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Louis Pasteur 2
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Hors Ligne
Le vaccin contre le choléra des poules

Louis Pasteur par le photographe Félix Nadar en 1878.
Le germe du choléra des poules, nommé ensuite Pasteurella avicida, fut isolé en 1879 par l'italien Perroncito; la même année Henry Toussaint réussit à le cultiver. C'est d'ailleurs auprès de Toussaint que Pasteur se procura la souche du microbe de choléra des poules.

Un don du hasard ?

Durant l'été 1879, Pasteur et ses collaborateurs, Émile Roux et Émile Duclaux, découvrent que les poules auxquelles on a inoculé des cultures vieillies du microbe du choléra des poules non seulement ne meurent pas mais résistent à de nouvelles infections - c'est la découverte d'un vaccin d'un nouveau type : contrairement à ce qui était le cas dans la vaccination contre la variole, on ne se sert pas, comme vaccin, d'un virus bénin fourni par la nature, sous forme d'une maladie bénigne qui immunise contre la maladie grave mais on provoque artificiellement l'atténuation d'une souche initialement très virulente et c'est le résultat de cette atténuation qui est utilisé comme vaccin.
S'il faut en croire la version célèbre de René Vallery-Radot et d'Émile Duclaux, c'est en reprenant de vieilles cultures oubliées ou laissées de côté pendant les vacances qu'on se serait aperçu avec surprise qu'elles ne tuaient pas et même immunisaient. Il y aurait là un cas de sérendipité.
A. Cadeddu, toutefois, rappelle que depuis les années 1877-1878, Pasteur possédait parfaitement le concept d'atténuation de la virulence. C'est un des motifs pour lesquels Cadeddu, à la suite de Mirko D. Grmek, met en doute le rôle allégué du hasard dans la découverte du procédé d'atténuation de la virulence et pense que cette atténuation a sûrement été recherchée activement, ce que les notes de laboratoire de Pasteur semblent bien confirmer.

Irrégularité du vaccin contre le choléra des poules

Dans sa double communication du 26 octobre 1880 à l'Académie des Sciences et à l'Académie de médecine, Pasteur attribue l'atténuation de la virulence au contact avec l'oxygène. Il dit que des cultures qu'on laisse vieillir au contact de l'oxygène perdent de leur virulence au point de pouvoir servir de vaccin, alors que des cultures qu'on laisse vieillir dans des tubes à l'abri de l'oxygène gardent leur virulence. Il reconnaît toutefois dans une note de bas de page que l'oxygène ne joue pas toujours son rôle d'atténuation, ou pas toujours dans les mêmes délais : Puisque, à l'abri de l'air, l'atténuation n'a pas lieu, on conçoit que, si dans une culture au libre contact de l'air pur il se fait un dépôt du parasite en quelque épaisseur, les couches profondes soient à l'abri de l'air, tandis que les superficielles se trouvent dans de tout autres conditions. Cette seule circonstance, jointe à l'intensité de la virulence, quelle que soit, pour ainsi dire, la quantité du virus employé, permet de comprendre que l'atténuation d'un virus ne doit pas nécessairement varier proportionnellement au temps d'exposition à l'air.

Certainsvoient là un demi-aveu de l'irrégularité du vaccin, irrégularité que la suite confirma : Cette voie, que le génie de Pasteur avait ouverte et qui fut ensuite si féconde, se révéla bientôt fermée en ce qui concerne la vaccination anti-pasteurellique de la poule. Des difficultés surgirent dans la régularité de l'atténuation et de l'entretien de la virulence à un degré déterminé.

Le Rôle de l'oxygène ?

La théorie de Pasteur, selon laquelle la virulence du vaccin était atténuée par l'action de l'oxygène, n'a pas été retenue. Th. D. Brock, après avoir présenté comme vraisemblable l'explication de l'atténuation dans les cultures par mutations et sélection, l'organisme vivant, qui possède des défenses immunitaires, exerce une sélection en défaveur des microbes mutants peu virulents, ce qui n'est pas le cas dans les cultures, ajoute : Ses recherches, de Pasteur sur les effets de l'oxygène sont quelque chose de curieux. Bien que l'oxygène puisse jouer un rôle en accélérant les processus d'autolyse, il n'a probablement pas une action aussi directe que Pasteur le pensait.

Le vaccin contre la maladie du charbon

En 1880, Auguste Chauveau et Henry Toussaint publient les premières expériences françaises d'immunisation d'animaux contre le charbon par inoculation préventive. À la même époque, W.S. Greenfield, à Londres, obtient l'immunisation en inoculant le bacille préalablement atténué par culture. Au vu des publications de Greenfield, certains auteurs estiment qu'il a la priorité sur Pasteur.
Le 5 mai 1881, lors de la célèbre expérience de Pouilly-le-Fort, un troupeau de moutons est vacciné contre la maladie du charbon à l'aide d'un vaccin mis au point par Pasteur, Émile Roux et surtout Charles Chamberland. Cette expérience fut un succès complet.
Certains auteurs reprochent à Pasteur d'avoir induit le public scientifique en erreur sur la nature exacte du vaccin utilisé à Pouilly-le-Fort. Cette question fait l'objet d'un article à part, le Secret de Pouilly-le-Fort.
Afin de répondre à la demande importante de vaccins charbonneux qui s'est manifestée immédiatement après l'expérience de Pouilly-le-fort, et ce tant en France qu'à l’Étranger, et tandis qu'un décret de juin 1882 inscrivait le vaccin charbonneux dans la loi de police sanitaire des animaux, Pasteur doit organiser "précipitamment" la production et la distribution en nombre de vaccin. Pour ce faire une entité est créée Le Vaccin charbonneux, rue Vauquelin. Des accidents vaccinaux survenus à l'automne 1881 et au printemps 1882, en France et à l’étranger, imposent à Pasteur de revenir sur le postulat de la fixité des vaccins. En 1886, la diffusion du vaccin charbonneux à l'étranger est confiée à une société commerciale, la Compagnie de Vulgarisation du Vaccin Charbonneux qui détenait un monopole commercial mais aussi technique visant tant à préserver les secrets de fabrication qu'à garantir l'homogénéité des vaccins.
Le vaccin de Pasteur et ses dérivés donnaient des résultats globalement satisfaisants, mais ils s'affaiblissaient parfois au point de ne pas provoquer une réaction immunitaire suffisante et, dans d'autres cas, ils restaient assez virulents pour communiquer la maladie qu'ils étaient censés prévenir. Nicolas Stamatin en 1931 et Max Sterne en 1937 obtinrent des vaccins plus efficaces à l'aide de bacilles dépourvus de la capacité de former une capsules, bacilles acapsulés ou acapsulogènes.

Le vaccin contre le rouget des porcs

Envoyé par Pasteur dans le Sud-est de la France où sévissait une épidémie de rouget du porc, dit aussi le mal rouge, Louis Thuillier identifie le bacille de cette maladie le 15 mars 1882.Un vaccin est alors élaboré, que Pasteur présente à l'Académie des Sciences dans une communication datée du 26 novembre 1883 et intitulée La vaccination du rouget des porcs à l'aide du virus mortel atténué de cette maladie : le vaccin a été obtenu par une diminution de la virulence du bacille par passage successifs sur le lapin, espèce naturellement peu réceptive à cette maladie. Dans ce cas il s'agit donc d'une nouvelle méthode d'atténuation de la virulence qui s'apparente à celle sur laquelle est basée le vaccin de Jenner. Le vaccin du rouget, mis sur le marché dès 1886, ne rencontra pas un grand succès en France en dépit des efforts de l'administration française. À l'époque le modeste développement de cette vaccination avait pu être mise sur le compte d'un investissement défaillant de Chamberland qui était chargé d'en assurer le développement dans le cadre du laboratoire Pasteur. Ainsi pour la seule année 1890, seuls 20 000 porcs étaient vaccinés en France, alors qu'en Hongrie ce nombre se montait alors à 250 000.

Passage à la biologie appliquée : l'étude des fermentations

De 1848 à 1852, Pasteur développe à Strasbourg d'importantes recherches sur le pouvoir rotatoire de divers composés chimiques ; ses résultats sont régulièrement présentés à l'Académie des sciences par Biot. Ces travaux apportent à Pasteur une renommée internationale. À noter que Biot avait déjà insisté sur la corrélation entre pouvoir rotatoire et origine biologique des substances actives : solutions sucrées, gommes, mucilages, huiles essentielles, essences végétales agissent fortement sur la lumière polarisée. Pasteur amplifie ces observations et débouche sur une première conclusion : la dissymétrie constitutive des molécules est caractéristique des matières organiques ; la synthèse des sucres, dits aujourd'hui de série D et des acides aminés, de série L par les êtres vivants implique une constitution atomique dissymétrique. Cette conclusion mena Pasteur vers une sorte de vitalisme : Je pressens même, écrivait-il, que toutes les espèces vivantes sont primordialement dans leur structure, dans leurs formes extérieures, des fonctions de la dissymétrie cosmique. Écrits scientifiques et médicaux En revanche, pensait le chimiste, toutes les synthèses réalisées par l'homme, au laboratoire, produisent les formes racémiques des substances organiques.
En 1849, Pasteur s'intéresse au pouvoir rotatoire des solutions d'alcool amylique provenant des fermentations soit de la fécule de pomme de terre, soit du jus de betterave. Ces nouvelles recherches l'entraînent à la fois vers la chimie biologique et vers les sciences appliquées. Étudiant au laboratoire, en 1854, la fermentation du paratartrate d'ammonium, forme racémique résultant du mélange, en quantités égales, des formes dextrogyres et lévogyres, Pasteur découvre que le composé lévogyre s'accumule au cours du processus ; cela veut dire que seul le composé dextrogyre est décomposé par la fermentation. Pasteur formule, à partir de ces observations, deux généralisations importantes : comme dans toute fermentation proprement dite, il y a une substance qui se transforme chimiquement et, corrélativement, il y a développement d'un corps possédant les allures d'un végétal mycodermique. Œuvres complètes, I Ce végétal mycodermique c'est la levure, agent de la fermentation de l'acide paratartrique.
Depuis les travaux de Lavoisier et ceux de Gay-Lussac, en France, ceux de Berzelius en Suède et ceux de Justus von Liebig 1803-1873, contemporain de Pasteur en Allemagne, toute fermentation était considérée comme un processus de décomposition purement chimique, accéléré par un ferment qui n'était qu'un type particulier de catalyseur. Pasteur prit le contre-pied des idées dominantes en avançant sa théorie des germes : aux ferments catalytiques inertes, il opposa, comme agents des fermentations, des micro-organismes vivants qui produisaient ou utilisaient des molécules asymétriques. Pour la fermentation alcoolique, par exemple, il soutint le rôle majeur joué par les cellules de levure observées auparavant par Charles Cagniard de La Tour 1777-1859.
Voici les principaux points de la théorie des germes de Pasteur :
1. La fermentation est un processus biologique résultant de l'action d'un micro-organisme.
2. Chaque type de fermentation, alcoolique, lactique, butyrique, acétique, etc. dépend d'un microbe particulier dont l'action est spécifique.
3. Un milieu de fermentation adapté fournit à chaque micro-organisme les nutriments nécessaires à son développement.
4. À partir des années 1860 environ, Pasteur comprit que l'oxygène de l'air pouvait parfois inhiber la croissance de l'agent de fermentation, cas du vibrion butyrique. Il introduisit alors en biologie le concept tout à fait révolutionnaire de la vie sans air favorisant les fermentations dans le cas des microbes qui supportent l'anaérobiose.
Pasteur n'a jamais convaincu tous ses collègues de la justesse de sa théorie des germes ; en particulier, son ami Claude Bernard est resté réticent, jusqu'à sa mort, devant l'origine biologique des fermentations. La découverte de l'amylase, extraite de l'orge, par Payen et Persoz, en 1833, et celle de l'invertase, extraite de la levure, par Marcellin Berthelot, 1827-1907, deux catalyseurs de la dégradation des sucres donnant, l'une et l'autre, des produits optiquement actifs in vitro, semblaient infirmer les théories de Pasteur. Mais Marcellin Berthelot concilia finalement les points de vue opposés en admettant que les micro-organismes nécessaires aux fermentations agissaient par l'intermédiaire des enzymes, amylase, phosphorylases, invertase, etc. qu'ils contenaient.
Sans micro-organisme, il ne peut y avoir de fermentation naturelle. En cas d'anaérobiose totale ou partielle, vécue par les micro-organismes, il se déclenche un métabolisme énergétique particulier : le métabolisme fermentaire. L'oxygène contrarie ce métabolisme : c'est l'effet Pasteur. La fermentation est définitivement liée à la vie.
Pasteur, professeur déjà expérimenté, est nommé doyen de la nouvelle faculté des sciences de Lille et il s'attaque lui-même aux problèmes rencontrés par les brasseurs de bière ou à ceux des fabricants de sucre à partir du jus de betterave. Ces industriels éprouvaient des difficultés à maîtriser les fermentations, utiles pour les brasseurs, nuisibles pour les sucriers. Pour résoudre ces problèmes, Pasteur apporte dans ses recherches appliquées la même rigueur que dans ses recherches fondamentales. Ses résultats permettront une grande amélioration des productions industrielles liées aux fermentations. Par la suite, il passera, toujours avec succès, des problèmes des betteraviers du Nord à ceux des vinaigriers d'Orléans ou ceux des viticulteurs du Jura.

Le débat sur la génération spontanée

En 1857, Pasteur est nommé directeur des études scientifiques à l'École normale supérieure. Il remplira cette tâche avec beaucoup de dévouement, mais il eut de mauvais rapports avec les élèves de l'École ; il désapprouvait leur esprit républicain.
Pour poursuivre ses recherches dans cette nouvelle situation, Pasteur dut installer son laboratoire dans une soupente inconfortable des bâtiments de la rue d'Ulm. C'est là qu'il posa les bases techniques fondamentales de la microbiologie : stérilisation des milieux de culture, utilisation de filtres stérilisants, les bougies de porcelaine poreuse de son collaborateur Chamberland, ensemencements sur milieux de culture bien définis.
Pasteur et ses élèves notamment Jules Raulin réussirent à faire se développer beaucoup de micro-organismes sur des milieux quasi exclusivement minéraux. Les chercheurs hétérogénistes, comme on les appelait à l'époque, voyaient, à partir de ces résultats, la possibilité de faire naître des micro-organismes à partir de matières inertes : c'était la thèse de la génération spontanée » des microbes. Leur chef de file était Félix Pouchet 1800-1872, professeur à l'École de médecine de Rouen.
Le débat sur la génération spontanée, c'est-à-dire sur l'origine de la vie traverse toute l'histoire de la biologie. Pouchet s'inscrit dans la lignée des partisans de la formation naturelle des êtres vivants à partir des matières en putréfaction : Aristote, Van Helmont, Needham, Buffon et même Liebig. En revanche, Pasteur, opposant résolu à la génération spontanée, soutenait que les germes en suspension dans l'air étaient à l'origine des micro-organismes nouvellement apparus dans les milieux en putréfaction, s'appuyant, lui, sur les travaux de Redi ou Spallanzani. La controverse scientifique Pasteur-Pouchet se développa dans les années 1860-1865 et déborda largement les murs des laboratoires. La presse, des conférences publiques très suivies données par les deux protagonistes, faisaient largement écho à leurs travaux sur la question. Finalement le dilemme fut tranché par l'Académie des sciences qui se rallia, en 1865, au point de vue de Pasteur. Ce dernier avait critiqué les expériences de Pouchet parce que, dans les expériences qu'il réalisait pour prouver sa thèse, les voies d'entrée des germes atmosphériques dans les milieux de culture utilisés n'étaient pas strictement contrôlées. Pasteur démontra que, lorsque l'air et le milieu d'expérience sont réellement débarrassés de tous leurs germes, même sans chauffage mais en employant les fameux ballons à ouverture étirée en col de cygne, le contact de l'air purifié avec une solution organique putrescible n'entraîne aucune production de microbe. Il suffit en revanche que l'air ordinaire entre en contact avec la solution pour que les germes prolifèrent en son sein.
Pour l'histoire des sciences, la controverse Pasteur-Pouchet prend surtout de l'importance par la critique de plus en plus approfondie des méthodes de la microbiologie naissante qu'elle a provoquée. La technique industrielle de la pasteurisation, le chauffage des liquides organiques alimentaires, notamment du lait, à 70 0C, à l'abri de l'oxygène, prendra aussi son essor à cette époque. La question de l'origine de la vie sera reprise au XXe siècle, et certains résultats expérimentaux contemporains s'accordent assez bien avec les thèses des hétérogénistes, sans toutefois que la question soit définitivement tranchée. La théorie des germes de Pasteur trouve encore un écho dans les vues de certains biologistes du XXe siècle, tels Svante Arrhenius ou Francis Crick, qui postulent que les premières cellules vivantes ont été apportées sur Terre par des météorites venus d'autres planètes

La lutte contre les maladies contagieuses

En 1867, Pasteur succède à Balard dans la chaire de chimie physiologique de la Sorbonne. Le chercheur dispose désormais d'un laboratoire bien équipé. Mais en 1868, à l'âge de quarante-six ans, il est frappé par une attaque d'hémiplégie cérébrale dont il ne se relèvera que lentement, restant en grande partie paralysé du côté gauche. Sa jambe raide le handicapera beaucoup pour marcher. Il ne pourra plus manipuler lui-même au laboratoire et devra s'en remettre à ses collaborateurs, Roux, Yersin, Duclaux, Haffkine, Metchnikoff. Il assistera cependant à toutes les expériences et surveillera de près tous les travaux : mais ne plus pouvoir être directement expérimentateur fut certainement pour lui un grand drame. Quelques années plus tôt, en 1859, 1865 et 1866, il avait perdu trois filles de la typhoïde et du choléra.
Au milieu de tous ces malheurs, une réorientation importante de la carrière de Pasteur va se produire : il va se consacrer à l'étude des maladies d'origine microbienne. La « théorie des germes », la présence universelle des micro-organismes dans l'air atmosphérique, révélée par les expériences sur la génération spontanée, la perte de ses propres enfants, devaient logiquement conduire Pasteur vers ces nouvelles recherches. Ce mouvement fut précipité par une demande de son ancien maître, Jean-Baptiste Dumas, devenu sénateur du Gard.
Une maladie d'origine mystérieuse dévastait les élevages français de vers à soie dans le Midi de la France. Dumas obtint que Pasteur, auréolé de la gloire acquise lors de ses travaux sur les maladies du vin, de la bière, du vinaigre, etc., se rende sur place, à Alès, entouré de plusieurs collaborateurs, pour étudier les maladies du ver à soie ; c'est-à-dire de la chenille du papillon Bombyx du mûrier. Deux affections principales touchaient les élevages : la pébrine, qui couvrait les vers de fines taches brunes leur donnant un aspect poivré et la flacherie ou maladie des morts flats ; les deux affections étaient mortelles pour les vers et s'accompagnaient de la présence de corpuscules microscopiques dans les chenilles et les papillons malades. Pour se débarrasser des vers malades, Pasteur met au point la méthode du grainage. Une partie des œufs d'un élevage de Bombyx du mûrier, recueillis sur un papier, est broyée et le broyat est observé au microscope : si les œufs ainsi examinés contiennent des corpuscules, ils doivent être éliminés ; s'ils n'en contiennent pas, l'élevage peut être mis en route. Pasteur constitua ainsi d'importantes réserves d'œufs sains ; il les distribua largement aux sériciculteurs de la région. En 1869, pour prouver l'efficacité de sa méthode, Pasteur organisa comme il le fera toujours par la suite une démonstration publique : les lots d'œufs sains avaient toujours donné des élevages exempts de maladie ; en revanche, les lots à corpuscules avaient donné des vers touchés par la pébrine ou la flacherie. La sériciculture française fut ainsi sauvée. L'agent infectieux de la pébrine est aujourd'hui connu : c'est un protozoaire Nosema bombycis ; l'agent de la flacherie est un virus encore mal caractérisé.
L'étude de ces maladies du ver à soie par Pasteur illustre la démarche qu'il suivra constamment dans l'étude de toute maladie contagieuse : 1) recherche du « germe » de la maladie pour établir un diagnostic ; 2) recherche d'un traitement curatif ou préventif ; 3) une fois le traitement (généralement prophylactique) trouvé, organisation de démonstrations publiques prouvant l'efficacité de sa méthode thérapeutique. Chaque démonstration sera l'occasion de réclamer aux pouvoirs publics ou à des souscripteurs divers l'argent nécessaire au financement de la recherche. Notons ici une grande différence entre les travaux des « pastoriens » et ceux, tout à fait contemporains, de l'école bactériologique allemande fondée par Robert Koch (1843-1910). Les recherches allemandes visaient surtout à préciser la méthodologie de l'obtention de germes en culture pure, pour bien les caractériser, préciser leurs besoins nutritifs, leurs exigences vis-à-vis du milieu, etc., de façon à préciser l'étiologie des maladies. Les travaux de Pasteur (qui était chimiste de formation) avaient d'emblée un but essentiellement pratique, privilégiant les applications de la recherche.
Désormais, à partir de 1870 environ, Pasteur oriente tous ses travaux scientifiques vers l'étude des maladies contagieuses. À la fin du XIXe siècle, les ravages causés par les épidémies de choléra, de typhoïde ou de tuberculose sont considérables et rappellent ceux de la variole ou de la peste au Moyen Âge. Les médecins du XIXe siècle, selon une tradition très ancienne remontant à Hippocrate. La décomposition chimique des tissus, semblable à celle accompagnant les putréfactions. Les miasmes atmosphériques liés à la putréfaction expliquaient la contagion. Toute la santé d'un individu reposait, pensaient en majorité les médecins, sur la composition chimique adéquate de ses tissus, de ses humeurs ou de son milieu intérieur tel que Claude Bernard venait de le définir.
Face à ce courant dominant dans les académies de médecine ou de science vétérinaire, Pasteur tenait bon sur sa théorie des germes. Recherchant des micro-organismes dans le pus, les plaies, les tissus infectés ou les furoncles, Pasteur découvrit ainsi le vibrion septique 1877, le staphylocoque 1880, le pneumocoque 1881. De son côté Koch isolait le bacille de la tuberculose 1882 et le vibrion du choléra 1883. C'est en suivant les idées de Pasteur que le chirurgien écossais Joseph Lister, 1827-1912 appliqua systématiquement des procédés aseptiques lors des opérations chirurgicales et qu'il utilisa des pansements imprégnés de substances antiseptiques, comme l'acide phénique. Avec ces procédés, la mortalité post-opératoire s'effondra dans des proportions spectaculaires.
À propos d'une maladie du mouton, le charbon des ruminants qui ravageait les bergeries de la Brie, la méthode prophylactique mise au point par Pasteur fit l'objet d'une grande publicité. Le bacille responsable de la maladie Bacillus anthracis avait été isolé par Robert Koch en 1876. Comme il l'avait déjà fait pour le choléra des poules, Pasteur se mit à la recherche d'un procédé d'atténuation de la virulence du microbe. Il pensa avoir atteint le but recherché en exposant longtemps à l'air des cultures de bacilles maintenues à 42-43 0C. Dans une atmosphère de controverses passionnées, il organisa en 1881, la célèbre expérience de Pouilly-le-Fort, en Seine-et-Marne où soixante moutons furent rassemblés. Dix d'entre eux ne reçurent aucune injection de bacille et restèrent vivants jusqu'à la fin de l'expérience. Un lot de vingt-cinq moutons reçut deux injections prophylactiques de bacilles du charbon à virulence atténuée, par la chaleur mais aussi par traitement au bichromate – ce que Pasteur ne dévoila pas publiquement puis une dose mortelle de bacilles virulents. La même dose mortelle fut injectée, au même moment, à l'autre lot de vingt-cinq moutons, non traités. Trois jours plus tard, 23 moutons non traités préalablement étaient morts, et le dernier allait bientôt mourir tandis que 24 des 25 moutons vaccinés restaient en bonne santé ; seule une brebis gravide, affaiblie par sa grossesse, était sur le point de mourir. Le succès triomphal de l'expérience de Pouilly-le-Fort permit à Pasteur d'établir définitivement le principe de la vaccination pour la prophylaxie des maladies contagieuses.

