninetta, suivante d'Hélène soprano
Danieli, jeune sicilien ténor
Thibault Tebaldo, soldat français ténor
Robert Roberto, soldat français basse
Manfredo, sicilien ténor
Soldats, peuple chœur
Airs
Merce, dilette amiche-Elena acte V
Les Vêpres siciliennes est un opéra en cinq actes de Giuseppe Verdi, sur un livret d' Eugène Scribe et Charles Duveyrier créé le 13 juin 1855 à l'Opéra de Paris.

Genèse

Dans les années 1850, se développe le "Grand Opéra" : œuvres longues avec ballets... Un contrat est signé entre Verdi et l'opéra de Paris en 1852, alors même que la grande époque du Grand opéra est un peu passée. Ce sera le premier opéra français de Verdi. Le livret de Scribe ne plaît pas à Verdi qui met du temps à l'adapter. Scribe refusera de modifier son livret et les répétitions furent marquées par l'absence de Sophie Cruvelli, partie pour suivre un baron dans le midi de la France pendant plusieurs semaines.
Verdi écrira à Francesco Maria Piave: La Cruvelli s'est enfuie !!! Où ? Le diable seul le sait. Au début, la nouvelle m'a quelque peu ennuyé mais maintenant je ris sous cape. ...Cette disparition me donne le droit de résilier mon contrat et je n'ai pas laissé échapper l'occasion; je l'ai officiellement demandé". Verdi écrira à cet effet une lettre, en français, à François-Louis Crosnier, alors administrateur du Théâtre impérial de l'Opéra. Il y fait part de la mauvaise volonté de Scribe et de l'ambiance des répétitions. Verdi se heurtera à un refus et continuera malgré tout.

Création

Avec du retard, l'opéra fût créé en France le 13 juin 1855, salle Le Peletier, en présence de Napoléon III, de l'impératrice Eugénie et du Duc de Porto.
Verdi entreprend rapidement une traduction de son opéra en italien. Ce dernier sera transposé au Portugal sous occupation espagnole et créé à Parme en décembre 1855.

Distribution.

Affiche pour la première des Vêpres au Théâtre impérial de l'Opéra
La duchesse Hélène Elena, sœur du duc Frédéric d'Autriche5, Sophie Cruvelli soprano
Henri Arrigo, jeune sicilien, Louis Gueymard ténor
Guy de Montfort Guido di Monforte, gouverneur de Sicile sous Charles d'Anjou, roi de Naples, Marc Bonnehée baryton
Jean de Procida Giovanni da Procida, médecin sicilien, Louis-Henri Obin basse
Le Sire de Béthune, officier français, Coulon basse
Le comte de Vaudemont, officier français, Guignot basse
Ninetta, camériste d'Hélène, Sannier soprano
Danieli, jeune sicilien, Boulo ténor
Thibault Tebaldo, soldat français, Aimès ténor
Robert Roberto, soldat français, Claude-Marie-Mécène Marié de l'Isle basse
Manfredo, sicilien, Koenig ténor
de l'Opéra de Paris
Concertatore : Giuseppe Verdi
Directeur d'orchestre : Narcisse Girard
Chorégraphie : Lucien Petipa
Costumes : Alfred Albert et Paul Lormier

Représentations successives

La première représentation des vêpres en italien à l'Opéra Garnier eu lieu le 9 avril 1974. Prévue initialement le 3 avril, elle fût annulée à la suite du décès du Président Georges Pompidou.

Les versions italiennes

Une version italienne est créée dans une traduction d'Arnaldo Fusinato l'année même de la création à Paris et donnée simultanément le 26 décembre 1855 au Teatro regio de Parme et au Teatro regio de Turin sous le titre Giovanna da Guzman puis en 1857 au Teatro San Carlo de Naples sous le titre Batilde di Turenna.
Sous ce même titre mais dans une traduction d'Enrico Caimi l'opéra est représenté le 4 février 1856 à la Scala de Milan.

Le public

La création de l'opéra à Paris fût un grand succès. Berlioz évoquera "la majesté souveraine de la musique". Les vêpres siciliennes seront données soixante-deux fois à Paris.

Argument

L'action, inspirée d'un évènement historique, se situe à Palerme en mars 1282, durant les fêtes de Pâques.

Acte I
La duchesse Hélène, dont le frère a été condamné à mort, est contrainte par un soldat français à chanter. Celle-ci, avec son chant excite la haine des Siciliens contre les Français. Montfort, le gouverneur, intervient et calme tout le monde. Arrive Arrigo, qui vient juste d'être gracié. Ignorant que Montfort est présent, il se met à l'insulter. Le gouverneur demande à tout le monde de partir afin de rester seul avec le jeune imprudent. Il lui demande son nom mais celui-ci refuse puis il tente de l'acheter en lui offrant un grade dans son armée et essuie un nouveau refus. Montfort interdit alors à Arrigo de parler avec la duchesse : celui-ci, à nouveau, brave l'interdit.

Acte II
Dans une vallée proche de Palerme, se rencontrent Arrigo, Hélène et Procida, arrivés clandestinement. Celui-ci annonce le soutien de Pierre d'Aragon en cas de début d'insurrection. Arrigo déclare son amour à la duchesse qui l'accepte à condition qu'il venge son frère. Arrigo reçoit une invitation de la part de Montfort et la refuse. Ce refus entraîne son arrestation et les Siciliens jurent de le venger. En outre, l'enlèvement des femmes par les soldats français ne fait qu'accentuer la haine de ceux-ci.

Acte III
Montfort, dans son cabinet, relit une lettre de la mère d'Arrigo, exécutée depuis dix mois, dont il apprend être le père d'Arrigo. Arrigo arrive et apprend la vérité concernant son père, qu'il croyait en exil. Il refuse de le reconnaître comme son père. Le soir, un bal masqué a lieu et parmi les danseurs, Arrigo reconnaît Procida et Hélène, venus le délivrer et tuer Montfort. Arrigo empêche ses amis de le faire, au moment où Hélène sort sa dague. Les conjurés sont arrêtés.

Acte IV
Procida et Hélène sont déportés à la forteresse, Arrigo les rejoint pour tenter de se disculper. S'il y arrive auprès d'Hélène qui lui conserve son amour, l'annonce de son lien de parenté avec Monfort, ruine les espoir de Procida qui a reçu la nouvelle de l'arrivée des armes. Monforte arrive pour annoncer l'arrivée du bourreau et fait le chantage suivant à Arrigo : soit celui-ci le connait publiquement comme son père, soit ses amis sont exécutés. Celui-ci finit par céder et Monfort annonce les noces entre Arrigo et la duchesse. Celle-ci hésite à accepter mais Procida l'incite à le faire.

Acte V
Dans les jardins du palais, se prépare la fête pour le mariage. Procida retrouve Hélène et lui annonce que, dès que les cloches sonneront, l'insurrection commencera. Elle retire sa parole au grand désespoir d'Arrigo. Montfort arrive et ordonne que le mariage ait lieu. Les cloches sonnent et les Français sont massacrés.

Liens

http://youtu.be/dCjfikAWufQ opéra Vêpres siciliennes
http://youtu.be/rFjvX5cw8i8 Les vêpres siciliennes en Français


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Posté le : 29/03/2014 20:27

Edité par Loriane sur 30-03-2014 14:59:39
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Vincent Van Gogh 1
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Le 30 Mars 1853 naît, à Groot Zundert aux Pays-Bas, Vincent Willem Van Gogh,

peintre et dessinateur Néerlandais, Postimpressionnisme, Symbolisme, influencé par Jean-François Millet, Rembrandt, Frans Hals, Anton Mauve, Eugène Delacroix et Utagawa Hiroshige, Il influença le mouvement Expressionnisme, il meurt à Auvers sur Oise en France le 29 Juillet 1890.

Incarnant jusqu'à l'outrance le mythe du génie incompris de son vivant, tant ses œuvres furent ignorées en son temps et sont aujourd'hui parmi les plus recherchées au monde, Vincent Van Gogh tenta d'exorciser par la peinture le tumulte intérieur qui le minait. Ses recherches sur la forme et la couleur marquèrent durablement les avant-gardes à venir. Son œuvre pleine de naturalisme, inspirée par l'impressionnisme et le pointillisme, annonce le fauvisme et l'expressionnisme. Au début du XXIe siècle, c'est l'un des peintres les plus connus au monde

Bien qu'il ait manifesté dès l'enfance des dispositions pour le dessin, Van Gogh ne s'est engagé dans la peinture qu'à l'âge de vingt-sept ans, après une série d'expériences professionnelles et humaines qui furent pour lui autant d'impasses. Sur les dix années qui lui restaient à vivre, huit environ peuvent être considérées, en dépit de la qualité des œuvres qui en émanent, comme une période d'apprentissage, de découvertes et de maturation où les influences extérieures jouent un rôle déterminant. La véritable personnalité artistique de Van Gogh s'est dessinée subitement à la fin de son séjour parisien, pour s'affirmer au contact de la lumière du Midi, lors de son installation en Arles : en deux ans, et à travers quelque trois cent cinquante tableaux, sur un peu plus de sept cents au total, Vincent allait devenir l'une des figures majeures de l'histoire de la peinture, le précurseur, notamment, des fauves et de l' expressionnisme.
Indissociable de son œuvre, la vie de Van Gogh nous est principalement connue grâce à l'admirable correspondance que l'artiste échangea, pendant dix-huit ans et jusqu'au dernier jour, avec son frère Théo dont l'affection et le soutien ne lui furent jamais comptés : elle témoigne du combat intense et désespéré livré par un esprit supérieur à la maladie qui le minait et au monde qui le rejetait.

Sa vie

Vincent Willem Van Gogh naît le 30 mars 1853 à Groot-Zundert, un village près de Bréda dans l'Ouest du Brabant-Septentrional, dans le Sud des Pays-Bas. Sa mère avait mis au monde un enfant mort-né le 30 mars 1852 : Vincent Willem I, dont il portera le prénom. Il est le fils aîné de Theodorus van Gogh, pasteur de l'Église réformée à Groot-Zundert depuis 1849 et d'Anna Cornelia, née Carbentus, fille d'un relieur de la cour du Duché de Brabant. Ses parents élèveront six enfants : Vincent, Anna Cornelia 1855-1930, Théodore dit Theo, Elisabetha Huberta dite Liss, 1859-1936, Willemina Jacoba dite Wil ou Wilkie, 1862-1941 et Cornelis Vincent dit Cor, 1867-1900.
Son père Theodorus compte dix frères et sœurs. Plusieurs oncles paternels joueront un rôle déterminant dans la vie de Vincent. Hendrik Vincent van Gogh, Hein, est marchand d'art à Bruxelles. Johannes van Gogh, Jan, est un amiral néerlandais chez qui Vincent habitera à Amsterdam pendant plus d'un an. Cornelis Marinus van Gogh, « Cor, est également marchand d'art. Son parrain Vincent van Gogh, Cent, s'est associé à la chaîne de galeries de l'éditeur d'art parisien Goupil et Cie.
Van Gogh grandit au sein d'une famille de l'ancienne bourgeoisie. La famille Van Gogh, d'ancienne bourgeoisie, est déjà notable aux XVIe et XVIIe siècles. L'état de pasteur est une tradition familiale, de même que le commerce de l'art. Le grand-père de Vincent 1789-1874, par exemple, suivi des cours à la faculté de théologie à l'université de Leyde jusqu'en 1811. Trois de ses fils sont devenus des marchands d'art.
La famille de Van Gogh mène une vie simple. L'ambiance laborieuse du foyer parental marque profondément le jeune Vincent qui est un enfant sérieux, silencieux et pensif.
En 1860, Van Gogh entre à l'école de Zundert dont l'effectif est de deux cents élèves. À partir de 1861, lui et sa sœur Anna suivent les enseignements d'une institutrice qui donne des cours à la maison jusqu'au 1er octobre 1864, date à laquelle il part pour l'internat de Jan Provily à Zevenbergen, une ville rattachée à la commune de Moerdijk à trente kilomètres de chez lui. Il y apprend le français, l'anglais et l'allemand. Il y réalise aussi ses premiers essais de dessin. Le 15 septembre 1866, il entre au collège Guillaume II à Tilburg. Van Gogh vit difficilement cet éloignement. En mars 1868, il quitte précipitamment l'établissement et retourne chez ses parents à Zundert.

Il aspire alors à devenir pasteur, mais il échoue aux examens de théologie. À l'approche de 1880, il se tourne vers la peinture. Pendant ces années, il quitte les Pays-Bas pour la Belgique, puis s'établit en France. Autodidacte, Van Gogh prend néanmoins des cours de peinture. Passionné, il ne cesse d'enrichir sa culture picturale : il analyse le travail des peintres de l'époque, il visite les musées et les galeries d'art, il échange des idées avec ses amis peintres, il étudie les estampes japonaises, les gravures anglaises, etc. Sa peinture reflète ses recherches et l'étendue de ses connaissances artistiques. Toutefois, sa vie est parsemée de crises qui révèlent son instabilité mentale. L'une d'elle provoque son suicide, à l'âge de 37 ans.
L'abondante correspondance de Van Gogh permet de mieux comprendre cet artiste. Elle est constituée de plus de huit cents lettres écrites à sa famille et à ses amis, dont six cent cinquante-deux envoyées à son frère Theo, avec qui il entretient une relation soutenue aussi bien sur le plan personnel que professionnel.
L'œuvre de Van Gogh est composée de plus de deux mille toiles et dessins datant principalement des années 1880. Elle fait écho au milieu artistique européen de la fin du xixe siècle. Il est influencé par ses amis peintres, notamment Anthon van Rappard, Émile Bernard et Paul Gauguin. Il échange aussi des points de vue avec son frère Theo, un marchand d'art connu. Il admire Jean-François Millet, Rembrandt, Frans Hals, Anton Mauve et Eugène Delacroix, tout en s'inspirant de Hiroshige, Claude Monet, Adolphe Joseph Thomas Monticelli, Paul Cézanne, Edgar Degas et Paul Signac.
Peu connu dans les années 1890, Van Gogh n'a été remarqué que par un petit nombre d'auteurs et de peintres en France, aux Pays-Bas, en Belgique et au Danemark. Cependant, dans les années 1930, ses œuvres attirent cent vingt mille personnes à une exposition du Museum of Modern Art à New York.

1869-1878

Le jeune Van Gogh tente d'abord de faire carrière comme marchand d'art chez Goupil et Cie. Cependant, refusant de voir l'art comme une marchandise, il est licencié. Il aspire alors à devenir pasteur, mais il échoue aux examens de théologie. À l'approche de 1880, il se tourne vers la peinture. Le 30 juillet 1869, à l'âge de 16 ans, Van Gogh quitte la maison familiale et devient apprenti chez Goupil et Cie à La Haye, filiale fondée par son oncle Hein. Cette firme internationale vend des tableaux, des dessins et des reproductions. Elle est alors dirigée par Hermanus TersteegJLB 1 pour qui l'artiste avait un grand respect. En 1871, son père est muté à Helvoirt. Vincent y passe ses vacances en 1872, avant de rendre visite à Theo, à Bruxelles.
Après sa formation en apprentissage, il est engagé chez Goupil et Cie. En juin 1873, Adolphe Goupil l'envoie dans la succursale de Londres avec l'accord de son oncle Cent. Selon la future femme de Theo, Johanna Bonger dite Jo, c'est la période la plus heureuse de sa vie. Il réussit et, à 20 ans, il gagne plus que son père. Il tombe amoureux d'Eugénie Diff Loyer, la fille de sa logeuse à Brixton, mais lorsqu'il lui révèle ses sentiments, elle lui avoue qu'elle s'est déjà secrètement fiancée avec le locataire précédent. Van Gogh s'isole de plus en plus. À la même époque, il développe un fervent intérêt pour la religion. Son zèle religieux prend des proportions qui inquiètent sa famille. Le 12 novembre 1873, Theo est muté à la succursale de La Haye par son oncle Cent.
Son père et son oncle envoient Vincent à Paris à la mi-mai 1875 au siège principal de Goupil et Cie au 9 rue Chaptal. Il est choqué de voir l'art traité comme un produit et une marchandise, et le dénonce à certains clients, ce qui provoque son licenciement le 1er avril 1876. Entre-temps, la famille Van Gogh déménage à Etten, village du Brabant-Septentrional.
Van Gogh se sent alors une vocation spirituelle et religieuse. Il retourne en Angleterre où, pendant quelque temps, il travaille bénévolement, d'abord comme professeur suppléant dans un petit internat donnant sur le port de Ramsgate, où il est engagé. Il dessine quelques croquis de la ville. À son frère Theo, il écrit : À Londres, je me suis souvent arrêté pour dessiner sur les rives de la Tamise en revenant de Southampton Street le soir, et cela n'aboutissait à rien ; il aurait fallu que quelqu'un m'explique la perspective. Comme l'école doit par la suite déménager à Isleworth dans le Middlesex, Van Gogh décide de s'y rendre. Mais le déménagement n'a finalement pas lieu. Il reste sur place, devient un fervent animateur méthodiste et veut prêcher l'Évangile partout. À la fin d'octobre 1876, il prononce son premier sermon à la Wesleyan Methodist Church à Richmond. En novembre, il est engagé comme assistant à la Congregational Church de Turnham GreenJLB.
À Noël 1876, il retourne chez ses parents. Sa famille l'incite alors à travailler dans une librairie de Dordrecht aux Pays-Bas pendant quelques mois. Toutefois, il n'y est pas heureux. Il passe la majeure partie de son temps dans l'arrière-boutique du magasin à dessiner ou à traduire des passages de la Bible en anglais, en français et en allemand. Ses lettres comportent de plus en plus de textes religieux. Son compagnon de chambre de l'époque, un jeune professeur appelé Görlitz, expliquera plus tard que Van Gogh se nourrit avec parcimonie : Il ne mangeait pas de viande, juste un petit morceau le dimanche, et seulement après que notre propriétaire eut longuement insisté. Quatre pommes de terre avec un soupçon de sauce et une bouchée de légumes constituaient son dîner.
Le soutenant dans son désir de devenir pasteur, sa famille l'envoie en mai 1877 à Amsterdam, où il séjourne chez son oncle Jan, qui est amiral. Vincent se prépare pour l'université et étudie la théologie avec son oncle Johannes Stricker, théologien respecté. Il échoue à ses examens. Il quitte alors le domicile de son oncle Jan, en juillet 1878, pour retourner à la maison familiale à Etten. Il suit des cours pendant trois mois à l'école protestante de Laeken, près de Bruxelles, mais il échoue à nouveau et abandonne ses études pour devenir prédicateur laïc. Début décembre 1878, il obtient une mission d'évangéliste en Belgique, auprès des mineurs de charbon du Borinage, dans la région de Mons. Il y devient un prédicateur solidaire des luttes contre le patronat mais il a déjà fait son apprentissage pictural en ayant visité tous les grands musées des villes importantes qu'il a traversé quand il travaillait chez Goupil et Cie

Sa traversée du Borinage en Belgique commence à Pâturages aujourd'hui dans la commune de Colfontaine en 1878. Il y est accueilli par un évangéliste qui l'installe chez un cultivateur à Wasmes. Très vite, il juge cette maison trop luxueuse et, en août, il part pour Cuesmes pour loger chez un autre évangéliste. Allant au bout de ses convictions, Van Gogh décide de vivre comme ceux auprès desquels il prêche, partageant leurs difficultés jusqu'à dormir sur la paille dans une petite hutte. Il descend à 700 mètres dans un puits de mine au Charbonnage de Marcasse. Il consacre tout aux mineurs et à leur famille. Il va même jusqu'à descendre dans la mine. Lors d'un coup de grisou, il sauve un mineur. Mais ses activités de pasteur ouvrier ne tardent pas à être désapprouvées, ce qui le choque. Accusé d'être un meneur, il est contraint d'abandonner la mission — suspendue par le comité d'évangélisation — qu'il s'était donnée. Il en garde l'image de la misère humaine qui apparaîtra dans une partie de son œuvre. Après ces évènements, il se rend à Bruxelles puis revient brièvement à Cuesmes, où il s'installe dans une maison. Mais, sous la pression de ses parents, il retourne à Etten. Il y reste désœuvré, jusqu'en mars 1880, ce qui préoccupe de plus en plus sa famille. Vincent et Theo se disputent au sujet de son avenir : ces tensions les privent de communication pendant près d'un an.
De plus, un grave conflit éclate entre Vincent et son père, ce dernier allant jusqu'à se renseigner pour faire admettre son fils à l'asile de Geel. Il s'enfuit de nouveau et se réfugie à Cuesmes, où il loge jusqu'en octobre 1880 chez un mineur. Entre-temps, Theo obtient un emploi stable chez Goupil et Cie à Paris.

Maturité

1 - Groot-Zundert, Pays-Bas le 30 mars 1853
2 - Bruxelles, Belgique d'octobre 1880 à avril 1881
3 - Etten, Pays-Bas d'avril 1881 à décembre 1881
4 - La Haye, Pays-Bas de décembre 1881 à septembre 1883
5 - Drenthe, Pays-Bas de septembre 1883 à décembre 1883
6 - Nuenen, Pays-Bas de décembre 1883 à novembre 1885
7 - Anvers, Belgique de novembre 1885 à février 1886
8 - Paris de février 1886 à février 1888
9 - Arles, France de février 1888 à mai 1889
10 - Saint-Rémy-de-Provence, France de mai 1889 à mai 1890
11 - Auvers-sur-Oise, France de mai 1890 au 29 juillet 1890 décès

Van Gogh atteint sa maturité au moment où il débute sa carrière d'artiste. Il s'intéresse de plus en plus à ses proches et aux scènes quotidiennes qu'il commence à représenter dans des croquis à la mine de plomb, au fusain ou au crayon. En octobre 1880, il part à Bruxelles et, le 15 novembre 1880, il s'inscrit à l'Académie royale des beaux-arts sur les conseils du peintre Willem Roelofs. Il a l'opportunité de travailler à l'atelier du peintre Anthon van Rappard, rue Traversière. Le 1er février 1881, Theo est nommé gérant de la succursale de Goupil et Cie sur le boulevard Montmartre ; il décide alors de subvenir aux besoins de son frèreJLB. Vincent est presque âgé de 28 ans.
Fin avril 1881, Van Gogh revient à la maison familiale et y reste jusqu'à Noël. Il consacre principalement son temps à la lecture et aux études des figures. L'été, il tombe amoureux de Kee Vos, la fille de son oncle Stricker. Malgré le refus clair de Kee, veuve toute récente, Vincent insiste, créant une atmosphère de plus en plus tendue dans sa famille.

La Haye

À la suite d'une violente dispute avec son père, il part pour La Haye, où il s'installe dans un modeste atelier. Il y reçoit des leçons de peinture de son cousin par alliance Anton Mauve, pratique alors essentiellement l’aquarelle et étudie la perspective.
En janvier 1881, Van Gogh rencontre une ancienne prostituée, Sien Hoornik, qui commence à poser pour lui. Au printemps 1882, son oncle Cornelis Marinus, propriétaire d'une galerie d'art renommée à Amsterdam, lui commande des dessins de La Haye. Le travail ne s'avère pas à la hauteur des espérances de son oncle, qui lui passe néanmoins une deuxième commande. Bien qu'il lui ait décrit en détail ce qu'il attendait de lui, il est de nouveau déçu. En juin 1882, une hospitalisation liée à une maladie vénérienne lui permet de se réconcilier avec ses parentsJLB. À sa sortie, il s'installe dans un plus grand atelier avec Sien Hoornik et ses deux enfants. C'est au cours de l'été 1882 qu'il commence la peinture à l'huile. Cette période de sa vie lui permet de se consacrer à son art. Il partage ses réflexions sur des peintres qu'il admire comme Daumier ou Jean-François Millet dont il connaît bien les œuvres,Lettre. Il exécute de nombreux tableaux et dessins selon différentes techniques. Il envoie ses œuvres à Theo et écrit à Anthon van Rappard. À partir du printemps 1883, il s'intéresse à des compositions plus élaborées, basées sur le dessin. Très peu de ces dessins ont survécu car, manquant de nervosité et de fraîcheur selon Theo, ils seront détruits par Vincent.
Les vingt mois qu'il passe à La Haye, entre 1882 et 1883 semblent décisifs pour l’artiste, qui réalise sa volonté de rompre avec les conventions morales de son milieu social, et son impossibilité à mener une existence normale. De nombreuses lectures, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Émile Zola ou encore Charles Dickens, viennent enrichir sa vision du monde, et renforcent ses convictions sociales. En août 1883, il envisage de partir dans la province campagnarde de la Drenthe pour profiter de ses paysages. Sa relation avec Sien Hoornik se termine alors.

Drenthe

De septembre à décembre 1883, Vincent séjourne en solitaire dans la province de Drenthe, dans le Nord des Pays-Bas, où il s'acharne à sa peinture. C'est l'unique remède qu'il trouve face à un profond sentiment de détresse. Il change assez souvent de logement et la solitude lui pèse. Le temps pluvieux et les difficultés financières de son frère Theo le décident à rejoindre sa famille installée depuis juin 1882 à Nuenen, en Brabant-Septentrional, dans le presbytère paternelJLB .

Nuenen

Van Gogh profite d'un petit atelier aménagé à son intention dans la maison familiale. Il y réalise des séries de tableaux sur différents thèmes, notamment les tisserands. C'est à Nuenen que son talent se révèle définitivement : de cette époque datent de puissantes études à la pierre noire de paysans au travail, mais aussi quelque deux cents tableaux à la palette sombre et aux coups de brosse expressifs, qui confirment alors son talent de dessinateur et de peintre.

Vincent propose à Theo de ne plus lui verser de pension mais plutôt d'échanger ses versements contre ses tableaux. Theo acquiert ainsi des tableaux qu'il espère vendreJLB. Vincent continue à voir Van Rappard avec qui il peint. À cette période, il donne aussi des cours de peinture à des amateurs. Puis, en mai 1884, il loue un atelier plus vaste que ce qu'il avait jusqu'alors.

Pour la troisième fois, Van Gogh tombe amoureux. Il entame une relation avec sa voisine Margot Begemann, ce que leurs familles respectives n'apprécient pas. À la mi-septembre, Margot tente de se suicider. Elle passe sa période de convalescence à Utrecht. Le 26 mars 1885, le père Van Gogh meurt d'une crise cardiaque. À cause des relations difficiles qu'il entretient avec son entourage, la sœur de Vincent lui demande de quitter le presbytère. Il habite alors dans son atelier entre avril et mai 1885.
Alors qu'il est encore à Nuenen, il travaille sur une série de peintures qui doivent décorer la salle à manger d'un de ses amis vivant à Eindhoven. Van Gogh s'intéresse alors aux artistes renommés de l'école de La Haye, comme Théophile de Bock et Herman Johannes van der Weele. Il s'agit d'un groupe d'artistes qui, entre 1860 et 1890, sont fortement influencés par la peinture réaliste de l'école de Barbizon. Parmi ces artistes, Johan Hendrik Weissenbruch ou Bernard Blommers par exemple, sont cités dans les lettres de Van Gogh lors de ses discussions sur l'art voir ses Lettres. Il n'hésite pas non plus à faire des remarques sur Rembrandt et Frans Hals en discutant de leurs œuvresLettre .
À la même époque, Émile Zola est critique d'art. En 1885, au moment où paraît son roman Germinal, Van Gogh peint Les Mangeurs de pommes de terre. Ils exposent tous les deux la vie de la classe populaire. Après son passage à Nuenen, passant de ce réalisme sombre au colorisme, Van Gogh prend un nouvel élan dans sa peinture. Sa palette devient plus claire et plus colorée, alors que ses coups de pinceaux deviennent plus nets.

Anvers

À Anvers de nouveau, en novembre 1885, il est impressionné par les peintures de Rubens et découvre les estampes japonaises, qu'il commence à collectionner dans cette ville. C'est aussi dans la capitale flamande que l'artiste inaugure sa fameuse série d'autoportraits. Il prend divers cours de dessin et réalise des études de nus. L'idée de repartir à Paris lui est agréable. Il compte déjà étudier dans l'atelier de Fernand Cormon et se loger chez Theo pour des questions d'économieJLB. En février 1886, il débarque donc à Paris.

Paris

Au début du mois de mars 1886, Vincent rejoint son frère Theo à Montmartre avec l'envie de s'informer sur les nouveautés de la peinture impressionniste. À l'époque, Theo est gérant de la galerie montmartroise Boussod, Valadon et Cie, les successeurs de Goupil et Cie JLB. Vincent y devient également l'amant d'Agostina Segatori, tenancière italienne du cabaret Le Tambourin, boulevard de Clichy. Seule la connaissance du milieu artistique parisien peut véritablement permettre à Van Gogh de renouveler et d'enrichir sa vision. Cette année-là est celle de la dernière exposition impressionniste que Vincent découvre, et en 1887 doit avoir lieu la première rétrospective de l’œuvre de Millet.
Paris se prépare alors à accueillir plusieurs expositions : en plus du Salon, où sont exposées les œuvres de Puvis de Chavannes, Van Gogh visite les salles de la cinquième exposition internationale à la galerie Georges Petit, qui présente des toiles d'Auguste Renoir et de Claude Monet. Ces derniers n'avaient pas souhaité participer à la huitième et dernière exposition des impressionnistes qui offrait le spectacle d'un groupe déchiré, entre les défections et les nouvelles arrivées, et ouvrait ses portes à la nouveauté du moment, le néo-impressionnisme, avec la toile de Georges Pierre Seurat, Un dimanche après-midi à l'Île de la Grande Jatte.
À Paris dans les années 1886 - 1887, Van Gogh fréquente un moment l’Académie du peintre Cormon, où il fait la connaissance de Henri de Toulouse-Lautrec, de Louis Anquetin, d’Émile Bernard ainsi que de John Peter Russell. Ce dernier réalise son portrait. Il rencontre également, par l’intermédiaire de son frère, presque tous les impressionnistes, en particulier Georges Seurat et Camille Pissarro, ainsi que Paul Gauguin. Dans la boutique du Père Tanguy, il devient l'ami de Paul Signac.
Sous l’influence des estampes japonaises, ses compositions acquièrent peu à peu davantage de liberté et d’aisance, tandis qu’il s’essaie à la technique de l’aplat coloré. Pissarro l’initie également aux théories nouvelles sur la lumière et au traitement divisionniste des tons. La palette de l'artiste s’enrichit alors de couleurs vives et sa touche s’anime et se fragmente, ceci grâce également à Signac avec qui il travaille en 1887.
Exalté par la ferveur du climat artistique parisien, Van Gogh brûle les étapes de son renouvellement artistique grâce à la fréquentation des peintres les plus anticonformistes du moment : il s'essaye au néo-impressionnisme auprès de Signac et Pissarro, enquête sur les profondeurs psychologiques du portrait avec son ami Toulouse-Lautrec, est précocement informé de la synthèse du cloisonnisme par ses compagnons Louis Anquetin et Émile Bernard, et peut apprécier les toiles exotiques réalisées par Gauguin en Martinique. Régénéré par cette modernité, il est prêt à réaliser son rêve méditerranéen, à la recherche de la lumière aveuglante de la Provence, qui fait resplendir les couleurs pures de la nature, étudiées jusque-là dans sa collection d'estampes japonaises. C'est une période très fertile où son art s'oriente vers l'impressionnisme mais l'absinthe et la fatigue aggravent son état mental. Le 19 février 1888, il quitte Paris.

Arles

Le 20 février 1888, il s'installe à Arles dans la vieille ville à l'intérieur des remparts à l'hôtel-restaurant Carrel au 30 rue de la Cavalerie, à l'époque quartier des maisons closes, avec comme compagnon le peintre danois Christian Mourier-Petersen. Il loue également une partie de la maison jaune pour en faire son atelier. Quelques jours après, il loge au café de la Gare, 30 place Lamartine et s'installe ensuite, à partir du 17 septembre, dans la Maison Jaune, juste à côté.

Bien qu'il arrive dans la cité avec un temps de neige, une nouvelle page de son œuvre s'ouvre avec la découverte de la lumière provençale. Dès le 22 février 1888, il débute sa production arlésienne : il parcourt à pied la région et peint des paysages, des scènes de moissons et des portraits. Il envoie toujours ses tableaux à Theo. Trois de ses premiers tableaux sont présentés à la 4e exposition annuelle de la Société des artistes indépendants. En avril, Vincent rencontre le peintre américain Dodge MacKnight, qui habite Fontvieille, un petit village au nord-est d'Arles. Par MacKnight, il fait la connaissance du peintre Eugene Boch avec lequel une relation plus profonde se développe et dont il fait le portrait.

Au début du mois de juin 1888, ayant reçu un billet de 100 francs de son frère Theo, il se rend en diligence aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour un séjour de cinq jours. Il y peint la barque Amitié et le village regroupé autour de l'église fortifiée.
À Arles, des idées plus anciennes sur l'art et la peinture réapparaissent, comme faire des séries de tableaux. Au printemps 1888, il réalise ainsi une série sur les vergers fleurissants dans des triptyques, ainsi qu'une série de portraits comme ceux de la famille Roulin. La première série des tournesols date aussi de cette époque. Entre-temps, il continue à échanger des lettres et des tableaux avec Emile Bernard et Paul Gauguin. Vincent qui habite la maison jaune, rêve en effet d'une communauté d'artistes unissant fraternellement leurs expériences et leurs recherches : Paul Gauguin vient le rejoindre dans ce but le 23 octobre 1888 et ils commencent à travailler ensemble, par exemple sur la série de tableaux consacrés aux Alyscamps. Mais les deux hommes s'entendent mal : la tension et l’exaltation permanentes qu’implique leur démarche créatrice débouchent sur une crise.
Le 23 décembre 1888, à la suite d'une dispute plus violente que les autres avec Gauguin, Van Gogh est retrouvé dans son lit le lobe de l'oreille gauche tranché. Plusieurs théories tentent d'expliquer l'incident. La thèse classique, soutenue par le musée Van Gogh d'Amsterdam d'après le témoignage de Gauguin, explique que Van Gogh menace d'un rasoir Gauguin qui s'enfuit, laissant Van Gogh seul. Dans un accès de délire, celui-ci retourne le rasoir contre lui-même et se coupe l'oreille avant d'aller l'offrir à une prostituée. Différents diagnostics possibles expliquent cet accès de folie. Une théorie concernant la mutilation de l'oreille de Van Gogh a été publiée en 2009. Ses auteurs Hans Kaufmann et Rita Wildegans soutiennent que ce serait Gauguin qui, au cours d'une violente dispute, aurait tranché au sabre l'oreille de Vincent avant de s'enfuir d'Arles. La version de l'automutilation aurait pour but de l'innocenter.
Le lendemain de sa crise, Van Gogh est admis à l'hôpital et soigné par le docteur Rey dont il peint le portrait. Theo, inquiet de la santé de son frère, vient le voir et retourne à Paris le jour de Noël accompagné de Gauguin. Cependant, une pétition signée par trente personnes demande l'internement ou l'expulsion de Vincent van Gogh d'Arles : il lui est reproché des troubles à l'ordre public. Le 7 février, le docteur Delon demande son internement pour hallucinations auditives et visuelles. Le 27 février, le commissaire de police d'Ornano conclut dans son rapport que Van Gogh pourrait devenir dangereux pour la sécurité publique. En mars 1889, après une période de répit, il peint entre autres Autoportrait à l'oreille bandée. Cependant, à la suite de nouvelles crises, il est interné d'office sur ordre du maire à l'hôpital d'Arles. À la mi-avril, il loue un appartement au docteur Rey dans un autre quartier d'Arles.Le 18 avril 1889, Theo et Johanna Bonger se marient à Amsterdam.
Pendant son séjour à Arles, Vincent maintient le lien avec l'univers artistique parisien grâce à l'abondante correspondance qu'il échange avec son frère Theo. Malgré l'échec de son projet d'établir un atelier à Arles, il ne renonce pas au dialogue avec ses amis Émile Bernard et Gauguin. Ce dernier, après son séjour mouvementé à Arles, accompagne à travers ses lettres la vie de Van Gogh jusqu'à la fin.

Saint-Rémy-de-Provence

Le 8 mai 1889, il quitte Arles, ayant décidé d'entrer dans l'asile d'aliénés que dirige le médecin Théophile Peyron à Saint-Paul-de-Mausole, près de Saint-Rémy-de-Provence. Il y reste un an, au cours duquel il a trois crises importantes : à la mi-juillet, en décembre et la dernière entre février et mars 1890.
Malgré son mauvais état de santé, Van Gogh est très productif. Ce n'est que pendant ses crises de démence qu'il ne peint pas. Dans l'asile, une pièce au rez-de-chaussée lui est laissée en guise d'atelier. Il continue à envoyer ses tableaux à Theo. Deux de ses œuvres font partie de la 5e exposition annuelle de la Société des artistes indépendants de Paris. Un des premiers tableaux de cette époque est l’Iris. Les peintures de cette période sont souvent caractérisées par des remous et des spirales. À diverses périodes de sa vie, Van Gogh a également peint ce qu'il voyait de sa fenêtre, notamment à la fin de sa vie avec une grande série de peintures de champs de blé qu'il pouvait admirer de la chambre qu'il occupait à l'asile de Saint-Rémy-de-Provence. Il quitte l'asile le 19 mai 1890.
Theo rencontre le docteur Paul Gachet sur les recommandations de Pissarro. Theo encourage Vincent à sortir de l'asile et à se rendre à Auvers-sur-Oise, où il pourra consulter le médecin et être près de son frère.
Van Gogh commence également à devenir connu. En janvier 1890, un article d’Albert Aurier dans le Mercure de France souligne pour la première fois l’importance de ses recherches. Un mois plus tard, le peintre Anna Boch acquiert l’un de ses tableaux, La Vigne rouge pour la somme de 400 francs.
Le 31 janvier 1890 naît le petit Vincent, fils de son frère Theo petit. Lorsque le nouveau-né tombe malade sans gravité, Vincent éprouve de la tristesse et du découragement.

Auvers-sur-Oise

Après avoir rendu visite à Theo à Paris, Van Gogh s'installe à Auvers-sur-Oise, situé à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Paris. Cette commune rurale du Vexin français était déjà connue dans le milieu des peintres, initialement par les paysagistes de l'école de Barbizon puis par les impressionnistes. Il y passe les 70 derniers jours de sa vie, du 20 mai au 29 juillet 1890. Le docteur Paul Gachet a promis de prendre soin de lui à la demande de Theo. Gachet, ami de Paul Cézanne et des peintres impressionnistes et lui-même peintre amateur, veille sur Van Gogh, qui loue une petite chambre dans l’auberge Ravoux.
Van Gogh, au sommet de sa maîtrise artistique, va alors décrire dans ses œuvres la vie paysanne et l'architecture de cette commune. Des articles paraissent dans la presse parisienne, bruxelloise et néerlandaise. C'est un signe important de sa reconnaissance dans ce milieu artistique. Grâce aux soins du docteur Gachet, son activité est intense : il peint plus de 70 tableaux. D'autre part, Theo, dont la maladie perdure, lui confie son inquiétude pour son travail et pour le petit Vincent Willem, malade. Theo désire retourner aux Pays-Bas

Mort de Vincent van Gogh

En mars 1889, après une période de répit, une pétition des habitants d'Arles entraîne son internement à l'Hôtel-Dieu. Deux mois plus tard, hanté par l'idée du suicide, mais pleinement conscient du mal qui le ronge, il prend lui-même la décision de se faire soigner à l'hospice de Saint-Rémy-de-Provence. D'accès de dépression en phases de rémission et d'activité intense, son style connaît de nouveau des modifications sensibles : au flamboiement du coloris arlésien succède, en effet, dans d'admirables dessins à l'encre et au roseau, et dans des toiles convulsives d'une gamme moins sonore, celui du graphisme et de la touche dont les traits discontinus et sinueux impriment aux oliviers, aux champs de blé et à la voûte céleste des Alpilles et des Baux les mouvements mêmes de la folie, La Nuit étoilée, juin 1889 ; Museum of Modern Art, New York. Ce temps est aussi celui où Van Gogh commence à sortir de l'anonymat : en janvier 1890 un article d'Albert Aurier, paru dans le Mercure de France, souligne pour la première fois l'importance de ses recherches, et, un mois plus tard, l'un de ses tableaux, La Vigne rouge, exposé au Salon des XX à Bruxelles, est acquis pour 400 francs par le peintre Anna Boch.
Revenu à Paris en mai, pour voir Théo, sa femme et leur fils nouveau-né, Van Gogh est accueilli quelques jours plus tard à Auvers-sur-Oise par le Dr Gachet, ami de Cézanne et des impressionnistes. Le climat paisible des lieux et l'affection qui l'entoure lui permettent de se consacrer une fois encore à ses thèmes de prédilection : portraits et paysages. Si sa touche demeure fébrile et mouvementée, son coloris acquiert, sous la lumière d'Île-de-France, un regain de vivacité et de fraîcheur, L'Escalier d'Auvers, juin 1890 ; Saint Louis City Art Museum. La trève est cependant de courte durée : lorsque Théo lui fait part de son désir de rejoindre la Hollande, Vincent se sent de nouveau abandonné ; sa vision, tout à coup, devient confuse, l'identité même de ses sujets se perd,Le Champ de blé aux corbeaux, juill. 1890 ; Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam.
L'instabilité mentale de Vincent van Gogh reprend vers la fin juillet 1890. Le 27 juillet 1890, dans un champ derrière le château où il peint peut-être une ultime toile, car il a emmené son matériel de peinture avec lui, il se tire un coup de revolver dans la poitrine pour viser le cœur ou l'abdomen. Revenu boitillant à l'auberge Ravoux, il monte directement dans sa chambre. Ses gémissements attirent l'attention de l'aubergiste Arthur Ravoux qui le découvre blessé : il fait venir le docteur Gachet qui lui fait un bandage sommaire, une opération chirurgicale est impossible vu l'état de la médecine à cette époque et dépêche à Paris Anton Hirschig, artiste néerlandais pensionnaire de son auberge, pour prévenir Théo van Gogh. Vincent van Gogh y meurt deux jours plus tard, à l'âge de 37 ans, son frère Théo étant à son chevet.
Théo, atteint de syphilis et de ses complications neurologiques, est hospitalisé en octobre 1890 dans une clinique psychiatrique d'Utrecht où il meurt le 25 janvier 1891 à l'âge de 34 ans. Les deux frères reposent tous deux au cimetière d'Auvers-sur-Oise, depuis que Johanna van Gogh-Bonger a fait transférer le corps de son premier mari auprès de son frère en 1914.
En 2011, une nouvelle hypothèse sur la mort de Vincent van Gogh a été avancée par deux auteurs, Steven Naifeh et Gregory White Smith, qui reprennent une anecdote douteuse de Victor Doiteau : Vincent van Gogh aurait été victime par accident d'une balle tirée par les frères Gaston et René Secrétan, deux adolescents qu'il connaissait, ces derniers jouaient aux cowboys avec une arme de mauvaise facture à proximité du champ où Van Gogh se promenait. Avant de succomber deux jours plus tard, le peintre aurait alors décidé d'endosser toute la responsabilité de l'acte en déclarant s'être visé lui-même, dans le but de protéger les garçons et par amour pour son frère Théo pour lequel il pensait être devenu un fardeau trop pesant. Cette thèse repose sur trois arguments fragiles : Vincent van Gogh aurait été le souffre-douleur des frères Secrétan, interview de René Secrétan, devenu banquier, donnée en 1956, l'historien d'art John Rewald a reccueilli dans les années 1930 des rumeurs auversoises dans ce sens, mais ces témoignages sont tardifs et de seconde main; enfin René Secrétan, dont les auteurs américains prétendent que le peintre a réalisé un dessin déguisé en cowboy et qui a assisté au Buffalo Bill Wild West Show à Paris au début de l'année 1890, aurait volé le revolver de l'aubergiste Arthur Ravoux pour tirer sur des oiseaux et petits animaux, revolver à l'origine de l'homicide involontaire ou du tir accidentel sur Vincent van Gogh.

