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Re: Les bons mots de Grenouille
Plume d'Or
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De Alsace
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- « Ne doutez jamais du courage des Français, ce sont eux qui ont découvert que les escargots étaient comestibles. Doug Larson ( journaliste américain )

- « Ils veulent notre silence, ils l’auront : une minute « Charlie Hebdo







HUMOUR




BEAUTÉ





DOUCEUR






Jean-Loup Chiflet :
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Jean - Loup CHIFLET est né en 1942 dans une famille bourgeoise à Lyon.

Après deux années d'études de droit, il devient serveur à la Nouvelle-Orléans de 1968 à 1970. Il entre dans le métier chez Hachette, « par hasard » selon lui. Il passe alors ses journées à acheter les droits étrangers d'auteurs anglo-saxons.

Il commence sa carrière d'écrivain en 1979 avec La Théière de Chardin. Il publie ensuite Antigone de la nouille, puis de nombreux autres ouvrages. En 1985, il écrit Sky my husband ! Ciel mon mari ! qui le fait connaître en tant qu'écrivain. L'ouvrage devient rapidement un best-seller

Jean-Loup Chiflet nous fait partager son amour pour la langue française , son histoire, ses subtilités, ses difficultés , ses grands auteurs et lexicographes. « Il y a mille et une façons de déclarer sa flamme à notre belle langue française, à laquelle Voltaire trouvait du "génie ", et qui a déjà été, au cours des siècles, maintes fois honorée à sa juste valeur par de grands écrivains, qu'ils soient passeurs, inventeurs ou francs-tireurs : de Rabelaiset Montaigne à Raymond Devos et Georges Perec.. ( note de l’éditeur )

Jean-Loup Chiflet, grammairien buissonnier, est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages sur l’humour et la langue, parmi lesquels : Les Mots qui me font rire , 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Éditions Points en 2009, le Dictionnaire amoureux de la langue française, Plon en 2014, Dictionnaire amoureux de l' humour chez Plon , Porc ou Cochon en 2009 et beaucoup d'autres avec le même succés ....

Nul ne connaît mieux l’humour, le non-sens et la plaisanterie que Chiflet. Jean-Loup Chiflet est le dernier agent de liaison entre Marcel Aymé, Francis Blanche, l’académicien Alfred Capus et André Frédérique.
Il est l'auteur d'une soixantaine d'ouvrages.

Il a créé sa maison d'édition, Chiflet et Cie en 2004




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Extrait de : PORC OU COCHON ?
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
de Jean-Loup Chiflet




Abeille ou guêpe ?

Le look de la seconde est plus sexy, mais la bestiole l’est moins.
La guêpe va vous piquer rien que pour gâcher votre week-end, alors que l’abeille, elle, se déchire l’abdomen: il lui faut une bonne raison de vous darder. Si vous avez de bons yeux, vous remarquerez que l’abeille vole les pattes pendantes tandis que la guêpe vole les pattes collées au corps. Si elle dévore votre steak , c’est une guêpe car elle est carnivore.


***


Blatte ou cafard ?

On appelle le plus souvent la blatte de son nom courant : cafard ou cancrelat.
Cette saloperie laisse une odeur désagréable sur les aliments qu’elle souille. Elle aime le sang frais ou desséché, les excréments et les crachats. La blatte femelle n’a pas d’orifice sexuel : lors de l’accouplement, le mâle lui plante directement son aiguillon dans l’abdomen. Et c’est bien fait pour elle. Le pire, c’est de découvrir une blatte dans sa cuisine quand on a le cafard.


***


Chausson ou pantoufle ?

Pauvre pantoufle qui, d’après le dictionnaire, devrait son nom à un saint Pantoufle, à mon sens totalement bidon.
Malgré son coté France profonde, la pantoufle représente certes le confort, mais le chausson, c’est la classe : mieux, le chausson ça vous classe et ça n’a rien à voir avec le coté pépère d’une vie …. pantouflarde.
On ne dit pas des pantoufles de bébé ou de danseuse, mais des chaussons.
Quant aux pantoufles aux pommes …


***


Mode ou tendance ?

Tout dépend de la presse que vous lisez. Dans Le Petit Echo de la Mode ou La Veillée des Chaumières, les collections de la prochaine saison seront présentées comme étant à la mode; en revanche, dans Elle ou Cosmopolitan, elles seront tendance.
Vous l’aurez compris, mode n’est plus du tout tendance. Ainsi vous pourrez piéger votre belle-mère: « Mère, je vous jure que votre mini-jupe est tout à fait à la mode « , mais vous essayerez de convaincre votre fille Jennifer: « Je te jure que la mini, ça a failli être tendance «
Il paraît que les tripes, c’est très tendance, surtout à la mode de Caen.


***


Mulet ou bardot ?

Si un cheval a fauté avec une ânesse, ils auront un bardot; si un âne a fait des galipettes avec une jument, ils auront un mulet ou une mule.
Le bardot est petit, le mulet est grand; ils ont tous deux des têtes de mule, n’en déplaise à Brigitte ...
mais une robustesse et une endurance n’ayant rien à envier à celles d’un cheval.

***


Peler ou éplucher ?

Si je pèle, j’ose la peau; si j’épluche j’enlève les parties inutiles. On pèle une pomme, une poire; on épluche une salade ou des pommes de terre. Mais on épluchera aussi votre déclaration d’impôts, votre compte en banque, votre dernier discours ou votre vie privée. Dans ce cas, les parties inutiles ne seront pas perdues pour tout le monde et les épluchures qui en résulteront pourraient, dans les situations extrêmes, vous conduire malheureusement à vous « peler de froid « dans une cellule de la prison de la Santé.

***


Sydney ou Canberra ?

Si c’est la capitale de l’Australie , c’est Canberra, pourtant moins connu que Sidney. Ça nous rappelle le Texas dont la capitale est Austin et non Dallas.

***


Nourrisson ou nouveau-né ?

Vous venez d’avoir un bébé et vous ne connaissez pas la différence ? Cela commence mal pour lui. Mais vous avez sans doute d’autres langes à laver. Sachez quand même qu’un nouveau-né devient nourrisson après vingt-huit jours d’existence et qu’il le restera pendant deux ans, très exactement. On espère que les bébés sont au courant.


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QUELQUES EXTRAITS de :
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L' humour anglo-saxon / Deux siècles d'humour anglo-saxon :


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- Mon voisin a un pacemaker qui est mal réglé, quand il fait l'amour,
ça ouvre la porte de mon garage.