Pasteur et la vaccination

Pasteur utilise le mot vaccination pour désigner l'injection préventive, dans le sang d'un individu, d'un germe microbien pathogène dont la virulence avait été artificiellement atténuée. Cela immunisait l'individu contre la maladie en cas de rencontre ultérieure avec le germe virulent. Le terme vaccination rendait hommage à une pratique empirique, généralisée par le médecin anglais Jenner au XVIIIe siècle : l'injection de broyats de pustules de vaches atteintes de cow-pox, ou vaccine, maladie bénigne qui immunisait l'homme contre la variole, fléau très redouté à cette époque.
On savait depuis l'Antiquité qu'un patient guéri d'une maladie contagieuse, variole, rougeole, scarlatine, oreillons ne contractait jamais une deuxième fois la maladie. Cette absence de récidive avait même incité certains médecins du XVIIIe siècle à pratiquer, en reprenant d'anciennes méthodes chinoises, l'inoculation préventive à des enfants de broyats de croûtes de varioleux pour tenter de les protéger contre la variole ; les résultats étaient beaucoup plus aléatoires que ceux de la vaccination jennérienne. La question de l'utilité de l'inoculation restait donc encore très discutée au XIXe siècle ; cette question s'inscrivait d'ailleurs parfaitement dans le cadre des grands débats sur les mécanismes de l'évolution soulevés à cette époque.
Pasteur, qui n'était pas du tout naturaliste, était attiré par le lamarckisme, où il pouvait retrouver les desseins d'un Créateur tirant les êtres vivants vers toujours plus de perfection, tandis que son grand rival allemand, Robert Koch, était un adepte convaincu du darwinisme. On ne trouve donc, dans les œuvres de Pasteur, aucune réflexion sur la variation intra-spécifique ou sur la sélection naturelle. En revanche, le concept lamarckien d'une transformation directe des propriétés d'un être vivant par le milieu, transformation transmise ensuite héréditairement, confortait Pasteur dans ses recherches : son but était bien de trouver les conditions expérimentales d'atténuation de la virulence d'un microbe en changeant les conditions de culture du micro-organisme. Ce microbe, devenu inoffensif, devait ensuite protéger un individu sain contre le microbe pathogène initial. Koch n'acceptait pas ces idées, car il faisait de la virulence d'un microbe un « caractère héréditaire spécifique, insensible aux changements de milieu.
Pasteur s'attaqua d'abord aux maladies contagieuses frappant les animaux. Le choléra des poules fit l'objet de ses premières recherches parce que le développement de la maladie était très rapide, la mort survenait deux jours après l'inoculation du germe pathogène et parce que la contagion était extrême. Le germe responsable, une bactérie pathogène fut isolé en 1878 par deux vétérinaires, l'un italien, l'autre français, et porte aujourd'hui le nom de Pasteurella multocida. Une fois le microbe isolé, Pasteur éprouva sa virulence sur plusieurs animaux. Au contraire des poules et des lapins, les cobayes résistaient bien à l'attaque microbienne. Ce fait persuada Pasteur qu'un organisme particulier pouvait très bien résister à un microbe très virulent pour d'autres organismes. Pourtant les bactéries prélevées dans le pus d'un abcès bénin du cobaye, injectées à une poule, tuaient cet animal en moins de deux jours. Pour expliquer ces faits, Pasteur supposa que le microbe parasite trouvait dans les tissus de son hôte un oligo-élément indispensable à son développement, tels le rubidium ou le césium, récemment découverts. Si l'hôte, tels la poule ou le lapin, contenait de grandes quantités de l'oligo-élément indispensable, le germe pathogène pouvait se développer abondamment et l'animal infecté mourait. En revanche, si l'hôte, tel le cobaye, contenait peu d'oligo-élément, la prolifération bactérienne était limitée et l'animal infecté manifestait une immunité naturelle.
Le problème, pour Pasteur, consistait donc à trouver un microbe à virulence atténuée qui, en envahissant un hôte sain, prélèverait de ses tissus la totalité de l'oligo-élément indispensable au développement du micro-organisme pathogène et conférerait ainsi à l'hôte une immunité artificielle comparable à l'immunité naturelle du cobaye. Le savant multiplia les essais pour trouver des conditions de culture rendant le microbe inoffensif. Il conclut finalement que l'oxygène de l'air, en exerçant longtemps son effet sur la population microbienne, diminuait la toxicité du microbe. Il espaça donc les réensemencements de cultures abandonnées entre temps à l'air libre par des périodes de huit ou dix mois. Pasteur n'apporta jamais de preuves décisives de l'effet inhibiteur de l'oxygène sur la virulence mais cette hypothèse lui servit de guide pour la recherche d'autres vaccins.
La biologie contemporaine a démontré que les explications de Pasteur étaient fausses. Le vieillissement à l'air des cultures de Pasteurella multocida avait en fait abouti, à l'insu du savant, à l'élimination de la souche pathogène, porteuse du plasmide de toxicité. Il ne subsistait donc dans les cultures que des souches non pathogènes convenables pour la vaccination. Dans les expériences de Pasteur, l'élimination des souches pathogènes était aléatoire, d'où les longs temps d'attente nécessaires. Aujourd'hui les souches vaccinantes sont préparées directement par manipulation génétique avec élimination du plasmide de toxicité.
Pasteur cependant vaccina des poules avec des microbes vieillis à l'air, dont il avait vérifié la non-virulence, et après deux injections de rappel, ces poules devinrent effectivement insensibles à l'inoculation de germes restés nocifs. On sait aujourd'hui que l'injection à un animal d'un microbe à virulence atténuée (ou nulle) provoque dans son sang l'apparition d'anticorps qui le protègent contre tous les microbes de même structure moléculaire, antigénique, en particulier contre les microbes des souches de même espèce contenant les plasmides de toxicité. Pasteur fournissait lui une tout autre explication :
« Considérons une poule très bien vaccinée par une ou plusieurs inoculations antérieures du virus affaibli. Réinoculons cette poule. Que va-t-il se passer ? La lésion locale sera, pour ainsi dire, insignifiante, relativement à celles que les premières inoculations ont produites... Le muscle qui a été malade est devenu, après sa guérison et sa réparation, en quelque sorte impuissant à cultiver le microbe, comme si ce dernier, par une culture antérieure, avait supprimé quelque principe que la vie n'y ramène pas et dont l'absence empêche le développement du petit organisme... Sur les maladies virulentes et en particulier sur la maladie appelée vulgairement choléra des poules, Comptes-rendus de l'Académie des sciences, séance du 9 février 1880. Force est de constater que cette fausse explication de l'immunité apportée par la vaccination n'a pas empêché Pasteur de s'attaquer à d'autres maladies contagieuses.
Après le choléra des poules, c'est l'érysipèle du porc, puis le charbon des ruminants contre lesquels Pasteur prépare des vaccins. En 1885 enfin, c'est la rage qui donne à Pasteur l'occasion de fabriquer au laboratoire le premier vaccin artificiel jamais inoculé à l'homme. Le formidable retentissement de cette première vaccination réussie sur l'homme – le 6 juillet 1885, au bénéfice de Joseph Meister, un jeune Alsacien qui avait été mordu par un chien enragé – déclencha une série impressionnante de recherches menées par les pastoriens dès la fin du XIXe siècle. La vaccination prophylactique contre les maladies infectieuses, choléra, diphtérie, tétanos, typhoïde, fièvre jaune, etc. se généralisa et la lutte contre les maladies virales, variole, coqueluche, rougeole, poliomyélite enregistra au XXe siècle, pour la première fois, dans l'histoire de l'humanité, de grands succès, grâce aux vaccinations systématiques obligatoires. L'Organisation mondiale de la santé déclara enfin, en 1980, l'éradication totale de la variole.
Finalement, peu importe que le vaccin contre la rage, préparé aujourd'hui à l'Institut Pasteur par manipulation génétique, n'ait plus grand-chose à voir avec les préparations de virus atténués, prélevées par Pasteur sur des moelles épinières de lapin séchées à l'air. Peu importe que la théorie pastorienne de l'oligo-élément indispensable au développement d'un germe pathogène soit aujourd'hui abandonnée. Seul compte l'élan formidable que Pasteur sut donner à la lutte contre les maladies contagieuses et cela, contre l'avis de nombreux médecins ou vétérinaires, et même, s'agissant de la rage contre l'avis de certains de ses élèves. Sa théorie des germes , sa confiance inébranlable dans la possibilité d'atténuer la virulence des microbes pour conférer aux individus sains, par la vaccination, une immunité artificielle contre les germes pathogènes, font de Pasteur un bienfaiteur de l'humanité et l'un des plus grands biologistes de tous les temps.

La rage, Travaux antérieurs de Duboué et Galtier.

En 1879, Paul-Henri Duboué dégage de divers travaux de l'époque une théorie nerveuse de la rage : Dans cette hypothèse, le virus rabique s'attache aux fibrilles nerveuses mises à nu par la morsure et se propage jusqu'au bulbe. Le rôle de la voie nerveuse dans la propagation du virus de la rage, conjecturé par Duboué presque uniquement à partir d'inductions, fut plus tard confirmé expérimentalement par Pasteur et ses assistants.
La même année 1879, Galtier montre qu'on peut utiliser le lapin, beaucoup moins dangereux que le chien, comme animal d'expérimentation. Il envisage aussi de mettre à profit la longue durée d'incubation c'est-à-dire la longue durée que le virus met à atteindre les centres nerveux pour faire jouer à un moyen préventif qu'il en est encore à chercher ou à expérimenter un rôle curatif : J'ai entrepris des expériences en vue de rechercher un agent capable de neutraliser le virus rabique après qu'il a été absorbé et de prévenir ainsi l'apparition de la maladie, parce que, étant persuadé, d'après mes recherches nécroscopiques, que la rage une fois déclarée est et restera longtemps, sinon toujours incurable, à cause des lésions qu'elle détermine dans les centres nerveux, j'ai pensé que la découverte d'un moyen préventif efficace équivaudrait presque à la découverte d'un traitement curatif, surtout si son action était réellement efficace un jour ou deux après la morsure, après l'inoculation du virus . Galtier ne précise pas que le moyen préventif auquel il pense doive être un vaccin.
Dans une note de 1881, il signale notamment qu'il semble avoir conféré l'immunité à un mouton en lui injectant de la bave de chien enragé par voie sanguine. L'efficacité de cette méthode d'immunisation des petits ruminants : chèvre et mouton, par injection intraveineuse sera confirmée en 1888 par deux pasteuriens, Nocard et Roux.
Dans cette même note, toutefois, Galtier répète une erreur qu'il avait déjà commise dans son Traité des maladies contagieuses de 1880 : parce qu'il n'a pas pu transmettre la maladie par inoculation de fragments de nerfs, de moelle ou de cerveau, il croit pouvoir conclure que, chez le chien, le virus n'a son siège que dans les glandes linguales et la muqueuse bucco-pharyngienne.
Les choses en sont là quand Pasteur, en 1881, commence ses publications sur la rage.

Les études de Pasteur Études sur les animaux

Dans une note du 30 mai de cette année199, Pasteur rappelle la théorie nerveuse de Duboué et l'incapacité où Galtier a dit être de confirmer cette théorie en inoculant de la substance cérébrale ou de la moelle de chien enragé. J'ai la satisfaction d'annoncer à cette Académie que nos expériences ont été plus heureuses, dit Pasteur, et dans cette note de deux pages, il établit deux faits importants :
le virus rabique ne siège pas uniquement dans la salive, mais aussi, et avec une virulence au moins égale, dans le cerveau ;
l'inoculation directe de substance cérébrale rabique à la surface du cerveau du chien par trépanation communique la rage à coup sûr, avec une incubation nettement plus courte mort en moins de trois semaines que dans les circonstances ordinaires, ce qui fait gagner un temps précieux aux expérimentateurs.
Dans cette note de 1881, Galtier n'est nommé qu'une fois, et c'est pour être contredit avec raison.
En décembre 1882, nouvelle note de Pasteur et de ses collaborateurs, établissant que le système nerveux central est le siège principal du virus, où on le trouve à l'état plus pur que dans la salive, et signalant des cas d'immunisation d'animaux par inoculation du virus, autrement dit des cas de vaccination. Galtier est nommé deux fois en bas de page, tout d'abord à propos des difficultés insurmontables auxquelles se heurtait l'étude de la rage avant l'intervention de Pasteur, notamment parce que la salive était la seule matière où l'on eût constaté la présence du virus rabique, suit une référence à Galtier et ensuite à propos de l'absence d'immunisation que les pasteuriens ont constatée chez le chien après injection intraveineuse : Ces résultats contredisent ceux qui ont été annoncés par M. Galtier, à cette Académie, le 1er août 1881, par des expériences faites sur le mouton. Galtier, en 1891 puis en 1904, se montra ulcéré de cette façon de traiter sa méthode d'immunisation des petits ruminants par injection intraveineuse, dont l'efficacité fut confirmée en 1888 par deux pasteuriens, Roux et Nocard.
Deux notes de février et mai 1884 sont consacrées à des méthodes de modification du degré de virulence par passages successifs à l'animal exaltation par passages successifs aux lapins, atténuation par passages successifs aux singes. Les auteurs estiment qu'après un certain nombre de passages chez des animaux d'une même espèce, on obtient un virus fixe, c'est-à-dire un virus dont les propriétés resteront immuables lors de passages subséquents, en 1935, P. Lépine montra que cette fixité était moins absolue qu'on ne le croyait et qu'il était nécessaire de contrôler le degré de virulence et le pouvoir immunogène des souches fixes.
En 1885, Pasteur se dit capable d'obtenir une forme du virus atténuée à volonté en exposant de la moelle épinière de lapin rabique desséchée au contact de l'air gardé sec. Cela permet de vacciner par une série d'inoculations de plus en plus virulentes
Tableau d'Albert Edelfelt représentant Louis Pasteur, une de ses représentations les plus célèbres.
Dans cette représentation Pasteur observe dans un bocal une moelle épinière de lapin enragé, suspendue en train de se dessécher au-dessus de cristaux de potasse. C'est le processus qui a permis d'obtenir le vaccin contre la rage.

Essais sur l'Homme

C'est en cette année 1885 qu'il fait ses premiers essais sur l'homme.
Il ne publia rien sur les deux premiers cas : Girard, sexagénaire de l'hôpital Necker, inoculé le 5 mai 1885, et la fillette de 11 ans Julie-Antoinette Poughon, inoculée après le 22 juin 1885, ce qui, selon Patrice Debré, alimente régulièrement une rumeur selon laquelle Pasteur aurait étouffé ses premiers échecs. En fait, dans le cas Girard, qui semble avoir évolué favorablement, le diagnostic de rage, malgré des symptômes qui avaient fait conclure à une rage déclarée, était douteux, et, dans le cas de la fillette Poughon, qui mourut le lendemain de la vaccination, il s'agissait très probablement d'une rage déclarée, ce qui était et est encore, avec une quasi-certitude, un arrêt de mort à brève échéance, avec ou sans vaccination.
G. Geison a noté qu'avant de soigner ces deux cas humains de rage déclarée, Pasteur n'avait fait aucune tentative de traitement de rage déclarée sur des animaux.
Le 6 juillet 1885, on amène à Pasteur un petit berger alsacien de Steige âgé de neuf ans, Joseph Meister, mordu l'avant-veille par un chien qui avait ensuite mordu son propriétaire. La morsure étant récente, il n'y a pas de rage déclarée. Cette incertitude du diagnostic rend le cas plus délicat que les précédents et Roux, l'assistant de Pasteur dans les recherches sur la rage, refuse formellement de participer à l'injection. Pasteur hésite, mais deux éminents médecins, Alfred Vulpian et Jacques-Joseph Grancher, estiment que le cas est suffisamment sérieux pour justifier la vaccination et la font pratiquer sous leur responsabilité. Le fort écho médiatique accordé alors à la campagne de vaccination massive contre le choléra menée par Jaime Ferran en Espagne a pu également infléchir la décision de Pasteur. Joseph Meister reçoit sous un pli fait à la peau de l’hypocondre droit treize inoculations réparties sur dix jours, et ce par une demi-seringue de Pravaz d'une suspension d'un broyat de moelle de lapin mort de rage le 21 juin et conservée depuis 15 jours. Il ne développera jamais la rage.
Le cas très célèbre de Meister n'est peut-être plus très convaincant. Ce qui fit considérer que le chien qui l'avait mordu était enragé est le fait que celui-ci, à l'autopsie, avait foin, paille et fragments de bois dans l'estomac . Aucune inoculation de substance prélevée sur le chien ne fut faite. Peter, principal adversaire de Pasteur et grand clinicien, savait que le diagnostic de rage par la présence de corps étrangers dans l'estomac était caduc. Il le fit remarquer à l'Académie de médecine 11 janvier 1887.
Un détail du traitement de Meister illustre ces mots écrits en 1996 par Maxime Schwartz, alors directeur général de l'Institut Pasteur Paris : Pasteur n'est pas perçu aujourd'hui comme il y a un siècle ou même il y a vingt ans. Le temps des hagiographies est révolu, les images d'Épinal font sourire, et les conditions dans lesquelles ont été expérimentés le vaccin contre la rage ou la sérothérapie antidiphtérique feraient frémir rétrospectivement nos modernes comités d'éthique.
Pasteur, en effet, fit faire à Meister, après la série des inoculations vaccinales, une injection de contrôle. L'injection de contrôle, pour le dire crûment, consiste à essayer de tuer le sujet en lui injectant une souche d'une virulence qui lui serait fatale dans le cas où il ne serait pas vacciné ou le serait mal ; s'il en réchappe, on conclut que le vaccin est efficace.
Pasteur a lui-même dit les choses clairement : Joseph Meister a donc échappé, non seulement à la rage que ses morsures auraient pu développer, mais à celle que je lui ai inoculée pour contrôle de l'immunité due au traitement, rage plus virulente que celle des rues. L'inoculation finale très virulente a encore l'avantage de limiter la durée des appréhensions qu'on peut avoir sur les suites des morsures. Si la rage pouvait éclater, elle se déclarerait plus vite par un virus plus virulent que par celui des morsures.
À propos de la seconde de ces trois phrases, André Pichot, dans son anthologie d'écrits de Pasteur, met une note : Cette phrase est un peu déplacée, dans la mesure où il s'agissait ici de soigner un être humain et non de faire une expérience sur un animal.

L'efficacité du vaccin de Pasteur remise en cause

Pasteur ayant publié ses premiers succès, son vaccin antirabique devient vite célèbre et les candidats affluent parmi les premiers vaccinés, Jean-Baptiste Jupille est resté célèbre. Déçu par quelques cas où le vaccin a été inefficace, Pasteur croit pouvoir passer à un traitement intensif, qu'il présente à l'Académie des Sciences le 2 novembre 1886. L'enfant Jules Rouyer, vacciné dans le mois d'octobre précédant cette communication, meurt vingt-quatre jours après la communication et son père porte plainte contre les responsables de la vaccination.
D'après un récit fait une cinquantaine d'années après les évènements par le bactériologiste André Loir, neveu et ancien assistant-préparateur de Pasteur, le bulbe rachidien de l'enfant, inoculé à des lapins, leur communique la rage, mais Roux en l'absence de Pasteur, qui villégiature à la Riviera fait un rapport en sens contraire; le médecin légiste, Brouardel, après avoir dit à Roux Si je ne prends pas position en votre faveur, c'est un recul immédiat de cinquante ans dans l'évolution de la science, il faut éviter cela !, conclut dans son expertise que l'enfant Rouyer n'est pas mort de la rage. P. Debré accepte ce récit, tout en notant qu'il repose uniquement sur André Loir.
À la même époque, le jeune Réveillac, qui a subi le traitement intensif, meurt en présentant des symptômes atypiques où Peter, le grand adversaire de Pasteur, voit une rage humaine à symptômes de rage de lapin, autrement dit la rage de laboratoire, la rage Pasteur, dont on commence à beaucoup parler.
On renonça plus tard à une méthode de traitement aussi énergique, et qui pouvait présenter quelques dangers.
En fait, on finit même par renoncer au traitement ordinaire de Pasteur-Roux. En 1908, Fermi proposa un vaccin contre la rage avec virus traité au phénol. Progressivement, dans le monde entier, le vaccin phéniqué de Fermi supplanta les moelles de lapin de Pasteur et Roux. En France, où on en était resté aux moelles de lapin, P. Lépine et V. Sautter firent en 1937 des comparaisons rigoureuses : une version du vaccin phéniqué protégeait les lapins dans la proportion de 77,7 %, alors que les lapins vaccinés par la méthode des moelles desséchées n'étaient protégés que dans la proportion de 35 %. Dans un ouvrage de 1973, André Gamet signale que la préparation de vaccin contre la rage par la méthode des moelles desséchées n'est plus utilisée. Parmi les méthodes qui le sont encore, il cite le traitement du virus par le phénol.
Même si ce sont les travaux de Pasteur sur la vaccination antirabique, et donc les derniers de sa carrière, qui ont fait sa gloire auprès du grand public, un spécialiste en immunologie comme P. Debré estime que les œuvres les plus remarquables de Pasteur sont les premières.Par ailleurs, d'après Bruno Latour, la véritable adhésion du grand public mais aussi des médecins à l'œuvre pastorienne, ne vint ni de la découverte d'un vaccin contre la maladie du charbon —maladie des campagnes—, ni de celle d'un vaccin contre une maladie aussi terrifiante que la rage, mais de la mise au point du sérum antidiphtérique par Roux et ses collègues en 1894.

Fondation de l'Institut Pasteur

La création d'un Institut antirabique sera d'abord évoquée devant l'Académie des Sciences par Vulpian dès octobre 1885 après que Pasteur y eût exposé les résultats de son traitement préventif. Le 1er mars 1886, Pasteur mentionne brièvement son projet devant l'Académie des Sciences : à l'issue de cette même séance une commission ad-hoc adopte ce projet et décide de lancer une souscription internationale afin de permettre le financement de ce qui est déjà nommé Institut Pasteur.Reconnu d'utilité publique par décret du 4 juin 1887, l'Institut Pasteur / Institut Antirabique de Paris sera officiellement inauguré le 14 novembre 1888 en présence du Président Sadi Carnot.

Erreurs théoriques Les toxines

En 1877, Pasteur veut tester l'hypothèse selon laquelle le bacille du charbon ne causerait l'état morbide que de façon indirecte, en produisant un ferment diastasique soluble qui serait l'agent pathogène immédiat. Il prélève le sang d'un animal qui vient de mourir du charbon, le filtre de façon à en ôter les bacilles et inocule le filtrat à un animal sain. L'animal récepteur ne développe pas la maladie et Pasteur estime que cette expérience écarte complètement l'hypothèse du ferment soluble. Dans une publication ultérieure, toujours en 1877, Pasteur note toutefois que le sang filtré, s'il ne cause pas la maladie, rend les globules agglutinatifs, autant et même plus que dans la maladie, et envisage que ce soit l'effet d'une diastase formée par les bacilles. En fait, les pasteuriens Roux et Yersin prouveront en 1888, dans le cas de la diphtérie que les microbes sécrètent bel et bien une substance la toxine qui est la cause directe et isolable de la maladie.
Des épistémologues et historiens des sciences comme F. Dagognet et A. Pichot pensent que le demi-échec de Pasteur à mettre l'existence et le rôle des toxines en évidence a la même cause que son attitude défensive face à la théorie des enzymes : son vitalisme Dagognet dit végétalisme, qui tend à séparer rigoureusement les domaines du vivant et du non-vivant. Il faut dire, à la décharge de Pasteur, que l'existence d'une toxine du charbon ne sera démontrée qu'en 1955. En 1880, d'ailleurs, Pasteur accepte d'envisager, à titre d'hypothèse, le rôle d'une substance toxique.

Les vaccins par microbes tués inactivés

En 1880, le vétérinaire Henry Toussaint estime, à tort ou à raison, avoir immunisé des moutons contre le charbon par deux méthodes : en inoculant du sang charbonneux dont les microbes ont été éloignés par filtration, et en inoculant du sang charbonneux où les microbes ont été laissés, mais tués par chauffage. Pasteur, qui voit ainsi Toussaint, à son insu, peut-être, car il n'y fait aucune allusion, battre en brèche les opinions publiées antérieurement par Pasteur, rejette l'idée d'un vaccin qui ne contiendrait pas d'agents infectieux vivants. Ici encore, André Pichot voit un effet de la tendance de Pasteur à cloisonner rigoureusement les domaines du vivant et de l'inanimé. Pasteur, toutefois, finira par admettre la possibilité des vaccins chimiques.

Le mécanisme de l'immunisation

Pour expliquer l'immunisation, Pasteur adopta tour à tour deux idées différentes. La première de ces idées, qu'on trouve déjà chez Tyndall et chez Auzias-Turenne, explique l'immunisation par l'épuisement, chez le sujet, d'une substance nécessaire au microbe. La seconde idée est que la vie du microbe ajoute une matière qui nuit à son développement ultérieur. Aucune de ces deux idées n'a été ratifiée par la postérité, encore que la seconde puisse être considérée comme une esquisse de la théorie des anticorps.

Le génie de Pasteur Mise en ordre plutôt qu'innovation

En 1950, René Dubos faisait gloire à Pasteur d'audacieuses divinations. En 1967, François Dagognet249 cite ce jugement de Dubos, mais pour en prendre le contre-pied : il rappelle que Pasteur a seulement ajouté à la chimie des isomères que Berzélius et Mitscherlich avaient fondée, qu'il avait été précédé par Cagniard-Latour dans l'étude microscopique des fermentations, par Davaine dans la théorie microbienne des maladies contagieuses et, bien sûr, par Jenner dans la vaccination. Il ajoute que la science de Pasteur consiste moins à découvrir qu'à enchaîner .
Dans le même ordre d'idées que Dagognet, André Pichot définit comme suit le caractère essentiel de l'œuvre de Pasteur : C'est là le mot-clé de ses travaux : ceux-ci ont toujours consisté à mettre de l'ordre, à quelque niveau que ce soit. Ils comportent assez peu d'éléments originaux, En note : Cela peut surprendre, mais les études sur la dissymétrie moléculaire étaient déjà bien avancées quand Pasteur s'y intéressa, celles sur les fermentations également; les expériences sur la génération spontanée sont l'affinement de travaux dont le principe était vieux de plus d'un siècle; la présence de germes dans les maladies infectieuses étudiées par Pasteur a souvent été mise en évidence par d'autres que lui; quant à la vaccination, elle avait été inventée par Jenner à la fin du XVIIIe siècle, et l'idée d'une prévention utilisant le principe de non-récidive de certaines maladies avait été proposée bien avant que Pasteur ne la réalisât.; mais, le plus souvent, ils partent d'une situation très confuse, et le génie de Pasteur a toujours été de trouver, dans cette confusion initiale, un fil conducteur qu'il a suivi avec constance, patience et application.
Patrice Debré dit de même : Pasteur donne parfois même l'impression de se contenter de vérifier des résultats décrits par d'autres, puis de se les approprier. Cependant, c'est précisément quand il reprend des démonstrations laissées, pour ainsi dire, en jachère, qu'il se montre le plus novateur : le propre de son génie, c'est son esprit de synthèse.