Théories sur ses problèmes de santé

À plusieurs reprises, Van Gogh avait souffert d'accès psychotiques et d'instabilité mentale, en particulier dans les dernières années de sa vie.
Au fil des ans, il a beaucoup été question de l'origine de sa maladie mentale et de ses répercussions sur son travail. Plus de cent cinquante psychiatres ont tenté d'identifier sa maladie et quelque trente diagnostics différents ont été proposés.
Parmi les diagnostics avancés se trouvent la schizophrénie, le trouble bipolaire, la syphilis, le saturnisme, l'épilepsie du lobe temporal, la maladie de Menière et la porphyrie aiguë intermittente. Chacune de ces maladies pourrait être responsable de ses troubles et aurait été aggravée par la malnutrition, le surmenage, l'insomnie et un penchant pour l'alcool, en particulier pour l'absinthe.
Certaines théories médicales ont même laissé entendre que le goût de Van Gogh pour l'utilisation de la couleur jaune pourrait être lié à son amour de l'absinthe. En effet, cet alcool contient une neurotoxine, la thuyone, qui à forte dose, peut causer la xanthopsie, un trouble de la vision amenant à voir les objets en jaune. Toutefois, une étude réalisée en 1991 a mis en évidence qu'un consommateur d'absinthe sombrerait dans l'inconscience en raison de la teneur en alcool avant d'avoir pu ingérer suffisamment de thuyone. Une autre théorie suggère que le docteur Gachet aurait prescrit de la digitaline à Van Gogh pour traiter l'épilepsie, substance qui pourrait entraîner une vision teintée de jaune et des changements dans la perception de la couleur d'ensemble. Cependant, il n'existe aucune preuve directe que Van Gogh ait pris de la digitaline, même si Van Gogh a peint Portrait du Dr Gachet avec branche de digitale, plante à partir de laquelle est produite la digitaline.
En 2006, King Ross un écrivain canadien, a prétendu que Van Gogh souffrait de saturnisme, car il utilisait des peintures à base de plomb et parce que l'un des symptômes de l'intoxication par le plomb est un gonflement de la rétine qui peut conduire à l'apparition d'un effet de halo, qui apparaît d'ailleurs dans plusieurs de ses tableaux.

Lettres

Les lettres de Vincent van Gogh témoignent de sa vie ainsi que de l'enchaînement de ses idées lorsqu'il produisait une œuvre. Ces textes n'ont pas été écrits en vue d'être publiés : ils représentent les pensées les plus profondes et les sentiments de leur auteur. La vision intime de sa propre vie, sa démarche artistique et l'origine de ses tableaux y sont expliqués dans un style direct et transparent. Ces lettres constituent une référence très riche concernant le contexte artistique et intellectuel dans lequel il se trouvait et les efforts qu'il fournissait pour s'y attacher, les méthodes et les matériaux utilisés à l'époque, les relations intimes qu'il nouait avec ses proches, sa façon de voir les autres artistes, etc.

Contexte

En général, les lettres de Van Gogh sont adressées à son frère Théo, qui est aussi son plus grand soutien. Au début de cette correspondance, il écrit : … nous n'aurons qu'à nous écrire très souvent.
Il a aussi écrit aux autres membres de sa famille et à ses amis, tels que Paul Gauguin et Émile Bernard. La lettre la plus ancienne est adressée à Théo et date du 29 septembre 1872. La dernière, rédigée quelques jours avant sa mort, était également destinée à Théo et il la portait sur lui le jour de son suicide. Environ les deux tiers de ses lettres, jusqu'en 1886, sont rédigées en néerlandais. Après cette date, il écrit en français, langue qu'il maîtrise depuis son apprentissage de la langue dans son enfance et qu'il perfectionne en France. Il a aussi écrit quelques lettres en anglais. En 2011, il existe 902 lettres répertoriées, dont 819 écrites par lui et 83 à son intention. Ces lettres ainsi que des photographies et d'autres documents le concernant sont conservés en 2011 au musée van Gogh à Amsterdam.

Histoire de la publication

À la mort de Vincent, son frère devient propriétaire de toutes les peintures, sauf une qui a été vendue du vivant de Vincent, ainsi que des lettres. Theo, atteint de la syphilis, perd la raison trois mois après le décès de son frère. D'abord interné à Paris, il est rapidement transféré à Utrecht aux Pays-Bas où il finira ses jours. À la suite de cet évènement, Johanna Bonger-Van Gogh, la femme de Theo, devient l'héritière de cette collection d'art, qui n'a pas à l'époque une grande valeur marchande.
Grâce à Johanna, Émile Bernard et d'autres amis, ses lettres apparaissent dans les revues de l'époque, Van Nu en Straks et Mercure de France, par exemple. La première publication des lettres sous forme d'ouvrage date de 1914. Cette édition comporte les lettres de Vincent à Theo et à Johanna. Durant les années 1920, d'autres correspondances de Vincent apparaissent : Émile Bernard, Paul Gauguin, George-Albert Aurier, Paul Signac, John Peter Russell, etc. Après la mort de Johanna en 1925, son fils Vincent Willem van Gogh prend le relais. Après la Seconde Guerre mondiale, il publie une édition en 4 volumes de nature documentaire. Vingt ans plus tard, il publie une autre édition en 2 volumes, cette fois-ci en tâchant de rassembler les dernières lettres de Van Gogh en français.
Petit à petit, le nombre d'ouvrages concernant les lettres se multiplie. Sa célébrité ne cessant de croître, la publication de ses lettres et leur analyse deviennent de plus en plus fréquentes, comme les travaux de Jan Hulsker. L'originalité du travail de Hulsker réside dans sa recherche de compréhension et d'explication des œuvres. Il a identifié les œuvres mentionnées dans les lettres, reproduit les croquis et revu les datations des courriers. Pour le centenaire de Van Gogh, le musée Van Gogh publie sa correspondance au complet en néerlandais dans l'ordre chronologique. De nombreux livres reprennent une partie des lettres et les analysent à leur façon. Le dernier grand ouvrage est le fruit du projet Lettres de Van Gogh lancé par le musée Van Gogh en partenariat avec le Huygens Institute en 1994. Publiés en trois langues, néerlandais, français et anglais, ces 6 volumes offrent une analyse approfondie, de nouvelles lettres non publiées et, surtout, des bases solides pour effectuer de nouvelles recherches sur ce peintre.

Peinture

Van Gogh a beaucoup travaillé pour perfectionner son dessin et sa peinture, notamment en se basant sur des livres ou des manuels. Il a, par exemple, copié toutes les pages du Cours de dessin de Charles Bargue. Sa peinture est le fruit d'un travail long, méticuleux et acharné. Il s'est essayé à plusieurs sortes de matériaux comme la pierre noire, la craie lithographique et la plume de roseau. Il était sensible et attentif à l’environnement artistique de la fin du XIXe siècle. Son style, qui se caractérise surtout par l'utilisation des couleurs et les touches de ses pinceaux, a une influence importante sur l'art du XXe siècle. Les lettres de Van Gogh nous apprennent l'admiration de ce dernier pour Rembrandt, Frans Hals, Eugène Delacroix, Jean-François Millet, mais aussi pour Anton Mauve, Emile Bernard et Paul Gauguin. Il s'est inspiré des maîtres hollandais du XVIIe siècle. Ses peintures témoignent de son expérience de la vie quotidienne et ses tableaux portent la marque de sa personnalité tourmentée et instable. Il a notamment réalisé Les Mangeurs de pommes de terre 1885, La Chambre de Van Gogh à Arles 1888, Les Tournesols 1888-1889, Autoportrait à l'oreille bandée 1889, La Nuit étoilée 1889, Portrait du Dr Gachet avec branche de digitale 1890 et L'Église d'Auvers-sur-Oise 1890.

Liste des tableaux de Vincent van Gogh.

Au XXIe siècle, il reste de lui des peintures, des œuvres sur papier, des croquis et des lettres. Van Gogh a produit plus de 2 000 œuvres d'art : à peu près 900 peintures et 1 100 dessins et croquis qui s'étendent sur 10 ans de travail. Il avait l'habitude d'échanger ses peintures avec d'autres peintres, comme cela se faisait fréquemment alors, notamment Emile Bernard et Paul Gauguin.

Style

L'art de Van Gogh a évolué constamment au cours de sa carrière artistique. Par exemple, il s'intéresse aux estampes japonaises et aux gravures anglaises. Il prend plaisir à exécuter des reproductions auxquelles il souhaite apporter une contribution artistique originale. Il réalise plusieurs séries de tableaux, notamment des autoportraits et Les Tournesols. Par ailleurs, il accorde aussi une place importante aux tableaux nocturnes. Il applique les couleurs par touches de pinceaux, sans mélanger sur la palette. Les couleurs se fondent à distance dans l'œil du spectateur.
À l'automne 1882, Theo commence à financer Vincent afin que ce dernier puisse développer son art sereinement. Au début de l'année 1883, il commence à travailler sur des compositions multi-figures, surtout des dessins. D'après Theo, ces travaux manquent de vivacité et de fraîcheur. À cause de ces commentaires, Vincent les détruit et se tourne vers la peinture à l'huile. À Nuenen, il réalise de nombreuses peintures de grande taille mais il en détruit également. Parmi les toiles de l'époque, on peut citer Les Mangeurs de pommes de terre, les différentes têtes de paysans et les diverses interprétations de la chaumière.

Pensant qu'il manque de connaissance sur les techniques de la peinture, il se rend à Paris pour continuer à apprendre et développer son style. Sa tendance à développer les techniques et les théories des impressionnistes et les néo-impressionnistes dure peu. À Arles, Van Gogh reprend d'anciennes idées. Il recommence par exemple à peindre une série de tableaux sur des sujets similaires. La progression de son style se voit dans ses autoportraits. En 1884, à Nuenen, il avait déjà travaillé sur une série pour décorer la salle à manger d'un de ses amis à Eindhoven. À Arles, il transforme ses Vergers fleurissants en triptyques. Il réalise une autre série sur la famille Roulin et il travaille avec Gauguin sur la décoration de la maison jaune. Les peintures faites pendant la période de Saint-Rémy sont souvent caractérisées par des tourbillons et des spirales. Les motifs de luminosité de ces dernières images ont été montrés conforme au modèle statistique de turbulence de Kolmogorov.
L'historien d'art Albert Boime est l'un des premiers à montrer que Van Gogh basait ses travaux sur la réalité. Par exemple, le tableau Maison sous un ciel nocturne montre une maison blanche au crépuscule avec une étoile bien visible, entourée d'une auréole jaune. Les astronomes du Southwest Texas State University à San Marcos ont établi que cette étoile est Vénus, très brillante le soir du 16 juin 1890, date de la création de ce tableau.

Van Gogh a peint des autoportraits à plusieurs reprises. Beaucoup de ces toiles sont de petites dimensions : ces essais lui permettent d'expérimenter les techniques artistiques qu'il découvre. Ses autoportraits reflètent ses choix et ses ambitions artistiques qui évoluent en permanence. Les peintures varient en intensité et en couleur et l'artiste se représente avec barbe, sans barbe, avec différents chapeaux, avec son bandage qui représente la période où il s'est coupé l'oreille, etc. La plupart de ses autoportraits sont faits à Paris. Tous ceux réalisés à Saint-Rémy-de-Provence montrent la tête de l'artiste de gauche, c'est-à-dire du côté opposé de l'oreille mutilée. Plusieurs des autoportraits de Van Gogh représentent son visage comme se reflétant dans un miroir, c'est-à-dire son côté gauche à droite et son côté droit à gauche. Il s'est peint 37 fois en tout. Cependant, durant les deux derniers mois de sa vie, à Auvers-sur-Oise, et malgré sa productivité, il ne peint aucun autoportrait. Son Autoportrait au visage glabre, qui date de fin septembre 1889, est une des toiles les plus chères au monde, vendue à 71,5 millions de dollars en 1998 à New York.

Japonisme

Le japonisme, style qui se développe en France surtout dans la seconde moitié du xixe siècle avec l'ouverture du Japon à l'Occident, attire Van Gogh depuis qu'il est à Nuenen. Les maîtres japonais comme Hokusai et Hiroshige l'inspirent. Il achète ses premières reproductions à Anvers et transmet son goût pour cet art asiatique à son frère Théo. Les deux réunissent plus de 400 œuvres qui sont aujourd'hui au musée Van Gogh d'Amsterdam.
À Paris, Van Gogh s'interroge sur l'apport de cet art d'une grande qualité esthétique par rapport à ses propres travaux. Il exécute alors plusieurs copies des crépons japonais. Le Courtisan est la reproduction d'un dessin qu'il a vu sur la couverture de Paris illustré. Il lui ajoute un arrière-plan inspiré des estampes japonaises en employant des couleurs intenses. Le Prunier en fleur est un autre tableau de ce genre : il interprète cette fois-ci une œuvre de Hiroshige. Le fond du portrait du père Tanguy est aussi décoré d'estampes japonaises. Van Gogh a l'habitude de délimiter des plans ou des objets par du noir, une couleur qualifiée de non-couleur par les impressionnistes, qui la bannissent quasiment systématiquement de leurs palettes. Il trouve ainsi une justification à cette pratique dans les estampes japonaises. Par la suite, il s'approprie l'art japonais, et confesse à son frère : Tout mon travail est un peu basée sur la japonaiserie…

Copies d'œuvres

Non seulement Vincent van Gogh aime contempler les reproductions des œuvres d'art mais il en réalise lui-même. Sa première reproduction date de l'époque Saint-Rémy-de-Provence : il copie une lithographie de la Pietà de Delacroix, cette dernière ayant été abîmée. Il interprète aussi plusieurs tableaux à l'huile dans son propre style. Entre septembre 1889 et mai 1890, il produit de nombreuses d'œuvres d'après Delacroix, Rembrandt et Millet. Ce sont des scènes religieuses et des travailleurs des champs. Durant la période où il est confiné dans un asile psychiatrique à Saint-Rémy-de-Provence, il trouve dans la reproduction d'œuvres un moyen de poursuivre son travail sans modèle ; il n'avait les moyens de n'employer que lui-même comme modèle. Il considère que le sujet d'un tableau n'est qu'un seul point de départ et que l'interprétation de l'artiste est la contribution principale. Il exprime cette idée à son frère par les mots suivantsNote 4,Lettre 14 : « je pose le blanc et noir de Delacroix ou de Millet ou d'après eux devant moi comme motif.– Et puis j'improvise de la couleur là-dessus mais bien entendu pas tout à fait étant moi mais cherchant des souvenirs de leurs tableaux – mais le souvenir, la vague consonance de couleurs qui sont dans le sentiment, sinon justes – ça c'est une interpretation à moi ». Le tableau Le Semeur de Millet est l'un des exemples caractéristiques éclairant les intentions de Van Gogh pour la reproduction. On voit l'apport de l'utilisation de la couleur et les coups de pinceaux très personnels de Van Gogh. Le résultat est plus vif, la personnalité de l'artiste s'affirme par l'intensité des couleurs appliquées

Séries

Van Gogh a réalisé plusieurs séries de tableaux. Pour affiner son art, il aime peindre plusieurs tableaux sur des sujets similaires concernant la nature : les fleurs, les champs de blé, les vergers fleurissant, etc. Il fait également des séries de portraits, surtout en peignant chaque membre de la famille Roulin ou des séries de semeurs. Van Gogh s'intéresse particulièrement à la peinture des fleurs. Il réalise plusieurs paysages avec différentes fleurs : des lilas, des roses, des lauriers, etc. Sur certains de ses tableaux, comme Iris, on les voit au premier plan. Il a fait deux séries de tournesols : la première alors il est à Paris en 1887, la seconde lorsqu'il habite Arles l'année suivante. La première montre des tournesols fraîchement cueillis posés par terre. Dans la seconde, les tournesols sont dans des vases, parfois en train de faner. Les fleurs sont peintes par d'épais coups de brosse avec des surplus de peinture. L'idée de Van Gogh est de remplir les murs de l'atelier qu'il veut partager avec Paul Gauguin dans le but de créer une communauté d'artistes : Dans l'espoir de vivre dans un atelier à nous avec Gauguin je voudrais faire une decoration pour l'atelier. Rien que des grands Tournesols. Gauguin représente dans un de ses tableaux Van Gogh en train de peindre des tournesols. Van Gogh est assez content du résultat le montrant fatigué et chargé d'électricité..

La série des vergers en fleur de Van Gogh fait partie de ses premiers travaux à Arles. Les peintures de cette série sont joyeuses. Il passe beaucoup de temps à exprimer la gaieté du printemps. Vincent dit à son frère: J'ai maintenant 10 vergers sans compter trois petites etudes et une grande d'un cérisier que j'ai ereintée.Dans la plupart de ces peintures, un arbre fleuri est mis en valeur. Il varie ses coups de pinceau : des touches de pointillisme, des élans impressionnistes plus veloutés, aplatissement des traits à la manière des estampes japonaises. Les tonalités intenses remplissent ses toiles, la couleur plus délicate des fleurs occupe le visuel.

Une des séries de tableaux les plus connues que Van Gogh a réalisée est celle des cyprès. Ces arbres, caractéristiques des paysages du Midi de la France, inspirent Van Gogh. Il écrit à son frère : Les cyprès me preoccupent toujours, je voudrais en faire une chose comme les toiles des tournesols parce que cela m'étonne qu'on ne les ait pas encore fait comme je les vois. Pendant l'été 1889, sur la demande de sa sœur Wil, il peint aussi plusieurs petites versions de Champ de blé avec cyprès. Ces travaux sont caractérisés par des tourbillons et par une technique qui lui permet de garder visibles les différentes couches de peintures qu'il superpose. Les autres tableaux de la série partagent les mêmes éléments stylistiques. Son tableau La Nuit étoilée — qu'il peint lorsqu'il est à Saint-Rémy-de-Provence — fait partie de cette série.

Tableaux nocturnes

La peinture des scènes vespérales et nocturnes est très fréquente chez Van Gogh qui écrit : Souvent, il me semble que la nuit est bien plus vivante et richement colorée que le jour. L'importance qu'il accorde à cette période de la journée peut être constatée lorsqu'on considère le nombre d'œuvres qu'il a peintes pour la représenter. Il évoque le plus souvent la dure vie rurale, les paysans dans leur intimité familiale ou en plein travail, aux champs. Par ailleurs, une de ses peintures les plus connues, Terrasse du café le soir, décrit une ambiance citadine.
Pour Van Gogh, les peintres de son siècle ont réussi à représenter l'obscurité par de la couleur. Il réinterprète ce sujet dans ses tableaux en s'inspirant de plusieurs grands peintres. Si en Breton et Millet il voit l'essentiel de la représentation du travail de la terre, il est impressionné par la réussite de Rembrandt à utiliser de la couleur pour peindre la nuit. À travers ses œuvres, Delacroix lui apprend comment les couleurs vives et les contrastes de couleurs peuvent décrire les couchers de soleil, les tombées de nuit, voire les nuits avec leurs étoiles. Comme pour Adolphe Monticelli, la couleur devient pour Van Gogh un moyen de juger la modernité d'un tableau. Il apprécie l'art de l'impressionniste Monet, capable de donner l'impression d'une ambiance vespérale par un coucher de soleil en rouge. Il admire aussi la technique pointilliste de Seurat parvenant à évoquer une atmosphère nocturne, avec des tâches et aplats de couleurs.
Van Gogh est donc fasciné par la réalité vespérale et nocturne. La disparition progressive de la lumière, un coucher de soleil intense, le crépuscule avec l'apparition des lumières artificielles des maisons et le scintillement des étoiles et de la Lune dans un ciel sombre, nourrissent son imagination et sa créativité

Technique

Van Gogh peignait sur des toiles souvent déjà apprêtées, qu'il pouvait réutiliser, soit en grattant l'œuvre précédente, soit en la recouvrant d'une nouvelle couche. Il employait cependant certains pigments instables, entraînant une modification des couleurs sous l'effet de la lumière, dont la laque géranium qui perd sa teinte rouge avec le temps. Les couleurs originelles sont donc perdus, posant des problèmes en termes de restauration : ainsi, les restaurateurs ont décidé, pour la Cambre datant de 1888, de ne pas recoloriser le tableau, se contentant de tenter de stopper les dégradations et de proposer un éclairage avec des filtres colorés pour restituer les teintes d'origine.

Mouvements artistiques et Van Gogh

Van Gogh a expérimenté plusieurs styles dans sa carrière artistique. Il a fini par créer un style qui lui est propre. Il croit que les peintures peuvent exprimer l'émotion et qu'elles ne sont pas qu'une imitation de la réalité.
Van Gogh découvre l'impressionnisme à Paris. Il adopte avec exaltation la peinture claire sans renoncer aux cernes de ses figures. Les trois artistes isolés, Van Gogh, Gauguin et Cézanne, tous influencés un moment par l'impressionnisme, constituent les figures majeures du postimpressionnisme. Van Gogh a également influencé la peinture postérieure et plus moderne, en particulier les mouvements tels que l'expressionnisme et le fauvisme. D'ailleurs, en Provence, il travaille dans un esprit qui annonce l'expressionnisme. Il contribue aussi à l'élaboration du symbolisme à travers sa volonté d'exprimer une émotion grâce à son art

Impressionnisme

L'impressionnisme est un mouvement pictural français né pendant la deuxième moitié du xixe siècle. Les grandes batailles du passé ou les scènes de la Bible, qui étaient jusque-là les sujets de prédilection des peintres, laissent leur place à des sujets de la vie quotidienne librement interprétés selon une vision personnelle. Les couleurs vives et les jeux de lumière gagnent de l'importance aux yeux des peintres de ce mouvement qui se veulent aussi réalistes. Ils s'intéressent à l'étude du plein air et font de la lumière l'élément essentiel de leurs peintures.
L'impressionnisme incarné par Monet, Manet, Renoir, Degas plutôt connu pour ses cadrages et perspectives est un point de départ pour le néo-impressionnisme de Seurat et Signac, maîtres du pointillisme, pour Gauguin et son école de Pont-Aven, pour Bernard et son cloisonnisme, pour Toulouse-Lautrec, Van Gogh ainsi que pour de nombreux postimpressionnistes, en France et à l'étranger. La série des vergers de Van Gogh, par exemple, montre une version variée d'impressionnisme avec toutes ses caractéristiques, c'est-à-dire la recherche de la lumière et de la couleur à travers les motifs de la nature. Ces peintres favorisent le travail à l'extérieur. Ils excluent le plus possible les gris et les noirs. Ils abandonnent le point de vue frontal et l'illusion de la profondeur. L'impressionnisme de Van Gogh se traduit par l'utilisation des effets de la lumière, les reflets qui expriment l'intensité lumineuse du moment. Chez lui, les couleurs sont perçues dans leurs contrastes de complémentaires, par exemple, le vert et le rouge créent une image complète. Quelques peintures de Van Gogh sont placées à l'exposition des indépendants avec celles des autres impressionnistes. L'artiste tient à ce que les tableaux de ces derniers soient connus aussi en Hollande et il est persuadé que leur valeur finira par être reconnue.

Postimpressionniste

Les jeunes peintres des années 1880 se trouvent face à l'impressionnisme qui marque leur époque. Ils réagissent de différentes façons. Jusqu'à la fin du siècle, différentes tendances novatrices coexistent. Le postimpressionnisme est l'ensemble de ces courants artistiques comme le néo-impressionnisme, le symbolisme, le mouvement nabi, etc. Dans l'histoire de l'art, le postimpressionnisme désigne donc une brève époque. Il regroupe entre autres Paul Cézanne, Vincent van Gogh, Paul Gauguin, Henri de Toulouse-Lautrec ou Georges Seurat qui avaient pour ambition de révolutionner la peinture. Le principal point commun de ces peintres est qu'ils refusaient le naturalisme. Van Gogh admire la volonté de dépasser la représentation de la réalité, comme il écrit à son frère à propos de Cézanne : …il faut sentir l'ensemble d'une contrée… Ils cherchaient à transmettre davantage à leur peinture.
À travers ses tableaux, Van Gogh rêve d'exprimer plus qu'une image : ses sentiments. À Auvers-sur-Oise, il écrit à son frère Theo et à sa belle-sœur : … et je ne me suis pas gêné pour chercher à exprimer de la tristesse, de la solitude extrême. … je croirais presque que ces toiles vous diront ce que je ne sais dire en paroles, ce que je vois de sain et de fortifiant dans la campagne.

Expressionnisme

Les prémices de l'expressionnisme apparaissent dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, avec pour précurseurs Van Gogh à partir de la fin 1887, ainsi que Edvard Munch notamment Le Cri, et James Ensor. Cependant, la dénomination expressionnisme a été utilisée pour la première fois par le critique d'art Wilhelm Worringer en août 1911. Van Gogh accentue ce mouvement après son arrivée à Arles en 1888, où le choc de la lumière méridionale le pousse à la conquête de la couleur : La Nuit étoilée ou les Oliviers. Par la dramatisation des scènes, la simplification, voire la caricature, qui caractérisent son œuvre des débuts à la fin, il annonce l'expressionnisme, où les peintres exposent sans pudeur la misère physique et morale. Les expressionnistes comme Ernst Ludwig Kirchner, Erich Heckel et Oskar Kokoschka s'inspirent de la technique de Van Gogh, le coup de pinceau brutal laisse des traces empâtées et granuleuses. Selon Octave Mirbeau, un des tout premiers admirateurs de Van Gogh, Ces formes se multiplient, s'échevèlent, se tordent, et jusque dans la folie admirable de ces ciels …, jusque dans les surgissements de ces fantastiques fleurs … semblables à des oiseaux déments, Van Gogh garde toujours ses admirables qualités de peintre.

Fauvisme

Le fauvisme est un mouvement pictural français qui s'affirme notamment entre 1905 et 1907. Les peintres désirent séparer la couleur et l'objet, donnant la priorité à l'expression des couleurs. Van Gogh en est un des précurseurs. Il a une influence sur les peintres fauves en montrant une palette de couleurs remarquable, notamment dans sa période arlésienne. Durant cette période, Van Gogh n'hésite plus à employer des couleurs vives et des juxtapositions de tons non conventionnelles avec, en particulier, l'usage des teintes complémentaires. Par cette utilisation de couleurs flamboyantes, Van Gogh est l'une des sources d'inspiration de plusieurs peintres fauves tels que Vlaminck ou Derain. Ainsi, dans les œuvres fauves, on retrouve les mêmes dispositions de couleurs que chez Van Gogh. Par exemple, dans la Partie de campagne ou La Seine à Chatou de Vlaminck, la proximité du rouge et du vert s'accentue comme dans le tableau Le Café de nuit de Van Gogh.

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Posté le : 29/03/2014 20:26
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Vincent Van Gogh 2 suite
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Symbolisme

Le symbolisme est un mouvement artistique qui s'exprime entre 1886 et 1900 dans plusieurs domaines. Gustave Moreau, Eugène Carrière, Edward Burne-Jones et Martiros Sergueïevitch Sarian sont parmi les peintres influençant ce mouvement. Le symbolisme est une réaction au naturalisme. Il s'agit de vêtir l'idée d'une forme sensible. Les symbolistes ne peignent pas fidèlement l'objet, contrairement aux naturalistes, mais recherchent une impression, une sensation, qui évoque un monde idéal ; ils privilégient l'expression des états d'âmes. Les symboles permettent d'atteindre la réalité supérieure de la sensibilité.
Dans une de ses lettres, Van Gogh exprime ce qu'il pense du symbolisme : ...toute réalité est en même temps symbole. Il mentionne également les artistes Millet et Lhermitte en relation avec le symbolisme. Ceci indique son approche positive pour le symbolisme et éclaircit ses propres intentions et inspirations. Il est dévoué à la réalité, pas à une réalité comme dans les photographes, mais à une réalité symbolique.
Le symbolisme recherchait dans le pouvoir du verbe l'essence de la poésie c'est-à-dire la poésie pure, celle qui dira comment sont faits l'esprit et le monde en lui révélant la structure idéale de l'univers. ... le Symbolisme invite la poésie à rejoindre la mystique. La quête de Van Gogh est identique, comme il l'écrit à son frère Theo : Et dans un tableau je voudrais dire quelque chose de consolant comme une musique. Je voudrais peindre des hommes ou des femmes avec ce je ne sais quoi d'éternel dont autrefois le nimbe était le symbole et que nous cherchons par le rayonnement même, par la vibration de nos colorations. Van Gogh emprunte et prépare ainsi les sentiers de la peinture moderne, de l'impressionnisme à l'expressionnisme.

Dessins

On connaît environ un millier de feuilles de l'artiste. Les techniques utilisées sont le crayon, la plume, l'encre, la craie, parfois colorisés à l'aquarelle. À partir de 1888, il emploie préférentiellement la plume de roseau, calame. Plusieurs de ses lettres comportent des croquis, reprenant certains tableaux.

Postérité, Reconnaissance

La veuve de Théo, Johanna Bonger, détient le rôle principal dans le processus de la valorisation de l'œuvre de Van Gogh. L'héritage de ce dernier lui est confié en 1891, après le décès de son époux. Cependant, il ne faut pas oublier que Van Gogh était connu et apprécié de son vivant. Il est connu que Van Gogh a vendu une toile, mais rien ne prouve qu'il n'en ait pas vendu d'autres. D'ailleurs, il confie cette charge à son frère, marchand d'art reconnu de l'époque et il échange plusieurs tableaux avec ses amis. Théo, qui n'a survécu que peu de temps à Vincent, organise une exposition de ses toiles dans son appartement, annoncée dans le Mercure de France en septembre 1890. Par la suite, Johanna réussit à transformer cette collection d'art méconnue en une collection de grande valeur.
Pour surmonter ces moments difficiles, Johanna déménage en Hollande où elle retrouve le soutien de sa famille. Dès février 1891, elle fait venir chez elle une grande partie des tableaux restants de Van Gogh depuis Paris. Elle fait assurer les 200 tableaux et les dessins pour une valeur de 2 600 florins. Elle commence ainsi à montrer et à placer des tableaux aux Pays-Bas, puis à lire et à classer les lettres de Vincent. Elle récupère aussi les lettres qu'Albert Aurier possédait. En effet, Theo lui avait envoyé quelques lettres afin d'en faire publier des extraits. Cette même année, Émile Bernard publie dans le Mercure de France les lettres que Vincent lui a envoyées. En 1914, Johanna parvient à publier les lettres de Van Gogh après avoir rédigé une introduction. D'un autre côté, à Paris, Le père Tanguy vend 13 peintures et un dessin. C'est le début d'un succès commercial qui se prolongera jusqu'à nos jours. À la fin du xixe siècle, afin de faire connaître Van Gogh, Johanna organise des expositions : une à La Haye, une à Rotterdam, trois à Amsterdam et une nouvelle à La Haye. Au début du XXe siècle, une vingtaine d'expositions honorent déjà l'œuvre de Van Gogh aux Pays-Bas. À Paris, le Salon des indépendants de 1901 a également un impact important sur la reconnaissance de Van Gogh grâce aux demandes provenant de nouveaux collectionneurs, comme Ivan Morozov et Sergueï Chtchoukine, et les travaux entrepris par la critique Jacob Baart de la Faille, tel son catalogue raisonné publié en 1928.
Les contacts que Johanna tisse avec des personnes influentes de son époque l'aident à s'imposer et à mieux faire connaître son beau-frère. Paul Cassirer est le premier à exposer et à vendre les œuvres de Van Gogh. Il en vend au moins 55, entre 1902 et 1911, d'une valeur totale de 50 000 florins. Ambroise Vollard organise aussi deux expositions dans sa galerie en 1895 et en 1896. Julien Leclercq rassemble 65 tableaux et 6 dessins pour une exposition à la Galerie Bernheim-Jeune. La valeur des œuvres de Van Gogh commence à augmenter considérablement. Johanna Bonger arrive à placer plus de 70 tableaux et une trentaine de dessins au Stedelijk Museum d'Amsterdam. En même temps, elle reçoit les amateurs chez elle pour leur montrer les tableaux qu'elle possède. L'énergie mise pour la reconnaissance de ces œuvres est finalement récompensée par une grande valeur marchande. La reconnaissance du travail effectué par Van Gogh se concrétise par l'acquisition d'une nature morte de tournesols, en 1924, par la National Gallery de Londres, au prix de 15 000 florins. La femme de Theo est la principale ambassadrice de ce phénomène jusqu'à sa mort en 1925. À partir de cette date, la valeur de ses œuvres ne cesse d'augmenter. Par exemple en 1930, l'exposition du Museum of Modern Art de New York reçoit 120 000 personnes.

Renommée

Les réflexions sur Van Gogh divergent selon le point de vue choisit. Par exemple, Salvador Dalí s'exprime ainsi en 1972 sur ce peintre qu'il n'aime pas : Van Gogh est la honte de la peinture française et de la peinture universelle… . Pour certains, sa vie, digne d’un héros romantique, en fait un mythe, celui du peintre incompris ou de l'artiste maudit. Il est pauvre, dépressif, asocial, au tempérament de feu, etc. Pour d'autres, Van Gogh est un artiste complexe, intelligent et cultivé. Sa peinture est le fruit d'un travail long, méticuleux, acharné et référencé. Quel que soit le point de vue choisi, Van Gogh est un peintre reconnu et admiré. Dans sa dernière lettre, trouvée dans sa poche le jour de son suicide, il écrit : Eh bien vraiment nous ne pouvons faire parler que nos tableaux.
Pour les historiens de l’art, Van Gogh est un précurseur qui a ouvert à la peinture de nouvelles voies. Par exemple, Derain et Vlaminck sont directement rattachés à l'art de Van Gogh par l'emploi de couleurs pures en larges touches. Pour les amateurs d'art, il reste un maître à l’égal de Léonard de Vinci ou de Rembrandt avec une production très importante et une trajectoire artistique fulgurante en durée et par ses styles. Pour le grand public, son œuvre est aujourd'hui accessible dans les plus grands musées


Vente des tournesols


Les Tournesols est le nom attribué à chacun des sept tableaux peints à Arles par Vincent van Gogh en août 1888 pour les quatre premiers tableaux qui composent la série proprement dite et en janvier 1889 pour les trois derniers, appelés les Répétitions.

Liminaire

Cette série de natures mortes se compose notamment de trois peintures semblables avec quinze tournesols dans un vase et deux peintures similaires avec douze tournesols dans un vase. C'est en août 1888, alors qu'il habitait à Arles en France que Van Gogh a réalisé le premier vase avec douze tournesols, qui est aujourd'hui exposé à la Neue Pinakothek à Munich en Allemagne, ainsi que le premier vase avec quinze tournesols, qui est maintenant à la National Gallery de Londres en Angleterre.
Les peintures montrent des tournesols dans toutes les étapes de leur vie, de la pleine floraison jusqu'au flétrissement. Les tableaux étaient innovateurs pour l'époque par l'utilisation d'un large spectre de jaunes rendue possible par l'invention de nouveaux colorants.
Au départ, Van Gogh a peint les premiers Tournesols pour décorer la chambre à coucher de son ami Paul Gauguin. En 1891, l'écrivain Octave Mirbeau en achète un au père Tanguy pour 300 francs soit 900 euros.
En mars 1987, même les personnes n'ayant aucune affinité pour l'art ont appris l'existence de la série Les Tournesols lorsque le magnat japonais de l'assurance, Yasuo Goto, a acheté l'un des tableaux pour l'équivalent de 40,8 millions d'euros lors d'une vente aux enchères chez Christie's à Londres, prix qui constituait à l'époque un record pour une œuvre de Van Gogh1. Achat qui d'ailleurs a fait écrire au chanteur Jean Ferrat une chanson, Les Tournesols. Il s'insurge contre la somme mirobolante consacrée à cet achat et pense à la misère dans laquelle a vécu Vincent van Gogh. Ferrat écrira aussi la chanson L'Homme à l'oreille coupée en son hommage.

Représentation

Des têtes échevelées et barbues, un œil, une bouche, des cœurs dans un vase : les Tournesols de van Gogh interpellent le spectateur comme des représentations humaines. Le peintre a composé son bouquet avec des fleurs à tous les stades de leur évolution : en bouton, épanouies, fânées, en graines… Chacun peut y voir une image de la vie qui passe, et c'est sans doute ce qui nous touche dans ces tableaux, et peut-être nous met un peu mal à l'aise.

Destruction du Vase avec cinq tournesols

Détruit le 6 août 1945 au cours d'un incendie avant la capitulation japonaise, le Vase aux cinq tournesols disparaît dans les flammes pendant un bombardement américain sur le Japon. Le tableau avait été acheté par Koyta Yamato en 1921. En 1922, le tableau est exposé à deux reprises, la seconde fois à Osaka. C'est au cours de cette seconde exposition que le cadre extrêmement lourd du tableau tombe, endommageant le châssis, sans heureusement toucher la peinture elle-même. Yamato refuse donc par la suite que le chef-d'œuvre soit à nouveau exposé. On pense que le lourd châssis a joué un rôle dans la destruction du tableau, au cours du bombardement américain, car il n'a pu être déplacé en raison du poids du cadre.

Série de toiles de Vincent Van Gogh 1888-1889 au musée Van Gogh, Amsterdam.

Vincent Van Gogh, les Tournesols
Van Gogh est parvenu à une époque de sa vie où il s'est convaincu que l'évolution de la peinture devait emprunter les voies de la couleur. Dès l'été 1887, à Paris, il a commencé à peindre des natures mortes représentant des tournesols. En prévision de la venue de Gauguin à Arles, il exécute une nouvelle série de tableaux destinés à décorer les murs de la chambre à coucher de son invité. Traités sans ombre ni modelé dans des jaunes poussés à leur limite extrême, les Tournesols constituent, selon l'aveu même de Gauguin, la marque de fabrique de Van Gogh.

Liens

http://youtu.be/uOIsIPH4xo0 La chambre de Van Gogh
http://youtu.be/HO5vlyks3E0 Sa vie Ina
http://youtu.be/vLULndkZ_lk Van Gogh au Borinage film
http://youtu.be/CUeIGjcpnHA Les post impressionistes Van Gogh
http://youtu.be/MZ_34QZP4p0 Van Gogh (Anglais)

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Paul Verlaine
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Le 30 Mars 1844 naît à Metz, royaume de France, Paul Marie Verlaine

poète du mouvement symbolisme donte les Œuvres principales sont "lLes Poèmes saturniens" en 1866
" LesFêtes galantes" en 1869, "Les Poètes maudits" en 1884, il meurt à 51 ans, à Paris, le 8 Janvier 1896

Partagé entre sensualité et mysticisme, Paul Verlaine connaît une vie difficile et parfois violente, qui s’achève prématurément dans l’alcool. Mais l’inventeur des Poètes maudits sait aussi chanter les amours rêveuses et la naïveté de l’enfance. Il donne à lire une poésie tantôt nostalgique et crépusculaire, tantôt vive et libre, animée par le ton parlé et par l'imprévu des rythmes impairs, qui contribua largement à libérer le vers. Par l’importance accordée à la musique et aux images, son œuvre porte une réforme de la poésie française. Son talent, son originalité fascineront, et les écoles d'avant-garde se réclameront de lui.

Le génie ne fait ni l'ange ni la bête. Il se mesure à l'homme. Du Socrate morne et du Diogène sali, qui tient du chien et de l'hyène, au meilleur poète de son temps, un poète comme pas deux dans un siècle, Verlaine occupe une place enviable. Pourtant il n'est ni Orphée ni le chien qui retourne à son vomissement. Il est homme, avec ses faiblesses et sa complexité, et sa couronne de lauriers, parfumée à la menthe et au thym et macérée dans l'absinthe. Si son œuvre se situe sous le signe de la gloire, sa vie s'inscrit sous celui de Saturne et comporte bonne part de malheur et bonne part de bile. De l'homme, Pauvre Lélian a connu toutes les défaillances et toutes les tristesses, tous les espoirs et tous les déboires. Il nous a livré son cœur, assoiffé de tendresse et meurtri par les déceptions ; et sa poésie y tient tout entière. C'est pourquoi ses vers émettent ce grand son humain où se reconnaît le véritable génie, cet ardent sanglot qui seul a le don de nous toucher et de nous émouvoir.
La publication des cinq premiers recueils de Verlaine, des Poèmes saturniens 1866 à Sagesse 1881, c'est-à-dire la partie la plus belle et la plus originale de son œuvre, ne souleva aucun enthousiasme chez le public et laissa la critique plutôt froide, sinon hostile. On reprocha à l'auteur sa tendance à l'affectation et à l'outrance, son goût de la bizarrerie prosodique et de la désarticulation du vers. On rechercha surtout les filiations et les influences ; on trouva chez lui des reflets de Victor Hugo, d'Alfred de Musset, de Ronsard, de cent autres ; on le traita de Baudelaire puritain... Personne ne saisit sa véritable originalité ; personne ne devina le drame intérieur dont elle était l'expression, ni les efforts du poète pour en camoufler les manifestations sous une façade d'impersonnalité pudique.