- « J’ai tellement peu de chance en affaires qu’il suffirait que j’achète un cimetière pour que les gens arrêtent de mourir. »Ed Furgol


- « La chaleur était terrible : 30° à l’ombre ! Mais heureusement, j’étais au soleil.»


- « On naît nu, mouillé et affamé. Puis les choses empirent. »


- " Si vous copiez le texte d’un auteur, c’est du plagiat. Si vous faites la même chose avec plusieurs auteurs, c’est de la recherche. (Wilson Mizmer)


-« Dieu merci, je suis athée. »


- "Je crois que je suis paranoïaque.
Sur mon vélo d'appartement, j'ai installé deux rétroviseurs."


- "Un névrosé, c’est quelqu’un qui construit un château dans les nuages. Le psychotique, c’est celui qui vit dedans. Le psychiatre, c’est celui qui touche le loyer. "(Jerome Lawrence)


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- « Je ne le connais que très superficiellement, mais j’ai le sentiment que ce doit être largement suffisant. »


- « A 65 ans, on commence à regretter les péchés que l’on n’a pas commis. »


- « Les historiens sont comme les sourds, qui répondent toujours à des questions qu’on ne leur a pas posées. »


- « Un gentleman, c’est quelqu’un qui, lorsqu’il propose à une femme de lui montrer ses estampes japonaises… lui montre ses estampes japonaises. »


- Quand un célibataire rentre chez lui, il regarde ce qu’il y a dans son réfrigérateur,
puis va au lit.
L’homme marié, lui, regarde ce qu’il y a dans son lit,
puis va voir dans le réfrigérateur. »


- « Le divorce est devenu quelque chose de si banal que nous restons mariés uniquement pour nous faire remarquer. »


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CITATIONS

J.L. CHIFRET


“L’argent, ce n’est pas tout ! Souvent, ce n’est même pas assez.”



“Déblatérer : parler beaucoup pour chasser le cafard.”



“L’amour est comme une pellicule. Il se développe dans le noir.”



“Mieux vaut avoir l’air conditionné que l’air stupide.”



“Sa ferme est si petite que ses vaches ne donnent que du lait condensé.”



“Une partouze, c’est l’amour avec un grand tas.”



“L’âge critique pour un homme ? Celui de sa femme…”



“Il faisait si chaud que, sur le thermomètre, on pouvait lire : voir colonne suivante.”



“Les préliminaires, c’est mettre le corps à l’ouvrage.”



“On affirme que l’homme descend du singe... Mais j’en connais qui sont descendus moins vite que d’autres.”



“Un boomerang, c’est un bâton qui a le mal du pays."



“Pour avoir l’air mince, ne sortez qu’avec des obèses.”



“Tant que l’on n’est pas un fromage, l’âge ne compte pas.”



“Pourquoi les moutons ne rétrécissent-ils pas quand il pleut ?”



“Caramélite : religieuse qui voue une dévotion particulière aux sucreries.”



“Depuis qu’il participe aux réunions des alcooliques anonymes, il continue à boire sous un pseudonyme.”



“Toutes les chutes sont mauvaises... sauf les chutes de reins.”



“Une réunion sert à décider de l’ordre du jour de la réunion suivante.”



“Les affaires vont très mal. Même les gens qui ne payaient pas n’achètent plus.”



“Ce qui est dommage avec les dictionnaires, c’est que quand on en a lu un, on les a tous lus.”



“Si l’amour est aveugle, pourquoi les femmes aiment-elles s’acheter de la lingerie fine ?”



« La bigamie, c’est avoir un mari de trop. La monogamie, c’est pareil. »







LES ARTISTES :


Quand les grands couturiers s'inspirent de la nature :

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L'artiste russe Liliya Hudyakova nous fait découvrir cette magnifique juxtapositions "Mode & Nature "


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Coucher de soleil Elie Saab 2014



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Ciel orageux Bottega Venetan 2010



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Nuit étoilée Jason Wu 2013 photo Harry Finde




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Terrains colorés Gosia Baczynska 2014




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Sous l'océan Elie Saab 2012




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Surface de l'eau Yiqing Yin 2012/2013



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Glycines Giambattista Valli 2014/2015



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Vallée des glaciers Stéphane Rolland 2012 Images satellite- Pantagonie -par la Nasa



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Montagnes The Blonds 2012



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Nuages Jean Louis Sabaji 2013



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Océan Blanka Matragi 2012





ON REVISE SES CLASSIQUES :
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Paris
Louis Aragon

Où fait-il bon même au cœur de l’orage
Où fait-il clair même au cœur de la nuit
L’air est alcool et le malheur courage
Carreaux cassés l’espoir encore y luit
Et les chansons montent des murs détruits
Jamais éteint renaissant dans sa braise
Perpétuel brûlot de la patrie
Du Point-du-Jour jusqu’au Père Lachaise
Ce doux rosier au mois d’août refleuri
Gens de partout c’est le sang de Paris
Rien n’a l’éclat de Paris dans la poudre
Rien n’est si pur que son front d’insurgé
Rien n’est si fort ni le feu ni la foudre
Que mon Paris défiant les dangers
Rien n’est si beau que ce Paris que j’ai
Rien ne m’a fait jamais battre le cœur
Rien ne m’a fait ainsi rire et pleurer
Comme ce cri de mon peuple vainqueur
Rien n’est si grand qu’un linceul déchiré
Paris Paris soi-même libéré





Le Spleen de Paris
Charles Baudelaire


Le cœur content, je suis monté sur la montagne
D’où l’on peut contempler la ville en son ampleur,
Hôpital, lupanars, purgatoire, enfer, bagne,
Où toute énormité fleurit comme une fleur.
Tu sais bien, ô Satan, patron de ma détresse,
Que je n’allais pas là pour répandre un vain pleur ;
Mais comme un vieux paillard d’une vieille maîtresse,
Je voulais m’enivrer de l’énorme catin
Dont le charme infernal me rajeunit sans cesse.
Que tu dormes encor dans les draps du matin,
Lourde, obscure, enrhumée, ou que tu te pavanes
Dans les voiles du soir passementés d’or fin,
Je t’aime, ô capitale infâme ! Courtisanes
Et bandits, tels souvent vous offrez des plaisirs
Que ne comprennent pas les vulgaires profanes.