Un savant dans le monde

Pasteur n'était en rien un chercheur isolé dans sa tour d'ivoire. Ses travaux étaient orientés vers les applications médicales, hygiéniques, agricoles et industrielles. Il a toujours collaboré étroitement avec les professions concernées même si, parmi les médecins, ses partisans étaient en minorité et il a su obtenir le soutien des pouvoirs publics à la recherche scientifique. C'est sans doute à cela que Pasteur doit sa grande popularité. Il a lui-même sciemment contribué à l'édification de sa légende, par ses textes et par ses interventions publiques.
Le 11 avril 1865, Pasteur obtient en France un brevet sur la conservation des vins par chauffage modéré à l’abri de l’air pasteurisation. Le 28 juin 1871 il obtient un brevet en France sur la fabrication de la bière. L'Office américain des brevets accorde en 1873 à Pasteur un brevet sur une levure exempte de germes organiques de maladie,en tant que produit de fabrication .
Par la loi du 3 août 1875, l'Assemblée Nationale accorde une pension à Louis Pasteur en récompense des services rendus.
Louis Pasteur, par ailleurs, a eu quelques velléités, de s'engager activement en politique.

Pasteur, la religion catholique et l'euthanasie

Dans les dernières années du XIXe siècle et les premières du XXe, l'apologétique catholique attribuait volontiers à Pasteur la phrase Quand on a bien étudié, on revient à la foi du paysan breton. Si j'avais étudié plus encore j'aurais la foi de la paysanne bretonne.
En 1939 l'entre-deux-guerres fut la grande époque de l'Union rationaliste, Pasteur Vallery-Radot, petit-fils de Louis Pasteur, fit cette mise au point : Mon père a toujours eu soin, et ma mère également d'ailleurs, de dire que Pasteur n'était pas pratiquant. Si vous ouvrez la Vie de Pasteur, vous verrez que mon père parle du spiritualisme et non du catholicisme de Pasteur. Je me souviens parfaitement de l'irritation de mon père et de ma mère, quand quelque prêtre, en chaire, se permettait de lui attribuer cette phrase qu'il n'a jamais dite : J'ai la foi du charbonnier breton. ... Toute la littérature qui a été écrite sur le prétendu catholicisme de Pasteur est absolument fausse.
En 1994-1995, Maurice Vallery-Radot, arrière-petit-neveu de Pasteur et catholique militant, ne se contente pas du spiritualisme, du théisme de Pasteur, il tient que Pasteur resta au fond catholique, même s'il n'allait pas régulièrement à la messe.
En 2004, Pasteur sert de caution morale à une cause d'une nature différente : son précédent est évoqué à l'assemblée nationale en faveur de l'euthanasie compassionnelle. La commission rapporte, d'après Léon Daudet, que quelques-uns des dix-neuf Russes soignés de la rage par Pasteur développèrent la maladie et que, pour leur épargner les souffrances atroces qui s'étaient déclarées et qui auraient de toute façon été suivies d' une mort certaine, on pratiqua sur eux l'euthanasie avec le consentement de Pasteur.
Pourtant, il y eut une époque où un Pasteur praticien de l'euthanasie n'était pas une chose qu'on exhibait volontiers : Axel Munthe ayant lui aussi raconté l'euthanasie de quelques-uns des mordus russes dans la version originale en anglais de son Livre de San Michele The Story of San Michele, la traduction française publiée en 1934 par Albin Michel, bien que donnée comme texte intégral, fut amputée du passage correspondant.

Distinctions

Grand-croix de la Légion d'honneur 7 juillet 1881

Rues Pasteur

Du vivant même de Pasteur, des rues adoptèrent son nom : il existe à ce jour 2 020 artères rues, boulevards… Pasteur en France. C'est un des noms propres les plus attribués comme nom de rue. Lors des grands mouvements de décolonisation, qui entraînèrent des changements de nom de rues, les voies nommées en hommage à Pasteur gardèrent souvent leur nom. C'est le cas encore aujourd'hui, par exemple, d'un boulevard du quartier résidentiel de Bellevue à Constantine, en Algérie

Numismatique

Le graveur Oscar Roty réalisa en 1892 une médaille rectangulaire avec le buste de Pasteur ainsi que plusieurs modèles de jetons pour financer par souscription publique la construction de l'Institut Pasteur.
Louis Pasteur figure sur le billet 5 francs Pasteur créé en 1966.
Il figure aussi sur une pièce de 10 € en argent éditée en 2012 par la Monnaie de Paris pour représenter sa région natale, la Franche-Comté.
Astronomie
Pasteur est le nom d'un cratère lunaire depuis 1961.
Pasteur est un cratère situé sur la planète Mars

Philatélie

La Poste française émet en 1923 des timbres d'usage courant à l'effigie de Louis Pasteur

Iconographie Tableaux

1885 : tableau d'Albert Edelfelt, Musée d'Orsay.

Sculptures

1899 : Institut Pasteur de Lille, buste en marbre blanc de Pasteur..
Le Génie de la science, monument en hommage à Pasteur, à Bollène, par Armand Martial.
1904 : monument à Pasteur, place de Breteuil, 7e et 15e arrondissements de Paris, par Alexandre Falguière.
1999 : Nice, statue de Cyril de La Patellière au collège Pasteur de Nice, inaugurée en présence de l'artiste et de Jacques Peyrat maire de Nice.
2000 : Charenton-le-Pont, statue par Cyril de La Patellière à l'École Louis Pasteur, œuvre inaugurée le mardi 10 octobre 2000 en présence de l'artiste, Alain Griotteray maire de Charenton et de François Jacob prix Nobel de médecine.
2001 : Buste de Louis Pasteur, : Institut Pasteur, Paris, par Cyril de La Patellière.

Photos

1878, portrait de Louis Pasteur par Félix Nadar.

Liens

http://youtu.be/einJv5G-AH0 Portrait d'un visionnaire
http://www.ina.fr/video/CPC95001503/p ... -louis-pasteur-video.html I livre i jour
http://www.ina.fr/video/CPF86658447/l-institut-pasteur-video.html L'institut Pasteur


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Posté le : 27/09/2014 17:23
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André Breton 1
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Le 28 septembre 1966, à Paris, meurt à 70 ans André Breton

essayiste, théoricien du surréalisme, poète, écrivain théoricien du surréalisme et dadaïsme, poète et écrivain Poésie, récit, essai, peinture, ses Œuvres principales sont Manifestes du surréalisme 1924-1930, Nadja en 1928, L'Amour fou en 1937, Le Surréalisme et la peinture entre 1928-1965, il naît à Tinchebray dans l'Orne, le 19 février 1896.
Auteur des livres Nadja, L'Amour fou et des différents Manifestes du surréalisme, son rôle de chef de file du mouvement surréaliste, et son œuvre critique et théorique pour l'écriture et les arts plastiques, en font une figure majeure de l'art et de la littérature française du XXe siècle.


En Bref

Qui suis-je ? demandait André Breton au début d'un de ses livres les plus célèbres, Nadja. C'est son œuvre tout entière qui apporte la réponse, mais la question pour lui n'a jamais été close. Homme d'une ténacité exigeante dans ses choix profonds et en même temps homme de la liberté intérieure la plus inlassable, homme du mouvement, il s'avance à la découverte des vraies valeurs de la vie et de ce qui les fonde en se cherchant lui-même. Aussi les faits et les dates de son existence sont-ils les jalons d'une aventure humaine souvent pathétique et de valeur exemplaire, dans une époque déchirée et bouillonnante, où ont été et demeurent mises en question les vieilles idées sur l'homme et le monde, ces idées reçues que Breton voulait anéantir par la force des idées à faire recevoir.
Fondateur du surréalisme, il maintient parfois avec intransigeance les principes d'origine du mouvement et une discipline collective, quitte pour cela à remettre en cause ses propres choix en matière d'hommes ou d'œuvres. La fidélité aux idées et aux émotions formées très tôt en lui, notamment une conception absolue de l'amour, n'exclut pas un sens de la quête permanente et le désir d'être toujours étonné. Il sera d'emblée attiré par la recherche de la modernité, mais vite insatisfait par les limites qu'il perçoit dans ce qu'on appellera les avant-gardes au début du siècle. Sensible à toutes les audaces esthétiques, il ne perd jamais de vue leurs implications morales, et la recherche de l'esprit nouveau ne le quittera pas. Il restera comme un remarquable rassembleur, et un éveilleur de conscience.
Jeune étudiant en médecine, puis mobilisé, il se passionne pour la psychiatrie, et fait la rencontre déterminante de Jacques Vaché en 1916, à Nantes. Avec notamment Aragon et Soupault, il fonde la revue Littérature. Les aînés Francis Vielé-Griffin, Paul Valéry, Apollinaire et la lecture de Rimbaud influencent ses débuts poétiques. Rassemblés dans Clair de terre en 1923, ses premiers poèmes désarticulent la phrase, se résument en prose ou en vers libres, privilégiant le stupéfiant image découvert avec les Champs magnétiques, ensemble de textes automatiques écrits en commun avec Philippe Soupault 1920. En outre, de 1920 à 1922, il participe aux activités parisiennes du mouvement dada, auquel il adresse un bel adieu, souhaitant que la poésie conduise quelque part. Posant en 1924 les principes du surréalisme, Breton refuse l'idéalisme absolu aussi bien que la version stalinienne du matérialisme dialectique. La Révolution surréaliste sera l'organe du mouvement, puis le SASDLR, où il tente de concilier activités artistiques et adhésion au P.C. de 1927 à 1935. Les Vases communicants font la part belle aux conceptions matérialistes révolte sociale mais tout autant à l'importance du désir. La rencontre de Trotski au Mexique en 1937 lui permet enfin de concevoir un art révolutionnaire indépendant, modèle transposable au monde entier. Exilé aux États-Unis de 1941 à 1946, il publie avec ses amis la revue VVV, et s'interroge déjà en 1942 sur le sens de l'activité surréaliste.

Sa vie

André Breton est né le 19 février 1896, dans un village de l'Orne, Tinchebray, mais ses ascendances sont bretonnes et lorraines. Il passe sa petite enfance à Saint-Brieuc, auprès de son grand-père maternel auquel l'attachait une vive affection et qui lui a peut-être donné son goût des plantes, des insectes. En 1900, ses parents s'installent en banlieue parisienne. Fils unique d’une famille de la petite bourgeoisie catholique dont la mère impose une éducation rigide, André Breton passe une enfance sans histoire à Pantin Seine-St-Denis, dans la banlieue nord-est de Paris. Le souvenir de l'école communale de Pantin, comme celui du collège Chaptal qu'il fréquente de 1906 à 1912, se retrouve dans quelques passages de Saisons Les Champs magnétiques. De ces années, rendues moroses par le dur autoritarisme de sa mère, par l'ennui des routines scolaires, datent quelques-unes de ses aversions les plus affirmées : Qu'avant tout l'idée de famille rentre sous terre !L'Amour fou. Mais, vers sa quinzième année, une grande lumière perce la grisaille de l'existence, celle de la poésie dont il a la révélation soudaine grâce à un professeur, Albert Keim, par l'intermédiaire de Mallarmé. La passion de la poésie, désormais, l'absorbe tout entier ; il lit Baudelaire, les symbolistes, fréquente les séances poétiques du Vieux-Colombier, découvre Huysmans, un de ses grands enthousiasmes de jeunesse ; il écrit lui-même des poèmes. Dès cette époque, on est frappé chez lui par la rigueur des exigences, la fermeté d'un jugement qu'il sait approfondir et nuancer, le refus de toute facilité et le sens de la tenue dans l'expression ; un goût très vif pour la peinture et des prédilections durables, comme celle qui le tourne déjà vers Gustave Moreau, s'affirment en même temps. Inscrit à la faculté de médecine en octobre 1913, il continue à s'intéresser davantage à la poésie qu'à la chimie. Il rencontre Jean Royère et publie dans sa revue La Phalange, en mars 1914, trois de ses premiers poèmes ; l'un est dédié à Paul Valéry dont il fait alors la connaissance.
Il fait rapidement les premières rencontres décisives : Valéry, Apollinaire, Vaché
Au collège Chaptal, il suit une scolarité moderne sans latin ni grec, se fait remarquer par son professeur de rhétorique qui lui fait découvrir Charles Baudelaire et Joris-Karl Huysmans, et par son professeur de philosophie qui oppose le positivisme, ordre et progrès aux pensées hégéliennes, liberté de la conscience de soi qu’affectionne le jeune homme. Il se lie d’amitié avec Théodore Fraenkel et René Hilsum qui publie ses premiers poèmes dans la revue littéraire du collège. Au dépit de ses parents qui le voyaient ingénieur, Breton entre en classe préparatoire au PCN avec Fraenkel.
Au début de 1914, il adresse quelques poèmes à la manière de Stéphane Mallarmé, à la revue La Phalange que dirige le poète symboliste Jean Royère. Ce dernier les publie et met Breton en relation avec Paul Valéry.
À la déclaration de guerre, le 3 août, il est avec ses parents à Lorient. Il a pour seul livre un recueil de poèmes d’Arthur Rimbaud qu’il connait mal. Jugeant sa poésie si accordée aux circonstances, il reproche à son ami Fraenkel sa tiédeur devant une œuvre aussi considérable. Pour sa part, il proclame l’infériorité artistique profonde de l’œuvre réaliste sur l’autre. Déclaré bon pour le service le 17 février 1915, Breton est mobilisé au 17e régiment d'artillerie et envoyé à Pontivy, dans l’artillerie, pour faire ses classes dans ce qu'il devrait plus tard décrire comme un cloaque de sang, de sottise et de boue. La lecture d'articles d'intellectuels renommés comme Maurice Barrès ou Henri Bergson, le conforte dans son dégoût du nationalisme ambiant. Début juillet 1915, il est versé dans le service de santé comme infirmier et affecté à l'hôpital bénévole de Nantes. À la fin de l'année, il écrit sa première lettre à Guillaume Apollinaire à laquelle il joint le poème Décembre.
En février ou mars 1916, il rencontre un soldat en convalescence : Jacques Vaché. C’est le coup de foudre intellectuel. Aux tentations littéraires de Breton, Vaché lui oppose Alfred Jarry, la désertion à l’intérieur de soi-même et n’obéit qu’à une loi, l’Umour sans h. Découvrant dans un manue ce que l’on nomme alors la psychoanalyse de Sigmund Freud, à sa demande, Breton est affecté au Centre de neurologie à Saint-Dizier que dirige un ancien assistant du docteur Jean-Martin Charcot. En contact direct avec la folie, il refuse d’y voir seulement un déficit mental mais plutôt une capacité à la création. Le 20 novembre 1916, Breton est envoyé au front comme brancardier.
De retour à Paris en 1917, il rencontre Pierre Reverdy avec qui il collabore à sa revue Nord-Sud et Philippe Soupault que lui présente Apollinaire : Il faut que vous deveniez amis.Soupault lui fait découvrir Les Chants de Maldoror de Lautréamont, qui provoquent chez lui une grande émotion. Avec Louis Aragon dont il fait la connaissance à l’hôpital du Val-de-Grâce, ils passent leurs nuits de garde à se réciter des passages de Maldoror au milieu des hurlements et des sanglots de terreur déclenchés par les alertes aériennes chez les malades Aragon.
Dans une lettre de juillet 1918 à Fraenkel, Breton évoque le projet en commun avec Aragon et Soupault, d’un livre sur quelques peintres comme Giorgio De Chirico, André Derain, Juan Gris, Henri Matisse, Picasso, Henri Rousseau... dans lesquels serait contée à la manière anglaise la vie de l’artiste, par Soupault, l’analyse des œuvres, par Aragon et quelques réflexions sur l’art, par Breton lui-même. Il y aurait également des poèmes de chacun en regard de quelques tableaux.
Malgré la guerre, la censure et l’esprit antigermanique, parviennent de Zurich, Berlin ou Cologne, les échos des manifestations Dada ainsi que quelques-unes de leurs publications comme le Manifeste Dada. Au mois de janvier 1919, profondément affecté par la mort de Jacques Vaché, Breton croit voir en Tristan Tzara la réincarnation de l’esprit de révolte de son ami : Je ne savais plus de qui attendre le courage que vous montrez. C’est vers vous que se tournent aujourd’hui tous mes regards.
À la déclaration de guerre, le jeune Breton ne se laisse pas entraîner par l'enthousiasme belliqueux qui submerge le pays ; déclarations puérilement chauvines, confiance exorbitante en soi-même, note-t-il au lendemain même de la mobilisation. Appelé en avril 1915 dans un régiment d'artillerie à Pontivy, il essaie d'échapper par la lecture de Rimbaud et de Jarry à l'école des bons travaux abrutissants » qu'est pour lui l'apprentissage militaire. À Nantes, où il est versé au bout de quelques mois dans le service de santé, il fait la rencontre la plus décisive de sa vie, celle de Jacques Vaché (« La Confession dédaigneuse dans Les Pas perdus. Ce que lui apporte Jacques Vaché, à peine plus âgé que lui-même, c'est, par le moyen de l'humour, un exemple de « résistance absolue, à la guerre bien sûr, mais aussi, par-delà, aux hiérarchies et aux valeurs consacrées par une civilisation capable d'enfanter cette guerre. À ce monde dans lequel on n'arrive à se faire une place au soleil que pour étouffer sous une peau de bête, Vaché oppose un refus insolemment courtois, feutré, inébranlable, qu'il vit dans tous ses actes. Il n'épargne pas plus la mystique de l'art que le reste. Son exemple, que renforce et combat à la fois l'envoûtement de Rimbaud, dont Breton ne s'est pas dépris, de Lautréamont qu'il découvre, arrache le jeune poète à la délectation esthétique, mais ne tue pas en lui le goût de la poésie. Toutes les années de la guerre, qu'il passe successivement à Nantes, à Saint-Dizier où il fait fonction d'interne dans un centre neuropsychiatrique militaire et s'initie avec passion aux théories de Freud, à la Pitié dans le service du professeur Babinski, au Val-de-Grâce, puis à Saint-Mammès près de Fontainebleau, sont occupées par un très complexe débat qu'il soutient avec lui-même. Son premier recueil de poèmes, Mont de piété 1919, montre comment, sous l'influence de Rimbaud, Apollinaire, Reverdy, il s'éloigne des leçons de Mallarmé et de Valéry ; plus important encore est le glissement général d'orientation qui s'y révèle : à l'interrogation sur les formes de la poésie ont succédé les recherches sur sa nature. Car si Breton ne veut plus vivre pour elle, il ne peut vivre que par elle.

La naissance du surréalisme

Des prédilections communes, la foi dans les pouvoirs de la poésie ont rapproché de lui, dans les années 1917-1918, Louis Aragon et Philippe Soupault. En mars 1919, ils fondent une revue, Littérature, qui publie les Poésies de Ducasse, les Lettres de guerre de Jacques Vaché, mort, accident ou suicide ? en janvier 1919, et les premiers textes obtenus par Breton et Soupault au moyen de l' écriture automatique. Breton a été à la fois le découvreur et le théoricien de l'écriture automatique, dont la pratique lui a été suggérée par l'observation des états de demi-sommeil et la méthode freudienne des associations spontanées. Elle exige que l'esprit se mette en état de vacance, afin que s'abolissent les contrôles qui pèsent sur la pensée surveillée, logique, morale, goût ; la vitesse de l'écriture est une des conditions du succès, mais les difficultés n'ont jamais échappé à Breton : il sait que la voix intérieure ne se laisse pas aisément capter, que de multiples interférences se produisent, que la tentation esthétique rôde Le Message automatique, 1933, dans Point du Jour. L'écriture automatique n'en demeure pas moins, selon la formule de Maurice Blanchot, une aspiration orgueilleuse à un mode de connaissance. Mais elle est aussi agissante : mettant en mouvement des forces inconnues, des désirs profonds, en même temps qu'elle nous révèle à nous-mêmes, à notre insu elle nous libère et nous change. Les Champs magnétiques, œuvre commune d'André Breton et Philippe Soupault qui paraît au printemps de 1920, constituent ainsi la première affirmation du surréalisme. L'adhésion spontanée du groupe de Littérature aux négations de Tzara, qui retrouve parfois le ton même de Vaché, la célébrité des batailles dadaïstes en 1920 et 1921 ont masqué souvent ce fait important : la conception neuve de l'inspiration et de la poésie qui est au cœur du surréalisme s'est dégagée indépendamment de Dada. Très vite, Breton ne peut plus se satisfaire du nihilisme de ce dernier et de ses manifestations qu'il juge stéréotypées et pauvres ; dès le printemps de 1921, lors du procès symbolique intenté à Barrès pour attentat à la sûreté de l'esprit et mené par Breton aux yeux de qui les revirements de Barrès engagent le destin de toute révolte, commence la dislocation de Dada. Elle s'achève au printemps de 1922 à travers les péripéties et les polémiques que suscite la tentative de réunion d'un Congrès international pour la détermination et la défense des tendances de l'esprit moderne, dont Breton a pris l'initiative et qui se solde par un échec.
Entre 1922 et 1924, le groupe réuni autour de Littérature, auquel se sont joints entre autres Eluard, Péret, Desnos, Crevel, se livre à diverses expériences dont Breton s'attache dans ses articles à dégager l'importance pour l'exploration de l'inconscient ; à l'écriture s'ajoutent les dessins automatiques, les récits de rêves, les jeux, les paroles ou écrits obtenus dans le sommeil hypnotique. Années difficiles où le surréalisme, bien qu'il se soit déjà largement trouvé, hésite encore sur lui-même. Elles voient passer sur Breton la tentation du silence. C'est la poésie qui lui permet de la surmonter, avec le beau recueil de Clair de terre, à la fin de 1923. Désormais, une étape décisive est franchie ; la publication au printemps de 1924 des Pas perdus, recueil d'articles écrits entre 1918 et 1923, fruits d'une quête de cinq années, semble ouvrir la voie aux nouvelles entreprises ; ce sont presque conjointement, à l'automne de 1924, le Manifeste du surréalisme suivi des poèmes en prose de Poisson soluble, et en décembre le premier numéro de la revue La Révolution surréaliste, dont la couverture déclare : Il faut aboutir à une nouvelle déclaration des droits de l'homme. Ces droits, le Manifeste les affirme hautement. La célébration de la liberté, essence de l'être humain – liberté couleur d'homme, avait déjà dit Breton dans une admirable image –, accompagne ici le refus de la vie donnée. C'est par l'imagination, par le rêve qui nous découvrent avec nos vrais besoins l'immense champ du possible que la liberté se nourrit et s'exalte, défiant le vieux malheur humain.

Attirance et dangers du communisme

Ainsi, dès sa naissance, le surréalisme se déclare en état de non-conformisme absolu. Rien de surprenant à ce qu'il rencontre un autre non-conformisme, celui des jeunes intellectuels communistes ou proches du communisme de la revue Clarté, principalement à l'occasion de la guerre du Maroc, qui vers le milieu de 1925 provoque une nouvelle flambée de nationalisme. À ce contact, l'attention de Breton se tourne vers le grand bouleversement qui est en train de s'opérer à l'Est ; transporté par la lecture du Lénine de Léon Trotski, en août 1925, il désigne à ses amis le communisme comme le plus merveilleux agent de substitution d'un monde à un autre qui fût jamais. Cette orientation est pour lui la source de longues difficultés : difficultés dans le groupe surréaliste même, certains refusant le passage à l'activité politique, d'autres le voulant total ; difficultés avec la direction communiste, à qui le sens de l'activité surréaliste échappe complètement et qui la regarde avec suspicion. Mais Breton, bien qu'il ait adhéré en 1927 au Parti communiste, se refuse à renoncer aux recherches proprement surréalistes, comme l'attestent Légitime défense et Au grand jour. Aussi son activité dans les rangs du parti est-elle de peu de durée. Cependant sa rupture définitive avec le communisme officiel n'intervient qu'après plusieurs années de heurts, notamment au sein de l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires, dont il a été un membre très actif ; elle se produit en juin 1935, lors du Congrès international pour la défense de la culture, Position politique du surréalisme. Il n'en continue pas moins à mener avec ses amis une lutte sans défaillance contre le monde capitaliste, intervenant vigoureusement dans tous les combats, contre le colonialisme sous toutes ses formes, contre la montée du fascisme en 1934, contre la fausse neutralité du gouvernement français lors de la révolution espagnole, contre la guerre impérialiste. Il est de ceux qui se battent dans la position la plus périlleuse, sur deux fronts ; ennemi du monde bourgeois, il estime qu'il n'en doit pas moins dénoncer avec vigueur les erreurs et les tares du régime soviétique sous la direction de Staline et dit sa défiance à l'égard du chef tout-puissant sous lequel ce régime tourne à la négation même de ce qu'il devrait être et de ce qu'il a été. Il est un des premiers, en 1936 et 1937, à s'élever contre les procès de Moscou. Dans le domaine intellectuel, au temps où triomphe le dogme du réalisme socialiste, Breton ne cesse d'affirmer le droit pour l'artiste à une recherche libre ; l'art et la poésie, s'ils se plient à des directives et à des fins qui leur sont extérieures, s'appauvrissent et se nient. On ne peut régenter du dehors l'obscur laboratoire intérieur où l'œuvre d'art prend naissance, mais toute œuvre digne de ce nom porte en elle-même une contestation de la réalité présente, toute œuvre digne de ce nom est libératrice : Le besoin d'émancipation de l'esprit n'a qu'à suivre son cours naturel pour être amené à se fondre et à se retremper dans cette nécessité primordiale : le besoin d'émancipation de l'homme.

