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Thomas More
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Le 6 juillet 1535 à 57 ans à Londres, Angleterre est exécuté Thomas More,

latinisé en Thomas Morus né 7 février 1478 à Londres juriste, historien, philosophe, humaniste, théologien et homme politique anglais. Grand ami d'Érasme, érudit, philanthrope, Chancelier du Royaume d'Angleterre de 1529 à 1532 il participe pleinement au renouveau de la pensée qui caractérise cette époque, ainsi qu'à l'humanisme, dont il est le plus illustre représentant anglais, son Œuvre principale est la satire Utopia.
Humaniste et juriste, il est fait chancelier du royaume par Henri VIII 1529. Ayant désavoué le roi lors de son divorce, il doit démissionner 1532. Emprisonné 1535, il est exécuté. Il laisse un ouvrage capital, Utopie 1516, qui, sous le voile de la fiction, est l'exposé hardi d'un système idéal de gouvernement. Canonisé en 1935
Nommé Ambassadeur extraordinaire , puis Chancelier du roi Henri VIII, il désavoue le divorce du Roi et refuse de cautionner l'autorité que s'était arrogée celui-ci en matière religieuse : il démissionne de sa charge en 1532. Devant la persistance de son attitude, il est emprisonné, puis exécuté comme traître.
Il est Béatifié par l'Église catholique romaine le 29 Décembre 1886 par léon XIII, Thomas More est canonisé — saint Thomas More — en 1935 par Pie XI. On le fête le 22 Juin il est le Saint patron des avocats, des responsables de gouvernement et des hommes politiques

Sa vie

Thomas More est le fils de l'homme de loi londonien John More c. 1451-1530, et d'Agnes More. Né à Londres, sans doute l'année même où William Caxton imprime à Westminster le premier livre anglais The Dictes or Sayings of the Philosophers, le jeune Thomas reçut, comme Érasme, Vives ou Rabelais, une éducation typiquement scolastique. Il apprit le latin et s'initia aux subtilités jargonnesques des Parva Logicalia et aux joies sophistiques de la disputatio à l'école Saint-Antoine, dans Threadneedle Street, alors la plus célèbre de Londres. Il étudie à l'université d'Oxford à partir de 1492.
En 1494, Thomas s'intéressant de plus en plus aux écrits grecs et latins, son père décide de l'envoyer dans une école de droit, New Inn, et à Lincoln's Inn ; Il fit ses humanités à Oxford 1492-1494, au Canterbury College, où il étudia Aristote et ses commentateurs scotistes notamment Alexandre de Halès et Antonius Andreas et s'initia au grec. Ensuite, vraisemblablement pour obéir aux injonctions paternelles, parmi ses maîtres, John Colet et Érasme deviendront ses amis.
A partir de février 1496. Ses dons exceptionnellement brillants, salués déjà, alors qu'il n'avait que douze ans, par son protecteur le cardinal Morton, archevêque de Canterbury, chez lequel son père l'avait placé en qualité de page, lui assurèrent une promotion rapide dans les rangs de sa profession. Barrister en 1498, bientôt nommé membre du Conseil des avocats bencher, puis lecteur en 1501, il enseigne trois années successives à Furnivall's Inn.
Cette éclatante réussite professionnelle lui permettra d'élever une assez nombreuse famille il se mariera deux fois et fera de lui un membre du Parlement 1504, 1512 et 1515, un sous-shérif de Londres et un avocat des marchands de la Cité 1510-1518, un maître des requêtes et un membre du Conseil privé du Roi 1518, enfin, à la disgrâce du cardinal-courtisan Wolsey, un chancelier du Royaume 1529-1532.
Inscrit à vingt-et-un ans au barreau des avocats, il enseigne le droit jusqu'en 1510. Il devient l'avocat des marchands de la City et est élu juge under-sheriff en 1510 par les habitants de Londres.
Selon Érasme, il préféra être un mari chaste plutôt qu'un moine impudique.
Au décès de sa femme en 1511, il se remarie avec Alice Middleton, veuve et mère de deux enfants. Il sera réputé pour l'éducation de haut niveau qu'il faisait donner à ses enfants, filles comme garçons.

Carrière politique sous Henri VIII Le roi Henri VIII
Membre du Parlement à partir de 1504, il s'élève contre les taxes demandées par le roi Henri VII pour la guerre d'Écosse. Le roi fait emprisonner John More ; Thomas More se retire en France 1508 mais l'avènement d'Henri VIII en 1509 le ramène en Angleterre et marque le début d'une brillante carrière politique qui durera plus de vingt ans.
D'abord au service du tout-puissant cardinal Thomas Wolsey qui lui confie la gestion de ses biens, Thomas More est bientôt nommé par le Roi maître des requêtes, puis à son Conseil privé, et l'envoie en missions diplomatiques et commerciales aux Pays-Bas 1515, où il rédige L'Utopie, puis à Calais 1517. Il est nommé en 1521 trésorier de la Couronne ; il est élu en 1523, contre son gré, speaker du Parlement.
Cette montée vers le pouvoir, paradoxale pour un homme qui, si l'on en croit Érasme, était plus que personne avide d'échapper à la vie de cour, s'accompagne de distinctions et d'honneurs.
En 1521, le bourgeois Thomas More devient chevalier et sous-trésorier du Royaume.
En 1524 et 1525, il est élevé à la fonction de high steward des universités d'Oxford et de Cambridge. Ce n'est certainement pas l'un des moindres mérites de More que d'avoir su échapper à la corruption qu'engendrent généralement les honneurs et le pouvoir.
La même année, il commence à participer à la polémique contre les thèses de Luther, ce pour quoi son ami l'évêque Tunstal le mandate en 1528 il rédigera en cinq ans, de 1528 à 1533, sept livres de réfutation des thèses en anglais.
En 1525 nommé chancelier du duché de Lancastre, il fait partie de la délégation qui négocie en 1529 la paix avec l'Espagne. La même année, la disgrâce du cardinal Wolsey le fait accéder à la plus haute charge, celle de Chancelier du Royaume, premier laïc nommé à ce poste. En tant que Chancelier, il fait emprisonner quarante personnes acquises aux idées de Luther. En 1531, Il fait appliquer la sentence rendue contre Richard Bayfield condamné à être brûlé vif à Smithfield ; cinq autres condamnations suivent.
Mais la volonté du roi d'épouser Anne Boleyn, dont il s'est épris en 1527, afin d'avoir un fils légitime se heurte au refus du pape d'annuler son mariage avec Catherine d'Aragon, ce qui amène Henri VIII à rompre avec Rome. Ce schisme est à l'origine de l'Église anglicane.
More refuse de signer une lettre des dirigeants religieux et des aristocrates anglais demandant au pape d'annuler le mariage d'Henri et de Catherine. En 1531, il présente sans succès sa démission après avoir été obligé de prêter un serment déclarant le roi Chef suprême de l'Église d'Angleterre autant que le Christ l'autorise. En 1532, il demande à nouveau au roi de le relever de ses fonctions, prétendant qu'il est malade et souffre de vives douleurs à la poitrine. Cette fois, le souverain accepte sa requête.

Rupture avec Henri VIII Accusations de trahison

En 1533, More refuse d'assister au couronnement d'Anne Boleyn comme reine d'Angleterre. En pratique, ce n'était pas un acte de trahison : More avait écrit au roi, reconnu la royauté d'Anne et exprimé son désir de voir le roi heureux. Mais son amitié avec l'ancienne reine, Catherine d'Aragon, le retient d'assister au triomphe d'Anne, ce qui est interprété comme une insulte envers elle.

Peu après, More est accusé d'avoir accepté des pots-de-vins, mais en l'absence de toute preuve, ces charges sont rapidement abandonnées. En 1534, il est accusé d'avoir comploté avec Elizabeth Barton, une nonne qui avait émis des prophéties mettant en cause le divorce du roi. More produit une lettre dans laquelle il ordonne à Barton de ne pas interférer dans les affaires de l'État.

Jugement


Le 13 avril de la même année, More est convoqué devant une commission afin de jurer allégeance à l'Acte de succession du Parlement. More reconnaît le droit du Parlement de déclarer Anne légitime reine d'Angleterre, mais refuse de prêter serment à cause d'une préface anti-papale qui affirme l'autorité du Parlement en matière de religion, et nie l'autorité du pape :

"... l'évêque de Rome et du Saint-Siège, allant à l'encontre du grand et inviolable droit donné par Dieu aux empereurs, roi et princes concernant la succession de leurs héritiers, a jugé bon, dans les temps passés, de choisir qui lui plairait, pour hériter des royaumes et des domaines d'autres hommes, ce que vos plus humbles sujets, spirituels et temporels, abhorrent et détestent au plus haut point. "

Quatre jours après, il est emprisonné à la tour de Londres, où il écrit son Dialogue du réconfort dans les tribulations.

Le 1er juillet 1535, More est présenté à des juges, parmi lesquels se trouve le nouveau lord chancelier, Sir Thomas Audley, ainsi que les père, frère et oncle d'Anne Boleyn. Il est accusé de haute trahison pour avoir nié la validité de l'Acte de succession. More pense qu'il ne peut être reconnu coupable s'il ne nie pas explicitement que le roi est à la tête de l'Église. Aussi refuse-t-il de répondre à toute question demandant son opinion sur le sujet. Thomas Cromwell, alors le plus puissant des conseillers du roi, demande au Solicitor General, Richard Rich, de témoigner que More a, en sa présence, nié que le roi était le légitime dirigeant de l'Église. Bien que ce témoignage soit manifestement un parjure Richard Southwell et Mr Palmer, témoins de l'entretien, ont nié avoir entendu les détails de cette conversation, le jury déclare More coupable de trahison
Treason Act 1534.

Avant l'énoncé de sa sentence, More parle librement de sa croyance que « aucun homme temporel ne peut être à la tête de la spiritualité.
Il est condamné à être pendu, traîné et éviscéré, hanged, drawn and quartered, mais le roi commue cette sentence en décapitation, ce qui aurait, dit-on, inspiré à More ce mot fameux :
Dieu préserve mes amis de la même faveur

Exécution

Il mourra the King's good servant, but God's first. Sa mort sur l'échafaud 6 juillet 1535 est riche de signification. Elle illustre l'incompatibilité de l'éthique et du politique, de la valeur et du pouvoir, l'incapacité fondamentale de l'humanisme à infléchir le cours de l'histoire, à changer le monde par la force de l'esprit

L'exécution a lieu le 6 juillet. Quand il arrive au pied de l'échafaud, il dit à l'officier présent :

Je vous en prie, je vous en prie, Monsieur le lieutenant, aidez-moi à monter ; pour la descente, je me débrouillerai...

Il déclare sur l'échafaud qu'il meurt en bon serviteur du Roi, et de Dieu en premier. Il déclare également à l'exécuteur que sa barbe est innocente de tout crime, et ne mérite pas la hache ; il la positionne ensuite de telle manière qu'elle ne soit pas touchée.

Le corps de More est enterré à la tour de Londres, dans une tombe anonyme de la chapelle St Peter ad vincula. Sa tête est exhibée sur le pont de Londres. Sa fille Margaret Roper la récupère, probablement en soudoyant quelque soldat, avant qu'elle ne soit jetée dans la Tamise. On pense que le crâne repose dans le tombeau des Roper, dans l'église St Dunstan de Cantorbéry, mais des chercheurs pensent qu'il pourrait se trouver dans la tombe qu'il avait fait ériger de son vivant, à la vieille église de Chelsey. Cependant, il est plus probable que la tête de More repose dans le caveau familial de sa fille.

Le penseur dans la société

Vir omnium horarum, homme de toutes les heures, Thomas More est aussi l'homme d'une époque. Il apparaît dans l'histoire à ce moment crucial des premières décennies du XVIe siècle où l'Europe chrétienne, divisée par les ambitions picrocholines de ses rois, en proie à une profonde crise intellectuelle et religieuse, s'ouvre à Platon redécouvert et baptisé et aux beautés de l'Antiquité païenne, secoue le dogmatisme stérile de la scolastique et s'apprête à enfanter le protestantisme et la Contre-Réforme. Entraîné par le poids des siècles et des imperfections, sclérosé par son formalisme, isolé de la réalité vivante des choses par l'écran déformant de ses sommes et de ses gloses, le vieux monde gothique, disloqué, s'effondre lentement. Toutes les institutions et les valeurs sur lesquelles il reposait sont remises en cause par l'esprit nouveau de l'humanisme et de l'Évangile renaissants. Si les citadelles aristotéliciennes que constituent encore les universités d'Europe dans les années 1500-1550 parviennent généralement à résister tant bien que mal à la pénétration de la culture et des idées nouvelles, la Sorbonne, au siècle de Molière, produira encore des Diafoirus, elles perdent en revanche rapidement cette prééminence intellectuelle indiscutée qui était la leur depuis le XIIIe siècle.
Et l'Église, cet autre pilier du monde médiéval, par ses scandales permanents, par l'ignorance de son bas clergé, les mœurs sybaritiques de ses prélats, la politique guerrière de ses papes et les spéculations sophistiques arrogantes et vaines dans lesquelles se sont enfermés ses théologiens, se coupe dangereusement de la masse des fidèles et se montre incapable de répondre aux besoins spirituels nouveaux de la chrétienté.
Respectable bourgeois de Londres devenu, par ses talents d'orateur, de diplomate et d'homme politique, sa connaissance du droit, son érudition d'humaniste et de théologien, conseiller intime d'Henri VIII et chancelier du royaume d'Angleterre, Thomas More est un témoin privilégié de cette crise de la pensée chrétienne.
Il fut, en effet, un homme profondément engagé dans son temps. Laïc mêlé par son métier d'avocat, de juge ou de maître des requêtes à la vie du peuple dont il se fait le protecteur vigilant, érudit, humaniste et écrivain en rapports étroits avec les plus hautes gloires intellectuelles de son époque, diplomate et homme de cour averti des dessous et des laideurs de la politique européenne, engagé contre son gré dans l'affaire du divorce the King's great matter et dans la rupture d'obédience de l'Église d'Angleterre avec Rome, More occupe une position carrefour. Sa vie et son œuvre, exemplaires, illustrent les angoisses et les échecs, les dilemmes et les grandeurs, la parabole entière de l'humanisme chrétien. Sereine et belle, sa mort fait à jamais de lui un héros de la conscience et de la plus authentique liberté spirituelle. L'Église l'a accueilli parmi ses saints.

L'humaniste : le frère jumeau d'Érasme

Parallèlement à l'homme d'action et de pouvoir s'épanouit en More l'humaniste et le lettré qui vont bientôt enchanter Érasme et l'Europe. Sa rencontre avec Érasme 1499 marque les débuts d'une indéfectible amitié, d'une collaboration et d'une communion intellectuelles fécondes qui coïncident avec les plus belles années de l'humanisme chrétien 1505-1520. Longtemps assoupie, isolée par son insularité du reste de l'Europe, l'Angleterre se réveille enfin avec le siècle et va devenir ce riche foyer culturel, cette ruche bourdonnante qu'admirera Érasme en 1519. Un moment tenté par la vie monastique, réfugié à la chartreuse de Londres, env. 1501-1505 où il mène une vie d'ascèse, de prières et d'étude, More participe intensément à ce mouvement de renouveau intellectuel. Il se donne une large culture biblique et patristique, dévore Grégoire, Augustin, Jérôme, Eusèbe, Basile, Jean Chrysostome, Thomas d'Aquin et même Nicolas de Lyre, qu'il juge good and great clerk. Sa bibliothèque, retrouvée, comprendra cent trente-neuf ouvrages latins, quarante grecs et un seul anglais, une traduction du De consolatione philosophiae de Boèce. On retrouve chez lui la même ardeur intellectuelle, le même enthousiasme conquérant, le même désir de possession encyclopédique du savoir que chez son modèle Pic de La Mirandole, dont il traduit la Vie et quelques traités aux environs de 1504, l'ensemble, The Life of Pico della Mirandola. The Writings of the Same, sera publié en 1511.
Comme lui naturellement joyeux, More orne son âme de science, de vertu et de sagesse. C'est à cette époque qu'il devient définitivement, aux côtés d'Alcuin, de Bède le Vénérable, de Jean de Salisbury, et avant Milton, l'un des plus grands latinistes de l'histoire littéraire anglaise, et qu'il perfectionne sa connaissance du grec en compagnie de William Lily, le futur directeur de Saint Paul's School. De leurs exercices studieux naîtront les Épigrammes latines, traduites de l'Anthologie grecque, que More publiera en 1518, à la suite de la deuxième édition bâloise de l'Utopie, et une traduction des Dialogues de Lucien, entreprise avec Érasme en 1505 et qui paraît à Paris en novembre 1506. En 1501, il assiste aux cours sur les Hiérarchies célestes du pseudo-Denys l'Aréopagite que donne, à Saint Paul, son ancien condisciple Grocyn, et à ceux que professe Linacre sur les Meteorologica d'Aristote. Invité par Grocyn à Saint Lawrence's, il y fait lui-même une série de conférences, malheureusement perdues, sur La Cité de Dieu de saint Augustin. Enfin, il subit largement l'influence de John Colet, doyen de Saint Paul en 1504, dont les cours magistraux, donnés à Oxford en 1499 sur les Épîtres de saint Paul et les nouvelles méthodes d'exégèse (essentiellement un retour au sens littéral et historique des textes sont à l'origine de cette théologie positive dont Érasme et More seront bientôt les partisans convaincus.
C'est l'émergence de Luther qui mettra fin à la période humaniste de More. Mais, avant de consacrer tous ses efforts à la défense de l'Église et de la foi menacées, More compose encore à partir de 1513 son Histoire de Richard III, qui constitue le premier ouvrage historique anglais d'inspiration humaniste, More s'y révèle l'égal de Tacite par la lucidité pénétrante avec laquelle il analyse les mobiles des actions humaines et dont la réussite littéraire indéniable inspirera au génie dramatique de Shakespeare une inoubliable fresque baroque.
En septembre 1516, il fait enfin parvenir à Érasme le chef-d'œuvre déroutant auquel son nom est désormais associé, l'Utopie. Ce véritable manifeste de l'humanisme chrétien, digne pendant de l'Éloge de la folie d'Érasme et du Gargantua de Rabelais, porte son auteur au firmament de la république des lettres. Colet salue en lui l'unique génie de Grande-Bretagne. Constable l'appelle l' étoile de l'Angleterre radians stella Britanniae, et Érasme compose de lui en 1519, dans une lettre à Ulrich von Hutten, un inoubliable éloge qui sera lu de toute l'Europe.

Le défenseur du biblisme érasmien, de l'Église et de la foi

Mais, aussi attachant soit-il, l'humaniste en More ne peut faire oublier le chrétien. More professe vis-à-vis des bonae litterae l'attitude que son maître et ami Érasme développe par exemple dans sa fameuse Paraclesis ou Exhortation à l'étude de la philosophie chrétienne. Elles constituent seulement une propédeutique à la philosophia Christi, elles préparent le chrétien à une tâche plus essentielle et plus urgente, celle de l'étude et de la traduction des textes de l'Écriture.
La maîtrise des langues grecque et latine est moins orientée vers la découverte des chefs-d'œuvre antiques que vers une meilleure compréhension de la Parole de Dieu. Socrate est grand, mais le Christ le dépasse infiniment, comme l'ordre de la charité dépassera chez Pascal l'ordre de l'esprit. Les célèbres lettres de More à Martin Van Dorp octobre 1515, à l'université d'Oxford 1518, à Edward Lee et à un certain moine monachus quidam de 1519 et 1520 constituent autant de plaidoyers chaleureux en faveur du grec tout ce qui compte dans tous les domaines du savoir, y compris la théologie, est grec, dit-il aux Troyens d'Oxford, et prennent la défense de l'édition bilingue du Nouveau Testament donnée par Érasme en 1516.
More s'y livre, avec une verve heureuse qui rappelle les Epistolae obscurorum virorum 1516 ou le In pseudodialecticos de Vives 1519, à la démolition de cette théologie disputatrix, stérile, arrogante, morcelée en quaestiunculae et en sophismata, qui préfère le jargon et les vaines subtilités des Parva Logicalia à la Parole même de Dieu et aux premiers Pères de l'Église.
Il y affirme, contre Dorp et les théologiens de Louvain, la nécessité de corriger le texte de la Vulgate, même après les corrections de saint Jérôme, et proclame déjà hautement la supériorité de la tradition vivante de l'Église le consensus fidelium sur le texte écrit.
Après l'apparition des premiers pamphlets de Luther le De captivitate babylonica date de 1520 et la publication de l'Assertio septem sacramentorum de Henri VIII 1521, More devient le defensor fidei officiel de l'Angleterre, le champion infatigable de l'Église visible, pécheresse et menacée. Ses principaux écrits polémiques Adversus Lutherum, 1523 ; Dialogue Concerning Tyndale, 1528 ; The Supplication of Souls, 1529 ; The Confutation of Tyndale's Answer, 1532-1533 ; The Apologye of Sir T. More et The Debellation of Salem and Byzance, 1533 lui assurent, selon A. Prévost, une place unique dans l'histoire de la pensée religieuse de son siècle.

Ses écrits de prison notamment ses Lettres et son Dialogue of Comfort against Tribulation attestent la sincérité et la pureté de sa foi. Il consacra la fin de sa vie à une Imitation fervente de la Passion du Christ, qui lui permit de trouver la joie au cœur même de la souffrance et de l'épreuve. Il fit de sa mort une élévation et une délivrance, un acte d'adoration.

Postérité

Il est la seule personnalité politique vénérée par les catholiques saint Thomas More et figurant en bonne place parmi les précurseurs du socialisme sur un obélisque au pied du Kremlin à Moscou.

Canonisation

Thomas More a été béatifié en 1886 et canonisé en 1935. Le calendrier liturgique a étendu à partir de 1970 sa fête à l'Église universelle. Le pape Jean-Paul II l'a fait saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques en l'an 20005,.

Thomas More dans des œuvres de fiction

Jean Anouilh, Thomas More ou l'Homme libre, La table ronde, 1987
Fred Zinnemann, Un homme pour l'éternité A Man For All Seasons, film de 1966, avec Paul Scofield et Orson Welles, à partir de la pièce de Robert Bolt créée en 1960
Robert Bolt, Thomas More ou l'homme seul, Scialtiel et TNP, 1963
Charlton Heston, Un homme pour l'éternité, téléfilm de 1988, avec Charlton Heston, John Gielgud, Vanessa Redgrave et Richard Johnson
Les Tudors, série télévisée de 2007
Gabriel Marghieri, Mainte nuit sans repos ... Paroles ultimes deThomas More, oeuvre pour récitant, orgue et clavecin, 2013, créée le 2 octobre 2013 en la basilique Sainte-Clotilde à Paris par Francis Perrin, récitant, Gabriel Marghieri, orgue, Thomas Pellerin, clavecin.

Œuvres

Thomas More est aussi connu pour son essai politique et social Libellus vere aureus nec minus salutaris quam festivo de optimo statu rei publicae deque nova insula Utopia L'Utopie. Celui-ci n'est toutefois qu'un élément d'une œuvre écrite considérable : traductions du grec, épigrammes latines, poésies, traités, mais aussi des ouvrages qui témoignent d'une spiritualité profonde. On peut citer à cet égard son Dialogue du réconfort dans les tribulations.

Ses Œuvres complètes en anglais représentent 17 volumes in-quarto publiés par l'université Yale.