Chanson de la Seine
Jacques Prévert


La Seine a de la chance
Elle n’a pas de souci
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et elle sort de sa source
Tout doucement, sans bruit…
Sans sortir de son lit
Et sans se faire de mousse,
Elle s’en va vers la mer
En passant par Paris.
La Seine a de la chance
Elle n’a pas de souci
Et quand elle se promène
Tout au long de ses quais
Avec sa belle robe verte
Et ses lumières dorées
Notre-Dame jalouse,
Immobile et sévère
Du haut de toutes ses pierres
La regarde de travers
Mais la Seine s’en balance
Elle n’a pas de souci
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et s’en va vers le Havre
Et s’en va vers la mer
En passant comme un rêve
Au milieu des mystères
Des misères de Paris




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UN PEU DE DOUCEUR:
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La National Institutes of Health (NIH), agence gouvernementale américaine, a annoncé l’extension de son plan visant à interdire l’utilisation de chimpanzés pour la recherche pharmaceutique pour les laboratoires d’État. Lancé il y a deux ans, ce programme a permis de placer 310 chimpanzés dans des sanctuaires protégés, 50 de plus vont bientôt les rejoindre.
Concernant les laboratoires privés, le gouvernement américain espère également arrêter l’utilisation de grands singes pour les expériences, la NIH va essayer de s’occuper de 82 autres singes utilisés dans ces laboratoires. D’ici cinq ans, les USA souhaitent enlever complètement le facteur simiesque de la recherche pharmaceutique.


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ILS ONT DIT :
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Le rois louis XVI s’intéressa aux expériences tentées par le marquis d’ Arlandes, qui, l’un des premiers, se risqua à s’élever à bord d’un ballon gonflé d’air chaud. Louis XVI lui reprocha amicalement de prendre des risques qui pouvaient nuire à sa carrière.
- « Votre Majesté daignera me pardonner, expliqua l’officier avec amertume, mais son ministre de la Guerre m’a fait tant de promesses en l’air, que j’ai pris la résolution de les y aller chercher. «

———

Un très jeune peintre s’en fut trouver Rodin et lui soumit sa toile en lui demandant son avis. Rodin tourna et retourna le tableau dans tous les sens et le rendit à l’auteur avec un ton sec:
- « Commencer par le signer que je sache dans quel sens je dois l ragréer. «
Le jeune homme s’en alla … c’était Picasso.


——


Débarquant sur une côte africaine, l’explorateur Mungo Park aperçu un gibet :
- « La vue de ce gilet me cause un plaisir infini, enfin je retrouve la civilisation «


——

Guère favorisé par la nature, le duc de Choiseul inspira ce mot cruel du président Hénault : « Je me vengerai de lui en le regardant «



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LA PHOTO :

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Posté le : 07/12/2015 10:03
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Re: Defi du 5 décembre 2015
Plume d'Or
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Chère Delphine,

Quelques petits clins d'œil aux très belles chansons de Marc Lavoine!

Avant d'ouvrir son cadeau, aurait elle eu "les yeux révolver".
Mais après avoir vu son cadeau, elle a "tout oublié".
Rassure moi, elle n'a pas dit à son cadeau, "toi mon amour"!
J'entends depuis là son mari lui dire alors : "reviens mon amour". Encore qu'il pourrait lui dire alors : "je me sens si seul".
Dès lors que son cadeau sera reparti, ils pourront se dire l'un et l'autre : "j'ai vu la lumière'" dans tes yeux et "j'espère".

'Tu m'as renversé" avec ton histoire.
"Je compte les jours" avant ta prochaine histoire et ton prochain défi.
En attendant, il faut que je réponde à celui-ci "chère amie". Hi hi!

Merci à toi.
Bises.
Amitiés de Dijon.

Jacques

Posté le : 07/12/2015 09:48
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Re: Liberté d'expression. Ou sont les limites ?
Accro
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Au Québec aussi la censure existe, drapé de vertu de la rectitude de la bien-pensance, tel une toge et une auréole au dessus de la tête ainsi que des sandales romaines au pieds avec une tablette de scribe, des puritains s'activent comme des hommes de lois, la satire à mauvaise presse, effraie et offusque certains ânes sensibles qui suppriment les commentaires ...


Posté le : 06/12/2015 20:57
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Re: Defi du 5 décembre 2015
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Une Marc d’amour

Nous sommes le vingt-quatre décembre 2015, ma femme Sophie attrape le cadeau posé au pied du sapin orné de guirlandes lumineuses et de boules en plastique bon marché. Le présent arbore une forme de boîte à chaussures et son poids est modeste. Je vois ma chérie la secouer avec précaution en demandant :

– Ça casse ?
– Non.
– C’est super léger !
– C’est pourtant un cadeau de taille.
– Hein ? Tu as mis un bijou dans une boîte à godasses pour me tromper ?
– Non. Ouvre au lieu de tergiverser.

Avec un empressement flagrant, Sophie arrache le joli nœud rose et retire le papier fleuri. Elle ouvre et retire une enveloppe. Ses yeux s’arrondissent de surprise et se plissent ensuite de méfiance.

– Tu me donnes des billets ou un chèque ? J’ai passé l’âge d’avoir mon « dimanche ».
– Ouvre-la et lis le message.

Elle trouve une carte où il est écrit « Va ouvrir la porte, ton cadeau est sur le seuil. »

– Mais tu es fou ! On va me le voler !
– Cela ne risque pas, t’inquiète !

Sur ses talons aiguilles, elle se rue vers l’entrée et ouvre la porte. Je l’entends pousser un petit cri de saisissement puis « Oh, mon Dieu ! C’est pas possible ! »
Elle se jette au cou de l’homme posté sur notre pas de porte, l’embrasse sur les deux joues (heureusement pas ailleurs) puis lui attrape le bras en le tirant à l’intérieur. Dans le salon, elle le pousse dans un fauteuil et se pose devant lui sur un tabouret. Après quelques secondes d’un silence pesant, Sophie se lance :

– Je n’y crois pas. Vous… ici… chez moi ! Comment est-ce possible ?

Là, je coupe la parole à notre invité surprise.

– Hé bien, c’est tout simple. Il était en panne avec sa Porsche sur le bord de la route. Je me suis arrêté pour l’aider.
– Tu sais changer une roue ?
– Je suis un homme, un vrai ! Bref, je l’ai aidé et il m’a demandé comme il pouvait me remercier. J’ai tout de suite pensé à ton cadeau de Noël.
– C’est magique de vous rencontrer. Je suis votre plus grande fan !
– Votre mari m’a expliqué.