L'expérience humaine

Durant ces quelque dix ans où Breton, inlassablement, se bat pour la vérité de la révolution et pour la vérité de l'art, la grande aventure mentale qu'est pour lui le surréalisme ne s'en poursuit pas moins ; car il possède à un exceptionnel degré le pouvoir d'embrasser d'un même regard tous les niveaux de l'expérience humaine. De ce temps datent quelques-uns de ses plus importants ouvrages. Après l'Introduction au discours sur le peu de réalité, d'une rare intensité poétique, c'est en 1928 Nadja, récit et non roman ; par-delà le personnage réel de l'héroïne, riche de pouvoirs insolites et si totalement démunie, messagère du merveilleux, annonciatrice de la grande révélation amoureuse, mais elle-même vouée au désastre, un style de vie se dessine : la disponibilité, l'attente, l'ouverture à l'imprévisible qui fait éclater la croûte figée de l'existence et enfin la change. En 1928 également paraît en volume Le Surréalisme et la Peinture ; la peinture, comme la poésie, est moyen de libération et non seulement objet de délectation ; le contenu primant la forme, l'œuvre est qualifiée par référence à un modèle purement intérieur, d'un bout à l'autre de la gamme des techniques et des styles.
La Révolution surréaliste, que Breton dirige depuis 1925, meurt en 1929, avec, dans le douzième et dernier numéro, une belle enquête sur l'amour, qui s'affirme comme une des valeurs surréalistes essentielle, et le Second Manifeste du surréalisme. Son aspect polémique, sa violence – Breton y prend à partie les dissidents – tiennent, pour une part au moins, à son but, qui est de redéfinir les fondements du surréalisme, pour l'extérieur comme pour lui-même : la révolte devant ce qui est, que ne peut épuiser la seule exigence sociale, la rigueur morale devant la tentation esthétique, la volonté d'action dans tous les domaines, mais l'autonomie totale de la recherche surréaliste, la récupération par l'esprit de tous ses pouvoirs, la liberté, toujours. Les Vases communicants 1932 précisent encore le projet. Breton établit, par l'analyse de ses rêves et d'épisodes apparemment insignifiants d'un moment de sa vie, qu'un rapport étroit, le désir, unit le rêve et la veille, commandant en secret même l'action la plus éloignée de lui. Aussi la connaissance de la subjectivité n'a pas à céder le pas devant la volonté de transformation sociale ; loin de la contrarier, elle la maintient vivante, en lui apportant la sève puisée aux profondeurs : Le poète à venir surmontera l'idée déprimante du divorce irréparable de l'action et du rêve. Dans cette œuvre, comme toujours chez Breton, la réflexion théorique ne s'exerce pas aux dépens de la poésie qui, d'un coup d'aile, emporte les pages les plus abstraites, le récit le plus volontairement dépouillé. La conscience poétique du monde s'est élevée si haut que l'écrivain peut à la fois conduire une méditation ardue sur la condition de l'homme et donner quelques-uns de ses plus brûlants poèmes. Dans les textes nouveaux du Revolver à cheveux blancs 1932 comme dans L'Union libre 1931, la houle des images déferle en un mouvement ample et assuré, qui donne à cette voix un timbre unique. Les expérimentations poétiques se poursuivent aussi : en 1930, Ralentir travaux, en collaboration avec René Char et Paul Eluard, puis L'Immaculée Conception en collaboration avec Eluard.
Pourtant, durant ces années fécondes – Breton dirige aussi la revue Le Surréalisme au service de la révolution 1930-1933, où il entreprend d'intéressantes recherches sur l'objet –, il traverse une des périodes les plus sombres de sa vie. Une amitié de près de quinze ans se défait, quand Aragon rompt avec le groupe 1932 pour donner au Parti communiste une adhésion totale ; les désaveux, les atermoiements qui ont accompagné cette démarche amènent les surréalistes à la considérer comme une désertion et un abandon intellectuel et moral. D'autre part, la vie intime du poète est déchirée ; vers 1929 son mariage 1921 avec Simone est rompu. Les difficultés matérielles, toujours présentes, sont devenues écrasantes ; c'est, au sens propre, la misère. Cependant, la loi mystérieuse des compensations à laquelle il croyait, se sauvant ainsi du pessimisme auquel sa nature l'inclinait, lui apporte en 1934 la lumière d'une étoile nouvelle ; il rencontre et épouse Jacqueline ; une fille, Aube, leur naît en 1935. Après les poèmes de L'Air de l'eau 1934, L'Amour fou 1937, où l'écrit porté par l'existence même la commande à son tour, montre avec éclat un des caractères singuliers de l'œuvre de Breton : surgie tout entière de son expérience, mais aussi éloignée qu'il est possible de l'autobiographie, elle atteste que par le surréalisme s'opère la fusion du réel et de l'imaginaire, de la poésie et de la vie.

Littérature - Les Champs magnétiques - Dada à Paris

Projetée depuis l’été précédent par Aragon, Breton et Soupault les trois mousquetaires comme les appelait Paul Valéry, la revue Littérature est créée14 dont le premier numéro paraît en février 1919. Rencontré le mois suivant, Paul Éluard est immédiatement intégré dans le groupe.
Après la parution de Mont de piété, qui regroupe ses premiers poèmes écrits depuis 1913, Breton expérimente avec Soupault l'écriture automatique : textes écrits sans aucune réflexion, à différentes vitesses, sans retouche ni repentir. Les Champs magnétiques, écrit en mai et juin 1919, n’est publié qu’un an plus tard. Le succès critique en fait un ouvrage précurseur du surréalisme.
Dans Littérature paraissent successivement les Poésies de Lautréamont, des fragments des Champs magnétiques et l’enquête Pourquoi écrivez-vous ?, mais Breton reste insatisfait de la revue. Après avoir rencontré Francis Picabia dont l’intelligence, l’humour, le charme et la vivacité le séduisent, Breton comprend qu’il n’a rien à attendre des aînés, ni de l’héritage d’Apollinaire : l’Esprit nouveau paré du bon sens français et son horreur du chaos, ni du réveil de Paul Valéry, pas plus que des modernes Jean Cocteau, Raymond Radiguet, Pierre Drieu La Rochelle perpétuant la tradition du roman qu’il rejette et rejettera toujours.
Le 23 janvier 1920, Tristan Tzara arrive enfin à Paris. La déception de Breton de voir apparaître un être si peu charismatique est à la hauteur de ce qu’il en attendait. Il se voyait avec Tzara tuer l’art, ce qui lui paraît le plus urgent à faire même si la préparation du coup d’État peut demander des années. Avec Picabia et Tzara, ils organisent les manifestations Dada qui suscitent le plus souvent incompréhension, chahuts et scandales, buts recherchés. Mais dès le mois d’août, Breton prend ses distances avec Dada. Il refuse d’écrire une préface à l’ouvrage de Picabia Jésus-Christ rastaquouère : Je ne suis même plus sûr que le dadaïsme aitgain de cause, à chaque instant je m’aperçois que je le réforme en moi.
À la fin de l’année, Breton est engagé par le couturier, bibliophile, et amateur d’art moderne Jacques Doucet. Ce dernier, personnalité éprise de rare et d’impossible, juste ce qu’il faut de déséquilibre, lui commande des lettres sur la littérature et la peinture ainsi que des conseils d’achat d’œuvres d’art. Entre autres, Breton lui fera acheter le tableau Les Demoiselles d'Avignon de Picasso.
Après le procès Barrès 22 mai 1921, rejeté par Picabia et au cours duquel Tzara s’est complu dans une insolence potache, Breton considère le pessimisme absolu des dadaïstes comme de l'infantilisme. L’été suivant, il profite d’un séjour dans le Tyrol pour rendre visite à Sigmund Freud à Vienne, mais ce dernier garde ses distances avec le chef de file de ceux qu'il est tenté de considérer comme des fous intégraux.

Rupture avec Dada - Naissance du surréalisme - Premier manifeste

En janvier 1922, Breton tente d’organiser un Congrès international pour la détermination des directives et la défense de l’esprit moderne. L’opposition de Tzara en empêche la tenue. Une nouvelle série de Littérature avec Breton et Soupault pour directeurs, recrute de nouveaux collaborateurs comme René Crevel, Robert Desnos, Roger Vitrac mais, définitivement hostile à Picabia, Soupault prend ses distances avec les surréalistes. Avec Crevel, Breton expérimente les sommeils hypnotiques permettant de libérer le discours de l’inconscient. Ces états de sommeil forcé vont révéler les étonnantes facultés d’ improvisation de Benjamin Péret et de Desnos. À la fin février 1923, doutant de la sincérité des uns et craignant pour la santé mentale des autres, Breton décide d’arrêter l’expérience.
Breton semble fatigué de tout : il considère les activités de journalisme d’Aragon et Desnos, pourtant rémunératrices, comme une perte de temps. Les écrits de Picabia le déçoivent, il s’emporte contre les projets trop littéraires de ses amis — toujours des romans !. Dans un entretien avec Roger Vitrac, il confie même son intention de ne plus écrire. Cependant, au cours de l’été suivant, il écrit la plupart des poèmes de Clair de terre.
Le 15 octobre 1924, paraît, en volume séparé, Le Manifeste du surréalisme initialement prévu pour être la préface au recueil de textes automatiques Poisson soluble. Instruisant le procès de l’attitude réaliste, Breton évoque le chemin parcouru jusque-là et définit ce nouveau concept, revendique les droits de l’imagination, plaide pour le merveilleux, l’inspiration, l’enfance et le hasard objectif.
SURRÉALISME, n. m. Automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
- Encycl. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie.
Quelques jours après, le groupe publie le pamphlet Un cadavre, écrit en réaction aux funérailles nationales faites à Anatole France : Loti, Barrès, France, marquons tout de même d’un beau signe blanc l’année qui coucha ces trois sinistres bonshommes : l’idiot, le traitre et le policier. Avec France, c’est un peu de la servilité humaine qui s’en va. Que soit fêté le jour où l’on enterre la ruse, le traditionalisme, le patriotisme et le manque de cœur !

Transformer le monde et changer la vie 1925-1938 La Révolution surréaliste

- Nadja- Adhésion au PCF - Premières ruptures

Le 1er décembre 1924, paraît le premier numéro de la Révolution surréaliste, l’organe du groupe que dirigent Benjamin Péret et Pierre Naville. Breton radicalise son action et sa position politique. Sa lecture de l’ouvrage de Léon Trotski sur Lénine et la guerre coloniale menée par la France dans le Rif marocain le rapproche des intellectuels communistes. Avec les collaborateurs des revues Clarté et Philosophie, les surréalistes forment un comité et rédigent un tract commun :La Révolution d’abord et toujours.
En janvier 1927, Aragon, Breton, Éluard, Péret et Pierre Unik adhèrent au parti communiste français. Ils s’en justifient dans le tract Au grand jour. Breton est affecté à une cellule d’employés au gaz.
Le 4 octobre 1926, il rencontre dans la rue Léona Delcourt, alias Nadja. Ils se fréquentent chaque jour jusqu’au 13 octobre. Elle ordonne à Breton d’écrire « un roman sur moi. Prends garde : tout s’affaiblit, tout disparaît. De nous il faut que quelque chose reste.... Retiré au manoir d’Ango, près de Varengeville-sur-Mer, au mois d’août 1927, en compagnie d’Aragon, Breton commence l’écriture de Nadja. En novembre, à l’occasion d’une lecture qu’il fait au groupe, Breton rencontre Suzanne Muzard. C’est le coup de foudre réciproque. Bien qu’elle soit la maîtresse d’Emmanuel Berl, elle partage avec Breton une aventure passionnée et orageuse. Elle demande à Breton de divorcer d’avec Simone, ce à quoi il consent, mais freinée dans ses désirs d’aventure, par son goût du confort et de la sécurité matérielle, elle épouse Berl, sans pour autant rompre définitivement avec Breton. La relation faite de ruptures et de retrouvailles perdurera jusqu’en janvier 1931. Pour elle, Breton ajoute une troisième partie à Nadja.
Cet amour malheureux pèse sur l’humeur de Breton : mésententes dans le groupe, détachement de Robert Desnos, altercation en public avec Soupault, fermeture de la Galerie Surréaliste pour cause de gestion négligée... La parution du Second manifeste du surréalisme décembre 1929 est l'occasion pour Breton de relancer le mouvement et, selon l'expression de Mark Polizzotti, dit tous les changements que le mouvement a connus pendant ses cinq premières années et en particulier le passage ... de l'automatisme psychique au militantisme politique. Breton est alors plongé dans la lecture de Marx, Engels et Hegel ; et la question du réel dans sa dimension politique ainsi que celle de l'engagement de l'individu occupent sa réflexion comme le précise l'incipit du livre. Ce second manifeste est aussi l'occasion pour lui de régler ses comptes, de manière violente en maniant jusqu'à l'insulte et le sarcasme, et de faire le point sur les remous qu'a connus le groupe ces dernières années. Breton justifie son intransigeance par sa volonté de découvrir, s'inspirant de la Phénoménologie de l'esprit, ce point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement.Les exclus visés par le texte réagissent en publiant un pamphlet sur le modèle de celui écrit contre Anatole France quelques années plus tôt et en reprennent le même titre, Un cadavre. Dès lors, les adversaires sacrent ironiquement Breton « Pape du surréalisme. L'humeur sombre de Breton s'exprime pleinement dans ce que Mark Polizzotti appelle le passage le plus sinistre du manifeste et qui est selon lui le reflet d'une grande amertume personnelle, une phrase souvent citée et reprochée à Breton, notamment par Albert Camus : L'acte surréaliste le plus simple consiste, révolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule. Marguerite Bonnet relève qu'une phrase très proche figurait déjà dans un article publié en 1925 dans le numéro 2 de La Révolution surréaliste et qu'elle n'avait pas, en son temps, retenu l'attention. Elle avance que Breton fait allusion à la figure d'Émile Henry qui, peu après son arrestation a prétendu s'appeler Breton et suggère qu'une sorte de lent transfert, de nature presque onirique, cheminant dans les zones les plus mystérieuses de la sensibilité, aurait ainsi préparé en Breton la tentation fugitive de s'identifier à l'ange exterminateur de l'anarchie .

SASDLR - Rupture avec Aragon -L'Amour fou- Rupture avec Éluard

La Révolution surréaliste fait place au Surréalisme au service de la Révolution SASDLR. Le titre de la revue est d'Aragon. Breton et André Thirion lancent l’idée d’une Association des écrivains et artistes révolutionnaires AEAR. Cette association est effectivement créée en janvier 1932 par les instances dirigeantes du parti communiste français, mais ni Breton ni Thirion n’ont été sollicités et leur adhésion ainsi que celle d’autres surréalistes n’est prise en compte qu’à la fin de 1932. Dès cette époque, les surréalistes se retrouvent au sein de l'AEAR sur les positions de l'Opposition de gauche.
Même s’il ne désespère pas de pouvoir orienter l’action culturelle du Parti et récupérer les forces psychiques dispersées, en conciliant le freudisme avec le marxisme au service du prolétariat, Breton ne cesse de se heurter à l’incompréhension et la défiance croissante venant de la direction du Parti communiste.
Quand il dénonce la censure de l’activité poétique par l’autorité politique qui frappe le poème d’Aragon Front rouge, sans cacher le peu d’estime qu’il a pour ce texte de pure propagande, Breton n’en défend pas moins son auteur Misère de la poésie, Aragon désavoue cette défense et provoque la rupture définitive et Paul Vaillant-Couturier lui reproche un texte de Ferdinand Alquié, publié dans SASDLR, dénonçant le vent de crétinisation systématique qui souffle de l’URSS.
En réponse aux violentes manifestations fascistes du 6 février 1934, devant l’Assemblée nationale, Breton lance un Appel à la lutte à destination de toutes les organisations de gauche. Sollicité, Léon Blum refuse poliment son soutien.
En 1934, Breton rencontre Jacqueline Lamba dans des circonstances proches de celles évoquées dans le poème Tournesol écrit en 1923. De cette rencontre et des premiers moments de leur amour, Breton écrit le récit L'Amour fou. De leur union naîtra une fille, Aube.
En juin 1935, Breton écrit un discours qu’il doit prononcer au Congrès des écrivains pour la défense de la culture."Transformer le monde ", a dit Marx ; "Changer la vie, a dit Rimbaud ; ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un est la conclusion de ce discours. Mais à la suite d’une violente altercation avec Ilya Ehrenbourg, ce dernier, délégué de la représentation soviétique, ayant calomnié les surréalistes, la participation de Breton est annulée. Il fallut le suicide de René Crevel pour que les organisateurs concèdent à Éluard de lire le texte. La rupture définitive avec le Parti est consommée avec le tract Du temps où les surréalistes avaient raison.
En 1938, Breton organise la première Exposition internationale du surréalisme à Paris. À cette occasion, il prononce une conférence sur l’humour noir. Cette même année, il voyage au Mexique et rencontre les peintres Frida Kahlo et Diego Rivera, ainsi que Léon Trotski avec qui il écrit le manifeste Pour un art révolutionnaire indépendant, qui donne lieu à la constitution d’une Fédération internationale de l’art révolutionnaire indépendant FIARI. Cette initiative est à l’origine de la rupture avec Éluard.

Aux quatre coins du monde

Autour de 1935, l'audience des conceptions surréalistes s'élargit ; de nouveaux esprits viennent à Breton qui anime la revue Minotaure. Avant même que se tienne à Paris la première exposition internationale du surréalisme, en 1937 Dictionnaire abrégé du surréalisme en collaboration avec Eluard, des manifestations du mouvement l'appellent en divers points du monde. Malgré son peu de goût pour les voyages, il se rend en 1935 successivement à Bruxelles, à Prague, aux Canaries, en 1936 à Londres. Une série de conférences sur l'art et la littérature, dont l'ont chargé les services culturels, l'amène en 1938 à Mexico. Il y fait la connaissance de Trotski, qu'il a toujours admiré ; de cette rencontre sort le manifeste Pour un art révolutionnaire indépendant, fruit de leur collaboration, bien qu'il ait paru signé de Breton et du peintre Diego Rivera, pour des raisons d'opportunité ; il doit servir de base à la constitution d'une Fédération internationale de l'art révolutionnaire indépendant, dont Breton met sur pied la section française, avec son bulletin Clé. Mais la cassure provoquée par la guerre coupe court à cette tentative. Une autre cassure, d'ordre personnel celle-là, était survenue peu de temps auparavant : l'amitié avec Eluard qui, durant les dix dernières années surtout, avait tenu dans sa vie une très grande place, se brise à l'automne de 1938, en raison de divergences d'appréciation que Breton juge insurmontables, de nature à la fois politique et littéraire.
Mobilisé dans les services médicaux à l'école d'aviation de Poitiers, il se replie après la débâcle de juin 1940 à Salon chez son ami le Dr Mabille, puis à Marseille où il est avec d'autres écrivains l'hôte du Comité de secours américain aux intellectuels. Le visa de censure est refusé à son poème Fata Morgana comme à son Anthologie de l'humour noir, leur auteur figurant la négation de l'esprit de révolution nationale. Privé de toute possibilité d'expression, suspect aux autorités, Breton obtient un visa pour les États-Unis ; il part au printemps de 1941, d'abord pour la Martinique. Son séjour forcé d'un mois dans l'île est doublement fécond pour la poésie : il découvre et rencontre Aimé Césaire, dont il préfacera en 1946 le premier livre, et l'éblouissante nature tropicale lui inspirera les pages de Martinique charmeuse de serpents 1948.
Les cinq ans qu'il passe à New York où il est speaker aux émissions françaises de la Voix de l'Amérique sont marqués par des activités diverses : en 1942, il organise avec Marcel Duchamp une exposition surréaliste, fonde une revue VVV Triple V, écrit un de ses très grands poèmes, Les États généraux. Sa vie, sur laquelle pèse l'échec de l'amour fou, tourne une dernière fois ; en 1943, il rencontre Élisa, l'inspiratrice d'Arcane 17. Ce livre incomparable, somme et sommet poétique, fut commencé lors d'un voyage dans la péninsule de Gaspé, au Canada, en 1944, au moment même de la libération de Paris ; comme l'indique son titre – la dix-septième lame du tarot, l'Étoile, emblème de la résurrection et de l'espoir – il célèbre le triomphe de la vie, déchirée et rebelle, sur la douleur et sur la mort ; une méditation souvent bouleversante dans son intensité retenue va et vient sans cesse du drame individuel au destin du monde, des mythes anciens – Mélusine, Osiris – au grand paysage présent de mer et d'oiseaux. Sa vie et celle d'Élisa ne se sépareront plus. Après leur mariage aux États-Unis, ils visitent les réserves des Indiens Pueblos ; Breton écrit l'Ode à Charles Fourier, d'une conception neuve, point de départ de l'actuel renouveau d'intérêt pour le grand utopiste. Une conférence qu'il donne à Haïti à la fin de 1945 provoque chez les étudiants une vive effervescence qui, par une chaîne de réactions, entraînera la chute du gouvernement.
Rentré en France au printemps de 1946 Je reviens dans Poèmes, Breton voit se constituer autour de lui un groupe surréaliste largement renouvelé. Comme avant la guerre, les réunions presque quotidiennes dans un café assurent, à travers arrivées et départs, la continuité du mouvement ; Breton en est naturellement le pivot, avec Benjamin Péret ; à partir de 1951, l'été rassemble souvent autour de lui nombre de ses amis dans un vieux village du Lot, Saint-Cirq-la-Popie, dont la beauté l'a définitivement gagné. L'activité du groupe se manifeste au cours des vingt années qui suivent par des expositions qu'il présente : Paris, 1947 Devant le rideau ; Prague, 1948 seconde Arche ; Paris, 1959 ; New York, 1960 ; Paris, 1965 sous le titre emprunté à Fourier de L'Écart absolu Générique ; par des bulletins ou revues Néon, 1948-1949 ; Médium, 1951-1955 ; Le Surréalisme même, 1956-1959 ; Bief, 1959-1960 ; La Brèche, 1961-1965. L'Archibras – encore une référence de Fourier –, no 1, avril 1967, était en projet avant sa mort; par des tracts qui constituent de vigoureuses prises de position sur tous les problèmes du monde et du temps ainsi, la religion, le Vietnam, la Hongrie. Si le surréalisme préserve son autonomie par rapport aux groupements politiques, Breton intervient toujours contre l'oppression, le crime et l'imposture, chaque fois que la liberté, la justice, la dignité humaine sont en péril ; le mouvement mondialiste, le Rassemblement démocratique révolutionnaire Sartre, Camus portent un temps son espoir d'action. Ses discours dans divers meetings, ses articles, ses déclarations montrent que, sans exclusive et sans faiblesse, il maintient sa ligne propre. Il est en 1960 un des tout premiers artisans de la Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie.

L'audience d'André Breton

Il écrit dans les revues surréalistes de ces années des textes de grand poids, Du surréalisme en ses œuvres vives, Langue des pierres, Main première, pour n'en citer que quelques-uns. Sa générosité, son ouverture à tout ce qui peut se produire de neuf et de libérateur dans le domaine de l'art et de la pensée l'amènent à préfacer livres et expositions ; bien des réputations y prennent leur départ. Il publie en 1947 Arcane 17 enté d'Ajours, en 1948 Poèmes, première anthologie, enrichie d'œuvres inédites ; Flagrant Délit 1949, né de la dénonciation du faux donné pour La Chasse spirituelle de Rimbaud, révèle la sûreté de sa connaissance du poète et de son intuition. Des conversations radiophoniques, transmises de mars à juin 1952, paraissent la même année sous le titre Entretiens, la plus riche des sources pour qui veut connaître l'homme et l'écrivain : la beauté de l'expression, un certain ton qui n'est qu'à lui font de ces pages circonstancielles une œuvre. La Clé des champs 1953 rassemble une quarantaine de textes divers. En 1957, il s'attache à élucider dans une vaste perspective historique et réflexive la notion de L'Art magique, dans un ouvrage réalisé avec le concours de Gérard Legrand. Avec les Constellations de 1959, proses parallèles à vingt-deux planches de Miró, une fraîcheur d'enfance, sous laquelle court la sourdine des notes graves, joue de la tendresse et de l'humour.
La santé d'André Breton, atteint d'asthme, va en se détériorant. Frappé d'une crise cardiaque à la fin de l'été 1966, il meurt en quelques heures le 28 septembre à l'hôpital Lariboisière. Il est enterré au cimetière des Batignolles auprès de Benjamin Péret. L'émotion soulevée par cette fin soudaine, même chez ceux qui ne partagent pas les convictions surréalistes, a permis d'entrevoir la place qu'il tient.
Sa figure en effet n'est pas seulement celle d'un très grand écrivain, foyer vivant du surréalisme. La nature de la relation qui s'établit entre lui-même et son lecteur mobilise les forces affectives, dans le rejet ou l'adhésion. Car cet aiguilleur spirituel, par la force et la constance de sa rupture avec tout ce qui fait du monde le Grand Scandale, comme par son don irremplaçable d'espérer, malgré tout, et d'aimer, toujours, propose et prépare une existence autre. Il a élargi et marqué la sensibilité de ce temps, l'ouvrant aux éclairs de l'insolite – rencontre ou coïncidence –, découvrant à l'homme qu'il peut établir avec la nature des rapports neufs de participation et de transparence dans l'interrelation parfaite du concret et de l'abstrait ; en finir avec ce qui mutile et fige, les barrières intérieures qui se dressent entre intelligence et affectivité, volonté et désir ; équilibrer dans une tension difficile et féconde ses exigences spirituelles et son refus agissant de ce qui est, par l'avènement de ce qui sera. Comme Fourier en qui il a justement reconnu un esprit frère du sien, il a embrassé l'unité il l'a montrée non comme perdue mais comme intégralement réalisable, et il l'a, pour lui-même, conquise. Parce qu'il s'écartait des dogmes et des systèmes fermés, se maintenait dans une perpétuelle alerte sans hésiter à se tourner vers tous ceux qui ont exprimé quelques-unes des aspirations profondes de l'homme – ... Et même des êtres engagés dans une voie qui n'est pas la sienne –, une vue courte aura beau jeu à relever en lui des contradictions ; elles nourrissent, au vrai, des forces convergentes. La poésie, l'amour, la liberté se sont en permanence vivifiés à leur sel, assurant la continuité organique d'une démarche née, a-t-il pu dire, d'un acte de foi sans limites dans le génie de la jeunesse. C'est ce génie de la jeunesse qu'il incarne ; et la jeunesse elle-même – deux ans après sa mort, divers signes ont autorisé à le croire –, de plus en plus largement, en reconnaîtra et en saluera en lui la pérennité.