Bibliographie

Éditions des œuvres de Thomas More

The Complete Works of Thomas More, 15 volumes, en 21 tomes, édités par Yale University, New Haven et Londres, 1963-1997
Correspondence of Sir Thomas More, éd. E.F. Rogers, Princeton University Press (1947, réimpr. 1971)
L'Utopie, 1516, p.ex. Éditions sociales-Messidor, 1966, 1982
L'Utopie, fac-similé du texte latin de l'éd de Bâle de 1518, traduction, présentation et commentaires par André Prévost, Mame, 1978
Epigrammata10, Bâle, 1520
Lettre à Dorp et La supplication des âmes traduits et présentés par Germain Marc'hadour, Ed. Soleil Levant, Namur, 1962
La Tristesse du Christ, texte latin et traduction sous la responsabilité de Henri Gibaud, Pierre Téqui, 1990
Écrits de prison, précédés de La vie de Sir Thomas More 1555 par William Roper, choix et traduction par Pierre Leyris, Seuil, 1981 (1re éd. 1953)
Les Vérités dernières, trad. M. Cl. Phélippeau, s.l. Angers, 2001
Prions avec Thomas More, trad. et présent. par G. Marc'hadour, Moreana, 1997
Œuvres choisies, trad. et annot. par Marie Delcourt, Renaissance du Livre, 1936
Richard III, trad. Pierre Mornand, Le Pot Cassé, 1932
Dialogue du Réconfort dans les Tribulations, trad. Marie-Claire Laisney, Ed. soleil Levant, Namur, 1959
La Supplication des Âmes et Lettre à Dorp, trad. et présentation par Germain Marc'hadour, Ed. Soleil Levant, Namur, 1962
Poèmes anglais, trad. andré Crépin. Moreanaum 2004
Correspondance Thomas More et Erasme, Trad. Germain Marc'hadour et Roland Galibois, Université de Sherbrooke, 1985
Histoire, Église et Spiritualité. Choix de textes traduits sous l'autorité de Michel Taillé, Bayard, 2005

Biographies

Jacques Mulliez, Thomas More 1478-1535 : Au risque de la conscience, Nouvelle Cité, 2013
Henri Bremond, Le bienheureux Thomas More, Victor Lecoffre, 1904
Bernard Cottret, Thomas More. La face cachée des Tudors, Tallandier, 2012
Princesse de Craon, Thomas Morus, lord chancelier du royaume d'Angleterre au xvie siècle, Paris, C. Gosselin, 1832
Joseph Delcourt, Deux saints anglais: John Fisher et Thomas More, La Bonne Presse 1935
Edmond Privat, Le Chancelier décapité, Victor Attinger, 1935
Léon Lemonnier, Un résistant catholique, Thomas More, La Colombe, 1948
Georges Hourdin, Un intellectuel sans vanité, Thomas More, Gabalda, 1958
André Merlaud, Thomas More, Éditions SOS, 1973
Walter Nigg, Thomas More ou la conscience d'un saint, Centurion, 1979
Jacques Dufresne, L'Expérience de Dieu avec Thomas More, (introduction et textes de Thomas More choisis par Jacques Dufresne), Fides, 1999
Louis Bouyer, Sir Thomas More, humaniste et martyr, CLD, 1984
Germain Marc'hadour, Thomas More, un homme pour toutes les saisons, Les éditions ouvrières, 1992
Germain Marc'hadour, Thomas More ou la sage folie, Éd. Seghers, 1971
Philippe Godding, Petite vie de Thomas More, Desclée de Brouwer, 2002
Elisabeth-Marie Ganne, Thomas More, l'homme complet de la Renaissance, Nouvelle Cité, 2002
Daniel Sargent, Thomas More, trad. Maurice Rouneau, Desclées de Brouwer
Thomas Stapleton, Histoire de Thomas More, grand chancelier d'Henri VIII, trad. sur l'original latin de 1588 par M. Martin, Maison 1849
Walter J. Jos, Thomas More, Mame, 1873

Études sur Thomas More

Germain Marc'hadour, Thomas More et la Bible, Vrin, 1969
Germain Marc'hadour, L'Univers de Thomas More, Vrin, 1963
Germain Marc'hadour, Thomas More vu par Erasme, Angers, 1969
Germain Marc'hadour, The Bible in the Works of Thomas More, 1969-1972
Germain Marc'hadour, Saint Thomas More and the Body of Christ, Moreanaum, 2000
Émile Dermenghem, Thomas Morus et les Utopistes de la Renaissance, Plon, 1927
Nicole Morgan, Le Sixième Continent. L'Utopie de Thomas More, Vrin, 1995
D. Nisard, Études sur la Renaissance : Erasme, Thomas More et Melanchton, Lévy, 1855
André Prévost, Saint Thomas More. Contribution à l'histoire de la pensée religieuse, Lille, 1945
André Prévost, Thomas More et la crise de la pensée européenne, Mame, 1969
Joseph Delcourt, Essai sur la langue de Thomas More d'après ses œuvres anglaises, Didier, 1941
Y. Dilas-Rocherieux, L'Utopie ou la mémoire du futur Robert Laffont, 2000
Georges Duveau, Sociologie de l'Utopie et autres Essais, PUF, 1961
Roland Galibois, Religion et socialisme dans l'Utopie de Thomas More, L'Harmattan, 2008
M. Abensour, L'Utopie de Thomas More à Walter Benjamin, Sens et Tonka, 2000

Utopia

Le mot utopie est formé à partir du grec ou-topos, qui signifie en aucun lieu ou bien lieu du bonheur du grec eu : bien, heureusement et topos : lieu, endroit.

Dans cet ouvrage écrit sur le mode du dialogue avec un narrateur, l'explorateur Raphaël Hythlodée, Thomas More prône la tolérance et la discipline au service de la liberté, à travers le portrait d'un monde imaginaire, proche de l'idéal de l'auteur.
Thomas More est témoin des ravages sociaux qu'engendre dans l'Angleterre du xvie siècle le premier mouvement des enclosures. Alors stimulée financièrement par le développement de l’industrie lainière, l'aristocratie tudorienne se met à créer de grands élevages de moutons. Cette irruption de la propriété privée capitaliste dans le monde rural, même si elle conduit à un meilleur suivi des terres, se fait au détriment des usages collectifs : les anciennes tenures nourrissant les familles paysannes sous le régime féodal. Ce mouvement eut des conséquences sociales dramatiques, privant nombre de personnes de tout moyen de subsistance, et cela avec brutalité.

"Vos moutons si doux, si faciles à nourrir de peu de chose, mais qui, à ce qu'on m'a dit, commencent à être si gourmands et si indomptables qu'ils dévorent même les hommes. "

Thomas More dénonce ces conséquences et cette brutalité dans la première partie d'Utopia :

On se trompe en pensant que la misère du peuple est une garantie de paix, car où y a-t-il plus de querelles que parmi les mendiants ?

Dans la deuxième partie, consacrée à son objet même, More décrit l'île d'Utopie, contrepoint lumineux à l'Angleterre de son temps. Comme celle de la république de Platon, l'économie utopienne repose sur la propriété collective des moyens de production et l'absence d'échanges marchands. Cette société, composée d'une cinquantaine de villes gérées de manière semblable, vit sans monnaie, et les échanges collectifs y prennent la place de l’accumulation privée qui cause en Angleterre les malheurs du peuple. La première mission du Sénat, qui compte trois députés par ville, est la statistique économique, permettant la péréquation des richesses entre villes :

Chaque père de famille vient chercher tout ce dont il a besoin et l'emporte sans paiement, sans compensation d'aucune sorte. Pourquoi refuser quelque chose à quelqu'un puisque tout existe en abondance et que personne ne craint que le voisin demande plus qu'il ne lui en faut ? Car pourquoi réclamer trop, alors qu'on sait que rien ne sera refusé ? Ce qui rend avide et rapace, c'est la terreur de manquer.

Utopie commerce uniquement les surplus de son économie avec l'étranger, non pas pour s'enrichir vu que l'or n'a aucune valeur dans son économie mais pour se constituer une réserve d'or pour engager des mercenaires en cas de guerre.

Pacifiques et respectueux de la liberté religieuse, les Utopiens reconnaissent cependant, tous ou presque, un être suprême et l'immortalité de l'âme ; plusieurs embrassent la doctrine chrétienne que leur présentent leurs visiteurs. Fondée sur la volonté de vivre selon la nature, la morale publique d'Utopie est rigoureuse, condamnant la dissimulation, la chasse, les jeux de hasard, la polygamie et l'adultère ; le divorce par consentement mutuel est possible.

Réalité n'est pas vérité mais seulement état du moment : grand humaniste et très instruit, Thomas More était un réaliste intransigeant, attentif à l'inacceptable. L'Utopie, satire de l'Angleterre de son temps, et affirmation du souhaitable, se conclut par un avertissement quant à la faisabilité d'une réforme allant dans ce sens : je le souhaite plus que je ne l'espère. Il s'agit donc, sans doute, plutôt d'une invitation à l'action, considérant certes ses difficultés inhérentes, que d'une expectative, vaine car pleine d'une espérance stérile.

Œuvre audacieuse et toujours vivante dans sa modernité, l'Utopie de More exerce encore sur les consciences d'aujourd'hui un irrésistible appel. La dénonciation impitoyable des méfaits de la propriété et des monopoles économiques, de l'inhumanité des riches et de la tyrannie des princes, de la responsabilité des institutions dans les vices humains fait d'Hythlodée le précurseur de Rousseau et du socialisme européen. En relançant en mer utopienne le mythe platonicien de la Cité idéale, More a donné à l'homme conscience de ses pouvoirs sur le monde et lui a offert des raisons d'espérer. Composée il y a plus de quatre siècles, l'Utopie reste une œuvre étonnamment ouverte sur le futur.

L'Utopie

C'est en 1515, profitant des loisirs forcés que lui imposent les lenteurs d'une mission diplomatique en Flandre, que More compose le second livre de son Utopie De optimo reipublicae statu deque nova insula Utopia libellus, dont une traduction française, due à Jean Leblond, paraît en 1550, et une autre, anglaise, de Ralph Robinson, en 1551. Le livre Ier est, de composition, postérieur au livre II. Il fut rédigé ex tempore per occasionem après le retour de More à Londres, en 1516. Cette élaboration inhabituelle (en quelque sorte à rebours, et en deux temps distincts, si elle nuit quelque peu à l'unité stylistique de l'ensemble, lui apporte en revanche une dimension problématique, une conscience et un approfondissement critiques qui font tout son prix. Ce qui n'était vraisemblablement au départ qu'un jeu d'esprit satirique imité de Lucien, qu'un délassement d'humaniste érudit exerçant librement son intelligence à construire, dans le non-lieu de l'imaginaire, une nouvelle république platonicienne, et à cultiver pour le plaisir de l'intellect les plus audacieux des paradoxes, devient dans un second temps une méditation inspirée sur les rapports de la pensée et de l'action, de l'idéal et du réel, de l'éthique et du politique, une analyse pénétrante des mécanismes sociaux d'oppression et des moyens qui s'offrent à l'homme pour les maîtriser et finalement changer le monde. Il serait vain de prétendre dégager de la description de l'île d'Utopie qui constitue le livre II une quelconque philosophie politique.
L'ironie de More, par la distance qu'elle introduit entre la lettre et l'esprit, empêche toute analyse totalitaire : rien n'est plus difficile à saisir que la pensée d'un homme qui refuse de se prendre au sérieux et qui voit trop la complexité des choses pour céder à l'attrait d'un dogmatisme simplificateur. On peut être séduit par le gouvernement sagement démocratique des Utopiens, par leur haine de la tyrannie, leur abolition de la propriété la république heureuse est communiste, leur religion simple et relativement tolérante, leur conception épicuro-stoïcienne du bonheur et de la vertu, leur mépris des grandeurs d'établissement et des richesses l'or, dont ils font des vases de nuit, est chez eux marque d'infamie, leur organisation judicieuse de l'aide sociale, du travail six heures par jour et des loisirs, l'importance qu'ils attachent à la culture et aux choses de l'esprit leur société, où dominent la science et l'intelligence, est dirigée par une aristocratie du savoir, les literati, leurs mœurs patriarcales et leur sens de la communauté l'île entière est comme une grande famille : O sanctam rempublicam et vel christianis imitandam ! Mais on goûtera peut-être moins chez eux la pratique de l'esclavage, la politique impérialiste de colonisation par laquelle ils résolvent leurs problèmes de surpopulation, leur attitude équivoque et cynique en face de la guerre, le poids constant que la collectivité fait peser sur l'individu omnium praesentes oculi, la grisaille moralisatrice d'une harmonie planifiée et passablement étouffante. Dans un certain sens, l'Utopie illustre la tyrannie orgueilleuse de l'idée, les dangers de l'idéalisme.
Par son intransigeance et son radicalisme sans nuance, Raphaël Hythlodée, homme sans patrie et sans racines, se coupe du réel et s'interdit toute possibilité d'action. Il mène une vie fictive dans une république de Nulle-Part, dont la capitale, Amaurotum, est un mirage, et dont le prince, Ademus, est sans peuple. Au contraire, ses interlocuteurs du livre Ier, Pierre Gilles, le cardinal Morton et Thomas More, sont des chrétiens intensément présents au monde, qui refusent de déserter cette nef des fous qu'est la société des hommes, et qui jouent le mieux possible leur rôle dans la comédie politique en cours sans prétendre vouloir la remplacer par une autre : ne pouvant faire que le mal soit bien, ils s'efforcent de l'amoindrir et quod in bonum nequis vertere, efficias saltem, ut sit quam minime malum. Utopie est moyen, non fin : c'est le lieu fictif par lequel il faut passer pour prendre conscience des causes du mal profond dont souffrent l'Angleterre et l'Europe chrétiennes, un mirage dont il faut savoir revenir, armé pour le vrai combat.

Postérité dUtopia

Utopia est passé dans le langage courant : une utopie signifie un rêve impossible, un désir inaccessible.

Thomas More fait écho à Érasme et son Éloge de la folie, qu'Érasme lui a d'ailleurs dédié extraits de l'Éloge de la folie. Il compose l'utopie comme un éloge de la sagesse répondant à l'œuvre d’Érasme.
Gargantua et Pantagruel, les héros éponymes des romans de François Rabelais auteur de l'Abbaye de Thélème, font séjour dans la ville d'Utopie, dont le nom est dû à Thomas More.
Dans son Champfleury 1529, Geoffroy Tory publie le dessin d’un alphabet imaginaire composé de lettres utopiques et volontaires, en hommage à Thomas More.
Tommaso Campanella 1568 - 1639, auteur de la Cité du Soleil, ouvrage décrivant également ce que pourrait être une société d'avenir.
Au XVIIe siècle, la vision communiste de l'Utopie fut reprise par des mouvements à la fois sociaux et religieux Diggers, Levellers qui essayèrent de traduire en actes leur lecture de l’Évangile en collectivisant les terres.
XVIIIe siècle :
Voltaire, dans son conte philosophique Candide, développe les idées de l'utopie dans deux chapitres et donne un sens à cette utopie, dénonçant les dysfonctionnements de la société du XVIIIe siècle.
Babeuf et le babouvisme
Résurgence moderne de la République platonicienne, le terme d’utopie est repris par les grands projets socialistes du xixe siècle, avec bien d'autres sources souvent plus idéologiques :
Saint-Simon
Pierre Leroux
Phalanstère et son concepteur Charles Fourier
Pierre Joseph Proudhon
Karl Marx et Friedrich Engels Engels oppose toutefois, pour s'en démarquer, socialisme utopique et socialisme scientifique
Familistère de Guise et son fondateur Jean-Baptiste André Godin
Liens

http://youtu.be/ltV3AVbRhS4
http://youtu.be/khkx5pe2cTI (anglais
http://youtu.be/QBG6zrGcp8M A man for all seasons
http://youtu.be/fnabnst5Cxo exécution de Thomas More
http://youtu.be/iQmrW16mqhw
http://youtu.be/5DpkNX2GxRw


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Posté le : 05/07/2014 23:19

Edité par Loriane sur 06-07-2014 14:44:14
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Jan Huss
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Le 6 juillet 1415 à env. 45 ans, à Constance en Allemagne Jan Hus

ou Jean Huss meurt sur le bûcher,


prêtre théologien, universitaire, recteur de l'université de Prague et réformateur religieux tchèque, né entre 1369 et 1373. Son excommunication en 1411, sa condamnation par l'Église pour hérésie, puis sa mort sur le bûcher en 1415, lors du concile de Constance, enclenchent un processus qui mène à la création de l'Église hussite puis aux croisades contre les hussites. Le protestantisme voit en lui un précurseur.
Passionnément attaché à la réforme de l'Église catholique, Jan Hus a dépassé les enseignements de John Wyclif par la hardiesse et l'étendue de son action qu'il a menée jusqu'au sacrifice suprême. Il apparaît ainsi comme le précurseur, à plus d'un siècle de distance, des grands réformateurs du XVIe siècle, de Luther en particulier, qui préfacera la publication de ses œuvres en Allemagne.
Aussi soucieux de justice sociale aspect sur lequel insistent surtout les historiens marxistes que de morale religieuse, il fut en même temps un patriote qui demeure pour les Tchèques l'incarnation de leur conscience nationale forgée dans les guerres hussites, l'auteur de l'affirmation qu'ils n'ont cessé de répéter dans les heures difficiles : La vérité vaincra.
La langue tchèque lui doit son diacritique le háček. Les Tchèques ont fait de lui l’allégorie de leur nation face à l'oppression catholique, impériale et allemande : c'est un héros national, commémoré le 6 juillet, jour de sa mort sur le bûcher, par un jour férié.

La Bohême et la chrétienté à la charnière des XIVe et XVe siècles Grand

Schisme d'Occident.

Le 15 août 1373, Charles IV obtient pour son fils la marche de Brandebourg, et avec lui, le titre de Prince-Électeur attaché à cette possession. En 1376, il obtient des Princes-Électeurs l'élection de son fils en tant que roi des Romains, futur empereur du Saint-Empire. L'autorité de Charles est suffisante pour établir une succession dynastique, remettant en cause les clauses de la Bulle d'or de Metz.
Venceslas succède à son père le 29 novembre 1378. Dans le cadre de l'héritage, la marche de Brandebourg va à son frère cadet Sigismond, son autre frère, Jean obtient la marche de Lusace ; la Moravie va à ses cousins Jobst et Procope.

1378 est l'année fatidique du début du Grand Schisme d'Occident, l'Église traverse une crise morale, éthique et financière sans précédent. Cette même année, en ce qui concerne la Bohême, Jean de Jenstein de devient archevêque de Prague et il entre rapidement en conflit ouvert avec l'empereur et roi de Bohême Venceslas sur la question des investitures. Ce conflit débouche, en 1393, sur la mise à mort de Jean Népomucène, trop fidèle soutien de l'archevêque de Bohême, par des hommes d'armes du roi. Le nœud du conflit a été la nomination de l'abbé du riche monastère de Kladruby que le roi réservait à un protégé.
La mort de Jean de Nepomuk entraîne l'union seigneuriale, une rébellion des nobles tchèques, qui dure de 1394 à 1402. Les nobles bohémiens ligués font emprisonner leur roi en 1394 et nomment son cousin Jobst de Moravie, régent du royaume.
Grâce à l'intervention de son frère Sigismond, il est libéré et remonte sur le trône en échange de quoi, Venceslas, sans enfant, reconnait Sigismond comme son héritier.
Mais à cause des problèmes en Bohême, Venceslas délaisse les affaires de l'Empire, une foule en colère lui fait face lors de la Diète de Nuremberg 1397 et lors de celle de Francfort 1398. On lui reproche ses soûleries, son incompétence et surtout de ne rien faire pour mettre un terme au Grand Schisme : il est, fait rarissime, démis de son titre impérial en août 1400 par les Princes-Électeurs, en faveur de Robert Ier dont Venceslas refuse de reconnaitre la légitimité.
De 1402 à l'automne 1403, Venceslas se retrouve de nouveau en prison à Vienne, cette fois sur décision de son benjamin, Sigismond et toujours avec le soutien de la noblesse tchèque. Il en est libéré grâce à Johann von Liechtenstein, accompagné d'une bande armée.
C'est dans ce cadre trouble, tant au niveau politique que religieux, que Jan Hus étudie puis prêche et enseigne.

La vie de Jean huss

Originaire de la région de Prachatice, en Bohême méridionale, Jan Hus tient son nom de son village natal, Husinec. Étudiant pauvre à l'Université de Prague, il devient bachelier en théologie 1394, puis maître ès arts libéraux 1396. Ordonné prêtre en 1400, doyen de la Faculté de théologie de Prague l'année suivante, Jan Hus apparaît surtout comme le plus illustre représentant de ce courant de prédication réformatrice, né au milieu du XIVe siècle de la crise morale de l'Église tchèque, que le grand schisme d'Occident aggrave encore.
À partir de mars 1402, ses sermons rassemblent régulièrement plus de trois mille personnes dans la chapelle de Bethléem, destinée aux prédications en langue tchèque. Orateur officiel des synodes annuels de Bohême et confesseur de la reine, Hus bénéficie d'abord de l'appui de l'archevêque et du roi Venceslas IV 1378-1419 : jusqu'en 1408, c'est légalement qu'il prêche la réforme de l'Église et oppose la richesse corruptrice à la pauvreté évangélique. Car l'Évangile est, selon lui, la seule règle infaillible et suffisante de la foi, et tout homme a le droit de l'étudier pour son propre compte ; il entreprend donc de le traduire en tchèque.
Alors que les querelles du schisme et la misère exaspèrent la haine entre Tchèques et Allemands de Bohême, Hus rappelle qu'il préfère un bon Allemand à un méchant frère ; mais il lutte pour que les Tchèques soient maîtres en leur patrie. Revendiquant l'emploi de la langue tchèque dans la vie publique contre la prépondérance de l'allemand, il bannit les tournures germaniques et simplifie l'orthographe tchèque par l'introduction des signes diacritiques. Il écrit certains de ses ouvrages dans sa langue nationale.
En 1409, il obtient du roi Venceslas le décret de Kutná Hora qui met fin, au profit des Tchèques, à la mainmise allemande sur l'Université, dont il est élu recteur. Il célèbre dans la victoire polonaise de Grunwald 1410 le triomphe de la justice et des Slaves opprimés.

L’universitaire

Jan Hus étudie à l'université de Prague où il obtient sa licence en 1393 et la maitrise en arts libéraux en 1396. En 1400, il est nommé professeur à l'université, ordonné prêtre et il commence à prêcher à l'église de Saint-Michel. En 1401, il devient doyen de la faculté de philosophie et, un an plus tard, recteur de l'université de Prague.

De 1400 à 1408

Ordonné prêtre en 1400, Hus est, dès l'année suivante, doyen de la faculté de théologie de Prague ; il commence à prêcher à la chapelle de Bethléem, réservée à la langue tchèque, où des milliers de personnes s'entassent debout pour l'entendre. Prédicateur synodal, confesseur de la reine, appuyé au départ par les autorités civiles et ecclésiastiques, il annonce un message de radicale réforme évangélique, il traduit le Nouveau Testament en tchèque, persuadé qu'il doit être mis entre toutes les mains, donnant par là même un statut culturel à sa langue maternelle.
Les trois périodes de la vie de Hus
Son action réformatrice est soutenue par ses supérieurs. Il publie plusieurs ouvrages : Contre l'adoration des images ; De la glorification du sang tout entier de Jésus-Christ ; Vie et Passion de Jésus-Christ, d'après les quatre Évangiles ; une série de commentaires bibliques et de conférences à l'usage du clergé pragois.

Un linguiste économe

En linguistique, dans De orthographia bohemica (De l'orthographe du tchèque), Jan Hus invente une orthographe utilisant des diacritiques comme le point suscrit, devenu ensuite le háček pour noter ce que les langues slaves considèrent grammaticalement comme des consonnes molles. Il préconise l'usage de l'accent au lieu du redoublement des voyelles pour noter les voyelles longues. À l'époque, le papier ou le parchemin est un produit de luxe et économiser de l'espace lors de l'écriture constitue une économie précieuse.
Comparez sch et š - tsch et č.
Ce diacritique, adopté par le croate, le slovaque et le slovène, est parfaitement adapté au slave, à sa grammaire, ses flexions. Globalement, il correspond, dans l'alphabet latin, aux modifications apportées par Cyrille et Méthode au grec lorsqu'ils créent l'alphabet glagolitique avec lequel maitre Hus a pu se familiariser au cloître d'Emmaüs de Prague, fondé le 21 novembre 1347, qui est alors un centre important de la culture et de la liturgie en vieux slave.

Recteur d'une université divisée

Prague est capitale du Saint-Empire romain germanique et son université, véritablement internationale, est divisée en sections aussi appelées nations bavaroise, tchèque, saxonne et polonaise. Chacune des nations dispose d'une voix lors des votes décisifs sur l'administration de l'université.
En 1407, l'archévêque de Prague est chargé par le pape Grégoire XII d'interdire la diffusion des thèses hérétiques de John Wyclif. L'université le système éducatif est alors religieux et dominé par l'Église condamne comme hérétiques les théories de Wyclif, qui ont été introduites en Bohême une vingtaine d'années auparavant : en 1381, son opinion sur l'eucharistie est débattue par Mikuláš Biskupec et, en 1393, c'est l'archevêque de Prague, Jean de Jenstein, qui prêchait contre les idées wycliffiennes au regard de la richesse ou plutôt de la pauvreté nécessaire de l'Église.
Jan Hus avait traduit le Trialogus de Wyclif en tchèque.
Il louvoie entre son allégeance envers l'Église et son idéal wycliffien : le 14 mai 1408, la nation tchèque de l'université de Prague sous la houlette de Hus rejette publiquement les articles de Wyclif mais souligne que, correctement interprétés dans leur contexte, ces articles ne sont pas totalement hérétiques. L'archevêque de Prague, benoîtement, écrit au pape Grégoire XII qu'il n'y a pas d'âme errante en Bohême.
Les autres nations décident de se ranger fermement auprès de Grégoire XII mais Hus utilise, pour défendre son idéal, l'opposition du roi Venceslas à Grégoire XII2 et obtient, en 1409, que la nation tchèque eut trois voix lors des votes décisifs sur l'administration de l'université, les autres nations n'en bénéficiant que d'une voix chacune.
Cette décision, appelée aussi décret de Kutná Hora, provoque le départ des professeurs allemands qui contribuent à la fondation de l’université de Leipzig en mai 1409.
L'université de Prague perd alors la majorité de ses étudiants et de sa faculté et décline pour devenir un établissement au rayonnement tout au plus national. Pendant quelques décennies, aucun titre n'est distribué. Il faut attendre l'empereur Sigismond puis surtout Rodolphe II qui refait de Prague sa capitale, pour voir l'université renaître de ses cendres.