Et encore… je ne lui ai pas tout dit ! Notre vidéothèque ne contient que les films issus de sa filmographie et c’est sa voix suave qui rythme chacun de nos ébats amoureux. Le mur de notre chambre est décoré de posters, de billets de concerts, de couvertures de magazines avec son sourire Colgate. J’ai menti à Sophie aussi, secret professionnel oblige. En fait, il est un jour venu me consulter dans mon cabinet car les psy pour stars n’avaient pas pu l’aider. Il m’avait confié sa phobie des fans en furie qui scandaient son nom et lui jetaient leurs sous-vêtements pleins de transpiration. Il en était devenu agoraphobe, plutôt gênant pour un chanteur. Cela faisait quelques mois que l’on travaillait là-dessus et je le sentais prêt au test ultime ; celui de la confrontation avec Sophie, fan hystérique s’il en est, face à son idole. Je faisais alors d’une pierre deux coups ; un patient guéri et une femme comblée.

Finalement, je les ai laissés discuter pendant que je préparais le repas de fête. J’avais prévu les quantités en conséquence et j’ai pu constater qu’il avait bon appétit le bougre ! Lorsqu’il est parti, mon épouse était songeuse.

– Finalement, il n’est pas si beau et en plus il n’est pas bricoleur.
– Le maquillage fait tout ! On ne peut pas être doué en comédie, avoir une belle voix et être Mac Gyver.
– Et puis j’ai trouvé qu’il avait mauvaise haleine.
– En même temps, après deux douzaines d’escargots à l’ail… Bref, il t’a plu mon cadeau ?
– Non…
– Ah bon ?!
– Je me suis rendu compte que c’était toi qui me rendais heureuse. Finalement, c’est toi mon plus beau cadeau de Noël. Au fait, tu n’as pas ouvert le tien.
J’ai vite fait de retirer le papier de la dernière boîte sous le sapin.
– Un parfum ! Fairplay de Cerruti… ce ne serait celui vanté par notre invité ?
– Bon d’accord, mon cadeau ne peut concurrencer le tien. Mais je n’ai pas le numéro personnel de Demi Moore.
– Pas grave, tu n’as qu’à te raser la tête et faire de la poterie en exécutant un striptease et ce sera parfait !
– Chiche !

Ce soir-là, nous nous sommes lovés dans le silence sans que la sempiternelle chanson « Elle a les yeux revolver » couvre nos cris rauques. Ah, Marc Lavoine, je t’ai enfin volé la vedette !

Posté le : 06/12/2015 15:05
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29/11/15Bellini,Puccini,HHolbein,Monteverdi,Donizetti,LéviCarlo,SilvioRodriguez,LeConcorde
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Découvrir BACCHUS "  La passion ça lasse "

Texte à l'affiche : "  Le vieux chène est tombé " de KJtiti

 arbres 23         arbres 27 arbres 02arbres 34

Le  29   Novembre   1797   naît   Gaétano  DONIZETTI          Lire Ici



Le   29    Novembre   1902    naît    Carlo   
LÉVI

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Le   29     Novembre     1924     meurt     Giacomo    
PUCCINI

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 Le   29   Novembre  1962   naît    l'avion   LE  CONCORDE

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Aujourd'hui Dimanche 29 Novembre 2015
 
LIRE , ÉCRIRE, DECOUVRIR

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*Les bons mots de Grenouille

*Vos défis avec notre fidèle Couscous

       
        BACCHUS   NOUS   A  QUITTÉ    

Ami poète, ami aimé, notre coeur pleure, ta famille de L'ORée te fera vivre encore et encore ... La beauté de ta plume et la beauté de ton âme resteront pour nous le phare de L'ORée des rêves. Merci ami; merci  d'être venu nous offrir ton talent d'écriture et de vie, merci pour ta tendre présence, nous la gardons comme un trésor.
 

   





Le  29   Novembre   1516   meurt  Giovanni  BELLINI
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Le  29    Novembre   1643   meurt   Claudio  
MONTÉVERDI

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Le 29  Novembre 1543  meurt Hans 
HOLBEIN le jeune

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Le  29  Novembre  1946  naît  Silvio  
RODRIGUEZ
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Posté le : 05/12/2015 18:55
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Louis Blanc
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Le 6 décembre 1882 à 81 ans meurt Louis Jean Joseph Blanc

à Cannes né à Madrid, journaliste et historien français, qui fut membre du gouvernement provisoire de 1848 et député sous la Troisième République. Il naît à Madrid le 29 octobre 1811, enterré au cimetière du père Lachaise.
Socialiste de l'École/tradition. Ses principaux intérêts sont la politique, l' histoire, l'économie? Ses idées remarquables sont le Droit au travail, les ateliers sociaux. son Œuvre principale est l'organisation du travail en 1839. Il a été influencé par John Stuart Mill, Robert Owen, le comte de Saint Simon. Il a influencé Les communistes libertaires, Proudhon, Bakounine, Kropotkine. Il est célèbre pour avoir été républicain de la veille : - Membre de la campagne des Banquets, - Pdt. de la Commission du Luxembourg, - Fondateur des Ateliers sociaux,- Contre les « républicains du lendemain . Citation De chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins.
Promoteur de l'aphorisme communiste De chacun selon ses facultés à chacun selon ses besoins : « L'égalité n'est donc que la proportionnalité, et elle n'existera d'une manière véritable que lorsque chacun […] produira selon ses facultés et consommera selon ses besoins. » Organisation du travail, 1839 repris par Étienne Cabet Voyage en Icarie, 1840 puis plus tard par les communistes libertaires. Socialiste et républicain, il participe à la campagne des Banquets en faveur du suffrage universel et se distingue, après la Révolution de 1848, en proposant la création des Ateliers sociaux afin de rendre effectif le droit au travail. Mais il est finalement contraint de s'exiler à Londres après les Journées de Juin car tenu pour responsable de l'émeute du 15 mai. Il y demeura jusqu'à la fin de la guerre franco-prussienne de 1870, entrant de nouveau à l'Assemblée nationale en 1871, où il siège une dizaine d'années à l'extrême gauche.