De l’exil à l’insoumission 1939-1966 Marseille - Martinique - New York

Mobilisé dès septembre 1939, Breton est affecté en janvier 1940 à l’école prémilitaire aérienne de Poitiers comme médecin. Le jour de l’armistice 17 juin, il est en Zone non-occupée et trouve refuge chez Pierre Mabille, le médecin qui a accouché Jacqueline, à Salon-de-Provence Bouches-du-Rhône, puis il est rejoint par Jacqueline et leur fille Aube, à la villa Air-Bel, à Marseille, siège du Comité américain de secours aux intellectuels créé par Varian Fry. Dans l’attente d’un visa, les surréalistes reconstituent un groupe et trompent l’ennui et l’attente par des cadavres exquis dessinés et la création d’un tarot de Marseille. À l’occasion d’une visite à Marseille du maréchal Pétain, André Breton, dénoncé comme anarchiste dangereux, est préventivement emprisonné sur un navire pendant quatre jours, tandis que la censure de Vichy interdit la publication de l’Anthologie de l’humour noir et de Fata morgana.
Breton embarque à destination de New York le 25 mars 1941 avec Wifredo Lam et Claude Lévi-Strauss. À l’escale de Fort-de-France Martinique, Breton est interné puis libéré sous caution. Il rencontre Aimé Césaire. Le 14 juillet, il arrive à New York.
Avec Marcel Duchamp, Breton fonde la revue VVV et Pierre Lazareff l’engage comme speaker pour les émissions de la radio la Voix de l’Amérique à destination de la France. Jacqueline le quitte pour le peintre David Hare.
Le 10 décembre 1943, Breton rencontre Elisa Bindorff. Ensemble, ils voyagent jusqu'à la péninsule de la Gaspésie, à l'extrémité sud-est du Québec. Dès son retour à New-York, il publie Arcane 17 né du « désir d’écrire un livre autour de l’Arcane 1742 en prenant pour modèle une dame que j’aime... »
Pour régler les questions pratiques de divorce et de remariage, Breton et Élisa se rendent à Reno dans le Nevada. Il en profite pour visiter les réserves des indiens Hopis et Zuñis, emportant avec lui des ouvrages de Charles Fourier.

Haïti- Retour en France - Nouvelles polémiques et nouvelles expositions

En décembre 1945, à l’invitation de Pierre Mabille, nommé attaché culturel à Pointe-à-Pitre, Breton se rend en Haïti pour y prononcer une série de conférences. Sa présence coïncide avec un soulèvement populaire qui renverse le gouvernement en place. Accompagné de Wilfredo Lam, il rencontre les artistes du Centre d'Art de Port-au-Prince et achète plusieurs toiles à Hector Hyppolite, contribuant à lancer l'intérêt pour la peinture populaire haïtienne. Le 25 mai 1946, il est de retour en France.
Dès le mois de juin, il est invité à la soirée d’hommages rendus à Antonin Artaud. C’est d’une voix vive et ferme que Breton prononce enfin les deux mots d’ordre qui n’en font qu’un : "transformer le monde" et "changer la vie".
Malgré les difficultés de la reconstruction de la France et le début de la guerre froide, Breton entend poursuivre sans aucune inflexion les activités du surréalisme. Et les polémiques reprennent et se succèdent : contre Tristan Tzara se présentant comme le nouveau chef de file du surréalisme, contre Jean-Paul Sartre qui considérait les surréalistes comme des petits-bourgeois, contre des universitaires, en démontant la supercherie d’un soi-disant inédit d’Arthur Rimbaud, contre Albert Camus et les chapitres que celui-ci consacre à Lautréamont et au surréalisme dans L’Homme révolté.
Il retrouve Georges Bataille pour une nouvelle Exposition internationale du surréalisme dédiée à Éros, donne fréquemment son concours pour nombre d’artistes inconnus en préfaçant les catalogues d’exposition, et participe à plusieurs revues surréalistes comme Néon, Médium, Le Surréalisme même, Bief, La Brêche...
À partir de 1947, André Breton s'intéresse de près à l’Art brut. Avec Jean Dubuffet il participe à la création de la Compagnie de l'Art brut, officiellement créée en juillet 1948, qui aurait pour objet de rassembler, conserver et exposer les œuvres des malades mentaux.
En 1950, il cosigne avec Suzanne Labin une lettre circulaire datée du 8 mars 1950, proposant de créer un foyer de culture libre face à l'obscurantisme envahissant, en particulier l'obscurantisme stalinien, et proposant la constitution d'un comité de patronage :
« Des intellectuels français qui n'entendent pas abdiquer et qui ne disposaient jusqu'ici d'aucune tribune, alors que d'innombrables publications staliniennes déshonorent chaque jour la culture, se proposent de relever le défi dans le secteur de la civilisation dont ils ont la charge. Ils veulent fonder à cet effet une revue littéraire et idéologique où les grandes traditions du libre examen seraient reprises et revivifiées.
— Projet pour une revue culturelle, document dactylographié, fonds Alfred Rosmer, Le Musée social,
Parmi les personnalités pressenties pour le Comité de patronage on trouve Albert Camus, René Char, Henri Frenay, André Gide, Ernest Hemingway, Sidney Hook, Aldous Huxley, Ignazio Silone et Richard Wright. D'après Suzanne Labin : Tous les membres du Comité de patronage ont répondu positivement à nos propositions. Aucun n'a formulé de désaccord. Le projet n'a finalement pas abouti en raison de difficultés financières, pas du tout en raison de divergences idéologiques.
En 1954, un projet d'action commune avec l'Internationale lettriste contre la célébration du centenaire de Rimbaud échoue lorsque les surréalistes refusent la phraséologie marxiste proposée par les lettristes dans le tract commun. Breton est alors pris à partie par Gil Joseph Wolman et Guy Debord qui soulignent dans un texte sur le mode allégorique sa perte de vitesse au sein du mouvement. De 1953 à 1957 il dirige, pour le Club français du livre, la publication des 5 volumes de Formes de l'Art, dont il rédige lui-même le premier tome : L'Art magique.

En 1960, il signe le Manifeste des 121 déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie.
En 1965, il organise la 9e Exposition internationale surréaliste intitulée L’Écart absolu en référence à l’utopie fouriériste.
Le 27 septembre 1966, souffrant d’une insuffisance respiratoire, André Breton est rapatrié de Saint-Cirq-Lapopie, le village du Lot dans lequel il avait acheté une maison en 1951.

Il meurt le lendemain à l’hôpital Lariboisière à Paris.
Sur sa tombe, décorée simplement d'un octaèdre étoilé, au cimetière des Batignolles, à Paris 17e, est gravée l’épitaphe : Je cherche l’or du temps.

Pape, mage, héros du monde occidental, place forte, les substantifs ne manquent pas pour désigner André Breton, dont la personnalité fut le point de ralliement de tous ceux qui, après l'une des plus grandes hécatombes de l'histoire, refusèrent de s'en tenir à l'idéologie humaniste. Créateur du mouvement surréaliste, dont il fut le théoricien et l'animateur, Breton a cependant suivi une voie qui lui est propre.
Il n'a pas été tout de suite possédé par le démon de la littérature. Objet d'un appel diffus dont il ignore la nature et encore davantage le moyen d'y répondre, il entreprend à l'âge de dix-sept ans des études de médecine pour satisfaire les ambitions familiales, mais la sollicitation est ailleurs. La même année, il noue des relations suivies avec Valéry. Il voue une grande admiration à Mallarmé, Huysmans, Baudelaire, Barrès : le jeune Breton a des goûts quasi classiques, et, si ce n'était cet appel qui le dérange et cet ailleurs qui le préoccupe, on pourrait penser qu'il est sur le point de devenir un écrivain professionnel. Il en présente tous les symptômes : intérêt pour la littérature, amitiés littéraires, légère inquiétude. Dès 1919, il fait paraître son premier recueil de poèmes, Mont de piété, nettement influencé par Mallarmé.

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Posté le : 27/09/2014 17:12
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Héraclite mourant, Pierre de Lune, Sade, le cyclone à tête de grain de millet, le tamanoir : son plus grand désir eût été d’appartenir à la famille des grands indésirables. Jugement de l’auteur sur lui-même, Œuvres complètes
Le poète et le moraliste ne sont jamais si bien accordés en lui que pour soutenir et pour illustrer deux causes qui dans son esprit n’en font qu’une : celle de la femme et celle de l’amour ... Ce grand flamboyant était le moins timide de tous les écrivains français modernes. André Pieyre de Mandiargues, Troisième Belvédère, Gallimard, 1971
Un théoricien amoureux de la théorie
Il y a à la base de toute réflexion profonde un sentiment si parfait de notre dénuement que l’optimisme ne saurait y présider... Je me crois sensible autant qu’il se peut à un rayon de soleil mais cela n’empêche pas de constater que mon pouvoir est insignifiant... Je rends justice à l’art en mon for intérieur mais je me défie des causes en apparence les plus nobles.
Visage décidé, menton en avant, le coin de la lèvre inférieure affaissé à cause de la pipe51, chevelure léonine tirée en arrière, le regard fixant l’invisible, André Breton a incarné le surréalisme cinquante ans durant, malgré lui et en dépit du rejet des institutions et des honneurs constamment exprimés.
Toute sa vie, Breton a tenté d’emprunter d’un même front, trois chemins : la poésie, l’amour, la liberté.
Très tôt, il s’est méfié des romans et leurs auteurs lui donnent l’impression qu’ils s’amusent à ses dépens. De manière générale, il rejette l’esprit français fait de blasement, d’atonie profonde qui se dissimule sous le masque de la légèreté, de la suffisance, du sens commun le plus éculé se prenant pour le bon sens, du scepticisme non éclairé, de la roublardise. Avec Breton, le merveilleux remplace les exhibitions nihilistes et l'irrationnel ouvre les portes étroites du réel sans vrai retour au symbolisme, Hubert Haddad.
Pour abolir les conformismes et les préjugés, combattre le rationalisme, Breton usera de la poésie comme d’une arme aux multiples facettes que sont l’imagination, qui fait à elle seule les choses réelles, l’émerveillement, les récits de rêves et les surprises du hasard, l’écriture automatique, les raccourcis de la métaphore et l’image.Que font la poésie et l’art ? Ils vantent. L’objet de la réclame est aussi de vanter. La puissance de la réclame est bien supérieure à celle de la poésie ... La poésie a toujours été regardée comme une fin. J’en fais un moyen. C’est la mort de l’art de l’art pour l’art. Les autres arts suivent la poésie.
Il s’agit de retrouver le secret d’un langage dont les éléments cessassent de se comporter en épaves à la surface d’une mer morte.
Pour réussir son entreprise de subversion poétique Breton s’est gardé de tout travail quotidien alimentaire, allant jusqu’à défendre à ses amis les plus proches Aragon, Desnos de se commettre dans le journalisme. La révélation du sens de sa propre vie ne s’obtient pas au prix du travail. ... Rien ne sert d’être vivant, s’il faut qu’on travaille.
Pour Breton, l’amour, comme le rêve, est une merveille où l’homme retrouve le contact avec les forces profondes. Amoureux de l’amour et de LA Femme, il dénonce la société pour avoir trop souvent fait des relations de l’homme et de la femme une malédiction d’où serait née l’idée mystique de l’amour unique. L’amour ouvre les portes du monde où, par définition, il ne saurait plus être question de mal, de chute ou de péché. Il n’est pas de solution hors l’amour.
Je n’ai pas connu d’homme qui ait une plus grande capacité d’amour. Un plus grand pouvoir d’aimer la grandeur de la vie et l’on ne comprend rien à ses haines, si l’on ne sait pas qu’il s’agissait pour lui de protéger la qualité même de son amour de la vie, du merveilleux de la vie. Breton aimait comme un cœur bat. Il était l’amant de l’amour dans un monde qui croit à la prostitution. C’est là son signe, Marcel Duchamp.
Particulièrement attaché à la métaphore de la maison de verre, Breton s’est livré dans les Vases Communicants à une analyse de quelques-uns de ses rêves comme s'il n'existait aucune frontière entre le conscient et l'inconscient. Pour lui, le rêve est l'émanation de ses pulsions profondes qui lui indique une solution que le recours à l’activité consciente ne peut lui apporter.
Les adversaires de Breton l’ont nommé, par dérision parfois, avec véhémence souvent, le pape du surréalisme. Or, si l’auteur des Manifestes a constamment influé la ligne directrice du mouvement, il s'est toujours gardé d'apparaître comme un chef de file, même s'il a pu se montrer intransigeant, voire intolérant, lorsqu’il considérait que l’intégrité du mouvement surréaliste était en péril. Toute idée de contrainte, militaire, cléricale ou sociale, a toujours suscité en lui une révolte profonde.
Présentant ce qu’ont toujours été ses objectifs, Breton écrit : La vraie vie est absente, disait déjà Rimbaud. Ce sera l’instant à ne pas laisser passer pour la reconquérir. Dans tous les domaines, je pense qu’il faudra apporter à cette recherche toute l’audace dont l’homme est capable. Et Breton ajoute quelques mots d’ordre :
Foi persistante dans l’automatisme comme sonde, espoir persistant dans la dialectique celle d’Héraclite, de Maître Eckhart, de Hegel pour la résolution des antinomies qui accablent l’homme, reconnaissance du hasard objectif comme indice de réconciliation possible des fins de la nature et des fins de l’homme aux yeux de ce dernier, volonté d’incorporation permanente à l’appareil psychique de l’ humour noir qui, à une certaine température peut seul jouer le rôle de soupape, préparation d’ordre pratique à une intervention sur la vie mythique, qui prenne d’abord, sur la plus grande échelle, figure de nettoyage.

— La Clé des champs

Ce que Breton réhabilite sous le nom de hasard objectif, c’est la vieille croyance en la rencontre entre le désir humain et les forces mystérieuses qui agissent en vue de sa réalisation. Mais cette notion est dépourvue à ses yeux de tout fondement mystique. Il se base sur ses expériences personnelles de synchronicités et sur les expérimentations en métapsychique qu’il a observées à l’Institut métapsychique international.
Pour souligner son accord avec le matérialisme dialectique, il cite Friedrich Engels : La causalité ne peut être comprise qu’en liaison avec la catégorie du hasard objectif, forme de manifestation de la nécessité. Dans ses œuvres, le poète analyse longuement les phénomènes de hasard objectif dont il a été le bénéficiaire bouleversé. Nadja semble posséder un pouvoir médiumnique qui lui permet de prédire certains événements. Ainsi annonce-t-elle que telle fenêtre va s’éclairer d’une lumière rouge, ce qui se produit presque immédiatement aux yeux d’un Breton émerveillé. Michel Zéraffa a tenté de résumer ainsi la théorie de Breton : Le cosmos est un cryptogramme qui contient un décrypteur : l’homme. Ainsi mesure-t-on l’évolution de l’Art poétique du symbolisme au surréalisme, de Gérard de Nerval et Charles Baudelaire à Breton.
L'humour noi, expression dont le sens moderne a été construit par Breton, est un des ressorts essentiels du surréalisme. La négation du principe de réalité qu’il comporte en est le fondement même. Selon Étienne-Alain Hubert l'humour, loin d'être un exercice brillant, engage des zones profondes de l'être et ... dans les formes les plus authentiques et les plus neuves qu'il connaît alors, il se profile sur un arrière-fond de désespoir. Il publie en 1940 une Anthologie de l'humour noir. Pour Michel Carrouges il faut parler, à propos de l'œuvre de Breton comme de celle de Benjamin Péret, d’une synthèse de l’imitation de la nature sous ses formes accidentelles, d’une part, et de l’humour, d’autre part, en tant que triomphe paradoxal du principe de plaisir sur les conditions réelles.

Å’uvres

Les œuvres complètes d’André Breton ont été publiées par Gallimard en quatre tomes dans la Bibliothèque de la Pléiade sous la direction de Marguerite Bonnet, pour les deux premiers tomes, et Étienne-Alain Hubert, pour les deux tomes suivants

Revue:La Bréche, Action surréaliste, dir André BRETON, Éric Losfeld, de 1961 à 1967n°1à8.

Poésie et récits

1919 : Mont de piété 1913-1919, avec deux dessins d'André Derain, Paris, éditions Au sans pareil, coll. Littérature
1920 : Les Champs magnétiques, avec Philippe Soupault, écrits en 1919
1923 : Clair de terre,
1924 :
Les Pas perdus
Poisson soluble
1928: Nadja ; réédition 196368
1929 : Le Trésor des jésuites, en collaboration avec Louis Aragon
1930 :
Ralentir travaux, en collaboration avec René Char et Paul Éluard
L’Immaculée conception, en collaboration avec Paul Éluard
1931 : L'Union libre
1932 :
Le Revolver à cheveux blancs69
Les Vases communicants
1934 :
L'Air de l'eau
Point du jour
1936 : Au lavoir noir
1937 :
Le Château étoilé
L'Amour fou
1940 : Fata morgana
1943 : Pleine marge
1944-1947 : Arcane 17
1946 : Young cherry trees secured against hares
1947 : Signe ascendant
1948 :
Martinique, charmeuse de serpents, avec des dessins d'André Masson
La Lampe dans l'horloge
1949 : Au regard des divinités
1954 : Adieu ne plaise
1959 : Constellations, 22 textes en écho à 22 gouaches de Joan Miró
1961 : Le La

Essais

1924 : Manifeste du surréalisme ; augmenté de la Lettre aux voyantes, 1929
1926 : Légitime défense
1928 : Le Surréalisme et la Peinture ; dernière édition revue et augmentée de 1965
1930 : Second manifeste du Surréalisme
1932 : Misère de la poésie
1934 : Qu'est-ce que le surréalisme ?
1935 : Position politique du surréalisme
1936 : Notes sur la poésie, en collaboration avec Paul Éluard
1938 :
Trajectoire du rêve
Dictionnaire abrégé du surréalisme
1940 : Anthologie de l'humour noir ; édition augmentée 1950
1945 : Situation du surréalisme entre les deux guerres
1946 : Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non, précédé d'une réédition des deux Manifestes
1947 :
Yves Tanguy
Ode à Charles Fourier
1949 : Flagrant délit
1952 : Entretiens avec André Parinaud, retranscriptions d'entretiens radiodiffusés70
1953 : La Clé des champs, recueil d'essais publiés entre 1936 et 1952
1954 : Du surréalisme en ses œuvres vives
1957 : L’Art magique, en collaboration avec Gérard Legrand, rééditions 1992 et 2003

Correspondance

édité par Jean-Michel Goutier, Lettres à Aube 1938-1966, Paris, Gallimard, coll. Blanche

Liens

http://youtu.be/1rwHcEo4JY4 le surréalisme
http://youtu.be/E9jRxHfL1Ro La prière du mendiant
http://youtu.be/VW_63RhafoU La prière d'une maman
http://youtu.be/n0pM7RQDX38 Un jour à la fois


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Posté le : 27/09/2014 17:10
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Herman Melville
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Le 28 septembre 1891 à New York, meurt, à 72 ans Herman Melville

né le 1er août 1819 à Pearl Street, au sud-est de Manhattan New York, romancier, nouvelliste, essayiste et poète américain, Roman, nouvelle, poésie, essai, ses Œuvres principales sont Moby Dick en 1851, Pierre ou les Ambiguïtés en 1852, Benito Cereno en 1855
Bartleby en 1856, Billy Budd en 1891, publié en 1924.
Pratiquement oublié de tous à sa mort, Melville est redécouvert dans les années 1920 à travers son œuvre maîtresse Moby-Dick. Il est désormais considéré comme l'une des plus grandes figures de la littérature américaine.
L'œuvre littéraire est la forme la plus noble de l'autobiographie. Sous l'influence de la critique psychanalytique et freudienne, le lecteur du XXe siècle est à même de saisir comment, d'instinct, le romancier américain Melville a traduit dans ses récits ses sentiments les plus intimes et, en particulier, celui de vivre dans un univers menaçant.


En lisant, dans leur ordre chronologique, les ouvrages de Melville, on voit que chacun d'entre eux correspond à une étape jalonnant la pensée de l'écrivain. Moby Dick est le point culminant de sa réflexion : l'homme ne doit ni se rebeller contre Dieu ni vouloir à toute force percer le mystère du cosmos. Il puise sa noblesse dans l'acceptation courageuse de son sort et il apprend ainsi le stoïcisme. Mais il dépasse cette doctrine.
Rendu réceptif par le principe d'amour qui l'habite, il est sauvé du désespoir et du néant : en un moment sublime, Ismaël, l'enfant perdu, entend la voix de son père ; il vit un instant de total apaisement et de totale conscience, il perçoit l'universel unisson.
Nature essentiellement religieuse parce qu'il a le sens du mystère des choses, Melville sait que, s'il est des heures où Dieu parle, il en est d'autres, nombreuses, où il se tait. Le Père ne répond à son fils qu'en des circonstances exceptionnelles. À force de s'interroger sur le mystère de l'univers, Melville trouve un début de réponse : Ismaël, son porte-parole, comprend qu'il ne lui appartient pas de percer le secret de la création et de la destinée humaine, de déchiffrer le terrible front chaldéen du cachalot ; mais il découvre, du moins, que le chemin de la connaissance suprême passe par la fraternité mystique.

En bref

Melville est l'auteur de Moby Dick, le plus grand produit de l'imagination américaine, le seul qui se situe d'emblée au niveau des épopées homériques et miltoniennes, des tragédies de Shakespeare et du Faust de Goethe. Car il y a du Prométhée, de l'Œdipe et du Faust dans l'histoire du capitaine Achab et de sa baleine blanche. Mais, écrit presque d'une traite et publié simultanément à Londres et à New York en octobre 1851, Moby Dick, ou la Baleine, Moby Dick, or the Whale n'eut aucun succès. Seul Nathaniel Hawthorne, qui venait d'achever La Lettre écarlate, reconnut l'immensité épique et symbolique de Moby Dick. Il fallut plus d'un siècle pour que le monde reconnût Moby Dick, qui appartient en fait plus au XXe s. qu'au XIXe s. Épuisé d'avoir écrit en dix-huit mois ce livre colossal, accablé par l'échec, Herman Melville s'enferme, à trente-deux ans, dans une solitude désespérée. Et son dernier livre, Billy Budd, ne sera publié qu'en 1924, plus de trente ans après sa mort.
En dehors d'E. Poe, en 1838, et de Richard Henry Dana, en 1840, l'Amérique n'avait accordé que peu de place à la mer, cette autre Prairie, qui la borde doublement. Mais là n'est pas la cause de l'échec d'un livre profondément symbolique, et qui aurait dû trouver au pays des puritains un public attentif. L'échec de Moby Dick s'explique d'abord par une transformation du climat social américain, puis par un malentendu sur la personnalité même de l'auteur et sur la nature de son talent littéraire. L'Amérique de 1850 n'est plus une petite et austère colonie puritaine. C'est déjà, à la veille de la victoire du Nord sur le Sud, le pays des grandes réalisations industrielles et financières, le pays de la conquête de l'Ouest, qui vient d'annexer la Floride, la Californie, le Texas et le Nouveau-Mexique. À cette expansion correspond un climat de confiance. Or, Moby Dick est un livre inquiet, pessimiste, à contre-courant d'une époque qui voit le nouvel optimisme américain succéder à l'angoisse puritaine. Avec Emerson et le transcendantalisme, la pensée américaine s'adoucit. Au Dieu terrible des puritains, celui de Moby Dick, succède un Dieu libéral et bienveillant.
Dans Moby Dick, le roman d'aventures et la quête symbolique, le réalisme et le mysticisme gardent leur équilibre. Cette odyssée doit sa grandeur à cet équilibre. Histoire d'une tentation et d'une damnation, c'est aussi un roman d'aventures. Un écrivain en chambre n'aurait pu écrire Moby Dick. Une vision de cette ampleur n'est pas toute visionnaire. Elle se nourrit de choses vues. Melville fut d'abord, lui aussi, chasseur de baleines. L'expérience du marin alimente la vision du poète.
Ses deux grands-pères, le major Thomas Melville et le général Peter Gansevoort, avaient été des héros de la guerre d'Indépendance. Mais son père, Allan Melville, fit faillite dans une entreprise d'importation new-yorkaise. Herman est élevé par une mère rude et distante ; son père le décrit comme un enfant très en retard. Il quitte l'école à treize ans, faute d'argent. Il est successivement employé de banque, précepteur, garçon de ferme. Il bourlingue sur terre avant de s'embarquer. Il lit Fenimore Cooper : Ses œuvres, écrit-il, eurent sur moi une vive influence et m'éveillèrent l'imagination. Aveu capital, pour lui dont l'Océan sera l'autre Prairie.
En janvier 1839, il s'engage comme mousse sur le Saint Lawrence, cargo en partance pour Liverpool. Il n'a pas vingt ans. Écrit dix ans plus tard, Redburn, premier voyage d'un mousse, Redburn His First Voyage, 1849 est le récit autobiographique de ce premier embarquement. Premier voyage très dur, où le jeune Herman, instable, inquiet, déclassé, souffre à la fois du mépris des officiers et de l'équipage. Mais il s'y fait un ami, assez équivoque. Dans toutes ses œuvres, dans tous ses embarquements, il y aura toujours un ami efféminé qui, dans ce monde sans femme de la mer, remplace l'amour par l'amitié : pas une femme dans Moby Dick, où le seul mariage est celui qui unit Queequeg et Ishmael, le harponneur et le matelot.