Le théologien

Influencé par l'Anglais John Wyclif, il s'interroge sur les conséquences pratiques de l'obéissance au Christ, prononce des sermons, en particulier au sein de la Chapelle de Bethléem, à Prague, contre ce qu'il appelle les erreurs du catholicisme et se consacre à la réforme de l'Église.
Il se trouve bientôt à la tête d'un mouvement national de réforme et prend publiquement la défense des écrits de John Wyclif condamnés par une bulle pontificale en date du 20 décembre 1409 qui ordonne la destruction des ouvrages de Wyclif et l'interdiction de prêcher sa doctrine. Jan Hus fait appel au pape de Pise Alexandre V mais en vain.

De 1408 à 1412

Hus entre en conflit avec la hiérarchie. Il a en effet dénoncé publiquement les droits et privilèges du clergé, et il a ouvertement manifesté ses sympathies pour Wycliffe. Lorsqu'en 1410 les ouvrages de ce dernier sont brûlés sur ordre de l'archevêché de Prague, et que sont interdites les prédications des bacheliers en théologie à la chapelle de Bethléem, Hus rédige un Appel au pape Jean XXIII et deux traités : Il faut lire et non brûler les livres des hérétiques et Apologie de l'ouvrage de Wycliffe sur la Sainte Trinité. Il demande que l'hérésie ne soit définie que par rapport à l'Écriture.
Excommunié une première fois en 1411, Hus est relevé de cette peine sur intervention de la reine Sophie, mais, en mai 1412, les indulgences émises par l'antipape Jean XXIII pour financer sa guerre contre le roi de Naples lui fournissent l'occasion de violents réquisitoires contre les abus de pouvoir temporel de l'Église. Cité devant les légats romains, il déclare : Je suis prêt à obéir au pape tant que ses ordres sont conformes à ceux des apôtres, mais s'ils y sont contraires, je n'y obéirai point, eussé-je mon bûcher dressé devant moi.
Il publie douze thèses contre la bulle pontificale et, sur cette base, rédige son Traité des indulgences et dix sermons sur l'anatomie de l'Antichrist, comparé à Jésus-Christ, virulente attaque contre la cour de Rome, ainsi que quinze lettres dans lesquelles son esprit réformateur se précise en s'étendant notamment au domaine de la justice sociale. Comme trois de ses disciples sont exécutés, il en appelle du pape à Jésus-Christ, seul vrai chef de l'Église ; soutenu par le peuple et la noblesse de Prague unanimes, il n'en est pas moins frappé d'excommunication majeure et, pour éviter les troubles, s'exile volontairement à la campagne, où il poursuit son activité de prédicateur.
Son admiration pour le théologien John Wyclif 1320 env.-1380, auquel souvent il se réfère, permet à ses ennemis de confondre sa cause avec celle du réformateur anglais et de l'accuser d' hérésie. Comme il refuse d'accepter la condamnation de Wyclif dont les ouvrages sont brûlés à Prague le 16 juillet 1410, une première excommunication le frappe en 1411, malgré l'appel adressé à Rome et le soutien du roi et des Praguois. Il n'en continue pas moins ses prédications ; en 1412, il prononce d'ardents réquisitoires contre les indulgences dont la vente doit financer la guerre de l'antipape Jean XXIII contre Ladislas de Naples. L'exécution de trois de ses jeunes disciples dresse le peuple de Prague derrière son prédicateur. Cette fois, il est l'objet d'une excommunication majeure, et la ville est frappée d'interdit du moment qu'il y séjourne.

Hus se retire alors en Bohême méridionale, à Kozí Hrádek, où il prêche dans les campagnes et écrit des traités de théologie De Ecclesia, 1413. En 1414, il est cité devant le concile de Constance. Muni d'un sauf-conduit glejt de l'empereur Sigismond, il repousse les conseils de prudence et se met en route, logique avec lui-même : Cherche la vérité, écoute la vérité, apprends la vérité, aime la vérité, soutiens la vérité, défends la vérité, jusqu'à la mort, avait-il enseigné à ses frères de Prague.
À peine arrivé, il est jeté en prison ; il y écrit ses Lettres de Constance. Ni les tentatives de persuasion, ni les sévices des pères du concile, ni l'appel à l'autorité de la tradition ne parviennent à lui arracher une rétractation. Ses écrits sont condamnés au feu ; lui-même monte sur le bûcher des hérétiques le 6 juillet 1415, et ses cendres sont jetées dans le Rhin. Sa mort, dont l'anniversaire sera célébré avec ferveur, fait de la réforme une révolution nationale.

Indulgence

Alexandre V meurt en 1410, Jean XXIII lui succède et entreprend, en 1411, une croisade contre le roi Ladislas Ier de Naples, protecteur du « pape de Rome Grégoire XII Ladislas avait surtout envahi Rome et est l'allié des Colonna. Cette croisade doit être financée et les indulgences sont un moyen pratique pour la papauté pour lever des fonds.
Hus s'élève contre ce trafic dans son adresse Quaestio magistri Johannis Hus de indulgentiis, quasiment une copie conforme du dernier chapitre du De Ecclesia de Wyclif. Le pamphlet hussite déclare qu'aucun prêtre, qu'aucun évêque, aucun religieux ne peut prendre l'épée au nom du Christ ; ils doivent prier pour les ennemis du Christ et bénir ceux qui le combattent. Le repentir de l'homme passe par l'humilité, pas l'argent ni les armes ni le pouvoir. Remarquable orateur, il provoque l’émeute du peuple de Prague qui est durement réprimée. Le 24 juin 1412, un cortège d’étudiants conduit par le disciple de Hus, Jérôme de Prague, va clouer au pilori la bulle du pape et la brûle ensuite. Trois étudiants, qui ont interrompu un prêtre pendant qu’il prêchait l’achat d’indulgence, sont exécutés à la hache.

Excommunication

Les détracteurs de Jan Hus, ne pouvant s’appuyer sur les aspects sociaux ou patriotes vont chercher à l’atteindre à travers ses positions religieuses. Ils vont tout d’abord s’appuyer sur sa pseudo admiration pour l’approche théologique de Wyclif pour l’accuser d’hérésie.

Excommunié le 21 février 1411 par Grégoire XII, Hus en appelle au jugement du Christ, instance inconnue du droit canonique. Il ne limite pas aux seules autorités ecclésiastiques ses diatribes et reste soutenu par les pragois. Hus entre, cette année-là, en conflit avec le roi de Bohême Venceslas IV, qui avait autorisé des envoyés du pape à vendre des indulgences pour l'organisation d'une croisade contre le roi de Naples. Il devient Persona non grata à Prague. Le soutien pragois donnera lieu à des manifestations à l’occasion desquelles trois disciples seront exécutés en public ce qui dressera ainsi le peuple contre le roi et l’église. Jan Hus se retire au château de Kozí Hradek, dans le sud de la Bohême, afin d’y rédiger son ouvrage De ecclesia et une Explication des Saints Évangiles 1413.

De 1412 à 1415

Hus publie encore plusieurs ouvrages et, notamment, son traité De l'Église, dans lequel il fait la distinction entre l'institution romaine, communauté de foi fondée par les apôtres, et l'Église universelle, régie par le seul Jésus-Christ.
C'est ce dernier qu'il convient de servir, fût-ce, si cela se révèle nécessaire, en désobéissant à son vicaire devenu infidèle. C'est l'Écriture qui est donc la norme de la fidélité de l'Église ; c'est d'elle, témoignage de Jésus-Christ, que vient la Parole du salut. Tout chrétien dont la vie est conforme à l'Évangile est donc un missionnaire du Christ. La confession du cœur lui suffit pour obtenir l'absolution ; il a normalement droit au calice eucharistique, par lequel, comme le pain, il entre en communion vivifiante avec le Christ réellement présent qui donne son salut et crée dans le chrétien les bonnes œuvres, fruits de la vie régénérée. En cas de conflit avec l'autorité ecclésiastique, c'est au seul seigneur de l'Église qu'il faut se soumettre.
Ayant révisé sa traduction de la Bible en tchèque et écrit une série de lettres à ses compatriotes où s'expriment sa foi en l'Évangile, son amour de son peuple et son espérance de justice, Hus, reconnu orthodoxe par l'inquisiteur Nicolas de Husinec, quitte Prague, avec un sauf-conduit, pour se rendre à Constance, devant le concile général où il a été cité. Arrivé le 3 novembre 1414, il est d'abord bien reçu, puis, au bout de quelques semaines, dénoncé par ses adversaires de Bohême et attaqué par les sorbonnards Jean Charlier de Gerson 1363-1429 et Pierre d'Ailly 1350-1420. Le sauf-conduit violé, il est mis en prison dans un couvent ; là, il rédige à l'intention de ses gardiens une série d'explications sur le Symbole apostolique, le Décalogue et l'Oraison dominicale, qui préfigurent les grands catéchismes de la Réforme luthérienne et calviniste.

Le Concile de Constance

Vient le concile de Constance, dont l'antipape Jean XXIII a signé la convocation. Sigismond, voulant donner l’apparence d’un soutien à Hus s'engage à l'accompagner à Constance. En pratique il n’accompagnera pas Hus. Hus s'y rend, muni d'un sauf-conduit signé de Sigismond Ier du Saint-Empire afin d'y défendre ses thèses. Ce sauf conduit sera renié par Sigismond.

Arrivée à Constance et débuts du Concile

À Constance, ont accouru, en grand apparat, les représentants des grandes nations catholiques, tous les prélats et les princes que compte la Chrétienté, y compris des orthodoxes, des lithuaniens, des coptes. Le premier but du Concile, réuni sous la pression de Sigismond, n'est pas de le juger, mais de mettre fin à ce scandale que représente le Grand Schisme d'Occident. Trois papes se disputent le trône de saint Pierre, Grégoire XII, pape de Rome , Jean XXIII, pape de Pise et Benoît XIII, pape d'Avignon.

Hus part le 11 octobre 1414 et arrive le 3 novembre 1414 à Constance. Le jour suivant, un bulletin sur les portes des églises annonce que Michal de Nemecky Brod sera l'opposant de Hus l'hérétique . Il est tout d'abord libre de ses mouvements mais, de peur de le voir s'échapper, le 8 décembre 1414, il est enfermé dans un monastère dominicain de la ville.
Le sauf-conduit impérial, apparemment, ne s'applique pas ou plus légalement aux hérétiques… Peu auparavant, le 4 décembre 1414, Jean XXIII nomme trois évêques pour entamer les investigations contre Hus.
Sous la pression impériale, le mode de scrutin est changé : non pas une voix par cardinal ce qui avantage considérablement l'Italie mais une voix par nation ce qui apporte une solution inédite aux problèmes nationaux qui déchirent alors l'Église.
Le 20 mars 1415, comprenant qu'il perd le soutien impérial, Jean XXIII s'enfuit.
Le 6 avril 1415, le concile adopte le décret Hæc sancta, affirmant la supériorité du concile sur le pape. Les questions institutionnelles en passe d'être réglées, le procès de Hus peut reprendre.

Le procès de Jan Hus

Au premier rang des censeurs de Jan Hus, outre le cardinal Pierre d'Ailly et son disciple Jean de Gerson, doctor christianissimus et chancelier de l'université de Paris, se trouvent les grands inquisiteurs, secondés par les plus brillants canonistes romains. Les juges procèdent à des interrogatoires ex cathedra.
Au cachot, après des semaines d'interrogatoires incessants, il sera condamné comme hérétique à être brûlé vif. La censure passera au crible ses ultimes lettres, écrites de sa cellule, à ses amis de Prague. Le 27 juin 1415, ses livres sont condamnés comme hérésies.

Son procès, ouvert le 5 juin 1415, n'est qu'une longue suite d'accusations et d'humiliations. Comme on le somme de se rétracter, il répond : Parmi les articles que je dois abjurer, beaucoup n'ont jamais été acceptés par moi et je ne puis, sans mentir à ma conscience, me reconnaître coupable d'erreurs que je n'ai pas commises ; d'autres me paraissent vrais et je les soutiendrai tant qu'on ne m'aura pas démontré leur fausseté par l'Écriture. Je ne veux pas scandaliser le peuple que j'ai conduit dans la vérité et compromettre le salut de mon âme.

Le bûcher

Après un mois durant lequel vexations et tortures alternent, lui laissant cependant la force d'écrire de bouleversantes lettres d'adieu, il est conduit au bûcher, le 6 juillet, et y meurt en s'écriant : Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, aie pitié de moi ! Dès lors, la Bohême entière le vénère comme un martyr, la conscience populaire tchèque est marquée par lui de façon décisive, et les historiographes modernes de Hus pourront parler à son propos de la première réforme .
Le 6 juillet 1415, selon le jugement qui le condamne solennellement comme hérétique, Jan Hus doit être réduit à l'état laïc et est immédiatement conduit au bûcher. Le bourreau lui arrache les vêtements. Coiffé d'une mitre de carton sur laquelle sont peints des diables, il est emmené vers le bûcher au milieu d'une foule en colère : on le lie au poteau, entouré de paille humide et de fagots et le feu est mis au bûcher.

Les guerres hussites 1419-1437

Dès septembre 1415, la Diète des seigneurs de Bohême envoie une protestation indignée contre la décision du concile. Le peuple vénère Hus comme un saint et un martyr. La foi nouvelle et la nationalité tchèque se confondent dans l'emblème du calice symbole de la communion sous les deux espèces, sub utraque specie derrière lequel les Tchèques résistent à Rome et à l'empereur germanique, héritier honni du roi Venceslas. La défenestration à Prague, le 30 juillet 1419, des notables catholiques est le signal de l'insurrection ouverte des hussites qui, durant dix-huit ans, tiennent tête aux cinq croisades que l'Europe envoie à l'appel du pape et de Sigismond pour écraser les hérétiques.
Dans le vocabulaire français, praguerie remplace alors révolution.
Les quatre Articles de Prague 1420 forment le programme commun des hussites. Ils exigent la libre prédication de l'Écriture, la communion sous les deux espèces, la confiscation des biens du clergé, la répression des péchés mortels et spécialement des scandales publics. Le principe de la libre interprétation de l'Évangile et les clivages sociaux divisent les hussites en partis ennemis.
Prague, après l'élimination des gueux 9 mars 1422, devient un centre du parti modéré, dit utraquiste ou calixtin, ouvert à un compromis avec Rome. Tábor, en Bohême du Sud, camp retranché fondé en 1420 par les pauvres des cités et des campagnes exaltés par les prédications chiliastiques ou millénaristes, est le bastion des radicaux et proclame la communauté des biens, l'égalité absolue, la souveraineté du peuple et le sacerdoce universel. Autour des taborites, Jan Žižka, seigneur de Trocnov, unifie les troupes populaires en une armée : celle-ci, remarquable par sa rigueur morale, sa discipline, son fanatisme, et célèbre pour la beauté de ses chants de combat et de prière, préfigure les têtes rondes de Cromwell. Jusqu'à sa mort en 1424, Frère Žižka du Calice, le chef borgne puis aveugle, terrifie les croisés par les manœuvres de ses célèbres chars et le tir des canons et des arquebuses que son infanterie manie aussi habilement que les fléaux et les piques.
Grâce aux victoires remportées à Vitkov devenue Žižkov, 1420, à Pankrác 1420, à Kutná Hora 1422, les Combattants de Dieu sauvent Prague et dominent toute la Bohême. À partir de 1426, Procope le Grand conduit les chevauchées magnifiques des hussites en Allemagne, en Autriche et en Hongrie, afin de propager la vérité de Dieu . La défaite de la croisade du cardinal Cesarini à Domažlice 1431 incline l'Église à composer avec l'hérésie pour la première fois de son histoire.
La bataille de Kratzau 11 novembre 1428 oppose Hans von Polenz aux forces hussites
Dès septembre 1415, la diète des seigneurs de Bohême envoie une protestation indignée sur la décision du concile. Le peuple vénère Hus comme un martyr et un saint.
La foi nouvelle et le sentiment de nationalité tchèque se confondent dans l’emblème du calice symbole de la communion sous deux espèces, sub utraque specie derrière lequel les Tchèques résistent à Rome et à l’empereur germanique. Parallèlement, après l’exécution de Hus les pères conciliaires envisagent pour les Tchèques rebelles, le même sort que pour les Albigeois c'est-à-dire l’extermination. Toute la noblesse et le peuple tchèque se rebellent et Sigismond après le décès de son frère Venceslas est obligé de prendre position. Les quatre articles de Prague principe d’une vraie réforme/christianisme primitif deviennent prétexte à des abus et donnent lieu à des affrontements à l’intérieur du camp hussite.
Les croisades contre les hussites, événement de première grandeur dans l'histoire européenne, commencent. Un peuple révolté s'organise militairement pour tenir tête 25 ans durant aux armées européennes coalisées :

Défenestration de Prague des notables catholiques 1419.

Jan Želivský prône la révolte des petits et prend d’assaut l’hôtel de ville de Prague. Les édiles municipaux sont jetés par les fenêtres. Ceci est le point de départ d’une insurrection de 18 ans et de 5 croisades que l’Europe envoie à l’appel du pape Martin V et de Sigismond ; croisades auxquelles les Tchèques résistent
Parcours par des fanatiques de la Bohême, la moitié de l’Allemagne et la Hongrie qui sèment la terreur.
Antagonisme grandissant entre Tchèques et Allemands ces derniers étant dans le camp papal.
Leurs chefs élus, Jan Žižka (qui résiste à Prague, puis à sa mort, le prêtre Procope Le Chauve mènent de grandes batailles en Allemagne, Autriche et en Hongrie, et écrasent les croisés à Tachov 1427 puis à Domažlice 1431. La supériorité militaire et technique d'une armée de volontaires et les défaites successives des croisades obligent l’Église à accepter de composer avec l’hérésie.
Le concile de Bâle 1443 est amené à envisager d’accepter des aménagements de la doctrine officielle de l’Église face aux quatre articles de Prague. Ce qui fut refusé à Hus fut donc accepté pour Procope, à savoir s’exprimer librement en langue tchèque, ainsi que la communion sous les deux espèces. L’évêque de Tábor exposa les quatre articles et rappela qu’aucune autorité religieuse n’a le droit d’ôter la vie, a fortiori à des chrétiens. Pour le reste, les pourparlers traînaient en longueur, les combats reprirent et Procope fut écrasé à Lipany en mai 1434 marquant ainsi la défaite des Taborites ouvrant ainsi la voie du trône à un hussite modéré, Georges de Poděbrady. À l’issue de ces combats, l’Église accorde quelques concessions supplémentaires aux hussites tchèques accord Jihlava 1436.
Les Compactata de Bâle 1433, conclus avec les modérés, accordent aux Tchèques la communion sous les deux espèces et la lecture en tchèque de l'Épître et de l'Évangile. La lassitude et l'or du concile contribuent à grossir le camp utraquiste qui écrase, le 30 mai 1434, à Lipany, Procope et les taborites, défenseurs irréductibles des quatre Articles. La Bohême fait sa soumission à l'empereur-roi Sigismond 1436. Au printemps 1437, Sion, dernier retranchement taborite, est pris d'assaut. Paix boiteuse, bientôt violée par Rome ; ce n'est qu'après 1512 que les Compactata procurent la sécurité à l'utraquisme : pour les avoir défendus contre les nouvelles croisades, Georges de Poděbrady demeure le roi hussite 1458-1471. Par la suite, l'utraquisme perd peu à peu de ses forces vives : l'Unité des frères s'en sépare pour demeurer plus fidèle aux leçons de Hus ; la réforme luthérienne attire les deux tiers de la population tchèque qui reconnaît la Confession de 1575, inspirée de celle d'Augsbourg. Enfin, la répression qui suivit le désastre de la Montagne Blanche 8 nov. 1620, où les Tchèques furent écrasés par les troupes impériales de Ferdinand II, anéantit définitivement le mouvement hussite.

La postérité : les hussites

Dès 1415, le peuple de Bohême, galvanisé par la mort de son héros, se dresse contre Rome et contre l'empereur. Après avoir défenestré, le 30 juillet 1419, les notables catholiques, les hussites se soulèvent ouvertement et résistent durant dix-huit ans à toutes les tentatives faites pour les écraser. En 1420, ils formulent leur programme : libre prédication de l'Évangile, communion sous les deux espèces, confiscation des biens du clergé, répression des scandales publics, tout cela dans le contexte d'une praguerie, révolution sociale et nationale.
Il s'ensuivra une longue période de troubles, au cours desquels le mouvement se divisera en une aile radicale les pauvres, fanatisés par des prédicateurs millénaristes, créateurs de structures égalitaires de vie commune, organisateurs d'une armée redoutable, qui, après avoir libéré toute la Bohême des troupes étrangères, entreprend des chevauchées magnifiques, raids victorieux et missionnaires à travers l'Allemagne, l'Autriche et la Hongrie, et une aile modérée les notables et riches des villes et des campagnes, qui, redoutant pour leurs privilèges les conséquences des victoires des radicaux taborites, finissent par conclure un compromis avec Rome et par écraser, en 1434, les révolutionnaires.
Cependant que la majorité de la population tchèque abandonnera le mouvement et passera, pour une bonne part, au luthéranisme lorsqu'il se répandra en Europe, l'Unité des frères se crée en 1457, qui va maintenir vivant l'héritage de Hus. C'est encore lui que représente aujourd'hui l'Église des frères tchèques, rattachée au Conseil œcuménique des Églises, remarquable par sa vigueur en face des oppressions successives auxquelles elle a dû faire face.
La faculté Comenius de Prague est le centre vivant d'une recherche théologique qui s'inscrit dans la ligne du mouvement hussite. Elle a été illustrée par de grands théologiens, à la tête desquels Josef L. Hromádka 1889-1969, qui a été un des animateurs de la résistance spirituelle œcuménique au national-socialisme, l'initiateur d'une approche chrétienne positive du socialisme marxiste et, ainsi, un des pères des théologies contemporaines de l'histoire et du politique et un des interlocuteurs éminents du dialogue entre chrétiens et marxistes entre 1958 et l'écrasement du printemps de Prague. C'est sur la devise de Hus : La vérité vaincra, qu'il avait fondé la Conférence chrétienne pour la paix, mouvement international de mobilisation des chrétiens contre la menace atomique, la guerre froide, les conflits entre les peuples et le sous-développement.

Conséquence des guerres Hussites

Les guerres hussites provoquent des dégâts importants sur le plan ecclésial car, à côté d’une Église unifiée de Rome cohabite une Église nouvelle issue des doctrines hussites église calixtine, dirigée par des laïcs qui nomment les prêtres et les rétribuent. Plus tard, l’unité des frères se sépare de l’utraquisme, caractéristique des modérés, pour demeurer plus fidèle aux principes de Hus.
Dans la mesure où Hus est un précurseur de la Réforme de nombreux concepts seront repris par Luther, la réforme luthérienne6 trouvera un terrain favorable chez les Tchèques dont près des deux tiers reconnaissent la confession de 1575, inspirée de celle d’Augsbourg. La répression qui suit le désastre de la Montagne Blanche novembre 1620 où les Tchèques sont écrasés par les troupes de Ferdinand II du Saint-Empire anéantit définitivement le courant hussite.

L'héritage de Jan Hus

Monument à Jan Hus sur la place de la Vieille-Ville de Prague. Le réformateur religieux au centre y symbolise l'intégrité morale, les groupes qui l'entourent les gloires et les souffrances du peuple tchèque
Ses disciples le considèrent comme un patriote et un martyr de la nation tchèque et de la foi chrétienne. Précurseur de la Réforme, sa mort déclenche une véritable révolution religieuse, politique et sociale qui secoue la Bohême et la Moravie pendant encore des décennies. Au-delà de la foi et de la pratique religieuse, on ne peut passer sous silence quelques effets secondaires à caractère politique : l'identité nationale tchèque et la volonté de libération de l'emprise allemande. Ces effets apparaîtront pleinement à l'occasion de l'éclatement de l'empire austro-hongrois.