Il est certain qu'aucun écrivain ne fut plus sensible que lui aux influences du milieu et du moment, plus perméable aux courants littéraires et aux lectures de toutes sortes. Mais cette porosité, qui lui permit de former le substratum d'une riche culture littéraire, ne modifia en rien les traits dominants de sa personnalité par suite d'une grande souplesse intellectuelle et d'une puissance d'assimilation peu commune. En réalité, plus qu'aucun autre, Verlaine avait besoin d'intercesseurs littéraires pour déclencher en lui l'élan créateur, de tuteurs que son inspiration pût prendre comme points d'appui pour aller au-delà. Parfois ils agissaient comme de simples catalyseurs, par leur présence même. Mais, en général, ils provoquaient une tension littéraire éminemment propice à la création poétique, tension nullement incompatible avec l'état de rêverie qui est le fond de sa nature. Cet « instant à la fois très vague et très aigu, qui donne exactement la mesure de son inspiration, est précisément la conjonction de ces deux états. Grâce à elle, ses expériences personnelles, ou vitales, sources de ses rêveries, se muent en expériences poétiques et mobilisent les différentes acquisitions de la culture littéraire qui fournissent les outils d'expression.
Verlaine a rencontré, au début de sa carrière et jusqu'à son aventure avec Rimbaud, les intercesseurs spirituels ou littéraires dont il avait besoin : Baudelaire, Leconte de Lisle, Victor Hugo, Théophile Gautier, Glatigny, Catulle Mendès, Sainte-Beuve, François Coppée, Marceline Desbordes-Valmore, les Goncourt, Edgar Poe... Il a trouvé chez eux des aliments divers pour son cœur et pour son esprit, pour sa sensibilité et pour son imagination. Certains ont agi même comme intercesseurs à la fois poétiques et vitaux : Baudelaire et Rimbaud. Aussi peut-on dire que, par un curieux paradoxe, son originalité a éclaté d'autant plus vivement que les influences qu'il a subies ont été plus importantes, parce qu'alors il était soutenu par un haut idéal d'art et des tuteurs puissants qui ont permis à ses dons naturels de s'épanouir par une sorte d'émulation l'empêchant de se laisser aller à sa facilité.

Sa vie.

Après treize ans de mariage, Nicolas-Auguste Verlaine originaire du Luxembourg, militaire de carrière, capitaine du génie, et son épouse Élisa Stéphanie Dehée originaire du Pas de Calais donnent naissance à un fils le 30 mars 1844, au 2, rue de la Haute-Pierre, à Metz. Ils le prénomment Paul. Et plus précisément Paul Marie pour rendre hommage à la Vierge Marie pour cette naissance tardive : cet enfant était espéré depuis 13 ans, Élisa ayant fait auparavant trois fausses couches et gardant dans des bocaux d'alcool sur la cheminée familiale les fœtus dont il est le sosie. Catholiques, ils le font baptiser en l'église Notre-Dame de Metz. Paul Verlaine restera le fils unique de cette famille de petite-bourgeoisie assez aisée qui élève aussi depuis 1836 une cousine orpheline, prénommée Élisa.
Son père, atteint le grade de capitaine avant de démissionner de l'armée en 1851 : la famille Verlaine quitte alors Metz pour Paris. Enfant aimé et plutôt appliqué, Paul Verlaine devient un adolescent difficile, il est mis en pension par sa famille et obtient son baccalauréat en 1862.

Entrée dans la vie adulte

C'est durant sa jeunesse qu'il s'essaie à la poésie. En effet, en 1860, la pension est pour lui source d'ennui et de dépaysement. Admirateur de Baudelaire, par conséquent de la poésie symboliste, et s'intéressant à la faune africaine, il exprime son mal-être dû à l'éloignement de son foyer, à travers une poésie dénuée de tout message si ce n'est celui de ses sentiments, Les Girafes.
"Je crois que les longs cous jamais ne se plairont
Dans ce lieu si lointain, dans ce si bel endroit
Qui est mon Alaska, pays où nul ne va
Car ce n'est que chez eux que comblés ils seront".

Ce court poème en quatre alexandrins reste sa première approche sur le domaine poétique, même s'il n'est publié qu'à titre posthume. Bachelier, il s'inscrit en faculté de Droit, mais abandonne ses études, leur préférant la fréquentation des cafés et de certains cercles littéraires parisiens comme les Vilains Bonshommes. Il s'intéresse plus sérieusement à la poésie et, en août 1863, une revue publie son premier poème connu de son vivant: Monsieur Prudhomme, portrait satirique du bourgeois qu'il reprendra dans son premier recueil. Il collabore au premier Parnasse contemporain et publie à 22 ans en 1866 les Poèmes saturniens qui montrent l’influence de Baudelaire, mais aussi une musique personnelle orientée vers la Sensation rendue. En 1869, paraît le petit recueil Fêtes galantes, fantaisies inspirées par les toiles des peintres du XVIIIe siècle que le Louvre vient d'exposer dans de nouvelles salles.
Dans la même période, son père, inquiet de son avenir, le fait entrer en 1864 comme employé dans une compagnie d'assurance, puis, quelques mois plus tard, à la mairie du 9e arrondissement, puis à l'Hôtel de ville de Paris. Il vit toujours chez ses parents et, après le décès du père en décembre 1865, chez sa mère avec laquelle il entretiendra une relation de proximité et de violence toute sa vie. Paul Verlaine est aussi très proche de sa chère cousine Élisa, orpheline recueillie dès 1836 et élevée par les Verlaine avec leur fils : il souhaitait secrètement l'épouser, mais elle se marie en 1861 avec un entrepreneur aisé, il possède une sucrerie dans le Nord) ce qui permettra à Élisa de l'aider à faire paraître son premier recueil, Poèmes saturniens, 1866. La mort en couches en 1867 de celle dont il restait amoureux le fait basculer un peu plus dans l'excès d'alcool qui le rend violent : il tente même plusieurs fois de tuer sa mère. Celle-ci l'encourage à épouser Mathilde Mauté qu'un ami lui a fait rencontrer : il lui adresse des poèmes apaisés et affectueux qu'il reprendra en partie dans la Bonne Chanson, recueil publié en 1872. Le mariage a lieu le 11 août 1870 Paul a 26 ans et Mathilde, 17 et un enfant, Georges, naîtra le 30 octobre 1871.

Le tumulte Rimbaud 1872-1875

Cependant la vie de Paul Verlaine se complique durant la période troublée de la Commune de Paris que soutient le jeune poète qui s'est engagé dans la garde nationale sédentaire, où il est de garde une nuit sur deux dans un secteur calme. Il fuit Paris pour échapper à la répression versaillaise et est radié de l'administration. Sa vie sans horizon devient tumultueuse après la rencontre en septembre 1871 d'Arthur Rimbaud avec lequel il va vivre une relation amoureuse conflictuelle jusqu'en 1873.
Ruinant son mariage avec Mathilde qu'il frappe et viole après s'être saoulé à l'absinth et qui entame une procédure de séparation qui sera prononcée le 24 avril 1874 le divorce sera prononcé en 1885 : la loi Naquet qui le rétablit date du 27 juillet 18848, Paul Verlaine vit par intermittence avec Arthur Rimbaud : leur relation affichée fait scandale et la violence de Rimbaud crée aussi le tumulte dans le cercle des poètes zutiques où Verlaine l'a introduit, et finalement le pauvre Lelian anagramme de Paul Verlaine comme il se nomme lui-même, part pour Londres avec l'époux infernal en juillet 1872, sa femme rompant de fait définitivement avec lui.
Durant des mois de vie errante en Angleterre et en Belgique qui nourriront le recueil Romances sans paroles se succèdent séparation et retrouvailles avec Rimbaud d'une part et tentatives de retour à sa famille où sa mère ne l'abandonne pas. L'épisode Rimbaud s'achève au cours d'une dispute le 9 juillet 1873 à Bruxelles, par les coups de revolver de poche Lefaucheux de Paul Verlaine qui, craignant de voir s'éloigner son amant, blesse superficiellement Arthur au poignet gauche : incarcéré le jour même dans un centre de détention provisoire, il est inculpé pour son geste et stigmatisé pour son homosexualité. Il est condamné à deux ans de prison le 8 août 1873 même si Rimbaud a retiré sa plainte, la pédérastie étant un élément aggravant. La sentence est confirmée en appel le 27 août 1873 et Verlaine est incarcéré à la prison de Bruxelles. À la prison de Mons où il est transféré en octobre 1873, Verlaine retrouve la foi catholique et écrit des poèmes en prose qui prendront place dans ses derniers recueils Sagesse en 1880, Jadis et Naguère en 1884, Parallèlement en 1889 et Invectives en 1896, puis dans les Œuvres posthumes. La composition en prison de trente-deux poèmes poésie naïve et savante teintée de lyrisme romantique, elle évoque sa crise d'identité, insérés dans ces recueils, est issu d'un manuscrit autographe datant de 1873-1875, intitulé Cellulairement, entré dans le Musée des lettres et manuscrits depuis 2004 et classé trésor national depuis le 20 janvier 2005.
Libéré le 16 janvier 1875 avec une remise de peine de presque une année pour bonne conduite, Verlaine tente en vain une réconciliation avec Mathilde qui obtiendra finalement le divorce et la garde de son enfant en mai 18858. Il passe deux jours et demi avec Rimbaud à Stuttgart reniant son dieu : c'est leur dernière rencontre et Rimbaud remet à Verlaine le texte des Illuminations que Verlaine fera publier en 1886.
Il gagne ensuite sa vie comme professeur à Londres, puis en France à Rethel où il noue une relation équivoque avec un de ses élèves, Lucien Létinois.
Cette amitié particulière qui dure de 1877 à la mort de Lucien en 1883 les mène à une vie instable en Angleterre, puis dans les Ardennes où Verlaine a acheté une ferme avec l'argent de sa mère.

La période Lucien Létinois

En mars 1875, Verlaine s'installe à Londres comme professeur de grec, latin, français et dessin, et passe ses vacances avec sa mère. Il rencontre Germain Nouveau, un ancien ami de Rimbaud et enseigne ensuite dans différentes villes anglaises avant de revenir en France en juin 1877. À la rentrée d'octobre, il occupe un poste au collège Notre Dame de Rethel, où il entame une liaison équivoque avec un de ses élèves, Lucien Létinois. Chassés du collège en septembre 1879, Paul et Lucien partent pour l'Angleterre, où Verlaine enseigne de nouveau. Ils reviennent en France et s'installent en mars 1880 à Juniville, dans le sud du département des Ardennes, où Paul Verlaine achète avec l'argent de sa mère une ferme pour les parents de Lucien, fermiers au village voisin de Coulommes-et-Marqueny ; c'est un échec et le poète revend la propriété à perte en janvier 1882 l'auberge, en face de l'endroit où il demeurait, est aujourd'hui un musée Verlaine. Leur aventure devient incertaine : Lucien part avec ses parents qui emménageront finalement à Ivry-sur-Seine et Paul rentre à Paris. La mort de Lucien Létinois à 33 ans, frappé par la fièvre typhoïde, en avril 1883, met un point final à l'épisode : Verlaine, désespéré de la perte de son fils adoptif, lui consacrera 25 poèmes placés à la fin du recueil Amour 1888.

La déchéance

Rentré à Paris en 1882, Verlaine essaie en vain de réintégrer l'administration, mais il renoue avec les milieux littéraires et publie en 1884 son essai remarqué sur les Poètes maudits et le recueil Jadis et naguère qui reprend des poèmes écrits une décennie plus tôt et que couronne Art poétique, publié en revue en 1874 où Verlaine revendique un art Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Il est alors reconnu comme un maître et un précurseur par les poètes partisans du symbolisme ou du décadentisme, et dans son roman À rebours paru en 1884, J.-K. Huysmans lui réserve une place prééminente dans le Panthéon littéraire de Des Esseintes. À partir de 1887, sa célébrité dépasse même les cercles littéraires : le jeune compositeur Reynaldo Hahn chantera dans le salon d'Alphonse Daudet, devant le poète, son premier cycle de mélodies, les Chansons grises, qui regroupe sept poèmes de l'auteur. En 1894, il est désigné comme Prince des Poètes, mais sa figure est celle de la déchéance physique et sociale.
Détruit par l'alcool et les crises de violence, il fera un mois de prison en 1885 pour avoir une nouvelle fois tenté d'étrangler sa mère près de laquelle il vit toujours et qui mourra le 21 janvier 1886, vivant des amours misérables, il a une fin de vie de quasi-clochard, entre cafés et hôpital, soutenu par quelques subsides publics ou privés et donnant quelques conférences. Il ne produit plus guère que des textes d'occasion comme des poèmes érotiques, voire pornographiques. Souffrant de diabète, d’ulcères et de syphilis, il meurt d'une congestion pulmonaire le 8 janvier 1896 à 51 ans au 39 rue Descartes dans le Ve arrondissement de Paris15. Ses obsèques ont lieu le 10 janvier 1896 en l'église Saint-Étienne-du-Mont et il est inhumé dans la 20e division du cimetière des Batignolles à Paris, une zone qui se trouve actuellement en dessous du boulevard périphérique. En 1989, sa tombe a été transférée dans la 11e division, en première ligne du rond-point central16.
Avec cette vie en complète rupture avec la morale bourgeoise de son temps, Paul Verlaine est devenu une figure emblématique du poète maudit, comme Arthur Rimbaud qu'il a fait connaître et qui est mort le 10 novembre 1891.

L’œuvre de Paul Verlaine

Paul Verlaine est avant tout un poète : son œuvre offre moins d'une dizaine de courts recueils publiés entre 1866 et 1890, mais les poèmes ont été écrits pour l'essentiel avant 1880, c'est-à-dire entre 22 et 35 ans. Les textes ultérieurs sont très inégaux et souvent de caractère alimentaire.
Ses textes en prose sont tardifs et surtout autobiographiques Les Mémoires d'un veuf, 1886, Mes Hôpitaux, 1891, Mes Prisons 1893. Son essai sur Les Poètes maudits (1884 tient cependant une grande place par les découvertes qu'il contient : Tristan Corbière, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé, et dans la seconde édition, parue en 1888, Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de l'Isle-Adam et Pauvre Lelian anagramme de Paul Verlaine.
La carrière poétique de Paul Verlaine s'ouvre avec les Poèmes saturniens de 1866, bref recueil de 25 poèmes qui rencontre peu d'écho mais Verlaine s'annonce comme un poète à la voix particulière, jouant subtilement sur les mètres pairs et impairs, les rythmes rompus et les formes courtes dont le sonnet.
Se plaçant sous la sombre égide de Saturne, il cultive une tonalité mélancolique qui fait de certains poèmes des incontournables de la poésie lyrique Mon rêve familier, «tes, se présente au premier abord comme un recueil de fantaisies à la manière de Watteau dans lesquelles Verlaine multiplie les jeux de prosodie, mais le sentiment de l'échec et de la vanité des jeux amoureux des petits marquis et des Colombines colore peu à peu le recueil, jusqu'au poème final, le célèbre Colloque sentimental où Dans le vieux parc solitaire et glacé … /L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir..
La Bonne chanson paraît en 1872, mais l'édition était prête dès 187020. Il s'agit de 21 poèmes dédiés à sa fiancée Mathilde et écrits pendant l'hiver 1869 et au printemps 1870 qui constituent une chanson ingénue , plutôt convenue et sans doute un peu mièvre. Citons en exemple une strophe du poème XIX :Donc, ce sera par un clair jour d’été : /Le grand soleil, complice de ma joie, /Fera, parmi le satin et la soie, /Plus belle encor votre chère beauté.
Il n'en va pas de même des poèmes écrits dans les années du tumulte qu'apporte Arthur Rimbaud dans la vie de Paul Verlaine : une part de ceux-ci est regroupée dans Romances sans paroles, bref recueil de 21 courts poèmes, qui est publié en 1874 pendant son séjour en prison en Belgique. Une touche nouvelle apparaît, plus dynamique avec des instantanés nourris des souvenirs amoureux et des impressions reçues lors de la vie errante avec l'homme aux semelles de vent en Belgique et en Angleterre Quoi donc se sent ? /L’avoine siffle. /Un buisson gifle /L’œil au passant. Charleroi. Les sous-titres comme Ariettes oubliées ou Aquarelles renvoient à des mélodies légères Il pleure dans mon cœur /Comme il pleut sur la ville, Ariettes oubliées, III et à des choses vues, Verlaine notant comme un peintre impressionniste la correspondance entre les états d'âme et les paysages : L’ombre des arbres dans la rivière embrumée /Meurt comme de la fumée, /Tandis qu’en l’air, parmi les ramures réelles, /Se plaignent les tourterelles. / Combien, ô voyageur, ce paysage blême /Te mira blême toi-même, /Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées /Tes espérances noyées ! » Romances sans paroles, « Ariettes oubliées, IX.
Sagesse 1881 comporte un plus grand nombre de poèmes plus amples et montre une autre voie. Verlaine revient sur son parcours douloureux avant de montrer sa transformation mystique quand il retrouve la foi catholique, Ô mon Dieu vous m'avez blessé d'amour , II, sans faire disparaître son mal de vivre, Je ne sais pourquoi/Mon esprit amer /D'une aile inquiète et folle vole sur la mer.Sagesse, III, 7, qui associe des vers impairs de 5, 9 et 13 syllabes et la fonction du refrain avec une grande force suggestive Et l’air a l’air d’être un soupir d’automne, /Tant il fait doux par ce soir monotone /Où se dorlote un paysage lent.Le son du cor s’afflige vers les bois… III.
Jadis et naguère de 1884 est un recueil de 42 pièces assez disparate qui reprend pour l'essentiel des poèmes écrits plus de dix ans plus tôt. Il comporte le célèbre Art poétique qui proclame dès le premier vers les choix de Verlaine : De la musique avant toute chose/Et pour cela préfère l'impair/Plus vague et plus soluble dans l'air, /Sans rien en lui qui pèse ou qui pose ». On y trouve aussi le poème Langueur, À la manière de plusieurs, et ses fameux premiers vers : Je suis l'Empire à la fin de la décadence/Qui regarde passer les grands barbares blancs/En composant des acrostiches indolents, /D'un style d'or où la langueur du soleil danse, qui furent reconnus comme fondateurs par les décadentistes.
Verlaine a également publié d'autres recueils mineurs qui cultivent souvent une veine érotique comme Parallèlement 1889 ou plus encore Hombres 1891.
Poète de la confidence, de la musicalité et de la suggestion, Verlaine a pu se voir reprocher sa complaisance pour la mélancolie d'homme malheureux, Pauvre Lelian dit-il en parlant de lui, J'ai perdu ma vie conclut-il dans Parallèlement, Révérence parler, Iet sa langueur décadente, et on a pu aussi critiquer sa fadeur. Néanmoins cette voix dont on retient les murmures constitue une des formes importantes du renouveau poétique dans le dernier tiers du XIXe siècle et son influence sera grande, à travers les symbolistes comme Jean Moréas et les décadentistes, et le poète aura de nombreux héritiers comme Guillaume Apollinaire qui tend une main à Verlaine Michel Décaudin avant de s'ouvrir à d'autres modernités.
Paul Verlaine, poète bisexuel, aborde dans son œuvre les amours hétérosexuels comme homosexuels y compris l'homosexualité féminine.

Son œuvre laisse une empreinte forte, à la transition du mouvement parnassien et du symbolisme. En livrant à ses contemporains un Art poétique, publié dans Jadis et naguère, 1884, Verlaine affirme une esthétique. De la musique avant toute chose, décrète-t-il, ouvrant la voie à une génération de disciples, hommes de lettres comme lui mais aussi compositeurs – à l’instar de Claude Debussy ou de Gabriel Fauré, qui appliquent des mélodies à ses textes.
Cependant la poésie de Verlaine n’est pas dans la révolte. Elle ne se résume pas non plus à un idéal formel. Au long de plus de vingt recueils, Verlaine déploie une sensibilité singulière, candide et tendre, souvent mélancolique. La liberté de la langue et du vers, garante de la Musique, y trouve sa justification : le poète se propose de dépasser l’analyse de ses impressions, de façon à pleinement les traduire et les exprimer.

La musique de l’intime Le vers impair

Verlaine l’a lui-même signalé, une clef de son art se trouve dans l’emploi privilégié du vers impair, Art poétique. Impair, c’est-à-dire composé d’un nombre impair de syllabes, à la différence du vers français classique comme l’octosyllabe ou comme le décasyllabe, huit et dix syllabes, et surtout à la différence de l’alexandrin douze syllabes.
« Dans le brouillard rose et jaune et sale des Soho, Sonnet boiteux , Jadis et naguère, 1884 ; La tristesse, la langueur du corps humain, Sagesse, 1881 : avec de tels vers de treize syllabes et de onze syllabes, en subtil décalage avec la mesure ordinaire, Verlaine sollicite l’attention de son lecteur. L’équilibre et le balancement traditionnel du vers, fondé sur la division de celui-ci en deux parties d’égale longueur, laisse place à une cadence inconnue.
Rimes, rythmes et sons
De la même manière que le vers impair brise la routine du discours, l’atténuation de la rime soustrait la poésie aux repères sonores habituels.
« Ô qui dira les torts de la Rime », lance Verlaine, « ce bijou d’un sou / Qui sonne creux et faux sous la lime Art poétique ! Cinglant, le poète pourtant ne franchit jamais la limite du vers libre vers non rimé.
De fait, il s’agit avant tout pour Verlaine de se démarquer de la convention qui consiste à coupler les vers deux par deux, à travers la répétition du dernier pied. Verlaine multiplie les enjambements, qui soumettent le rythme poétique au sens des phrases et non à la régularité des vers :
« Le Printemps avait bien un peu /
Contribué, si ma mémoire /
Est bonne, à brouiller notre jeu
En patinant , Fêtes galantes, 1869.
Mais il ne renonce pas à des effets harmoniques fondés sur la répétition de syllabes ou de sons, allitérations à l’intérieur et tout au long des vers : L'or, sur les humbles abîmes / Tout doucement s'ensanglante, Bruxelles. Simples fresques , Romances sans paroles, 1874.
Il en résulte un climat indécis ou improvisé, comme si Verlaine adoptait une dominante sonore, sans toutefois parvenir à bien articuler et caler ses phrases : selon la formule de Paul Valéry, on croirait qu’il tâtonne Paul Valéry, Villon et Verlaine , Conferencia, 15 avril 1937.
Refus de la déclamation
Antoine Watteau, la Gamme d'amour
La poésie de Verlaine n’est sans doute pas faite pour être dite, mais murmurée ou chantée, Prends l’éloquence et tords-lui son cou ! : Art poétique. Car cette poésie exalte une voix, la voix modulée et sinueuse de l’homme blessé. Le retour sur soi et la nostalgie Fêtes galantes ; Jadis et naguère suscitent un univers tout en demi-teintes, délicates et obstinées :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Mon rêve familier,
Poèmes saturniens, 1866.
Et c’est dans ce ton nouveau que résident la véritable originalité et l’apport de Verlaine.

Une poésie de l’évocation

Naïf, décadent ou primitif ?
Paul Verlaine, Poèmes saturniens
L’hypothèse d’un poète gauche ou naïf Paul Valéry, Villon et Verlaine, permet de replacer Verlaine et sa musicalité particulière dans une dynamique historique. Naïf , ou peut-être décadent, comme l’écrit encore Valéry, qui voit sous l’apparente maladresse de Verlaine une réaction contre une forme dont les perfections lui sont devenues fastidieuses. Cette maladresse de Verlaine, en effet, contraste avec la pureté cristalline de Théophile Gautier, de Théodore de Banville ou de Leconte de Lisle, les maîtres qu’à ses débuts il côtoie au Parnasse contemporain.
Mais au-delà du décadent, il y a aussi un primitif P. Valéry. Le refus d’une poésie froide et impersonnelle, soumise à un culte de la forme fixe, reflète le souci qu’a Verlaine d’accorder la première place à ses émotions. Des émotions qui ne sont guère analysées et rattachées à des causes, mais plutôt traduites en un flux continu. Lorsque paraissent ses Poèmes saturniens 1866, Verlaine revendique un effort vers l'Expression, vers la Sensation rendue, ainsi qu'il l'écrit dans une lettre à Stéphane Mallarmé, le 22 novembre 1866.
Symbolisme
C’est dans une région de lui-même difficile d’accès, là où l’inquiétude résiste à l’analyse, que Verlaine puise la substance de son art. Le poète mobilise moins l’intelligence que l’intuition, car son but n’est pas de comprendre ou d’expliquer, mais de suggérer.
Dès lors le sentiment devient un véritable saisissement. La richesse de la langue poétique se mesure à l’ampleur des correspondances qu’elle appelle, à la profondeur des impressions qu’elle provoque. Et cette langue toute de nuances – car « la nuance seule fiance / Le rêve au rêve Art poétique – abonde d’images aux résonnances décalées : les symboles.
Lyrisme et mystique
Henri Fantin-Latour, Un coin de table
Couronné Prince des Poètes par ses pairs 1894, Verlaine fait figure avec Stéphane Mallarmé de principal précurseur du symbolisme. Son engagement cependant n’est pas celui d’un chef d’école, et la subjectivité qu’il affiche est ambiguë.
Nombre de poèmes composant le recueil Sagesse montrent que la subtilité impressionniste se complique chez lui d’une aspiration religieuse, échappant aux catégories ordinaires. Si bien que la dimension lyrique et autobiographique apparaît finalement comme l’une des plus caractéristiques de son œuvre, entre regret de l’enfance perdue et fascination de l’amour Romances sans paroles.

Verlaine a rencontré, au début de sa carrière et jusqu'à son aventure avec Rimbaud, les intercesseurs spirituels ou littéraires dont il avait besoin : Baudelaire, Leconte de Lisle, Victor Hugo, Théophile Gautier, Glatigny, Catulle Mendès, Sainte-Beuve, François Coppée, Marceline Desbordes-Valmore, les Goncourt, Edgar Poe... Il a trouvé chez eux des aliments divers pour son cœur et pour son esprit, pour sa sensibilité et pour son imagination. Certains ont agi même comme intercesseurs à la fois poétiques et vitaux : Baudelaire et Rimbaud. Aussi peut-on dire que, par un curieux paradoxe, son originalité a éclaté d'autant plus vivement que les influences qu'il a subies ont été plus importantes, parce qu'alors il était soutenu par un haut idéal d'art et des tuteurs puissants qui ont permis à ses dons naturels de s'épanouir par une sorte d'émulation l'empêchant de se laisser aller à sa facilité.

Actes de foi et hérésies poétiques

À la lumière de ces considérations, l'œuvre de Verlaine apparaît comme une série de tentatives et de renoncements, d'actes de foi et d'hérésies, commandés, d'une part, par les lectures entreprises et les milieux fréquentés et, de l'autre, par les drames personnels et les états psychologiques du poète, mais obéissant à un temps propre purement intérieur, celui de son paysage de rêve.

Sur les expériences sensibles de son enfance s'est greffée une éducation classique et ronsardisante franco-latine vite déviée dans le sens d'une culture originale par la découverte du baroque et du précieux, du marivaudage et du gongorisme, par la lecture des poètes mineurs des XVIIe et XVIIIe siècles, c'est-à-dire de tout ce qui s'inscrit dans le sens d'une hérésie.

Dans la seconde étape de son adolescence, celle des premiers poèmes saturniens, il découvre le romantisme sous ses multiples aspects : politique et oratoire de Hugo, pittoresque de Gautier et d'Aloysius Bertrand, révolté de Petrus Borel et de Philothée O'Neddy lycanthropie, intériorisé de Baudelaire. La lecture des Fleurs du mal est le fait capital de cette phase : Baudelaire apparaît comme le premier tuteur, à la fois littéraire et spirituel, un frère en génie, qui révèle Verlaine à lui-même. Son influence se manifeste dans tous les domaines et imprègne les Poèmes saturniens. Mais cette phase est également hérétique : le romantisme verlainien est plus intérieur, plus subtil, plus concentré, et son goût de l'allusion s'inscrit en faux contre l'éloquence et la prose. De plus, l'action de Baudelaire dévie vers les côtés extérieurs du baudelairisme et vers une interprétation hérétique du sonnet des Correspondances, réduites aux seules correspondances sensibles. Cette déviation se produit chez Verlaine sous l'impulsion d'un génie très personnel, qui a pris conscience de lui-même en découvrant l'immanence de la sensation et le pouvoir incantatoire du rêve.

Dans les milieux parnassiens, sous la multiplicité des influences qui s'exercent sur lui, il se révèle essentiellement polyvalent et riche de possibilités. D'un autre côté se situe une expérience vitale décisive : son amour secret pour sa cousine Elisa Moncomble, qui oriente son génie dans une double direction : lyrisme sentimental et élégiaque de Mélancholia, et lyrisme féerique des Fêtes galantes 1869. Pour cacher cet amour impossible, Elisa est comme une sœur aînée et quasi irréel, la réalité risque de ternir sa pureté, le Parnasse servait admirablement son génie : Verlaine pratique ce que l'on pourrait appeler une « poésie-masque ». Mais ce parnassien est également dissident et hérétique. Dans ses poèmes impersonnels transparaît une sensibilité inquiète et nerveuse qui a peine à se dominer, et l'émotion contenue sous une façade de froideur vibre entre les vers. Le rythme extérieur seul est parnassien, mais le rythme interne est tout personnel et traduit un rêve d'amour, matérialisé un moment par la magie de l'art, dans un paysage enchanté, peuplé d'un monde chimérique et situé aux confins de l'irréel : les Fêtes galantes sont une impasse de génie et un paradoxe. Tentative de fuite et de guérison par l'art après la mort d'Elisa, étroitement unie à son paysage intérieur et commandée par la lecture de nombreux poèmes et études sur le XVIIIe siècle, qui marquent un goût collectif à cette époque, cette évasion littéraire s'est soldée par un échec sur le plan vital. Mais la confluence des sources a créé une forte tension esthétique qui s'est traduite par la forme impeccable du recueil.

Après les Fêtes galantes s'ouvre une période en deux temps de désarroi esthétique, une conversion au réel et au social, puis au vrai, selon le mot de Hugo, celle des Vaincus en particulier, marquée par des tentations poétiques impures et une recrudescence du réalisme, et celle de La Bonne Chanson 1870, régie par une expérience vitale importante qui exorcise le rêve et la hantise d'Elisa : ses fiançailles avec Mathilde Mauté et sa cour poétique. Cette conversion au bien, à la joie, à la santé morale, les efforts qu'il fit pour unir en un même intercesseur la fiancée et la muse, furent néfastes au point de vue poétique. Éloigné des milieux littéraires et de l'émulation salutaire, il se trouve isolé dans un amour bourgeois solidement attaché au réel. Aussi la menace du prosaïsme, la tentation de la fausse éloquence, de la rhétorique, de la déclamation oratoire l'emportent-elles sur le raffinement de la préciosité. Sauf quelques rares et exquises réussites, La Lune blanche.
Cette phase où risquait de sombrer son génie prend fin avec l'arrivée de Rimbaud. Expérience capitale, celle du fils du Soleil : tentative poétique pour atteindre l'inconnu, l'ineffable, l'inouï ; tentative morale pour unir le bien et le mal. Un seul intercesseur à la fois poétique et vital : Rimbaud. Impure sur le plan moral, cette expérience l'a purifié au point de vue poétique. C'est pourquoi les Romances sans paroles 1874, fruit de cette conjonction unique, résonnent si profondément, si mystérieusement. Mais Verlaine est incapable de suivre son ami jusqu'au bout ; il voit en lui moins le Prométhée voleur de feu que l'ami au visage d'ange en exil. Ne croyant pas à la vertu libératrice et rédemptrice de la poésie, il charge d'impuretés une expérience qui dépasse ses possibilités. Un parallèle entre Crimen amoris et Soir historique démontrerait l'hérésie de cette tentative.

Le coup de feu de Bruxelles met fin à cette aventure dans l'abstrait, et aussi, hélas ! à la tentative merveilleuse de renouvellement poétique.

Avec la conversion, c'est de nouveau l'isolement et le désarroi poétique, chargé des germes aigus de la décadence. Dans le silence de sa cellule, Verlaine fait le procès de son aventure et de son art dans les Récits diaboliques 1873 ; sa vie en marge du réel lui paraît comme un chemin de perdition. Il renie son « brûlant » passé poétique et son esthétique profane, et demande désormais au vrai le chemin du salut. Mais la religion avec son conceptualisme ne peut constituer une nouvelle esthétique. De plus, ses expériences vitales sont antipoétiques : prison, jugement de séparation, exil en Angleterre, maladie. S'il écrit au début, dans les transes de la rédemption, les sublimes poèmes de Sagesse, les Sonnets au Christ et les litanies à la Vierge, qui sont le chef-d'œuvre de la poésie catholique, c'est par suite de l'élan acquis et du coup de fouet de la grâce. Mais tout dénote une perturbation profonde, tout annonce l'effondrement prochain entre 1876 et 1880. Le meilleur et le pire voisinent dans Cellulairement.

Les nouveaux intercesseurs ne peuvent remplacer les anciens : la grâce n'est pas la muse, le Christ est un intercesseur vital et non plus poétique ; la boisson, qui aurait pu lui ouvrir à nouveau les portes du rêve et du paradis perdu, ne fait qu'aggraver le mal ; les jeunes poètes qui se pressent autour de lui sont des disciples et non plus des maîtres. Dans l'inspiration religieuse Amour, 1888 ; Bonheur, 1891 ; Liturgies intimes, 1892, il fera des transpositions du catéchisme, des démarquages en vers des livres de piété, et dans l'inspiration profane, à part quelques réussites très osées dans Parallèlement 1889, il se délaye, en plusieurs volumes, dans un fatras indigeste. Voulant mener de front les deux inspirations, il sombre dans une double et dernière hérésie.

Poète de l'individuel

Malgré son polymorphisme et ses nombreux avatars, malgré toutes les influences qu'il a subies, Verlaine est demeuré foncièrement original avant tout par l'individualité de son inspiration. Il n'a rien écrit qui fût étranger à sa vie et à ses émotions. C'est son moi sous ses multiples aspects et dans ses diverses manifestations qui forme la trame de ses vers et la substance de son œuvre. Mais cet héritier des romantiques diffère de ses devanciers par son éducation parnassienne ; il en a gardé la honte de l'étalage intempestif et une certaine pudeur qui l'a préservé du moins dans les premiers recueils de la dramatisation des sentiments en vue de toucher le lecteur. Ennemi de l'emphase et de l'éloquence, il est dans l'expression de la passion et de la douleur d'une naïveté candide qui surprend et qui attire. Ses poèmes les plus poignants, les plus déchirants, sont des chansons, des ariettes, des fêtes galantes, des colloques sentimentaux, sans rien en eux qui pèse ou qui pose.

Aussi les thèmes généraux, auxquels il a échappé d'ailleurs en grande partie se caractérisent-ils chez lui par des traits qui lui sont propres : simplicité, douceur, tendresse, légèreté, mélancolie, le tout relevé d'un grain de subtilité ironique et de sensualité voilée. De plus, il les a réduits à sa mesure. Dédaignant les longs développements romantiques ou parnassiens, fidèle au « principe poétique » d'Edgar Poe, il les a concentrés en de menus poèmes, au mètre court, au dessin imprécis, au rythme alangui, qui, au lieu d'aller de strophe en strophe vers une plus grande précision, perdent de leur netteté et de leur relief, se voilent d'irréalité et se chargent de musique.

Enfin son nom reste attaché à certains thèmes qu'il a traités avec une maîtrise si parfaite qu'ils relèvent désormais de l'épithète « verlainien » : « paysages tristes » des Poèmes saturniens, chargés de tous les frémissements de la vie intérieure du poète ; « paysages impressionnistes » des Romances sans paroles, formés de notations directes rendues dans toute leur fraîcheur ; « fêtes galantes » qu'il a portées à leur perfection au point que tout autre poème traitant du même sujet (il y eut un engouement général pour ce thème au XIXe siècle) semble inspiré de lui ; thème de l'amour chaste et naïf de La Bonne Chanson, seul recueil de poèmes de fiancé ; thème religieux enfin qui fait de Verlaine, selon le mot de Bloy, « l'unique absolument, celui qu'on était las d'espérer ou de rêver depuis des siècles ».

Le paysage intérieur

Considérée dans son intériorité profonde, la sensibilité de Verlaine révèle la conformité de ces thèmes avec son paysage intérieur et ses moyens d'expression rythmiques. Cette sensibilité se caractérise par un état d'engourdissement, de dérive immobile de la sensation, où la réalité du monde extérieur tend à disparaître et où s'effacent les caractéristiques individuelles du moi.Le poète sent sur le mode de l'anonyme.Mais cet état d'engourdissement n'est pas inconscient de lui-même : c'est une attitude de passivité attentive. Verlaine ne cultive en lui les vertus de porosité que pour mieux se laisser pénétrer par elles, et aussi pour en goûter les charmes.Il se sent sentir sur le mode du particulier.Par suite de ce quiétisme de sentir, son paysage intérieur se trouve formé de sensations qui se caractérisent, tout comme les thèmes, par leur fluidité, leur amenuisement, leur absence de netteté : parfums vagues, lumières tamisées, visions tremblotantes, paysages aux contours flottants, musique en sourdine, voix lointaines et comme d'outre-tombe, toutes sensations évanescentes et fugitives, d'autant plus troublantes peut-être qu'elles sont momentanées, et qui pénètrent insidieusement la conscience et la décomposent.

Concrétisé et agrégé, ce paysage intérieur se dédouble en réalité en deux paysages distincts mais étroitement unis : un paysage automnal et un paysage lunaire, celui des Paysages tristes et celui des Fêtes galantes. Le premier est comme vu à travers une vitre embuée, brouillard ou pluie, cet écran d'apparences et de souvenirs qui dissimule la rugosité du monde sensible ; le second, baigné de clair de lune, ressuscite des visions d'un passé révolu mais attachant entre tous, celles d'un XVIIIe siècle galant peint par Watteau. Si le premier est fantomatique, refuge de son désespoir qu'il adoucit, le second est féerique, lieu d'élection de son rêve passionnel. L'un et l'autre, paysages de décadence, correspondent à son intime besoin d'effusion et de tendresse inassouvie.

Un des éléments essentiels de ce paysage intérieur est cette mélancolie si particulière à Verlaine et qui ne ressemble à rien dans la littérature française ; faite de regrets indéterminés et de velléités timides, de vagues désirs de jouissance et de rêves indistincts, elle est quelque chose d'impalpable et de fuyant comme un sentiment de vacuité, comme un manque de sentiments, une absence d'émotions :

C'est bien la pire peine    
De ne savoir pourquoi,    
Sans amour et sans haine    
Mon cœur a tant de peine.

Le second élément important de son paysage intérieur est la part qu'a prise le rêve dans son inspiration. Toute son œuvre semble suspendue entre deux bornes : rêve-réalité. D'un côté, l'abri tutélaire recherché dans les regards bien-aimés, dans l'inflexion des voix chères qui se sont tues, dans les apparences d'une nature dématérialisée, ou dans les vapeurs de l'alcool ; et, de l'autre, la vie avec son cortège de déceptions, de solitudes, de regrets, de désespoirs. Ses poèmes sont d'autant plus beaux, plus émouvants, plus mystérieusement captivants, qu'ils se rapprochent du rêve et traduisent ce monde mouvant qui le hante, et d'autant plus plats, plus prosaïques, qu'ils tendent vers l'expression de la réalité. Mon rêve familier, Soleils couchants, Chanson d'automne, Clair de lune, Colloque sentimental, La Lune blanche..., la troisième Ariette oubliée, L'espoir luit... sont à la pointe de sa rêverie.

Les moyens d'expression poétique

Dans le domaine de l'expression formelle, cette originalité s'est traduite par deux traits essentiels : l'impressionnisme et la musicalité. Tout en respectant la forme extérieure de la prosodie classique et la langue poétique courante, dont son génie s'accommodait, Verlaine a brisé intérieurement le rythme traditionnel du vers, spécialement de l'alexandrin. Il a ébranlé ses assises et détruit en profondeur ses cadences. De même, il a rendu le sens de certains mots plus volatil et a créé des alliages nouveaux pour traduire son paysage intérieur et moduler son rêve poétique.

En conférant à la sensation la primauté dans la représentation du monde extérieur, et aux données immédiates de la conscience le pas sur la raison claire, il s'est libéré de l'intellectualité de la langue. Pour rendre l'ineffable et le subliminal, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus fugace dans la vie intérieure, il ne devait pas s'encombrer de considérations rationnelles. Or, l'impressionnisme est l'art de traduire, par une technique spéciale, le momentané et le fugitif. En découvrant une « quatrième dimension » temporelle aux choses, il apparente la peinture à la musique en fixant un moment de la durée et non plus seulement une tranche d'espace et de volume. De l'impressionnisme, Verlaine a utilisé d'instinct la plupart des procédés : le flou, la coloration des ombres, les effets de clair de lune, de brume ou de neige, la légèreté de la touche, la multiplication d'un objet unique, la notation des séries d'impressions, procédés par lesquels il a pu exprimer l'inexprimable et rendre la durée intérieure et ce qu'il y a d'unique dans la sensation.

Il en est de même de la musique, où il a joué le rôle de novateur et préparé la voie à l'impressionnisme musical d'un Fauré ou d'un Debussy. Dès le début, Verlaine constate que les mots expriment, touchent et émeuvent par leur sonorité plus que par leur sens, que l'harmonie suggère et communique les sentiments et les sensations dans toute leur pureté, alors qu'une définition littérale risque de les déflorer. C'est pourquoi aucune poésie n'est plus chargée de résonances musicales que la sienne ; les mots s'y attirent et s'agrègent d'après leurs affinités sonores plus que par leur valeur d'expression logique. Par la « musique suggérée » comme par l'harmonie intrinsèque du vers, par la combinaison des tonalités mélodiques comme par l'heureux choix des assonances et des allitérations, par son goût de la musique mineure comme par la hardiesse de certaines dissonances, il a su traduire le monde mouvant de son paysage intérieur et le communiquer directement et pour ainsi dire sans l'intervention de la raison.

Réduit à une charpente, dont le seul rôle est d'être un support pour les vocables qui le masquent et l'annihilent, le vers n'est plus un ensemble de mots exprimant un sens satisfaisant l'esprit, mais un agrégat de sons destinés à charmer l'oreille et à faire naître des émotions ; il est chant, à la fois musique et paroles, et par là il se retrempe aux sources vives du lyrisme. Par une extraordinaire variété métrique, par l'emploi des mètres courts ou impairs, des trimètres, de l'enjambement et du rejet, des césures inclassables, mais surtout par sa plasticité et sa flexibilité, qui l'ont mené au bord du vers libre, Verlaine a substitué à son rythme séculaire le souffle de la vie, la musique du cœur, la mélodie de l'âme. Il en est de même de la rime, qui disparaît sous une avalanche d'échos intérieurs, de correspondances de sons, d'assonances et de résonances, le tout noyé dans la fluidité d'un chant aux modulations mineures.