Sa vie

Herman Melville est le troisième de huit enfants et le second fils de Maria Gansevoort et Allan Melvill sans e . Du côté maternel, ses aïeux sont des patriciens d'origine néerlandaise, l'un d'eux, le général Peter Gansevoort, est un héros de la révolution américaine. Du côté paternel, c'est une lignée de commerçants écossais. Le père d'Allan, le major Thomas Melvill, a lui aussi joué un rôle glorieux pendant la guerre d'indépendance.
Herman Melville fut marin, aventurier, romancier et poète. Sa famille appartenait à la société provinciale dont la dignité et la stabilité étaient fondées sur les richesses acquises par l'exploitation des terres et des ressources de la grande industrie. Un des traits marquants de leur personnalité fut, semble-t-il, l'instabilité mentale, manifestée chez son grand-père paternel et chez son père. Quant à Mrs. Melville, d'origine hollandaise et terrienne, elle hérita de ses ancêtres, surtout de son père, homme tourmenté, passionné du désir de ne jamais faillir, c'est bien ainsi qu'il apparaît dans Pierre, une inébranlable foi calviniste, la hantise du péché, de la présence du mal, la croyance à la perversion inhérente à l'homme. Peut-être, comme Mrs. Glendinning, dans Pierre, repoussa-t-elle l'amour ardent que lui vouait son fils ? Peut-être Herman, le troisième des huit enfants qu'elle éleva au prix de difficultés extrêmes, ne fut-il pas le préféré ? Les documents relatifs aux premières années de l'auteur sont peu nombreux, mais suffisants toutefois pour révéler un enfant sujet à des terreurs, à des émotions, à des hallucinations, comme Ismaël dans Moby Dick. Orphelin de père à treize ans, moralement éloigné de sa mère, il dut, très jeune, ressentir le désarroi, l'impression de la fatalité et la solitude. Adolescent, il connut une existence instable, ne fréquentant l'école que de façon irrégulière, tour à tour élève et maître, exerçant des professions peu lucratives. Un jour de mai 1839, il s'engage comme garçon de cabine à bord du St. Lawrence en partance pour Liverpool. Le héros de Moby Dick le dira plus tard : il faisait alors grande grisaille dans son âme.
Allan Melvill importait de France des nouveautés. En 1826, l'économie américaine entre dans une période de stagnation, et le père de l'écrivain subit de plein fouet la concurrence britannique. Ses affaires périclitant, il doit faire des emprunts de plus en plus importants à son beau-père, Peter Gansevoort, qui devient le soutien financier de la famille. Entre 1820 et 1830, la famille déménage trois fois, avant de s'installer en 1830 à proximité des Gansevoort, à Albany, capitale de l'État de New York, où Allan Melvill travaille comme employé dans une fabrique de fourrures.
Au cours d'un voyage à New York en décembre 1831, Allan Melvill, qui tente de monter une nouvelle affaire dont il serait le patron, contracte une pneumonie. Il meurt le 28 janvier 1832. Les deux aînés, Gansevoort né en 1815 et Herman quittent alors le collège d'Albany. Le premier, aidé par l'oncle Peter, ouvre un commerce de peaux et fourrures qui prospérera pendant trois ans à cette époque, il ajoute un e à son nom, que toute la famille reprend. Le second devient à treize ans employé à la New York State Bank, dont l'oncle Peter est l'un des administrateurs.
Deux ans plus tard, peut-être à cause d'une faiblesse des yeux, Herman Melville quitte son travail à la banque et part chez un autre oncle, qui possède une ferme à Pittsfield, dans le Massachusetts. Après quelques mois dans les champs, il revient à Albany au début de 1835 et s'inscrit au lycée classique de la ville. Durant ces années, il fait ses premières lectures marquantes : James Fenimore Cooper, Walter Scott, Byron, les poètes anglais du XVIIIe siècle. Après les cours, il tient les comptes du commerce de son frère Gansevoort.
En avril 1837, un mouvement de panique financière accule Gansevoort à la faillite. Les Melville s'installent à Lansingburgh, une petite ville sur les bords de l'Hudson. Herman enseigne quelque temps comme instituteur dans une école de campagne près de Pittsfield. Puis, de retour à Lasingburgh, il suit des cours d'arpentage au collège.
En 1839, Melville s'engage comme mousse à bord d'un navire marchand en partance pour Liverpool, le St. Lawrence. Cette première croisière entre New York et Liverpool du 5 juin au 30 septembre lui inspirera dix ans plus tard un roman d'apprentissage de la vie de mer et de l'enfer de la ville industrielle dans Redburn. À son retour, il trouve un nouveau poste d'école à Greenbush, en 1840, qui ne sera jamais rémunéré. Puis il se rend dans l'Illinois, où il parcourt la frontière occidentale et descend peut-être le Mississippi jusqu'à Cairo.
À la fin de 1840, déçu dans ses espoirs à l'ouest, Melville se rend à Nantucket, berceau américain de la chasse à la baleine, où il signe, le 26 décembre, son inscription sur le rôle de l’Acushnet, trois-mâts baleinier de 358 tonnes, il reçoit une avance de 84 dollars sur son salaire et embarque à New Bedford le 31 décembre. Il parcourt ainsi le Pacifique, visitant les îles Galápagos et les Marquises où il déserte, le 9 juillet 1842, avec un de ses compagnons d'infortune, Richard Tobbias Greene, le Toby du livre Typee, Taïpi, qui relatera son aventure sur Nuku Hiva.
Le 9 août 1842, il réussit à quitter la vallée de Taipivai sur le baleinier australien Lucy Ann alerté par Richard Tobbias Greene et part pour Tahiti. À l'arrivée à Tahiti, il est arrêté pour avoir participé à une mutinerie à bord du Lucy Ann et est emprisonné. Il s'échappe de Tahiti pour rejoindre Moorea, puis Hawaii. Il travaille un temps comme commis chez un marchand, puis s'engage comme simple matelot dans l'équipage de la frégate USS United States de la marine de guerre américaine qui débarque à Boston en octobre 1844.

Une vie pleine d'aventures

Certains incidents de sa vie, autres que la nécessité, sont pourtant susceptibles d'avoir orienté son esprit vers l'aventure maritime : les affinités de sa famille avec la mer, ses lectures, Cooper et Byron entre autres ; mais elles n'ont pas déterminé son engagement. Compte tenu de l'estime dont jouissait la marine marchande auprès des bonnes familles américaines, qui voyaient d'un œil favorable leurs fils s'engager sous le mât, le choix de Melville se présentait comme une solution provisoirement acceptable ; il n'en prit pas moins sa décision dans l'amertume que donne le sentiment de l'échec. Il devait se souvenir de ce premier départ ; ses souffrances morales se calmèrent par la suite, mais la vie de marin ne cessa jamais de lui paraître insupportable. Certains de ses compatriotes et contemporains, particulièrement le romancier Richard Henry Dana, firent comme lui l'expérience du gaillard d'avant et de la dureté du service à bord, mais on les traita, comme le jeune matelot de Redburn aurait trouvé normal de l'être, en fils de gentlemen ; Melville, lui, connut les humiliations auxquelles sont en butte les déclassés.
La traversée ne lui donna aucun désir de faire carrière dans la marine marchande. L'eût-il voulu, il eût sans doute été en mesure de recevoir le commandement d'une unité dans un avenir assez proche. Son retour dans sa famille, en 1840, indique bien que la vie à bord ne l'attirait pas. Il fallut d'autres déceptions pour le ramener à la carrière maritime : financières, sentimentales peut-être ? Il avait un tempérament curieux, une intelligence sans cesse en alerte. Si l'on s'interroge sur les raisons qui le poussèrent l'année suivante à s'embarquer une seconde fois, on attribue sa décision à l'infructueuse recherche d'une situation à terre. Cette fois encore, il ne choisit pas la mer ; les circonstances l'y forcèrent.
Le seul choix qui lui fut laissé fut celui de l'Acushnet, un baleinier, le plus déshérité des vaisseaux. Peut-être subit-il l'influence de ceux qui, dans sa famille, avaient déjà servi sur des baleiniers, Léonard Gansevoort, Thomas Melville ? Peut-être sa curiosité fut-elle stimulée par le récit de Reynolds concernant Mocha Dick, le cachalot blanc, ou par l'Histoire naturelle du Cachalot de Thomas Beale. Ces œuvres, parues en 1839, avaient reçu les commentaires élogieux de la presse. On sait qu'il lut en 1840, peu de temps avant de s'embarquer, Deux Ans au gaillard d'avant de Dana. Il conçut pour ce récit la plus vive admiration.
En janvier 1841, il part de Fairhaven sur l'Acushnet. Il y retrouve la promiscuité, la sévère discipline et, surtout, il éprouve l'insupportable perspective de continuer l'expédition des années durant, jusqu'à ce que les cales soient pleines d'huile de baleine. Dans cet état d'esprit, il déserte aux Marquises, en rade de Taiohae, en 1842, et commence là une véritable carrière d'aventurier. Son périple polynésien se déroule à terre. Il passe plusieurs semaines captif d'une tribu indigène et parvient à s'échapper. Le hasard le fait de nouveau s'embarquer sur un baleinier de Sydney qui cherche à compléter son équipage. Là encore, il est poussé par la nécessité : la mer ne l'attire pas. Le navire a nom Lucy Ann ; la vie y est intolérable. À Tahiti, les matelots se mutinent, sont arrêtés et jetés en prison. Melville fait ainsi connaissance avec la calabouze. Libéré quelque temps après, il s'installe à Imeeo, en compagnie d'un ami, complice de ses incartades, le docteur Long Ghost qu'il décrira dans Omoo. Il travaille mollement chez un planteur, parcourt l'île et, en janvier 1843, il part sur un troisième baleinier qui cingle vers les Hawaii. Il reprend sa liberté à Lahaina et s'établit à Honolulu, où il séjourne quatre mois, commis chez un commerçant britannique. On note la difficulté qu'il éprouve à se fixer en un lieu ; il va d'un port à l'autre, comme les navires de ses romans. Mais l'aventure polynésienne touche à sa fin. Moins, semble-t-il, par désir de courses nouvelles que parce que la Polynésie a cessé de l'intéresser, Melville s'engage en août 1843 comme gabier à bord de la frégate de guerre United States qui, en octobre 1844, le ramène à Boston.
La vie errante est pour lui terminée. De 1841 à 1844, la connaissance du monde et des hommes qu'il a commencé à acquérir sur le St. Lawrence et en Angleterre a mûri ; elle s'est nourrie de l'expérience des conditions de vie à bord de quatre navires, du contact avec leurs commandants et leurs équipages, aussi divers par leur race que par leur comportement, de la chasse à la baleine qui développe le courage mais aussi la soif du gain, de deux désertions, d'une mutinerie et de ses conséquences, de la rencontre de peuplades inconnues, des problèmes posés par la présence de l'homme blanc sous les tropiques, des relations avec les maisons de commerce, de paysages extraordinaires, de la découverte d'îles et de ports aux noms romanesques.
Âgé de vingt-cinq ans, Melville est riche de quatre expériences : un entourage familial puritain ; des échecs successifs, affectifs et matériels ; quatre gaillards d'avant où lui ont paru prédominer le mal et la laideur ; de lointains voyages que la distance dans le temps et l'espace vont charger d'une signification symbolique de plus en plus profonde.

Carrière littéraire

La période aventureuse de sa vie, qui s'achève lorsqu'il pose à nouveau le pied sur le sol américain, est la matière de ses deux premiers romans, Taïpi et Omoo. La rédaction du premier nommé est achevée à l'issue de l'été 1845, mais Melville rencontre des difficultés à trouver un éditeur. C'est en 1846 qu'il est finalement publié à Londres, où il devient un bestseller immédiat. Le succès facilite les démarches de Melville : le Boston publisher accepte son roman suivant, Omoo, sans même l'avoir vu. Si Melville assoit sa notoriété sur des récits d'aventures exotiques à caractère autobiographiques, Mardi 1849 marque un premier tournant dans sa carrière littéraire. Pour la première fois, son récit ne se nourrit pas directement de son expérience personnelle. Rompant avec la recette qui a fait son succès, Melville s'engage sur une voie plus ambitieuse, celle d'un roman qui prend comme prétexte le cadre bien établi du récit maritime pour aborder des questionnements philosophiques qui résonnent avec l'actualité politique de son temps.

Beaucoup plus épais que ses écrits précédents, émaillé de longues digressions, Mardi rencontre l'hostilité conjuguée de la critique et du public. L'auteur est pour sa part persuadé que le Temps, qui résout toutes les énigmes, donnera la clé de Mardi.
En juin-juillet 1849, Melville écrit Redburn, souvenir de son passage dans la marine marchande, puis en août-septembre, Vareuse-Blanche, son engagement dans la marine de guerre américaine
En août 1850, lors d'une excursion sur le site de Monument Mountain, dans le Massachusetts, il fait par hasard la rencontre de l'écrivain Nathaniel Hawthorne. Les deux hommes produisent forte impression l'un sur l'autre. Melville se lance immédiatement dans une critique du premier écrit de Hawthorne qu'il parvient à se procurer, le recueil de nouvelles Mousses d'un vieux presbytère Mosses from an Old Manse, 1846. Publié anonymement sous le titre « Hawthorne et ses mousses, Hawthorne and his Mosses dans le Literary World d'Evert Augustus Duyckinck, l'article fait franchir à Hawthorne une marche décisive sur le chemin de la reconnaissance littéraire. Il rapproche encore les deux hommes, Hawthorne n'ayant pas tardé à identifier en Melville l'auteur des lignes louangeuses qui le comparent à Shakespeare.
Les liens entre les deux hommes sont si forts que Melville obtient de son beau-père la somme nécessaire à l'acquisition d'Arrowhead, une veille ferme située à proximité de la propriété de son nouveau mentor. La mère de Melville et trois de ses sœurs ne tardent pas à rejoindre le couple Melville et leur fils dans les Monts Berkshire.
L'achat, qui l'a obligé à contracter plusieurs emprunts, place toutefois Melville dans une situation financière précaire. C'est sous la pression de ses créanciers qu'il met la touche finale à son dernier roman, qui paraît d'abord en Angleterre sous son titre initial — The Whale — en octobre 1851. Les critiques anglaises sont excellentes et lorsque le roman paraît à son tour aux États-Unis, sous le titre définitif de Moby-Dick, les ventes sont plutôt bonnes lors de la première semaine. Le roman rencontre toutefois l'hostilité des critiques américains tandis que, de leur côté, les ventes déclinent.
La suite de sa carrière littéraire est une longue suite de désillusions. Son ouvrage suivant, Pierre ou les Ambiguïtés 1852, rencontre une hostilité encore plus grande. Son éditeur Harper refuse le manuscrit, d'Isle of the Cross, aujourd'hui perdu. The Confidence-Man 1857 est lui aussi sévèrement critiqué. Pour faire face à des finances toujours plus fragiles, Melville suit le conseil de ses proches et se fait conférencier, occupation qui peut à cette époque s'avérer très lucrative. De 1857 à 1860, il se produit dans les lyceums pour évoquer ses aventures dans les mers du Sud. Il se tourne parallèlement vers la poésie, sans parvenir à éveiller l'intérêt des éditeurs. Il ne rencontre pas plus de succès lorsqu'il tente de solliciter un poste de consul du sénateur Charles Sumner, alors à la tête du Comité des affaires étrangères.

Le silence

En 1866, sa femme fait jouer ses relations pour lui obtenir un poste d'inspecteur des douanes de la ville de New York, lui qui tenait pourtant, quelques années plus tôt, cet emploi pour des moins glorieux qui soient, à vrai dire, pire qu'amener des oies à l'abreuvoir. Il s'acquitte pourtant de sa tâche dix-neuf années durant, gagnant la réputation d'être le seul employé honnête dans une maison connue pour sa corruption généralisée.
Sa carrière publique d'écrivain est quant à elle arrivée à son terme. En privé, il continue cependant d'écrire : d'abord un long poème épique, inspiré de son pèlerinage en Palestine ; ce Clarel est bien publié en 1876, grâce au concours financier de son oncle, Peter Ganservoort. Mais l'expérience est cependant une nouvelle fois cruelle pour Melville, puisque les exemplaires invendus sont brûlés, l'écrivain n'ayant pas même été en mesure de réunir la somme nécessaire pour les racheter.
Son second fils, Stanwix, meurt de la tuberculose à San Francisco, au début de l'année 1886. C'est aussi l'année de la retraite de Melville, permise par un héritage que sa femme reçoit de son frère. Il reprend alors la plume, écrivant une série de poèmes inspirés pour partie par son expérience de la mer. Deux recueils — John Marr 1888 et Timoleon 1891 — paraissent dans des éditions confidentielles, destinées avant tout à sa famille et à ses proches.
Un de ces poèmes le retient plus particulièrement ; il le reprend, le développe pour en faire une nouvelle, puis un roman. Avec des périodes d'interruption, il y consacre plusieurs années, n'arrêtant d'y travailler qu'en avril 1891, quelques mois avant sa mort, en septembre 1891. Il faut l'intervention de Raymond Weaver, son premier biographe, pour voir l'ouvrage publié en 1924, sous le titre de Billy Budd, marin Billy Budd, Sailor.

L'aventure littéraire

On est frappé par la cadence à laquelle il publie ses premiers romans. Il en écrit six en six ans : en 1846, Typee, relatant sa désertion aux Marquises et sa vie parmi les cannibales chez lesquels il s'est réfugié par erreur ; en 1847, Omoo, récit de ses vagabondages depuis le jour où il s'échappe des Marquises jusqu'à celui où il s'embarque sur le vaisseau de ligne qui le ramène à Boston ; en 1849, Mardi, odyssée dans une Polynésie allégorique ; la même année, Redburn, consacré à la vie d'un jeune matelot sur un navire marchand affecté au trafic New York-Liverpool ; en 1850, White-Jacket, inspiré par son séjour sur la frégate United States ; en 1851, Moby Dick, où un baleinier-microcosme est lancé sur les routes océanes à la poursuite d'un cachalot métaphysique.
Ces années, fécondes dans la carrière du romancier et matériellement fructueuses, ont été marquées, dans sa vie privée, par son mariage en 1847 et son installation à New York ; par la naissance de son premier enfant en 1849, il en aura quatre et un voyage d'affaires à Londres ; par la rencontre en 1850 de Nathaniel Hawthorne qu'il ne cessa jamais d'admirer ; par l'achat en 1851 d'une ferme dans les Berkshires.
Moby Dick 1851 est son ouvrage le plus connu aujourd'hui, mais sa production ne s'arrête pas là. En 1852 paraît Pierre or the Ambiguities : après avoir cherché à sonder les gouffres de l'océan, Melville essaie maintenant de fouiller les abîmes de la conscience. En 1853, il envoie sa première nouvelle, Bartleby, au Putnam's Monthly Magazine auquel il collabore, puis, en 1854, The Encantadas et Israel Potter. Ce dernier récit est publié en 1855 ; il met en scène Paul Jones, déjà célébré par Fenimore Cooper dans The Pilot. Avec Israel Potter, Melville retourne, en partie du moins, à son décor favori : le pont du navire, que l'on reverra dans Benito Cereno, paru en 1855 dans le Putnam's, les Piazza Tales 1856 et The Confidence Man 1857. En 1856 et 1857, il fait des tournées de conférences, écrit des poèmes. En 1861, il entreprend sans succès des démarches pour obtenir un consulat, vend sa ferme en 1862, s'installe à New York, devient en 1866 inspecteur des douanes, publie des poèmes Battle-Pieces and Aspects of the War et, en 1875, Clarel. Depuis Moby Dick, le public le boude. Il quitte la douane en 1885. En 1888, il publie de nouveaux poèmes, John Marr and Other Sailors. L'année de sa mort, à New York, il achève Billy Budd, autre récit maritime, qui ne sera publié qu'en 1924.

Le moi profond de Melville

Les romans de Melville sont sa biographie spirituelle.

Orphelin de père, élevé par une mère peu démonstrative dans son affection et puritaine dans son comportement, passant d'un foyer à l'autre, il ressemble à certains égards à Pierre, adolescent en quête du père susceptible d'empêcher un monde hostile de le détruire ; il est un peu l'enfant perdu, errant symboliquement dans la forêt où le loup est tapi. De l'image de la forêt, on passe facilement à celle de la mer, de sorte que le jeune matelot de Typee, ballotté par les vagues du Pacifique, est la transposition de l'enfant Herman Melville abandonné dans les bois. La mer n'est pas moins inquiétante pour lui que la futaie du Petit Chaperon rouge : elle recèle des souffrances et des dangers qui sont autant de menaces de mort et de déception ultime au terme du voyage ; alors qu'est enfin satisfait le désir passionné de revoir la terre ferme, de faire taire l'angoisse, le navire aborde au cœur même d'un univers de destruction : le paradis cannibale. Au milieu des Taïpis débonnaires et dans les bras de Fayaway, le héros vit en proie à la terreur d'être mangé, c'est-à-dire détruit. L'apparence édénique des vallées polynésiennes dissimule un séjour infernal. Le terrien dont l'horizon est limité peut croire en l'existence d'îles heureuses, royaumes de l'innocence ; Melville-Omoo ne le peut pas, car l'océan a élargi le champ de sa vision. Les mers du Sud lui enseignent qu'il est vain d'espérer retrouver le paradis perdu. C'est pourquoi il faut accepter la condition humaine, s'enfuir des Marquises, comme le héros de Typee et Omoo, et rembarquer sur le baleinier, malgré tout ce qu'on y endure. Il faut repartir, refuser la léthargie spirituelle des primitifs, opter pour l'inquiétude, pour la remise en cause permanente, pour l'interrogation. Dans ces conditions, le héros melvillien reprend son périple : Nukahiva, Tahiti, Imeeo sont des îles, des épisodes jalonnant son pèlerinage spirituel, des étapes de sa pensée. Son expérience peu à peu s'élargit ; elle le conduit vers l'archipel de Mardi car la mer, puissant véhicule, immense champ de possibilités, stimule la spéculation des philosophes lancés à la poursuite des monstres mythiques. Sa réflexion ne s'attarde plus le long des rivages polynésiens : elle transcende désormais le domaine de la réalité tangible pour atteindre une réalité qui n'est pas de ce monde. Provisoirement affranchi de la matière, il lui arrive de capter la vision d'un monde où tout se fond en un universel amalgame. Pour lui, la mer est le puissant catalyseur qui rend l'esprit réceptif aux manifestations surnaturelles. Lorsqu'il les perçoit, il est, comme le héros de Mardi risquant l'exploit insensé d'une désertion en pleine mer, prêt à braver n'importe quel danger, y compris celui de se perdre, pour parvenir à l'univers supranaturel, paradis jadis perdu que les marins visionnaires de son espèce entrevoient du sommet du grand mât. Son odyssée ne sera pas ordinaire : elle le mènera là-bas, vers l'ouest métaphysique, gouffre d'ombre, aimant gigantesque vers lequel se précipitent irrésistiblement les hommes, les animaux, les couchers de soleil, étape suprême qui conduit à l'anéantissement. Melville, chrétien conformiste, le sait ; si le paradis peut être retrouvé, l'innocence préoriginelle regagnée, si la seule réponse qui lui importe peut un jour jaillir, ce ne sera que dans la mort. Mais, si l'on arrive au but, aucun tribut n'est trop élevé. Il faut alors plonger au cœur même du néant pour, peut-être, découvrir le remède à l'angoisse, oser l'abîme.

Hélas ! C'est se croire le timonier de son propre destin, c'est commettre le crime d'entre les crimes, c'est, en somme, par un acte d'orgueil insensé, refuser Dieu, ou prétendre l'égaler. Le héros de Mardi sera donc puni : jamais il n'atteindra le terme du voyage. La pensée de Melville est à un tournant capital : il doit faire le point. Jusque-là, le bilan est négatif : les marins de Typee et d'Omoo ne sont pas parvenus à calmer leur inquiétude, la confusion subsiste en eux ; celui de Mardi ne verra jamais le port, aboutissement normal de tout voyage. Redburn, matelot de quinze ans, y parviendra, lui, car, réceptif, amené par les vicissitudes de l'existence à une évaluation assez précise de ses capacités et de ses limites, il saisit la signification de la leçon reçue au gaillard d'avant. Rompant avec un code de morale trop rigoureux et excessif pour convenir à un être dont la nature est avant tout sociale, il s'engage en l'humanité, accepte la condition commune, découvre les principes non d'une éthique abstraite mais d'un art de vivre : il devient modeste et social. Par son exemple Melville illustre la manière dont un individu doit se comporter au sein du groupe auquel il appartient : pour vivre en société, il faut savoir admettre ce qu'elle a d'incohérent, de difficile à comprendre, de foncièrement hypocrite, de mauvais, d'égoïste, de brutal, d'insincère, d'irréfléchi à la fois en sa totalité et en chacun de ceux qui la composent. Jusqu'alors, les héros de Melville avaient cherché l'absolu et le sublime. L'auteur sait à présent que personne ne peut se maintenir longtemps à de telles hauteurs, mais que, par contre, dans une société équilibrée, dont l'existence à bord fournit l'exemple, le sort de la communauté dépend du travail individuel ; la grande règle de conduite doit être d'assumer ses responsabilités. L'adaptation à un ordre social est nécessaire.