L'association Jan Hus, fondée en 1981 par un groupe d'enseignants français qui souhaitent venir en aide à leurs collègues tchécoslovaques opposés au processus de Normalisation » du régime communiste à l'instar de la charte 77, est une branche de la Jan Hus Educational Foundation en créée en France à l'initiative d'Alan Montefiore et Catherine Audard. Elle organisa des voyages d'intellectuels français (Paul Ricoeur, Jacques Derrida, Jean-Pierre Vernant en Tchécoslovaquie pour débattre et enseigner dans des séminaires clandestins ayant lieu dans des caves ou appartements d'intellectuels tchécoslovaques.

Liens

http://youtu.be/PAxhakZfxN4 Histoire de Jean Hus
http://youtu.be/0rv2zY4IdbM


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Posté le : 05/07/2014 23:15

Edité par Loriane sur 06-07-2014 15:07:24
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Re: défi du 5 juillet 2014
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Le 6 juillet 1946 à Melbourne naît Peter Albert David Singer

dit Peter Singer, philosophe australien, titulaire de la chaire d'éthique de l'université de Princeton, et professeur à l'université Charles Sturt Melbourne, en Australie, appartenant à l'école/tradition philosophie analytique, utilitarisme, ses principaux intérêts sont la morale, bioéthique, philosophie politique, biologie, ses Idées remarquables sont l'antispécisme, et ses Œuvres principales "La Libération animale", il est influencé par John Stuart Mill, Henry Sidgwick, Jeremy Bentham, et Charles Darwin.

Il a travaillé à deux reprises dans la chaire de philosophie de l'université Monash, où il a créé le centre de bioéthique humaine. En 1996, il se présenta sans succès en tant que candidat Vert pour le Sénat australien.
En 2004, il fut reconnu comme l'humaniste australien de l'année par le Conseil des sociétés humanistes australiennes. En dehors du milieu universitaire, Singer est surtout connu pour son livre La Libération animale, considéré comme le livre fondateur des mouvements modernes de droits des animaux. Ses positions sur des questions de bioéthique ont également suscité la controverse, notamment aux États-Unis et en Allemagne.

"L’œuvre tout entière de SINGER s’articule autour de thèmes relatifs à la philosophie morale et politique. Se revendiquant de la tradition utilitariste et des travaux de DARWIN, auteur de nombreux livres et articles sur l’éthique, la biologie et
l’économie, le philosophe australien est aujourd’hui surtout connu pour son investissement dans des causes comme celles de l’éthique animale, de la défense de l’avortement et de l’euthanasie, ainsi que dans le combat contre la pauvreté.
Auteur de La Libération animale Animal Liberation - A New Ethics for Our Treatment of Animals, tenu depuis sa publication en 1975 pour le livre fondateur des mouvements modernes de droits des animaux, mais aussi titulaire de la chaire d’éthique de l’université de Princeton et professeur à l’université Charles Sturt Melbourne, SINGER est aujourd’hui considéré comme l’un des philosophes contemporains les plus influents de la planète. Ses nombreuses prises de position notamment sur la justification morale de l’infanticide, du dopage dans un cadre sportif,
de l’interdiction de la peine de mort, etc.sont régulièrement à l’origine de débats et polémiques plus ou moins féconds ; à l’heure actuelle, certains l’accusent d’atteindre entre autres à la dignité de l’être humain, de préconiser des pratiques eugénistes ou
encore de justifier la pédophilie.
SINGER s’intéresse à des questions d’éthique appliquées à un ensemble particulier de circonstances et de pratiques. Bien qu’il travaille également sur des notions méta-éthiques, sa pensée philosophique est souvent normative et inséparable des
actions qu’il mène en parallèle : SINGER est ainsi notamment le fondateur du Centre de bioéthique humaine de l’université de Monash, le créateur du Great Ape Project une organisation internationale qui vise à obtenir des droits fondamentaux pour les grands singes, de The Life You Can Save un mouvement visant à réduire l’extrême pauvreté, et fut candidat au sénat australien au sein du parti écologiste. Son influence dépasse donc le simple cadre de la philosophie universitaire.

All animals are equal, but some animals are more equal than others. "Tous les animaux sont égaux, mais certains animaux sont plus égaux que
d’autres."
George ORWELL, Animal Farm 1945
Le questionnement à l’œuvre dans All Animals Are Equal prend sa source dans un constat historique. Si l’on procède comme le fait SINGER dans son article à une rapide inspection de l’histoire, on voit que ces dernières années furent marquées par de multiples mouvements visant à rétablir un équilibre de rapport entre un groupe humain et le reste de la communauté. Ces mouvements peuvent être regroupés sous le
qualificatif de mouvements de libération, dans la mesure où leur but était de se libérer de pratiques discriminatoires dont leurs membres étaient victimes. Dans ces conditions, le rétablissement d’une égalité s’est toujours manifesté sous la forme d’une attribution de droits, droits dont les individus composant le groupe opprimé étaient frustrés sans justification rationnelle suffisante. Le XIXe et le XX siècles ont ainsi vu se succéder des mouvements prônant la libération des Noirs, discrimination raciale, des homosexuels, discrimination sur les pratiques sexuelles, ainsi que de nombreux autres groupes opprimés par une majorité et pour divers autres motifs discriminations religieuses, ethniques, sociales, etc..
La multiplication des mouvements et initiatives féministes à travers les époques trouve dans ce cas une dimension particulière : la libération s’appliquant ici à un groupe bien plus important qu’une simple minorité, la lutte pour les droits des femmes semble être l’indicateur d’un progrès considérable qui s’attaquerait aux derniers résidus discriminatoires encore à l’œuvre dans notre société. Pourtant, SINGER s’avère plus que méfiant envers l’attitude qui consiste à parler d’une « dernière forme de
discrimination
" : bien qu’évidents une fois mis au jour, il est dans la nature des préjugés d’être insidieux et d’être pratiquement indécelables lorsque nous y sommes sujets. Comment alors nous assurer que nous ne sommes pas aujourd’hui sujets à des préjugés du même acabit que le racisme ou le sexisme ? Dans la mesure où les mouvements de libération ont toujours consisté en une extension de notre horizon moral, ainsi qu’en un élargissement ou une réinterprétation du principe fondamental de l’égalité, SINGER nous invite à réaliser un véritable revirement mental, à tenter de prendre conscience des représentations erronées dont nous sommes encore emplis, en nous aidant à penser contre nos propres privilèges.
Le titre de l’article, référence implicite à La Ferme des animaux d’ORWELL, cherche donc avant tout à réaffirmer l’égalité de tous les animaux, humains comme nonhumains, et à lutter contre l’absurdité d’une situation où certains d’entre eux estiment normal et justifié que certains soient plus égaux que les autres."

Rédigé par Maxime GABORIT
Dirigé par M. Patrick LANG
http://www.ifac.univ-nantes.fr/IMG/pd ... 140506_version_longue.pdf

Sa vie

Les parents de Singer étaient des Juifs viennois, qui échappèrent à l'annexion de l'Autriche et prirent la fuite en Australie en 1938.
Ses grands-parents paternels furent déportés à Łódź sans aucune nouvelle d'eux. Son grand-père maternel mourut dans le camp de concentration de Theresienstadt. Le père de Singer importait du thé et du café, tandis que sa mère exerçait la médecine.
Peter Singer étudie au Scotch College de Melbourne, puis se dirige vers des études de droit, d'histoire et de philosophie à l'université de Melbourne où il obtient un Bachelor of Arts en 1967, et un Master of Arts pour son mémoire intitulé "Why should I be moral? " "Pourquoi devrais-je être moral ?" en 1969.
Il reçoit alors une bourse d'études pour l'université d'Oxford ; son travail sur la désobéissance civile, supervisée par R.M. Hare, est sanctionné par un Bachelor of Philosophy en 1971, et publié sous la forme d'un livre en 1973 : Democracy and Disobedience. Par ailleurs, Peter Singer se dit lui-même végétarien, dans une interview donnée le 3 mai 2006 au magazine américain Mother Jones : "Je ne mange pas de viande. Je suis végétarien depuis 1971."

La libération animale

L’éthique animale de Peter SINGER,
ou l’extension du domaine de la lutte morale
:
Son livre La Libération animale Animal Liberation, 1975, 2e édition en 1990 ; traduction française, Grasset, 1993 ; nouv. éd. Petite Bibliothèque Payot, 2012 a influencé les mouvements modernes de protection des animaux. Dans son ouvrage, il argumente contre le spécisme : la discrimination entre les êtres sur la seule base de leur appartenance d'espèce, presque toujours en pratique en faveur des membres de l'espèce humaine et en défaveur des animaux non humains.
L'idée est que tous les êtres capables de souffrir ou d'éprouver du plaisir, êtres sensibles doivent être considérés comme moralement égaux, en ce sens que leurs intérêts doivent être pris en compte de manière égale. Il conclut en particulier que le fait d'utiliser des animaux pour se nourrir est injustifié car cela entraîne une souffrance disproportionnée par rapport aux bienfaits que les humains tirent de cette consommation ; et qu'il est donc moralement obligatoire de s'abstenir de manger la chair des animaux, végétarisme, voire tous les produits de leur exploitation véganisme.

Avortement, euthanasie et infanticide

Peter Singer se prononce pour le droit à l'avortement, en utilisant cependant une approche qui le distingue de l'argumentation classique : en cohérence avec sa théorie éthique, il propose que le droit d'un être à la vie est fondamentalement lié à la capacité qu'il a à manifester des préférences, elles-mêmes liées à la possibilité de ressentir du plaisir ou de la douleur.
Pour se faire comprendre, Singer énonce d'abord le syllogisme suivant qui peut selon lui traduire l'argument central des opposants à l'avortement:

Il est mal de tuer un être humain innocent.
Un fœtus humain est un être humain innocent.
En conséquence, il est mal de tuer un fœtus humain.

Il observe dans ses ouvrages Rethinking Life and Death, Repenser la vie et la mort et Practical Ethics, Questions d'éthique pratique que si l'on accepte sans discuter les prémisses, l'argument est valide par déduction. Les défenseurs de l'avortement remettent traditionnellement en cause la deuxième prémisse : le fœtus ne deviendrait humain ou vivant que postérieurement à la conception.
Singer oppose que le développement est un processus progressif, dont il n'est pas possible d'extraire un instant particulier à partir duquel la vie humaine commencerait.

Peter Singer au MIT.

L'argument de Singer en faveur de l'avortement est en ce sens original : plutôt que de s'attaquer à la deuxième prémisse, il interroge la première, niant qu'il est nécessairement mal d'interrompre la vie d'un humain innocent:
The argument that a fetus is not alive is a resort to a convenient fiction that turns an evidently living being into one that legally is not alive. Instead of accepting such fictions, we should recognise that the fact that a being is human, and alive, does not in itself tell us whether it is wrong to take that being's life.
Singer soutient que la défense ou l'opposition à l'avortement devraient reposer sur un calcul utilitariste qui pondère les préférences de la femme et celles du fœtus, la préférence étant tout ce qui est de nature à être recherché ou évité; à tout bénéfice ou dommage causé à un être correspond directement la satisfaction ou la frustration d'une ou plusieurs de ses préférences.
La capacité à ressentir de la douleur ou de la satisfaction étant un prérequis pour avoir une préférence de quelque nature que ce soit, et un fœtus, en tout cas âgé de 18 semaines ou moins, n'ayant selon Singer pas la capacité de ressentir de la douleur ou de la satisfaction, il n'est pas possible pour un fœtus de manifester la moindre préférence.
Dans ce calcul utilitariste, rien ne vient donc peser contre la préférence d'une femme à avoir un avortement. En conséquence, l'avortement est moralement permis.
À propos de l'infanticide, Singer propose que les nouveau-nés ne possèdent pas encore les caractéristiques essentielles qui font une personne : la rationalité, l'autonomie et la conscience de soi. Le meurtre d'un nouveau-né n'est donc pas équivalent à celui d'une personne, c'est-à-dire à celui d'un être qui veut continuer à vivre.
Singer distingue l'euthanasie volontaire, qui se fait avec le consentement du sujet, de l'euthanasie involontaire ou non volontaire.
Dans Rethinking Life and Death: The Collapse of Our Traditional Ethics, il approfondit les dilemmes créés par les avancées de la médecine.
Il traite notamment de la valeur de la vie humaine et de l'éthique de la qualité de vie.
Singer a vécu personnellement la complexité de certaines de ces questions. À propos de sa mère, touchée par la maladie d'Alzheimer, il expliquait partager avec sa sœur la responsabilité des décisions à prendre, mais que s'il était seul arbitre, sa mère ne continuerait peut-être pas à vivre.

Personism

Singer ne croit pas à la notion d'humanisme. Il lui préfère une vision de preference utilitarian qu'il appelle personism.

Publications en français

La Libération animale, Paris, Payot, coll. "Petite Bibliothèque Payot", 2012
Questions d'éthique pratique, Paris, Bayard, 1997
L'égalité animale, Lyon, Tahin party, 2000
Une gauche darwinienne, Paris, Cassini, 2002
Comment vivre avec les animaux ?, Paris, Empêcheurs de penser en rond, 2004
Sauver une vie. Agir maintenant pour éradiquer la pauvreté, Michel Lafon, Paris, 2009

Spécisme

On appelle spécisme du mot speciesism, en anglais la discrimination fondée sur le critère d’espèce.
Le spécisme conduit à accorder moins d’importance aux intérêts des animaux non humains par rapport à ceux des humains. On peut aussi ranger sous ce terme la préférence pour certains animaux les animaux de compagnie par rapport à d’autres les animaux d’élevage qui conduit par exemple à manger du cochon mais pas du chien.
Ce mot a été forgé au début des années 1970 par analogie au racisme discrimination arbitraire fondée sur la notion race et au sexisme discrimination fondée sur le sexe. Il a été popularisé à la fois par des universitaires réfléchissant au statut moral des animaux et par des militants animalistes. Les opposants au spécisme, les antispécistes, soutiennent que l’espèce n’a en tant que telle aucune pertinence morale. Les spécistes soutiennent le contraire, sur différentes base religieuse, anthropocentrique....
Certains défendent explicitement la discrimination spéciste au motif que nous devons faire preuve de loyauté envers les membres de notre espèce. D’autres affirment qu’il existe des différences moralement pertinentes entre les humains et les animaux, comme le langage ou l'autonomie.
Enfin, certaines religions affirment que les humains sont supérieurs aux animaux car possédant une âme ou ayant été créés à l’image de Dieu, et que Dieu a donné aux humains le droit de dominer les animaux.

Origine du terme

Le spécisme est fort ancien. Paul Waldau écrit qu’on a traditionnellement justifié de ne pas prendre en compte, ou secondairement en compte, les intérêts des animaux non-humains par le fait qu’ils existeraient pour notre usage ; Aristote l’affirma au 4e siècle avant J.-C., tout comme Ciréron au 1er siècle ap. J.-C., et les auteurs chrétiens par la suite.
Richard Ryder forgea le terme "spécisme" en 1970.
Le terme “spécisme” et l’idée corrélative qu’il s’agissait d’un préjugé est apparu en 1970 dans un pamphlet du psychologue Richard Ryder intitulé Speciesism. Ryder avait écrit au Daily Telegraph en avril et mai 1969 trois lettres critiquant l’expérimentation animale, fondées sur des incidents qu’il avait observés dans des laboratoires.
Par la suite il rejoignit un groupe d’intellectuels et d’écrivains à Oxford connu aujourd’hui sous le nom de “groupe d’Oxford”, qui remettait en cause le statut et le traitement des animaux.
L’une des activités de ce groupe était d’écrire et de distribuer des pamphlets, tel que “Speciesism”, sur l’expérimentation animale.

Ryder explique dans son article que :

"Depuis Darwin, les scientifiques admettent qu’il n’y a aucune différence essentielle “magique” entre les humains et les autres animaux, biologiquement parlant. Pourquoi, dès lors, faisons-nous moralement une distinction radicale ?
Si tous les organismes sont sur un seul continuum biologique, nous devrions aussi être sur ce même continuum. "
Il écrivit que, au même moment au Royaume-Uni, 5 millions d’animaux étaient utilisés chaque année pour l’expérimentation, et que cette façon de tirer bénéfice, pour notre propre espèce, de mauvais traitements infligés aux autres n’est rien d’autre que du spécisme et, en tant que tel, n’est qu’un argument émotionnel égoïste plutôt qu’un argument rationnel.
Ryder réemploya le terme dans “Expérimentations sur les animaux” dans Animals, Men and Morals 1971, un recueil d’essais sur les droits des animaux édité par trois autres membres du groupe d’Oxford, Stanley et Roslind Godlovitch et John Harris.
Il y écrit :
"Les mots “race” et “espèce” sont des termes aussi vagues l’un que l’autre que l’on utilise pour classifier les êtres vivants principalement sur la base de leur apparence. On peut faire une analogie entre les deux. La discrimination sur la base de la race, bien que tolérée presque universellement il y a deux siècles, est maintenant largement condamnée.
De la même façon, il se pourrait qu’un jour les esprits éclairés abhorreront le spécisme comme ils détestent aujourd’hui le racisme. L’illogisme dans ces deux formes de préjugés est du même type. Si nous acceptons comme moralement inacceptable de faire souffrir délibérément des êtres humains innocents, alors il est logique de trouver inacceptable de faire souffrir délibérément des êtres innocents d’autres espèces. Le temps est venu d’agir selon cette logique ".
En français, le terme "espécisme" est parfois employé Pascal Picq, anthropologue français dans Il était une fois la paléoanthropologie, ou encore Jean-Yves Goffi dans Le philosophe et ses Animaux.

Diffusion de l’idée

Peter Singer popularisa le concept de spécisme dans Animal Liberation 1975.
L’idée fut popularisée par le philosophe australien Peter Singer, qui a connu Ryder a Oxford dans La libération animale 1975.
Singer explique que le spécisme viole le principe d’égale considération des intérêts, qui découle du principe énoncé par Jeremy Bentham : “chacun compte pour un, et personne pour plus d’un”.
Bien qu’il puisse y avoir de nombreuses différences entre les humains et les animaux non humains, nous partageons avec eux la capacité de souffrir. Aussi, dans la délibération morale, nous devons accorder le même poids à deux souffrances similaires, quel que soit l’individu qui souffre. Une théorie morale qui conduirait à traiter de façon dissemblable deux cas semblables ne serait pas une théorie morale valable.
Singer écrit dans le 1er chapitre de La libération animale :
" Les racistes violent le principe d'égalité en donnant un plus grand poids aux intérêts des membres de leur propre race quand un conflit existe entre ces intérêts et ceux de membres d'une autre race. Les sexistes violent le principe d'égalité en privilégiant les intérêts des membres de leur propre sexe. De façon similaire, les spécistes permettent aux intérêts des membres de leur propre espèce de prévaloir sur les intérêts supérieurs des membres d'autres espèces. Le schéma est le même dans chaque cas ".
Le terme fit son entrée dans l’Oxford English Dictionary en 1985. En 1994, l’Oxford Dictionary of Philosophy le définit ainsi :
"Par analogie avec le racisme et le sexisme, l’attitude consistant à refuser indûment le respect envers la vie, la dignité, ou les besoins d’animaux appartenant à d’autres espèces que l’espèce humaine.

Arguments contre le spécisme l'Antispécisme
L’argument principal contre le spécisme se fonde sur l’idée que l’appartenance à une espèce n’a, en tant que telle, aucune pertinence morale. Comme le note Singer :
"Le défunt philosophe Robert Nozick prétendait que le fait de n'avoir encore formulé aucune théorie sur l'importance morale de l'appartenance à une espèce ne prouve rien : "Personne n'y a encore passé beaucoup de temps, parce que le problème ne paraissait pas urgent. Mais trente ans après, le commentaire de Nozick prend un sens différent.
Depuis, beaucoup d'auteurs ont passé du temps à essayer de défendre l'importance de l'appartenance à l'espèce. Et l'échec persistant des philosophes à produire une théorie plausible de l'importance morale de l'appartenance à l'espèce montre, avec une probabilité croissante, qu'une telle théorie est impossible ".
Ainsi, selon l'antispécisme, mouvement philosophique et politique opposé à la discrimination spéciste, le spécisme est une idéologie condamnable. Un mouvement de libération animale est nécessaire pour mettre un terme à l'exploitation des animaux.
Peter Singer précise dans La Libération animale :
"Je soutiens qu'il ne peut y avoir aucune raison — hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur — de refuser d'étendre le principe fondamental d'égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces".
L'égalité que prône l'antispécisme concerne les individus, et non les espèces. Les intérêts des individus à vivre une vie heureuse, à ne pas souffrir doivent être pris en compte de manière égale, indépendamment de l'espèce de ces individus.
L'espèce peut intervenir, mais uniquement dans la mesure où il en résulte quelque caractéristique pertinente pour la détermination des intérêts. C'est pourquoi il est moins grave, écrit Singer, de donner une claque de même intensité à un cheval qu'à un bébé humain ; car la peau du cheval est plus épaisse que celle du bébé, et sa souffrance effective sera donc moindre.
Ainsi, les auteurs antispécistes ne prônent pas nécessairement une égalité de traitement ou une égalité des droits ; tout comme il serait absurde d'accorder, en l'état actuel des techniques biologiques à un homme le droit à l'avortement, il est absurde d'accorder à une poule le droit de fréquenter l'université.
Les différences de traitement ou de droits ne sont cependant justifiables qu'en fonction de caractéristiques individuelles, et non collectives. Si le mal qu'il y a à tuer un être dépend de la capacité qu'a cet être à se projeter dans l'avenir, thèse que défend Singer, il est plus grave de tuer un être humain adulte normal que de tuer une vache ; mais il est plus grave aussi de tuer une vache, qui possède cette capacité à un certain niveau, que de tuer un nouveau-né humain, qui ne la possède presque pas, en pratique, il est nécessaire de tenir compte aussi de la douleur éventuelle causée aux parents et aux proches, dans un cas comme dans l'autre.
L'antispécisme n'implique aucun discours sur les intérêts des espèces ; il n'apparaît pas du tout évident qu'une espèce, entité collective, ait en tant que telle un intérêt quel qu'il soit, y compris un intérêt à survivre. Ce sont les individus composant une espèce qui ont des intérêts.

Peter Singer est utilitariste, mais d'autres auteurs antispécistes rejettent l'utilitarisme, et se fondent sur des théories éthiques d'inspiration plus kantienne, Tom Regan, en particulier, et mettent en avant les droits des animaux. Paola Cavalieri, dans son article Combien les animaux comptent-ils ?, énumère cinq positions morales qui remettent en question la discrimination spéciste. De façon générale, cette remise en cause est principalement négative : quels que soient les fondements que l'on se donne pour une éthique, l'espèce, étant une simple caractéristique biologique, ne peut être une caractéristique pertinente, affirme-t-elle.

Biologie et théorie de l'évolution

La théorie de l'évolution infirme l'idée selon laquelle les humains auraient une essence ou une nature spéciale et différente des autres animaux. Plus généralement, la biologie nous apprend que la notion d'espèce est à la fois pauvre et floue : elle ne désigne qu'un pool génétique, un ensemble d'individus plus ou moins interféconds à un instant. Toute conception essentialiste de l'espèce est donc scientifiquement infondée.

Dans La descendance de l'homme, Darwin affirmait qu'il n'y avait qu'une différence de degré, et non de nature, entre les humains et les autres mammifères, tant au plan physique que mental.

"Néanmoins la différence entre l'esprit de l'Homme et celui des animaux supérieurs, aussi grande soit-elle, est certainement une différence de degré et non de nature. Nous avons vu que les sentiments et les intuitions, les diverses émotions et facultés, tels que l'amour, la mémoire, l'attention, la curiosité, l'imitation, la raison etc., dont l'Homme se fait gloire, peuvent se trouver à l'état naissant, ou même parfois bien développé, chez les animaux inférieurs ".
Le biologiste de l'évolution Richard Dawkins critique le spécisme dans L'horloger aveugle 1986 et The God Dellusion 2006, Pour en finir avec Dieu sur la base de la théorie de l'évolution. Il compare les attitudes racistes du passé avec les attitudes spécistes actuelles.
Dans un chapitre de L'horloger aveugle, intitulé "Le seul vrai arbre de la vie", il explique que la distinction que nous opérons entre les espèces n'est due qu'au fait que les formes intermédiaires sont mortes. Les êtres intermédiaires entre les humains et les chimpanzés, par exemple, sont tout simplement nos ancêtres et les leurs jusqu'à l'ancêtre commun entre nos deux espèces.
C'est parce que nous n'avons pas sous les yeux ces êtres intermédiaires que nous pouvons raisonner selon un "esprit discontinuiste" discontinuous mind et pratiquer un "double standard" moral : par exemple condamner, au nom de la morale chrétienne, l'avortement d'une seule cellule œuf humaine tout en acceptant la vivisection d'un grand nombre de chimpanzés adultes intelligents.