Morceaux choisis

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.
Chanson d'automne Poèmes saturniens
Ces vers furent repris par Radio Londres pour prévenir les résistants de l'imminence du débarquement en Normandie, en 1944.

Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire,
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !
(Sagesse)
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Art poétique, Jadis et Naguère.

Œuvres

Poésie
Poèmes saturniens (1866)
Les Amies (1867)
Fêtes galantes (1869)
La Bonne Chanson (1872)
Romances sans paroles (1874)
Sagesse (1880)
Jadis et naguère (1884)
Amour (1888)
Parallèlement (1889).
Dédicaces (1890)
Femmes (1890)
Hombres (1891)
Bonheur (1891)
Chansons pour elle (1891)
Liturgies intimes (1892)
Élégies (1893)
Odes en son honneur (1893)
Dans les limbes (1894)
Épigrammes (1894)
Chair (1896)
Invectives (1896)
Biblio-sonnets (1913)
Œuvres oubliées (1926-1929)
Cellulairement
Prose
Les Poètes maudits (1884)
Louise Leclercq (1886)
Les Mémoires d'un veuf (1886)
Mes Hôpitaux (1891)
Mes Prisons (1893)
Quinze jours en Hollande (1893)
Vingt-sept biographies de poètes et littérateurs (parues dans Les Hommes d'aujourd'hui)
Confessions (1895)
Médias

Liens

http://youtu.be/R4iceOnjavY Verlaine par Henri Guillemin
http://youtu.be/5Ppf0sHLaz0 Charles Trenet Verlaine
http://youtu.be/_iq43Vs8CEw Idem par Léo Ferré
http://youtu.be/HvS_jKi8yqk Il pleure ... dit par Alain Jahan
http://youtu.be/4JQYuylR5ew Colloque sentimental par Léo Ferré
http://youtu.be/pB4OtYHmOUQ Mon rêve familier
http://youtu.be/rGH6zKayJcE Prison chanté par Colette Magny
http://youtu.be/j1vQNMeC4Bc L'enterrement de Verlaine par Georges Brassens
http://youtu.be/x-fdB8m8flM Eclipse total Les amours de Rimbaud et Verlaine

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Posté le : 29/03/2014 20:22

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Jean Giono 1
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Le 30 Mars 1895 naît à Manosque,Maison Le Paraïs, Jean Giono,

écrivain et un scénariste français, d'une famille d'origine piémontaise. Un grand nombre de ses ouvrages a pour cadre le monde paysan provençal. Inspirée par son imagination et ses visions de la Grèce antique, son œuvre romanesque dépeint la condition de l'homme dans le monde, face aux questions morales et métaphysiques et possède une portée universelle. Il est devenu célèbre notamment aux États-Unis en y publiant les nouvelles L'Homme qui plantait des arbres et Le Hussard sur le toit. Il reçoit la Légion d'honneur, et le Prix littéraire du Prince-Pierre-de-Monaco, ses Œuvres principales sont, Colline, Regain, Un de Baumugnes, Un roi sans divertissement, L'homme qui plantait des arbres. Il meurt le 9 octobre 1970, à 75 ans à Manosque dans sa maison natale
Il devint l'ami de Lucien Jacques, d'André Gide et de Jean Guéhenno, ainsi que du peintre Georges Gimel. Il resta néanmoins en marge de tous les courants de littérature de son temps.Giono est devenu pour des générations le prophète naïf de la non-violence et du retour à la terre, le peintre d'une Provence tragique

Le patient travail de la critique a fait justice des malentendus qui ont longtemps masqué la véritable portée de l'œuvre de Giono : écrivain régionaliste, puis « collaborateur, il aurait ensuite totalement changé de manière en imitant Stendhal. On mesure mieux aussi, maintenant, la richesse, la complexité et la profondeur de cette œuvre : poèmes, contes et nouvelles Solitude de la pitié, L'Eau vive, essais, théâtre huit pièces, traductions, surtout celle de Moby Dick, cinéma, nombreuses préfaces, articles réguliers dans les journaux régionaux durant les années soixante, mais avant tout les quelque vingt-cinq romans qui en sont la meilleure part. L'édition critique de ses Œuvres romanesques complètes ainsi que des essais, des poèmes, du journal dans La Pléiade, la publication des récits inachevés, du premier, Angélique, aux derniers : Cœurs, passions, caractères, Dragoon, Olympe et de la correspondance avec l'ami de toujours, Lucien Jacques, ainsi qu'avec Gide, Guéhenno, Paulhan, ont jeté un éclairage nouveau sur une œuvre qui s'affirme comme l'une des premières du XXe siècle.
Giono a d'abord tenté de définir les conditions du mélange de l'homme et du monde , mais il aboutit au constat de plus en plus amer de son impossibilité. À ce premier échec s'est ajouté celui de son engagement très actif dans le pacifisme, qui se solda par son emprisonnement d'octobre à novembre 1939. Un second séjour en prison pour collaboration en 1944 achève de le marquer ; désormais, il n'essaiera plus d'infléchir le cours de l'histoire. Dans les Chroniques d'après guerre, l'accent se déplace sur les hommes, que leur séparation d'avec la nature condamne à un radical ennui, et dont les passions monstrueuses répondent à la démesure inhumaine du monde. Parallèlement, Giono abandonne de façon progressive le lyrisme rustique et parfois emphatique des romans paniques, pour un ton nouveau et un style où la concision, l'ellipse et des combinaisons narratives très subtiles attestent sa virtuosité et doublent le prodigieux poète de la matière d'un fascinant conteur. C'est là sans doute – avec le recours de plus en plus délibéré aux ressources des intertextes dont les réseaux inépuisables tendent à se substituer, comme champ d'expansion du désir, au réel devenu hors d'atteinte – ce qui assure l'originalité d'une œuvre si étrangère aux modes, et sa modernité : l'ivresse froide et souveraine, sensuelle et rythmique d'une parole tendue vers l'expression vitale des impulsions d'un matérialisme mystique, pour séduire le désir, le détourner du vertige de la mort en lui imposant cette préférence pour les formes.

Sa vie

Jean Giono naît à Manosque, le 30 mars 1895 dans une famille modeste. Son père, Jean-Antoine Giono, est un cordonnier anarchiste d'origine italienne qui passe beaucoup de temps à lire la Bible libertaire, autodidacte, généreux, que son fils évoquera dans Jean le Bleu. sa mère Pauline Pourcin, d'origine picarde, née à Paris, dirige fermement son atelier de repassage mexicain. C'est elle qui tient les cordons de la bourse. Giono a évoqué son enfance dans Jean le Bleu. Son père aurait accueilli nombre de proscrits et d'exilés.
En 1911, la mauvaise santé de son père et les faibles ressources de sa famille l'obligent à arrêter les études. Il travaille dans une banque, le Comptoir national d'escompte. Il doit parallèlement s'instruire en autodidacte pour assouvir sa soif de savoir.
La famille paternelle restera d'ailleurs entourée d'une aura un peu mythologique, en particulier le grand-père Giono, dont l'image qu'il s'en fait à travers les récits de son père inspirera l'épopée d'Angelo, le hussard sur le toit. Mis à part pour quelques voyages, Giono ne quittera que très rarement sa ville natale. Elle sera évoquée dans plusieurs textes Manosque-des-Plateaux en particulier. En 1911, Giono doit quitter le collège, en seconde, pour travailler et contribuer à la vie de la famille. Il devient employé de banque à Manosque. La banque sera son cadre de travail jusqu'à la fin de 1929, année de la publication de Colline et de Un de Baumugnes.
Ces années à la banque lui permettent d'abord de s'offrir quelques livres, les moins chers, ceux de la collection Classique Garnier. Il découvre ainsi L'Iliade, les tragiques grecs.
Fin 1914, Giono est mobilisé. En 1915, pendant la Première Guerre mondiale, son entrée en guerre, au cœur d'une des batailles les plus terribles du conflit, le traumatise. Son meilleur ami et nombre de ses camarades sont tués à ses côtés. Lui n’est que légèremen gazé. Il reste choqué par l'horreur de la guerre, les massacres, la barbarie, l'atrocité de ce qu'il a vécu dans cet enfer, et il devient un pacifiste convaincu, comme bon nombre d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale.
En 1916, il participe aux combats, batailles de Verdun, du Chemin des Dames, du Mont Kemmel où il est légèrement gazé aux yeux. Il découvre l'horreur de la guerre, les massacres, un choc qui le marque pour le reste de sa vie. Il évoquera cette douloureuse expérience dans Le Grand troupeau, ainsi que dans ses écrits pacifistes des années 30. De retour de la guerre, en 1919, Giono retrouve Manosque et son emploi à la banque.
Il perd son père en avril 1920; épouse élise Maurin en juin.

Des débuts littéraires à la Seconde Guerre mondiale

Plus tard, la lecture des écrivains classiques en particulier Virgile l'amène à l'écriture. Son ami le peintre Lucien Jacques lit ses poésies, l’encourage et publie dans sa revue Les Cahiers de l’Artisan ses premiers poèmes : Accompagnés de la flûte. Son premier ouvrage Colline rencontre un certain succès. Ses trois romans suivants rencontrent le même succès, ce qui lui permet d’acheter sa Maison Le Paraïs à Manosque. L'écriture prend de plus en plus d'importance dans sa vie, si bien qu'après la liquidation, en 1929, de la banque dans laquelle il travaillait, il décide d'arrêter toute activité professionnelle pour se consacrer exclusivement à son œuvre. Il reçoit en 1929, le prix américain Brentano pour Colline, ainsi que le prix Northcliffe en 1930 pour son roman Regain. Il est nommé Chevalier de la Légion d'honneur en 1932.
Les événements du début des années 1930 le poussent à s'engager politiquement. Il adhère à l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires, mouvance communiste mais, par méfiance, il s'en dégage très rapidement.
En avril 1935, il publie Que ma joie demeure qui connaît un grand succès, particulièrement auprès de la jeunesse. Ce titre est une allusion explicite à la cantate de Jean-Sébastien Bach, Jésus que ma joie demeure, par laquelle il souhaitait exprimer sa foi en une communauté des hommes, par-delà les religions. Il traduit également Moby Dick en français avant de publier " Pour saluer Melville".
Giono et quelques amis, bloqués accidentellement dans le hameau du Contadour lors d'une randonnée sur la montagne de Lure, décident, subjugués par la beauté des lieux, de s'y retrouver régulièrement : ainsi naissent les Rencontres du Contadour. C'est l'époque de la publication de l'essai Les Vraies Richesses, dédié aux habitants du Contadour.
Les prémices d'une nouvelle guerre se manifestent bientôt. Jean Giono rédige alors ses suppliques Refus d'obéissance, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Précisions et Recherche de la pureté.
La déclaration de guerre interrompt la neuvième réunion. Les disciples attendent la réaction de Giono. Elle est difficile pour cet homme libre qui ne voulait pas être directeur de conscience et qui écrit : Vous êtes, vous, de l’humain tout frais et tout neuf. Restez-le ! Ne vous laissez pas transformer comme de la matière première ... Ne suivez personne. Marchez seuls. Que votre clarté vous suffise...

Maison du Moulin Ferme des Graves
Seconde Guerre mondiale

À la déclaration de guerre, il va au centre de mobilisation de Digne. Cependant, à cause de son pacifisme, il est arrêté le 14 septembre 1939. Il est relâché après un non-lieu, et libéré de ses obligations militaires.
Ayant acheté deux fermes en 1939, il dispose d’abondantes ressources alimentaires, ce qui selon sa fille lui permet d’accueillir nombre de personnes de passage. Pendant la guerre, Giono continue à publier sans respecter la directive du Comité national des écrivains. Le passage obligatoire par la censure de l'occupant l'a amené à avoir des contacts avec les autorités allemandes. Le succès de ses œuvres l'a enrichi considérablement. Il se consacre longuement aux soins à donner à sa fille touchée par la tuberculose, en l’emmenant dans la montagne, à Lalley.
Dès avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, on lui reproche sa proximité avec la collaboration. L'utilisation de sa pensée par le régime de Vichy est souvent restée très caricaturale, vantant son néoprimitivisme, son tarzanisme, le retour à la terre ou l'artisanat. Il est avéré que Giono a caché et entretenu à partir de 1940 des réfractaires, des juifs, des communistes. Son œuvre porte des traces de cette résistance à l'hitlérisme : outre Le Voyage en calèche, interdit par l'occupant en décembre 1943, et dont le personnage de Julio se prolonge dans celui d'Angelo, résistant italien à l'occupant autrichien en 1848, Le Bonheur fou, il faut mentionner Angelo III, traqué par les troupes allemandes, dans le début inédit de Mort d'un personnage, et la mort de Clef-des-Cœurs dans le maquis Ennemonde.
Une bombe est déposée devant la maison de son domicile la nuit du 11 au 12 janvier 1943 et explose sans faire de blessés, emportant cependant la porte d’entrée. Après la guerre, il est accusé d'avoir collaboré et de nouveau emprisonné, en septembre 1944, principalement pour avoir fait paraître Deux cavaliers de l'orage dans La Gerbe, journal collaborationniste, et un reportage photo dans Signal, sorte de Paris Match national-socialiste et toutefois reconnu pour sa qualité. Il n'est libéré qu'en janvier 1945, sans avoir été inculpé. Néanmoins, le Comité national des écrivains, organisme issu de la Résistance, l'inscrit sur sa liste noire, ce qui interdisait de fait toute publication de son œuvre en France. Bien des résistants qui avaient lutté contre le régime de Vichy ne lui avaient pas pardonné cette phrase : Je préfère être un Allemand vivant qu'un Français mort, considérant cette citation comme une offense à leurs sacrifices. Cette mise à l'index ne prend fin qu'en 1947, avec la parution d’Un roi sans divertissement, première en date des Chroniques. Giono a cependant abrité Karl Fiedler, trotskiste allemand, l’épouse de Max Ernst, et dit avoir aidé Jan Meyerowitz, musicien juif, qui, lui, n'en fait jamais mention. Sa fille mentionne également plusieurs autres personnes en fuite recueillies au Paraïs. Pierre Citron affirme, dans la biographie de Giono, détenir les preuves de ces aides, sans les publier.
Pour sa fille, cette longue période de mise à l’écart et de mépris populaire lui inspire l’épisode du Hussard sur le toit où Angelo, poursuivi par la foule qui cherche un bouc émissaire, se réfugie sur les toits de Manosque. D’après elle, ce fut une satisfaction de faire mourir les habitants de Manosque de manière horrible, sale, souffrant physiquement et moralement, au milieu de vomissures et de diarrhée.

Giono et la collaboration

Les défenseurs de Giono le présentent comme un pacifiste trompé par le Régime de Vichy qui, pour lui, amenait la paix. Son soutien aux Accords de Munich en 1938 en résulterait. Le fait que le néoprimitivisme ou le tarzanisme de Giono ait été admiré à la fois par les nazis et par le Régime de Vichy n'est pas selon eux une preuve que Giono était réciproquement un soutien au régime. Du reste, les Allemands ont tenté à plusieurs reprises de le faire venir au Congrès des écrivains de l'Europe à Weimar. Giono n'y a jamais participé. Mais il a exprimé une reconnaissance qui a les accents de la sincérité.
Des études récentes montrent que Giono a pris lui-même contact avec les autorités allemandes. Le colonel Gerhard Heller le trouvait, extrêmement bien disposé envers la collaboration . Dans La Gerbe du 19 mars 1942, Jean Giono qualifie la défaite de 1940 et Vichy de grande expérience après des années d'erreurs. Dans son journal il affirme que nazis et alliés sont semblables, tandis que les résistants sont des assassins et des voyous. Les mots durs que Giono utilise pour qualifier les résistants contrastent avec l'insensibilité qu'il affiche à l'égard des juifs :
Il une connaissance juive me demande ce que je pense du problème juif. Il voudrait que je prenne position. Je lui dis que des Juifs je m'en fous comme de ma première culotte : qu'il y a mieux sur terre que de s'occuper des Juifs. Quel narcissisme ! Pour lui il n'y a pas d'autre sujet. Il n'y a pas d'autres chose à faire sur la terre qu'à s'occuper des Juifs. Non je m'occupe d'autre chose.

Le Giono d’après-guerre

Dans les années qui suivent, Giono publie notamment Mort d'un personnage, 1948, Les Âmes fortes 1950, Le Hussard sur le toit 1951, Le Moulin de Pologne 1953.
Avec le succès de ces livres, surtout celui du Hussard sur le toit qui est porté à l'écran en 1995 par Jean-Paul Rappeneau, Giono est de nouveau considéré comme l’un des plus grands écrivains français du XXe siècle. En 1953, le Prix littéraire du Prince-Pierre-de-Monaco lui est décerné pour l'ensemble de son œuvre. Il est élu l'année suivante au sein de l'Académie Goncourt. De plus en plus intéressé par le cinéma son film Crésus sort en 1960, il préside le jury du Festival de Cannes en 1961. Son dernier roman, L'Iris de Suse, paraît l'année de sa mort. Emporté par une crise cardiaque le 9 octobre 1970 dans sa Maison Le Paraïs de Manosque, Jean Giono est enterré à Manosque

Giono et Manosque

Giono s'est surnommé le voyageur immobile. De fait, son œuvre évoque souvent de longs voyages ou cheminements, alors que lui-même n'a presque pas voyagé, sauf de courts séjours en Écosse, à Majorque et en Italie, Voyage en Italie, œuvres complètes, La Pléiade. Avant de vivre dans sa Maison Le Paraïs, qui surplombe Manosque, à partir de 1929, Jean Giono a habité à Manosque même : 1, rue Torte, où il est né le 30 mars 1895 ; 14, rue Grande, où ses parents déménagèrent peu de temps après ; 8, rue Grande, où il emménagea en 1930, après son mariage.
Sur le boulevard circulaire de Manosque se trouve aujourd'hui le Crédit agricole, qui était le Comptoir d’escompte lorsque Giono y travaillait.
Il a également souvent séjourné dans le Trièves où il passait ses vacances, avant la guerre, à Tréminis et après à Lalley. Cette région montagneuse, située au nord du col de la Croix-Haute et qu'il qualifiait de cloître de montagnes, lui a inspiré notamment Le Chant du monde, Bataille dans la montagne, situé à Tréminis, Un roi sans divertissement, dont l'action se déroule dans un village correspondant à la situation de Lalley, Les Vraies richesses et Triomphe de la vie, essais qui empruntent beaucoup à la sérénité bucolique du Trièves.

L'œuvre

L'œuvre de Jean Giono mêle un humanisme naturel à une révolte violente contre la société du xxe siècle, traversée par le totalitarisme et rongée par la médiocrité. Elle se divise en deux parties : les premiers livres sont écrits d'une façon très lyrique, ces œuvres sont souvent dites de première manière et leur style est très différent des œuvres tardives plus élaborées et plus narratives, telles que les Chroniques romanesques et le Cycle du Hussard, œuvres dites de seconde manière. La nature est d'une certaine façon le personnage principal des premiers livres, tandis que l'Homme est celui des seconds.
Soldat durant la Première Guerre mondiale, Jean Giono n'aborde objectivement cette période de sa vie que dans Refus d'obéissance, c'est-à-dire bien après ses premières publications. L'influence de la guerre est pourtant très forte tout au long de son œuvre. S'il est inclassable, Giono est sans conteste un humaniste et un pacifiste.

Les premières œuvres : la Nature prééminente

Après Naissance de l'Odyssée, qui ne sera publié que plus tard, les trois premiers livres de Jean Giono, Colline, Un de Baumugnes et Regain constituent la trilogie de Pan. Le dieu Pan est une figure importante dans les livres de Giono. Il est explicitement présent au tout début, et restera jusqu'à la fin en filigrane. Il représente la nature unifiée dans un être unique. Bien que peu adepte des discussions philosophiques, Giono fait quelques brèves allusions au panthéisme, cf. Spinoza, Parménide, qu'il développe allègrement de façon lyrique dans ses premiers livres. La nature y est présentée d'une façon bien différente de l'idyllique et bienveillante Provence de Pagnol. Chez Giono, la nature est belle, mais elle est aussi cruelle, destructrice et purificatrice : l'Homme en fait partie, mais elle n'est pas l'Homme. Ainsi, dans Le Hussard sur le toit 1951, la nature se manifeste par le choléra qui dévaste la Provence et tue aveuglément sans se soucier des préoccupations politiques qui agitent les hommes. On retrouve du reste cette conception de la nature, particulièrement absente des idées de cette époque, dans un texte contemporain d'Albert Camus, intitulé L'Exil d'Hélène.

La seconde manière où l’Homme est au centre

À l'instar de Balzac, et très impressionné par La Comédie humaine, Giono avait en tête le projet d'un cycle romanesque en dix volumes à la manière de Balzac. Le premier volume de la série, écrit en six jours, a pour titre Angelo. Ceci devait être le premier volume de dix ouvrages qui auraient retracé, réinventer le XIXe siècle, pour mieux faire ressortir les tares du XXe siècle. Angelo I, écrit en 1934, paru en 1958, est considéré sans doute à tort comme le brouillon du Le Hussard sur le toit. Il devait être suivi par une série d'Angelo dont le petit-fils, Angelo III, serait un Résistant en 1940. Peut-être effrayé par l'ampleur de la tâche, Giono renonça au projet initial et ne publia que trois romans pour ce cycle : Le Hussard sur le toit, Le Bonheur fou et Mort d’un personnage, le personnage en question est la marquise Pauline de Théus dans sa vieillesse

Une spiritualité imprégnée de paganisme

Peut-on parler de spiritualité chez Giono ? La question est posée par l'un de ses biographes, Jean Carrière, qui répond, Oui, dans la mesure où celle-ci lui est venue non comme une expérience délibérée, mais comme une lente maturation à jouir des choses sans les posséder. Et cet esprit de jouissance-dépossession, qui s'apparente au carpe diem des antiques sagesses, accorde à celui qui s'y livre sans réserve et sans fausse pudeur, selon les propres termes de l'auteur, un sentiment de libération païenne :
Ce n'est pas seulement l'homme qu'il faut libérer, c'est toute la terre... la maîtrise de la terre et des forces de la terre, c'est un rêve bourgeois chez les tenants des sociétés nouvelles. Il faut libérer la terre et l'homme pour que ce dernier puisse vivre sa vie de liberté sur la terre de liberté ... Ce champ n'est à personne. Je ne veux pas de ce champ; je veux vivre avec ce champ et que ce champ vive avec moi, qu'il jouisse sous le vent et le soleil et la pluie, et que nous soyons en accord. Voilà la grande libération païenne.
Cet appel à la libération de l'homme et de la terre s'inscrit en faux contre l'injonction biblique de prise de possession de la terre et de ses animaux par l'homme. Il est aussi une invitation à renouer pleinement avec les joies du corps, la sensualité naturelle, longtemps niée ou occultée par la morale chrétienne :
J'ai pris pour titre de mon livre le titre d'un choral de Bach : Jésus, que ma joie demeure ! Mais j'ai supprimé le premier mot ... parce qu'il est un renoncement. Il ne faut renoncer à rien. Il est facile d'acquérir une joie intérieure en se privant de son corps. Je crois plus honnête de rechercher une joie totale, en tenant compte de ce corps, puisque nous l'avons.
Le paganisme de Jean Giono, apparaît dès les premiers romans écrit à la fin des années 1920, sous la forme d'une vision panthéiste qui replonge les êtres au cœur du cosmos étoilé, mais aussi par la perception d'un sentiment tragique de la vie inspiré notamment par sa lecture enthousiaste des récits homériques dès la plus tendre enfance :
"Je lus L'Iliade au milieu des blés mûrs. ...C'est en moi qu'Antiloque lançait l'épieu. C'est en moi qu'Achille damait le sol de sa tente, dans la colère de ses lourds pieds. C'est en moi que Patrocle saignait. C'est en moi que le vent de la mer se fendait sur les proues
La violence inspirée par une lecture sensuelle du récit homérique traverse toute l'œuvre de Jean Giono. Qu'on pense, par exemple, à la fin tragique de Que ma joie demeure, ou, trente ans après, à la rivalité mortelle qui oppose les deux frères de Deux cavaliers de l'orage. Elle est assumée sans jugement moral, et sans jamais faire ombre à la profonde joie païenne de celui qui ne croyait pas au problème résolu pour tout le monde ni au bonheur commun, mais qui disait :" Je crois que ce qui importe c'est d'être un joyeux pessimiste.


Le cycle du Hussard

Revenu à Marseille en mars 1945, puis à Manosque, Giono s'y réinstalle pour n'en plus bouger, et c'est la gloire qui va l'y retrouver : de 1945 à 1957, c'est son été flamboyant, un renouvellement inouï de son inspiration et qui joue sur deux tableaux. Il imagine un héros selon son cœur, Angelo, un exilé politique des années 1830, un hussard piémontais, objet de tout un cycle qui tantôt devait nous jeter en plein XXe s. parmi la descendance d'Angelo seul, Mort d'un personnage publié en 1949, témoigne de ces chevauchements chronologiques, tantôt suivra le Hussard dans ses aventures d'il y a un siècle : dans Angelo écrit en 1945, il entre en Provence où Pauline de Théus le recueille ; le Hussard sur le toit 1951 lui fait redécouvrir Pauline, mais cette fois parmi les ravages du choléra ; enfin, dans le Bonheur fou 1957, il poursuit son idéal à travers l'Italie insurgée de 1848. Héros positif s'il en est, prêt à tous les élans, à tous les défis d'un Fabrice del Dongo, il est pris dans un tourbillon narratif qui enveloppe ce personnage stendhalien d'un souffle épique. Mais, si épopée il y a, c'est l'épopée des miasmes et de la purulence, et aussi l'épopée de la désillusion, celle qui naît des complots légitimistes à base de brigandages, de l'ignominie humaine révélée par l'épidémie, du machiavélisme des libéraux du Risorgimento ; et, quand Angelo veut s'en retourner vers Pauline, il est trop tard. Le cycle du Hussard unit l'enthousiasme et l'amertume.

Les Chroniques

L'autre volet du diptyque, ce sont les Chroniques, un genre créé alors par Giono, mais dont la cruauté à l'emporte-pièce pouvait se deviner dans certaines des nouvelles recueillies jadis dans Solitude de la pitié 1930 et dans l'Eau vive 1943. Un roi sans divertissement 1947, conformément à son titre pascalien, offre, de façon centrale cette fois, la misère radicale de l'ennui auquel seul le sang peut apporter la plus désespérée des diversions. Au lieu de ce remède du sang, qu'on imagine celui du jeu et de la plus dangereuse tricherie : on aura les Grands Chemins 1951. Quant au Moulin de Pologne 1952, l'acharnement du destin contre une famille y masque en fait le goût de se perdre. Tous ces motifs de l'ennui et du divertissement composent le monde noir de Giono d'après-guerre : le propre de la chronique gionienne est de créer presque instantanément un huis clos du récit ; tout surgit et vit intensément en une cinquantaine de pages, au bout desquelles l'aventure est exemplaire et le mystère intact. Cette efficacité devient virtuosité quand, quittant la chronique brève, Giono nous donne à choisir entre les versions incompatibles du drame des deux héroïnes des Âmes fortes 1949. Que sa verve créatrice soit capable, dix fois de suite, d'entamer une histoire qui fait naître l'illusion, et de détruire celle-ci en s'arrêtant tout net, comme il fait dans Noé 1947, roman du romancier, c'est, certes, un tour de force, mais c'est aussi autre chose : une espèce de preuve par neuf des pouvoirs de l'imaginaire, seul salut, par la création, chez un homme plus persuadé que personne de la difficulté d'être.

Conclusion

Vient son automne. Giono projette plusieurs chroniques, il en achève deux, Ennemonde 1968, où s'épanouit la volonté de puissance et le bonheur dans le crime, et l'Iris de Suse 1970, qu'il avait pensé intituler l'Invention du zéro, car on y voit un truand converti à un amour gratuit et sans réponse, le plus proche de ce goût de la perte, si fréquent dans les chroniques et qui, pour finir, se révèle, dans la ferveur et l'ironie, la plus heureuse des tentations. Quand Giono retourne au théâtre par la radio avec Domitien 1959, il s'agit toujours de se perdre, et cette fois dans la mort ; quand il se lance dans le cinéma, Crésus 1960 illustre, à sa façon, l' invention du zéro et la perte heureuse de millions fallacieux. Enfin, s'il entreprend de conter le Désastre de Pavie 1963, c'est pour y saisir l'instant historique où s'abolit l'esprit de chevalerie, autrement dit le règne de l'imaginaire.

Giono au travers de ses Œuvres

Bibliographie de Jean Giono.
L'œuvre de Jean Giono est assez dense et très variée. Certains de ses romans sont devenus des grands classiques de la littérature française du xxe siècle (Regain, Le Hussard sur le toit ou Un Roi sans divertissement. Certains, traduits dans de nombreuses langues étrangères, ont acquis une renommée internationale. Au-delà de ses romans, Jean Giono écrivit de nombreux essais grâce auxquels il transmit à ses lecteurs ses points de vue sur ses idées, ses écrits pacifistes, les événements qu'il vivait tels qu'il les ressentait, ses notes sur l'Affaire Dominici ou ses idéaux, Les Vraies Richesses. Il s'est essayé, avec une pointe de causticité, aux chroniques journalistiques. Bien que la poésie ait toujours été présente dans ses textes, il a publié peu de recueils de poésie. Jean Giono a signé en 1955 la préface du livre Moi mes souliers de Félix Leclerc. Il a également préfacé les Œuvres de Machiavel édité par La Pléiade.

Durant les années qui suivent, Giono écrit inlassablement. En 1923, il travaille sur Angélique, roman médiéval resté inachevé; il publie des poèmes en prose dans la revue marseillaise La Criée. En 1924, son ami Lucien Jacques publie Accompagnés de la flûte, des poèmes en prose, aux Cahiers de l'artisan. Dix exemplaires sont vendus. Plusieurs textes paraissent dans des revues Les Larmes de Byblis, Le Voyageur immobile.... En 1927, Giono écrit Naissance de l'Odyssée. C'est le roman fondateur, dans lequel on retrouve les éléments qui seront les thèmes de l'oeuvre à venir: l'angoisse et la fascination devant la nature, l'inquiétude panique de l'homme au contact du monde, la veine dionysiaque. Naissance de l'Odyssée est refusé par Grasset qui le qualifie de jeu littéraire.
Grasset accepte cependant de publier Colline, en 1929. Le succès est immédiat tant chez le public que chez la critique. Gide salue ce livre avec enthousiasme et va rendre visite à Giono à Manosque.
La même année, Grasset publie Un de Baumugnes, qui connaît également le succès. Giono se décide à vivre de sa plume et abandonne son emploi à la banque. Il fait l'acquisition de la maison du Paraïs, petite maison qu'il agrandira au cours des années et qu'il habitera jusqu'à sa mort.
Regain paraît l'année suivante. Il sera porté à l'écran quelques années plus tard par Marcel Pagnol.
Colline, Un de baumugnes et Regain seront réunis après coup par Giono sous le titre de Pan.
Ces trois romans commencent à dessiner une image de Giono poète, conteur, chantre d'une vie accordée à la nature, image qui se confirmera avec les écrits des années suivantes. Certains décèleront chez Giono les signes d'une prédication sociale autarcie de la communauté vivant en relative harmonie avec la nature en train de se construire, et qui prendra forme dans les livres suivants.
Le serpent d'étoile, description totalement inventée d'une grande fête des bergers, participe de cette vision du monde, avec une dimension cosmique de la situation de l'homme partagé entre les lois de l'univers, de la nature, et ses pulsions, ses désirs. Le serpent d'étoile provoquera quelques incidents; certains lecteurs prendront le texte au pied de la lettre et s'estimeront floués en apprenant qu'il ne s'agit que d'une invention littéraire.
Solitude de la pitié paraît la même année que Regain. C'est le premier des recueils de récits et essais brefs, déjà parus en revue, qui paraîtront sous sa signature au long de sa carrière.
L'année suivante, Le grand troupeau aborde l'expérience de la guerre vécue par Giono. L'idée de troupeau renvoie à la fois à la troupe militaire et au troupeau de moutons, les deux étant mis en parallèle dans le livre. L'histoire de ce livre met en lumière la naïveté, l'insouciance dont faisait parfois preuve Giono en certaines circonstances, et qui auront plus tard des conséquences plus néfastes pour lui. Giono signe en effet deux contrats avec deux maisons d'éditions différentes, Grasset et Gallimard. La situation finira par s'arranger, Giono donnera alternativement un texte à l'une puis à l'autre maison d'édition, mais cet incident met bien en relief ce trait de la personnalité de Giono, la difficulté à dire non, le désir de satisfaire tout le monde, un engagement parfois spontané, irréfléchi.
En 1932, paraît Jean le bleu, un récit largement autobiographique, qui fait une grande place à la figure paternelle et témoigne de l'admiration de Giono pour son père, sa sérénité, sa générosité. Mais l'invention, le romanesque, se mêlent intimement aux éléments autobiographiques dans ce récit lyrique.
Avec Le chant du monde, Giono revient au roman pur, roman d'aventure, roman épique, dans lequel les éléments naturels ont encore une grande place (le fleuve, la faune).
On peut voir dans Le chant du monde la fin d'une période, celle des romans aux dénouements heureux. Celle, également, où Giono se veut avant tout écrivain, sans engagement social ou politique. En cette période où l'on commence à sentir poindre la menace d'une guerre, Giono commence à agir, à s'engager. Il participe à des réunions en faveur de la paix, puis adhère à l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires, proche des communistes, écrit dans Vendredi, journal dirigé par Jean Guéhenno. Mais bien qu'homme de gauche, à tendance libertaire, voire anarchisante, souvenir de son père, Giono reste avant tout pacifiste. L'évolution des communistes en faveur du réarmement le rebute, et en 1935 il s'éloignera d'eux.

Que ma joie demeure, qui paraît en 1935, est une étape marquante dans le cheminement de l'auteur. Le bonheur, la vie communautaire heureuse, se heurtent ici aux désirs de l'homme, à ses passions. Le pessimisme fait son entrée dans l'oeuvre. Le roman est cependant très bien reçu par le public et aura un impact profond, en particulier chez la jeunesse; c'est un livre qui consolidera l'image d'un Giono sorte de prophète, et qui contribuera au développement de ce que certains appelleront ensuite le gionisme, phénomène qui va prendre de l'ampleur dans les années qui suivent, jusqu'à l'irruption de la deuxième Guerre mondiale.
Giono se défendra toujours de prêcher; chacun doit faire son propre compte, dit-il. Cependant, il tente, à cette époque, de faire passer des messages. Dans ses livres, dans sa vie quotidienne, avec l'aventure du Contadour en particulier.
C'est le premier septembre 1935 qu'a lieu le premier séjour au Contadour. Dans les collines de Haute Provence, une quarantaine de jeunes gens suivent Giono pendant une quinzaine de jours. Vie simple, discussions, lectures, vent de liberté. Giono, qui à l'origine ne voulait que faire connaître la nature, se retrouve, plus ou moins malgré lui, considéré comme l'animateur de ces séjours. Il y en aura neuf jusqu'en 1939. Giono et Lucien Jacques fondent les Cahiers du Contadour. Sept numéros paraissent, peu diffusés.
En 1936, l'essai Les vraies richesses, qui suit et prolonge en quelque sorte Que ma joie demeure, réaffirme l'idéal de la communauté rurale et appelle à une révolte contre la société industrielle capitaliste, contre la ville et la machinisme qui détruisent les "vraies richesses".
Le poids du ciel en 1938 est également un plaidoyer pour la nature et contre la guerre et les dictatures.
D'autres "messages" regroupés par la suite dans le recueil Écrits pacifistes paraîtront sous la plume de Giono durant ces années qui précèdent la guerre: Refus d'obéissance, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Précisions, Recherche de la pureté.
Dans ces années d'avant-guerre, Giono milite activement pour la paix. Sa position est intransigeante: ni guerre, ni fascisme, ni communisme. Il s'engage à refuser d'obéir en cas de conflit, une position personnelle, qu'il n'appelle pas à imiter. Cependant, lorsque l'avis de mobilisation lui parvient, Giono se rend à l'appel. Une famille à faire vivre et une oeuvre à poursuivre ont eu plus de poids que sa conscience. Giono est alors arrêté pour cause de pacifisme, et détenu pendant deux mois avant de bénéficier d'un non-lieu.
A sa sortie de prison, il finit la traduction de Moby Dick, d'Herman Melville, qu'il avait entamée avec Lucien Jacques et Joan Smith et qui avait commencé à paraître dans les Cahiers du Contadour. Il écrit également l'ouvrage Pour saluer Melville, une biographie largement imaginaire de l'auteur américain.
Les livres se vendent mal et les revenus s'en ressentent. Quant au comportement de Giono pendant cette période, il sera source de bien des ennuis.
On reprochera longtemps à Giono la publication de Deux cavaliers de l'orage dans La Gerbe, de Description de Marseille le 16 octobre 1939 dans La Nouvelle revue française de Drieu Larochelle, et d'un reportage photographique sur lui dans Signal édition française d'un périodique allemand. On lui reprochera également une certaine proximité d'idée avec le régime de Vichy, retour à la terre, à l'artisanat, des "idées" que Giono véhicule depuis bien des années sans pour autant en tirer les conclusions politiques qui seront celles de Vichy. Les idées de Giono se trouve à nouveau imprimées en 1941 dans Triomphe de la vie.
On parlera moins par contre du fait que Giono a hébergé des réfractaires, des Juifs, des communistes. Ou de l'esprit de résistance qui inspire sa pièce Le voyage en calèche, interdite par la censure allemande.
En 1943, Giono publie L'eau vive, du théâtre. Il écrit Fragments d'un paradis.
A la libération, Giono est arrêté, le 8 septembre 44, et incarcéré. Le Comité national des écrivains l'inscrit sur sa liste noire. Il est libéré cinq mois plus tard sans avoir été inculpé.
Au sortir de la guerre, Giono est un homme désabusé, victime de l'ostracisme de l'intelligentsia de l'édition. Son oeuvre reflète les changements provoqués par cette période troublée et trouve un second souffle, une nouvelle inspiration.
Retranché dans le silence et le travail, Giono se consacre tout entier à ses livres. De 1945 à 1951, il écrit huit romans et des récits.
Angélo, écrit en 1945, publié en 1948, inaugure le cycle du hussard. Mort d'un personnage lui fait suite et précède Le hussard sur le toit commencé en 1946 et achevé en 1951.
Parallèlement au cycle du hussard, Giono inaugure ce qu'il appellera les Chroniques, un ensemble plus ou moins homogène et délimité, qui commence par Un roi sans divertissement en 1946. Puis viennent Noé, un roman sur l'écrivain où Giono s'exprime à la première personne, Les âmes fortes, Le moulin de Pologne, Les grands chemins.
Les chroniques, écrites sur des modes narratifs variés, plus courtes que les romans d'avant-guerre, avaient été pensées à l'origine comme une série plus ou moins homogène. En fin de compte, chaque titre est tout à fait indépendant des autres. Le cycle du hussard, quant à lui, possède une unité centrée autour du personnage d'Angélo.
Le Hussard, et son succès, marque la fin de l'ostracisme dont Giono a été victime depuis la fin de la guerre de la part du monde littéraire français.
Jusqu'à sa mort, Giono se consacrera uniquement à l'écriture. Une écriture qui prendra d'ailleurs des formes de plus en plus variées.
Giono donne des textes pour des journaux et des revues, certains de ces textes seront par la suite réunis en volumes: Les terrasses de l'île d'Elbe, Les trois arbres de Palzem, Les Héraclides, La chasse au bonheur.
Il voyage en Italie, le pays de ses origines, Voyage en Italie, en Écosse, en Espagne.
En 1954, il assiste au procès Dominici, vieux paysan accusé du meurtre de trois touristes anglais. Il publiera ses notes d'audiences dans la revue Arts, puis, à la demande de Gaston Gallimard, en volume, accompagnées d'un essai: Notes sur l'affaire Dominici suivies de Essai sur le caractère des personnages.
Il revient au théâtre avec Joseph à Dothan et Domitien. Il travaille également à une adaptation du Chant du monde qui restera inachevée: Le cheval fou.
Giono aborde également un nouveau domaine, l'histoire. Le désastre de Pavie traite de la bataille de Pavie et de la captivité de François 1er. Mais Giono n'est pas historien, et le style du romancier reste présent dans cet ouvrage un peu particulier dans son oeuvre.
Enfin, Giono continue à écrire des romans et des textes de fictions. Entre 1953 et 1957, il écrit le dernier volume du cycle du hussard, Le bonheur fou, un roman historique, mais d'une histoire avec laquelle Giono sait prendre des libertés.
Il retrouve la fiction pure pour L'homme qui plantait des arbres, Les récits de la demi-brigade , Ennemonde et autres caractères, Le déserteur.
En 1965, il met en oeuvre Dragoon, puis, en 1967, Olympe. Il n'achevera aucun des deux textes. C'est L'iris de Suse qui sera sa dernière oeuvre.
Parallèlement à ses écrits, Giono s'intéresse au cinéma et réalise quelques films, voir la filmographie.
Au cours de ces dernières années, son travail est ralenti par des faiblesses cardiaques. Il doit se ménager, renoncer à la pipe, aux déplacements. En 1970, ses forces diminuent; il doit être opéré d'une embolie artérielle.

Dans la nuit du 8 au 9 0ctobre 1970, Giono meurt d'une crise cardiaque.