À fréquenter le monde et y jouer son rôle, on apprend à le bien connaître, comme le héros de White-Jacket, rompu à la manœuvre, connaît son navire. Est-ce suffisant ? Melville répond par la négative. Certes, il a maintenant dépassé le stade de la révolte juvénile, du repliement sur soi, des attendrissements inutiles. Mais où en est la connaissance de l'homme et de sa destinée ? Redburn, perplexe, a rangé le vieux guide qui sent la momie : son expérience est encore incomplète ; il rejette le passé sans le comprendre. Comme lui, le marin de White-Jacket compatit au sort cruel de tous les brimés. Lui aussi, devant la souffrance des autres, tressaille d'une fraternelle angoisse, mais il va plus loin que Redburn, son cadet ; à mesure que sous ses yeux se déroule le spectacle de la vie humaine où, si souvent, le mal se manifeste, il s'achemine vers l'étape ultime de son évolution. Dans un effort suprême de lucidité, il admet la présence du mal chez les autres, sans doute, mais surtout en lui-même ; il est prêt alors à recevoir le baptême qui le sauvera. Suspendu au sein de l'Océan où il est tombé, il transcende enfin l'humain, retourne à la source même de la vie, perçoit l'ordre cosmique et, en un geste symbolique, arrache la vareuse qui le singularise, se dépouille des derniers vestiges de son orgueil et de son égoïsme, oublie ses hantises, cesse de penser en termes de bien et de mal pour raisonner en termes universels ; il s'intègre au cosmos et remet son destin entre les mains du Grand Amiral qui le conduira au port, but fixé à tous de toute éternité. Dans la croisière au-delà des séries intelligibles, la vie et la mort se confondent dans l'océan du Tout. L'intégration au plan de l'univers présuppose l'engagement en l'humanité que le héros de Mardi avait refusé, mais auquel Redburn avait souscrit. Le marin de White-Jacket aboutit à une prise de conscience supplémentaire : si l'homme est englobé dans la société et la communauté des races, il est aussi entraîné dans le vaste tourbillon cosmique. Mais il lui reste encore beaucoup à comprendre : il est porteur d'ordres scellés. Qui en brisera les cachets ?

Au terme du voyage, il a appris que les pires de nos maux, nous nous les infligeons nous-mêmes dans notre aveuglement. L'Ismaël de Moby Dick est de Dieu entendu. Il occupe, parmi les personnages melvilliens, une place de choix. C'est lui qui s'en ira narrer au peuple des fidèles comment périt Achab par sa propre faute, parce qu'en la baleine blanche il avait cristallisé son propre narcissisme et ses obsessions. Il faut se méfier de la méditation libérée du contrôle de la raison, car elle est incompatible avec la réalité de l'existence ; elle empêche d'ouvrir l'œil et de veiller au grain. L'espoir de sonder l'insondable est stérilisant ; c'est pourquoi, présume Melville, Ismaël s'enrôle lorsqu'il sent que l'exercice prolongé de la pensée l'a coupé de ses semblables. Ce n'est pas qu'il ne s'adonne point à la contemplation philosophique : il est dans sa nature de s'interroger. Mais il sait qu'un moment vient où, à force de réfléchir sur lui-même et de s'analyser, l'homme se coupe de la vie. Vivre consiste à pourchasser un objectif malaisé à atteindre, à bien déterminer la difficulté pour mieux la saisir : Il faut bien voir les baleines avant de les tuer. Vivre est, dans une tâche collective, prendre un bain d'humanité. C'est au gaillard d'avant que l'individu solitaire et ratiocinant s'intègre à la masse, seule force véritable, n'est-ce point elle qui conduit ses chefs ?. Il est alors pour lui d'inoubliables instants de vie ; il n'existe plus qu'en fonction de ce qui le pénètre du dehors. En pétrissant le blanc de baleine, Ismaël adhère à une communauté, à une camaraderie universelle, à une religion de l'humanité. Il se rafraîchit à plonger les mains dans le liquide lénifiant qui le libère de la colère, de l'impatience, de la malice. Désormais purifié, il est prêt pour l'ultime révélation : Dieu brisera devant lui les cachets des ordres scellés transportés à bord de la frégate de White-Jacket. C'est agrippé à une étrange bouée, le cercueil de Queequeg, son ami et son semblable, qu'Ismaël recevra la connaissance suprême : l'aboutissement de la vie n'est pas le néant ; dans le déroulement du temps, un transfert se produit, un fusionnement s'opère entre la vie et la mort par l'intermédiaire de l'amour.

Descendance

Herman Melville est l'arrière-arrière-grand-oncle de Elizabeth McBride Warner, la mère de Richard Melville Hall, l'artiste électronique mondialement connu sous le nom de Moby.

L'Å’uvre

Moby-Dick raconte l'histoire du Péquod, baleinier dont le capitaine se nomme Achab. Cet étrange marin est obsédé par une grande baleine blanche : Moby Dick. Le narrateur est un membre d'équipage nommé Ishmaël qui dispose, tout comme Melville, d'une grande culture littéraire et y recourt fréquemment pour mettre en scène les membres de l'équipage et leur aventure. L'équipage du Péquod permet à Melville de multiplier les portraits et des analyses psychologiques ou sociales extrêmement fouillées et détaillées ; l'action se déroulant sur ce seul baleinier, l'œuvre a souvent été qualifiée par les critiques d'univers clos. Les descriptions de la chasse à la baleine, l'aventure elle-même et les réflexions du narrateur s'entrelacent dans une gigantesque trame où se mêlent des références à l'Histoire, à la littérature occidentale, à la mythologie, la philosophie et la science.
La prose de Melville est complexe et déborde d'imagination ; il est considéré comme un des plus grands stylistes américains — aux côtés de William Faulkner, Henry James ou Thomas Pynchon. Il était lié d'amitié avec Nathaniel Hawthorne, et fut influencé par ses écrits ; Moby-Dick est ainsi dédié à Hawthorne.
Melville est aussi l'auteur de récits tirés de son expérience de marin, Typee, Omoo et Mardi, de romans, Redburn, White-Jacket, La Vareuse blanche, Pierre ou les Ambiguïtés, The Confidence Man, ainsi que de plusieurs nouvelles, parues pour l'essentiel dans les années 1850 dans deux revues concurrentes, le Putnam's Monthly Magazine, qui publie cinq nouvelles, dont : Bartleby, Benito Cereno et Les Îles enchantées et le Harper's New Monthly Magazine, qui en publie sept. Bartleby the scrivener est certainement la plus célèbre : on considère qu'elle contient déjà en gésine des traits de la littérature existentialiste et de la littérature de l'absurde, entre autres.
Cas rare parmi les poètes, il n'écrit aucune œuvre lyrique majeure avant un âge avancé. Après la guerre de Sécession, il publie quelques pièces sur le conflit (Battle Pieces, qui se vendent bien. Mais une fois encore il prend ses distances par rapport aux goûts et aux attentes des lecteurs contemporains dans la pièce maîtresse de son œuvre poétique, Clarel, qui raconte l'épopée du pèlerinage d'un étudiant en Terre sainte et resta, elle aussi, quasiment inconnue de son vivant.

Publications en anglais Romans

Typee: A Peep at Polynesian Life 1846
Omoo: A Narrative of Adventures in the South Seas 1847
Mardi: And a Voyage Thither 1849
Redburn: His First Voyage 1849)
White-Jacket, or The World in a Man-of-War 1850
Moby-Dick, or The Whale 1851
Pierre: or, The Ambiguities 1852
Isle of the Cross vers 1853, perdu
Israel Potter: His Fifty Years of Exile 1856
The Confidence-Man: His Masquerade 1857
Billy Budd, Sailor 1924

Nouvelles

Cock-A-Doodle-Doo! 1853
Poor Man's Pudding and Rich Man's Crumbs 1854
The Happy Failure 1854
The Fiddler 1854
Paradise of Bachelors and Tartarus of Maids (1855
Jimmy Rose 1855
The Piazza Tales 1856, comprenant : The Piazza, Bartleby, the Scrivener, Benito Cereno, The Lightning-Rod Man, The Encantadas, or Enchanted Isles et The Bell-Tower (1856
The Gees 1856
I and My Chimney 1856
The Apple-Tree Table 1856
The Two Temples posthume
Daniel Orme posthume

Poèmes

Battle Pieces and Aspects of the War 1866
Clarel: A Poem and Pilgrimage in the Holy Land 1876
John Marr and Other Sailors 1888
Timoleon 1891
Weeds and Wildings, and a Rose or Two 1924

Hawthorne and His Mosses 1850

Traductions françaises

Taïpi, traduit par Théo Varlet et Francis Ledoux, Paris, Gallimard, 1952
Omoo, traduit par Jacqueline Foulque, Paris, Gallimard, 1951
Le vagabond des iles Suite à Omoo, traduit par Olivier Carvin, La Sixaine, Bruxelles, sans date
Mardi, traduit par Charles Cestre et Armel Guerne, Robert Marin, 1950 rééd., Paris, Champ libre, 1984
Redburn ou sa première croisière, traduit par Armel Guerne, Robert Marin, 1950
White Jacket ou La Vareuse blanche, traduit par Charles Cestre et Armel Guerne, Robert Marin, 1950
Moby Dick ou la baleine blanche, traduit par Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono, Paris, Gallimard, 1941
Pierre ou les Ambiguïtés, traduit par Pierre Leyris, Paris, Gallimard, 1939
L'Heureuse Faillite, traduit par Armel Guerne, Falaize, 1951 cf. Moi et ma cheminée
Jimmy Rose, traduit par Armel Guerne, Falaize, 1951 cf. Moi et ma cheminée
Israël Potter, ou cinquante ans d’exil, traduit par C. Cestre, Paris, Corréa, 1951 ; par Francis Ledoux, Paris, Gallimard, 1956
Benito Cereno et autres nouvelles, traduit par Pierre Leyris, Paris, Plon, 1937 et Gallimard, 1951
Contes de la véranda, comprenant La Véranda, Le Marchand de paratonnerres, Bartleby le scribe Bartleby - Une Histoire de Wall Street, trad. Jérôme Vidal, illustrations Götting, édition annotée, Paris, Éditions Amsterdam, Benito Cereno, Les Îles enchantées
Contes non recueillis, comprenant L'Heureux Échec, Le Violoneux, Coquerico !, Le Pudding du pauvre et les Miettes du riche, Les Deux Temples, Le Paradis des célibataires et le Tartare des jeunes filles, Jimmy Rose, Les Portos, Moi et ma cheminée, La Table en bois de pommier, traduit par Philippe Jaworski, collection La Pléiade, Paris, Gallimard, 2010
Moi et ma cheminée, traduit par Armel Guerne, Falaize, 1951
The Confidence-Man : His Masquerade, traduit par Henri Thomas sous le titre Le Grand Escroc, Paris, Minuit, 1950 cf. L'Escroc à la confiance
Tableaux de bataille et Aspects de la guerre
Clarel, poème et pèlerinage en Terre Sainte
John Marr et autres marins, poème
Timoléon et autres poèmes, trad. Thierry Gillybœuf, Toulon, Éditions de la Nerthe, 2006
La Table de pommier et autres esquisses
Billy Budd, marin, gabier de misaine Billy Budd, marin, trad. Pierre Leyris, Paris, Gallimard ; Billy Budd, matelot, trad. Jérôme Vidal, Paris, Éditions Amsterdam, édition annotée avec postface du traducteur
Herbes folles et sauvageons, avec une rose ou deux dernier recueil de poésie posthume, traduit partiellement par Pierre Leyris dans Poèmes divers ainsi que dans la revue La Nuit, n° 1, Arles, 2006
Œuvres, édition sous la direction de Philippe Jaworski, collection La Pléiade, Paris, Gallimard, 1997-2010, en quatre tomes : tome I, Taïpi, Omou, Mardi ; tome II, Redburn, La Vareuse blanche ; tome III, Moby Dick, Pierre ou les ambiguïtés ; tome IV, Bartleby le scribe, Billy Budd, marin, autres romans
Derniers Poèmes, édition d'Agnès Derail et Bruno Monfort, préface de Philippe Jaworski, Paris, Rue d'Ulm, 2010

Éditions

Benito Cereno, illustré d'eaux-fortes par Érik Desmazières pour Les Bibliophiles de France, 1980
Les Îles enchantées, illustré de pointes sèches par Gérard Diaz, pour le compte des Amis bibliophiles, 1984

Adaptations

Moby-Dick a fait l'objet de plusieurs adaptations cinématographiques, dont les plus célèbres :
Moby Dick de John Huston en 1956.
Capitaine Achab de Philippe Ramos en 2004 ; adaptation libre et personnelle.
Benito Cereno de Serge Roullet adapté du roman éponyme en 1968.
Pola X de Leos Carax adapté du roman Pierre ou les Ambiguïtés en 1999.
Billy Budd, marin, court roman posthume, aux aspects testamentaires, abondamment commenté et adapté à l'opéra par Benjamin Britten, puis au cinéma par Peter Ustinov ainsi que par Claire Denis Beau Travail, 1999.

Moby Dick ou la baleine livre de Herman Melville


Succédant à une série de récits d'aventures exotiques qui avaient connu un grand succès, Mardi 1849 reflète déjà l'évolution de l'écrivain américain Herman Melville 1819-1891 vers un pessimisme calviniste. Avec Moby Dick or The Whale 1851, écrit en deux ans, il délaisse définitivement les territoires qui apparaissent sur les cartes pour explorer les profondeurs de l'âme humaine
Le héros éponyme du roman est une baleine. Elle doit son nom à un cétacé blanc, Mocha Dick, qui, après avoir reçu dix-neuf harpons, aurait causé la perte de trente hommes, cinq baleinières et quatorze canots. Ce fait divers a été découvert par Melville dans un article du Knickerbocker's Magazine en 1839. Mais la symbolique de la blancheur de Moby Dick s'inspire davantage du Récit d'Arthur Gordon Pym (1838) d'Edgar Allan Poe.

Le combat contre la baleine

Les cent trente-cinq chapitres du roman se divisent en trois parties ou cinq grands actes. Le narrateur au nom biblique, le jeune Ismael, a l'âme toute imprégnée des brumes humides et sombres de novembre quand il s'engage à New Bedford à bord d'un baleinier, le Péquod. Le sort lui donne pour compagnon de lit Queequeg, un Polynésien dont les rites le surprennent. Tous deux deviennent amis et, après avoir entendu le sermon prophétique du père Maple et vénéré le dieu païen, ils gagnent Nantucket d'où le navire part le jour de Noël. Le capitaine Achab, esprit solitaire et torturé, a pour dessein de triompher de la baleine blanche qui lui a jadis arraché une jambe. Longtemps enfermé dans sa cabine, il découvre enfin son projet à l'équipage pour lui faire prêter serment et promet au premier qui signalera la présence de Moby Dick le doublon d'or qu'il fait clouer au grand mat. Les réactions des marins révèlent leurs caractères : Starbuck, le premier maître, qui aime les hommes et craint Dieu, marque son désaccord. Stubb, le second maître, accepte le risque. Pour Flask, le troisième, tuer des baleines est un travail comme un autre. L'équipage comprend aussi le Parsi Fedallah et ses mystérieux Asiatiques, les harponneurs – Queequeg, l'Indien Tashtego, l'Africain Daggoo – et le mousse nègre, Pip. On peut y voir la mosaïque ethnique de la nation américaine en devenir.
Interrompant le récit du voyage, les chapitres 46 à 105 forment un véritable traité de cétologie, une histoire de la pêche, de l'industrie et de l'art relatifs à la baleine. Pendant le voyage, plusieurs cétacés sont capturés par le Péquod. Mais les tempêtes se succèdent, la boussole est perdue, un homme tombe à la mer, le mousse devient fou : tout paraît se liguer contre Achab. Un matelot aperçoit enfin la baleine blanche. Le duel peut s'engager. Le premier jour de la chasse, Moby Dick réduit un canot en miettes. Le deuxième jour, un autre canot est coulé, et la jambe d'ivoire du capitaine brisée par l'adversaire. Le troisième jour, on parvient à harponner la baleine, mais Achab est pris dans les filins et ligoté sur Moby Dick qui fonce sur le Péquod. La vision finale montre Tashtego clouant au sommet du mat un aigle des mers avec le pavillon des États-Unis : Ainsi l'oiseau du ciel au cri d'archange ... sombra avec le navire qui, tel Satan, ne descendit pas en enfer sans avoir entraîné à sa suite une vivante part du ciel pour s'en casquer. Ismael, seul survivant du naufrage, est recueilli par un autre baleinier.

Une allégorie de la démesure

Dédicacé à l'écrivain américain Nathaniel Hawthorne 1804-1864, le livre refuse toute classification : il se veut à la fois histoire de marins, documentaire sur la chasse à la baleine, témoignage social, drame shakespearien de la démesure, de l'orgueil et de la démence, épopée métaphysique. Moby Dick ressemble au Léviathan, ce monstre biblique du Livre de Job. Au récit réaliste de la chasse à la baleine se superpose la figuration symbolique du conflit entre l'homme et sa destinée. Le capitaine Achab ne déclare-t-il pas que tous les objets visibles ... ne sont que masques de carton ? Melville érige son récit d'aventures en combat allégorique du Bien et du Mal. Il réunit les deux sources du romance américain – la pastorale nostalgique et le drame moral –, qu'il projette à une échelle métaphysique. Selon Melville, l'art est un processus, il émerge comme une métaphore qui crée sans cesse et ne s'accomplit jamais.
On a insisté récemment sur l'auto-réflexivité du livre : l'accumulation d'un savoir antérieur sur la Baleine, sa représentation par fragments mettent en lumière l'inachèvement de tout savoir. Comme le Monstre, la narration d'Ismael découpe le personnage d'Achab en fragments : roi de tragédie, malade, anormal, corps métallique dévasté, machine, Narcisse immobile, métaphore figée du Moi tyrannique : Achab est Achab à jamais, homme ! Toute cette tragédie a été ordonnée irrémédiablement. Nous l'avons répétée, toi et moi, des milliers d'années avant que ne roulât cet océan. Imbécile ! Je suis le lieutenant des Parques.
La narration d'Ismael opère une sortie du cercle de la folie d'Achab et rapporte l'incompréhensible. Elle est à la fois écriture et lecture de l'expérience du protagoniste, et l'énigme de la blancheur ne dit rien d'autre que ce qu'elle est : la question du sens. Ismael et Achab sont deux registres de la conscience en relation dialogique. Mais le second n'existe que par le récit qu'Ismael fait de son effondrement : tel est le paradoxe au cœur de cette aventure.
L'originalité et le foisonnement de l'écriture de Moby Dick déconcertèrent une large partie du public de Melville, et il fallut attendre soixante-dix ans pour que sa grandeur soit reconnue. Le roman a été adapté au cinéma par John Huston en 1956.

Liens

http://www.ina.fr/video/2766019001/he ... nier-moby-dick-video.html I livre I jour
http://www.ina.fr/video/CPC96008426/h ... leby-le-scribe-video.html Ilivre I jour
http://www.ina.fr/video/VDD11021260/moby-dick-video.html Moby Dick
http://youtu.be/13z4l8jvbpY Moby Dick
http://youtu.be/0GgFtN7T0QM Bartleby


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Posté le : 27/09/2014 16:24
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John Dos Pessos
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Le 28 septembre 1970 à Baltimore meurt à 74 ans John Rodrigo Dos Passos

né le 14 janvier 1896 à Chicago, écrivain moderniste de l'angue anglaise et un peintre américain.Il reçoit le prix Prix Antonio Feltrinelli, son Œuvre principale est "U.S.A."
L'abandon des valeurs traditionnelles américaines par une société avide de réussite et d'argent préside, dans les années vingt, à l'avènement des écrivains de la génération perdue. Comme eux, John Dos Passos s'interroge sur le destin de l'Amérique et du monde. Comme eux, il est l'homme d'une époque, celle de la Première Guerre mondiale, celle de l'illusoire prospérité dont les plus solides bastions s'écroulent dans le krach de Wall Street, avant que le New Deal n'apparaisse avec Franklin Roosevelt et que la guerre d'Espagne ne vienne – après la révolution d'Octobre – secouer à nouveau la lointaine Amérique. Mais si, tel un autre voyageur, Hemingway, Dos Passos s'intéresse au Vieux Monde en curieux professionnel, le thème essentiel de son œuvre – et notamment la trilogie U.S.A. – reste ancré dans trente ans de vie américaine – de la naissance du XXe siècle à la veille du Mardi noir du 29 octobre 1929. C'est l'histoire collective et individuelle de ce qu'il nomme les deux Amériques – celle de l'oppression du grand capital qui conduit Sacco et Vanzetti à la chaise électrique en 1927, et celle des immigrants et de la classe ouvrière opprimée à laquelle il s'identifie pour un temps.

Pour dénoncer l'aliénation de l'homme américain, Dos Passos fait preuve d'une originalité et d'une invention littéraire dont U.S.A. marque l'accomplissement. Dès la Seconde Guerre mondiale, cependant, un changement s'amorce dans les thèmes comme dans l'écriture, et le romancier abandonne la défense de l'under-dog, exploité et annihilé, pour se consacrer à un portrait de l'Amérique conforme à l'idéologie dominante. Il ne retrouve plus l'élan souvent lyrique ni le plaidoyer passionné de naguère. Pourtant, ni le désaveu de l'auteur, ni les réticences possibles du lecteur n'empêcheront U.S.A. comme La Condition humaine de Malraux, de rester à la fois un témoignage écrasant et un monument de la littérature.

En bref

Contemporain de Fitzgerald et d'Hemingway, ami de Cummings, fils bâtard d'un self-made man, formé dans l'esthétisme fin de siècle de Harvard, ambulancier pendant la Première Guerre mondiale, voyageur en Europe, au Proche-Orient, en Afrique du Nord entre 1920 et 1939, il entreprend de totaliser la réalité nationale dans ses trilogies, USA 1930-1936 et District de Columbia 1939-1949. Malgré les contradictions, son œuvre présente en continu une protestation contre la société américaine en même temps que l'attachement à ses valeurs.
Familier des techniques du réalisme et du courant de conscience, John Dos Passos les utilise pour asseoir une analyse sociale pessimiste. Il y décrit la vie de quelques personnages représentant différentes classes sociales, leurs espoirs et leurs désillusions. En cela il se rapproche d'un certain réalisme socialiste qu'il ne renie pas, puisqu'il avoue une admiration sans faille pour Eisenstein. De là vint d'ailleurs ce terme de « littérature cinématographique » utilisé par de nombreux critiques à propos de ses livres.
Au cours d'une longue carrière faite de succès, Dos Passos écrit quarante-deux romans, des poèmes, des essais, des pièces de théâtre et crée plus de quatre cents œuvres d'art. On retiendra surtout de lui Manhattan Transfer et sa trilogie U.S.A., écrits dans les années 1920 et 1930, période où il est à l'acmé de sa gloire littéraire.
Son œuvre principale reste la trilogie U.S.A., elle comprend Le 42ème Parallèle 1930, 1919 1932 et La Grosse Galette 1936. Son style mélange trois techniques littéraires : pour l'aspect social, des bouts d'articles de journaux succèdent à des chants populaires. L'émotion, elle, est transcrite au moyen de collages de mots et de phrases qui ne font que traduire les pensées du narrateur. C'est la fameuse chambre noire, qui peut se rapprocher du style de Céline dans la ponctuation, et qui annonce les cut-up de William Burroughs. Enfin, Dos Passos introduit dans l'œuvre quelques biographies de personnages importants durant l'époque explorée par la trilogie U.S.A. Autant de procédés qui lui permettent de dépeindre le vaste paysage de la culture américaine des premières décennies du XXe siècle. Bien que chacun des romans fonctionne de manière autonome, la trilogie est faite pour être lue comme un tout. La pensée politique et sociale que John Dos Passos développe dans ses nouvelles est très pessimiste au regard de la gestion politique et économique des États-Unis.

Sa vie

John Dos Passos est né à Chicago. Son père, d'origine portugaise il venait de Madère, était un avocat relativement aisé et qui avait donc les moyens de lui offrir la meilleure éducation. En 1907, il est envoyé faire ses études à l'université Choate Rosemary Hall de Willingford Connecticut. À la suite de quoi, accompagné d'un tuteur privé, il partit six mois faire un tour d'Europe France, Angleterre, Italie, Grèce et Europe centrale afin d'y étudier les grands maîtres de la peinture, de l'architecture et de la littérature.
À partir de 1913, il suit des cours à l'Université Harvard. Après l'obtention de son diplôme en 1916, il part en Espagne pour étudier la peinture et l'architecture. La Première Guerre mondiale faisant rage en Europe et les États-Unis ne s'étant pas encore engagés dans la guerre, Dos Passos s'engage en juillet 1917 dans le corps des ambulanciers aux côtés de ses amis E. E. Cummings et Robert Hillyer. Il travaille ensuite comme chauffeur à Paris puis dans le centre de l'Italie.
À la fin de l'été 1918, il achève les ébauches de son premier roman. Dans le même temps, il est réquisitionné dans le Corps Médical de l'Armée Américaine, à Camp Crane en Pennsylvanie. À la fin de la guerre, il est en poste à Paris où le Département de l'éducation outremer américain lui permet de rester pour étudier l'anthropologie à la Sorbonne. Un des personnages de la trilogie U.S.A. connaît globalement la même carrière militaire et reste à Paris après l'armistice.
À mesure que Dos Passos grandit, sa vision politique se tourne plutôt vers la droite. Au milieu des années 1930, il écrit une série d'articles incendiaires concernant la théorie politique communiste. Au temps où le socialisme commence à gagner en popularité l'Europe en réponse au fascisme, les romans de Dos Passos ont donc commencé à connaître un succès international déclinant. Toutefois, la reconnaissance de sa contribution au champ littéraire international vint en 1967 lorsqu'il fut invité à Rome pour recevoir le prestigieux Feltrinelli Prize. Bien que les partisans de Dos Passos aient toujours argué que ces œuvres tardives ont été ignorées à cause de son changement d'opinion politique, il y a un relatif consensus entre les critiques pour dire que la qualité de ses romans a commencé à décliner après le triomphe de U.S.A..
Entre 1942 et 1945, Dos Passos travaille comme journaliste, il se spécialise dans la couverture des évènements de la Seconde Guerre mondiale. En 1947, il est élu à l'Académie américaine des Arts et des Lettres, mais un tragique accident de voiture tue la femme qui partageait sa vie depuis 18 ans, Katharine Smith, et lui coûte la perte d'un œil. Il se remariera avec Elizabeth Holdridge 1909-1998 et continuera l'écriture jusqu'à sa mort à Baltimore en 1970. Sa tombe se trouve au Yeomico Churchyard Cemetery de Cople Parish, dans le comté de Westmoreland, en Virginie, pas très loin de sa dernière demeure.

Carrière littéraire Poésie de John Dos Passos.