Au cours d'une discussion avec Peter Singer en 2007, Richard Dawkins avoue qu'il continue de manger de la viande et dit :
"C'est un peu la position qu'avaient beaucoup de gens il y a 200 ans à propos de l'esclavage.
Beaucoup se sentaient mal à l'aise mais continuaient de le pratiquer".
Le philosophe James Rachels estime que la théorie de l'évolution a pour implication éthique d'abandonner la morale traditionnelle, fondée sur la religion et l'essentialisme, et d'adopter une éthique fondée sur l'individualisme moral :

"Selon cette approche, la façon dont un individu doit être traité est déterminée, non pas en considérant son appartenance de groupe, mais en considérant ses propres caractères particuliers.
Si A doit être traité différemment de B, la justification doit reposer sur les caractéristiques individuelles de A et sur les caractéristiques individuelles de B. On ne peut justifier de les traiter différemment en faisant valoir que l'un ou l'autre est membre d'un groupe privilégié ".

Arguments en faveur du spécisme

Les arguments en faveur du spécisme se fondent principalement sur des croyances religieuses, des conceptions philosophiques anthropocentriques et le concept de loyauté au groupe ici l'espèce.

Arguments religieux

Certaines traditions religieuses affirment que les animaux ont été créés à l’usage de l’Homme, et qu’à l’inverse les humains sont des créatures spéciales. Par exemple, les religions abrahamiques enseignent que l’Homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, contrairement aux animaux qui ont été créés pour servir l’Homme.
"Puis Dieu dit: "Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer et sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre". Genèse 1:26"
Bien que le bouddhisme reconnaisse aux animaux un statut moral d’êtres sensibles et bien que Bouddha ait prôné le végétarisme, le bouddhisme procède à une hiérarchie des êtres, certains étant plus avancés que d’autres dans le cycle des réincarnations.
Les animaux peuvent se réincarner en êtres humains, les humains peuvent être rétrogradés en animaux dans leur prochaine vie s’ils se sont mal comportés, et seuls les humains peuvent atteindre directement l’illumination les animaux devant d’abord se réincarner en humains.
Voir Réincarnation dans le bouddhisme.
On retrouve cette conception de progression dans les réincarnations dans l'hindouisme. Certains hindous sont végétariens, avec un profond respect pour les vaches en particulier représentant la terre/mère, la figure centrale.

Anthropocentrisme

La défense philosophique du spécisme est l’anthropocentrisme. Elle se fonde sur l’idée que les humains, et les humains seuls, possèdent des capacités mentales moralement pertinentes, comme la raison, le langage, l’autonomie, l’intelligence, etc. Traditionnellement, depuis Aristote, il s’agit de la raison, de la conscience de soi et de la capacité à agir moralement qui sont considérées comme exclusives à l'espèce humaine.
Les auteurs antispécistes répondent à la conception anthropocentrique de l’éthique de trois façons:

Il n’y a pas toujours de lien logique entre la capacité en question et le statut moral.
Par exemple, ils s'interrogent sur la raison pertinente qui ferait accorder moins d’importance aux intérêts, aux droits, à la dignité d’un individu au motif qu’il est moins intelligent qu’un autre. Ils considèrent que la souffrance d’un être ne devrait pas être ignorée au motif qu’il n’est pas un agent moral.
L’éthologie nous apprend que de nombreux animaux possèdent, à des degrés divers, les capacités en question. Les primates, par exemple, sont des individus sociaux intelligents, doté d’une vaste gamme d’émotions, ayant une conscience de soi. Ils sont capables de comprendre la réciprocité, l’équité, et d’agir selon des motivations morales ou proto-morales, empathie, sympathie, sollicitude
Il existe des humains qui sont dépourvus de ces capacités, ou les possèdent à un degré moindre que certains animaux, tels que les nouveaux-nés, les handicapés mentaux profonds, les séniles.
Il s'agit de l’argument des cas marginaux, qui consiste à soutenir que si nous accordons de la considération morale à ces humains, la même considération morale doit être accordée aux animaux non humains dotés des mêmes capacités ou de capacités supérieures.
Ces trois points permettent ainsi d'ouvrir un débat sur le positionnement anthropocentrique. On peut par exemple penser au cycle de l'élévation de David Brin qui introduit un monde où les chimpanzés, les dauphins, les gorilles et les chiens sont reconnus comme des êtres conscients doués d'autonomie et égaux aux humains dans les limites de l'oeuvre de fiction.

La préférence pour le groupe

Plusieurs auteurs ont affirmé que les humains ont un devoir de préférence envers leur espèce et que ce devoir fondait le spécisme.
Singer a répondu à cet argument qu’en toute logique cette préférence envers le groupe s'applique à tous les groupes auxquels nous appartenons : le groupe ethnique, la caste, le sexe, la nation, etc., et qu’en conséquence si nous acceptions l’argument de la préférence envers le groupe, nous devrions accepter qu’un individu pratique, voire ait le devoir de pratiquer, des discriminations en faveur de son propre sexe, groupe ethnique, groupe religieux, etc. nous devrions alors accepter et encourager le népotisme, le tribalisme, le nationalisme, etc. Le principe de préférence envers le groupe "espèce humaine" serait donc contraire au principe d'égale considération des intérêts défendu par Singer et contraire à l'universalisme (qui inspire par exemple la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Films abordant le sujet du spécisme
The Animals Film 1981
Enemy Mine 1985
Futur immédiat, Los Angeles 1991 1988
Star Trek 6 : Terre inconnue 1991
La Belle Verte 1996
A Cow at My Table 1998
Meet Your Meat 2005
Earthlings 2005
Behind the Mask 2006
District 9 2009
Peaceable Kingdom : The Journey Home 2009
The Cove 2009
Speciesism : The Movie 2013

Antispécisme

Mouvement philosophique et politique de lutte contre le spécisme. Pour la discrimination elle-même.
L'antispécisme est un mouvement datant des années 1970, qui affirme que l'espèce à laquelle appartient un être n'est pas un critère moral pertinent pour décider de la manière dont on doit le traiter et des droits qu'on doit lui accorder. L'antispécisme s'oppose à l'humanisme qui place l'espèce humaine avant toutes les autres, à la maltraitance, mais aussi à l'exploitation et à la consommation des animaux par les êtres humains.

Le mot spécisme, speciesism en anglais a été introduit en 1970 par le Britannique Richard Ryder et repris en 1975 par le philosophe utilitariste Peter Singer.

Définition du spécisme et de l'antispécisme

Le spécisme ou espécisme est défini comme une forme de discrimination concernant l'espèce, mise en parallèle avec toutes les formes de domination d'un groupe sur un autre comme le racisme discrimination concernant la race ou le sexisme,discrimination concernant le genre.
En pratique, selon l'antispécisme, cette idéologie justifie et impose l’exploitation et l’utilisation des animaux par les humains de manières qui ne seraient pas acceptées si les victimes étaient humaines.
Les animaux sont élevés et abattus pour nous fournir de la viande ; ils sont pêchés pour notre consommation ; ils sont utilisés comme sujets d'expérimentation pour nos intérêts scientifiques ; ils sont chassés pour notre plaisir sportif
Ainsi, selon l'antispécisme, le spécisme est une idéologie condamnable, et un mouvement de libération animale est nécessaire pour ajuster les pratiques humaines avec les progrès actuels du Zeitgeist.

Peter Singer précise, dans son livre La Libération animale :

Je soutiens qu'il ne peut y avoir aucune raison — hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur — de refuser d'étendre le principe fondamental d'égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces.
L'égalité que prône l'antispécisme concerne les individus, et non les espèces. Les intérêts des individus, à vivre une vie heureuse, à ne pas souffrir doivent être pris en compte de manière égale, indépendamment de l'espèce de ces individus. L'espèce peut intervenir, mais uniquement dans la mesure où il en résulte quelque caractéristique pertinente pour la détermination des intérêts.
C'est pourquoi il est moins grave, écrit Singer, de donner une claque, de même intensité à un cheval qu'à un bébé humain ; car la peau du cheval est plus épaisse que celle du bébé, et sa souffrance effective sera donc moindre.

Ainsi, les auteurs antispécistes ne prônent pas nécessairement une égalité de traitement ou une égalité des droits ; tout comme il serait absurde d'accorder à un homme mâle le droit à l'avortement, il est absurde d'accorder à une poule le droit de fréquenter l'université.
Les différences de traitement ou de droits ne sont cependant justifiables qu'en fonction de caractéristiques individuelles, et non collectives. Si le mal qu'il y a à tuer un être dépend de la capacité qu'a cet être à se projeter dans l'avenir, thèse que défend Singer, il est plus grave de tuer un être humain adulte normal que de tuer une vache ; mais il est plus grave aussi de tuer une vache, qui possède cette capacité à un certain niveau, que de tuer un nouveau-né humain, qui ne la possède presque pas, en pratique, il est nécessaire de tenir compte aussi de la douleur éventuelle causée aux parents et aux proches, dans un cas comme dans l'autre.
L'antispécisme n'implique aucun discours sur les intérêts des espèces ; il n'apparaît pas du tout évident qu'une espèce, entité collective, ait en tant que telle un intérêt quel qu'il soit, y compris un intérêt à survivre.
L'antispécisme ne s'offusque pas particulièrement de la disparition d'une espèce ; l'intérêt à vivre de la dernière baleine bleue n'est pas plus important que celui de chacun des centaines de millions de poulets qui sont abattus chaque jour.

Peter Singer est utilitariste, mais d'autres auteurs antispécistes rejettent l'utilitarisme, et se fondent sur des théories éthiques d'inspiration plus kantienne Tom Regan, en particulier, et mettent en avant les droits des animaux.
Paola Cavalieri, dans son article Combien les animaux comptent-ils ?, énumère cinq positions morales qui remettent en question la discrimination spéciste. De façon générale, cette remise en cause est principalement négative : quels que soient les fondements que l'on se donne pour une éthique, l'espèce, étant une simple caractéristique biologique, ne peut être une caractéristique pertinente, affirme-t-elle.

Aspects culturels

Les antispécistes réservent la plupart de leurs critiques à la culture de l' anthropocentrisme qu'ont formulé certains théologiens chrétiens. En effet, le dogme selon lequel l'Homme est créé à l'image de Dieu fait homme, Jésus, est en contradiction directe avec la doctrine antispéciste de l'égalité en dignité des espèces.
Pour un chrétien, les autres espèces ont été créées par Dieu pour servir à l'Homme : même si elles méritent le respect que leur confère le statut de créatures de Dieu, elles restent inférieures et n'ont pas droit au Salut, ni aux sacrements, etc.
Néanmoins, si l'on tient compte de la Bible hébraïque originelle, dénuée d'interprétations catholiques ou anthropocentristes, le Dieu chrétien s'est fait homme pour les seuls hommes, interprétations influencées par les Pères de l'Église adeptes de la métempsycose, lié au manichéisme, au pythagorisme, à Empédocle, au pharisaïsme, par l'influence du néoplatonisme qui instille une rupture entre l'homme et les autres créatures, et par les rapprochements métaphoriques entre les démons et les bêtes, le serpent du Péché originel fut assez tardivement identifié au diable, ce que la Genèse ne faisait pas, on remarquera, alors, que, dans le judaïsme primitif, la domination sur les poissons et les oiseaux par un Adam végétarien et ses successeurs n'est que de l'ordre du concept et non de la pratique, le titre de souverain des animaux n'étant qu'honorifique, la Genèse n'indiquant nulle part qu'ils ont besoin d'être dirigés ou qu'ils doivent l'être pour accomplir leur destinées, animaux qui d'ailleurs louent à leur manière Dieu Psaumes, CXLVIII:.
Certaines religions ou cultures majeures paraissent se rapprocher de l'antispécisme.
La croyance en la réincarnation dans l'hindouisme, qui est plus une culture avec des courants religieux en son sein, soit liés au shivaïsme, au vishnouïte, shaktisme, etc, le jaïnisme et le bouddhisme amène à proscrire la consommation des animaux et à éviter autant que possible de les tuer, de les faire souffrir. La notion d'être sensible, qui, quelle que soit l'espèce à laquelle il appartient, est centrale dans l'hindouisme, le bouddhisme et le jaïnisme.
C'est parce que tous les animaux sont dotés de cette âme commune, principe vital commun à tout être vivant, même vouloir vivre selon le philosophe Arthur Schopenhauer qu'il convient de ne pas, les blesser, les tuer, voir à hindouisme et non-violence. Tous les textes sacrés, qu'ils soient hindous, bouddhiste ou jaïn, enseignent le respect envers toutes les créatures vivantes (notion de l'ahimsa comme valeur suprême, norme sociale, politique, et idéal le plus élevé.

Ahimsâ.

Dans l'hindouisme, le jaïnisme et de manière générale dans les religions et philosophies indiennes (bouddhisme, ayyavazhi), la séparation entre humanité et animalité n'est pas en conséquence une séparation de nature mais une différence de degré.

Selon l'hindouisme, les animaux possèdent le sourire, le rire, les pleurs, etc., comme le démontre ce chant du poète vishnouite Toukaram :

" Je ne pouvais plus mentir, donc j'ai commencé à appeler mon chien : Dieu. D'abord il m'a regardé, embarrassé ! Alors il a commencé à sourire, alors il a même dansé ! Je l'ai gardé auprès de moi : maintenant il ne mord même plus ! Je me demande si ceci pourrait marcher sur les gens? "
Pour la branche philosophique du Mimamsa, les animaux ont néanmoins plus de tamas inconscience que l'homme, d'où leur innocence, ce qui les rapproche des jeunes enfants.
Cependant, tous les philosophes hindous s’accordent à reconnaître à l’animal les mêmes capacités de perception et de raisonnement par inférence qu’à l’homme8 : c’est essentiellement l’inaptitude au rite védique ou à transcender le rite karma qui fait de l’animal un être non-humain, résultat de ses actes antérieurs, fautes commises dans une vie humaine : c'est d'ailleurs aussi l'absence de pratique rituelle qui fait l'unique différence essentielle entre les divinités et les hommes les animaux et les dieux ont ainsi un point commun, celui de ne pas faire de rite, ce qui est la seule chose qui les distingue réellement de l'humanité. Du point de vue hindou, il n'y a donc pas de séparation nette entre humanité et animalité ; d'ailleurs, les " dernières des créatures" ne sont ni les végétaux ni les animaux selon les lois de Manu, mais les hommes cruels, rudes, appelés démons.
Dans le monde chinois, selon les perspective du taoïsme et du confucianisme il n'y a pas de séparation nette entre humanité et animalité non plus, pas de séparation de nature, mais différence de degré aussi, animaux et humains étant en réalité interdépendants ; ainsi les ouvrages confucianiste de l'antiquité déclarent :
"Qu'il n'y a pas de différence entre l'homme ordinaire et l'animal, que tous sont des enfants de la Nature, et cela implique une sorte de fraternité. Mais les mêmes textes précisent aussi que seul l'homme éclairé se distingue de la bête. "
— Danielle Elisseeff, Le rapport homme/animal quelques vérités premières à lasource des croyances chinoises, in Si les lions pouvaient parler, essais sur la condition animale, sous la direction de Boris Cyrulnik, p.1484
Le confucianisme met aussi en cause une certaine perception chinoise du sens de la vie pour toute créature, et considère comme une erreur le fait de donner une définition d'un propre de l'homme pour l'humanité :

"Dans les faits, la position confucéenne encourage l'établissement d'une sorte de correspondance entre la manière dont une civilisation considère les animaux, et celle dont ses élites traitent les hommes réputés ordinaires, ceux qui n'ont ni la primauté du savoir, ni la primauté du pouvoir.
C'est pourquoi, et quoi qu'en disent certains observateurs de la société chinoise qui tendent à considérer les rapports homme-animal comme un non-sujet, rien n'est, en fait, plus révélateur de ce qui peut arriver à l'homme simple dont l'Etat aura besoin demain, comme un prince en appétit réclame un ragoût. Si l'animal en Chine est un non-sujet, c'est peut-être que le même danger menace le citoyen ordinaire."

— Danielle Elisseeff, Le rapport homme/animal quelques vérités premières à lasource des croyances chinoises, in Si les lions pouvaient parler, essais sur la condition animale, sous la direction de Boris Cyrulnik, p.1484
La consommation d'aliments d'origine animale est un élément central du régime alimentaire de la majorité des populations humaines[réf. nécessaire]. Dans presque toutes les cultures, l'Homme considère comme normal d'exploiter ou de tuer des individus d'autres espèces[réf. nécessaire], parce qu'elles sont considérées tantôt comme profitables, tantôt comme nuisibles. Enfin, de nombreuses cultures pratiquaient des sacrifices animaux et humains. Le militantisme antispéciste recherche une véritable révolution morale, un changement radical de la manière de penser.

Pratique de l'antispécisme

L'individu qui pratique les principes antispécistes considère généralement qu'il doit suivre un régime végétarien, voire végétalien. La personne peut aussi décider d'éviter toute matière de provenance animale, comme le cuir, la laine ou la soie, et les remplacer par des matières végétales ou synthétiques végane.

Sources théoriques et philosophiques de l'antispécisme

Claude Lévi-Strauss en 2005 :
La critique antispéciste correspond de manière plus large à celle du posthumanisme, qui a connu un développement certain avec les sciences sociales qui puisent leur source dans la pensée rousseauiste et dont Claude Lévi-Strauss est, par exemple, le plus illustre représentant :

"C'est maintenant ... qu'exposant les tares d'un humanisme décidément incapable de fonder chez l'homme l'exercice de la vertu, la pensée de Rousseau peut nous aider à rejeter l'illusion dont nous sommes, hélas ! en mesure d'observer en nous-mêmes et sur nous-mêmes les funestes effets.
Car n'est-ce-pas le mythe de la dignité exclusive de la nature humaine qui a fait essuyer à la nature elle-même une première mutilation, dont devrait inévitablement s'ensuivre d'autres mutilations ?
On a commencé par couper l'homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru ainsi effacer son caractère le plus irrécusable, à savoir qu'il est d'abord un être vivant. Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ libre à tous les abus.
Jamais mieux qu'au terme des quatre derniers siècles de son histoire l'homme occidental ne put-il comprendre qu'en s'arrogeant le droit de séparer radicalement l'humanité de l'animalité, en accordant à l'une tout ce qu'il refusait à l'autre, il ouvrait un cercle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d'autres hommes, et à revendiquer au profit de minorités toujours plus restreintes le privilège d'un humanisme corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l'amour-propre son principe et sa notion."

— Claude Lévi-Strauss, Anthropologie Structurale Deux 1973, p.53 :
Critique philosophique du terme Animal et du" propre de l'homme"
En parallèle avec l'antispécisme, le terme animal, au singulier, est rejeté par le philosophe français Jacques Derrida dans sa généralité, – parce qu'il est une simplification conceptuelle vue comme un premier geste de répression violente à l'égard des animaux de la part des hommes, et qui consiste à faire une césure totale entre l'humanité et l'animalité, et un regroupement tout aussi injustifié entre des animaux qui demeurent des vivants radicalement différents les uns des autres, d'une espèce à une autre :

" Chaque fois que on dit L'Animal , chaque fois que le philosophe, ou n'importe qui, dit au singulier et sans plus L'Animal, en prétendant désigner ainsi tout vivant qui ne serait pas l'homme ..., eh bien, chaque fois, le sujet de cette phrase, ce on, ce je dit une bêtise. Il avoue sans avouer, il déclare, comme un mal se déclare à travers un symptôme, il donne à diagnostiquer un je dis une bêtise. Et ce je dis une bêtise devrait confirmer non seulement l'animalité qu'il dénie mais sa participation engagée, continuée, organisée à une véritable guerre des espèces."

L'Animal que donc je suis, Jacques Derrida.

Ainsi, dans son dernier ouvrage, L'Animal que donc je suis, le philosophe français Jacques Derrida conçoit la question de l'animal comme une réponse à la question du propre de l'homme , et a mis en doute la capacité à ce dernier d'être en droit de se faire valoir toujours aux dépens de l'animal, alors qu'il semble bien que ce réflexe conceptuel soit, par essence, un préjugé, et non le fruit d'un raisonnement philosophique garant de ce droit :

"Il ne s'agit pas seulement de demander si on a le droit de refuser tel ou tel pouvoir à l'animal parole, raison, expérience de la mort, deuil, culture, institution, technique, vêtement, mensonge, feinte de la feinte, effacement de la trace, don, rire, pleur, respect, etc. – la liste est nécessairement indéfinie, et la plus puissante tradition philosophique dans laquelle nous vivons a refusé tout cela à l'animal, il s'agit aussi de se demander si ce qui s'appelle l'homme a le droit d'attribuer en toute rigueur à l'homme, de s'attribuer, donc, ce qu'il refuse à l'animal, et s'il en a jamais le concept pur, rigoureux, indivisible, en tant que tel."

— L'Animal que donc je suis p. 185, Jacques Derrida.
Antispécisme et humanisme

La morale antispéciste peut être perçue soit comme une généralisation au-delà des frontières de l'espèce humaine de l'humanisme, donc une sorte d'universalisme de la compassion ; soit comme un anti-humanisme, dans le sens où elle refuse à l'être humain une essence qui le placerait au-dessus des autres animaux par exemple, dans la culture hindoue, contrairement à la culture chrétienne, l'humanité a une différence de degré avec les autres animaux, non de nature.

Liens
http://youtu.be/PDp9frzUJhU La révolution égalitariste
http://youtu.be/n9Nhaa-QXPc les thèses du philosophe
http://youtu.be/UHzwqf_JkrA Conférence ( anglais)
http://youtu.be/gMZvIZEO1E0 Les droits des animaux
http://youtu.be/M2ZIIwRgqv4 Distinction humain/animal


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Posté le : 05/07/2014 23:13

Edité par Loriane sur 06-07-2014 15:38:34
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Nicolas Antoine Lebègue
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Le 6 juillet 1702, à Paris, meurt Nicolas-Antoine Lebègue,

né à Laon en 1631, compositeur, organiste et claveciniste français
La jeunesse et la formation de Lebègue qui est apparenté aux peintres Le Nain sont mal connues.
Venu de bonne heure à Paris, il y fut marqué par Champion de Chambonnières.
Il s'établit à Paris vers 1656, et est nommé organiste titulaire de l'église Saint-Merry en 1664, poste qu'il occupe jusqu'à sa mort. Sa renommée est grande, en tant qu'interprète, compositeur et professeur il a pour élèves notamment Geoffroy, Grigny, d'Agincourt, probablement Jullien et d'autres comme Pierre Dandrieu. Il est nommé en 1678 l'un des quatre organistes de la Chapelle Royale, avec Nivers, Buterne et Thomelin.

Hautement estimé par Louis XIV, il fut nommé organiste de la Chapelle royale en 1678.
Son autorité en matière de facture d'orgues le fit appeler en expertise dans la France entière. Il a également été un professeur recherché, comptant parmi ses élèves d'Agincourt, Geoffroy et surtout Grigny.
Compositeur, Lebègue fut l'un des plus féconds de son temps. Ses deux livres de clavecin et ses trois livres d'orgue nous sont tous parvenus.
Le Premier Livre d'orgue en 1676, destiné aux virtuoses, est son chef-d'œuvre, les deux autres étant écrits pour ceux qui n'ont qu'une science médiocre.
Ces livres réunissent des suites, des noëls, des offertoires, des élévations, des versets de magnificat et des pièces de concert. Créateur d'un talent modeste, Lebègue n'en est pas moins le premier à avoir écrit dans les formes qui allaient être cultivées par tous les organistes des générations suivantes : récits, duos, trios, basses et dessus de trompette, de cornet ou de cromorne.
Il a également donné de très nombreuses et précises indications d'exécution et de registration, dans des mélanges souvent nouveaux, indications qui, grâce à la diffusion de ses œuvres imprimées, ont contribué à informer les organistes de province.

