J'inaugure ce défi. Voici donc ma mouture, orientée SF, pour changer.Diplomatie lunaire.
Le Secrétaire Général Bolten commençait à perdre patience ; les grandes nations se battaient comme des chiffonniers et, même à l'ONU, ce comportement faisait tâche. Le président russe, Raskolnikov, tapait sur la table avec son soulier, imitant l'un de ses illustres prédécesseurs, tandis que son homologue américain, Simpson, vociférait des propos bellicistes. Les Chinois observaient la réaction des Indiens d'un œil circonspect et les Britanniques comptaient les points. Seuls les Français et les Allemands restaient calmes. Bolten savait pourquoi et il lui fallait désormais leur donner la main pour dénouer cette situation inextricable.
— Mesdames, messieurs, je vous demande d'écouter la requête de la France, émise au nom de l'Union Européenne, lança Bolten.
— Depuis quand les Européens ont-ils leur mot à dire sur la situation lunaire ? Ils ne sont déjà pas capable d'envoyer correctement un satellite dans l'espace, ironisa Simpson.
— Néanmoins, ils font partie des membres permanents du Conseil de Sécurité, tout comme les États-Unis, et à ce titre ils ont le droit de s'exprimer, précisa le Secrétaire Général.
En cela, il avait parfaitement raison. Depuis la réforme des institutions mondiales, suite à la Troisième Guerre du Golfe, l'ONU siégeait en conseil restreint sur toutes les questions traitant de la sécurité et de la paix sur la planète. Le nombre de sièges étaient limités et quelques strapontins avaient été gracieusement offerts à des fédérations continentales. Évidemment, les États-Unis, la Chine, la Russie et la Grande-Bretagne trônaient en maîtres et ne laissaient à la France qu'un rôle de spectateur. Cependant, les Européens avaient obtenu un fauteuil supplémentaire, au titre de leur puissance économique, et étaient représentés par l'Allemagne. Ils disposaient ainsi d'un double droit de vote sur les questions importantes. Les strapontins, représentés par l'Inde, le Japon, l'Australie, le Brésil et l'Afrique du Sud, concernaient des zones continentales unifiées. Seul le Moyen-Orient manquait à l'appel et pour cause : il avait été rayé de la carte par un conflit nucléaire.
Voulon de la Bisse, le président français, saisit l'invitation de Bolten et prit la parole.
— Mesdames, messieurs, vous n'êtes pas sans savoir que nous avons construit une proposition alternative à l'inévitable confrontation militaire qui se dessine sur la Lune. Les Non-Humains, comme se plaisent à les nommer ainsi nos alliés américains, sont présents depuis des décennies sur la face cachée de notre satellite mais ne souhaitent pas siéger à l'ONU. Selon eux, nous sommes trop primitifs.
— On va bien voir s'ils trouvent nos missiles aussi primaires, cria Simpson.
Le Français leva la main, en signe de silence. Raskolnikov hocha la tête à l'intention du belliqueux américain, lui rappelant ainsi qu'il n'était pas dans son Springfield natal à haranguer une foule décérébrée au son de l'hymne national. Simpson baissa les yeux et laissa l'orateur terminer son discours.
— Nos derniers renseignements résument notre capacité militaire globale à un pour cent des forces en présence, rappela Voulon de la Bisse. En bref, nous sommes des nains comparés à l'armada extra-terrestre. S'engager dans une bataille, nucléaire ou tactique, se terminerait invariablement en une défaite cuisante, au prix de milliards de morts sur les cinq continents.
— Devons nous abandonner le territoire lunaire à ces moujiks de l'espace ? La Lune a été déclarée zone neutre et démilitarisée par ces mêmes instances internationales, objecta Raskolnikov.
— Certes oui, reconnut le Français, mais reconnaissez quand même qu'en 1979 nous étions loin de penser à l'existence d'une civilisation plus avancée que la notre et située à des années-lumière de notre monde adoré. Aujourd'hui, nous savons que la Lune est occupée depuis des décennies par des forces non-humaines ; ces dernières refusent de travailler avec nous et ont décidé de façon unilatérale d'exploiter les richesses minières de la face cachée.
— Vous ne répondez pas à ma question, hurla le Russe.
— La réponse est un peu plus complexe qu'un simple oui ou non. Dans l'esprit de ces nouveaux arrivants, une planète vide de toute construction représente une zone à conquérir. Ils l'ont fait et ils ont bâties des habitations souterraines, des usines et que sais-je encore. Vous êtes d'ailleurs au courant, ainsi que vos homologues américains et chinois, de cette situation et ce depuis fort longtemps, lança le Français. Les représentants des Non-Humains nous l'ont confirmé et nous ont fait parvenir les documents confidentiels en attestant.
Cette dernière révélation porta le coup fatal aux arguments bellicistes des nations dominantes ; les Russes, les Américains et les Chinois s'étaient taillés la part du lion dans la conquête spatial en particulier sur la Lune et ils n'avaient laissé que des miettes aux autres pays. Ils se croyaient donc investis du pouvoir suprême de décider de tout en matière d'espace.
Le Secrétaire Général de l'ONU en profita pour reprendre la main.