Le premier roman de John Dos Passos, One Man's Initiation : 1917 est publié en 1920. Après cela, ce grand écrivain de la Génération perdue publie un roman antibelliciste intitulé Three Soldiers qui lui apporte une considérable reconnaissance. En 1925, Manhattan Transfer qui décrit la vie à New York dans les premières décennies du xxe siècle est un véritable succès commercial et marque l'entrée de la technique expérimentale du courant de conscience (stream-of-consciousness) dans le style de John Dos Passos.
Dos Passos, en cela révolutionnaire, a été amené à considérer la société américaine comme double : d'un côté les riches, de l'autre les pauvres, entre eux une véritable muraille infranchissable. On lui connaît de très belles pages sur la vie des syndicats américains tels que Industrial Workers of the World, sur l'injustice de la condamnation de Sacco et Vanzetti, dont il récuse la légitimité. Très vite, il rejoint le camp des intellectuels américains et européens qui militent pour l'abolition de la peine de mort. En 1928, Dos Passos passe plusieurs mois en URSS pour étudier le système socialiste. En 1932, il signe un manifeste destiné à soutenir le candidat communiste à l'élection présidentielle américaine William Z. Foster. Il retourne en Espagne avec Hemingway au moment de la Guerre civile espagnole, mais son opinion à propos du communisme avait déjà changé : il se brouille avec Ernest Hemingway et Herbert Matthews à propos de leur attitude au regard de la guerre et de leur compromission avec la propagande stalinienne.

Points et contrepoints

Lié à l'esprit d'aventure et aux tendances anarchisantes de certains immigrants par son grand-père portugais, John Roderigo Dos Passos appartient aussi à la grande tradition américaine par son père. Tambour à quatorze ans dans les armées de la guerre civile, celui-ci suit en grandissant la route désormais classique du self-made man. Réussite et promotion sociale sont consommées lorsqu'il s'établit à New York comme avocat. John Dos Passos naît en 1896 à Chicago, connaît l'enfance heureuse d'un fils de famille aisée, et, après l'école préparatoire de Choate School, termine ses études à Harvard où il entre à seize ans. Sa vocation d'écrivain s'affirme déjà : soucieux d'esthétique et de littérature, il fait paraître nouvelles, poèmes et critiques dans le mensuel de l'université où il côtoie le poète E. E. Cummings. Dûment diplômé cum laude, il quitte Harvard en 1916 et part pour l'Espagne. Là, il se passionne pour Pío Baroja dont le non-conformisme et l'exaltation des valeurs individuelles l'influencent profondément. De retour aux États-Unis, il publie la première version de Rossinante reprend la route Rosinante to the road again et s'engage dans la fameuse division d'ambulances Norton-Harjes – lieu de rencontre de la génération perdue pendant la Première Guerre mondiale. Il conte son expérience dans L'Initiation One Man's initiation, 1920, essai bientôt transposé et appuyé par Trois Soldats Three Soldiers qu'il écrit en Espagne après avoir été démobilisé en France. Ce premier roman important paraît en 1921 : Dos Passos y attaque l'appareil militaire et démystifie les symboles et la gloire de la guerre.

La prise de conscience

C'est au Moyen-Orient où il voyage, entre autres pays, comme journaliste, qu'il écrit un deuxième roman marquant : Manhattan Transfer – la gare de triage de New York – 1925. Il y aborde le mode de vie américain selon une optique déjà axée sur le rôle déterminant de la société par rapport à l'individu, et utilise une écriture polyphonique pour atteindre à une image plus percutante. Il est, dès lors, un auteur engagé. Avec d'autres écrivains portés comme lui vers la contestation politique de l'Amérique du boom, du Jazz Age et de la prohibition, il participe à la fondation du magazine New Masses qui remet en cause le système capitaliste. C'est là qu'il publiera en 1927 son fameux poème-réquisitoire : Face à la chaise électrique Facing the chair tandis qu'on l'arrête pour avoir manifesté dans la rue contre l'exécution – après sept ans de procès et d'atermoiements – de Sacco et de Vanzetti. Comme tant d'autres intellectuels de son temps, il se rend en Union soviétique où il s'entretient avec Poudovkine et Eisenstein, puis revient à New York 1929 pour épouser Katherine Smith qu'il a connue dans l'entourage d'Hemingway.
Cette période de mobilisation sociale et politique, et de militantisme, est aussi celle de sa production la plus importante. Trois pièces de théâtre sont montées à New York : L'Éboueur The Garbage Man en 1926, Airways incorporated à son retour d'U.R.S.S., et Fortune Heights en 1934. Journaliste, il couvre les grandes grèves et notamment celle des mineurs de Pennsylvanie en 1932 où, avec Theodore Dreiser, il accumule une série d'interviews accablantes – ce qui ne l'empêche pas de poursuivre sa polémique de longue date avec le Parti communiste américain dans les colonnes de New Masses.
Enfin, il écrit sa fameuse trilogie U.S.A. entre 1930 et 1936 : 42e Parallèle, 1919, La Grosse Galette The Big Money. Ce dernier volume est désigné comme meilleur livre de l'année 1936 par le Congrès des écrivains américains.

Le reflux

Dès 1940, avec La Pensée vivante de Tom Paine, Dos Passos revient aux sources de la révolution américaine guerre d'Indépendance et regrette tout haut d'avoir voté une seconde fois pour Roosevelt. Le tournant s'affirme après la Seconde Guerre mondiale qu'il effectue comme correspondant de guerre et, en 1954, il écrit La liberté est mon propos The Theme is freedom, donnant ainsi des gages à l'inquisition maccarthyste qui lui cherche des querelles rétrospectives. En 1964, il se tient au côté de Barry Goldwater pendant la campagne présidentielle, et se range parmi les faucons pour soutenir la guerre du Vietnam. Remarié et fixé dans le comté de Westmoreland Virginie, il travaille alors à une Histoire des États-Unis. Citons parmi ses ouvrages d'après-guerre dont aucun n'a connu un succès notoire : The Grand Design 1949 incorporé dans la trilogie District of Columbia – ouvrage commandé par la compagnie industrielle General Mills Inc. afin de dépeindre de façon objective et humaine la vie d'une grande entreprise. Citons encore une étude sur Jefferson, un roman autobiographique, Chosen country 1951, et bon nombre de reportages et d'articles. En 1961, il tente vainement de retrouver le ton et l'écriture des années trente avec Midcentury.

L'architecte de l'histoire

L'écrivain en prise directe sur son époque, écrit en substance Dos Passos, est l'architecte de l'histoire. Cette architecture du roman, il la cherche dès Manhattan Transfer pour aboutir finalement à la composition et à l'écriture soigneusement élaborées de U.S.A. Ma préoccupation dominante, dit-il encore, était d'essayer de découvrir ce que disaient et pensaient les gens. Pour intégrer le roman individuel dans le contexte historique et social de son temps, il est conduit à chercher de nouveaux moyens techniques en rapport avec son thème, son époque et l'effet qu'il veut produire.

Structures et techniques

Dans le bouillonnement de l'après-guerre, le monde littéraire et artistique tend à rompre avec le passé. Après le cubisme, le dadaïsme et le surréalisme ouvrent de nouvelles voies. L'Ulysse de Joyce, les idées de Meyerhold au théâtre, l'apport esthétique d'Eisenstein dans le domaine du film, impliquent une recherche de nouveaux modes d'expression correspondant à une ère où les progrès de l'industrie et des techniques changent la face du monde. L'Amérique, vue par Dos Passos, procède de ce courant. Il adopte pour écrire U.S.A. un système directement inspiré par le cinéma. Chacun des trois romans se compose de quatre sections récurrentes qui se succèdent selon une architecture élaborée. Chaque livre comporte ces quatre plans-relais de quatre points de vues : actualités newsreels, biographies, fiction romanesque – portant en exergue le nom d'un personnage, particulièrement éclairé par le projecteur – enfin l'œil de la caméra camera eye où l'auteur s'exprime selon la technique du monologue intérieur – voire du flot de conscience. Quatre images d'une société qui contribuent parallèlement à la construction de l'image clef. La place attribuée à chacune, l'ordre de présentation sont autant d'éléments du montage. La diversité s'organise autour du thème central. Les bandes d'actualités, informations fragmentaires de tous ordres, publicité, chansons, mode, expositions, événements politiques, grèves, mariages, etc. insistent – par rapprochement, opposition et allusions – sur l'absurdité de la société contemporaine, qui ne sait où elle va, mais y court à toute vitesse. Les biographies, parfois traitées sur le mode ironique, parfois lourdes d'émotion, tracent le portrait exemplaire des grands de ce monde en pleine mutation : de Ford qui fait tirer la troupe sur les grévistes à Taylor et son plan, dont le travail à la chaîne et les cadences infernales n'ont pas fini de secouer le monde ouvrier, en passant par Debs, Isadora Duncan, Edison, Rudolf Valentino, James William Bryan, Big Bill Haywood et le syndicat des Industrial Workers of the World, Frank Lloyd Wright, etc. En contrepoint, mais se rattachant toujours au contexte évoqué, se déroulent les destins individuels de la section romanesque : un univers où les existences des personnages se croisent et s'entrecroisent dans une nouvelle comédie.
Plus personnel est l'œil de la caméra, parfois traduit par le terme l'objectif, qui a le mérite d'en souligner l'ambiguïté première. Rien n'est plus subjectif en effet que ces interventions du narrateur où il exprime son monde intérieur et ses doutes en une sorte de prose poétique qui n'est pas sans évoquer l'Apollinaire de Calligrammes, le Prévert de Paroles ou la poésie de E. E. Cummings 1894-1962, et laisse parfois déborder l'émotion lyrique. Le ton, pourtant, se veut impersonnel. L'ironie sous-jacente se cache derrière une apparente objectivité. Trente ans de vie américaine se succèdent ainsi dans la rigueur de la chronologie. C'est l'histoire en train de se faire sur le fond sonore des machines devenues aliénantes par la volonté du grand capital.

La machination

Le frame up, thème central de l'œuvre, Dos Passos le rend explicite dans l'œil de la caméra. Oui, nous sommes deux nations, s'écrie-t-il dans une page qui reste une des plus bouleversantes de U.S.A. La mort de Sacco et de Vanzetti est l'aboutissement d'une vaste conspiration des classes possédantes : les anciennes valeurs sont utilisées aux fins du profit. Il n'en reste que la coquille vidée de toute substance. L'Amérique, terre d'accueil, terre libre, symbole de la démocratie, est devenue machine à opprimer. Tout idéal est une menace, toute défense devient attaque, toute rébellion est étouffée dans l'œuf au nom des grands principes : toute une Amérique se fait complice du coup monté. Reste-t-il une forme d'espoir ? Tenter sa chance aboutit à une forme d'aliénation : l'obsession du succès dénature l'homme. Chez tous les personnages de Dos Passos, la réussite masque l'échec fondamental. Un seul échappe en partie à la règle, parce qu'il se range aux côtés de la classe ouvrière : Mary French, dont les options sont celles de l'auteur. Mais, là encore, il s'agit de l'Amérique vaincue, et le combat qui continue n'est plus qu'un baroud d'honneur » auquel Dos Passos ne croit plus. À la lutte des classes, il substitue une spécificité américaine et se qualifie d'exceptionnaliste. Comme Veblen, auquel il consacre une biographie, il souffre d'une incapacité congénitale à dire : oui.
Parce qu'il a lu Marx et Lénine et qu'il s'engage personnellement dans la lutte aux côtés des plus défavorisés, Dos Passos a été parfois considéré comme un écrivain marxiste. Il apparaît en fait beaucoup plus comme un nostalgique du vieil idéal jeffersonien, revu et corrigé par Veblen. Peintre et témoin de l'échec individuel et collectif – dont il rend responsable la dégénérescence du mythe américain – Dos Passos semble fondamentalement porté vers une finalité d'ordre métaphysique et moral de la destinée humaine. La méfiance toute anglo-saxone qu'il exprime en filigrane à l'égard des transformations sociales fondées sur la lutte des classes explique sans doute sa volte-face politique et son retour au consensus de l'ordre établi.
La lecture de U.S.A. laisse l'image d'une Amérique face à un problème sans solution. Pour Dos Passos, la crainte qu'exprimaient naguère Emerson et Thoreau, Whitman et Twain est en train de se vérifier : l'Amérique pourrait bien payer de son âme le prix du succès matériel.

Carrière littéraire

Poésie de John Dos Passos.

Le premier roman de John Dos Passos, One Man's Initiation : 1917 est publié en 1920. Après cela, ce grand écrivain de la Génération perdue publie un roman antibelliciste intitulé Three Soldiers qui lui apporte une considérable reconnaissance. En 1925, Manhattan Transfer qui décrit la vie à New York dans les premières décennies du xxe siècle est un véritable succès commercial et marque l'entrée de la technique expérimentale du courant de conscience (stream-of-consciousness) dans le style de John Dos Passos.
Dos Passos, en cela révolutionnaire, a été amené à considérer la société américaine comme double : d'un côté les riches, de l'autre les pauvres, entre eux une véritable muraille infranchissable. On lui connaît de très belles pages sur la vie des syndicats américains tels que Industrial Workers of the World, sur l'injustice de la condamnation de Sacco et Vanzetti, dont il récuse la légitimité. Très vite, il rejoint le camp des intellectuels américains et européens qui militent pour l'abolition de la peine de mort. En 1928, Dos Passos passe plusieurs mois en URSS pour étudier le système socialiste. En 1932, il signe un manifeste destiné à soutenir le candidat communiste à l'élection présidentielle américaine William Z. Foster. Il retourne en Espagne avec Hemingway au moment de la Guerre civile espagnole, mais son opinion à propos du communisme avait déjà changé : il se brouille avec Ernest Hemingway et Herbert Matthews à propos de leur attitude au regard de la guerre et de leur compromission avec la propagande stalinienne.

Le prix Dos Passos

Le prix John Dos Passos est une récompense littéraire délivrée chaque année par le Département de Langue anglaise et de Langues modernes à l'université de Longwood. Le prix cherche à mettre en lumière "des écrivains américains créatifs qui ont produit un corps substantiel de publications dans lesquelles on retrouve certaines des caractéristiques de l'écriture de John Dos Passos : une exploration intense et originale de thématiques spécifiquement américaines, une approche expérimentale de la forme, et un intérêt pour une large échelle d'expériences humaines."

Œuvres littéraires

The Scene of Battle 1919
One Man's Initiation: 1917 1920
Three Soldiers 1921
A Pushcart at the Curb 1922
Rosinante to the Road Again 1922
Streets of Night 1923
Manhattan Transfer 1925
Facing the Chair 1927
Orient Express 1927
U.S.A. 1938), trilogie qui comprend :
The 42nd Parallel 1930
Nineteen Nineteen 1932
The Big Money 1936
The Ground we Stand On 1949
District of Columbia 1952, trilogie qui comprend :
Adventures of a Young Man 1939
Number One 1943
The Grand Design 1949
State of the Nation 1944
Chosen Country 1951
Most Likely to Succeed 1954
The Head and Heart of Thomas Jefferson 1954
The Men Who Made the Nation 1957
The Great Days 1958
Prospects of a Golden Age 1959
Midcentury 1961
Mr. Wilson's War 1962
Brazil on the Move 1963
The Best Times: An Informal Memoir 1966
The Shackles of Power 1966
The Portugal Story 1969
Century's Ebb: The Thirteenth Chronicle 1970
Easter Island: Island of Enigmas 1970
Lettres à Germaine Lucas Championnière 2007

Lien

http://youtu.be/K5Q5UU87MrI A propos d'Hemingway


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Posté le : 27/09/2014 16:09
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Re: Défi du 27/09/14
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Mon Cher Raymond,

Que de belles années nous avons partagées ! Plus de soixante-trois ans de mariage. Il n’y en aura plus beaucoup qui auront cette chance à l’avenir, avec tous les divorces ce nos jours. Pourtant, on en a aussi partagé des galères, des périodes où l’on a mangé notre pain noir mais tu as toujours su si bien gérer. Et tous ces voyages que nous avons faits. Dès que nous revenions, tu programmais déjà celui de l’année suivante. Même si je supporte difficilement la chaleur, je t’ai suivi des îles Canarie aux îles grecques avec plaisir. Et notre tour de France en scooter ! Comme tu aimais l’évoquer et voir l’incrédulité dans les yeux de ton interlocuteur. Avec notre petit garçon entre nous pour ne pas qu’il soit mouillé. Tu as connu des opérations, un AVC et tu t’es toujours relevé avec la volonté de te battre. Tu étais mon repère, d’autant plus lorsque ma mémoire a commencé à flancher et mes esprits s’embrouiller. Combien de fois tu m’as enguirlandée quand je te disais « Je suis perdue. ». Tu étais devenu le cerveau et moi les bras et les jambes. Nous étions un être complet à deux.

Et une nuit, sans prévenir, tu es parti, me laissant désemparée. Plusieurs fois, je t’ai cherché dans toute la maison, le jardin, le potager que tu affectionnais particulièrement, maudissant ton goût pour cette farce que je ne trouvais pas drôle. Et chaque fois c’est notre petite-fille qui me rappelait ton départ. Je reprenais alors pied dans la dure réalité, pour quelques temps seulement.

Depuis toute petite, j’ai été bercée par les paroles des prêtres qui nous parlaient de la vie éternelle pour ceux qui avaient eu une vie de chrétien. J’ai été baptisée, communiée et me suis mariée à l’église. Est-ce que je fais partie des élus ? Notre petite-fille croit, quant à elle, à la vie dans l’au-delà et même à la réincarnation. Et si c’était vrai…

Ce soir, je me couche avec une douleur dans la poitrine, qui irradie vers mon bras gauche. Je connais bien ce symptôme car il m’a déjà conduit vers une chambre d’hôpital, le soir de ton décès. Je repense sereinement à notre vie, à toutes ces croyances.

Et si c’est vrai… demain, je me réveillerai dans tes bras, mon amour.

Ta Lily


À mes grands-parents


Posté le : 27/09/2014 15:43
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Re: Défi du 27/09/14
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Cher Donald,

Lorsque j'ai posté ce thème, j'aurais dû parier que tu partirais dans un délire extra-terrestre. J'aurais eu plus de chance que de gagner au lotto.
J'avoue moi-même y avoir songé moi-même.
Je me suis bien marrée aussi à la lecture de ta nouvelle toute fraîche. J'ai lu aussi cette théorie quelque part. Elle ne me déplaît pas, surtout si on me dit un jour que je suis une belle plante !

Merci pour ce moment de délire délicieux.

Je vais de ce pas boire une tasse d'engrais.

bises

Couscous

Posté le : 27/09/2014 15:42
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Re: Défi du 27/09/14
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Et si c'était vrai ?


Vous savez, je ne crois pas trop aux conneries sur les extra-terrestres. Vu le nombre d’hallucinés que je croise tous les jours, je saurais rester zen en cas de rencontre avec une créature venue d’une planète à deux balles.

J’ai lu dans un magazine sérieux une histoire abracadabrantesque sur nos origines. L’auteur était un gars bardé de diplômes, avec de grosses lunettes et une tronche de premier de la classe. Il disait que les humains venaient d’ailleurs et il continuait en décrivant comment nos créateurs avaient ensemencé le monde.
Des semences, vous vous rendez-compte ? Imaginez ma réaction quand j’ai appris que j’étais né d’une bouture piquée par un jardinier extra-terrestre. Pourtant, je n’étais pas arrivé au bout de mes peines ; la théorie partait gravement en vrille, en assurant que les rois du jardinage avaient fertilisée la Terre pendant des siècles et qu’ils revenaient régulièrement relever les compteurs. D’après le chauve à lorgnons, la vie terrestre venait de ces spécialistes du sécateur ; non seulement ils avaient engendré les faces de cake de mon quotidien mais en plus ils avaient créés les moustiques, les gnous et plein de bêtes pas commodes.

Qu’est-ce que j’avais pu me marrer après cette lecture ! Assis tranquillement dans mon compartiment de la ligne Paris-Nevers, je m’étais bidonné en imaginant le retour des jardiniers. Je voyais déjà le topo : les allumés du jardinage débarquaient en France sur leurs soucoupes volantes dernier cri, puis ils essayaient d’établir le contact avec les autochtones.
Je concoctais alors un scénario plausible avec un atterrissage à Saint-Denis, l’irruption des condés, la foule essayant de piquer des bouts de vaisseau. Dans mon imagination, les zinzins de l’espace restaient cool et ils acceptaient de garer leur véhicule spatial à l’hôtel de police puis ils se pliaient aux formalités douanières.
— Nom, prénom, profession, date et lieu de naissance, adresse postale, leur demanda une grosse mama en uniforme bleu.
— XTZRTTA, Gronk, jardinier, premier décan de la vingt-troisième rotation sur XCIT223, carré douze de la seizième ruche sur XCIT225, répondit le chef des petits gris.
Eh oui, ils étaient petits et gris. Je suis de la génération Mulder et Scully ; du coup je ne me casse pas le cul à chercher midi à quatorze heures. Un extra-terrestre est obligatoirement un nabot famélique, au teint grisâtre, avec de gros yeux noirs et une tête d’hydrocéphale. En réalité, quand on voit Nicolas le jardinier, on n’est pas loin de la vérité. Lui, c’est quand même pas l’humanité qui l’étouffe.

Il n’avait pas pensé à tout ça le fort en thème, quand il avait pondu son article. Dans la vie de la France d’en-bas, comme disait un célèbre pélican, ce n’était pas aussi simple.
Revenons à nos créateurs. En admettant que la maréchaussée ne les expulsa pas manu-militari à coups de pompes dans le train sous un prétexte quelconque du genre de la lutte contre le terrorisme ou de la menace islamique, ils n’en avaient pas fini avec les contrariétés. Un tel événement ne passait pas inaperçu ; dès leur arrivée à Saint-Denis, des petits malins avaient pris des photos avec leur téléphone portable et les avaient envoyées sur Internet. Des journalistes étaient alors venus avec des paparazzis, dans le but ô combien charitable de nous informer de la nouvelle. Gronk et sa bande avaient été invités au journal télévisé, présenté exceptionnellement par les deux stars de la chaîne : le nain à coupe obole et le garçon coiffeur évaporé. J’imaginais bien la scène, devant des millions d’yeux écarquillés, pour des cerveaux habitués aux vérités publicitaires et aux discours populistes.
— Monsieur Gronk, d’aucuns prétendent que vous êtes jardinier, dit le rase-moquette.
— Ce n’est pas tout à fait vrai. Je suis ce qu’on appelle dans notre corporation, un incubateur de civilisation. Je cultive des espèces intelligentes et je les dote d’un environnement adapté à la création d’un écosystème avancé. Ensuite, je les laisse bâtir leur propre société, en leur donnant quelques fois un coup de pouce, afin d’accélérer le processus.
— Avez-vous des exemples de telles actions ? demanda le blondinet, dans l’espoir d’exister à côté de son confrère trop savant à son goût mais beaucoup moins glamour à l’écran.
— Le feu. Vos ancêtres avaient besoin de cuire leurs aliments sinon ils ne bénéficiaient pas du régime alimentaire adéquat pour augmenter leurs capacités cérébrales. Il en fut de même avec la roue, l’écriture et le fil à couper le beurre.
— Et pour la religion ? insista le gnome journaliste. Vous ne prétendez quand-même pas nous avoir apporté cette forme de spiritualité ?
— Non. Vous avez inventé ces légendes tous seuls. Personnellement, j’étais pour arrêter l’expérience à ce stade parce que je sentais que vous alliez en faire mauvais usage mais mon commandement m’avait ordonné de poursuivre sans me préoccuper des conséquences bellicistes.
— Vous ne pratiquez pas de rite religieux ? rebondit brillamment le gendre préféré des mémères françaises.
— Si vous entendez par là, tuer des millions de personnes au nom d’une supposée idéologie, d’un soi-disant être suprême et de son représentant sur Terre, nous n’avons en effet jamais versé dans ce type de dogme.

Bon, j’arrête là mon délire de fiction. Des cultivateurs extra-terrestres, c’est une idée peu banale mais pas franchement révolutionnaire. L’avantage de cette thèse, c’était qu’elle m’avait permis de passer le temps lors d’un voyage vers Nevers où ma charmante cousine devait me présenter l’élu de son cœur, un gars bien sous toutes les coutures disait-elle.
Eh bien figurez vous, quand j’ai vu la tronche d’enluminé de son futur époux, j’ai failli avaler mon bulletin de naissance.
Finalement, je commence à croire la thèse de l’autre binocleux. Les jardiniers ont du oublier un sous-fifre lors de leur dernier séjour à Nevers.

Posté le : 27/09/2014 14:57
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Re: Les expressions
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« Mordre la poussière »


Être jeté à terre au cours d'un combat.
Par extension, être vaincu.


Beurk !
Ceux qui ont déjà eu la 'chance' d'avoir du sable ou de la poussière dans la bouche savent que ce n'est jamais volontairement et volontiers qu'on mord la poussière.

Si cela nous arrive, c'est soit involontairement à la suite d'une chute, soit parce qu'on a voulu ou été contraint de se frotter à plus fort que soi et que ce malotru nous a précipité la tête la première à la rencontre du plancher des vaches.

Si cette expression est très ancienne, la métaphore est parfaitement compréhensible et les combats de lutteurs avaient souvent lieu sur des terrains de sable ou de terre poudreuse, son sens étendu ne semble être utilisé que depuis le XVIIe siècle, époque où on utilisait également "mordre la terre".
Mais vu ce qu'il nous en reste aujourd'hui, cette dernière a visiblement mordu la poussière.

Posté le : 27/09/2014 13:33
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Défi du 27/09/14
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Bonjour à tous !

Pour ce dernier week-end de septembre, je vous propose comme sujet : "Et si c'était vrai..."

A votre inspiration, imagination, plume ou crayon.

Au plaisir de lire vos productions.

Couscous

Posté le : 27/09/2014 07:42
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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