Œuvre

À l'orgue instrument avec lequel il est très attentif à la registration comme au clavecin, Lebègue intègre les nouveautés de style, inaugure ou met au point et organise les formes musicales. Il inaugure ainsi, avec Nivers, le genre de la suite pour orgue. Il serait le premier à écrire des solos de Tierce en taille, c'est-à-dire la mélodie ornementée est confiée à la main gauche de l'exécutant, alors que la main droite joue l'accompagnement harmonique sur un autre clavier avec une registration douce et que les pieds assurent la basse sur les Flustes.

Pour le clavecin, il est le premier à utiliser le terme de suite et à inclure des préludes non mesurés dans des recueils imprimés, en s'efforçant d'expliquer la manière de les jouer.

Son œuvre comprend :

trois livres d'orgue :
1676 : Premier livre des pièces d'orgues... avec les varietez, les agréements et la manière de toucher l'orgue à présent sur tous les jeux, et particulièrement ceux qui sont peu en usage dans les provinces comme la tierce et cromorne en taille... : 8 suites pour orgue dans les 8 tons ecclésiastiques; réédité chez Lesclop, à Paris, en 1682, avec quelques modifications à l'ornementation en particulier.
1678 : Second livre d'orgue de Monsieur Le Begue,... contenant des pièces courtes et faciles sur les huit tons de l'Eglise et la Messe des festes solemnelles : 1 messe et versets de Magnificat dans les 8 tons ecclésiastiques; réédité chez Lesclop, à Paris, en 1682.
1685 : Troisième livre d'orgue... contenant des grandes offertoires et des Elevations ; et tous les Noëls les plus connus, des simphonies et les cloches que l'on peut jouer sur l'orgue et le clavecin : 10 offertoires, 4 simphonies, 9 noëls variés, les Cloches, 8 élévations.
N. B. 16 des pièces d'orgue de Lebègue ont été identifiées parmi les 398 pièces anonymes contenues dans le Livre d'Orgue de Montréal.
deux livres de pièces de clavecin 1677 et 1687. Ces œuvres connaissent une diffusion dans toute l'Europe et deux de ses suites ont été faussement attribuées à Buxtehude.
un livre de motets pour voix et basse continue 1687
une hymne 1698
Il est également l'auteur d'une Méthode pour toucher l'orgue :
École française de clavecin
École française d'orgue
Noël varié

L'Orgue

Premier en date des instruments mécanisés, l'orgue est une machine qui suit, au cours d'une histoire de vingt-trois siècles, le progrès des techniques en matière de soufflerie, d'acoustique, de transmission de mouvements, d'électricité, d'électronique, d'informatique. Cette mécanisation entraîne une qualité particulière du son organal : alors que s'épuise le souffle du flûtiste, que s'éteint la percussion de la timbale, que meurt la vibration de la corde pincée ou frottée, le son du tuyau d'orgue vainc à volonté la durée, égal à lui-même.

Grandes orgues

Premier instrument naturellement polyphonique, avant le luth ou tous les claviers à cordes, l'orgue a joué un rôle irremplaçable dans l'histoire de la musique occidentale, dont il est, aussi bien par la combinatoire de sa structure mécanique que par ses ressources en matière de multiplication des voix, l'un des instruments caractéristiques. L'organiste, véritable chef de chœur, maîtrise un ensemble complexe de registres, de claviers, de pédales ; son corps, divisé en de multiples actions, demeure toutefois un dans les mouvements qu'il ordonne.

Premier orchestre avant l'orchestre par son plein-jeu inimitable, l'orgue imite cependant les instruments de chaque époque où il vit, non sans modeler leur voix à sa mesure pour qu'ils sonnent, transfigurés, dans un univers sonore régi par ses lois. Trompettes et clairons, bombardes et cromornes, violes de gambe et clarinettes, flûtes et cornets redisent assez les sources de son inspiration.
Premier grand instrument collectif parce que fonctionnel, pendant dix siècles la liturgie chrétienne occidentale l'a privilégié. Il a pénétré au concert surtout depuis la fin du XVIIIe siècle. Habituellement, l'orgue est pris en charge par une église, un monastère, une chapelle royale ou princière, une municipalité, une région qui, seuls, peuvent engager les frais nécessaires à sa construction dès lors qu'il dépasse certaines dimensions.
Mystérieux pour le profane ignorant de sa facture, inépuisable trésor de recherches pour l'organologue, l'orgue est ordinairement caché derrière un buffet accroché dans la nef des églises, et l'organiste, la plupart du temps invisible, commande à des voix légères ou majestueuses, douces ou fracassantes, à la marche lente ou la plus véloce, dans l'unicité d'une mélodie soliste ou dans la plénitude d'accords somptueux de timbres et de parties.
Du portatif, guide-chant discret à l'esprit mélodique, ou de l'antique hydraule, puissante voix du cirque romain, aux superbes trente-deux-pieds à cinq ou six claviers, en passant par les régales et les positifs d'appartement, rivaux des clavecins, épinettes ou clavicordes, l'orgue définit un genre que divisent des espèces, elles-mêmes riches de toute la diversité individuelle, car, en rigueur, tel un visage, il connaît peu de sosies et, plus que tout autre instrument, il répugne à la production en série.
Du fait de son obéissance aux lois de l'acoustique qu'il reflète structurellement, l'orgue est ouvert aux évolutions esthétiques les plus inattendues. Il demeure lui-même dans le rigide diatonisme à tempérament égal ou inégal, comme dans les souples échelles infratonales, qu'il accepte sans renier ses principes de facture. Le plus traditionnel ou le plus moderne, soufflant un son pâle à la limite de la « neutralité » ou débordant de bruissements harmoniques dans les clusters sur plein-jeu de la musique contemporaine, tel est l'orgue. Le champ esthétique né avec l'hydraulicien Ctésibios d'Alexandrie, au IIIe siècle avant J.-C., n'a pas encore atteint les limites de son expansion.

Structure physique

Une description sommaire de l'orgue, véritable microcosme, distinguerait :

 Un corps et un visage,

soit le buffet et ses tuyaux de montre, ceux qui sont montrés en façade.
Chaque orgue présente ainsi une physionomie propre. Dans l'orgue classique, un simple regard sur la disposition architectonique du buffet laisse souvent deviner la composition probable de l'instrument, car une loi organique préside à sa construction Werkprinzip. On reconnaît par exemple un huit-pieds, un seize-pieds ou un grand seize-pieds à la hauteur de la montre du grand-orgue.
Les organiers utilisent toujours l'ancienne longueur du pied, 32 cm environ ; symbole
Le buffet joue aussi un rôle certain comme caisse de résonance et source orientée du son.

– Un système respiratoire,


la soufflerie. Le soufflet, alimenté aujourd'hui par l'air provenant d'un ventilateur électrique, porte le vent d'où le nom de porte-vent donné aux conduits d'alimentation dans les sommiers, coffres hermétiques qui contiennent l'air sous pression et sur lesquels sont disposés les tuyaux.

–[size=SIZE] Un système musculaire,
[/size]
transmettant le mouvement du doigt ou du pied de l'organiste, depuis la touche des claviers manuels ou du pédalier jusqu'à la soupape, à l'intérieur du sommier. La transmission mécanique comporte un ensemble articulé, l'abrégé – car il réduit la longueur du sommier à celle des claviers, dom Bedos de Celles, composé de rouleaux horizontaux et de vergettes verticales ; par ce mécanisme, chaque touche meut directement une soupape placée dans un plan vertical éloigné du sien. Il n'est pas toujours possible en effet de construire une transmission mécanique directement suspendue au-dessus des claviers en bout des touches, même si celle-ci demeure la plus fidèle pour transmettre les moindres inflexions expressives du musicien. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, de nouveaux systèmes de transmission furent proposés : mécanique avec soufflet Barker, pneumatique-tubulaire, enfin électro-pneumatique, électrique. Tous causent une rupture, établissent un relais dans la transmission et les avantages permis multiplication sans retenue des jeux, commande à grande distance, augmentation des pressions... ne pallient pas cet inconvénient, que l'électronique et l'informatique permettent cependant d'atténuer : l'organiste ne fait plus corps avec son instrument, et les soupapes s'ouvrent et se ferment toujours de la même façon, dépersonnalisant le jeu d'autant.

– Un système nerveux et cérébral, la console.

Elle comprend les claviers, habituellement de 56 à 61 notes pour les manuels, d'une trentaine pour le pédalier), les boutons de registres correspondant aux différents timbres ou jeux, les pédales de combinaison et d'accouplement d'un clavier sur l'autre et de ceux-ci sur le pédalier tirasses, et, éventuellement, des combinaisons fixes ou libres de registrations préparées à l'avance. Sur les orgues romantiques et modernes, on peut rencontrer une ou plusieurs pédales, commandant l'ouverture des jalousies de la boîte dans laquelle sont enfermés les jeux des claviers expressifs. L'organiste, assis à la console, compose les timbres, les marie pour équilibrer les plans sonores de même couleur ou pour opposer franchement les voix les unes aux autres.

– Le système vocal, enfin, l'ensemble essentiel, se compose de tuyaux dont le nombre va d'un seul rang, comprenant autant de tuyaux qu'il y a de touches, à des dizaines de rangs, soit des milliers de tuyaux. Un orgue d'une cinquantaine de jeux en possède environ trois mille. À chaque jeu correspond un bouton de registre, placé à la console, à portée de l'organiste.

Structure sonore
L'orgue est un instrument à sons fixes ; comme tel, il est déjà lui-même une composition à interpréter, c'est-à-dire un lieu de possibles sonores, divisés en éléments ordonnés selon des lois physiques et esthétiques.

Les tuyaux et la distribution des jeux

Eu égard à leur forme extérieure et à leur principe de fonctionnement, il y a deux catégories de tuyaux d'orgue : les tuyaux à bouche et les tuyaux à anche. Dans les premiers, le son est produit comme il l'est dans une flûte à bec. Le tuyau se compose d'un pied par où pénètre l'air qui va frapper contre le biseau ; par la lumière, interstice entre le biseau et la lèvre inférieure, ce pied conduit l'air contre la lèvre supérieure, mettant alors en vibration l'air contenu à l'intérieur du corps du tuyau. La hauteur du son résulte de la longueur de la colonne d'air en vibration à l'intérieur du corps de résonance. Si le tuyau est bouché, les facteurs l'appellent un bourdon, le son émis correspond à celui d'un tuyau ouvert deux fois plus long. Ainsi un bourdon d'une longueur de quatre pieds, on écrit : 4′ émet un son d'une hauteur correspondant à celle d'un 8′ ouvert ; on dit que ce bourdon sonne en 8′. Enfin, les qualités harmoniques du son ne sont pas les mêmes, dans l'un et l'autre cas.

Dans les jeux d'anche, une fine lamelle de laiton, languette bat contre l'anche canal de cuivre en forme de gouttière s'enfonçant dans le noyau de plomb qui le réunit au corps de résonance conique ou cylindrique ; une tige de fer, rasette permet de raccourcir ou d'augmenter la longueur de la lamelle vibrante et de déterminer ainsi avec précision la hauteur du son.

Les tuyaux à bouche sont en métal, les alliages d'étain et de plomb – étoffe – sont les meilleurs, parce que plus faciles à travailler, et aux qualités sonores éprouvées ; on rencontre des tuyaux en zinc, en cuivre, en fer blanc, en aluminium... ou en bois, les tuyaux sont de section carrée et conviennent surtout aux bourdons et aux flûtesl'opinion de quelques physiciens, la nature et la qualité du métal d'un jeu d'orgue influent sur sa sonorité. Les pleins-jeux construits en fort pourcentage d'étain sonnent plus clairement et ont un timbre plus brillant que les mêmes fabriqués en spotted, alliage à 50 p. 100 d'étain et de plomb.
Les jeux se distribuent sur un ou plusieurs claviers. Quand l'orgue est monoclaviculé, un positif d'appartement par exemple, on sépare souvent les basses des aigus, coupure pratiquée en général entre si 2 et ut 3 ou entre ut 3 et ut dièse 3, ce qui offre des possibilités instrumentales accrues ; par exemple, une voix qui chante dans les dessus peut être accompagnée dans le grave par un timbre différent.
À deux claviers, on rencontre habituellement soit grand-orgue et positif, orgue classique, soit grand-orgue et récit (orgue romantique). Le grand-orgue, ou clavier principal, groupe habituellement les jeux les plus nombreux, les mixtures (cf. La synthèse des principaux : le grand plein-jeu) les plus fournies et les plus graves, les anches les plus puissantes. Le positif contient des jeux de même nature que ceux du grand-orgue, mais plus fins, plus légers. Il est le clavier par excellence de la plus haute vélocité. Au Moyen Âge, dès le Xe siècle environ, le positif était un petit orgue transportable, quoique de dimensions plus importantes que le portatif. On le posait sur table ou bien il se présentait sur pieds. Par la suite, il fut annexé au grand-orgue de tribune. Habituellement, dans l'orgue classique, il est situé dans le dos de l'organiste positif dorsal, tandis que les jeux du grand-clavier dominent la console en fenêtre (ainsi nommée parce qu'elle s'ouvre dans le buffet telle une fenêtre dans une cloison). Un positif peut aussi être logé dans le grand corps (positif de poitrine, Brustwerk), sous le sommier du grand-orgue, écho. Enfin, s'il est érigé tout en haut du buffet, au-dessus de tous les autres sommiers, il se nomme positif de couronne (Kronwerk).

Le récit, autrefois simple dessus de clavier avec basses muettes, faisait chanter – réciter – le seul cornet, en général à partir d'ut 3, puis quelques jeux solistes, hautbois, trompette. Un autre clavier de dessus prenait le nom d'écho, accueillant quelquefois, outre les trois jeux de récit nommés à l'instant, un petit plein-jeu et ses fondamentales, bourdon 8′, prestant 4′. On a construit des orgues à deux claviers avec grand-orgue et écho ; à trois claviers, grand-orgue, positif et écho. Un cinquième clavier, au XVIIIe siècle, s'intercale parfois entre le grand-orgue et le récit : le clavier de bombarde. Il comprend avant tout une batterie d'anches quand ce n'est pas la bombarde seule, qui vient renforcer le grand-jeu de l'orgue.
Au cours du XIXe siècle, le récit devient un clavier complet. Il change radicalement de fonction, en recevant les jeux romantiques, tels que les violes de gambe, les flûtes harmoniques, les salicionaux, la voix céleste, des jeux d'anches nouveaux (basson, clarinette, cor anglais, trompettes harmoniques). Ces jeux sont enfermés dans une boîte expressive, laquelle, munie de jalousies manœuvrables depuis la console, fait varier l'intensité du son. Peu à peu, l'esthétique romantique s'est emparée de tous les claviers. Le positif dorsal a disparu pour entrer dans le grand corps, où il devint lui aussi expressif. Les mixtures et les tierces sont supprimées, au bénéfice des jeux de huit pieds qui envahissent l'orgue, kéraulophones, stentorphones, diapasons anglais à la manière de Robert Hope-Jones – 1859-1914 –, parlant sur des pressions de plus en plus élevées.
Quel que soit le talent d'Aristide Cavaillé-Coll de 1811-1899, Saint-Denis, Saint-Sulpice, La Madeleine, Sainte-Clotilde, ses successeurs directs et les organiers de la fin du XIXe et du début du XXe siècle conduisirent l'esthétique symphonique dans une impasse cf. infra l'exemple de Woolsey-Hall ; en France, la réaction amorcée par Alexandre Guilmant, Albert Schweitzer, Jean Huré, Paul Brunold aboutit, dans les années 1930, à l'esthétique néo-classique de Victor Gonzalez, 1877-1956, défenseur d'un essai de synthèse entre l'apport romantique et une tradition classique revue et corrigée, Reims, prytanée militaire de La Flèche, Saint-Merry, Soissons.
On entendra ici par orgues romantique et symphonique les instruments issus de la mutation organologique qui se produisit au cours du XIXe siècle, avec des facteurs tels que les Walcker (Allemagne), Henry Willis et Robert Hope-Jones (Angleterre), Aristide Cavaillé-Coll et Joseph Merklin (France). En schématisant, on dira que Cavaillé-Coll construisit quelques chefs-d'œuvre qui méritent d'être conservés à l'instar des Clicquot ou des Isnard ; mais ses successeurs à la maison Cavaillé-Coll, après 1898 (Charles Mutin, Auguste Convers), orientèrent la facture dans une direction médiocre, ce qui explique les faillites successives de l'entreprise. Parmi les modifications d'ordre mécanique adoptées ou mises au point par ce facteur, citons le parallélisme des tables de réservoir d'air, la division des jeux en deux layes séparées (fonds d'un côté, anches et mixtures de l'autre), la pédale de tirasse (accouplement des claviers sur pédalier), les boîtes expressives, les pressions variables et les hautes pressions, la machine Barker (pour vaincre la résistance des claviers accouplés), le pédalier à l'allemande. En outre, de plus en plus souvent, le positif dorsal cède la place à un corps unique ou double, placé sur un même plan horizontal. L'orgue à structure verticale disparaît au bénéfice de l'orgue en étalement, avec récit expressif derrière le grand orgue. Cavaillé-Coll dessine admirablement une mécanique : Lorsqu'on pénètre à l'intérieur d'un Cavaillé-Coll, on est toujours frappé par la logique du plan, la perfection de la facture en ses moindres détails et l'aisance avec laquelle on peut accéder à toutes les parties du mécanisme et de la tuyauterie (J. Fellot). L'idéal harmonique du romantisme à l'orgue est de pouvoir passer insensiblement du pianissimo (bourdon de récit, boîte fermée) au tutti, tous claviers accouplés. Le grand plein-jeu n'est plus au fondement sonore de l'instrument (ce qu'il était depuis le Moyen Âge) ; les jeux de seize et de huit pieds se multiplient ; les principaux se voient réduits au renforcement des flûtes ; l'orgue romantico-symphonique est construit sur deux chœurs : le premier additionne les fonds (16′, 8′, 4′), le second y ajoute les batteries d'anches (tutti). Les tierces et nasards perdent leur fonction essentielle (grand cornet, grande et petite tierce). Les rares mixtures ne sont plus harmonisées sur les principaux, mais parlent sur la laye des anches ; leur composition (reprises) ne peut donc plus être la même. L'orgue antérieur chantait dans le médium ; l'orgue romantique recourt aux jeux octaviants et harmoniques et repousse toujours plus vers l'aigu ses claviers surchargés de huit pieds (61 notes et plus après Cavaillé-Coll) ; le diapason des principaux, par exemple, obéit à une progression mathématique, ce qui modifie notablement le timbre, du grave à l'aigu, avec une tendance, difficile à combattre, de la prééminence intensive des graves. Voulant imiter à la fois la virtuosité lisztienne du piano et la force de l'orchestre berliozien ou wagnérien, l'orgue abandonne la clarté polyphonique des baroques au bénéfice de la nuance d'intensité. L'orgue romantique appartient bien au siècle qui inventa l'accordéon et l'harmonium, appelé alors orgue expressif (sic). Pour satisfaire les demandes esthétiques de ce temps, Cavaillé-Coll conçoit les grands récits expressifs, qui sont remarquables par leur homogénéité sonore, avec leurs fonds multiples – gambes, salicionaux, voix célestes, flûtes harmoniques et octaviantes... – et leur batterie d'anches – harmoniques ou non. L'orgue en vient progressivement à être enfermé dans des boîtes d'expression ; un clavier, deux, puis trois, enfin tous les claviers, y compris le pédalier, deviennent expressifs. C'est à l'époque de Cavaillé-Coll que la pratique de l'entaille d'accord se généralise en France. L'harmoniste, en réglant les proportions de l'entaille, peut désormais créer de nouveaux timbres [...]. L'ouverture de l'entaille provoque l'émission de nombreux harmoniques : le timbre devient plus mordant. Par contre, on annule le bruit de bouche en taillant de nombreuses „dents“ sur le biseau ; l'attaque reste moelleuse malgré une légère augmentation de pression. L'orgue d'antan cherchait la couleur dans ses mutations ; il est maintenant demandé au tuyau d'émettre ses propres harmoniques. Les jeux étroits sont munis d'un „frein“ favorisant l'attaque de la fondamentale. À l'inverse des bourdons classiques, ceux de Cavaillé – rarement à cheminées – sont peu timbrés et plus doux. Seules les flûtes restent coupées en tons (J. Fellot). L'orgue de Cavaillé-Coll remplit parfaitement son office pour César Franck, Charles-Marie Widor, Eugène Gigout, Marcel Dupré, Charles Tournemire... Toutefois, en matière de facture, il ouvrit la voie à des innovations qui rendaient difficile l'interprétation convenable de toute la musique antérieure. L'adoption du sommier à cases (à membranes) va de pair avec celle des transmissions tubulaires (pneumatiques) et électropneumatiques ; ce sommier favorise un certain continu mélodique ; il alimente mieux, incontestablement, des jeux alignés selon le parallélisme des unissons et des octaves [...] et exigeant beaucoup de vent (J. van de Cauter). L'orgue peut alors devenir gigantesque, puisqu'on peut multiplier à l'envi le nombre de jeux sur un même clavier. Le système unit-organ, ou unit-chest, dû à Robert Hope-Jones, est dans la logique de ce système, de même que l'orgue dit électronique (c'est-à-dire sans tuyaux), avec ses extensions et ses emprunts, où une même source sonore parle sur tous les claviers. Les extensions en mixtures (tempérées) sont inaudibles ; on supprime donc ces jeux. En ce qu'il a dû négliger d'acquis antique, Cavaillé-Coll fut le père et le précurseur de l'„orgue symphonique“ dont la dernière expression fut l'orgue de cinéma ou de jazz, disparu ou presque : c'était l'impasse (G. d'Alençon et C. Hermelin). En outre, si Cavaillé-Coll n'employait que de forts alliages d'étain, ses successeurs utilisèrent le zinc et des alliages médiocres. L'orgue, au tournant du XXe siècle, est devenu monochrome et plat. Les essais de synthèse entre les factures classico-baroque et romantique (Universal Orgel, orgue néo-classique de Beuchet-Debierre, puis de Victor Gonzalez) n'ont atteint leur but que partiellement, car ni Franck, ni Bach, encore moins Frescobaldi ou Cabezón, n'y sonnent parfaitement. Il reste chimérique de prétendre construire l'instrument apte à permettre l'exécution fidèle d'une littérature aussi diverse que celle de l'orgue ; un seul instrument n'y saurait suffire. On comprend pourquoi existent désormais des facteurs et des organistes qui exigent la restauration d'instruments abusivement transformés ou la construction d'instruments racés où les mélanges de styles trop nettement incompatibles sont bannis ou, en tout cas, limités au minimum.

Tandis que l'orgue classique occupe l'espace en hauteur pour permettre à chaque plan sonore correspondant à un clavier de se distinguer nettement, les orgues romantique, symphonique et néo-classique utilisent volontiers le plan étalé en profondeur ou dispersé en plusieurs éléments grâce, en particulier, aux possibilités de la transmission électrique. L'organiste romantique aime rechercher des effets, tels que le passage insensible d'un pianissimo à la limite du perceptible (cor de nuit au récit, boîte fermée) au tutti de l'instrument, tous claviers accouplés, idéal comparable à celui de l'orchestre symphonique, dont la dynamique diffère essentiellement de celle de l'orchestre de Lully ou de Bach.