Giono et le cinéma

Très tôt, Jean Giono s'intéresse au cinéma. Il a vu, dans les années 1930, l'impact qu'ont eu sur le public les films de Marcel Pagnol tirés de ses propres romans Regain, La Femme du boulanger, Jofroi ou Angèle. Après quelques courts essais, la première coréalisation est un documentaire de Georges Régnier, Manosque, pays de Jean Giono avec des textes du livre Manosque des Plateaux. Il s'essaie ensuite en 1942 à l'adaptation du roman Le Chant du monde qu'il ne termine pas. Dans les années 1950, Jean Giono travaille avec Alain Allioux au scénario de L'Eau vive, 1956, film de François Villiers, avec qui il tourne le court-métrage le Foulard de Smyrne (1957. L'Eau vive est présenté en avant-première au festival de Cannes, en 1958.
Giono écrit le scénario, les dialogues, met en scène le film Crésus avec Claude Pinoteau et Costa-Gavras. En 1963, dans la froideur de l'Aubrac, Giono supervise le tournage de l'adaptation de son roman Un roi sans divertissement, réalisé par François Leterrier. Ces deux derniers films sont produits par la société de production que Giono avait créée : Les films Jean Giono. Giono reconnaît dans la presse que le cinéma est un art difficile mais qu'il permet de raconter autrement les histoires.
D'autres réalisateurs ont adapté des œuvres de Giono, de son vivant ou après sa mort, et ont réalisé : Les Grands Chemins, Christian Marquand – 1963, Deux cavaliers de l'orage, Gérard Vergez – 1983, Le Hussard sur le toit, Jean-Paul Rappeneau – 1995, Les Âmes fortes, Raoul Ruiz – 2001, Le Chant du monde, Marcel Camus – 1965 ou L'homme qui plantait des arbres, film d'animation du québécois Frédéric Back en 1987.

Scénariste

1968 : Provinces, émission La chevelure d'Atalante, réalisation de Robert Mazoyer

Odonomie
Voies portant le nom de Jean Giono

Établissements portant le nom de Jean Giono

L'Association des amis de Jean Giono

Centre Jean Giono
Créée en 1972 à la Maison Le Paraïs de Manosque, par Henri Fluchère et Aline Giono l'Association des amis de Jean Giono concourt à la mémoire de l'œuvre et de la vie de l'écrivain. Elle encourage et favorise la recherche universitaire, inventorie et conserve les archives de Giono, soutient et organise différentes manifestations colloques, journées d'études, expositions, spectacles comme les Rencontres Giono, en juillet à Manosque, pour les adhérents de l'association et pour tous les publics. Depuis sa création, l'association rassemble des lecteurs fervents et fidèles qui partagent une connaissance et une admiration de l'œuvre de Giono. Le Bulletin de l'Association des Amis de Jean Giono a été remplacé en 2007 par la Revue Giono.

La maison de Giono

Jean Giono achète en 1929, une petite maison au lieu-dit Lou Paraïs sur le flanc sud du Mont d'Or, qui domine Manosque. Un palmier, un laurier, un abricotier, un kaki, des vignes, un bassin grand comme un chapeau, une fontaine.
Article détaillé : Maison Le Paraïs
Il transforme et agrandit cette maison où il écrit la plus grande partie de son œuvre. C'est aujourd'hui le siège de l'association des amis de Jean Giono.

Analyse de l'Œuvre


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Posté le : 29/03/2014 20:21
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Jean Giono 2 suite
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Analyse de l'Œuvre


Jean Giono, le Bout de la route

Il eût suffi de lire de près ses romans d'alors pour voir qu'il était, aussi, bien autre chose. Le premier Colline (1929), révèle d'emblée une Provence tragique. L'univers ne s'ouvre à l'homme qu'au prix d'un difficile cheminement initiatique que symbolisent la remontée du fleuve et l'entrée dans la bestialité du Pays Rebeillard le Chant du monde, 1934. Si Un de Baumugnes (1929), Que ma joie demeure (1935) et Batailles dans la montagne (1937) sont des chants de fraternité, comment oublier que les deux derniers de ces romans se terminent par la défaite et la mort du héros sauveur ou sur son départ esseulé, et surtout que si Regain 1930 s'achève, lui, sur un happy end, c'est après avoir montré un village reconquis par une nature inhumaine et son dernier habitant sombrant dans la sauvagerie. Mais le cas exemplaire, c'est le récit largement apocryphe, que Giono, dans Jean le Bleu (1932), fait de sa propre enfance, pourtant placée sous la protection d'un véritable saint, son père ; car nulle part il n'a donné à voir autant de sanie, de misère et de mort que dans cette évocation de ses vertes années, dans cette hagiographie où le saint finit par annoncer sa propre faillite. D'ores et déjà Giono sait être cruel, et le sentiment panique qui en fait le frère de Whitman est terreur aussi bien que jouissance du Tout. La chaleur des narrations et des dialogues nous trompe magnifiquement. Et l'usage tragique et délicieux du monde auquel Giono nous convie nous rend ce monde charnel et proche.
En 1935, Giono entraîne un groupe d'adeptes au Contadour, un village perdu de Haute-Provence, centre, dès lors, de rencontres qui se renouvellent jusqu'en 1939. La guerre éclate. Giono se laisse mobiliser, ce qui ne l'empêche pas d'être arrêté en septembre ; il sera relâché en novembre. Mais pour avoir publié dans un hebdomadaire vichyssois un de ses romans, Deux Cavaliers de l'orage, et malgré l'aide efficace qu'il a fournie à des victimes du nazisme et à des résistants, il est incarcéré de nouveau à la Libération. Pour Giono, tout compte dans cette aventure : son revirement et la double et absurde persécution dont il est victime. Sa confiance en l'homme se perd, son univers noircit et son écriture change. Cette évolution ne se ramène toutefois pas à ces circonstances. Déjà, Deux Cavaliers de l'orage, rédigé presque entièrement entre 1937 et 1942 et publié en volume en 1965 seulement, reprend le thème de la fraternité virile, mais le fait verser dans le crime ; la volonté de puissance, conséquence d'un ennui qui a déjà sa dimension pascalienne, amène le frère aîné à tuer son cadet bien-aimé. Quant à la nature, elle n'est remède à ce même mal de vivre qu'à condition d'exhiber les monstres sous-marins de Fragments d'un paradis écrit en 1944. Seul refuge : l'imaginaire. À travers Pour saluer Melville 1941, biographie fabuleuse de l'auteur de Moby Dick, à travers les deux pièces écrites alors la Femme du boulanger, le Voyage en calèche, Giono offre une revanche à la fois ironique et triomphante à Don Quichotte : de même que celui-ci avait trouvé son bonheur dans les romans de chevalerie, de même Melville séduit Adelina White, le Boulanger reconquiert Aurélie et Julio emmène, souriante et consentante, sa Fulvia dans la mort parce que c'est par l'imaginaire seulement que ces personnages découvrent leur accomplissement.

Conclusion

Vient son automne. Giono projette plusieurs chroniques, il en achève deux, Ennemonde 1968, où s'épanouit la volonté de puissance et le bonheur dans le crime, et l'Iris de Suse 1970, qu'il avait pensé intituler l'Invention du zéro, car on y voit un truand converti à un amour gratuit et sans réponse, le plus proche de ce goût de la perte, si fréquent dans les chroniques et qui, pour finir, se révèle, dans la ferveur et l'ironie, la plus heureuse des tentations. Quand Giono retourne au théâtre par la radio avec Domitien 1959, il s'agit toujours de se perdre, et cette fois dans la mort ; quand il se lance dans le cinéma, Crésus 1960 illustre, à sa façon, l' invention du zéro et la perte heureuse de millions fallacieux. Enfin, s'il entreprend de conter le Désastre de Pavie 1963, c'est pour y saisir l'instant historique où s'abolit l'esprit de chevalerie, autrement dit le règne de l'imaginaire.

L'impossible mélange avec le monde

Naissance de l'Odyssée, achevé en 1927, réécriture parodique du poème homérique, est refusé par Grasset. C'est pourtant le roman fondateur qui contient en germe la plupart des thèmes à venir. Dès le naufrage initial se lit une hantise d'être dévoré par la mer, la gueule aux dents d'écume, mais aussi bien par la terre dont la mer est la constante métaphore chez Giono et par la femme : autant de figures de la mère castratrice. D'emblée, donc, on est très loin de la terre idyllique dont on a voulu que Giono soit le chantre : Ulysse est terrifié par les grandes forces mouvantes du magma panique. Mais il y a dans l'homme un désir, force analogue à celles du monde ; prisonnière des barrières de la peau, elle tend irrépressiblement à se fondre dans le monde maternel. Comment y parvenir sans être dévoré ? La réponse d'Ulysse va commander toute l'œuvre à venir : par la parole mensongère et elle l'est précisément en ce qu'elle substitue au réel un monde inventé, il institue un domaine imaginaire, un contre-monde, où il pourra, impunément, posséder les femmes, mais aussi capter et dire le « secret des dieux », comprenons les forces du monde. Et si la parole est comparée à une fontaine jaillissante, c'est qu'elle permet l'expression de la mer comprise comme force intérieure, tout en lui évitant l'absorption par l'abîme. Devant la réussite de son mensonge, Ulysse décide de l' utiliser sciemment. Par là, le roman inaugure chez Giono une poétique du mensonge, qui va s'avérer toutefois à double tranchant.

La Trilogie de Pan explore les possibilités qu'a l'homme de s'approprier la terre et la femme, objets inséparables de la quête des personnages. Colline 1929 raconte la révolte de la grande force de la terre symbolisée par le dieu Pan contre le double crime œdipien des villageois : en labourant la terre, ils la font saigner ; le vieux Janet, « un homme qui voit plus loin que les autres », est coupable, lui, d'avoir percé les secrets de la mère nature et de les dire : il parle, et la fontaine nourricière de Lure, « la mère des eaux », se tarit. Il faut qu'il meure pour qu'elle recoule. Ainsi la parole est-elle foncièrement ambivalente : ici, elle est mauvaise et expose à un châtiment. La victoire finale des villageois est provisoire. Un de Baumugnes 1929 est l'histoire d'une vierge séduite par un proxénète beau parleur : « C'est ça qui a fait le mal ; sa langue. » Le pur Albin la rachète, et avec elle le monde entier, parce que le chant de son harmonica a su abolir le fossé tragique entre la parole (le symbolique) et le réel. On notera que ce texte inaugure la technique du récit indirect, le narrateur étant un personnage, Amédée. Voilà surtout un roman qui, sous ses allures de mélodrame la rédemption de la fille perdue, travaille de façon très subtile sur les deux plans qu'il réfléchit l'un dans l'autre – celui de la fiction et celui de son écriture –, affirmant ainsi le caractère autoréférentiel de l'œuvre de Giono. Il met en effet en abyme son fondement même : Albin descendu des hauteurs de Baumugnes où ses ancêtres, symboliquement castrés protestants, on leur avait coupé la langue, s'étaient réfugiés, c'est l'écrivain résolu à se frotter à l'en bas dévorateur, c'est-à-dire au monde véritable des batailles qu'en réalité, en déserteur qu'il est, il a fuies dès lors qu'il a fait retrait dans le contre-monde de la littérature, ou encore à la Femme, ange et démon, belle et bête la fille s'appelle Angèle Barbaroux, pour que son livre, loin d'être désincarné, soit retrempé dans la matrice même des choses. Mais l'écrivain se projette d'abord sur Amédée, le vieil ouvrier agricole, un des premiers autoportraits de l'auteur en grand-père car lui appartient à l'en bas et y mourra, en ce qu'il accompagne l'autre dans l'espace désirable et redoutable du réel, afin d'obtenir que la parole de l'œuvre – qui produit donc ici le mythe de sa propre genèse – soit gagée sur le réel même : Au lieu de mots, c'étaient les choses elles-mêmes qu'il vous jetait dessus. Regain 1930 clôt le cycle par la victoire fragile de Panturle, qui échappe avec son village d'Aubignane à l'effacement dans la nature sauvage ; il soumet la terre à la loi de la culture en même temps qu'il s'empare d'une femme et la féconde. Dans ce roman s'ébauche une prédication sociale avec l'idéal autarcique d'une communauté fondée sur l'échange des richesses produites par un travail libre que les livres suivants vont amplifier. Dans Le Serpent d'étoiles 1931, Giono, par l'intermédiaire d'un jeu poétique prêté à des bergers, donne une dimension cosmique à la situation de l'homme, partagé entre l'obéissance aux lois de l'Univers et sa propension à s'enfermer derrière la grande barrière de ses reflets.
Tandis qu'il écrit Le Grand Troupeau, en 1930, Giono entre dans une grave crise existentielle qui va durer quatre ans, et dont l'aspect principal est une douloureuse privation du réel elle était donc latente dans les romans précédents. Dans ce roman largement autobiographique, la guerre radicalise la hantise de l'ogresse, de l'éventration, de la boue et du pourrissement. L'alternative de la fusion heureuse dans la vie universelle la pâte de vie à la campagne apparaît dès lors mythique, en même temps que l'imaginaire connaît ici sa première émancipation maladive : certains personnages s'engagent dans des dialogues avec les ombres des absents et des morts. La crise pousse Giono vers l'écriture théâtrale, dont il semble vouloir faire un usage cathartique. Coup sur coup il écrit Le Bout de la route 1931 et Lanceurs de graines 1932. En vain : les personnages succombent à la fatalité de la réclusion dans l'imaginaire, qui les exile de la femme et du monde.

Dans Jean le Bleu 1932, le désespoir suscite l'émergence de monstruosités et purifie le lyrisme. Dans ce récit d'enfance parfois halluciné, Giono tente de frayer la voie à un chant, celui des formes où puissent s'exprimer les forces du bas, celles du désir mais aussi celles des nôtres, des pauvres et des perdus, tel le déroulement d'un serpent – symbole récurrent du fond des choses – dans les libres formes de la musique : La flûte s'élança et, comme un serpent qui, debout dans l'herbe, construit avec la joie ou la colère de sa chair les fugitives figures de son désir, elle dessina le corps de ce bonheur dédaigneux qui habite la tête libre des parias. La parabole finale de la chute d'Icare dit la tentation et la vanité d'un envol solitaire dans de pures formes, également loin de la roue du monde et du bouillonnement social.

Le Chant du monde 1934, roman d'aventures et quête initiatique, exploite exemplairement la grande opposition propre à Giono du bas et du haut pays, pour atteindre ce but invariable : naturaliser une parole poétique qui est d'abord le produit d'une désertion. Dans les hauteurs du pays Rebeillard, prodigieuse métaphore du texte au sein même du roman, et de ce fait région maladive rongée par le poison de la mélancolie ou jouissance morbide de l'absence, vit Toussaint, autoportrait sublime et désespéré de l'écrivain en nabot guérisseur prisonnier de son ghetto le guérisseur guérit parce que, ayant compris le secret du monde, il peut réconcilier avec lui ceux dont la maladie est de s'en être coupés ; mais, pour le comprendre, il a dû s'en abstraire et souffre donc le premier du mal dont il soigne les autres : privation des choses, mélancolie, et bientôt ennui. Antonio le nageur, l'homme-poisson, monté dans ces hauteurs, y apprend de Toussaint que le désir a besoin des formes de la parole pour s'y exprimer. Ainsi initié, il va pouvoir être pleinement Bouche d'or et offrir ces formes à Clara, l'aveugle, métaphore d'un monde-mère en mal d'expression, et redescendre alors avec elle dans le bas pays, où il pourra passer pour le Poète capable d'émettre le chant même du monde.

Le projet d'installation de la joie de Que ma joie demeure 1935 échoue pour deux raisons : la peur de la femme dont l'amour engage à un dépassement total de l'individu, et le refus concomitant des « batailles » sociales. La commune rurale qu'instaure Bobi fonctionne en circuit fermé, en marge de la société et de la question sociale. Du coup, elle interdit aux gens du plateau Grémone, vivant en autarcie, de s'accorder à la démesure du paradis terrestre et perdu de la nature. Car celle-ci a pour loi la roue sans fin des transformations, et donc des combats continuels, à l'image de celui, mortel mais conforme au désir, des écureuils et du renard. Et seules des batailles analogues permettraient aux hommes d'être à l'unisson d'un monde où rien ne demeure. Le refus des batailles les réduit, déjà, à l'ennui en les enfermant dans un univers symbolique qui, décidément, est de trop dans le monde.

Giono et la politique

Malgré ces réticences, Giono s'est engagé à gauche dès 1934. Le retentissement considérable de Que ma joie demeure a deux conséquences. L'essai Les Vraies Richesses 1936 réaffirme l'idéal d'une communauté rurale autarcique, mais contient un appel à la révolte contre la société industrielle capitaliste qui asservit le travail et détruit les vraies richesses. D'autre part, en septembre 1935, a lieu, autour de Giono, le premier rassemblement sur le plateau du Contadour il y en aura neuf jusqu'à la guerre qui va devenir un foyer d'antifascisme et de pacifisme.

Le pacifisme intransigeant de Giono et son hostilité grandissante à l'égard du stalinisme entraînent sa rupture avec les communistes ; elle se marque par la publication en 1937 de Refus d'obéissance. La même année, Batailles dans la montagne, vaste roman épique aux nombreux personnages, conte l'engloutissement d'une vallée par un déluge d'eau et de boue. Saint-Jean comme Giono est partagé entre la tentation de s'évader, tel Icare, dans les hauteurs de la création, où rien ne se bat, et la participation au commun combat. Le dénouement, de nouveau, est amer. Dans l'essai visionnaire Le Poids du ciel 1938, l'auteur définit une position politique qui ne changera plus guère. Il y récuse avec force non seulement le fascisme, mais aussi le communisme soviétique par lequel il avait été tenté comme beaucoup d'écrivains de son temps. Il émet en effet une réserve majeure vis-à-vis des tentatives de suppression révolutionnaire de l'aliénation capitaliste, d'ailleurs violemment dénoncée : parce qu'elles perpétuent la civilisation industrielle technicienne génératrice de guerre, celles-ci tiennent les hommes éloignés de l'obéissance aux lois cosmiques qui suppose une réinsertion dans le devenir universel. Seul le travail individuel et sensuel de la matière – celui du petit agriculteur indépendant et de l'artisan – autorise la participation au mouvement de transformation continu qui est le monde. Inversement, noyé dans les masses que manœuvre la volonté de puissance des chefs, l'individu perd sa raison d'être et sa beauté .

Les Messages qui se succèdent jusqu'en 1939 Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, Précisions, Recherche de la pureté accentuent l'opposition de Giono aux totalitarismes en même temps que son refus d'une solution révolutionnaire. Le projet de roman des Fêtes de la mort, centré sur une insurrection paysanne contre la société industrielle, est abandonné en octobre 1938. Or ce renoncement à toute révolte active contre un ordre social qui dénature l'homme en le coupant de l'origine va avoir des conséquences considérables dans la suite de l'œuvre. Privée de débouché social, la force centrifuge individuelle aura tendance à se dépenser dans le jeu des passions, colorant du même coup la vision politique d'un scepticisme machiavélien Giono va devenir, à partir de 1948, un lecteur très attentif de Machiavel : On assouvit une passion égoïste dans les combats pour la liberté Voyage en Italie, 1953. Désormais, le théâtre cruel des passions remplacera ou doublera celui des opérations. Ainsi dans Deux Cavaliers de l'orage écrit de 1938 à 1942, mais publié en 1965. Détournée de la révolution, la force du désir s'invente un débouché narcissique : Marceau Jason, dit l'Entier comme le cheval, symbole de la force élémentaire, aime son jeune frère Ange, son reflet apollinien. Mais c'est se soustraire à l'impératif du mélange avec le Tout. Les deux frères s'entretuent : la force détruit l'être double qui voulait orgueilleusement la thésauriser. Les passions, en tant qu'elles se substituent au libre jeu des forces du désir dans le réel et tendent donc à fonctionner en vase clos, ne peuvent qu'être violentes, amères, désespérées. Ce sera bientôt la règle des Chroniques.

Une période de transition

Mais déjà une mutation a commencé de s'opérer : Entre 1938 et 1944 s'échelonnent une série d'œuvres de transition, dont chacune, à sa manière propre, apporte du nouveau et nous met sur le chemin des Chroniques R. Ricatte. Pour saluer Melville 1941 est un autoportrait indirect, comme toutes les Préfaces de Giono. Écrit au sortir de prison, ce livre, d'abord conçu comme un préambule à la traduction de Moby Dick, fait entendre un ton nouveau, où se marient ironie amère, pathétique et allégresse. Remplaçant la terre, la mer symbolise le monde désert pour l'homme, dès lors en proie à l'envie prométhéenne de s'égaler à cette démesure qui l'annule. Il n'est plus question pour Melville d'exprimer le monde perdu, mais le monde Melville : l'invention poétique crée un monde personnel qui ne peut plus guère se communiquer qu'à l'âme sœur, cette Adelina White qui joue donc le même rôle qu'Ange Jason et que, bientôt, la Pauline d'Angelo : elle est l'exutoire narcissique du désir. Or les œuvres composées pendant la guerre se caractérisent toutes par ce repli orgueilleux dans l'imaginaire. Deux pièces de théâtre, d'abord le théâtre est toujours pour Giono – s'il n'est de commande – le moyen de réfléchir les crises majeures. Dans La Femme du boulanger 1941, le boulanger, d'être abandonné par sa femme, est initié malgré lui à la trouble jouissance d'un manque plus fondamental, et apprend à se réapproprier le réel par son invention. Le Voyage en calèche 1943 opère un triple retrait : dans le passé, dans l'Italie paternelle et sous l'égide de Stendhal. Julio résiste, certes, à l'occupant, mais s'oppose en même temps à ceux qui, comme le colonel, dissimulent des appétits très personnels sous leurs prétentions révolutionnaires à faire le bonheur des autres. Sa principale arme est d'ailleurs le mensonge poétique, la création d'un univers d'images auquel il parvient à gagner Fulvia : les reflets de soi-même cessent provisoirement d'être une impasse et se retournent même en une Amérique. Mais c'est faire de nécessité vertu ; la mort demeure le seul véritable accomplissement.

Le retrait loin de la société s'accentue dans Fragments d'un paradis 1944, géniale paraphrase du Voyage de Baudelaire, où une navigation à la Moby Dick vise à restituer les conditions d'une confrontation régénératrice avec la naturelle démesure d'un monde paradis que figurent les monstres sortis des grands fonds. Mais il tourne à l'enfer pour des hommes qui ne disposent plus de formes vraies, enracinées et ne sont pas encore tout à fait prêts à voyager dans l'indéfini labyrinthe des formes littéraires pour contrebalancer les séductions délétères de l'abîme : la monstruosité naturelle détruit l' entassement d'images où se cantonne d'ordinaire le désir humain et pousse à une vertigineuse dépossession, à une perte de soi mystique.

Giono sous l'Occupation on peut lire désormais dans la Pléiade le passionnant Journal de l'Occupation ? Résumons les faits. On a pu lui reprocher surtout la publication de Deux Cavaliers de l'orage dans La Gerbe de décembre 1942 à mars 1943, hebdomadaire où les articles sur Giono étaient très fréquents, la parution de Description de Marseille le 16 octobre 1939 fragment de Chute de Constantinople, une œuvre avortée, précisément parce qu'elle s'efforçait malgré tout d'embrasser l'Histoire dans la Nouvelle Revue française de Drieu La Rochelle en décembre 1942 et janvier 1943, et un reportage photographique sur lui dans Signal en 1943. Sans parler de l'utilisation par le régime de Vichy de sa pensée réduite à une caricature retour à la terre » et à l'artisanat. Mais il est avéré d'autre part que Giono a caché et entretenu à partir de 1940 des réfractaires, des juifs, des communistes. Son œuvre porte des traces de cette résistance à l'hitlérisme : outre Le Voyage en calèche, interdit par l'occupant en décembre 1943, et dont le personnage de Julio se prolonge dans celui d'Angelo, résistant italien à l'occupant autrichien en 1848 Le Bonheur fou, il faut mentionner Angelo III, traqué par les troupes allemandes, dans le début inédit de Mort d'un personnage, et la mort de Clef-des-Cœurs dans le maquis Ennemonde. Voilà qui devrait mettre un terme à la légende d'un Giono collaborateur .

Le cycle du Hussard

En 1945, Giono conçoit le projet d'une décalogie contant alternativement l'histoire d'Angelo Pardi, jeune colonel de hussards piémontais, exilé politique en France, et celle de son petit-fils, Angelo III, vivant en France en 1945. La confrontation des deux époques se ferait au détriment de la seconde : Permettre par ce recul le sarcasme contre les temps actuels.Le projet est abandonné en 1947, mais quatre des livres prévus voient néanmoins le jour. Dans Angelo écrit en 1945, les désillusions politiques engendrent une très individualiste poursuite du bonheur sur le modèle de Stendhal, grâce à la création personnelle d'un climat passionné qui permette à la générosité du héros de s'épancher malgré tout, et à l'invention d'une âme sœur Pauline où il puisse à la fois projeter et recueillir son désir, comme dans un miroir.
Le problème s'aggrave dans Le Hussard sur le toit écrit de 1946 à 1951. Le choléra qui ravage la Provence appelle une lecture plurielle. Il est d'abord l'insoutenable incandescence d'un monde qui dévore les formes les splendeurs barbares du terrible été. Mais comme il est aussi la peur, l'égoïste repli sur soi que cette violence provoque chez les hommes, il devient, à l'échelle sociale, la barbarie dans l'histoire. Celle-ci suscite trois types de réactions : lâcheté et cruauté du plus grand nombre ; résistance de Giuseppe, le frère de lait d'Angelo, et de son organisation les communistes, dont la volonté de puissance prend pour alibi la liberté et le bonheur du peuple ; Angelo enfin. Sa conduite chevaleresque, sa fidélité à un idéal de grandeur qu'il retrempe sans cesse, pour s'y égaler, au spectacle de la grandeur du monde réalisent un équilibre supérieur entre les deux autres tendances, dans la mesure où lui aussi combat le choléra sans toutefois être guidé par des motifs égoïstes (il agira de même dans Le Bonheur fou, dernier roman du cycle, et où, parallèlement, il se dévoue passionnément à Pauline de Théus sans céder à l'appel vertigineux et mortel du monde et de la femme cette femme qui porte le prénom de la mère de l'écrivain, et dont il ne devient pas l'amant. Il aime et il se bat, mais jamais en pure perte. Pour ces deux raisons, il échappe à la troisième et principale forme du choléra : la maladie morale qui punit tous ceux qui, en avares , économisaient leur désir et se recroquevillaient dans leur peur. Cette maladie les obligera à laisser s'exprimer d'un seul coup, dans une liquéfaction-explosion libératrice, l'océan et le feu intérieurs, double métaphore de la force intérieure retenue. Le cholérique est calciné par la fièvre, il se vide et devient bleu comme la mer. C'est à cette fascination de la perte que cédait Pauline vieillie dans Mort d'un personnage achevé en 1946 parce que son désir était radicalement privé des formes habitables dont la perte d'Angelo symbolisait le manque atroce. L'amour d'un absent la conduisait à n'aimer plus que l'absence – à l'instar de l'écrivain, qui ne cessera plus de dire la jouissance amère du réel sur le mode de son manque ; or c'est la formule même de l'écriture, sur laquelle il a dû se replier une fois pour toutes, à son corps défendant.

Les Chroniques

Avarice, perte : telles sont les deux grandes postulations qui vont déterminer l'univers des Chroniques, mais qui étaient déjà présentes, en creux, dès le début de l'œuvre, dont la structure la plus profonde est et aura été celle de la perte indirecte, fragile synthèse des deux. Le choléra du Hussard, c'était en somme l'allégorie du tourniquet tragique dans lequel est pris le désir humain, rejeté dans l'avarice par la terreur de la perte, mais ne pouvant endurer la frustration qui en résulte qu'en vouant les autres à leur propre perte, pour en jouir par procuration. Cette partie capitale de sa production est d'abord sortie du projet formé par Giono après la guerre, alors qu'il était inscrit sur la liste noire du Comité national des écrivains et interdit de publication en France, d'écrire de courts récits alimentaires destinés à être publiés aux États-Unis. La deuxième de ces Chroniques, Noé 1948, définit l'avarice et la perte comme deux modes, opposés mais complémentaires, de gestion de la force interne. L'avare, amassant avidement l'or et surtout le sang de ceux dont il trame la perte, procède à une accumulation de la force et crée ainsi un monstrueux contre-monde, par refus orgueilleux et méprisant de la laisser se perdre, tandis que les hommes de la perte, saisis d'une irrésistible tentation, dilapident cette force pour se fondre avec elle dans le monde convoité. Comment jouir, sans se perdre, de l'apaisement mystique véritable dormition que procure la perte ? Les Chroniques explorent toutes les combinaisons possibles pour atteindre ce but. Noé élabore une solution au niveau du signifiant narratif en faisant proliférer des formes romanesques ouvertes, où le désir puisse se dilater sans y être enfermé, mais sans s'y perdre non plus : circulant dans le monde qu'il invente, il se conserve en soi. En outre, l'écrivain se ménage un nécessaire vertige. En effet, roman du romancier, cette fiction est faite du démontage des mécanismes qui l'instituent ; c'est exposer à tout instant à la ruine la création qui le sauve. Ainsi fera, dans Les Grands Chemins 1951, le personnage de l'Artiste, joueur de cartes qui triche au ralenti pour éprouver le vertige de perdre – jusqu'à sa vie. Un roi sans divertissement 1947 présente les principaux thèmes et caractères stylistiques des Chroniques. Dans la montagne du Trièves, l'hiver ferme le monde au désir humain, provoquant un insupportable ennui c'est aussi le cadre et le thème des nouvelles de Faust au village. Monsieur V... cherche un remède en faisant couler le sang de ses victimes sur la neige, comme l'écrivain, paradigme de l'avare, recrée sur la page blanche un monde aux couleurs du paon. Par victime interposée, il jouit ainsi de l'épanchement désiré. Tel est le cruel théâtre du sang. Langlois, limier lancé sur ses traces, a trop bien compris le sacrificateur et n'a de ressource que dans le suicide qui lui fait prendre, « enfin, les dimensions de l'univers . La forme narrative se caractérise par un nombre plus restreint d'adjectifs et d'images, un style oral dû à la présence de récitants, laquelle détermine un récit lacunaire, où abondent ambiguïtés et ellipses, et qui convient à une métaphysique du vide. Langlois reparaît dans Les Récits de la demi-brigade 1972, où il croise Laurent et Pauline de Théus, de sorte qu'un pont est jeté entre les Chroniques et le cycle du Hussard.
Une micro-société égoïste et mesquine exacerbe le jeu des passions dans Les Âmes fortes 1950 et Le Moulin de Pologne 1952. Dans le premier de ces deux romans, les trois versions contradictoires des rapports entre Thérèse et Mme Numance consacrent le primat de l'imaginaire tout en raffinant sa fonction : Thérèse projette sur sa très généreuse protectrice son propre penchant à la dilapidation passionnelle, et ce sang qu'elle perd indirectement, elle le dévore inexorablement, s'arrogeant ainsi le pouvoir d'anéantissement qui est d'ordinaire le propre du monde. Une révolte analogue contre l'ordre des choses anime la Julie du Moulin de Pologne 952, héritière du destin des Coste, lesquels aspirent secrètement à leur propre perte. Repoussée par la bonne société qui jalouse sa démesure sublime, Julie est réduite à substituer à la réalité son propre univers héroïque et tendre. Mais, dépossédée du réel, elle éprouve la séduction du néant, comme, à sa suite, son fils Léonce, en dépit de l'empire protecteur que construit autour d'eux M. Joseph, nouvelle image de l'écrivain dans sa fiction, s'efforçant en vain de soustraire ses créatures au vertige du rien auquel il ne cesse de succomber lui-même, par personnage de la perte interposés. Ces monstruosités psychologiques qu'enfante l'hypertrophie du désir chez les âmes fortes , Giono aime à les retrouver dans les faits divers Notes sur l'affaire Dominici et dans l'histoire Domitien, Le Désastre de Pavie. Il n'y survit lui-même que par son art, comme en témoigne, après Noé, l'admirable Déserteur 1966 : à l'instar du peintre de Nendaz, l'artiste est celui qui déserte l'en bas dévorant du monde et d'une société qui aliène la force des misérables. Il se réfugie dans les hauteurs, parmi les autres travailleurs, lui qui aide à vaincre l'ennui en travaillant la pâte du monde afin que naissent les formes où s'exprimeront les forces du désir. Il s'égale alors au Père en devenant à son tour un guérisseur. Est-ce à dire qu'il échappera au « destin ? L'énormité triomphante de l'ogresse d'Ennemonde 1965 défie une morale et un monde devenus décidément inhabitables ; mais, vieillie, elle finit par perdre ses formes pour mieux disparaître dans le cycle des métamorphoses terrestres. De même, le Tringlot de L'Iris de Suse 1970 trouve la vérité de sa quête d'absolu en renonçant à l'or accumulé pour aimer l'Absente.Ainsi se boucle une œuvre au romantisme tragique et allègre, où la passion, privée d'objet, s'est sublimée en passion de l'absence : du zéro.

Giono et le cinéma

Plusieurs cinéastes ont porté à l'écran des œuvres de Giono, avec un bonheur inégal. Marcel Pagnol est l'auteur de films de qualité, mais fort éloignés de l'esprit des textes Jofroi, Angèle, Regain, La Femme du boulanger. Il en va de même du Chant du monde de Marcel Camus 1965, des Cavaliers de l'orage de Gérard Vergez 1984, du Hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau 1995 et des Âmes fortes de Raoul Ruiz 2000. D'autres ont franchement maltraité leur modèle Émile Couzinet, Le Bout de la route, 1949 ; Christian Marquand, Les Grands Chemins, 1963. L'intérêt de Giono lui-même pour le septième art est ancien et vif, quoique balancé par sa méfiance vis-à-vis de l'industrie cinématographique. Des commandes l'ont poussé à écrire de plus en plus pour le cinéma. Il rédige dès 1942 un découpage technique du Chant du monde, jamais tourné, compose en 1956 le scénario de L'Eau vive qui présente sous une forme romancée les conséquences de l'édification du barrage de Serre-Ponçon. Avec l'équipe du film le réalisateur François Villiers, le scénariste Alain Allioux, il décide de porter à l'écran Le Hussard sur le toit, dont il écrira un scénario complet. Des difficultés de production empêcheront le projet d'aboutir, mais il en sortira un court métrage très original, Le Foulard de Smyrne 1958, conçu comme le banc d'essai du Hussard ; la description de l'invasion du choléra y est faite selon le procédé de la caméra subjective auquel Giono était fort attaché. La même technique inspire un autre court métrage : La Duchesse 1959, axé sur le brigandage légitimiste en Provence qu'on retrouvera bientôt dans les Récits de la demi-brigade. En 1959, Giono adapte Platero et moi de Juan Ramon Jiménez, mais le film ne se fera pas. La même année, il crée la Société des films Jean Giono, destinée à lui garantir la maîtrise de l'exploitation cinématographique de son œuvre. C'est elle qui produit Crésus, scénario original dont Giono assure la mise en scène. Un berger dont le rôle est tenu par Fernandel découvre les vertus d'une civilisation du pe après qu'une fortune démesurée a livré son désir au vertige du vide : la misère, c'est le désir.'est surtout dans l'adaptation qu'il écrit d'Un roi sans divertissement tournée par François Leterrier en 1963 que Giono se montre habile à manier le langage propre au cinéma, par la concentration du récit et le travail sur les couleurs. Il compose encore des commentaires pour des courts métrages L'Art de vivre, 1961 ; La Chevelure d'Atalante, 1966 ; 04, 1968. Au total, le cinéma aura offert à Giono la possibilité d'imprimer des formes narratives nouvelles aux thèmes obsédants qu'exprime toute son œuvre.

Le Hussard sur le toit

C'est en 1946 que Jean Giono 1895-1970 entreprend Le Hussard sur le toit. Mais des pannes d'écriture le forcent à en interrompre à deux reprises la rédaction. Six autres de ses romans voient le jour avant qu'il n'en achève l'écriture. La publication, en 1951, met un terme aux vicissitudes que l'auteur rencontrait depuis la Libération et qui avaient fait décliner son renom. D'emblée, Le Hussard obtient la reconnaissance de la critique et l'audience du grand public : 50 000 exemplaires sont vendus en un an. Il demeure le roman le plus célèbre de Giono et, à ce titre, a fait l'objet, en 1995, d'une adaptation cinématographique due à Jean-Paul Rappeneau.

Le mal obscur

Ce succès s'explique aisément. D'abord, parce qu'il décrit les ravages d'une épidémie de choléra dans la France du XIXe siècle, ce roman d'apocalypse, à l'instar de La Peste de Camus, paru quatre ans plus tôt, possède un impact émotif évident : Comment, dit le jeune homme, vous ne savez pas ? Mais d'où venez-vous ? C'est le choléra morbus, mon vieux. C'est le plus beau débarquement de choléra asiatique qu'on ait jamais vu ! ». Ensuite, contrairement à ses récits complexes et touffus d'avant-guerre, Giono adopte ici une technique narrative très sobre. Pas de télescopage des temps et des époques, mais la stricte succession des événements ; Le Hussard est une chronique. Pas d'intrigue fourmillante, mais une unité de temps, de lieu et d'action : une épidémie en Haute-Provence durant un été des années 1830. Pas de points de vue multiples sur l'action, mais un regard unique : tout ou presque est relaté, perçu ou deviné par Angelo, personnage central, constamment sur le devant de la scène.
À la fois témoin et acteur, Angelo ne se présente pas au lecteur. C'est par bribes que le récit fournit quelques indications qui permettent de retracer sommairement son histoire. Fils naturel de la duchesse Pardi, c'est un soldat de métier qui a acheté son brevet de hussard. Âgé de vingt-cinq ans, mêlé à des complots politiques, il a tué en duel un baron autrichien et dû fuir l'Italie pour la France. Il arrive en Provence au moment où, par une exceptionnelle canicule, s'abat l'épidémie de choléra. Traversant un hameau jonché de cadavres monstrueux, il rencontre un jeune médecin qui lui explique la nature du fléau avant d'y succomber.
Angelo poursuit sa route, en veillant à échapper aux patrouilles qui arrêtent les voyageurs pour les mettre en quarantaine. Parvenu à Manosque, il est accusé d'avoir empoisonné une fontaine où il s'est abreuvé. Échappant de peu à un lynchage, il se réfugie sur les toits de la ville – d'où le titre du roman. Après s'y être caché, il entre dans une maison où une jeune femme, Pauline de Théus, l'héberge, puis il aide une vieille nonne à laver les morts abandonnés.
Sortant de la ville, il campe dans les collines voisines où il retrouve Giuseppe, son frère de lait. Ils décident de rentrer en Italie, chacun de leur côté, afin d'œuvrer pour le bonheur de l'humanité. En chemin, Angelo croise Pauline qui tente de regagner le château de son mari. Ils font alors route ensemble et rivalisent de bravoure, repoussant des brigands, s'échappant de la forteresse où ils ont été enfermés. Mais Pauline est atteinte par le choléra. Angelo lutte toute une nuit pour faire refluer le mal et la sauve. L'ayant raccompagnée à Théus, il retourne chez lui : L'Italie était là derrière. Il était au comble du bonheur.
Angelo est un des personnages les plus attachants qu'ait créés Giono. Ce dernier a d'ailleurs fait de ce lointain cousin des héros de Stendhal la figure centrale de deux autres romans, Angelo 1958 et Le Bonheur fou 1957, qui composent avec Mort d'un personnage 1949, bouleversant récit des derniers jours de Pauline de Théus, son unique cycle romanesque.
Sa désinvolture, son irrespect de l'ordre social, son sens des réalités pratiques qui le fait s'inquiéter du confort de ses bottes ou de sa réserve de petits cigares introduisent une distance ironique et même humoristique par rapport au tragique de l'histoire. Cavalier et manieur de sabre émérite et intrépide, il provoque l'action et contribue ainsi à donner au roman sa dimension picaresque : Le Hussard est une suite de saynètes variées qui font apparaître quantité de figures pittoresques et évitent la monotonie que pourrait engendrer la seule description de l'épidémie. Enfin, Angelo est un noble, respectueux d'un idéal chevaleresque, fait d'altruisme et d'assistance aux plus faibles, qui l'amène non pas à fuir le choléra, mais à le combattre.

Du réalisme au merveilleux

Le roman picaresque prend alors les allures d'une épopée, pour laquelle l'auteur a dit s'être inspiré de L'Arioste. Le réalisme fait place au surnaturel, la chaleur métamorphose les paysages coutumiers : « Le ciel de craie s'ouvrait sur une sorte de gouffre d'une phosphorescence inouïe d'où soufflait une haleine de four et de fièvre, visqueuse. » Les animaux les plus familiers, rossignols ou hirondelles, se transforment en monstres carnassiers. Le choléra lui-même revêt des signes cliniques inédits ; Giono lui prête des traits de la peste et invente même certains symptômes, comme « cette matière blanchâtre, semblable à du riz au lait » que dégorgent les mourants.

Tout cela a parfois incité les critiques à voir dans Le Hussard autre chose qu'une simple histoire d'épidémie et notamment une allégorie de la guerre. D'ailleurs, dans le roman lui-même, un médecin expose une conception philosophique selon laquelle le fléau n'atteint pas les hommes par hasard : c'est leur orgueil qui les conduit vers le mal. Mais Giono récusait toute symbolique, le choléra est d'abord un verre grossissant qui permet à Angelo de voir les hommes, non tels qu'ils apparaissent dans les circonstances ordinaires de la vie, mais tels qu'ils sont réellement .

Roman philosophique ou roman moral, Le Hussard est aussi un grand roman d'amour. Amour non seulement platonique, mais même entièrement non dit puisque Pauline et Angelo n'échangent ni gestes ni paroles intimes, il n'en trouve pas moins son expression et son paroxysme lorsque Angelo frictionne jusqu'à l'épuisement le corps de sa compagne de route pour éviter qu'il ne se cyanose, arrachant celle-ci à la mort.