En bref

Né à Madrid, où son père est inspecteur général des Finances du roi Joseph Bonaparte, Louis Blanc se rend à Paris peu après la révolution de 1830, qui ruine sa famille. À Paris, un ami de son père lui donne des cours de droit. Contraint de gagner sa vie, il est précepteur pendant deux ans à Arras où il collabore au Progrès du Pas-de-Calais. Revenu à Paris, il travaille au National et au Bon Sens dont il devient le rédacteur en chef en 1837. Sa réputation commence alors à s'établir, notamment avec la campagne pour l'extension du suffrage universel, qu'il mène dans la Revue du progrès 1839-1842 puis dans le journal La Réforme. Il publie ensuite des travaux historiques — Histoire de dix ans, 1830-1840, Histoire de la Révolution française (dans laquelle il prend la défense de Robespierre) — qui remportent un grand succès.
Journaliste et historien à une époque où ces deux activités constituaient pour un homme de gauche le plus sûr moyen d'accéder à la notoriété, Blanc devient célèbre grâce à sa brochure L'Organisation du travail, publiée en 1839 dans la Revue du progrès, et qui connaîtra dix éditions entre 1841 et 1848. Selon Louis Blanc, trois principes dominent l'histoire des sociétés : l'autorité, vaincue en 1789, l'individualisme, qui lui a succédé, et la fraternité. Pour instaurer celle-ci, il faut supprimer la concurrence sauvage dans l'économie et entre les hommes en créant des coopératives ouvrières de production, les ateliers sociaux. L'État fournirait le capital nécessaire à leur démarrage et nommerait l'encadrement. Le gouvernement jouerait ainsi un rôle de régulateur du marché, qui, lui, ne disparaîtrait pas mais serait assaini. L'importance qu'il accorde à l'intervention de l'État amène Blanc à affirmer l'interdépendance des réformes politique et sociale, « car la seconde est le but, la première le moyen ». Ses conceptions étatistes lui valent l'hostilité déclarée de Proudhon pour qui Blanc « représente le socialisme gouvernemental, la révolution par le pouvoir, comme (lui-même) représente le socialisme démocratique, la révolution par le peuple ». Comme il s'exprime de façon claire et élégante, Blanc parvient à rendre ses idées accessibles à un large public d'ouvriers et d'artisans. La révolution de 1848 le porte au gouvernement provisoire, où il forme avec l'ouvrier Albert l'aile gauche. Il voit alors ses idées « descendre dans la rue ». Il réclame la création d'un ministère du Travail. Vainement. Nommé à la direction de la commission du gouvernement pour les travailleurs, dite commission du Luxembourg, il peut enfin réaliser ses projets, et contribue à la formation des premiers ateliers sociaux. Mais son idée est rapidement dénaturée, et les ateliers nationaux créés par le gouvernement ne sont plus que des sociétés de travaux publics destinées à éloigner de Paris la masse flottante des chômeurs. Les résultats des travaux de la commission sont en définitive assez minces et, selon la formule de Marx, « Pendant qu'au Luxembourg on cherchait la pierre philosophale, on frappait à l'Hôtel de Ville (siège du gouvernement) la monnaie qui avait cours ».
Les socialistes subissent un grave échec lors des élections à l'Assemblée constituante du 18 mars ; Blanc est élu, mais loin derrière Lamartine. Il doit alors quitter le gouvernement. Le 15 mai, il désapprouve l'invasion de l'Assemblée par les manifestants car, pour lui, la révolution doit être pacifique et ne doit pas porter atteinte à la fraternité entre les classes sociales. Mis en accusation par le parti de l'ordre, il prend les devants et s'enfuit en Angleterre. Il demeure à Londres jusqu'à la chute de l'Empire et se consacre à ses travaux historiques ; son Histoire de la révolution de 1848, qui paraîtra en 1870, est une défense de son attitude durant la révolution. Il revient à Paris après le 4 septembre 1870, et prône l'union et la guerre à outrance contre les Prussiens. Élu premier représentant de la Seine en 1871, le « héros de 48 » condamne la Commune de Paris : « Je pense que la Commune a violé la légalité pour laquelle je suis. Je réprouve les actes de la Commune », déclare-t-il à l'Assemblée de Versailles le 26 avril. Il est réélu en 1876 par plusieurs arrondissements. En 1879, il soutient à la Chambre les projets d'amnistie des communards et se rapproche des radicaux. À sa mort des obsèques nationales lui sont faites à Paris. Élisabeth Cazenave

Sa vie

Fils d'un haut fonctionnaire impérial, Jean Charles Louis Blanc, et frère de Charles Blanc, Louis Blanc fait de brillantes études au collège de Rodez lorsqu'il perd sa mère. Son père devient fou. Chef de famille à 19 ans, il quitte le collège et se rend, avec son frère, à Paris. Lors de son voyage la nouvelle de la Révolution de Juillet 1830 le surprend.
Pour survivre, le jeune Louis Blanc donne des cours et effectue des travaux de copie. Puis grâce à des relations familiales il trouve une place de précepteur dans la famille d'un industriel d'Arras, foyer de la Révolution industrielle en France. Ce poste (1832-1834) lui permet de visiter la fonderie Hallette 600 employés, qui fabrique des locomotives et des presses hydrauliques.
Témoin des conditions de vie du prolétariat, il abandonne définitivement ses positions légitimistes royalistes en s'approchant des idées socialistes. Revenu à Paris, il devient journaliste, collaborant au quotidien Le Bon Sens, journal d'opposition à la Monarchie de Juillet. Puis il collabore au National, où il essaie de gagner la petite et moyenne bourgeoisie à la prise de conscience de sa propre perte au profit de la haute bourgeoisie financière dans un schéma concurrentiel. Il y développe l'idée d'un véritable suffrage universel. L'insurrection lyonnaise de 1834 voit l'écrasement du mouvement républicain par le gouvernement. Louis Blanc s'associe à cette démarche et publie des articles en faveur des accusés.
En 1839, il fonde la Revue du Progrès, publiant la même année L'Organisation du travail1, dans lequel il présente l'Association comme réponse à la question sociale. Il s'y attaque en effet à la concurrence anarchique, préconisant un système d'associations à but lucratif contrôlées par l'État démocratique la première année seulement. Selon lui, ce système est nécessaire, car la concurrence entre entrepreneurs mène inéluctablement au monopole et, parallèlement, à la paupérisation de la collectivité, tandis que la concurrence sur le marché du travail crée une spirale appauvrissante.
Avec la Revue du Progrès, Louis Blanc ambitionne d'en faire une tribune ouverte aux diverses tendances de l'opinion républicaine, mais il ne parvient pas à avoir une large audience dans les classes populaires. Les doctrines défendues par la Revue sont très avancées, Louis Blanc défendant un système parlementaire démocratique suffrage universel s'exprimant annuellement et monocaméral l'Assemblée nationale représentant fidèlement la Nation. Il se fonde sur le mode de scrutin proportionnel élaboré par Hare, défend la responsabilité politique de l'Assemblée qui nomme en son sein les membres de l'exécutif, ainsi que le double examen en matière législative (double lecture et vote par l'Assemblée. Globalement, il défend dans son œuvre un projet de social-démocratie en préconisant la réorganisation du travail et le partage équitable des profits certes, mais également des pertes le cas échéant.
Il rencontre d'ailleurs Louis Napoléon Bonaparte emprisonné au fort de Ham et, pensant l'avoir convaincu de la pertinence de ses idées, va le défendre devant la chambre des pairs après sa tentative putschiste de Boulogne en 1840.
Louis Blanc se fait aussi une réputation d'historien pamphlétaire en publiant en 1841 L'histoire de dix ans (1830 à 1840), très critique à l'égard des premières années de règne de Louis-Philippe et encensant au contraire les Républicains.
En 1843 il entre au comité de direction du journal La Réforme aux côtés de républicains tels que Ledru-Rollin, Lamennais, Schœlcher ou Cavaignac. Il y développe ses deux idées centrales, l'Association et le Suffrage universel.