La synthèse des principaux : le grand plein-jeu

D'un point de vue esthétique, les tuyaux se classent en familles de jeux ordonnées chacune selon une structure sonore « verticale », reflet de l'étagement acoustique des harmoniques. Un tel principe de division est préférable à celui, d'origine romantique, qui distingue : fonds, anches, mixtures. On appelle principaux des jeux à bouche dont le diapason ou taille (c'est-à-dire le diamètre du tuyau) se situe entre des jeux à taille large (flûtes et bourdons) et des jeux à taille étroite (gambes et salicionaux). La synthèse des principaux d'un clavier forme son plein-jeu. Les différents pleins-jeux accouplés constituent le grand plein-jeu (à l'orgue classique : ceux du positif et du grand-orgue, plus celui de la pédale en pays germanique). C'est là l'orgue essentiel. Pour en esquisser la description, sans entrer dans le détail de son histoire qu'en ont donnée notamment Jean Fellot et Pierre Hardouin, il faut considérer la progression des harmoniques d'un son fondamental. Soit l'ut 1 (première touche du clavier à gauche) d'un principal de 8′. L'analyse de ce son permet d'entendre l'octave supérieure (ut 2), la quinte (sol 2), l'octave (ut 3), la tierce (mi 3), la quinte (sol 3), l'octave (ut 4), etc. À partir de cette donnée physique connue depuis l'Antiquité, les facteurs d'orgues ont imaginé des jeux construits sur son principe. Au-dessus du principal 8′ (souvent posté en façade et qui reçoit le nom de montre), on trouve le prestant 4′, la quinte 2 2/3′, la doublette 2′, la tierce 1 3/5′, la quinte 1 1/3′, le sifflet 1′. Si l'on poursuit dans l'aigu, en choisissant de ne représenter que les harmoniques de quinte, de tierce et d'octave (et en laissant les septièmes, les neuvièmes, les onzièmes, bien que certains facteurs les aient intégrées à l'orgue), on obtient les fournitures et cymbales, appelées aussi mixtures ou pleins-jeux (registres). Ces jeux font parler sur un même registre plusieurs rangs de tuyaux aigus. Une de leurs particularités est qu'ils sont à reprises (fig. 2). En effet, comme d'une octave à l'autre, en montant le clavier vers l'aigu, la longueur des tuyaux diminue de moitié, il est impossible de parcourir cinquante-six degrés à la suite si l'on commence à l'ut 1′, avec un tuyau mesurant un demi-pied ou un quart de pied. Une fois parvenu à un sommet acoustique (le 1/8′ environ), on reprend les sons déjà émis, tout en continuant la marche sur le clavier. Il s'ensuit une constatation esthétique d'importance : les fournitures et cymbales font sonner dans le grave du clavier des harmoniques aigus, ce qui clarifie et enrichit d'autant les timbres) et, à l'inverse, dans l'aigu du clavier, des sons de plus en plus graves, allant jusqu'aux résultantes de 16′ ou de 32′ (voire de 64′ sur les grands instruments ; cf. dom Bedos de Celles, au XVIIIe siècle.
La sonorité du plein-jeu est la plus caractéristique de l'orgue, celle qui le différencie le plus de tous les autres instruments ou groupes d'instruments. Elle est proprement inimitable par l'orchestre traditionnel. Cette sonorité homogène et plénière demande une harmonisation soignée. L'harmoniste a d'abord la charge de régler la hauteur du son, mais son talent d'artiste se manifeste surtout lorsqu'il équilibre l'intensité de ce son eu égard aux tuyaux du même jeu d'une part, aux tuyaux des jeux avec lesquels il sonnera de préférence d'autre part. L'accord des quintes et des tierces de plein-jeu se fait juste et n'obéit point au tempérament égal cf. GAMME ; le non-respect de ce principe (par exemple dans les unit-organs ou certains instruments électroniques qui n'utilisent que des emprunts sur l'extension d'un même jeu accordé au tempérament égal) rend l'audition des jeux de quinte et de tierce particulièrement pénible. Quant à la construction de fournitures et de cymbales selon ce principe, elle est pratiquement impossible.
L'orgue français, depuis la fin du XVIIe siècle, après L'Harmonie universelle de Marin Mersenne, qui l'accepte encore en 1636, proscrivait l'emploi de la tierce dans le plein-jeu. Mais la tierce n'est pas, de soi, un jeu étranger à la synthèse des principaux, pas plus que ne le serait une septième ou une neuvième. Tout dépend, en effet, de la facture du jeu. Si la tierce a un diapason de principal, elle entre dans le plein-jeu, dont elle accroît les qualités polyphoniques en même temps que la plénitude harmonique ; si elle a un diapason de flûte, elle en est exclue. En 1960, la découverte d'une cymbale-tierce sur l'orgue gersois de Gimont, dû au facteur Godefroy Schmit 1772, manifeste peut-être une influence germanique inattendue dans le midi de la France, et renoue avec la tradition interrompue depuis Robert Delaunay (tiercelette des Jacobins de Toulouse, 1676, reconstituée en 1983 à l'orgue de Saint-Pierre, où l'instrument fut transféré).
Voici à titre d'exemple la composition du grand plein-jeu de l'orgue de la cathédrale de Poitiers, construit par François-Henri Clicquot en 1787-1790 (on a loisir d'ajouter les bourdons 16′ et 8′, afin de mieux asseoir les fondamentales) : quinze rangs au grand-orgue – montre 16′, bourdon 16′, montre 8′, bourdon 8′, prestant 4′, doublette 2′, fourniture V (c'est-à-dire 5 rangs), cymbale IV – accouplés aux onze rangs du positif – montre 8′, bourdon 8′, prestant 4′, doublette 2′, plein-jeu VII (soit fourniture IV + cymbale III, sur un même registre) – ; le grand plein-jeu additionne ici vingt-six rangs. Un accord de quatre notes fait parler un orchestre de plus de cent flûtistes !
Dans l'Allemagne baroque, on construisait aussi des pleins-jeux indépendants à la pédale et, comme ceux des claviers manuels peuvent être tirés au pédalier, on comprend quelle richesse sonore un tel ensemble peut atteindre : Tout ce qu'il y a de plus harmonieux dans l'orgue, au jugement des connaisseurs et de ceux qui ont du goût pour la vraie harmonie, c'est le plein-jeu, lorsqu'il est mélangé avec tous les fonds qui le nourrissent dans une juste proportion, dom Bedos, 1776. En supprimant ou en dénaturant le plein-jeu, l'orgue romantique ôtait à l'orgue sa qualité essentielle et interdisait l'interprétation de quelques-uns des chefs-d'œuvre de la littérature organistique, de la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle, préludes, fugues, toccatas....

Les synthèses flûtées : cornet et jeux de tierce

La famille des jeux flûtés, c'est-à-dire de taille large, aux sonorités plus rondes que celles des principaux, présente une synthèse dont le cornet est le type (fig. 1) ; leur fonction est surtout mélodique. Construite elle aussi sur l'étagement des harmoniques naturels, cette famille intègre obligatoirement la tierce dans sa composition, mais elle ne dépasse pas la hauteur du 1′ (piccolo) qui ne fait pas partie du cornet ni du jeu de tierce. On compose ainsi le cornet V : bourdon 8′, flûte 4′, nasard 2 2/3′, quarte de nasard 2′, tierce 1 3/5′ ; le cornet VI a en outre le larigot 1 1/3′. De même que les fournitures et cymbales, le cornet unit ses éléments constitutifs en un seul registre ; bien souvent, il est juché sur un petit sommier spécialement conçu pour lui, où il sonne nettement à partir d'un plan qui lui est propre. On peut aussi former un cornet si on en possède les rangs séparés ; on parle de jeu de tierce : petit jeu de tierce de 8′ au positif – grand jeu de tierce de 16′ au grand-orgue, avec grand nasard 5 1/3′ et grande tierce 3 1/5′ ; l'opposition en duo de ces deux tierces caractérise l'une des plus originales registrations de l'orgue classique français.
Par leur timbre, le cornet et le jeu de tierce chantent en solistes, tant au soprano qu'à la basse ou au ténor (tierce en taille). Cette dernière registration est chérie des organistes des XVIIe et XVIIIe siècles, et Nicolas Le Bègue (1631 env.-1702) estimait : Cette manière de verset est à mon avis la plus belle et la plus considérable de l'orgue (soit le récit de tierce en taille avec larigot, accompagné par un 16′ de fond ouvert ou bouché, un 8′ et un 4′ au grand-orgue et la grosse flûte française de 8′ à la pédale). Nicolas de Grigny (1672-1703), François Couperin le Grand (1668-1733), Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749), Jean Adam Guillaume Freinsberg, dit Guilain (actif entre 1702 et 1739), ont laissé de magnifiques tierces en taille.

Les anches et le grand-jeu

La famille des jeux d'anches ne connaît que l'étagement par octave (du 64′ au 1′). On peut tenir pour négligeables les essais américains de mixtures d'anches. La bombarde 16′, la trompette 8′ et le clairon 4′ composent le groupe fondamental. Joués en chœur, ils constituent le grand-jeu français, auquel on peut joindre les dessus de cornet pour amplifier les aigus qui auraient tendance à être moins nourris que les graves. Cette registration convient en particulier pour les dialogues sur les grands-jeux opposant les anches du grand-orgue à celles du positif (parfois simplement représentées par un cromorne). Les anches de pédale tiennent volontiers le cantus firmus au ténor ou à la basse, tandis que les manuels jouent le grand plein-jeu. En France, le timbre clair et la facture légère des trompettes classiques conviennent à l'écriture fuguée (fugues de François Couperin le Grand). Deux dessus de cornet, deux graves de cromorne, une flûte 8′ de pédale, telle est l'une des registrations typiques des Fugues à cinq de Nicolas de Grigny. En solo, les trompettes, cromorne, hautbois, voix humaine sonnent dans toutes les tessitures, rejoignant analogiquement l'utilisation des anches dans la musique germanique (choral). En Allemagne, on a surtout développé la famille des régales, aux représentants nombreux qui se distinguent par la variété des corps de résonance : cylindrique (du genre cromorne), raccourci (voix humaine), etc. On peut citer les bassons, hautbois, ranquettes, chalumeaux, musettes, posaunes, cornets (anche de 2′). L'Espagne, la première, a posté en chamade ses batteries d'anches ; la qualité sonore des trompettes horizontales émerveille l'auditeur, surtout s'il a été habitué aux sonorités pâteuses et lourdes des anches romantiques (bassonantes) de la fin du XIXe siècle.

Jeux gambés et jeux harmoniques

On se bornera ici à signaler l'existence de la famille des jeux à diapason étroit : violes de gambe et salicionaux. Cette famille a voulu imiter le mordant et la douceur des instruments à cordes. Deux gambes de 8′, dont l'une légèrement désaccordée, produisent un effet d'ondulation singulier : c'est la voix céleste, jeu typique du récit romantique et non exempt de suavités doucereuses dont certains organistes ont fâcheusement abusé.
Les jeux appelés assez improprement harmoniques, tous les tuyaux le sont ! se caractérisent cependant par le renforcement de leur premier son harmonique : ils octavient et furent appelés à clarifier l'instrument dont on avait chassé les mixtures. Il existe aussi, en ce sens, des jeux d'anches harmoniques.

Les styles

La sommaire description qui précède permet toutefois d'imaginer à quelle diversité de facture on peut aboutir dans la combinaison des éléments sonores énumérés. À la fin du Moyen Âge, le grand orgue plein-jeu formait un tout non décomposé, soit une immense fourniture. Henri Arnaut de Zwolle mort en 1466 et Michael Praetorius 1571-1621 en donnent la description. Après l'invention du registre coulissant, les facteurs parvinrent, ici et là, dans l'Europe de la Renaissance et aux âges classique et baroque XVIIe et XVIIIe s., à une variété de styles dont on va présenter un aperçu. Il suffit de comparer la composition de quelques instruments pour percevoir les analogies, constater les différences, même si l'audition en apprend plus que la lecture.
Ces comparaisons s'avèrent d'autant plus nécessaires qu'on a pu lire des affirmations qui, transposées dans d'autres champs artistiques, laisseraient éclater leur absurdité : Lorsque je joue un orgue, je veux pouvoir exécuter toute la musique pour orgue, sans avoir le souci d'être trahie par l'instrument en quoi que ce soit... Il faut qu'on puisse y jouer tous les styles, sans exception, avec la sonorité adéquate une organiste de renom, in L'Orgue, no 100, 1961. Un tel désir sera nécessairement frustré, comme le serait celui qui exigerait d'un peintre qu'il exécutât, en une seule œuvre de synthèse, une miniature à l'huile, une fresque, une gouache et une aquarelle, dans tous les styles de toutes les techniques connues. Les différences tant diachroniques que synchroniques de l'univers pictural n'ont pas besoin d'être démontrées.
L'orgue reconstitué du triforium de la cathédrale de Metz, construit par Marc Garnier 1981 dans le style européen de l'extrême fin de la Renaissance, mérite que l'on présente sa composition tabl. 1. Le facteur s'est inspiré de l'orgue construit par Johann von Koblenz à Oosthuizen Pays-Bas vers 1530. À cette époque, la Hollande, le Brabant et les Flandres étaient à la pointe de la recherche en matière organologique.

On comparera cet instrument à l'orgue du château de Frederiksbørg Danemark, de conception postérieure d'une cinquantaine d'années. Cet orgue, construit par Esaias Compenius vers 1610, existe encore tel que Michael Praetorius le décrit dans son De organographia (Syntagma musicum, tome II, 1618, 1619). De ce petit orgue de cour instrument à danser ? accordé au tempérament inégal, on apprécie la répartition équilibrée des jeux sur trois claviers. Remarquer la flûte 1′ de pédale. Les œuvres de Ludwig Senfl (1486 env.-1542 ou 1543), Paul Hofhaimer (1459-1537), Arnolt Schlick (1460 env.-après 1521), Othmar Luscinius (1478-1480 env.-1537), Leonhard Kleber (1495 env.-1556) n'y seraient pas déplacées. On préfère y entendre celles de Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621) ou de Samuel Scheidt 1587-1654.
L'orgue de l'église SS. Giovanni e Colombano (tabl. 3), à Pontremoli (Italie), dû à un facteur inconnu du XVIIIe siècle, est cousin germain des Antegnati, des Serassi, des Callido... Là sonnent à merveille les ricercare, capriccio, toccata, canzona des Gabrieli, de Marco Antonio Cavazzoni (1490 env.-1560 env.), Claudio Merulo (1533-1604), du grand Girolamo Frescobaldi (1583-1643), de Giovanni Maria Trabaci (1575 env.-1647), Georg Muffat 1653-1704, Bernardo Pasquini (1637-1710), Domenico Zipoli (1688-1726), Giovanni Battista Martini (1706-1784). On a, pour l'essentiel, sur un seul clavier, un plein-jeu décomposé (ripieno) et un jeu de tierce.
L'orgue de l'Empereur à Tolède Espagne fut reconstruit par José Verdalonga à la fin du XVIIIe siècle (tabl. 4). Il est conçu pour l'éclat et la rutilance de festivités triomphales. (À la même époque, le palais portugais de Mafra abritait six orgues juchés dans la nef de son église ! Les musiciens contemporains n'ont pas le privilège de la recherche d'effets de déplacement sonore dans l'espace.) Ici, les batallas de Juan Cabanilles (1644-1712) sonnent, superbes, et il y a suffisamment de principaux et de flûtes pour que les tientos d'Antonio de Cabezón (1510 env.-1566), Francisco Correa de Arauxo (1584-1654), Tomás de Santa María (mort en 1570), Luis Venegas de Henestrosa (1510 env.-1570), du Portugais Manuel Rodrigues Coelho (1555 env.-1645 env.) y déploient leur contrepoint. Tous les jeux sont coupés en basses et dessus au 3e ut dièse (sauf indication contraire).
Proche du style des Silbermann, de Christiaan Müller, des Scherer, de Joseph Riepp, de Joseph Gabler, l'orgue de Sankt Jacobi 1683-1693 d'Arp Schnitger à la Hauptkirche de Hambourg convient aux artistes baroques de l'Allemagne du Nord, tels que Franz Tunder 1614-1667, Johann Reincken (1623-1722), Vincent Lübeck 1656-1740, les Sheidemann, David, mort vers 1629, et son fils Heinrich – 1595 env.-1663, Dietrich Buxtehude 1637-1707, Nicolaus Bruhns 1665 env.-1697, Jean-Sébastien Bach, voire à ceux de l'Allemagne du Sud, comme Johann Pachelbel 1653-1706 ou Johann Gottfried Walther 1684-1748, dont les œuvres se contentent de deux claviers.

Pour illustrer la facture française, on a retenu deux instruments anciens nettement typés, à la fois par l'état exceptionnel de leur conservation et par l'originalité de leur conception : le premier, l'orgue de Roquemaure (1690, construit par les frères Jullien de Marseille), le deuxième, le grand seize-pieds de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume 1772-1775 ; enfin, un troisième, dû à Aristide Cavaillé-Coll, le facteur français romantique : Notre-Dame de Paris (1863-1868). La révélation de Roquemaure (et de Cuers) en 1969, ce sont les premiers pas assurés dans la technique d'un orgue flamand-provençal, ou flamand-méridional, écrit le facteur Pierre Chéron. Le plein-jeu de Roquemaure est un spécimen rarissime du XVIIe siècle, depuis que celui d'Auch (1693) a disparu dans la tornade de 1958, entendez : la restauration abusive, trop célèbre maintenant !.
L'orgue de Roquemaure contient certainement l'ensemble le plus important et le plus homogène de tuyaux connu du XVIIe siècle. Mais ce qui en fait un document unique, c'est que ces tuyaux sont posés sur leurs sommiers d'origine, sans aucune modification. Tous les registres coupés sont intacts, pas un seul trou, sur 734, n'est agrandi et neuf faux-sommiers restent ajustés impeccablement, P. Chéron. Il se présente à un seul clavier à jeux coupés (sauf les six premiers jeux cités ; tabl. 6).
Un siècle après, voici Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (tabl. 7), dont le facteur, Jean Esprit Isnard, est un organier au talent comparable à celui des Clicquot, des Thierry, des Lépine, des Eustache, des de Joyeuse, des Moucherel... la restauration de cet instrument s'est achevée en septembre 1991). Ici, le troisième clavier, à triple destination (de pédale par tirasse, de bombarde pour le grand-jeu, de dessus de récit, demeure l'une des plus géniales trouvailles du facteur. Le grand plein-jeu descend au 16′ à partir de sol 3 et au 32′ à partir de sol 4. Le grand-jeu enfin éclate superbe de toutes ses anches. À l'audition, quoi de plus différent qu'une trompette de Schnitger et une d'Isnard ! À plus d'un siècle de distance, Jehan Titelouze (1562 ou 1563-1633) n'est point ici mal à l'aise, où il rejoint les noms de Nicolas de Grigny, Guillaume Nivers 1632-1714, Gilles Jullien 1650 env.-1703, Jean François Dandrieu 1682-1738, Louis Claude Daquin (1694-1772), Pierre du Mage 1676 env.-1751, Louis-Nicolas Clérambault 1676-1749, Louis Marchand 1669-1732...
Évoquons quelques noms seulement d'organistes célèbres de la fin du XIXe siècle et du XXe, sans entrer à leur propos dans les classifications esthétiques : César Franck, Charles-Marie Widor, Charles Tournemire, Louis Vierne, Jehan Alain, Marcel Dupré, Jeanne Demessieux, Marc Reger, Olivier Messiaen, Walter Kraft, Flor Peeters, Finn Viderø, Gaston Litaize, Anton Heiller, Marie-Claire Alain, Jean Guillou, André Marchal, Jean Langlais, Jean-Jacques Grünenwald, Pierre Cochereau, Virgil Thomson, Olivier Latry... Il faut souligner, dans les années 1950, le rôle important d'Helmut Walcha, dont l'interprétation des œuvres de Jean-Sébastien Bach connue grâce au microsillon fut l'un des tournants féconds de la découverte de l'esthétique baroque.

Enfin, pour terminer cet examen comparatif, voici l'orgue de Woolsey Hall à Yale University New Haven, construit en 1902 par la firme Hutchings-Votey Organ Co. À l'opposé de tout ce qui précède, il est à sa manière un chef-d'œuvre... mais on est en droit de se demander quelle littérature musicale on peut interpréter sur un tel instrument. Comparé à des orgues beaucoup plus modestes par le nombre de jeux, il reste beaucoup moins riche qu'eux en diversité harmonique. Sur soixante-dix-huit registres, on ne compte qu'une seule mixture de cinq rangs, trois jeux de 2′, une seule quinte, et point de tierce séparée ; sur dix-neuf jeux de pédale, pas même une anche de 4′... En revanche, quelle pléthore de 16′ et de 8′ ! Il faut peut-être se souvenir des transcriptions wagnériennes qui enchantaient les admirateurs de Louis James Alfred Lefébure-Wély (1817-1870), l'organiste de prédilection des gens du monde sous le second Empire, de surcroît zélé propagandiste de l'harmonium...

C'est à propos de cette esthétique que Hans Henny Jahnn écrivait : Une telle juxtaposition (de 16′, de 8′) ne peut donner un son à mi-chemin entre le normal et l'horrible que dans la mesure où ces jeux „fondamentaux“ sont diapasonés et harmonisés de telle sorte que le fort écrase le faible et où les interférences et totalisations se réunissent en une sorte de puissance brutale mais amorphe .... Nous savons que le son résultant de l'addition de deux instruments de même intensité et de même timbre, donc de même puissance sonore, même hauteur et même richesse en harmonique, n'a pas une intensité du double. En fait on n'enregistre alors qu'une augmentation à peu près constante de trois phones.
Cette loi était déjà reçue comme certitude par les facteurs du Moyen Âge. En tout cas ils savaient par expérience qu'additionner des tuyaux semblables ne donne presque rien, mais qu'un écart d'une ou de plusieurs octaves en hauteur, ou encore que la quinte et ses octaves produisent le renforcement sonore qu'on cherchait. C'est pourquoi le fondement de l'orgue consista à renforcer la sonorité par la modification du timbre, c'est-à-dire de la répartition des harmoniques.
L'orgue est multiple, parce que fruit divers d'une longue histoire. Donner un récital de maîtres italiens des XVIe et XVIIe siècles est possible sur l'orgue d'époque de la Silberne Kapelle, seconde moitié du XVIe siècle d'Innsbruck ; la même entreprise serait totalement vouée à l'échec sur le grand instrument de Saint-Sulpice à Paris.
Y aurait-il donc quelques critères du bel orgue ? Il suffit d'en évoquer un, qui, s'il avait été respecté dans les travaux de restauration, aurait évité la destruction d'un patrimoine irremplaçable : c'est le principe de l'unité de style dans ses rapports à la facture et à l'interprétation des œuvres. Un seul orgue, quel que soit le nombre de ses jeux, ne peut être tous-les-orgues ; cet universel logique n'entre pas dans la majeure d'un syllogisme, qui permettrait de conclure au singulier orgue-à-tout-jouer, chimère chère à certains théoriciens néo-classiques et... nominalistes. S'il s'agit de construire des orgues neufs à l'usage des compositeurs d'aujourd'hui, certes la liberté d'invention demeure ; mais, au nom de cet orgue universel impossible, qu'on ne détruise pas des chefs-d'œuvre sous prétexte de les améliorer.
En 1958, à Auch, sur l'orgue de Jean de Joyeuse, le grand plein-jeu de 32′ fut entièrement remplacé par une synthèse nouvelle comparable à celle qu'on pouvait entendre au Palais de Chaillot, digne produit de la seconde après-guerre ! Cet instrument fut transféré dans les années 1970 à Lyon (auditorium Maurice-Ravel et doté, comme l'orgue de la cathédrale Saint-André de Bordeaux, d'un combinateur permettant l'utilisation de deux cent cinquante-six combinaisons ajustables générales commandées par seize boutons poussoirs sous les claviers, par douze pistons placés au-dessus du pédalier, et un rotacteur à seize positions, système Georges Danion. Ce produit de l'électronique n'a pas suscité de créations dignes des 256 effets combinatoires !
La Revue des facteurs d'orgues français, émanation du Groupement professionnel des facteurs d'orgues et dont le premier numéro fut publié à l'automne de 1980, donne sa place à l'éventail esthétique diversifié qui est la réalité organologique. Celle-ci va de la reconstitution la plus fidèle d'instruments prévus pour faire sonner un style précis de musique d'orgue, jusqu'à des œuvres de style composite où la fantaisie délibérée est en quête d'unités nouvelles.
Depuis la fin du XXe siècle, les expériences les plus novatrices concernent la transmission. Une époque nouvelle s'est ouverte dans le champ organologique. De même que, dès la fin du XIXe siècle, les facteurs d'orgue commencèrent à intégrer à leur art ce que les pouvoirs de l'électricité leur offraient, de même ont-ils été tentés par les avantages de l' électronique et de l'informatique. Ainsi tous les instruments à clavier peuvent accueillir le système international normalisé M.I.D.I. Musical Instrument Digital Interface.
L'informatisation s'applique à plusieurs éléments. Dans un premier cas, elle n'est que partielle et s'associe à une transmission traditionnelle, mécanique ou électrique ; elle se contente de capter les mouvements, des claviers aux soupapes et du tirage des jeux.
Suivant la finesse d'analyse plus ou moins développée par les techniciens, les nuances d'attaque, d'articulation, de durée, d'intensité éventuelle de frappe, pour le clavier de piano n'échappent pas à la capacité de saisie informatique, et cette poïétique dynamique, qui caractérise le jeu de l'artiste, est captée à sa source d'efficience, que celle-ci soit la touche ou, mieux, la soupape elle-même. Une fois mémorisés, tous ces mouvements sont restituables : l'instrument rejoue, seul, indépendamment de l'organiste fonction du rejeu. Dans un second cas, l'informatisation se substitue complètement aux systèmes de transmission antérieurs et assume toutes leurs fonctions, y compris, éventuellement, celle d'enclencher le moteur de soufflerie.