Un roi sans divertissement

Rédigé à la fin de l'été 1946, en à peine plus d'un mois, publié en 1947, Un roi sans divertissement est le premier d'une série de récits d'un genre nouveau chez Jean Giono : celui des chroniques romanesques. Au contraire des romans d'avant guerre, comme Le Chant du monde 1934, Le Grand Troupeau 1931 ou Batailles dans la montagne 1937, qui construisaient des mythologies intemporelles où la nature tenait le rôle principal, ces œuvres s'inscrivent dans le temps et placent l'homme au premier plan : Il s'agissait pour moi, écrit l'auteur en 1962, de composer les chroniques, ou la chronique, de ce „Sud imaginaire“ dont j'avais, pour mes romans précédents, composé la géographie et les caractères .... Je voulais, par ces chroniques, donner à cette invention géographique sa charpente de faits-divers tout aussi imaginaires.
1. Un fait-divers sous Louis-Philippe
C'est donc sur un fait-divers, dont l'histoire est reconstituée par un narrateur contemporain de Giono, que s'ouvre Un roi sans divertissement : les disparitions mystérieuses de paysans dans un petit village du Trièves Dauphiné, durant l'hiver de 1843. Dépêchée sur place, la gendarmerie, avec à sa tête le capitaine Langlois, enquête et surveille en vain : les rapts continuent, et un cochon est retrouvé tailladé à coups de lame. Par hasard, un villageois surprend un étranger sortant des frondaisons d'un grand hêtre où l'on retrouvera les cadavres des disparus. Intrigué, il le suit jusqu'à Chichiliane, de l'autre côté de la montagne. Là, il demande à qui appartient la maison bourgeoise où il a vu entrer cet inconnu. C'est celle de M.V., M. Voisin, explicite Giono dans le manuscrit, c'est-à-dire non pas un monstre, mais « un homme comme les autres ». Alerté, Langlois se rend au bourg avec une escouade. Puis il convainc M.V. de sortir dans la rue, échange quelques mots avec lui avant de l'abattre de deux coups de pistolet dans le ventre.
Langlois démissionne alors de la gendarmerie, mais demeure dans le village du Trièves. Le procureur royal, son ami, le fait nommer commandant de louveterie. Un loup énorme décimant les troupeaux, Langlois organise une battue, accule l'animal à la montagne et le tue, comme il l'a fait de M.V. : Ainsi donc, tout ça, pour en arriver encore une fois à ces deux coups de pistolet tirés à la diable, après un petit conciliabule muet entre l'expéditeur et l'encaisseur de mort subite !
Ce double exploit accompli, le héros semble peu à peu rongé par un mal intérieur. Ses amis, le procureur royal, Madame Tim, vieille et munificente châtelaine d'origine créole, Saucisse, ancienne fille des rues et truculente tenancière d'auberge, tentent d'empêcher sa dérive. Il les emmène en visite chez une veuve nécessiteuse dont on devine qu'elle fut la femme de M.V. Il construit un bongalove. Il épouse Delphine, recrutée par les bons soins de Saucisse. Un soir, au lieu de l'habituel cigare, Langlois allume à ses lèvres un bâton de dynamite : Et il y eut, au fond du jardin, l'énorme éclaboussement d'or qui éclaira la nuit pendant une seconde. C'était la tête de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l'univers.

Le poison de l'ennui

À sa parution, Un roi sans divertissement déconcerta les lecteurs. Cette œuvre, dont la construction est complexe, demeure difficile à appréhender. Le narrateur cédant la parole à divers intervenants, on ne sait plus toujours très bien qui parle ni d'ailleurs à quel moment se situe l'action, en raison d'oscillations continuelles entre le XXe siècle, temps du récit, et le XIXe siècle, temps de l'action.
L'œuvre est également composite dans son ton et dans son style. Giono voulait que ses chroniques ressemblent à des opéras-bouffes, qu'elles mélangent farce et drame. Passant sans cesse du coq à l'âne, Un roi sans divertissement fait se succéder goguenardise et gravité, débraillé et précieux, tragique et burlesque.
Enfin, le roman cultive l'implicite et le non-dit. Ni le narrateur ni l'auteur ne proposent de commentaire. Langlois lui-même, introverti, mystérieux, ne livre rien de ses pensées. Aussi la clé de l'histoire est-elle à chercher dans la citation de Pascal qui conclut le roman et lui donne son titre : Un roi sans divertissement est un homme plein de misères.
Qu'est-ce ici que l'absence de divertissement ? C'est le carcan de l'hiver, le paysage désespérément blanc et gris. Tout le contraire de la messe de Noël, avec l'or de son ciboire et de ses chasubles, de la chasse avec ses tenues d'apparat et ses sonneries de cors, ou encore du sang d'une oie égorgée qui s'égoutte sur la neige.
Tous ces cérémonials fascinent Langlois parce qu'ils comblent le vide d'un monde sans substance. Meurtrier à deux reprises, le héros prend peu à peu conscience que l'ennui fait naître chez lui les mêmes pulsions sadiques que chez M.V. C'est pourquoi il veut connaître son épouse et même ses objets familiers, pour saisir sa personnalité. Pour lui aussi, la mort peut être un spectacle divertissant et la souffrance de l'autre un plaisir esthétique. Parce qu'il sent monter en lui ce besoin de cruauté, il met fin à ses jours.
Livre pessimiste, un des plus noirs que Giono ait écrit avec Les Âmes fortes 1950, Un roi sans divertissement, traversé de visions fulgurantes et oniriques, porté par le lyrisme de l'écriture, témoigne d'une extraordinaire puissance d'imagination. Le grand hêtre aux cadavres, la traque du loup dans le val de Chalamont ou la mort de Langlois sont autant de pages qui hantent à jamais la mémoire du lecteur.

Liens
http://youtu.be/ldybm1QDodc Entretien 1959
http://youtu.be/8-fBlUwq4AI interview 1
http://youtu.be/oWksWL_6iwg interview 2
http://youtu.be/RcueTeLeMwM Giono INA
http://youtu.be/SzrSl0z2Cro Le Hussard sur le toit du roman au film
http://youtu.be/MSlm0c5hMVY Regain lu par Henri Tisot
http://youtu.be/n5RmEWp-Lsk L'homme qui plantait des arbres lu par Philippe Noiret
http://youtu.be/NkV8JQKSvdA L'eau vive film de François Villiers en 1958

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Posté le : 29/03/2014 20:17

Edité par Loriane sur 30-03-2014 14:12:59
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Francisco Goya 1
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Le 30 Mars 1746 à Fuendetodos, près de Saragosse,naît

Francisco de Goya y Lucientes Espagne, dit Francisco de Goya
,

peintre et graveur espagnol. Son œuvre inclut des peintures de chevalet, des peintures murales, des gravures et des dessins, ses maîtres sont José Luzán et Francisco Bayeu, ses Œuvres les plus réputées sont Tres de Mayo, Dos de Mayo, Saturne dévorant un de ses fils, La Maja vêtue / La Maja nue, et Peintures noires, il meurt , à 82 ans le 16 avril 1828 à Bordeaux, en France.

Il introduisit plusieurs ruptures stylistiques qui initièrent le romantisme et annoncèrent le début de la peinture contemporaine. L’art goyesque est considéré comme précurseur des avant-gardes picturales du XXe siècle.
Après un lent apprentissage dans sa terre natale, baigné dans le style baroque tardif et les images pieuses, il voyage en Italie en 1770, où il entre en contact avec le néoclassicisme qu’il adopte lorsqu’il s’installe à Madrid au milieu de la décennie, en parallèle avec un style rococo lié à son emploi de dessinateur de tapisserie pour la manufacture royale Santa Barbara. Son enseignement, tant dans ces activités que comme peintre de la Chambre, était assuré par Raphaël Mengs, alors que le peintre espagnol le plus réputé était Francisco Bayeu, beau-frère de Goya.
Il contracte une grave maladie en 1793 qui le rapproche de peintures plus créatives et originales, autour de thèmes moins consensuels que les modèles qu’il avait peints pour la décoration des palais royaux. Une série de tableaux en fer-blanc, qu’il nommait « caprice et invention », initient la phase de maturité du peintre et la transition vers l’esthétique romantique.
Son œuvre reflète de plus les caprices de l’histoire de son temps, et surtout les bouleversements des guerres napoléoniennes en Espagne. La série d’estampes Les Désastres de la guerre est presque un reportage moderne sur les atrocités commises et met en avant-plan un héroïsme où les victimes sont des individus qui n’appartiennent ni à une classe ni à une condition particulière.
La célébrité de son œuvre La Maja nue est en partie liée aux controverses sur l’identité de la belle femme qui lui servit de modèle. Au début du XIXe siècle, il commence également à peindre d’autres portraits et ouvre ainsi la voie à un nouvel art bourgeois. À la fin du conflit franco-espagnol, il peint deux grandes toiles sur le soulèvement du 2 mai 1808 qui établissent un précédent tant esthétique que thématique sur les tableaux historiques, qui non seulement informe sur les événements vécus par le peintre, mais également lance un message d'humanisme universel.
Son chef-d’œuvre est la série de peintures à l’huile sur mur sec qui décorent sa maison de campagne, les Peintures noires. Avec elles, Goya anticipe la peinture contemporaine et différents mouvements avant-gardistes du XXe siècle.

Goya tient cette gageure de jouir d'une égale popularité à l'étranger et dans sa propre patrie. Qui plus est, cette faveur générale, acquise dès son vivant, ne s'est jamais démentie. Il s'agit d'un phénomène unique dans l'histoire de l'Espagne, qui tient à la situation du peintre, d'une part vis-à-vis de son peuple, mais aussi, d'autre part, par rapport à l'évolution générale du temps.
L'Espagne a trouvé en Goya un observateur d'une cruelle lucidité, à un moment décisif de son destin historique, alors que s'opérait le renouvellement politique et social du pays à travers le drame d'une guerre de libération nationale. Le Goya du Tres de Mayo, Prado, Madrid et des Désastres de la guerre se révèle comme le plus espagnol des peintres de l'Espagne.
Cependant, sur un plan plus large, Goya est installé à la charnière de deux mondes : le XVIIIe siècle éclairé et le monde moderne dont il découvre autour de lui et en lui-même la tumultueuse gestation. Le Goya visionnaire, sans annihiler complètement l'homme éclairé, déplace vers un univers de ténèbres les frontières de l'humain.
Pour transmettre le résultat de ses expériences et de ses découvertes, pour donner forme à ses visions, Goya ne pouvait compter sur le langage de la peinture traditionnelle. Au prix d'un immense labeur – 500 peintures, 280 eaux-fortes et lithographies environ, et près d'un millier de dessins – il créa une nouvelle technique d'expression. Avec lui naît la peinture moderne.
À la recherche d'une expression libre la technique de Goya ne se distingue guère de celle de ses émules que par la franchise et l'audace des couleurs, à l'éclat de porcelaine, et parfois par la division de la touche.
Jusque-là, la carrière de Goya avait été celle d'un homme grandi à l'ombre de l'académisme. Une série d'événements extérieurs et intimes vont en briser le cours et délivrer l'artiste de l'emprise des règles.
La crise est préparée par la mise à l'écart de l'élite éclairée auprès de laquelle Goya avait trouvé amitié et protection : Floridablanca, Jovellanos, Cabarrús, Ceán Bermúdez. Un climat de corruption, entretenu par la reine Marie-Louise et son amant Godoy, va précipiter le déclin de l'Espagne.
Active en Espagne jusqu'au début du XIXe siècle, l'Inquisition est vivement critiquée par les tenants de la Ilustración,elle est dénoncée par Goya dans "les Lumières espagnoles". Francisco Goya la dénoncera avec véhémence. No hubo remedio, "Il n'y a pas eu moyen "
Cependant, l'artiste dépasse ce stade purement critique en dévoilant ce que l'idéologie réformiste et optimiste des Lumières ne soupçonnait pas : la perversion fondamentale de l'homme. Au fond de l'humain, sa raison mortifiée a perçu un abîme où règne l'absurde.
Un monde capricieux de formes hallucinantes et de créatures grotesques, avec des scènes de supplices et des sabbats, envahit soudain l'univers de Goya. Cette découverte change complètement le sens même de sa peinture. De moyen d'ascension sociale, elle se transforme en un exercice libre au service d'une réalité essentielle et obsédante. Une écriture nouvelle naît, en rapport avec ce monde de rêve. Ce sont, en gravure, les contrastes brutaux entre les noirs et les blancs, accompagnés par les grands plans de l'aquatinte. En peinture, une touche plus rapide juxtapose les tons plus qu'elle ne les lie.
Cette technique impressionniste apparaît dans une série de tableaux inquiétants : La Procession de flagellants, La Procesión de disciplinantes, La Course de taureaux dans un village, Corrida de toros en pueblo, Scène d'Inquisition, Escena de Inquisición, Maison de fous, La Casa de locos, tous à l'Academia de San Fernando, à Madrid, que la critique a tendance à repousser à la fin des années quatre-vingt-dix. Le retour en grâce, en 1797, de deux de ses amis, Jovellanos et Saavedra, lui vaut de nouvelles commandes officielles. La plus importante de celles-ci est constituée par les fresques de la petite église de San Antonio de la Florida, in situ où apparaissent déjà des formes puissantes et des têtes brusquement abrégées, annonçant les œuvres de la période noire.
À la suite d'une terrible maladie, survenue à Cadix en 1792, Goya demeure irrémédiablement sourd. Cette infirmité, qui le coupe de l'extérieur, joue le rôle d'un catalyseur et libère un monde angoissant auquel le peintre avait échappé auparavant en se lançant à corps perdu dans la vie sociale et mondaine.
Goya visionnaire, une nouvelle crise, historique celle-là, renforce Goya dans son pessimisme. En 1808, la monarchie espagnole s'effondre. Napoléon impose à la péninsule l'autorité de son frère, mais l'occupation française déclenche la révolte populaire.
L'attitude de Goya devant cette tragédie est ambiguë. D'une part, la France demeure pour lui le pays qui a répandu à travers le monde les idées de liberté qui lui sont chères. De l'autre, il voit de ses yeux l'horreur sanglante dans laquelle est emporté son peuple. Tout en peignant le roi intrus et ses amis afrancesados, il compose entre 1810 et 1814 les Désastres de la guerre, ensemble de planches où s'étale la férocité humaine. Il y démythifie la guerre en lui retirant son halo d'héroïsme et de gloire.
Son génie, relancé par l'expérience tragique, atteint à une hardiesse de facture étonnante. Les deux tableaux célèbres, Dos de Mayo et Tres de Mayo [1808], exécutés pour les cérémonies commémoratives, en mai 1814, brisent définitivement avec toutes les règles classiques par le sujet – un événement contemporain – et par la composition, puissamment dynamique. Surtout, ils assurent à la foule anonyme son entrée dans l'art, annonçant ainsi Delacroix et la peinture romantique.


Sa vie

Jeunesse et formation 1746-1777

Francisco de Goya y Lucientes naît en 1746 au sein d’une famille de rang social intermédiaire. De sa condition sociale, Nigel Glendinning dit :
Il pouvait se déplacer facilement entre les différentes classes sociales. La famille de son père était à cheval entre peuple et bourgeoisie. Son grand-père paternel était notaire, avec le niveau social que ça impliquait. Cependant, son arrière-grand-père et son père n’eurent pas droit à la marque "don" : il était doreur et maître d’œuvre. En suivant la carrière d’artiste peintre, Goya pouvait lever ses yeux. De plus, du côté de sa mère, les Lucientes avaient des ancêtres hidalgo, et rapidement il se maria avec Josefa Bayeu, fille et sœur de peintre.
Il naît l’année où les Goya doivent déménager de Saragosse dans le village de Fuendetodos, à une quarantaine de kilomètre au sud de la ville, pendant les travaux et transformations exécutés sur la demeure familiale. Ses parents sont un maître doreur, artisan d’un certain prestige, dont les relations de travail contribuent à la formation artistique de Francisco. L’année suivante, la famille revient à Saragosse, mais les Goya maintiennent un contact avec le village natal du futur peintre, comme le révèle son frère aîné Thomas qui continue dans la voie de son père et en reprend l’atelier en 1789.
Alors que Francisco est âgé d'un peu plus de dix ans et qu’il a déjà commencé ses études primaires, probablement à l’école Escolapios de Saragosse, sa famille fait face à des difficultés économiques qui ont certainement obligé le très jeune Goya à aider au travail de son père. C'est peut-être cela qui explique que son entrée à l’Académie de dessin de Saragosse de José Luzán est retardée à 1759, une fois qu’il a atteint treize ans, un âge un peu tardif selon les habitudes de l’époque. Son apprentissage avec José Luzán se prolonge jusqu’en 1763, mais on en sait peu de choses sur cette période. D’après Bozal, Il ne reste rien des peintures de Goya de cette époque. Cependant, certaines toiles religieuses lui ont été attribuées. Elles sont très marquées par le baroque tardif napolitain de son premier maître, notamment dans La Sainte famille avec Saint Joaquim et Sainte Anne devant l’éternelle gloire, et sont exécutées entre 1760 et 1763, selon José Manuel Arnaiz.
Dans tous les cas, Goya est un peintre dont l’apprentissage progresse lentement et son œuvre de maturité est relativement tardive. Il n’est pas étonnant qu’il n’obtienne pas le premier prix au concours de peinture de troisième catégorie convoqué par l’académie royale des beaux-arts de San Fernando en 1763, pour lequel le jury vote pour Gregorio Ferro, sans mentionner Goya. Trois années plus tard, il retente sa chance, cette fois lors d’un concours de première classe pour l’obtention d’une bourse de formation à Rome, sans plus de succès.
Cette déception a pu motiver son rapprochement du peintre Francisco Bayeu — parent éloigné des Goya — qui avait été appelé à Madrid en 1763 par Raphaël Mengs pour collaborer à la décoration du palais royal de Madrid. En décembre 1764, un cousin de Bayeu épouse une tante de Goya. Il est très probable que le peintre de Fuendetodos déménage à la capitale à cette époque, afin d’y trouver à la fois un protecteur et un nouveau maître, comme le suggère la présentation de Goya en Italie en 1770 comme disciple de Francisco Bayeu.

Voyage en Italie

Après ses deux échecs pour obtenir une bourse pour aller étudier les maîtres italiens in situ, Goya, avec ses propres moyens, part à Rome, Venise, Bologne et à d'autres villes italiennes où il fait l’apprentissage des œuvres de Guido Reni, Rubens, Véronèse et Raphaël, entre autres peintres. Il existe un important document au sujet de ce voyage d’étude : un carnet de notes intitulé carnet italien est notamment le premier d’une série de carnet de croquis et d’annotations conservée en majeure partie au musée du Prado. Ces albums se distinguent par une lettre de A à H qui en indiquent l’ordre chronologique. S'y trouve la majeure partie des dessins de Goya, où il s’exprime de façon très libre et rapide. Dans ce domaine cependant, le carnet italien est le plus conventionnel, puisqu’il s’agit d’un cahier de travail et d’exercices plus qu’un corpus d’œuvres originales.

À Parme, Goya participe à un concours de peinture dont le thème imposé est les scènes historiques. Bien qu'ici non plus il n'obtient pas la distinction maximale, il reçoit cependant une mention spéciale du jury. Sa toile Hannibal vainqueur contemple pour la première fois l'Italie depuis les Alpes montre combien le peintre aragonais est capable de s'émanciper des conventions des images pieuses apprises avec José Luzán et du chromatisme du baroque tardif, rouge, bleu sombres et intenses, et les gloires orangées comme représentation du surnaturel religieux pour adopter un jeu de couleurs plus risqué, inspiré des modèles classiques, avec une palette aux tons pastels, rosés, bleus doux et gris perle.
Goya adopte avec cette œuvre l'esthétique néoclassique, recourant à la mythologie et à des personnages tels que le minotaure qui représente les sources du fleuve Pô ou la Victoire avec ses lauriers descendant du ciel sur l'équipage de la Fortune.
En 1771, Goya revient en Espagne ; un retour peut-être précipité par la maladie de son père ou pour avoir reçu de la Junta de Fábrica del Pilar, une commande pour une peinture murale pour la voûte d'une chapelle de la Vierge, commande probablement liée au prestige acquis en Italie.

Peinture murale et religieuse à Saragosse

L’activité de Goya durant ces années est intense. Entré, à l'instar de son père, au service des chanoines du Pilar, il décore avec une grande fresque terminée en 1772, L'Adoration du nom de Dieu, la voûte du chœur de la basilique du Pilar, œuvre qui satisfait l’organisme en charge de la construction du temple. Immédiatement après, il entreprend la réalisation de peintures murales pour la chapelle du palais des comtes de Sobradiel, avec une peinture religieuse qui est arrachée en 1915 et dispersée en pièces conservées, en majeure partie, au musée de Saragosse. La partie qui couvrait le toit, intitulée L’enterrement du Christ, musée Lazarre Galdiano, est particulièrement notable.
Mais ses travaux les plus remarquables demeurent sans doute l’ensemble de peintures pour la Chartreuse d'Aula Dei de Saragosse, un monastère situé à une dizaine de kilomètres hors de la ville. Il est fait de grandes frises peintes à l’huile sur les murs qui relatent la vie de la Vierge depuis ses aïeux Saint Joachim et Sainte Anne jusqu’à la Présentation de Jésus au Temple. L’activité la plus intense date de 1774, et est un exemple des capacités de Goya à réaliser ce type de peintures monumentales qu’il réalise avec des formes arrondies et des coups de pinceaux énergiques. Si les rétributions pour ces œuvres se révèlent inférieures à celles reçues par ses collègues, deux années après seulement, il doit payer 400 réaux d’argent au titre de l’impôt sur l’industrie, montant supérieur à celui de son maître José Luzán. Goya est alors le peintre le plus côté d’Aragon.
Entre-temps Goya s’est marié avec la sœur de Francisco Bayeu le 25 juillet 1773 et leur premier fils naît le 29 août 1774. À la fin de cette même année, peut-être grâce à l’influence de son beau-frère, Goya est nommé par Raphaël Mengs à la cour pour y travailler comme peintre de cartons pour des tapisseries. Le 3 janvier 1775, il entreprend le voyage pour Madrid où commence une nouvelle étape qui lui servira d’ascenseur social pour devenir peintre royal, malgré diverses déceptions ponctuelles.

Goya à Madrid

La confection de tapisseries pour les appartements royaux est développée par les Bourbons et s'ajuste à l'esprit des Lumières, car il s’agit surtout d’installer une entreprise qui produit des biens de qualité. À partir du règne de Carlos III d’Espagne, les sujets représentés sont surtout des motifs hispaniques pittoresques, alors en vigueur au théâtre avec de Ramón de la Cruz par exemple, ou des thèmes populaires, tels que ceux de Juan de la Cruz Cano y Olmedilla dans la Collection de costumes d’Espagne anciens et modernes 1777-1788, qui avaient eu un immense succès.
Pour obtenir une tapisserie, il faut avant tout en réaliser un modèle en carton qui sert de base aux couturiers et qui reproduit une toile d’un peintre d'atelier qui élaborent des croquis et enfin un tableau destiné à cette fin. Parmi eux figurent José Juan Camarón, Antonio González Velázquez, José del Castillo et Ramón Bayeu, et, en dernière instance, Raphaël Mengs. Ce dernier devient ultérieurement le chantre du goût néoclassique en Espagne, mais à l’époque où travaille Goya à la Fabrique royale de tapisserie, il ne peut en assurer la direction que de 1775 à 1776, date de son départ à Rome.
Goya commence par des travaux mineurs pour un peintre, mais importants pour être introduits dans les cercles aristocratiques, avec la difficulté supplémentaire de mêler harmonieusement le rococo de Giambattista Tiepolo et le néoclassicisme de Mengs pour obtenir un style approprié à la décoration des appartements royaux où doivent primer le bon goût et l’observation des coutumes espagnoles. Bien qu'il ne s'agisse pas encore du plein réalisme – en dépit de quelques huiles sur cartons telles que La Neige 1786 ou Le Maçon blessé 1787 — il devient nécessaire pour Goya de s’éloigner du baroque tardif de la peinture religieuse de province, inadaptée pour obtenir une impression de facture au naturel demandée par le style pittoresque. Il lui est également nécessaire de prendre de la distance avec la rigidité excessive de l'académisme néoclassique, qui ne favorise ni la narration ni la vivacité nécessaires à ces anecdotes et aux coutumes espagnoles, avec des protagonistes populaires ou aristocratiques, déguisées en majos et majas, telles que l'on peut les voir dans La Poule aveugle 1789, par exemple. Le pittoresque nécessite que le spectateur ressente l'ambiance, les types, les paysages dans des scènes contemporaines et quotidiennes auxquelles il aurait pu participer, mais en même temps, le point de vue doit être distrayant et éveiller la curiosité. D'un autre côté, le réalisme capte les motifs de personnes en particulier, tandis que les personnages de la peinture de mœurs sont représentatifs d'un collectif.
L'activité de Goya pour la Fabrique royale de tapisserie se prolonge durant douze ans. Après ses premières cinq années, de 1775 à 1780, il s'interrompt et reprend en 1786 jusqu'en 1792, année où une grave maladie le rend sourd et l'éloigne définitivement de cet emploi. Il y réalise quatre séries :

Première série :

Réalisée en 1775, elle contient neuf tableaux de thème cynégétique réalisés pour la décoration de la salle à manger des Princes des Asturies — les futurs Charles IV et Marie-Louise de Bourbon-Parme — de l'Escurial. À cette série appartiennent La Partie de chasse, encore très influencé par les manières des frères Bayeu, Chiens et outils de chasse et Chasse avec un appeau.

Deuxième série:

On peut distinguer deux groupes de commandes dont le thème est la représentation de diversions populaires, en général de loisirs champêtres, justifié par l'emplacement du palais du Pardo. Pour cela, la localisation des scènes aux abords de la rivière du Manzanares est privilégiée. Les tableaux exécutés entre 1776 et 1778 sont destinés à la salle à manger des Princes dans le Palais, et ceux réalisés entre 1778 et 1780 le sont à la chambre du Palais.
Le premier groupe commence avec Le Goûter au bord du Manzanares, délivré en octobre 1776 et inspiré du sainete homonyme de Ramón de la Cruz. Suivent La Promenade en Andalousie également connue comme, La maja et les masques, Danse sur les rives du Manzanares et ce qui est probablement l'œuvre la mieux réussie de cette série : Le Parasol, un tableau qui obtient un magnifique équilibre entre la composition de souche néoclassique en pyramide et les effets chromatiques propres de la peinture galante.
Dans l'antichambre et la chambre princières sont conservés La Novillada, jeunes taureaux, pour lequel une grande partie de la critique a voulu voir un autoportrait de Goya dans le jeune torero qui regarde le spectateur, La Foire de Madrid, une illustration d'un paysage du El rastro por la mañana, le marché au matin, un autre sainete de Ramón de la Cruz, Jeu de balle avec raquette et Le Marchand de vaisselle, où il montre sa maîtrise du langage du carton pour tapisserie : composition variée mais interrelationnée, plusieurs lignes de force et différents centres d'intérêt, réunion de personnages de différentes sphères sociales, qualités tactiles dans la nature morte de la faïence valencienne du première terme, dynamisme du carrosse, estompement du portrait de la dame de l'intérieur du carrosse, et enfin une exploitation totale de tous les moyens que ce genre de peinture peut offrir.

Troisième série :

Après une période 1780-1786 lors de laquelle Goya commence d'autres travaux, tels que des portraits de mode de la haute société madrilène et les commandes d'un tableau pour la basilique de Saint François le Grand de Madrid et d'une des coupoles de la basilique du Pilar, il reprend son travail comme officier de la Fabrique royale de tapisserie en 1789 avec une série consacrée à l'ornementation de la salle à manger du Palais du Pardo.
Le programme décoratif commence avec un groupe de quatre tableaux allégoriques à chacune des saisons — dont La Neige l'hiver, avec des tons grisâtres, le vérisme et le dynamisme de la scène — et continue avec d'autres scènes à portée sociale, telles que Les Pauvres à la fontaine et Le Maçon blessé.
En plus des travaux consacrés à la décoration sus-cités, il a réalisé plusieurs esquisses de préparation aux toiles qui allaient décorer la chambre des infantes, dans le même palais. Parmi elles, un chef-d'œuvre : La Prairie de Saint-Isidore qui, comme c'est habituel chez Goya, est plus audace dans les esquisses et plus moderne pour son utilisation d'un coup de pinceau énergique, rapide et lâche que dans les toiles achevées. Du fait de la mort inattendue du roi Charles III en 1788, ce projet est interrompu tandis qu'une autre esquisse donnera lieu à l'un de ses cartons les plus connus : La Poule aveugle.

Quatrième série

Prévue pour le bureau du nouveau roi Charles IV à l'Escurial, Goya commence la réalisation d'une autre série de cartons entre 1788 et 1792, dont les thèmes acquièrent des nuances satyriques, bien qu'elles continuent représenter les côtés joyeux de la société espagnole d'alors. C'est ainsi qu'apparaissent de nouveaux jeux de plein air, tels que Les Échasses dominés par de jeunes hommes, Las Gigantillas, les petits géants montrant des jeux d'enfants et le Pantin où des femmes prennent leur revanche sur les hommes en lançant en l'air un pantin grotesque au moyen d'un drap.
Avec cette série, des commentaires critiques envers la société de son temps commencent à apparaître et se développeront plus tard, en particulier dans son œuvre graphique, dont l'exemple le premier exemple sera la série des Caprichos. Dans ces cartons apparaissent déjà des visages qui annoncent les caricatures de son œuvre postérieure, comme on peut l'observer dans le visage aux traits de singe du fiancé de Le Mariage 1792.

Portraitiste et académicien

À partir de son arrivée à Madrid pour travailler à la cour, Goya a accès aux collections de peintures royales. Il prend comme référence Vélasquez durant la seconde moitié de la décennie 1770. La peinture du maître avait reçu les éloges de Jovellanos lors d'un discours à l'Académie royale des beaux-arts de San Fernando, où il avait loué le naturalisme du Sévillan face à l’idéalisation excessive du néoclassicisme et aux tenants d’une Beauté Idéale.
Dans la peinture de Vélasquez, Jovellanos appréciait l’invention, les techniques picturales — les images composées de tâches de peintures qu’il décrivait comme étant des effets magiques — et la défense d’une tradition propre qui, selon lui, n’avait pas à rougir devant les traditions françaises, flamandes ou italiennes, alors dominantes dans la péninsule ibérique. Goya a pu vouloir se faire l'écho de ce courant de pensée proprement espagnol et, en 1778, il publie une série d’eaux-fortes qui reproduisent des toiles de Vélasquez. La collection, très bien reçue, arrive alors que la société espagnole est demandeuse de reproductions plus accessibles des peintures royales. Ces estampes reçoivent l’éloge d’Antonio Ponz dans le huitième tome de son Viaje de España, publié la même année.
Goya respecte à l'identique les ingénieuses touches de lumières de Vélasquez, la perspective aérienne et le dessin naturaliste, comme dans son portrait de Carlos III cazador, Charles III chasseur, vers 1788, dont le visage ridé rappelle celui des hommes mûrs des premiers Vélasquez. Goya gagne ainsi, durant ces années, l’admiration de ses supérieurs, et en particulier celle de Mengs qui était subjugué par la facilité qu’il avait de faire des cartons.Son ascension sociale et professionnelle est rapide et, en 1780, il est nommé académicien du mérite de l’Académie de San Fernando. À cette occasion, il peint un Christ crucifié de facture éclectique, où sa maîtrise de l’anatomie, de la lumière dramatique et des tons intermédiaires, est un hommage tant à Mengs qui peint également un Christ crucifié qu’à Vélasquez, avec son Christ crucifié.
Durant les années 1780, il entre en contact avec la haute société madrilène qui demandait à être immortalisée par ses pinceaux, se transformant en portraitiste à la mode. Ses amitiés avec Gaspar Melchor de Jovellanos et Juan Agustín Ceán Bermúdez — historien de l’art — sont décisives pour son introduction au sein de l’élite culturelle espagnole. Grâce à eux, il reçoit de nombreuses commandes, comme celle de la banque de Saint-Charles de Madrid qui venait d’ouvrir ses portes en 1782, et du collège de Calatrava à Salamanque.
Une des influences décisives demeure sa relation avec la petite cour que l’infant don Louis Antoine de Bourbon avait créée à Arenas de San Pedro avec le musicien Luigi Boccherini et d’autres personnalités de la culture espagnole. Don Luis avait renoncé à tous ses droits de succession pour se marier avec une Aragonaise, María Teresa de Vallabriga, dont le secrétaire et valet de chambre avait des liens familiaux avec les frères Bayeu : Francisco, Manuel et Ramón. De ce cercle de connaissances, nous sont parvenus plusieurs portraits de l’Infante María Teresa dont une portrait équestre et, surtout La Famille de l'infant Don Louis de Bourbon 1784, une des toiles les plus complexes et achevées de cette époque.
En parallèle, José Moñino y Redondo, comte de Floridablanca, est nommé à la tête du gouvernement espagnol. Celui-ci, qui tient la peinture de Goya en haute estime, lui confie plusieurs de ses plus importantes commandes : deux portraits du Premier Ministre — notamment celui de 1783 El Conde de Floridablanca y Goya, Le Comte de Floridablanca et Goya — qui, dans une mise en abyme, représente le peintre montrant au ministre le tableau qu’il est en train de peindre.
L’appui le plus décisif de Goya est cependant venu des Duc d’Osuna dont il représenta la famille dans la célèbre toile La Famille du duc d'Osuna, et plus particulièrement la duchesse María Josefa Pimentel y Téllez-Girón, une femme cultivée et active dans les cercles intellectuels madrilènes inspirés par les Lumières. À cette époque, la famille d'Osuna décore sa suite du Parc du Capricho et commande à Goya une série de tableaux ressemblant aux modèles qu’il réalisait, pour les tapisseries royales, sur des thèmes pittoresques. Ceux-ci, livrés en 1788, soulignent néanmoins de nombreuses différences importantes avec les cartons de la Fabrique. Les dimensions des personnages sont plus réduites, faisant ressortir le côté théâtral et rococo du paysage. La nature acquiert un caractère sublime, comme le demandait l’esthétique d’alors. Mais surtout, on note l’introduction de diverses scènes de violence ou de disgrâce, comme dans La Chute, où une femme vient de tomber d’un arbre sans qu’on sache quoi que ce soit de ses blessures, ou encore dans L'Attaque de la diligence, où un personnage à gauche vient de recevoir un coup de feu à bout portant, alors que les occupants de l’attelage sont dévalisés par les bandits. Sur d’autres tableaux, Goya poursuit son renouvellement des thèmes. C’est le cas de La Conduite d'une charrue, où il représente le travail physique des ouvriers pauvres. Cette préoccupation pour la classe ouvrière annonce autant le préromantisme qu’elle trahit la fréquentation par Goya des cercles des Lumières.
Goya gagne rapidement en prestige et son ascension sociale est en conséquence. En 1785, il est nommé Directeur adjoint de Peinture de l’Académie de San Fernando. Le 25 juin 1786, Francisco de Goya est nommé peintre du roi d'Espagne avant de recevoir une nouvelle commande de cartons de tapisseries pour la salle à manger royale et la chambre à coucher des infantes du Prado. Cette tâche, qui l'occupe jusqu'en 1792, lui donne l'occasion d'introduire certains traits de satyre sociale, évidents dans Le Pantin ou Le Mariage qui tranchent déjà fortement avec les scènes galantes ou complaisantes des cartons réalisés dans les années 1770.
En 1788, l'arrivée au pouvoir de Charles IV et de son épouse Marie-Louise, pour lesquels le peintre travaillait depuis 1775, renforce la position de Goya à la Cour, le faisant accéder au titre de Peintre de la Chambre du Roi dès l'année suivante, ce qui lui donnait le droit d’exécuter les portraits officiels de la famille royale et des rentes en conséquences. Ainsi Goya se permit un luxe nouveau, entre voitures et sorties champêtres, comme il le relate plusieurs fois à son ami Martín Zapater.
Cependant, l'inquiétude royale vis-à-vis de la Révolution française de 1789, dont Goya et ses amis partageaient certaines idées, provoque la disgrâce des Ilustrados en 1790 : François Cabarrus est arrêté, Jovellanos contraint à l'exil, et Goya temporairement tenu éloigné de la Cour.

Dès le début 1778, Goya espère recevoir la confirmation d’une commande importante pour la décoration de la coupole de la basilique de Notre Dame du Pilar que l’organisation en charge de la construction de l’édifice voulait commander à Francisco Bayeu, qui à son tour la proposa à Goya et à son frère Ramón Bayeu. La décoration de la coupole Regina Martirum et de ses pendentifs donne à l’artiste l’espoir de devenir un grand peintre, ce que ses travaux pour les tapisseries ne lui assuraient pas.
En 1780, année où il est nommé académicien, il entreprend un voyage à Saragosse pour réaliser la fresque sous la direction de son beau-frère, Francisco Bayeu. Cependant, après un an de travail, le résultat ne satisfait pas l’organisme de construction qui propose à Bayeu de corriger les fresques avant de donner son accord pour continuer avec les pendentifs. Goya n’accepte pas les critiques et s’oppose à ce qu’un tiers intervienne sur son œuvre récemment terminée. Finalement, à la mi-1781, le peintre aragonais, très meurtri, revient à la cour, non sans envoyer une lettre à Martín Zapater me rappelant de Saragosse où la peinture me brûla vif... La rancœur dura jusqu’à ce qu’en 1789, par l’intersession de Bayeu, Goya soit nommé Peintre de la Chambre du Roi. Son père meurt à la fin de cette même année.
Peu après, Goya, avec les meilleurs peintres du moment, est demandé pour réaliser l’un des tableaux qui doit décorer la basilique de Saint François le Grand. Il saisit cette opportunité pour se mettre en concurrence avec les meilleurs artisans de l'époque. Après quelque tension avec l'aîné des Bayeu, Goya décrit de façon détaillée l’évolution de ce travail dans une correspondance avec Martín Zapater, où il tente de démontrer que son œuvre vaut mieux que celle de son très respecté concurrent à qui on avait commandé la peinture de l'autel principal. Tout particulièrement, une lettre envoyée à Madrid le 11 janvier 1783 retrace cet épisode. Goya y raconte comment il apprit que Charles IV, alors Prince d’Asturies, avait parlé de la toile de son beau-frère dans ces termes :
« Ce qui arriva à Bayeu est la chose suivante : après avoir présenté son tableau au palais et avoir dit au Roi Charles III bien, bien, bien comme d'habitude ; par la suite le Prince le futur Charles IV et les Infants le virent et de ce qu’ils dirent, il n’y a rien en faveur dudit Bayeu, sinon en contre, et il est connu que rien n’a plu à ces Seigneurs. Don Juan de Villanueba, son Architecte, vint au palais et demanda au Prince, comment trouves-tu ce tableau ? Il répondit : Bien, monsieur. Tu es un idiot, lui répondit le prince, ce tableau n’a aucun clair-obscur, pas le moindre effet, est très petit et n'a aucun mérite. Dis à Bayeu que c’est un idiot. Ça m’a été raconté par 6 ou 7 professeurs et deux amis de Villanueba à qui il l’a raconté, bien que ce fût fait devant des personnes à qui ça ne pouvait pas être occulté.

Goya fait ici allusion à la toile Saint Bernardin de Sienne prêchant devant Alphonse V d'Aragon, terminée en 1783, en même temps qu’il travaille sur le portrait de la famille de l’infant Don Luis, et la même année sur Le Comte de Floridablanca et Goya, œuvres au sommet de l’art pictural de l’époque. Avec ces toiles, Goya n’est plus un simple peintre de cartons ; il domine tous les genres : la peinture religieuse, avec Le Christ crucifié et San Bernardino predicando, et la peinture de cour, avec les portraits de l'aristocratie madrilène et de la famille royale.
Jusqu’en 1787, il laisse de côté les thèmes religieux et lorsqu’il le fait, c'est sur commande de Charles III pour le monastère royal de Saint Joachim et Sainte Anne de Valladolid : La muerte de san José, La Mort de saint Joseph, Santa Ludgarda, Sainte Lutgarde et San Bernardo socorriendo a un pobre, Saint Bernard secourant un pauvre . Sur ces toiles, les volumes et la qualité des plis des habits blancs rendent un hommage de sobriété et d’austérité à la peinture de Zurbarán.
Sur commande des ducs d’Osuna, ses grands protecteurs et mécènes durant cette décennie aux côtés de Luis-Antoine de Bourbon, il peint l’année suivante des tableaux pour la chapelle de la Cathédrale de Valence, où on peut encore contempler Saint François de Borgia et le moribond impénitent et Despedida de san Francisco de Borja de su familia (« Les Adieux de de saint François de Borge à sa famille.