1848 : l'heure de l'engagement concret
Révolution ouvrière

La Réforme et Le National espèrent voir s'ouvrir les cercles du pouvoir jalousement gardés par le gouvernement Guizot dont la majorité est confirmée par les élections de 1846 grâce à un mode de scrutin spécifique[Quoi ?]; d'où une propagande accrue pour revendiquer la réforme électorale à travers la Campagne des Banquets. Ces réunions dans toute la France réunissent différents courants: Louis Blanc est à la tête des négociateurs radicaux, défendant le suffrage universel et la représentation proportionnelle de la Nation par l'Assemblée nationale.
Les talents d'orateur de Louis Blanc sont célébrés durant le banquet de Dijon où il déclare : « Quand les fruits sont pourris, ils n'attendent que le passage du vent pour se détacher de l'arbre ».
La campagne des Banquets prend alors une allure que nombre de ses fondateurs n'a pas prévue. Un banquet doit avoir lieu à Paris le 22 février 1848 mais le gouvernement l'interdit. Sous l'impulsion de Louis Blanc, les membres les plus engagés se réunissent néanmoins, et le banquet se prolonge le jour suivant, renforcé par l'appui de la garde nationale. Guizot démissionne. Le soir même éclate une fusillade devant le ministère des Affaires étrangères. Les barricades gagnent toute la ville.
Louis-Philippe Ier abdique en faveur de son petit-fils, le comte de Paris et part en Normandie. Un gouvernement provisoire composé de Dupont de l'Eure, Ledru-Rollin, Flocon, Marie, Garnier-Pagès, Lamartine et Louis Blanc est formé. Cette liste résulte d'un compromis avec les membres du journal Le National et de La Réforme. Ils se rendent à l'Hôtel de ville et proclament la République souhaitée par les insurgés.

Le droit au travail et les Ateliers sociaux
Ateliers sociaux.

Sous la pression d'ouvriers parisiens dans la salle des Séances le gouvernement provisoire publie un décret rédigé à la hâte par Louis Blanc auquel s'oppose Lamartine garantissant le droit au travail :
« Le gouvernement provisoire de la République s'engage à garantir l'existence des ouvriers par le travail. Il s'engage à garantir le travail […] à tous les citoyens. Il reconnaît que les ouvriers doivent s'associer entre eux pour jouir du bénéfice légitime de leur travail. »
Le gouvernement provisoire ne fait rien pour essayer de tenir sa promesse. La Révolution a pourtant été faite en ce sens. Une manifestation éclate le 28 février. On y réclame, de nouveau, l'organisation du travail et un ministère du Progrès. La majorité du gouvernement s'oppose à ces nouvelles revendications.
Les manifestants doivent se contenter d'une Commission pour les travailleurs, laquelle doit siéger au palais du Luxembourg. Après négociations, Louis Blanc accepte à contrecœur la présidence de cette Commission du Luxembourg, privée de budget propre, alors qu'il demandait, conformément aux vœux des révolutionnaires, un Ministère du travail doté d'un budget spécifique.
Dans l'esprit de Louis Blanc, ce devait être une sorte de « parlement du travail » pour annoncer les lois sociales que l'assemblée constituante n'aurait plus qu'à ratifier. Louis Blanc s'y voue totalement et parvient, avec beaucoup de difficultés, à mettre en place de nombreux projets. Des milliers d'associations ouvrières de production sont créées, le papier monnaie utilisé pour les échanges entre les associations est aussi utilisé dans les commerces à Paris notamment)
Par ailleurs, dès la première séance au Luxembourg Louis Blanc s'attache à limiter la journée de travail à 10 heures par jour à Paris et à 11 heures en Province et supprime le marchandage à moins qu'il ne soit du fait des ouvriers. Il obtient la suppression du livret d'ouvrier, et arbitre également de nombreux conflits entre entrepreneurs et employés.
Enfin, la Commission propose la formation d'ateliers sociaux dont la mise en place passerait par un crédit d'État à taux zéro et dont l'objectif serait d'assurer un emploi aux travailleurs correspondant à leur compétence. De surcroît, le partage à égalité des bénéfices entre associé-travailleurs est un préalable à l’aide publique.
Or, Marie est chargé de la réalisation, en parallèle et contre Louis Blanc, des ateliers nationaux dont l'objectif à court terme est d'apporter du travail aux pauvres : travaux de terrassement par exemple, non productifs et ne correspondant pas à la formation des personnes qui y travaillent. Ceci n'a rien à voir avec les ateliers sociaux dont l'objectif est de proposer du travail correspondant au savoir des travailleurs dans une dynamique industrielle à long terme. Louis Blanc et ses ateliers sociaux s'inscrivent dans la logique économique de l'époque.
Néanmoins, Louis Blanc se heurte très rapidement aux aspirations des membres du gouvernement provisoire. En effet, face à l'influence croissante de Louis Blanc ceux-ci souhaitent sa chute. Le Luxembourg devait prouver l'inefficacité des solutions qu'il propose. Ce n'est pas le cas. Dès lors, ce jeune journaliste est à abattre par tous les moyens. La calomnie fait rage dans les journaux. Il échappe de justesse à deux attentats. Les ateliers nationaux sont abondamment financés tandis que les ateliers sociaux ne bénéficient d'aucune aide.
Louis Blanc revient sur ces événements dans son Histoire de la Révolution de février 1848 : les causes profondes sont, selon lui, à chercher dans le machinisme qui conduit mécaniquement à la hausse du chômage et à la massification du prolétariat des faubourgs. Blanc décrit ainsi un tableau social proche de celui présenté par le docteur Villermé dans son Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie 1840.
Blanc interroge le triptyque républicain Liberté, Égalité, Fraternité à la lumière de cet état de faits : comment parler de liberté chez celui qui est esclave de la faim et de l'ignorance? Où est l'Égalité lorsque le travail des uns fait fructifier l'argent des autres? Comment comprendre la Fraternité lorsque le législateur fait des lois non pas pour protéger les plus faibles dans le sens du contrat social, c'est-à-dire afin de garantir la vie et pour lutter contre la misère mais bien au contraire pour garantir au plus fort une liberté dont il est le seul à pouvoir jouir?