En plus du rejeu, ces nouvelles techniques permettent de suivre sur un écran d'ordinateur le graphisme original de la musique jouée, que celle-ci soit improvisée ou interprétée à partir d'une composition déjà écrite. Lors du rejeu, diverses modifications peuvent être apportées au fond enregistré : accélération ou ralentissement du tempo, changement de timbres, remplacement de notes maladroitement exécutées. La correction se fait directement sur ordinateur. En outre, l'improvisation peut s'inscrire sur une partition, stockée informatiquement et éditable par une imprimante. Enfin, le possesseur d'un orgue ainsi informatisé entendra son instrument joué par les organistes de son choix, qui auront enregistré leurs interprétations sur un support informatique commercialisé. Mais l'achat de ces disques d'un nouveau genre ne saura jamais remplacer l'écoute d'un grand-orgue de cathédrale, encore moins d'un instrument historique de référence.
Faut-il inclure dans la définition du concept d'orgue les instruments de synthèse qui en revendiquent l'appellation ? Autant l'orgue Hammond a acquis ses lettres de noblesse pour servir la musique de jazz et de variétés, autant les nombreuses tentatives d'orgues électroniques à visées liturgique laissent profondément réticents les esthètes.
Toutefois, des réalisations comme celles de la firme américaine Allen ne méritent-elles pas l'attention ? Si oui, l'extension du concept d'orgue à ces instruments nouveaux de qualité devrait-elle entraîner la redéfinition de sa compréhension ? Pourquoi pas ? La nature de l'orgue, conçue dans toute son ampleur logique et ses différences analogiques impliquerait-elle nécessairement la présence de tuyaux ? Des jeux de synthèse ajoutés sur un instrument traditionnel obligeraient-ils à choisir, pour de tels instruments, une nouvelle dénomination ? Seul l'avenir apportera une réponse. D'ores et déjà, le jumelage de sons de synthèse et de sons acoustiques a donné lieu à des essais probants : par exemple, mariage d'un bourdon 8′ en jeu manuel et d'un 16′ de synthèse à la pédale – ce qui peut intéresser le possesseur d'un orgue positif personnel.
Dans La Structure des révolutions scientifiques 1962, Thomas Kuhn présente l'histoire des sciences comme une succession de périodes, que séparent des crises.
D'une période à la suivante s'opère un changement de paradigme, à savoir d'un ensemble de principes qui structurent, plus ou moins consciemment, la manière de connaître la réalité à étudier et, en conséquence, la façon d'agir éventuellement sur elle.
La création artistique n'obéirait-elle pas, analogiquement, à une telle loi d'évolution ? Ne pourrait-on transposer avec profit cette conception théorique à l'étude de l'histoire de l'orgue ? N'y a-t-il pas eu, en effet, des paradigmes artistiques plus ou moins féconds, qu'il serait bon d'isoler, afin de mieux rendre raison des jugements esthétiques portés sur une époque particulière ? Quelles que soient les continuités essentielles qui assurent la pérennité de l'orgue dans sa substance, la structure de l'orgue baroque, par exemple, diffère suffisamment de celle de l'orgue romantique pour qu'il soit judicieux d'affirmer une dualité paradigmatique manifeste.
La question épistémologique reste ouverte.
La création d'un style provoque la destruction, au moins partielle, d'éléments majeurs constitutifs des styles antérieurs. Le progrès en art n'obéit pas aux règles quantitatives de l'addition. La rupture constatée ne s'explique pas non plus par une simple soustraction.
Ainsi, le rapport entre continuité et discontinuité stylistique pose-t-il aux historiens de l'art la question de leur rationalité, qui oblige à interroger l'essence même de l'instrument. Il y a dans le monde de l'art beaucoup plus de choses réelles que notre philosophie n'en saurait imaginer Étienne Gilson, Matières et Formes, 1964.
Il n'y a jamais eu autant d'organistes, ni autant de récitals, ni autant d'académies de formation à visées nationales ou internationales. Depuis la fin des années 1960, le nombre des classes d'orgue nouvellement créées a fortement augmenté en France dans les conservatoires, et un phénomène comparable a été constaté dans la plupart des pays occidentaux. Avec la soif de culture musicale qui le caractérise, le Japon accueille la production de nombreux facteurs européens, spécialement allemands et français. Un tel essor semblera paradoxal : tandis que le service liturgique traditionnel aurait pu entraîner la réduction du nombre des organistes, à la suite de la relative diminution de la pratique religieuse chrétienne, tant protestante que catholique, qui assurait traditionnellement leur emploi, c'est une évolution inverse qui s'est produite.
Ainsi l'orgue a-t-il vu, peu à peu, modifier une image de marque, qui en faisait trop exclusivement un instrument sacré, confiné dans le domaine réservé au culte. Plus que jamais, l'orgue est devenu multiple.
De la tablature du Codex de Robertsbridge, 1360 env. ou du Fundamentum Organisandi de Conrad Paumann 1410 env.-1473 et du Buxheimer Orgelbuch 1470 env. jusqu'au Livre d'orgue d'Olivier Messiaen, aux Préludes de Jean-Pierre Leguay ou à la série Organum de Xavier Darasse, l'orgue, par sa pléiade de créateurs, a reçu une abondante littérature destinée à le mettre en valeur, et les facteurs, époque après époque, ont adapté ses voix et ses mécanismes aux manières renouvelées de sentir et d'imaginer la musique, que proposaient les compositeurs et les improvisateurs.
Il semble vain, toutefois, de se demander lequel, du musicien ou du facteur, précède l'autre dans la recherche stylistique en devenir. L'interrelation demeure, sans nul doute, la loi profonde. Ici comme en bien d'autres domaines, la réciprocité causale manifeste sa fécondité. Les chefs-d'œuvre de la facture des siècles passés, quand ils ont pu traverser les décennies qui nous séparent d'eux sans subir trop de mauvais traitements dus en général à l'ignorance plus qu'à la malveillance, n'ont pas fini de susciter l'admiration des amateurs et l'intérêt des organologues.
Leur préservation soigneuse s'avère indispensable, y compris lorsque le goût présent ne s'exprime plus en consonance esthétique avec ce qui leur a valu autrefois le succès. Des associations nationales nombreuses s'attachent désormais à la sauvegarde de ce patrimoine, et elles s'emploient, à la mesure de leurs moyens, à favoriser la connaissance approfondie de l'histoire de la facture, qui se révèle nécessaire pour éclairer les jugements de conservation des trésors instrumentaux confiés aux générations présentes.

http://youtu.be/lPSZmMy4bDQ suite du 1er ton
http://youtu.be/dwV2y__c4w0 Pièces pour clavecin en sol ut
http://youtu.be/WKCTxwPbCxo Premier livre d'orgue 6ème ton
http://youtu.be/DOVEunRSY7w Noël sur une vierge pucelle
http://youtu.be/z3pmy33Beuw Salve regina


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Posté le : 05/07/2014 23:11

Edité par Loriane sur 06-07-2014 16:09:10
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Exem, il y a toute une ambiance qui se dégage de ton texte. Ce Monsieur Dupoix est si mystérieux qu'il pique notre curiosité. Une tension particulière se crée avec Ginette et un final qui fait froid dans le dos.

Merci pour ta participation Exem.

à bientôt

Couscous

Posté le : 05/07/2014 20:09
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Re: défi du 5 juillet 2014
Plume d'Or
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Je vous offer ce texte et je reviens. Bravo à tous !


Quand l'homme pénétra dans le Bistrot du Coin, Ginette était assise à une table, sirotant un vin blanc parmi la foule que le mauvais temps avait fait se réfugier dans l'établissement. Elle le remarqua aussitôt comme si elle avait reconnu en sa figure rechignée, quelqu'un qui lui était familier. Il paraissait parfaitement à son aise dans ce milieu et se déplaçait parmi les tables comme s'il fût un vieil habitué de la maison. Cet homme semblait, avec ses puissantes épaules, pouvoir soutenir la voûte du ciel et paraissait même y avoir réussi, à en juger par la courbure de son dos. Sa chevelure blanche le vieillissait mais allait bien avec l'intelligence de son front largement coupé et adoucissait l'aspérité de son visage.
Il s'assit à une table, en face de la banquette de Ginette. Il sortit de sa poche un cigare qu'il se mit à fumer en attendant patiemment que quelqu'un vînt lui demander ce qu'il désirait. Marinette, la patronne, arriva enfin et, toujours économe quand il s'agissait de ses paroles, elle lui lança simplement :
« Et pour monsieur ?
- Un café, s'il vous plaît. »
Elle acquiesça, s'en retourna derrière son comptoir et rapporta la commande qu'elle posa sur la table, non sans faire un signe imperceptible à Ginette, pour lui rappeler qu'elle n'autorisait pas les filles à distraire - ni soustraire - les clients de son bistrot. Ginette n'y fit pas attention. Elle n'avait d'yeux que pour cet homme qui ne semblait pas s'apercevoir de sa présence. Il était plongé dans des pensées que l'on devinait être lointaines et douloureuses. Son regard suivait la fumée de son cigare, sans y voir à travers les volutes, le visage de Ginette. Il semblait avoir bu jusqu'à la lie, une vie qui l'avait enivré, et maintenant, ici, seul, sans un sourire, il attendait, en fumant, que sonnât l'hallali. En ce morne après-midi pluvieux, il se sentait plus vieux. Il songeait à son indocile débauche, son incontrôlable corruption qui lui faisait chercher dans les bas-fonds de la prostitution les femmes les plus veules, les plus repoussantes, les plus immondes, celles dont on s'écarte, qui font fuir le monde, celles, enfin, qui en sont arrivées à ne rien refuser pour une chère frugale, ni la boue, ni la fange, ni même l'abjecte gale, qui sont prêtes à tout et qui à tout se prêtent, pour partager gaiement avec l'homme qui passe, l'ordure de ses goûts et l'horreur de ses jeux.
Accoudé sur la table, épuisé, traqué, n'ayant plus sur lui, que quelques miettes de son bien qu'il avait mangé et, devant lui la misère, il tirait sur son cigare, y aspirant chaque bouffée profondément, avec une volupté désespérée. Il avait, durant les années passées, vécu plongé dans son vice sans jamais douter que ses passions ne pussent être autre chose que le résultat de la corruption de son âme : il s'était cru mauvais depuis que le monstre qui vivait en lui, par un beau soir d'automne, s'était montré, lui faisant oublier sous ses cheveux blancs que lorsqu'il était blond, il avait été bon. Mais aujourd'hui, dans ce Bistrot du coin, jamais, sous les rayons des lanternes, ne s'était accoudé un homme plus indocile à son destin. Il osait se dire qu'il n'était pas foncièrement mauvais et s'il n'était pas maître de sa personne, c'était qu'une force incontrôlable lui dictait sa conduite et le poussait à se vautrer dans l'ordure. Cette force lui insufflait des passions abominables, des jouissances innommables qui ne pouvaient que le mener au tombeau.
Il eut soudain, sous ses yeux presque aveuglés par la fumée, la vision d'un coq majestueux et fier qui se débattait frénétiquement tandis qu'une main lui tranchait le cou avec un long rasoir : la gorge ouverte laissait échapper des flots de sang qu'éclaboussaient ses ailes qui battaient. Ses pattes étaient liées avec un vieux morceau de ficelle et chaque fois qu'il voulait se relever, il retombait sur sa gorge béante. Mais il continuait de battre des ailes.
De son côté, Ginette ressentait un trouble inconnu dont elle ne comprenait, ni le sens, ni la raison. Elle se sentait les mains chaudes et comme une vague et inhabituelle nécessité intestinale. Son corps était glacé et ses ovaires lui faisaient mal. Elle songea à rentrer chez-elle mais elle n'était pas suffisamment fatiguée pour supporter la solitude. À vrai dire, ce vieil homme l'intéressait et elle ne pouvait se résoudre à partir.
Elle profita d'une éclaircie dans la tabagie pour saluer l'inconnu avec la même coquetterie et la même affabilité qu'une autre, à sa place, eût réservée à un jeune homme. Le vieillard en parut touché : il ne semblait pas s'être attendu à rencontrer dans cet endroit où le destin l'avait conduit, une créature aussi déférente. Il se força à lui rendre son salut et souffla une grosse bouffée de fumée qui forma une atmosphère opaque et lénitive. Il n'avait pas manqué, malgré les pensées dévastatrices qui occupait son cerveau, de remarquer la beauté de la jeune prostituée. Immobile, il la regardait par en dessous, en se demandant si c'était les sous qui avaient, de cette femme, fait la fille.
Comme si cette pensée eût été captée télépathiquement par Ginette, celle-ci se leva, fit un pas jusqu'à sa table et lui tendit la main en disant : « Je m'appelle Ginette, et si vous avez besoin de quelque chose dans le quartier, ne vous gênez pas ».
Le vieillard s'était mis sur pieds, la mine renfrognée. Il inclina la tête, déclina son identité : « Monsieur Dupoix, retraité », puis fit mine de l'ignorer mais il se ravisa et l'invita à s'asseoir.
« Pardonnez-moi, mademoiselle, mais…
- Ginette ! Coupa cette dernière.
- Ginette, répéta-t-il, sagement, pourriez-vous m'indiquer où je pourrais trouver à me loger ? »
Elle fut surprise par cette question : elle ne s'attendait pas à ce qu'il fût sans-abris, pourtant, elle ne fut pas prise de court et répondit :
« Si ça ne vous dérange pas d'habiter où je travaille, il y a une chambre sur mon palier qui doit se vider demain : Nadine, la locataire, part à Alger travailler dans une maison. Vous vous rendez compte, ajouta-t-elle, sur un ton à la fois rêveur et effrayé, aller si loin pour entrer en maison !
- Elle verra du pays.
- Ah ! ça, vous pouvez le dire, il y a là-bas un grand désert et on raconte que les femmes y sont voilées de la tête aux pieds.
- C'est authentique.
- Vous y avez été ?
- Oui.
- Ça doit être mystérieux, ce pays-là !
- En effet.
- Alors ?
- Alors quoi ?
- Vous acceptez ?
- Quoi ?
- La chambre ? »
Il avait oublié la chambre. Il hésitait.
« Vous savez, d'abord, c'est pas sûr que vous puissiez l'avoir ! dit Ginette.
- Ah ! fit monsieur Dupoix, piqué, pourquoi donc ? Ne venez-vous pas de me dire que…
- Oui, mais l'immeuble appartient à Marinette, la patronne. Il faut lui demander la permission.
- Alors, répondit Dupoix, si vous voulez bien vous en occuper, j'accepte.
- Attendez-moi là. »
Monsieur Dupoix la suivit des yeux. Elle traversa la salle au milieu des habitués qui s'écartaient poliment pour lui faire de la place et elle alla se pencher au dessus du zinc pour parler à Marinette. L'expression de cette dernière n'indiquait rien qui pût permettre de deviner sa réponse. Dupoix dut donc attendre patiemment le retour de Ginette.
« Alors ? fit-il, lorsqu'elle fut revenue.
- Elle veut bien que vous l'occupiez tant qu'elle n'en aura pas besoin. Pour le prix, on en discutera plus tard.
- Oui, oui, bien sûr… pourvu que ça ne coûte pas trop cher. »
Pour la seconde fois Ginette fut surprise par le dénuement que lui laissait entrevoir l'inconnu.
« Ah ! dit-elle tristement, avez-vous donc si peu que vous ne pourriez pas vous payer une chambre dans un hôtel de passe ?
- Moins, encore.
- Moins encore ! fit-elle écho. Alors vous n'avez rien.
- Moins que rien.
- Vous êtes ruiné.
- J'ai tout perdu. »
Elle fixait sur lui un œil étonné et ses lèvres brûlaient de questions qui s'y consumèrent de n'avoir pu s'en échapper à temps.
« Vous n'avez pas d'enfants ? lui demanda-t-elle, naïvement.
- Même pas de parents.
- Bon ! Eh bien, on en discutera plus tard. En attendant, ce soir, vous dormirez chez-moi. »

Monsieur Dupoix suivit Ginette dans la rue des Déchargeurs où se trouvait l'immeuble dans lequel elle habitait. Il se maintenait à un pas derrière elle, comme le fait un chien. Les bonnes gens du quartier qui passaient sur le trottoir ne manquaient pas de jeter sur lui un regard curieux. Certains le fusillaient de leurs yeux hostiles, d'autres qui eussent désiré être à sa place, l'enviaient.
Durant ce parcours, Dupoix se reprochait d'avoir accepté l'invitation de Ginette sans s'être accordé au préalable un instant de réflexion et se demandait maintenant si la généreuse hospitalité de cette fille n'était pas un prétexte, ou ne cachait pas un dessein. Bien qu'il fût tenté de croire à la pureté de ses intentions et à son bon cœur, il ne pouvait s'empêcher de trouver tout cela un peu étrange. Bah ! se dit-il, que peut-elle me vouloir ? En supposant qu'elle veuille de l'argent, ce qui est peu probable, car je lui ai avoué l'état de mes finances, j'aurais la ressource de m'en aller.
La maison était située à environ trois cents mètres du Bistrot du Coin et ils y arrivèrent avant qu'il pût émettre en lui-même d'autres réserves sur la situation. Toujours derrière elle, il monta l'escalier de l'hôtel. Les marches, pavées de carreaux rouge et bordées de bois, étaient larges et propres. Un odeur d'essence et un relent de cassoulet toulousain remplissaient la cage.
Ginette, arrivée au deuxième étage, prit à gauche et marcha jusqu'au fond du couloir. Elle ouvrit la porte et invita le mystérieux monsieur Dupoix à entrer. Il hésita un instant dans l'embrasure avant de s'avancer dans la pièce carrée qui était meublée du lit, d'une vieille armoire et d'une petite table ronde en érable recouverte d'une couche de vernis. Il n'y avait que deux chaises placées étroitement contre le bord de la table. Dupoix en saisit une par le haut du dossier. Ginette referma la porte et les odeurs de cuisine disparurent. Il se sentit alors miraculeusement plongé dans une calme atmosphère, totalement isolée du monde extérieur, l'atmosphère lourde et humide, lui semblait-il, d'une lointaine planète inhabitée. L'air était empli du parfum de Guerlain et de celui, plus profond, de Ginette. Il n'osait rien dire. Il se sentait la tête vide. Ginette s'approcha de lui pour poser son sac à main sur la table. La robe de la jeune femme était ample et valsait au moindre mouvement. Il reçut sur son visage l'odeur des régions de la peau dont les lavages rapides n'étaient venus à bout et dont la transpiration en accélérait les effluves qu'elle rehaussait par ses relents musqués. Le cœur de Dupoix se mit à battre plus fort. Il songea qu'il pouvait, en tendant la main, toucher la petite, mais il n'osait pas.
« Vous avez l'air triste, fit Ginette.
- Pis encore ! dit-il, pour ne rien dire.
- Tu veux que j' te… ?
- Non ! ! cria-t-il, en se levant d'un bon. »
Elle esquissa un geste de dépit.
« Vous êtes singulier, reprit-elle, je vois bien que vous me désirez : alors pourquoi qu' vous voulez pas ? J' vous ferai pas payer.
- Pourquoi feriez-vous cela ?
- Cela ne m'usera pas. Et puis, si ça me fait plaisir, à moi, qu'est-ce que ça peut vous faire ? Vous n'avez qu'à en profiter. »
Ces coquetteries et cette bonne volonté, il les connaissait déjà. Il se disait : « Vous êtes toutes les mêmes ! Vous prétendez vendre le plaisir mais vous ne savez même pas ce que c'est ! Le plaisir c'est le vice ! Dans le domaine souterrain du mal, le péché s'en prend à la nature, et, transgressant ses lois, transforme en animal l'homme malgré sa foi. Je veux renoncer à tout cela ! Je ne céderai pas. » Et, tout haut, il lui répondit :
« Vous ne savez pas qui je suis, ni ce que je suis… »
Elle essaya de lui faire comprendre par une étreinte légère qu'elle ne comprenait rien à ce qu'il disait et que d'ailleurs, elle s'en fichait complètement.
« Allons, dit-elle, en sentant les muscles du vieillard se raidir sous ses doigts, vous le voulez ! »
Il comprit à son tour qu'elle avait raison. S'il ne fuyait pas immédiatement, c'en était fini de ses bonnes résolutions. Il se jeta de côté et se leva. Il fit quelques pas dans la chambre, perdu dans ce « mouchoir de poche » comme dans une immense forêt. Il se retrouva devant le lit qui se retrouvait partout. Il s'y laissa tomber, trop las pour s'enfuir. Il ne voulait plus se rendre coupable des actes excessifs et bizarres qui le damnaient. Anéanti, il s'entendit lui dire :
« Vous êtes charmante. Je vous en prie, renoncez à cela. Oh, je suis aussi sensible qu'un autre et c'est vrai que ma chair, par faiblesse, réagit de la sorte quand vos mains me caresse… Mais si vous saviez ce que je sens ! Aujourd'hui, avant notre rencontre au bistrot, j'ai eu peur ! J'ai couru et je me suis caché ! J'ai pleuré… Je pleure depuis vingt ans des larmes faites de sang, empestant l'excrément, l'urine et le remords. Aujourd'hui, justement, une femme, comme vous, après m'avoir reçu, quand mes sens ont parlé, se trouva si déçue, qu'elle se mit à crier « À la garde ! Au secours ! » et voilà donc pourquoi depuis des heures je cours. Je vous remercie de vos amabilités, mais, n'allons pas plus loin, car sans formalités, je préfère m'en aller. »
Ginette le regardait avec des yeux fumeux et incrédules tandis qu'il allait s'asseoir loin d'elle. Le visage de la fille avait pâli et il regrettait qu'elle voulût s'avilir de la sorte. Soudain, il nota sur sa figure une nouvelle expression qui fit naître en lui des sensations emmêlées et confuses ; il voyait dans ce visage quelque chose de déformé et de lascif ; ses lèvres se tordaient en s'étirant en arrière comme les babines d'une louve qui grogne à l'approche du mâle, laissant voir ses dents blanches. Il lut dans cette grimace involontaire, non pas de l'hostilité, mais une douleur dont il ne devina pas de suite la cause, mais qui lui rappela un spectre familier.
Ses raisonnements prirent un tour de conclusions inverses. C'était de sa faute en somme, encore de sa faute, toujours de sa faute ! S'il en était arrivé là c'était qu'il désirait en arriver là : personne ne l'avait obligé à suivre Ginette. Il était venu de son propre gré. Quelle stupidité de réfréner ainsi, par des retards de puceau, les élans de cette fille. Ses craintes diminuèrent. Il sourit pour la première fois. Après son anéantissement, il se sentit renaître.
Ginette qui l'avait suivi des yeux, revint près de lui et, sans prononcer un mot, posa sa tête sur ses genoux.

Lorsque monsieur Dupoix se réveilla, il écouta avec surprise la pluie qui tombait à verse sur le toit. Pendant une seconde il ne sut plus où il était ni, qui il était. Et, comme il sentit sa main soudée au ventre de Ginette, il fut inondé par un sentiment oublié depuis longtemps. Elle avait été à lui. Il ne sentait plus sa soif de venger les offenses qui lui avaient été infligées. Il pardonnait au monde entier cette rancune qu'il avait amassé de femme en femme. La possession de cette petite était un charme puissant qui l'avait guéri de la haine. L'accouplement de leurs vices avait été purificatoire et la mort qu'il lui avait infligée avec son rasoir, rédemptrice.
L'homme regarda la fille et ce fut avec une angoisse étouffante qu'il se mit à contempler sur le ventre de la prostitués, les restes de la débauche de la veille, mêlés au sang coagulé de sa blessure vermeille...




Posté le : 05/07/2014 17:36
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Re: défi du 5 juillet 2014
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Très jolie histoire Couscous, qui me fait penser aux film Black Swan et Ricky. Tu as la chance d'être la maman d'un Gabriel, surveille son dos, mais peut-être n'a-t-il pas besoin d'ailes pour être un ange.
Kijtiti, tu as raison, le bagout ne suffit pas, il faut d'autres qualités.


Posté le : 05/07/2014 17:30
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Re: défi du 5 juillet 2014
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Au contraire couscous, je les adore, ils me sont indispensables sachant que....., je n'attend rien d'eux!!!

La société ne doit rien exiger de celui qui n'attend rien d'elle disait George Sand, je suis adepte de cette formule!!!

Posté le : 05/07/2014 14:27
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Re: défi du 5 juillet 2014
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Cher Kjtiti, on sent que tu ne portes pas nos chers politiciens dans ton coeur. Ce petit bonhomme avait tout pour faire carrière dans cette voie : les promesses non tenues, le bagou.
Je te soutiens dans ton rêve et espère avec toi que tout s'améliorera.


Merci pour ta participation.

Amitiés

Couscous

Posté le : 05/07/2014 14:12
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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