La décennie des années 1790 1793-1799 Le caprice et l'invention

En 1792, Goya fait un discours devant l'Académie, où il exprime ses idées sur la création artistique qui s'éloignent des pseudo idéalistes et des préceptes néoclassiques en vigueur à l'époque de Mengs, pour affirmer la nécessité de liberté du peintre, qui ne doit pas être sujet à d'étroites règles. D'après lui, l'oppression, l'obligation servile de faire étudier et de faire suivre à tous le même chemin est un obstacle pour les jeunes qui pratiquent un art si difficile.C'est une véritable déclaration de principes au service de l'originalité, de la volonté de donner libre cours à l'invention, et un plaidoyer d'un caractère particulièrement préromantique.
Dans cette étape, et surtout après sa maladie de 1793, Goya fait son possible pour créer des œuvres éloignées des obligations dues à ses responsabilité à la cour. Il peindra de plus en plus de petits formats en toute liberté et s'éloignera le plus possible de ses engagements, alléguant à ces fins des difficultés dues à sa santé délicate. Il ne peindra plus de carton pour tapisserie — une activité qui ne représentait plus pour lui que peu de travail — et démissionnera de ses engagements académiques comme maître de peinture à l'Académie Royale des Beaux Arts en 1797, prétextant des problèmes physiques, tout en étant cependant nommé Académicien d'honneur.
Fin 1792, Goya est hébergé à Cadix par l'industriel Sebastián Martínez y Pérez de qui il fait un excellent portrait, pour se remettre d'une maladie : probablement le saturnisme, qui est une intoxication progressive de plomb assez courante chez les peintres. En janvier 1793, Goya est alité dans un état grave : il reste plusieurs mois temporairement et partiellement paralysé. Son état s'améliore en mars, mais laisse comme séquelle une surdité dont il ne se remettra pas. On ne sait rien de lui jusqu'à 1794, quand le peintre envoie à l'Académie de San Fernando une série de tableaux de cabinet:
Pour occuper l'imagination mortifiée à l'heure de considérer mes maux, et pour dédommager en partie le grand gaspillage qu'ils ont occasionné, je me suis mis à peindre un jeu de tableaux de cabinet, et je me suis rendu compte qu'en général il n'y a pas, avec les commandes, de place pour le caprice et l'invention
— Carta de Goya a Bernardo de Iriarte, vice-protecteur de l'Académie royale des Beaux-arts de San Fernando, le 4 janvier 1794.
Les tableaux en question sont un ensemble de 14 œuvres de petit format peints sur fer-blanc ; huit d'entre elles concernent la tauromachie, dont 6 ont lieu dans l'arène, tandis que les 6 autres sont sur des thèmes variés, catégorisées par lui-même comme diversions nationales, Diversiones nacionales. Parmi elles, plusieurs exemples évidents de Lo Sublime Terrible : Corral de locos, El naufragio, El incendio, fuego de noche, Asalto de ladrones et Interior de prisión. Ses thèmes sont terrifiants et la technique picturale est esquissée et pleine de contrastes lumineux et de dynamisme. Ces œuvres peut être considérées comme le début de la peinture romantique.
Bien que la répercussion de la maladie sur le style de Goya a été importante, il n'en était pas à ses premiers coups d'essai sur ces thèmes, comme ça a été le cas avec L'Attaque de la diligence 1787. Il y a cependant des différences notables : dans ce dernier, le paysage est paisible, lumineux, de style rococo, avec des couleurs pastels bleu et vert ; les personnages sont petits et les corps sont disposés dans le coin inférieur gauche, loin du centre du tableau — au contraire de Asalto de ladrones 1794, où le paysage est aride, de couleur terre ; les cadavres apparaissent au premier plan et les lignes convergentes des fusils dirigent le regard vers un survivant suppliant de l'épargner.
À cette série de tableaux appartient, comme précise préalablement, un ensemble de motifs taurins pour lesquels il est donné plus d'importance aux travaux antérieurs à la corrida qu'aux illustrations contemporaines de cette thématique, comme celles d'auteurs tels que Antonio Carnicero Mancio. Dans ses actions, Goya souligne les moments de danger et de courage et met en valeur la représentation du public comme une masse anonyme, caractéristique de la réception des spectacles de loisirs de la société actuelle. La présence de la mort est particulièrement présente dans les œuvres de 1793, comme celles des montures de Suerte de matar et la prise d'un cavalier dans La Mort du picador, qui éloignent définitivement ces thèmes du pittoresque et du rococo.
Cet ensemble d'œuvres sur planches en fer-blanc est complétée par Des acteurs comiques ambulants, une représentation d'une compagnie d'acteurs de la commedia dell'arte. En premier plan, au bord de la scène, des figures grotesques tiennent une pancarte avec l'inscription ALEG. MEN.qui associe la scène à l’alegoría menandrea, allégorie de Ménandre, en consonance avec les œuvres naturalistes de la Commedia dell'arte et à la satyre, Menandre étant un dramaturge de la Grèce classique de pièces satyriques et moralistes. L'expression alegoría menandrea est fréquemment utilisée comme sous-titre de l'œuvre voire comme nom alternatif. Au travers de ces personnages ridicules, apparaît la caricature et la représentation du grotesque, dans l'un des plus clairs précédents de ce qui deviendra courant dans ses images satyriques postérieures : des visages déformés, des personnages fantoches et l'exagération des traits physiques. Sur une scène élevée et entourée d'un public anonyme, jouent Arlequin, qui jongle au bord de la scène et un Polichinelle nain en tenue militaire et saoul, afin de traduire l'instabilité du triangle amoureux entre Colombine, Pierrot et Pantalon. Ce dernier porte un bonnet phrygien des révolutionnaires Français aux côtés d'un aristocrate d'opérette habillé à la mode de l'Ancien Régime. Derrière eux, un nez sort d'entre les rideaux de fond.
En 1795, Goya obtient de l'Académie des Beaux-arts la place de Directeur de Peinture, devenue vacante avec la mort de son beau-frère Francisco Bayeu cette année-là, ainsi que celle de Ramón, mort peu de temps plus tôt et qui aurait pu prétendre au poste. Par ailleurs, il sollicite à Manuel Godoy le poste de Premier Peintre de la Chambre du Roi avec le salaire de son beau-père, mais il ne lui est accordé qu'en 1799.

Portraits de la noblesse espagnole

À partir de 1794, Goya reprend ses portraits de la noblesse madrilène et d'autres personnalités remarquables de la société de son époque qui inclue désormais, grâce à son statut de Premier Peintre de la Chambre, des représentations de la famille royale, de laquelle il avait déjà fait les premiers portraits en 1789 : Charles IV en rouge, Carlos IV de cuerpo entero (« Carlos IV en entier ») ou encore María Luisa de Parma con tontillo, Marie-Louise de Parme avec un drôle. Sa technique a évolué, les traits psychologiques du visages sont plus précis et il utilise pour les tissus une technique illusionniste à partir de tâches de peinture qui lui permettent de reproduire à une certaine distance des brodés d'or et d'argent, et des tissus de types divers.
De Retrato de Sebastián Martínez, Portrait de Sebastián Martínez, 1793 ressort une délicatesse avec laquelle il gradue les tons des éclats de la veste de soie du haut personnage gaditan. Il travaille en même temps son visage avec soin, captant toute la noblesse du caractère de son protecteur et ami. Il réalise à cette époque de nombreux portraits de très grande qualité : La Marquesa de Solana, La Marquise de Solana, les deux de la Duchesse d'Alba, en blanc 1795 puis en noir 1797, celui de son mari, José Álvarez de Toledo y Gonzaga, 1795, La Comtesse de Chinchón 1800, des effigies de toreros comme Pedro Romero 1795-1798, d'actrices comme La Tirane, 1799, de personnalités politiques comme Francisco de Saavedra y Sangronis et de lettrés, parmi lesquels les portraits de Juan Meléndez Valdés 1797, Gaspar Melchor de Jovellanos 1798 et Leandro Fernández de Moratín 1799 sont particulièrement remarquables.
Dans ces œuvres, les influences du portrait anglais sont notables, et il en soulignait d'ailleurs la profondeur psychologique et le naturel de l'attitude. L'importance de montrer des médailles, objets, symboles des attributs de rang ou de pouvoir des sujets, diminue progressivement pour favoriser la représentation de leurs qualités humaines.
L'évolution qu'a expérimentée le portrait masculin s'observe en comparant le Retrato del Conde de Floridablanca, Portrait du Comte de Floridablanca, 1783 avec le Retrato de Jovellanos, Portrait de Jovellanos, fin du XVIIIe siècle. Le portrait de Charles III présidant la scène, l'attitude de sujet reconnaissant du peintre qui s'y est fait un autoportrait, les vêtements luxueux et les attributs de pouvoir du ministre et même la taille excessive de sa figure, contrastent avec le geste mélancolique de son collège Jovellanos. Sans perruque, incliné et même affligé par la difficulté de mener à bout les réformes qu'il prévoyait, et situé dans un espace plus confortable et intime : cette dernière toile montre clairement le chemin parcouru toutes ces années.
Concernant les portraits féminins, il convient de commenter les relations avec la Duchesse d'Alba. À partir de 1794, il se rend au palais des ducs d'Alba à Madrid pour leur faire le portrait. Il fait également quelques tableaux de cabinet avec des scènes de sa vie quotidienne, tels que La Duchesse d'Alba et la bigote, et, après la mort du duc en 1795, il fera de longs séjours avec la jeune veuve dans sa propriété de Sanlúcar de Barrameda en 1796 et 1797. L'hypothétique relation amoureuse entre eux a généré une abondante littérature basée sur des indices non concluants. Il y a eu de grands débats sur le sens du fragment de l'une des lettres que Goya a envoyé à Martín Zapater le 2 août 1794, et dans laquelle, avec sa graphie particulière, il écrit :
Mas te balia benir á ayudar a pintar a la de Alba, que ayer se me metio en el estudio a que le pintase la cara, y se salió con ello; por cierto que me gusta mas que pintar en lienzo, que tanbien la he de retratar de cuerpo entero ...— Francisco de Goya
Tu aurais dû venir m'aider à peindre la Duchesse d'Alba, qui est venue hier au studio pour que je lui peigne le visage, et elle l'a obtenu. Lui peindre le visage me plairait plus que le lui peindre sur une toile ; maintenant je vais également devoir lui faire une peinture du corps entier.
À cela il faudrait ajouter les dessins de l’Album A, également appelé Cuaderno pequeño de Sanlúcar, dans lesquels apparaît María Teresa Cayetana avec des attitudes privées qui font ressortir sa sensualité, et le portrait de 1797 où la duchesse — qui porte deux bagues avec les inscriptions Goya et Alba, respectivement — montre une inscription au sol qui prône Solo Goya, Seulement Goya. Tout cela amène à penser que le peintre a dû sentir une certaine attraction pour Cayetana, connue pour son indépendance et son comportement capricieux.
Quoi qu'il en soit, les portraits de corps entier faits de la duchesse d'Alba sont de grande qualité. Le premier a été réalisé avant qu'elle soit veuve et elle y apparaît complètement vêtue à la mode française, avec un délicat costume blanc qui contraste avec le rouge vif du ruban qu'elle porte à la ceinture. Son geste montre une personnalité extrovertie, en contraste avec son mari, qui est représenté incliné et montrant un caractère renfermé. Ce n'est pas pour rien qu'elle aimait l'opéra et était très mondaine, une petimetra a lo último, une minette absolue, selon la comtesse de Yebes, tandis que lui était pieux et aimait la musique de chambre. Dans le second portrait de la duchesse, elle s'habille en deuil à l'espagnole et pose dans un paysage serein.

Los Caprichos

Bien que Goya a publié depuis 1771 des gravures — notamment Huida a Egipto, Fuite en Égypte, qu'il signe comme créateur et graveur —, que Vélasquez a publié en 1778 une série d'estampes sur tableau, ainsi que quelques autres œuvres hors série de Goya de 1778-1780 dont il faut mentionner l'impact de l'image et le clair-obscur motivé par le tranchant El Agarrotado, Le garroté, c'est avec les Caprichos, caprices, dont le journal madrilène Diario de Madrid annonce la vente le 6 février 1799, que Goya inaugure la gravure romantique et contemporaine comme une série de caractère satyrique.
Il s'agit de la première réalisation d'une série d'estampes de caricatures espagnole, à la manière de ce qui se faisait en Angleterre et en France, mais avec une grande qualité dans l'utilisation des techniques de l'eau-forte et de l'aquatinte — avec des touches de burin, de brunissoir et de pointe sèche — et une thématique originale et innovatrice : les Caprichos ne se laissent pas interpréter d'une seule façon, contrairement à l'estampe satyrique conventionnelle.
L'eau-forte était la technique habituelle des peintres-graveurs du XVIIIe siècle, mais la combinaison avec l'aquatinte lui permet de créer des superficies d'ombres nuancées grâce à l'utilisation de résines de différentes textures ; avec celles-ci, on obtient un dégradé dans l'échelle des gris qui permet de créer une illumination dramatique et inquiétante héritée de l'œuvre de Rembrandt.
Avec ces sujets capricieux — comme les appelait Leandro Fernández de Moratín, qui a très probablement rédigé la préface de l'édition — pleins d'invention, il y avait la volonté de diffuser l'idéologie de la minorité intellectuelle des Lumières, qui incluait un anticléricalisme plus ou moins explicite. Il faut prendre en compte que les idées picturales de ces estampes se développent à partir de 1796 avec des antécédents présents dans leCuaderno pequeño de Sanlúcar et dans l’Álbum de Sanlúcar-Madrid ou Album.
Tandis que Goya crée les Caprichos, les Lumières occupent enfin des postes au pouvoir. Gaspar Melchor de Jovellanos est du 11 novembre 1797 au 16 août 1798 la personne de plus grande autorité en Espagne en acceptant le poste de Ministre de la Grâce et de la Justice. Francisco de Saavedra, ami du ministre et de ses idées avancées, devient secrétaire du Trésor public en 1797 puis secrétaire d'État du 30 mars au 22 octobre 1798. L'époque à laquelle ces images sont produites est propice à la recherche de l'utile dans la critique des vices universels et particuliers de l'Espagne, bien que dès 1799 un mouvement réactionnaire obligera Goya à retirer de la vente les estampes et à les offrir au roi en 1803
Par ailleurs, Glendinning affirme, dans un chapitre intitulé La feliz renovación de las ideas La joyeuse rénovation des idées :
Une approche politique serait tout à fait logique pour ces satyres en 1797. À cette époque, les amis du peintre jouissaient de la protection de Godoy et avaient accès au pouvoir. En novembre, Jovellanos est nommé ministre de la Grâce et de la Justice, et un groupe de ses amis, parmi lesquels Simón de Viegas et Vargas Ponce, travaillent sur la réforme de l'enseignement public. Une nouvelle vision législative est au cœur du travail de Jovellanos et de ses amis, et selon Godoy lui-même, il s'agissait d'exécuter peu à peu les réformes essentielles que réclamaient les progrès du siècle. Les nobles et beaux-arts auraient leur rôle dans ce processus, préparant l'arrivée d'une joyeuse rénovation quand les idées et les mœurs seraient mûres.Pour contribuer à l'esprit de réforme et pourra compter sur le soutien moral de plusieurs ministres. Il n'est pas étrange que Goya ait pensé à publié l'œuvre par abonnement et ait attendu que l'une des librairies de la cour se soit chargée de la vente et de la publicité.

La gravure la plus emblématique des Caprichos — et probablement de toute l'œuvre graphique de Goya — est ce qui devait originellement être le frontispice de l'œuvre avant de servir, lors de sa publication définitive, de charnière entre la première partie consacrée à la critique des mœurs et une seconde plus orientée vers l'étude de la sorcellerie et la nuit : le Capricho no 43 : Le sommeil de la raison produit des monstres. Depuis sa première esquisse en 1797, intitulée, dans la marge supérieure, Sueño no 1, Rêve no 1, l'auteur est représenté en train de rêver, et surgit du monde onirique une vision de cauchemar, avec son propre visage répété aux côtés de sabots de chevaux, de têtes fantomatiques et de chauves-souris. Dans l'estampe définitive est restée la légende sur la devanture de la table où s'appuie le rêveur qui entre dans le monde des monstres une fois éteint le monde des lumières.

Le rêve de la raison

Avant la fin du XVIIIe siècle, Goya peint encore trois séries de tableaux de petit format qui insistent dans la thématique du mystère, de la sorcellerie, de la nuit et même de la cruauté, et sont à mettre en relation avec les premiers tableaux de Capricho e invención, peints après sa maladie en 1793.
On trouve d'abord deux toiles commandées par les ducs d'Osuna pour leur propriété de la Alameda qui s'inspirent du théâtre de l'époque. Il s'agit de El convidado de piedra — actuellement introuvable ; il est inspiré d'un passage de la version de Don Juan de Antonio de Zamora : No hay plazo que no se cumpla ni deuda que no se pague, Il n'y a pas de délais qui ne se respecte ni de dette qui ne se paie— et une scène de El hechizado por fuerza L'enchanté de force qui recrée un moment du drame homonyme d'Antonio de Zamora où un pusillanime superstitieux essaie d'éviter que s'éteigne sa lampe à huile, convaincu que s'il n'y arrive pas, il meurt. Les deux tableaux sont réalisés entre 1797 et 1798 et représentent des scènes théâtrales caractérisées par la présence de la peur de la mort, laquelle est personnifiée par un être terrifiant et surnaturel.
D'autres tableaux dont la thématique et la sorcellerie complètent la décoration de la quinte du Capricho — La cocina de los brujos, La cuisine des sorciers, Vuelo de brujas, Vol de sorcières, El conjuro, Le Sort et surtout Le Sabbat des sorcières, où des femmes vieillies et déformées situées autour d'un grand bouc, l'image du démon, lui offrent comme aliments des enfants vivants ; un ciel mélancolique — c'est-à-dire nocturne et lunaire — illumine la scène.

Ce ton est maintenu dans toute la série, qui a probablement été conçue comme une satyre illustrée des superstitions populaires. Ces œuvres n'évitent cependant pas d'exercer une attraction typiquement préromantique par rapport avec les sujets notés par Edmund Burke dans Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau 1756 au sujet du tableau Lo Sublime Terrible.
Il est difficile de déterminer si ces toiles sur des thèmes de sorcellerie ont une intention satyrique, comme la ridiculisation de fausse superstitions, dans la lignée de celles déclarées avec Los Caprichos et l'idéologie des Lumières, ou si au contraire elles répondent au but de transmettre des émotions inquiétantes, produits des maléfices, sorts et ambiance lugubre et terrifiante, qui seraient propres aux étapes postérieures. Contrairement aux estampes, il n'y a pas ici de devise qui nous guide, et les tableaux entretiennent une ambiguïté d'interprétation, qui n'est pas exclusive, cependant, de cette thématique. Son approche du monde taurin ne nous donne pas non-plus d'indices suffisants pour se décanter pour une vision critique ou pour celle de l'enthousiaste amateur de la tauromachie qu'il était, selon ses propres témoignages épistolaires.
Une autre série de peinture qui relate un fait divers contemporain — qu'il appelle Crimen del Castillo, Crime du Château — propose de plus grands contrastes d'ombre et de lumière. Francisco del Castillo, dont le nom de famille pourrait se traduire par du Château, d'où le nom choisi fut assassiné par son épouse María Vicenta et son amant et cousin Santiago Sanjuán. Plus tard, ils furent arrêtés et jugés dans un procès qui devint célèbre pour l'éloquence de l'accusation du fiscal, à charge de Juan Meléndez Valdés, poète des Lumières de l'entourage de Jovellanos et ami de Goya, avant d'être exécutés le 23 avril 1798 sur la Plaza Mayor de Madrid. L'artiste, à la manière des aleluyas que racontaient les aveugles en s'accompagnant de vignettes, recrée l'homicide dans deux peintures intitulées La visita del fraile, La visite du moine, appelée aussi El Crimen del Castillo I, Le Crime du Château I, et Interior de prisión, Intérieur de prison, appelée aussi El Crimen del Castillo II, Le Crime du Château II, peintes en 1800. Dans cette dernière apparaît le thème de la prison qui, comme celle de l'asile de fou, était un motif constant dans l'art de Goya et lui permettait d'exprimer les aspects les plus sordides et irrationnels de l'être humain, commençant ainsi un chemin qui culminerait avec les Peintures noires.
Vers 1807, il revient à cette manière de raconter l'histoire de faits divers au moyen d’aleluyas avec la recréation de l'histoire de Fray Pedro de Zaldivia y el bandido Maragato Frère Pedro de Zaldivia et le bandit Maragato en six tableaux ou vignettes.

Les fresques de San Antonio de la Florida et autres peintures religieuses

Vers 1797, Goya travaille dans la décoration murale avec des peintures sur la vie du Christ pour l'Oratoire de la Saint Grotte de Cadix. Au travers de ces peintures, il s'éloigne de l'iconographie habituelle pour présenter des passages tels que La multiplicación de los panes y los peces, La multiplication des pains et des poissons et la Última Cena, La Dernière Cène depuis une perspective plus humaine. Il travaille aussi sur une autre commande, de la part de la Cathédrale Sainte-Marie de Tolède, pour la sacristie de laquelle il peint L'Arrestation du Christ en 1798. Cette œuvre est un hommage à El Expolio d'El Greco dans sa composition, ainsi qu'à l'illumination focalisée de Rembrandt.

Les fresques de l'Église San Antonio de la Florida de Madrid représentent le chef-d'œuvre de sa peinture murale. Probablement réalisée par commande de ses amis Jovellanos, Saavedra et Ceán Bermúdez, il a pu se sentir protégé et ainsi libre dans le choix de ses idées et de sa technique : il en profite alors pour introduire plusieurs innovations. D'un point de vue thématique, il situe la représentation de la Gloire dans la semi-coupole de l'abside de cette petite église et réserve la coupole complète pour le Milagro de San Antonio de Padua, Miracle de Saint-Antoine de Padoue, dont les personnages proviennent des couches les plus humbles de la société. C'est donc novateur de situer les figures de la divinités dans un espace plus bas que celui réservé au miracle, d'autant plus que le protagoniste est un moine vêtu humblement et est entouré de mendiants, aveugles, travailleurs et voyous. Rapprocher le monde céleste au regard du peuple est probablement la conséquence des idées révolutionnaires que les Lumières ont vis à vis de la religion.
La maîtrise prodigieuse de Goya dans l'application impressionniste de la peinture réside surtout dans sa technique d'exécution ferme et rapide, avec des coups de pinceaux énergiques qui mettent en valeur les lumières et les éclats. Il résout les volumes avec de vigoureux traits propres à l'esquisse, pourtant, depuis la distance à laquelle le spectateur les contemple, ils acquièrent une consistance remarquable.
La composition dispose d'une frise de figures étalée sur les arcs doubleaux en trompe-l'œil, tandis que la mise en valeur des groupes et des protagonistes se fait au moyen de zones plus élevées, comme celle du saint lui-même ou du personnage qui, en face, lève les bras au ciel. Il n'y a pas d'étatisme : toutes les figures sont mises en relation de manière dynamique. Un enfant se juche sur l'arc doubleau ; le linceul s'appuie dessus comme un drap qui sèche, tendu au soleil. Le paysage des montagnes madrilènes, proche du costumbrismo peinture des mœurs des cartons, constitue le fond de toute la coupole.

Le tournant du XIXe siècle

En 1800, Goya reçoit la commande d’un grand tableau de la famille royale : La Famille de Charles IV. Suivant le précédant de Vélasquez, Les Ménines, Goya fait poser la famille dans une salle du palais, le peintre étant à gauche en train de peindre une grande toile dans un espace sombre. Cependant, la profondeur de l’espace vélasquien est tronquée par un mur proche des personnages, où sont exposés deux tableaux aux motifs indéfinis. Le jeu des perspectives disparaît au profit d’une pose simple. Nous ne savons pas quel tableau est en train de peindre l’artiste, et, bien qu’on pensait que la famille posait face à un miroir que Goya contemple, il n’existe aucune preuve de cette hypothèse. Au contraire, la lumière illumine directement le groupe, ce qui implique qu’il devrait y avoir au premier plan une source de lumière, comme une fenêtre ou une claire-voie ; la lumière d'un miroir devrait donc estomper l'image. Ce n’est pas le cas car les reflets que le touché impressionniste de Goya applique sur les vêtements donne une illusion parfaite de la qualité des détails des vêtements, des tissus et des bijoux.
Éloigné des représentations officielles — les personnages vêtus de costumes de gala, mais sans symbole de pouvoir —, la priorité est de donner une idée de l’éducation basée sur la tendresse et la participation active des parents, ce qui n’était pas commun dans la haute noblesse. L’infante Isabelle porte son fils très près du sein, ce qui évoque l’allaitement ; Charles de Bourbon embrasse son frère Ferdinand dans un geste de douceur. L'ambiance est détendue, ainsi que son intérieur placide et bourgeois.

Il fait également un portrait de Manuel Godoy, l'homme le plus puissant d’Espagne après le roi. En 1794, Goya avait peint un petit croquis équestre de lui alors qu’il était duc d’Alcudia. En 1801, il est représenté au sommet de son pouvoir après sa victoire à la guerre des Oranges — comme l’indique la présence du drapeau portugais — puis comme généralissime de l’armée et prince de paix, titres pompeux obtenus lors de la guerre contre la France napoléonienne.
Le Portrait de Manuel Godoy dénote une orientation décisive vers la psychologie. Il est représenté en militaire arrogant qui se repose après une bataille, dans une position décontractée, entouré de chevaux et avec un bâton phallique entre ses jambes. Il ne dégage aucune sympathie ; à cette interprétation s’ajoute le soutient de la part de Goya au Prince des Asturies, qui régna par la suite sous le titre de Ferdinand VII d’Espagne et qui s’opposait alors au favori du roi.
On considère généralement que Goya dégradait consciemment les images des représentants du conservatisme politique qu’il peignait. Cependant Glendinning et Bozal relativisent ce point de vue. Sans doute ses meilleurs clients se voient favorisés sur ses tableaux, ce qui vaut au peintre une grande partie de son succès comme portraitiste. Il réussit toujours à rendre vivant ses modèles, chose qui était très appréciée à l’époque, et il le réussit précisément dans les portraits royaux, exercice qui obligeait pourtant à conserver l’apparat et la dignité des personnages.
Durant ces années, il produit probablement ses meilleurs portraits. Il ne s’occupe pas que de la haute aristocratie, mais aborde également une variété de personnages issus de la finance et de l’industrie. Ses portraits de femmes sont les plus remarquables. Elles montrent une personnalité décidée et les tableaux sont éloignés des images de corps entiers dans un paysage rococo artificiellement beau typique de cette époque.

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Posté le : 29/03/2014 20:14
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Francisco Goya 2 suite
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... . Elles montrent une personnalité décidée et les tableaux sont éloignés des images de corps entiers dans un paysage rococo artificiellement beau typique de cette époque.

On trouve les exemples de la présence des valeurs bourgeoises dans son Portrait de Tomás Pérez de Estala, un entrepreneur textile, celui de Bartolomé Sureda —industriel de fours à céramique — et de sa femme Teresa, celui de Francisca Sabasa García, de la Marquise de Villafranca ou de la Marquise de Santa Cruz — néoclassique de style empire —, connue pour ses goûts littéraires. Par-dessus tout, on trouve le très beau buste d’Isabelle Porcel qui préfigure les portraits des décennies suivantes, romantiques ou bourgeois. Peints vers 1805, les attributs du pouvoir associés aux personnages sont réduits au minimum, pour favoriser la prestance humaine et proche, d’où se détachent les qualités naturelles des modèles. Les écharpes, insignes et médailles disparaissent même dans les portraits aristocratiques où ils étaient jusqu’alors représentés.

Sur le Portrait de la Marquise de Villafranca, la protagoniste est représentée en train de peindre un tableau de son mari. L’attitude dans laquelle Goya la représente est une reconnaissance des capacités intellectuelles et créatives de la femme.
Le Portrait d’Isabelle de Porcel impressionne par le geste de caractère fort qui n’avait jamais été représenté sur un portrait de femme — à part peut-être celui de la Duchesse d’Alba. Pourtant ici, la dame n’appartient ni aux grands d’Espagne ni même à la noblesse. Le dynamisme, malgré la difficulté imposée par un portrait de mi-corps, est pleinement obtenu grâce au mouvement du tronc et des épaules, au visage orienté dans le sens contraire du corps, au regard dirigé du côté du tableau, à la position des bras, fermes et en jarre. Le chromatisme est déjà celui des peintures noires. La beauté et l’aplomb avec lequel est représenté ce nouveau modèle de femme relègue au passé les stéréotypes féminins des siècles précédents.
Il convient de mentionner d’autres portraits de ces années, comme celui de María de la Soledad Vicenta Solís, comtesse de Fernán Núñez et son mari, tous deux de 1803. Le María Gabriela Palafox y Portocarrero, marquise de Lazán vers 1804, collection des ducs d’Alba, vêtue à la mode napoléonienne, très sensuel, celui du Portrait du Marquis de San Adrián, intellectuel adepte du théâtre et ami de Leandro Fernández de Moratín à la pose romantique et celui de sa femme l’actrice María de la Soledad, marquise de Santiago.
Enfin, il réalise également des portraits d’architectes, dont celui de Juan de Villanueva 1800-1805 où Goya capte avec un grand réalisme un mouvement fugace.

Les majas

Maja personnage féminin, La Maja desnuda et La Maja vestida.
La Maja desnuda la maja nue, œuvre de commande réalisée entre 1790 et 1800, forma avec le temps un couple avec La Maja vestida la maja vêtue, datée d'entre 1802 et 1805, probablement sur commande de Manuel Godoy pour son cabinet privé. L’antériorité de La Maja desnuda prouve qu’il n’y avait pas, à l’origine, l’intention de réaliser un couple.

La Maja desnuda 1790-1800. La Maja vestida 1802-1805
.
Sur les deux toiles, une belle femme est représentée de corps entier, placidement allongée sur un sofa, regardant directement l’observateur. Il ne s’agit pas d’un nu mythologique, mais d’une vraie femme, contemporaine de Goya, et qui était alors nommée la gitane. Il représente sur le nu un corps probablement inspiré de la Duchesse d’Alba. Le peintre avait déjà peint divers nus féminins dans son Álbum de Sanlúcar et dans celui de Madrid, profitant de l’intimité des séances de poses avec Cayetana pour capter son anatomie. Les traits de cette toile coïncident avec ceux du modèle : la ceinture svelte et les seins séparés. Cependant, le visage est une idéalisation, presque une invention — ajouté presque comme un faux — et qui ne représente le visage d'aucune femme connue de l’époque, bien qu’il ait été suggéré que ce fut celui de l’amante de Godoy, Pepita Tudó.
Beaucoup ont spéculé sur le fait que la femme représentée pourrait être la Duchesse d'Alba parce qu'à la mort de Cayetana en 1802, tous ses tableaux devinrent la propriété de Godoy, qui possédait les deux majas. Le général avait d'autres nus, tels que la Vénus à son miroir de Vélasquez. Cependant, il n'y a pas de preuves définitives, ni que ce visage appartienne à la duchesse, ni que La Maja desnuda n'ait pas pu arriver aux mains de Godoy par un autre moyen, comme d'une commande directe à Goya.
Une grande partie de la célébrité de ces œuvres est dû à la polémique qu'elles ont toujours suscitées, aussi bien concernant l'auteur de la commande initiale que l'identité de la personne peinte. En 1845, Louis Viardot publie dans Les Musées d'Espagne que la personne représentée est la duchesse, et c'est à partir de cette information que la discussion critique n'a cesser d'évoquer cette possibilité. En 1959, Joaquín Ezquerra del Bayo affirme dans La Duquesa de Alba y Goya, en se basant sur la similitude de posture et les dimensions des deux majas, qu'elles étaient disposées de telle façon que, au moyen d'un ingénieux mécanisme, la maja vêtue couvre la maja nue avec un jouet érotique du cabinet le plus secret de Godoy. On sait que le Duc d'Osuna, au XIXe siècle, utilisa ce procédé dans un tableau qui, au moyen d'un ressort, en laissait voir un autre d'un nu. Le tableau resta caché jusqu'en 1910.
Comme il s'agit d'un nu érotique qui n'a aucune justification iconographique, le tableau vaut à Goya un procès de l'Inquisition en 1815, duquel il ressort absous grâce à l'influence d'un puissant ami non-identifié.
D'un point de vue purement plastique, la qualité de rendu de la peau et la richesse chromatique des toiles sont les aspects les plus remarquables. La conception compositrice est néoclassique, ce qui n'aide pas beaucoup pour établie une datation précise.
Quoi qu'il en soit, les nombreuses énigmes qui concernent ces œuvres les ont transformées en un objet d'attention permanente.

Fantaisie, sorcellerie, folie et cruauté

En relation avec ces thèmes, on peut situer plusieurs scènes d’extrême violence, que l’exposition du musée du Prado de 1993-1994 nommait Goya, le caprice et l’invention. Elles sont datées de 1798-1800 bien que Glendinning et Bozal préfèrent les situer entre 1800 et 1814, tant pour des raisons stylistiques — technique de pinceau plus flou, réduction de la lumière sur les visages, personnages sous forme de silhouettes — que par leurs thèmes — notamment leur relation avec les Désastres de la guerre.
Il s’agit de scènes de viols, d’assassinats de sang-froid ou à bout portant, ou de cannibalisme : Bandits fusillant leurs prisonnières, ou l’Assaut des bandits I, Bandit déshabillant une femme, Assault des bandits II, Bandit assassinant une femme, Assaut des bandits III, Cannibales préparant ses victimes et Cannibales contemplant des restes humains.
Dans toutes ces toiles figurent d’horribles crimes perpétrés dans des grottes obscures, qui très souvent contrastent avec la lumière blanche irradiante et aveuglante, ce qui pourrait symboliser l’annihilation d’un espace de liberté.
Le paysage est inhospitalier, désert. Les intérieurs sont indéfinis, et on ne sait pas si ce sont des salles d’hospices ou des grottes. Le contexte, peu clair — maladies infectieuses, vols, assassinats, viols de femmes —, ne permet pas de savoir si ce sont les conséquences d’une guerre ou de la nature même des personnages dépeints. Quoi qu'il en soit, ceux-ci vivent en marge de la société, n'ont aucune défense face aux vexations et demeurent frustrés, comme c’était l’usage dans les romans et gravures de l’époque.

Les désastres de la guerre 1808–1814

La période s'étendant entre 1808 et 1814 est dominée par les turbulence de l'histoire. Suite au soulèvement d'Aranjuez, Charles IV est obligé d'abdiquer et Godoy d'abandonner le pouvoir. Le soulèvement du deux mai marque le début de la guerre d'indépendance espagnole contre l'occupant français.
Goya ne perd jamais son titre de peintre de la Chambre, mais ne cesse pour autant pas d'être préoccupé à cause de ses relations avec les afrancesados des Lumières. Cependant, son engagement politique n'a pu être déterminé avec les informations dont on dispose aujourd'hui. Il semble qu'il n'ait jamais affiché ses idées, au moins publiquement. Alors que d'un côté nombre de ses amis prennent ouvertement parti pour le monarque français, d'un autre côté, il continue à peindre de nombreux portraits royaux de Ferdinand VII lors de son retour sur le trône.
Son apport le plus décisif sur le terrain des idées, est sa dénonciation des Désastres de la guerre, série dans laquelle il peint les terribles conséquences sociales de tout affrontement armé et des horreurs causées par les guerres, en tous lieux et à toutes époques par les populations civiles, indépendamment des résultats politiques et des belligérants.
Cette époque vit également l'apparition de la première Constitution espagnole, et par conséquent, du premier gouvernement libéral, qui signa la fin de l'Inquisition et des structures de l'Ancien Régime.
On sait peu de la vie personnelle de Goya durant ces années. Son épouse Josefa meurt en 1812. Après son veuvage, Goya maintient une relation avec Leocadia Weiss, séparée de son mari — Isidoro Weiss — en 1811, avec qui il vit jusqu'à sa mort. De cette relation, il aura peut-être une fille, Rosario Weiss, mais sa paternité est discutée.
L'autre élément certain concernant Goya à cette époque est son voyage à Saragosse en octobre 1808, après le premier siège de Saragosse, à la demande de José de Palafox y Melzi, général du contingent qui résiste au siège napoléonien. La déroute des troupes espagnoles lors de la Bataille de Tudela fin novembre 1808 oblige Goya à partir à Fuendetodos puis à Renales, Guadalajara, pour passer la fin de l'année et le début de 1809 à Piedrahíta Ávila. C'est probablement là-bas qu'il peint le portrait de Juan Martín Díez, qui se trouve à Alcántara Cáceres. En mai, Goya rentre à Madrid, suite au décret de Joseph Bonaparte pour que les fonctionnaires de la cour reviennent à leur poste sous peine d'en être destitué. José Camón Aznar signale que l'architecture et les paysages de certaines estampes des Désastres de la guerre évoquent des scènes vues à Saragosse et en Aragon durant ce voyage.
La situation de Goya lors de la restauration est délicate : il a en effet peint des portraits de généraux et hommes politiques français révolutionnaires, incluant même le roi Joseph Bonaparte. Bien qu'il peut prétexter que Bonaparte avait ordonné que tous les fonctionnaires royaux se mettent à sa disposition, Goya commence à peindre en 1814 des tableaux que l'on doit considérer patriotiques afin de s'attirer la sympathie du régime de Ferdinand. Un bon exemple est Retrato ecuestre del general Palafox, Portrait équestre du général Palafox , 1814, Madrid, Musée du Prado, dont les notes ont probablement été prises lors de son voyage en capitale aragonaise, ou encore des portraits de Ferdinand VII lui-même. Bien que cette période ne soit pas aussi prolifique que la précédente, sa production reste abondante, tant en peintures, qu’en dessins ou estampes, dont la série principale est Les Désastres de la guerre publiée bien plus tard. Cette année 1814 voit également l’exécution de ses huiles sur toiles les plus ambitieuses autour de la guerre : Dos de Mayo et Tres de Mayo.

Scènes de la vie quotidienne et allégorie

Le programme de Godoy pour la première décennie du XIXe siècle conserva ses aspects réformateurs inspirés des Lumières, comme le montrent les toiles qu’il commanda à Goya où figurent des allégories au progrès, Allégorie à l'Industrie, à l’Agriculture, au Commerce et à la Science – ce dernier ayant disparu – 1804 - 1806 et qui décoraient des salles d’attentes de la résidence du premier ministre. La première de ces toiles est un exemple du retard qu’avait l’Espagne dans la conception industrielle. Plus qu' à la classe ouvrière, c’est une référence vélasquienne aux Fileuses qui montre un modèle productif proche de l’artisanat. Pour ce palais, deux autres toiles allégoriques furent produite : la Poésie, et la Vérité, le Temps et l’Histoire, qui illustrent les conceptions des lumières des valeurs de la culture écrite comme source de progrès.
L’Allégorie à la ville de Madrid, 1810 est un bon exemple des transformations que subirent ce genre de toiles au fur et à mesures des rapides évolutions politiques de cette période. Dans l’ovale à droite du portrait figurait au début Joseph Bonaparte, et la composition féminine qui symbolise la ville de Madrid ne semblait pas subordonnée au Roi qui est un peu plus en retrait. Ce dernier reflétait l’ordre constitutionnel, où la ville jure fidélité au monarque – symbolisé par le chien à ses pieds – sans y être subordonné. En 1812, avec la première fuite des français de Madrid devant l’avancée de l’armée anglaise, l’ovale fut masqué par le mot constitution, allusion à la constitution de 1812, mais le retour de Joseph Bonaparte en novembre obligea à y remettre son portrait. Son départ définitif eut pour conséquence le retour du mot constitution, et, en 1823, avec la fin du triennat libéral, Vicente Lopez peignit le portrait du roi Ferdinand VII. En 1843, enfin, la figure royale fut substituée par le texte le Livre de la Constitution et postérieurement par Dos de mayo, deux mai, texte qui y figure encore .

Deux scènes de genre sont conservées au musée des beaux-arts de Budapest. Ils représentent le peuple au travail. Ce sont la porteuse d’eau et le Rémouleur, datées entre 1808 et 1812. Elles furent dans un premier temps considérées comme faisant partie des estampes et travaux pour les tapisseries, et donc datées des années 1790. Par la suite, elles furent liées aux activités de la guerre où des patriotes anonymes affilaient des couteaux et offraient un appui logistique. Sans arriver à cette dernière interprétation extrême – rien dans ces toiles ne suggère la guerre, et elles furent cataloguées hors de la série des horreurs de la guerre dans l’inventaire de Josefa Bayeu – on note la noblesse avec laquelle est représentée la classe ouvrière. La porteuse d’eau est vue en contre-plongée ce qui contribue à rehausser sa figure, telle un monument de l’iconographie classique.
La Forge, collection Frick, New York, 1812 - 1816, est peinte en grande partie à la spatule et avec de rapides coups de pinceaux. L’éclairage crée un clair-obscur et le mouvement est d’un grand dynamisme. Les trois hommes pourraient représenter les trois âges de la vie, travaillant ensemble à la défense de la nation durant la guerre d’indépendance. La toile semble avoir été produite de la propre initiative du peintre.

Goya peignit également une série de tableaux sur des thèmes littéraires tel que le Lazarillo de Tormes; des scènes mœurs et de scènes de genre Maja et Célestine au balcon , Majas au balcon et des satires : Les vieilles —une allégorie sur l’hypocrisie de la vieillesse — Les jeunes, également connue comme Lecture d’une lettre). Sur ces toiles la technique de Goya est aboutie : les touches de couleurs espacées et le tracé ferme. Il représente des thèmes variés, depuis des marginaux jusqu’à la satire sociale. Dans ces deux derniers tableaux apparaît le goût – alors nouveau – pour un rendu naturaliste en ligne avec Murillo, qui s’éloigne définitivement des prescriptions idéalistes de Mengs. Lors d’un voyage des rois en Andalousie en 1796, ils acquirent pour les collections royales une huile du sévillan Le pouilleux, où un mendiant s’épouille.
Les vieilles est une allégorie du Temps, personnage symbolisé par le vieillard sur le point de donner un coup de balais sur une vieille femme qui se regarde dans un miroir qui lui renvoie un reflet cadavérique. Sur l’envers du miroir le texte Que tal ? Comment ça va ? fonctionne comme la bulle d’une bande dessinée contemporaine. Pour la toile Les jeunes, vendue comme pendent au précédent, le peintre exagère les inégalités sociales ; non seulement entre la protagoniste et sa servante qui la protège d’une ombrelle, mais également avec les lavandière en fond agenouillées et exposées au soleil. Certaines planches de l’ album E nous éclairent sur ces observations des mœurs, et les idées de réformes sociales propres à cette époque. C’est le cas des planches Travaux utiles où apparaissent les lavandières, et Cette pauvre profite du temps où une femme pauvre enferme dans la grange le temps qui passe. Vers 1807, il peint, comme il le dit, une série de six tableaux de mœurs qui narrent une histoire à la façon des bandes dessinées : : Frère Pedro de Zaldivia et le bandit Maragato.

Le Colosse 1808-1812

Le Colosse, tableau attribué à Goya jusqu’en 2008 mais attribuée depuis par le Musée du Prado à son élève Asensio Juliá —si bien concluyó determinando, en enero de 2009, que su autoría pertenece a un discípulo de Goya indeterminado, sin poder dilucidar que se tratase de Juliá—, un géant marche derrière les montagne dans une allégorie clairement romantique tandis que la foule fuit en désordre dans la vallée. Il existe une multitude d’interprétations. Nigel Glendinning affirme que la toile est basée sur un poème patriotique de Juan Bautista Arriaza Prophétie des Pyrénées. L’Espagne est représentée comme un géant surgit des Pyrénées pour s’opposer à l’invasion napoléonienne, thème classique de la poésie patriotique de la Guerre d’indépendance.
Sa volonté de lutter sans armes, avec les bras, comme le signale le propre Arriaza dans son poème Souvenirs du Deux mai
qui si jeune qui sans arme, fier / qui entre les files se lance audacieux
Il insiste sur le caractère populaire de la résistance en contraste avec la terreur du reste de la population qui fuie dans toutes les direction, générant une composition organique typique du romantisme, où prévalent les mouvements et directions propres aux figures qui composent la toile plutôt que l’organisation et la mécanique d’ensemble propre au néoclassicisme, où des droites et des volumes organisent rationnellement l’idée du peintre. Ici, les lignes de force se désagrègent, l’unité disparait au profit de multiples chemins vers les bords du tableau.
La traitement de la lumière met en valeur les nuages qui entourent la ceinture du colosse, comme le décrit ce même poème d’Arriaza
Encerclant sa ceinture / des nuées d’occident rougies
Cette lumière est interrompue par les reliefs montagneux ce qui augmente le déséquilibre et le désordre

Natures mortes

Dans l’inventaire réalisé en 1812 à la mort de sa femme Josefa Baye, se trouvaient douze natures mortes. On y trouve notamment la Nature morte avec des côtes et une tête d’agneau (Paris, musée du Louvre, la Nature morte à la dinde morte, Madrid, musée du Prado et Dinde plumée et poêle (Munich, Alte Pinakothek. Elles sont postérieures à 1808, ce que reflète leur style. À cause du manque de commandes durant la guerre, Goya explora les genres sur lesquels il n’avait pas pu travailler.
Ces natures mortes ne sont pas liées à la tradition espagnole de Juan Sánchez Cotán et Juan van der Hammen y León, et dont le principal représentant au XVIIIe siècle fut Luis Meléndez. Tous avaient exploité des natures mortes transcendantes qui montraient l’essence des objets épargnés par le temps, tels qu’ils seraient idéalement. Goya se focalise en revanche sur le temps qui passe, la dégradation et la mort. Ses dindes sont inertes, les yeux de l’agneau sont vitreux, la chair n’est pas fraîche. Ce qui intéresse Goya est de représenter le passage du temps sur la nature au lieu d’isoler les objets de les représenter leur immanence. Il fait apprécier les accidents et les aléas du temps, d’un point de vue éloigné à la fois du mysticisme que de la symbolique des vanités d’Antonio de Pereda et de Juan de Valdés Leal.