La fermeture des « Ateliers nationaux » et l'exil sous le Second Empire

Après le succès des conservateurs aux élections du 23 avril 1848 pour l'Assemblée nationale, il est écarté de la Commission exécutive qui succède au gouvernement provisoire le 10 mai. La majorité conservatrice (ou Parti de l'Ordre, en particulier Jules Favre, tente de le poursuivre en le tenant responsable des manifestation du 15 mai 1848.
Le rôle de Louis Blanc est pratiquement nul pendant les Journées de juin 1848. Il se rend à l'Assemblée qui s'est déclarée en permanence tandis que Falloux propose la dissolution immédiate des Ateliers nationaux.
Louis Blanc n'apprécie guère le général Cavaignac à qui l'on vient de confier la mission de contenir la Révolution. Il n'y retrouve pas les sentiments républicains de son frère (lui qui d'ailleurs va par la suite l'accuser d'avoir laissé la situation s'aggraver pour permettre à l'armée d'effacer sa défaite de février). La situation est extrêmement tendue si bien que Louis Blanc manque d'être tué par des gardes nationaux qui voient en lui le promoteur des Ateliers nationaux. Le président de l'Assemblée, Philippe Buchez, lui offre un refuge au Palais Bourbon.
Une commission est alors nommée pour enquêter sur les journées de juin et elle décide presque aussitôt de remonter aux événements qui se sont déroulés depuis février 1848. Louis Blanc et Ledru-Rollin sont directement visés et le procureur général demande la levée de l'immunité parlementaire de Louis Blanc. Après un discours de Cavaignac, celle-ci est accordée à 6 heures du matin par 504 voix contre 252.
Louis Blanc part à Saint-Denis pour la Belgique. Il gagne Gand. Il y est arrêté puis expulsé pour débarquer en Grande-Bretagne. C’est le début d'un exil de vingt ans.
En avril 1849, la Haute Cour de justice de Bourges, qui juge les participants à la manifestation du 15 mai 1848, condamne par contumace Louis Blanc et cinq autres inculpés à la déportation. Son projet d'ateliers sociaux est ainsi amalgamé par la propagande antisocialiste avec les Ateliers nationaux dont la fermeture provoqua les Journées de Juin.
En 1859, il refuse l'amnistie accordée par un gouvernement qu'il ne reconnaît pas. Le succès considérable de l'Empire inquiète les exilés républicains.
À Londres, Louis Blanc fait des conférences et donne des cours notamment sur la Révolution française dont il écrit l'histoire entre 1847 et 1862. Il devient ami du philosophe John Stuart Mill, auteur des Considérations sur le gouvernement représentatif 1861. Le déroulement de la Révolution de 1848 et l'avènement au pouvoir, par les urnes, de Bonaparte, l'incitent à réviser ses conceptions concernant le mode de scrutin2. Dans Le Temps, il présente ainsi le système de Mill3, qu'il défendra ouvertement en 1873 « De la Représentation proportionnelle des minorités ». Blanc s'intéresse par ailleurs à la politique anglo-saxonne, s'indignant par exemple du soutien moral apporté par certains conservateurs britanniques aux Sudistes lors de la guerre de Sécession5.

Activité maçonnique

Durant son exil il sera initié à la loge « Les sectateurs de Ménés », à Londres. En 1854 il est installé comme 93e du Rite de Memphis et orateur du Souverain Conseil de ce grade. En 1882 il apparaît comme membre actif de la loge « Humanité de la Drôme » à Valence et comme membre d'honneur de la loge « Les libres penseurs du Pecq »

Le retour de Louis Blanc

Louis Blanc photographié par Louis Victor Paul Bacard vers 1865.
Toutefois, la défaite de 1870 et la captivité de l'Empereur met une fin brutale au Second Empire. Dès le 5 septembre au soir, Louis Blanc se rend à Paris et y apprend la formation du gouvernement provisoire par Gambetta.
De retour sous la Troisième République il n’aura plus le prestige d’antan même s'il effectue sur le terrain partout en France un travail considérable. Louis Blanc est resté très populaire Quoi ? malgré vingt-deux ans d'exil. Son nom est inscrit sur la liste du gouvernement. C'est une charge qu'il refuse. Aux élections à l'Assemblée constituante qui ont lieu pendant l'armistice, il est élu député avec un nombre d'électeurs dépassant même celui de Victor Hugo ou de Gambetta.
Il part ensuite à Bordeaux où il défend le maintien des frontières contre les partisans de la paix immédiate. Ceux-ci l'emportent et Louis Blanc revient siéger à Versailles. Une méfiance réciproque dresse les ruraux défenseurs de la paix et les Parisiens aigris par leurs souffrances inutiles et l'installation du pouvoir politique à Versailles.
Louis Blanc a peu d'influence auprès de ses collègues et les modérés voient en lui, à tort, le dangereux révolutionnaire de 1848: l'homme des Ateliers nationaux. Dans le camp républicain, ses idées d'association sous l'égide de l'État paraissent dépassées en raison de l'influence de Proudhon et de Marx, qui voient dans l'État une superstructure bourgeoise hostile au peuple. Par ailleurs, l'idée de l'Union des classes en raison de leur interdépendance car du travail de l'un dépend la vie de l'autre, d'où la nécessité d'un partage équitable des profits est concurrencée par l'idée de lutte des classes. L'évolution du débat est perceptible dans le Manifeste de la Commune auquel Louis Blanc est hostile car il supprime toute politique centralisatrice et équitable. L'unité de la France serait détruite au profit d'un chacun pour soi dévastateur. Même s'il refuse de prendre part à la Commune car il en condamne l'idéologie, il prend la défense du mouvement après la défaite. Il se dresse contre les excès de la répression et dès septembre 1871 il dépose un projet de loi portant amnistie des délits politiques. Il renouvelle sa demande en 1872 puis en 1873. Son âge et son long exil ont atténué son influence. Il arrive cependant avec Gambetta à repousser un projet de loi qui cherche à restreindre, de nouveau, le suffrage universel.
Il est réélu en 1881. Toutefois, du fait de sa santé délicate, il laisse souvent à Clemenceau le soin de défendre leurs idées communes. Il doit bientôt partir se reposer à Cannes où il meurt des suites d'un refroidissement à l'âge de 71 ans. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise 67e division.
Le projet politique et juridique issu de ses analyses économiques et historiques
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Le projet des « Ateliers sociaux »