— Aujourd'hui, la situation est critique, conclut-il. Les Non-Humains revendiquent la face cachée et nous n'avons pas les moyens militaires de les en dissuader. Pour reprendre les discussions dans un climat apaisé, il nous est indispensable de les amener à la table des négociations, ici à Washington.
— Comment est-ce possible ? Ils refusent d'expliquer leur position et de traiter avec nous, demanda le président Li, chef de l'état chinois.
— Ils ont contacté les Européens et ont concédé sur un point, répondit Bolten. Ils acceptent d'être représentés par quelqu'un de la Terre, une personne impartiale.
Devant une telle information, les Russes, les Chinois et les Américains ne pouvaient qu'écouter la suite des débats ; ils n'avaient pas les moyens de s'opposer à une solution, fut-elle présentée par les Européens. Les autres nations n'auraient pas accepté de poursuivre dans la voie belliciste.
— Nous avons discuté des options entre Européens, à la demande de la partie adverse, expliqua Voulon de la Bisse. Je laisse au Secrétaire Bolten le soin de les détailler. Je vous ferai part de notre proposition à la fin de son exposé.
Simpson regarda Raskolnikov et Li puis sonda les Indiens et les Japonais, ses alliés naturels. Il comprit alors qu'il ne disposait d'aucune marge de manœuvre et que toute tentative de forcer le vote aboutirait à un échec cuisant pour la diplomatie américaine. Il hocha la tête en signe de soumission.
Le Secrétaire Général Bolten, aguerri à l'exercice, savait qu'il gagnerait l'auditoire en présentant les options les plus conservatrices et en les démontant à l'aune de la logique diplomatique.
— Nous avons d'abord pensé au Vatican, commença-t-il. En effet, il représente la neutralité militaire et son aura rassemble un quart de notre population. Malheureusement, le pape Innocent XIII a décliné notre offre, pour une raison légitime : il reste plus de la moitié de l'humanité qui ne le reconnaît pas. Il ne souhaite pas relancer des querelles intestines ou des guerres de religion sur un sujet aussi brûlant.
Les Chinois, les Indiens et les Japonais applaudirent les mots de Bolten ; le monde avait assez souffert des conflits religieux et les terres irradiées du Moyen-Orient en attestaient fortement.
— Une autre personnalité spirituelle nous apparaissait possible mais il nous a semblé que nos alliés de Pékin poseraient leur véto : il s'agissait du Dalai-Lama.
Voulon de la Bisse apprécia la fourberie rhétorique ; ce faisant, Bolten avait mis dans sa poche le président Li pour qui le dirigeant tibétain représentait un sujet de discorde avec Washington et Moscou.
— Finalement, nous avons orienté notre réflexion vers le champ non religieux, dit Bolten. La notion de spiritualité diffère selon les peuples et c'est encore plus flagrant quand on ajoute la dimension extra-terrestre. Les Non-Humains la voient comme l'émanation du bon sens paysan ; pour eux, un esprit spirituel est simple avant tout, dénué d'arrières pensées calculatrices. Ils nous ont d'ailleurs soufflé la solution quand nous avons discuté avec eux de notre culture, de ce qui nous faisait rêver quand nous étions enfants, des valeurs propres à l'humanité vue sous son meilleur jour.
Bolten arrêta son exposé à ce stade ; il devait passer le relais à Voulon de la Bisse dans un scénario bien huilé et répété depuis des jours.
Le Français se leva et regarda ses interlocuteurs ; il choisit de ne pas adopter une posture théâtrale mais de frapper fort, une seule fois.
— Les Non-Humains ne nous connaissent pas vraiment, précisa-t-il. Ils ne savent de nous ce qu'ils ont appris de la littérature ou du cinéma et non de notre histoire ou de la géopolitique mondiale. Ils sont donc prêts à accepter toute personnalité mise en avant par nos vecteurs culturels. C'est la raison qui nous a conduit à proposer une figure légendaire : Oui-Oui.
La réaction de l'assistance dépassa les espérances de l'orateur. Simpson se retint de rire tandis que Raskolnikov et Li se regardèrent sans comprendre. La chancelière allemande Hagen et le Premier Ministre Britannique Taylor furent les premiers à réagir.
— Il est vrai qu'Enid Blyton a vu ses œuvres traduites dans quarante langues, mieux que Lenine et presque aussi bien que William Shakespeare, admit Taylor. A ce titre, ses personnages de fiction valent autant que nos grands dirigeants du passé et, au nom de la Grande-Bretagne, je ne peux que m'enorgueillir d'un tel choix. La question est : comment allez-vous faire avaler à une civilisation avancée que leur représentant à l'ONU puisse être le héros de contes pour enfant ?
Ce à quoi Voulon de la Bisse répondit par le rappel des nombreuses couleuvres avalées par l'humanité depuis des siècles, de l'existence du Christ au crash de Roswell en passant par les mensonges de la NASA au sujet de la non-présence d'extra-terrestres sur la face cachée de la Lune.
Devant un tel coup de maître, Simpson, Li et Raskolnikov, experts en manipulation de masses, ne purent que s'incliner. La résolution fut votée à l'unanimité des participants. « Il ne reste plus qu'à trouver un acteur suffisamment doué pour se faire passer pour un pantin de bois affublé d'un bonnet bleu à grelot et le tour est joué. » se dit Voulon de la Bisse en souriant.