Portraits officiels, politiques et bourgeois

Prenant pour prétexte le mariage de son fils unique, Javier Goya, avec Gumersinda Goicoechea y Galarza en 1805, Goya peignit six portraits en miniature des membres de sa belle-famille. Un an plus tard, Mariano Goya naquit de cette union. L’image bourgeoise qu’offrent ces portraits de famille montre les changements de la société espagnole entre les premières œuvres de jeunesse et la première décennie du XIXe siècle. Un portrait au crayon de doña Josefa Bayeu est également conservé et date de cette même année. Elle est dessinée de profil, les traits sont très précis et définissent sa personnalité. Le réalisme est mis en avant, anticipant les caractéristiques des albums postérieurs de Bordeaux.
Durant la guerre, l’activité de Goya diminua, mais il continua à peindre des portraits de la noblesse, d’amis, de militaires et d’intellectuels notables. Le voyage à Saragosse de 1808 fut probablement à la source des portraits de Juan Martín, le Têtu 1809, du portrait équestre de José de Rebolledo Palafox y Melci qu’il termina en 1814 ainsi que des gravures des Désastres de la guerre.
Il peignit également des portraits de militaires français — portrait du général Nicolas Philippe Guye, 1810, Richmond, Musée des beaux-arts de Virginie - anglais —Buste d’ Arthur Wellesley, ler duc de Wellington, National Gallery de Londres - et espagnols - le Têtu, très digne dans un uniforme de capitaine de cavalerie.
Il s’occupa également d’amis intellectuels , Juan Antonio Llorente, vers 1810 - 1812, Sao Paulo, Musée d’art, qui publia une histoire critique de l’inquisition espagnole à Paris en 1818 sur commande de Joseph Bonaparte qui le décora de l’ordre royal d'Espagne – ordre nouvellement créé par le monarque – et dont il est décoré sur son portrait à l’huile de Goya. Il réalisa également celui de Manuel Silvela, auteur d’une Bibliothèque sélective de Littérature espagnole et un Compendium d’Histoire Ancienne jusqu’aux temps Augustes. C'était un afrancesado, ami de Goya et de Moratín exilé en France à partir de 1813. Sur ce portrait réalisé entre 1809 et 1812, il est peint avec une grande austérité, un vêtement sobre sur un fond noir. La lumière éclaire son habit et l’attitude du personnage nous montre sa confiance, sa sécurité et ses dons personnels, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à des ornements symboliques, caractéristiques du portrait moderne.
Après la restauration de 1814, Goya peignit divers portraits du désirés Ferdinand VII – Goya était toujours le premier peintre de la Chambre – tel que le Portrait équestre de Ferdinand VII exposé à l’Académie de San Fernando et divers portraits de corps entier, tel que celui peint pour la mairie de Santander. Sur ce dernier, le Roi est représenté sous une figure qui symbolise l’Espagne, hiérarchiquement positionnée au-dessus du roi. Au fond, un lion brise des chaînes, ce par quoi Goya semble dire que la souveraineté appartient à la nation.

Images de la guérilla

La Fabrication de poudre et Fabrication de balles dans la Sierra de Tardienta toutes deux datées entre 1810 et 1814, Madrid, Palais Royal sont des allusions, comme l’indiquent des inscriptions au dos, à l’activité du cordonnier José Mallén de Almudévar, qui entre 1810 et 1813 organisa une guérilla qui opérait à une cinquantaine de kilomètres au nord de Saragosse. Les peintures de petit format essaient de représenter une des activités les plus importantes dans la guerre. La résistance civile à l’envahisseur fut un effort collectif et ce protagoniste, à l’instar de tout le peuple, se détache de la composition. Femmes et hommes s’affairent, embusqués entre les branches des arbres où filtre le bleu du ciel, pour fabriquer des munitions. Le paysage est déjà plus romantique que rococo.

Les Désastres de la guerre

Ravages de la guerre 1810-1815 Les Désastres de la guerre.
Les Désastres de la guerre est une série de 82 gravures réalisée entre 1810 et 1815 qui illustre les horreurs liées à la guerre d’indépendance espagnole.
Entre octobre 1808 et 1810, Goya dessina des croquis préparatoires conservés au musée du Prado qu’il utilisa pour graver les planches, sans modification majeures, entre 1810, année où les premières apparurent et 1815. Durant le vivant du peintre, deux jeux complets de gravures furent imprimés, l’un d’eux offert à son ami et critique d’art Ceán Bermúdez, mais ils restèrent inédits. La première édition arriva en 1863, publiée à l’initiative de l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando.
La technique utilisée est l’eau-forte complétée par des pointes sèches et humides. Goya utilisa à peine l’eau-forte, qui est la technique la plus utilisée dans les Caprichos, probablement à cause de la précarité des moyens dont il disposait, la totalité de la série des désastres ayant été exécutée en temps de guerre.
Un exemple de la composition et de la forme de cette série, est la gravure numéro 30, que Goya a intitulé Ravages de la guerre et qui est considéré comme un précédent à la toile Guernica par le chao qui résulte de la composition, la mutilation des corps, la fragmentation des objets et des êtres éparpillés sur la gravure, la main coupée d’un des cadavres le démembrement des corps et la figure de l’enfant mort à la tête renversée qui rappelle celui soutenu par sa mère dans la toile de Picasso.
La gravure évoque le bombardement d’une population civile urbaine, probablement dans leur maison, à cause des obus que l’artillerie française utilisait contre la résistance espagnole du siège de Saragosse. D’après José Camón Aznar:
Goya parcourt la terre aragonaise débordantes de sang et de visions de morts. Et son crayon ne fit pas plus que de transcrire les spectacles macabres qu’il avait à sa vue et les suggestions directes qu’il recueilli durant ce voyage. Il n’y eut qu’à Saragosse qu’il put contempler les effets des obus qui en tombant détruisaient les étages des maisons, précipitant ses habitants, comme sur la planche, ravages de la guerre
— José Camón Aznar

Les deux et trois mai 1808

À la fin de la guerre, Goya aborda en 1814 l’exécution de deux grands tableaux historiques dont les origines sont à situer dans les succès espagnols des deux et trois mai 1808 à Madrid. Il expliqua son intention dans une missive au gouvernement où il signale sa volonté de
perpétuer par les pinceaux les plus importantes et héroïques actions ou scènes de notre glorieuse insurrection contre le tyran d’Europe


Dos de Mayo 1814.

Les tableaux – Deux mai 1808 et Trois mai 1808 – sont de grands formats très différents des toiles habituelles de ce genre. Il renonça à faire du protagoniste un héros alors qu’il pouvait prendre comme sujet l’un des meneurs de l’insurrection madrilène tel que Daoíz et Velarde dans un parallèle avec les toiles néoclassiques de David Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard 1801. Chez Goya le protagoniste est un collectif anonyme de gens arrivant à une violence et une brutalité extrêmes. Dans ce sens, ses tableaux sont une vision originales. Il se distingue de ses contemporains qui illustraient le soulèvement du deux mai, telles que celles de Tomás López Enguídanos, publiées en 1813, et rééditées par José Ribelles et Alejandro Blanco l’année suivante. Ce genre de représentations, très populaires, avaient gagné l’imaginaire collectif lorsque Goya proposa ses tableaux.
Là ou d’autres représentations permettent clairement de reconnaître le lieu des combats - la Puerta del Sol - dans La charge des mamelouks, Goya atténue les références aux dates et aux lieux, réduits à de vagues références urbaines. Il gagne l’universalité et se concentre sur la violence du propos : un affrontement sanglant et informe, sans distinction de camps ni de drapeau. En parallèle, l’échelle des personnages augmente au fur et à mesure des gravures afin de se concentrer sur l’absurde de la violence, de diminuer la distance avec le spectateur qui est pris dans le combat tel un passant surpris par la bataille.

Tres de Mayo 1814.

La toile est un exemple typique de composition organique propre au romantisme, où les lignes de forces sont données par le mouvement des personnages, guidées par les nécessités du thème et non par une géométrie externe imposée a priori par la perspective. Dans ce cas, le mouvement va de gauche à droite, des hommes et des chevaux sont coupés par les bords du cadre de chaque côté, telle une photographie prise sur le vif. Tant le chromatisme que le dynamisme et la composition anticipent les caractéristiques de la peinture romantique française ; un parallèle esthétique peut être fait entre le Deux Mai de Goya et La Mort de Sardanapale de Delacroix.
Les Fusillés du 3 mai opposent le groupe de détenu sur le point d’être exécutés avec celui des soldats. Dans le premier, les visages sont reconnaissables et illuminés par un grand feu, un personnage principal se détache en ouvrant les bras en croix, vêtu de blanc et de jaune irradiant, rappelant l’iconographie du Christ – on voit les stigmates sur ses mains. Le peloton d’exécution, anonyme, est transformé en une machine de guerre déshumanisée où les individus n’existent plus.
La nuit, le dramatisme sans fard, la réalité du massacre, sont représenté dans une dimension grandiose. De plus, le mort en raccourci au premier plan prolonge les bras en croix du protagoniste, et dessine une ligne directrice qui va vers l’extérieur du cadre, vers le spectateur qui se sent impliqué dans la scène. La nuit noire, héritage de l’esthétique du Sublime Terrible, donne une tonalité lugubre aux événements, où il n’y a pas de héros, seulement des victimes : celles de la répression et celles du peloton.
Dans les fusillés du 3 mai, il n’y a aucune prise de distance, aucune emphase sur des valeurs militaires telles que l’honneur, ni même une quelconque interprétation historique qui éloignerait le spectateur de la scène : l’injustice brutale de la mort d’hommes des mains d’autres hommes. Il s’agit d’une des toiles les plus importantes et marquantes de l’ensemble de l’œuvre de Goya, elle reflète, plus qu’aucune autre, son point de vue moderne sur la compréhension d’un affrontement armé.

La Restauration 1815 - 1819

Le retour d'exil de Ferdinand VII allait cependant sonner le glas des projets de monarchie constitutionnelle et libérale auxquels Goya adhérait. S'il conserve sa place de Premier peintre de la Chambre, Goya s'alarme de la réaction absolutiste qui s'amplifie encore après l'écrasement des libéraux par le corps expéditionnaire français en 1823. La période de la Restauration absolutiste de Ferdinand VII entraina la persécution de libéraux et des afrancesados, chez qui Goya avait ses principales amitiés. Juan Meléndez Valdés et Leandro Fernández de Moratín se virent obligés de s’exiler en France devant la répression. Goya se trouva dans une situation difficile, pour avoir servi Joseph Ier, pour son appartenance au cercle des Lumières et à cause du procès initié à son encontre en mars 1815 par l’Inquisition pour sa maja desnuda, qu’elle considérait obscène, mais le peintre fut finalement absout.
Ce panorama politique obligea Goya à réduire ses commandes officielles aux peintures patriotiques du type soulèvement du deux mai et aux portraits de Ferdinand VII. Deux d’entre eux Ferdinand VII avec un manteau royal et en campagne, tous deux de 1814 sont conservés au musée du Prado.
Il est probable qu’à la restauration du régime absolutiste Goya eut dépensé une grande partie de ses avoirs pour faire face aux pénuries de la guerre. C’est ainsi qu’il l’exprime dans des échanges épistolaires de cette époque. Cependant, après la réalisation de ces portraits royaux et d’autres commandes payées par l’Église à cette époque – notamment Saintes Juste et Rufine 1817 pour la Cathédrale de Séville — en 1819, il avait suffisamment d’argent pour acheter sa nouvelle propriété de la maison du sourd, de la faire restaurer, de lui ajouter une noria, des vignes et une palissade.

L’autre grand tableau officiel – plus de quatre mètres de large – est La Junte des Philippines Musée Goya, Castres, commandé en 1815 par José Luis Munárriz, directeur de cette institution et que Goya peignit à la même époque.
Cependant, en privé, il ne réduisit pas son activité de peintre et de graveur. Il continua à cette époque à réaliser des tableaux de petit format, de caprices, autour de ses obsessions habituelles. Les tableaux s’éloignent toujours plus des conventions picturales antérieures, par exemple avec : la Corrida de toros, la Procession des pénitents, Tribunal de l'Inquisition, La Maison de fous. On note L'Enterrement de la sardine qui traite du Carnaval.
Ces huiles sur bois sont de dimensions similaires, de 45 à 46 cm x 62 à 73, sauf L'Enterrement de la sardine, 82,5 x 62 et sont conservées au musée de l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando. La série provient de la collection acquise par le régisseur de la ville de Madrid à l’époque du gouvernement de Joseph Bonaparte, le libéral Manuel García de la Prada, dont le portrait par Goya est daté 1805 et 1810. Dans son testament de 1836 il légua ses œuvres à l’académie des beaux-arts qui les conserve encore. Elles sont en grande partie responsables de la légende noire, romantique, créée à partir des peintures de Goya. Elles furent imitées et répandues, d’abord en France puis en Espagne par des artistes comme Eugenio Lucas et Francisco Lameyer.
En tout cas, son activité resta frénétique, puisque durant ces années il termina les Désastres de la guerre, et commença une autre série de gravure, La Tauromaquia —mise en vente dès octobre 1816—, avec quoi il pensait obtenir de plus grands revenus et un accueil populaire meilleur qu’avec les précédentes. Cette dernière série est conçue comme une histoire du toréro qui recrée ses mythes fondateurs et où prédomine le pittoresque malgré de nombreuses idées originales, comme celles de l’estampe numéro 21 Disgrâces survenues aux arènes de Madrid et mort du maire de Torrejon où la zone gauche de l’estampe est vide de personnages, dans un déséquilibre impensables à peine quelques années avant.
Dès 1815 —bien qu’elles ne furent publiées qu’en 1864— il travailla aux gravures disparates. C’est une série de vingt-deux estampes, probablement incomplètes, dont l’interprétation est la plus complexe. Les visions sont oniriques pleines de violence et de sexe, les institutions de l’ancien régime sont ridiculisée et sont en général, très critiques envers le pouvoir. Mais plus que ces connotations, ces gravures offrent un monde imaginaire riche en relation avec le monde de la nuit, le carnaval et le grotesque. Finalement, deux tableaux religieux émouvant, peut être les seuls de réelle dévotion, achèvent cette période. Ce sont La dernière communion de saint Joseph de Calasanz et le Christ au jardin des oliviers, tous deux de 1819, exposés au Musée Calasancio de l’école pieuse de San Antón de Madrid. Le recueillement réel que montrent ces toiles, la liberté de trait, la signature de sa main, transmettent une émotion transcendante.

Saturne dévorant un de ses fils 1819-1823. Peintures noires.
Contexte et doutes sur l'intégrité des œuvres

C'est du nom de Peintures noires qu'on connaît la série de quatorze œuvres murales que peint Goya entre 1819 et 1823 avec la technique d'huile al secco sur la superficie de ravalement du mur de la Quinta del Sordo. Ces tableaux représentent probablement le plus grand chef-d'œuvre de Goya, aussi bien pour leur modernité que pour la force de leur expression. Une peinture telle que Le Chien se rapproche même de l'abstraction ; plusieurs œuvres sont précurseuses de l'expressionnisme et autres avant-gardes du XXe siècle.
Les peintures murales sont transposées sur toile à partie de 1874 et sont actuellement exposées au Musée du Prado. La série, aux œuvres de laquelle Goya ne donne pas de titre, est cataloguée pour la première fois en 1828 par Antonio de Brugada, qui leur donne alors un titre pour la première fois à l'occasion de l'inventaire réalisé à la mort du peintre ; les propositions de titres ont été nombreuses. La Quinta del Sordo devient la propriété de son petit-fils Mariano Goya en 1823, après que Goya la lui a cédé, a priori pour la protéger à la suite de la restauration de la Monarchie absolue et des répressions libérales de Ferdinand VII. C'est ainsi que jusqu'à la fin du XIXe siècle, l'existence des Peintures noires est très peu connue, et seuls quelques critiques, comme Charles Yriarte, ont pu les décrire. Entre 1874 et 1878, les œuvres sont transposées du mur vers la toile par Salvador Martínez Cubells sur la requête du baron Émile d'Erlanger56 ; ce processus cause de graves dommages sur les œuvres, qui perdent grandement en qualité. Ce banquier français a l'intention de les montrer pour les vendre lors de l'exposition universelle de 1878 à Paris. Cependant, ne trouvant pas preneur, il finit par les donner en 1811 à l'État espagnol, qui les assigne à ce qui s'appelait à l'époque le Museo Nacional de Pintura y Escultura Musée National de Peinture et Sculpture, c'est-à-dire le Prado.
Goya acquiert cette propriété située sur la rive droite du Manzanares, près du pont de Segovia et du chemin vers le parc de San Isidro, en février 1819 ; probablement pour y vivre avec Leocadia Weiss hors de portée des rumeurs, celle-ci étant mariée avec Isidoro Weiss. C'est la femme avec qui il aurait vécu et eu une fille, Rosario Weiss. En novembre de cette année, Goya souffre d'une grave maladie dont Goya et son médecin en est un terrible témoin.
Quoi qu'il en soit, les Peintures noires sont peintes sur des images champêtres de petites figures, dont il profite parfois des paysages, comme dans Duel au gourdin. Si ces peintures de ton allègre sont bien de Goya, on peut penser que la crise de la maladie unie peut-être aux événements agités du Triennat libéral l'amène à les repeindre58. Bozal estime que les tableaux originaux sont effectivement de Goya du fait que ce serait la seule raison pour laquelle il les réutilise ; cependant, Gledinning pense lui que les peintures décoraient déjà les murs de la Quinta del Sordo quand il l'acheta Quoi qu'il en soit, les peintures ont pu être commencées en 1820 ; elles n'ont pas pu être terminées au-delà de 1823, puisque cette année-là Goya part à Bordeaux et cède sa propriété à son neveu. En 1830, Mariano de Goya, transmet la propriété à son père, Javier de Goya.
Les critiques s'accordent à proposer certaines causes psychologiques et sociales à la réalisation des Peintures noires. Il y aurait d'abord la conscience de la décadence physique du propre peintre, accentuée par la présence d'une femme beaucoup plus jeune dans sa vie, Leocadia Weiss, et surtout les conséquences de sa grave maladie de 1819, qui laissa Goya prostré dans un état de faiblesse et de proximité de la mort, ce qui est reflété par le chromatisme et le thème de ces œuvres.
D'un point de vue sociologique, tout porte à croire que Goya a peint ses tableaux à partir de 1820 — bien qu'il n'y ait pas de preuve documentée définitive — après s'être remis de ses problèmes physiques. La satire de la religion — pèlerinages, processions, Inquisition — et les affrontements civils — le Duel au gourdin, les réunions et conspirations reflétées dans Hommes lisant, l'interprétation politique qui peut être faite de Saturne dévorant un de ses fils, l'État dévorant ses sujets ou citoyens — coïncident avec la situation d'instabilité qu'il s'est produit en Espagne pendant le Triennat libéral 1820-1823 suite à la levée constitutionnelle de Rafael del Riego. Les thèmes et le ton utilisés ont bénéficié, lors de ce Triennat, de l'absence de la censure politique stricte qui aura lieu lors des restaurations des monarchies absolues. Par ailleurs, beaucoup des personnages des Peintures noires duellistes, moines, familiers de l'Inquisition représentent un monde caduque, antérieur aux idéaux de la Révolution française.
L'inventaire d'Antonio de Brugada mentionne sept œuvres au rez-de-chaussée et huit à l'étage. Cependant, le Musée du Prado n'arrive qu'à un total de quatorze. Charles Yriarte décrit en 1867 une peinture de plus que celles qui sont connues actuellement et précise qu'elle avait déjà été arrachée du mur quand il visita la propriété : elle avait été transférée au palais de Vista Alegre, qui appartenait au marquis de Salamanca. Plusieurs critiques considèrent que pour les mesures et les thèmes abordés, cette peinture serait Têtes dans un paysage, conservé à New York dans la collection Stanley Moss. L'autre problème de localisation concerne Deux vieillards mangeant de la soupe, dont on ne sait pas si c'était un rideau du rez-de-chaussée ou de l'étage ; Glendinning la localise dans l'une des salles inférieures.

La Quinta del Sordo

La distribution originale de la Quinta del Sordo était comme suit :
Localisation originale des Peintures noires dans la Quinta del Sordo.
Rez-de-chaussée
C'est un espace rectangulaire. Sur les murs en longueur, il y a deux fenêtres proches des murs en largeur. Entre elles apparaissent deux tableaux de grand format particulièrement oblongs : La Procession à l'ermitage Saint-Isidore à droite et Le Sabbat des sorcières de 1823 à gauche. Au fond, sur le mur de la largeur face à celui de l'entrée, il y a une fenêtre au centre qui est entourée par Judith et Holopherne à droite et Saturne dévorant un de ses fils à gauche. En face, de chaque côté de la porte se situent Léocadie face au Saturne et Deux vieux, face à la Judith.
Premier étage
Il possède les mêmes dimensions que le rez-de-chaussée, mais les murs en longueur ne possèdent qu'une fenêtre centrale : elle est entourée de deux huiles. Sur le mur de droite, quand on regarde depuis la porte, on trouve d'abord Vision fantastique puis plus loin Pélerinage à la source Saint-Isidore. Sur le mur de gauche, on voit Les Moires puis Duel au gourdin. Sur le mur en largeur, en face, on voit Femmes riant à droite et Hommes lisant à gauche. À droite de l'entrée, on se trouvent Le Chien et à gauche Têtes dans un paysage.
Cette disposition et l'état original des œuvres peuvent nous parvenir, en plus des témoignages écrits, du catalogue photographique que Jean Laurent met au point in situ vers 1874 à la suite d'une commande, en prévision de l'effondrement de la maison. Nous savons grâce à lui que les peintures étaient encadrés avec des papiers peints classicistes de plinthe, de même que les portes, les fenêtres et la frise au raz du ciel. Les murs sont recouverts, comme c'était habituel dans les résidences bourgeoises ou de cour, d'une matière qui provient probablement de la Fabrique royale de papier peint promue par Ferdinand VII. Les murs du rez-de-chaussée sont couverts de motifs de fruits et de feuilles et ceux de l'étage le sont de dessins géométriques organisés en lignes diagonales. Les photographies documentent également l'état des œuvres avant leur transfert.
Il n'a pas été possible, malgré les différentes tentatives, de faire interprétation organique pour toute la série décorative dans sa localisation originale. D'abord parce que la disposition exacte n'est pas encore tout à fait définie, mais surtout parce que l'ambiguïté et la difficulté de trouver un sens exact à la plupart des tableaux en particulier font que le sens global de ces œuvres reste encore une énigme. Il y a cependant quelques pistes que l'on peut considérer.

La Procession à l'ermitage Saint-Isidore 1819-1823 reflète le style caractéristique des Peintures noires.
Glendinning fait remarquer que Goya décore sa maison en s'en tenant au décors habituel de la peinture murale des palais de la noblesse et de la haute bourgeoisie. Selon ces normes, et en considérant que le rez-de-chaussée servait de salle à manger, les tableaux devraient avoir une thématique en accord avec leur environnement : il devrait y avoir des scènes champêtres — la villa se situait au bord du Manzanares et face à la prairie de Saint-Isidore —, des natures mortes et des représentations de banquets allusifs à la fonction de la salle. Bien que l'aragonais ne traite pas de ces genres de façon explicite, Saturne dévorant un de ses fils et Deux vieillards mangeant de la soupe évoquent, bien que de façon ironique et avec de l'humour noir, l'acte de manger, comme le fait indirectement Judith qui tue Holofernes après l'avoir invité à un banquet. D'autres tableaux sont à mettre en relation avec la thématique bucolique habituelle et avec la proche ermite du saint patron des madrilènes, bien qu'avec un traitement lugubre : Le pèlerinage de Saint Isidore, Le pèlerinage à Saint Isidore et même Léocadie, dont la sépulture peut être lié au cimetière annexe à l'ermite.

La peinture murale Le Chien 1819-1823 à la Quinta del Sordo. Institut du patrimoine culturel d'Espagne.
Depuis un autre point de vue, quand le rez-de-chaussée a une faible lumière, on se rend compte que les tableaux sont particulièrement obscurs, à l'exception de Léocadie, même si sa tenue est celle du deuil et qu'une tombe — peut-être celle de Goya lui-même — y apparaît. Dans cette pièce la présence de la mort et la vieillesse sont prédominantes. Une interprétation psychanalytique y voit également la décadence sexuelle, avec des jeunes femmes qui survivent à l'homme voire le castrent, comme le font Léocadie et Judith respectivement. Les vieillards qui mangent de la soupe, deux autres vieux et le vieux Saturne représentent la figure masculine. Saturne est, en plus, le dieu du temps et l'incarnation du caractère mélancolique, en relation avec la bile noire, ce qu'aujourd'hui nous appellerions la dépression. Ainsi, le rez-de-chaussée réunit thématiquement la sénilité qui mène à la mort et la femme forte, castratrice de son compagnon.
À l'étage, Glendinning évalue différents contrastes. L'un qui oppose le rire et les pleurs ou la satire et la tragédie, et l'autre qui oppose les éléments de la terre et de l'air. Pour la première dichotomie, Hommes lisant, avec son ambiance de sérénité, s'opposerait à Dos mujeres y un hombre, Deux femmes et un homme ; ce sont les deux seuls tableaux obscurs de la salle et ils donneraient le ton des oppositions entres les autres. Le spectateur les contemple au fond de la salle quand il entre. De la même manière, dans les scènes mythologiques de Vision fantastique et Les Moires, on peut percevoir la tragédie, tandis que dans d'autres, comme le Pèlerinage du Saint Office, on aperçoit plutôt une scène satyrique. Un autre contraste serait basé sur des tableaux aux figures suspendues en l'air dans les tableaux de thème tragique déjà cités, et d'autres où elles apparaissent enfoncées ou installées sur la terre, comme dans le Duel au gourdin et dans celui du Saint Office. Mais aucune des ces hypothèses résout de façon satisfaisante la recherche d'une unité dans l'ensemble des thèmes de l'œuvre analysée

Analyse technique

Têtes dans un paysage 1819-1823.
La seule unité que l'on peut constater est celle du style. Par exemple, la composition de ces tableaux est novatrice. Les figures apparaissent en général décentrées, dont un cas extrême est Têtes dans un paysage, où cinq têtes s'agglutinent au coin inférieur droit du tableau, apparaissant ainsi comme coupées ou sur le point de sortir du cadre. Un tel déséquilibre est un exemple de la plus grande modernité compositrice. Les masses de figures sont également déplacées dans Le pèlerinage de Saint Isidore — où le groupe principal apparaît à gauche —, Le pèlerinage du Saint Office — ici à droite —, et même dans Les Moires, Vision fantastique et Le Sabbat des sorcières, bien que pour ce dernier cas, le déséquilibre a été perdu après la restauration des frères Martínez Cubells.
Les tableaux partagent aussi un chromatisme très sombre. Beaucoup des scènes des Peintures noires sont nocturnes, montrent l'absence de lumière, le jour qui se meurt. C'est le cas dans Le pèlerinage de Saint Isidore, Le Sabbat des sorcières ou Le pèlerinage du Saint Office, où point avec le coucher du soleil la soirée et une sensation de pessimisme, de vision terrible, d'énigme et d'espace irréel. La palette de couleurs se réduit à l'ocre, au doré, à la terre, aux gris et aux noirs ; avec seulement quelque blanc sur les vêtements pour créer du contraste, du bleu dans le ciel et quelque coup de pinceau lâche sur le paysage, où apparaît un peu de vert, mais toujours de façon très limitée.
Si l'on porte son attention sur l'anecdote narrative, on observe que les traits des personnages présentent des attitudes réflexives et extatiques. À cet état second répondent les figures aux yeux très ouverts, avec la pupille entourée de blanc, et le gosier ouvert pour donner des visages caricaturés, animaux, grotesques. On contemple un moment digestif, quelque chose de répudié par les normes académiques. On montre ce qui n'est pas beau, ce qui est terrible ; la beauté n'est plus l'objet de l'art, mais le pathos et une certaine conscience de montrer tous les aspects de la vie humaine sans rejeter les moins agréables. Ce n'est pas pour rien que Bozal parle d'une chapelle sixtine laïque où le salut et la beauté ont été substitués par la lucidité et la conscience de la solitude, de la vieillesse et de la mort .

Goya à Bordeaux 1824-1828 Exil de Goya en France

En mai 1823, la troupe du duc d'Angoulême, les Cien Mil Hijos de San Luis les Cent Mille Fils de Saint Louis ainsi que les appèlent alors les Espagnols, prennent Madrid dans le but de restaurer la monarchie absolue de Ferdinand VII. Une répression des libéraux qui avaient soutenu la constitution de 1812, en vigueur pendant le Triennat libéral, a alors immédiatement lieu. Goya — de même que sa compagne Leocadia Weiss — a peur des conséquences de cette persécution et part se réfugier chez un ami chanoine, José Duaso y Latre. L'années suivante, il demande au roi la permission d'aller en convalescence au balnéaire de Plombières-les-Bains, permission qui lui sera accordée. Goya arrive en été 1824 à Bordeaux et continue vers Paris. Il revient en septembre à Bordeaux, où il résidera jusqu'à sa mort. Son séjour en France n'a été interrompu qu'en 1826 : il voyage à Madrid pour finaliser les papiers administratifs de sa retraite, qu'il obtient avec une rente de 50 000 réaux sans que Ferdinand VII n'oppose quelque empêchement que ce soit.

Les dessins de ces années, rassemblés dans l’Álbum G et l’Álbum H, rappellent soit Los Disparates et les Pinturas negras, soit possèdent un caractère costumbriste et réunit les estampes de la vie quotidienne de la ville de Bordeaux qu'il récupère lors de ses ballades habituelles, comme c'est le cas dans le tableau la Laitière de Bordeaux entre 1825 et 1827. Plusieurs de ces œuvres sont dessinées avec un crayon lithographique, en consonance avec la technique de gravure qu'il pratique ces années-là, et qu'il utilise dans la série de quatre estampes des Taureaux de Bordeaux 1824-1825. Les classes humbles et les marginaux ont une place prépondérante dans les dessins de cette période. Des vieillards qui se montrent avec une attitude joueuse ou faisant des exercices de cirque, comme le Viejo columpiándose conservé à l’Hispanic Society, ou dramatiques, comme celui du double de Goya : un vieux barbu qui marche avec l'aide de bâtons intitulé Aún aprendo.
Il continue à peindre à l'huile. Leandro Fernández de Moratín, dans son épistolaire, source principale d'informations sur la vie de Goya pendant son séjour en France, écrit à Juan Antonio Melón qu'il peint à l'arrache, sans vouloir jamais corriger ce qu'il peint. Les portraits de ces amis sont les plus remarquables, comme celui qu'il fait de Moratín à son arrivée à Bordeaux conservé au Musée des beaux-arts de Bilbao ou celui de Juan Bautista Muguiro e Iribarren en mai 1827.
Le tableau le plus remarquable reste La lechera de Burdeos La Laitière de Bordeaux, une toile qui a été vue comme un précurseur direct de l'impressionnisme. Le chromatisme s'éloigne de l'obscure palette caractéristique de ses Peintures noires ; elle présente des nuances de bleus et des touches de rose. Le motif, une jeune femme, semble révéler la nostalgie de Goya pour la vie juvénile et pleine. Ce chant du cygne fait penser à un compatriote ultérieur, Antonio Machado, qui, lui aussi exilé d'une autre répression, conservait dans ses poches les derniers vers où il écrit Ces jours bleus et ce soleil de l'enfance. De la même manière, à la fin de sa vie, Goya se remémore la couleur de ses tableaux pour tapisserie et accuse la nostalgie de sa jeunesse perdue.
Enfin, à signaler la série de miniatures sur ivoire qu'il peint à cette période en utilisant la technique du sgraffite sur noir. Il invente sur ces petits bouts d'ivoire des figures capricieuses et grotesques. La capacité d'innover dans les textures et les techniques d'un Goya à l'âge déjà très avancé, ne s'est pas épuisée.

Mort de Goya et devenir de ses restes

Le 28 mars 1828, sa belle-fille et son petit-fils Mariano lui rendent visite à Bordeaux, mais son fils Javier n'arrive pas à temps. L'état de santé de Goya est très délicat, non seulement pour la tumeur qui lui avait été pronostiquée quelque temps auparavant, mais aussi à cause d'une récente chute dans les escaliers qui l'oblige à rester au lit, duquel il ne se relèvera pas. Après une aggravation au début du mois, Goya meurt à deux heures du matin du 16 avril 1828, accompagné à ce moment-là par sa famille et ses amis Antonio de Brugada et José Pío de Molina.
Le jour suivant, il est enterré au cimetière bordelais de la Chartreuse, dans le mausolée de la famille Muguiro de Iribarren aux côtés de son bon ami et père de sa bru, Martín Miguel de Goicoechea, mort trois ans plus tôt. Après un oubli prolongé, le consul d'Espagne Joaquín Pereyra, découvre par hasard la tombe de Goya dans un piteux état et commence en 1880 une série de démarches administratives pour transférer son corps à Saragosse ou à Madrid — ce qui est légalement possible, moins de 50 ans après le décès. En 1888 soixante ans plus tard, une première exhumation a lieu lors de laquelle on trouve les dépouilles des deux corps éparpillés au sol, mais ne se conclut pas par un transfert, au grand dam de l'Espagne69. En 1899, les deux corps sont de nouveau exhumés et finalement transférés à Madrid. Déposés provisoirement dans la crypte de la Église_collégiale_Saint-Isidore_de_Madrid, les corps sont transférés en 1900 à une tombe collective d hommes illustres dans la Sacramental de San Isidro, avant de l'être définitivement en 1919 à l'église San Antonio de la Florida de Madrid, au pied de la coupole que Goya avait peinte un siècle auparavant

Principales œuvres

La porteuse d'eau vers 1808-1812. La porteuse d'eau témoigne de l'amour de Goya pour les gens du peuple.
L'Ombrelle, 1777, Madrid, Musée du Prado, tapisserie, peintures.
La Gloire, 1771, Église de la chartreuse de l'Aula Dei.
La Novillada 1779-1780, Madrid, Musée du Prado.
Don Manuel Osorio de Zuniga, 1788, New York, Metropolitan Museum of Art.
La Marquise de la Solana, 1793, Paris, Musée du Louvre.
José Moñino, comte de Floridablanca, 1793, Banque d'Espagne.
Autoportrait, 1794, Castres, Musée Goya.
La Mort du picador, 1793, collection privée.
La Duchesse d'Albe avec la petite fille noire qu'elle avait adoptée, dessin, 1796-1797, Madrid,Musée du Prado.
Ferdinand Guillemardet, 1798, Paris, Musée du Louvre.
Le Miracle du Saint, 1798, fresque de la coupole de l'église de San Antonio de la Florida.
Allégorie de l'Amour, vers 1798-1805, Musée national d'art de Catalogne, Barcelone.
Maja Vestida, 1797-1799, Madrid, Musée du Prado.
Maja Desnuda, 1800, Madrid, Musée du Prado.
La Comtesse de Chinchon, 1800.
Autoportrait aux lunettes, 1800, huile sur toile, 61,5 × 47,8 cm, Agen, musée des Beaux-Arts.
Le Courageux Rendon piquant un taureau, série Tauromachie, Boston, Museum of Fine Arts.
La Famille de Charles IV, 1801, Madrid, Musée du Prado.
La Femme à l'éventail, 1805-1810, Paris, Musée du Louvre.
Dona Isabel Cobos de Porcel, 1806, Londres, National Gallery.
La Señora Sabasa y García, 1808, Washington, National Gallery of Art.
Les Majas au Balcon, 1810, New York, Metropolitan Museum of Art.
Le Temps ou Les Vieilles, vers 1808-1812, huile sur toile, 181 × 125 cm, Lille, Palais des beaux-arts.
Dos de Mayo, ou Le 2 mai 1808, à Madrid, 1814, Madrid, Musée du Prado.
Tres de Mayo, ou Le 3 mai 1808, à Madrid, 1814, Madrid, Musée du Prado.
La Lettre ou Les Jeunes, vers 1814-1819, huile sur toile, 181 × 122 cm, Lille, Palais des beaux-arts.
L'Assemblée de la Compagnie Royale des Philippines dite La Junte des Philippines, 1815, huile sur toile, 320,5 × 433,5 cm, Castres, musée Goya.
Vision Fantastique peinture noire, 1819, Madrid, Musée du Prado.
Saturne dévorant un de ses fils, vers 1819-1823, peinture murale transférée sur toile, 146 × 83 cm, Madrid, Musée du Prado.
Le Sabbat des sorcières peinture noire, 1820, Madrid, Musée du Prado.
La Laitière de Bordeaux, 1827, Madrid, Musée du Prado.

Peintures attribuées

Femme se déshabillant ou La Mariée, œuvre attribuée à Goya, huile sur carton, au dos du carton F. Goya, 21,2 × 15,5 cm, Musée d'Évreux.

Tapisseries

43 tapisseries fabriquées à la Fabrique royale de tapisserie de Santa Barbara 1775 à 1792, Madrid, Musée du Prado.
Gravures et dessins

Moins connue que ses tableaux, son œuvre gravée est pourtant importante, beaucoup plus personnelle et révélatrice de sa personnalité et de sa philosophie.
Ses premières gravures à l'eau-forte datent des années 1770. Dès 1778, il édite, avec cette technique, une série de gravures sur des œuvres de Diego Vélasquez. Il s'initie alors à l'aquatinte qu'il emploie dans ses Caprices, série de quatre-vingts planches éditées en 1799 sur des thèmes sarcastiques sur ses contemporains.
Entre 1810 et 1820, il grave une autre série de quatre-vingt-deux planches sur la période troublée suivant l'invasion de l'Espagne par les troupes napoléoniennes. Le recueil, appelé Les Désastres de la guerre, comporte des gravures témoignant de l'atrocité du conflit scènes d'exécution, de famines.... Goya y joint une autre série de gravures, les Caprices emphatiques, satiriques sur le pouvoir en place mais ne peut éditer l'ensemble. Ses plaques ne seront découvertes qu'après la mort du fils de l'artiste en 1854 et finalement éditées en 1863.
En 1815, il commence une nouvelle série sur la tauromachie qu'il édite un an plus tard sous le titre : La Tauromaquía. L'œuvre se compose de trente trois gravures, eaux fortes, aquatintes. Il débute une nouvelle série cette même année, Les Disparates Desparrete de la canalla con laznas, media luna, banderillas, gravures également sur le thème de la tauromachie. Cette série sera également seulement redécouverte à la mort de son fils.
En 1819, il fait ses premiers essais en lithographie et édite ses Taureaux de Bordeaux à la fin de sa vie.
Autres œuvres dessinées ou gravées
Una reina del circo, 1815-1824, Nemours au Château-Musée
Le Colosse, 1815, Paris Bibliothèque Nationale.
L'Escarpolette, 1798, dessin, collection Montellano, Madrid, Musée du Prado76.
Influence et postérité

size=x-large]Autoportrait 1815.[/size]

Le style raffiné ainsi que les sujets grinçants propres aux tableaux de Goya firent des émules dès la période romantique, donc peu de temps après la mort du maître. Parmi ces satellites de Goya, il faut notamment citer les peintres espagnols Leonardo Alenza 1807-1845 et Eugenio Lucas 1817-1870. Du vivant même de Goya, son assistant Asensio Julià 1760-1832, qui l'aida à réaliser les fresques de San Antonio de la Florida, avait peint Le Colosse du Prado, longtemps attribué à Goya lui-même. Les Romantiques français vont eux aussi rapidement se tourner vers le maître espagnol, notamment mis en lumière par la galerie espagnole créée par Louis-Philippe, au Palais du Louvre. Delacroix sera l'un des grands admirateurs de l'artiste. Quelques décennies plus tard, Édouard Manet sera lui aussi très largement inspiré par Goya.
Le cinéma espagnol est récompensé par le Prix Goya, une statuette à l'effigie du peintre.
Un film racontant la vie romancée de Goya et sa relation avec une de ses modèles est sorti en 2007 : Les Fantômes de Goya de Milos Forman, avec Javier Bardem, Natalie Portman et Stellan Skarsgård.
En France, le musée Goya est situé à Castres Tarn. Y sont conservés : L'Autoportrait aux lunettes, Portrait de Francisco Del Mayo, et la Junte des Philippines, ainsi que les grandes séries gravées : Les Caprices, Les Disparates, et La Tauromachie.

Hommages

Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De fœtus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues
Pour tenter les Démons78 ajustant bien leurs bas.
— Charles Baudelaire, Les Phares, in Les Fleurs du mal.

Œuvres majeures

Peintures de la coupole de la chapelle royale de San Antonio de la Florida août à novembre 1798
Les Caprices Los Caprichos, février 1799
Dos de Mayo et Tres de Mayo Deux mai et Trois mai, en souvenir de la révolte antifrançaise du 2 mai et de la répression qui a suivi le 3 mai 1808, peints en 1814
Peintures noires, 1820-23, dont Saturne dévorant un de ses fils
Niños del carretón œuvre volée en novembre 2006 et retrouvée début 2007

Liens

http://youtu.be/yKA45gYMd_4 Goya peintre de l'ombre et de la lumière
http://youtu.be/Lp38Jo5_cjk Goya diaporama
http://youtu.be/Q231L_5Viik Goya (Anglais)
http://youtu.be/zLhqd1tXmao Goya Anglais
http://youtu.be/0Y4S0OKKfGo Diaporama musical




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Posté le : 29/03/2014 20:10

Edité par Loriane sur 30-03-2014 14:27:44
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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