Louis Blanc remarque que les employés et les employeurs sont soumis aux aléas du marché du travail (employeurs victimes de la concurrence anglaise, et employés victimes de la concurrence des plus pauvres qu'eux) et propose que l'État protège ceux qui souhaitent le rejoindre en créant les ateliers sociaux. C'est un univers d'échange économique basé sur la complémentarité plutôt que sur la concurrence. La fraternité plutôt que l'individualisme. Dans tous les cas, et pour éviter les situations extrêmes de pauvreté et de richesse, il propose de nationaliser la banque. L'État démocratique quant à lui serait contrôlé par le suffrage universel et mettrait au profit du peuple ses pouvoirs. Les élus sont, dans son projet, les serviteurs des électeurs et sont responsables de leur mandat.
Son but est de réguler la concurrence pour lutter contre la misère par la création d'ateliers sociaux dans les branches les plus importantes de l'industrie nationale dans un premier temps. Ensuite, dans un second temps, le projet a vocation à s'étendre suivant la volonté des acteurs.
Pour bénéficier de l'emprunt à taux zéro de l'État ou d'un contrôle du fonctionnement équitable de l'industrie par exemple, les associations doivent rédiger des statuts qui reconnaissent la démocratie d'entreprise, la souveraineté des travailleurs, le souhait de sortir de l'état de nature des relations économiques. Dans le cas contraire, libre à eux de créer une entreprise et de travailler dans l'univers libéral, concurrentiel, qui continue à exister en parallèle du projet de Louis Blanc. D'ailleurs, pour Louis Blanc, l'univers libéral serait complètement libéralisé. Il n'y aurait plus de droit au travail pour eux, plus de contrôle tout au plus un simple et modeste impôt forfaitaire pour la participation à la gestion du domaine public.
Le capital prêté par l'État à taux zéro aux associations est destiné à l'achat de matériel. Tous les ans les profits seraient répartis entre les membres de l'association. Alors, « déduction faite du montant des dépenses consacrées à faire vivre le travailleur, des frais d'entretien et de matériel, le bénéfice serait ainsi réparti :
Un quart pour l'amortissement du capital avancé par l'État
Un quart pour l'établissement d'un fonds de secours destiné aux vieillards, aux malades, aux blessés, etc.
Un quart à partager entre les travailleurs à titre de bénéfice
Un quart enfin pour la formation d'un fonds de réserve.
Ainsi serait constitué l'association dans un atelier »
Par ailleurs, le problème du machinisme serait résolu par l'emploi progressif des machines pour réduire le coût de production et pour faire baisser le temps de travail. Le progrès technique, qui était pesant pour l'ouvrier, deviendrait alors un facteur d'amélioration de ses conditions de vie, de sa Liberté. Ce programme était un succès considérable. À Paris comme en province l'union des classes est souhaitée. Le but est d'en attendre l'amélioration des conditions de vie et de travail avec une augmentation des salaires par la participation directe aux résultats de l'entreprise associative en cas de profits (en cas de perte, la solidarité est la même. C'est là, une alternative directement applicable pour soulager les maux qui touchent l'ensemble de la société. « L'organisation du travail » en est la formule.

Présentation

Tour à tour historien, économiste, théoricien politique et juridique, et homme politique, c'est à partir d’une étude historique qu’il dégage des thèmes économiques fondamentaux, à partir desquels il élabore un projet social appelant la création en droit d’associations par l’impulsion d’un État démocratique.
Connu principalement comme théoricien socialiste, son propos est cependant plus étendu. Parallèlement au projet d'organisation associative du travail, qu'il tente de concrétiser via les Ateliers sociaux, Blanc développe une réflexion institutionnelle au sujet de la souveraineté et de la démocratie, de la décentralisation et des lois (principalement sur le travail). En conséquence, un droit particulier s’applique en raison du caractère démocratique du régime souhaité. D’ailleurs, dans son esprit, le droit est un outil au service d’une politique que les Constitutions révèlent.
En matière d'histoire, alors que « la démarche des saint-simoniens et de Fourier avait conduit à une critique radicale de la Révolution de 1789, révolution négative.», Louis Blanc la perçoit comme profondément socialiste. Dans son esprit, c’est une étape fondamentale vers l’affranchissement de tous les travailleurs qu'il convient de poursuivre :
« La révolution de 1789 fut certainement une révolution socialiste … puisqu’elle modifia la constitution économique de la société au profit d’une classe très nombreuse et très intéressante de travailleurs ; mais la révolution de 1789 laissa beaucoup à faire pour la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ! (…) Elle déblaya la route de la liberté ; mais elle laissa sans solution la question, très importante pourtant, de savoir si beaucoup de ceux qui étaient à l’entrée de la route n’étaient pas condamnés par les circonstances du point de départ à l’impuissance de la parcourir. »

Selon le commentateur Francis Demier, pour Louis Blanc :

« les classes ne sont pas condamnées à s’affronter et la lutte de classes, contrairement à l’idée qui se développe de Guizot à Marx, n’est pas le moteur de l’histoire. (…) Le marché ne fait que des victimes, il est une force anonyme, sans visage, sa logique échappe aux individus qu’ils soient ouvriers ou patrons. »
Si sa philosophie de l’histoire ne prend pas en compte l’idée d’une lutte des classes en tant que moteur de l'histoire13, celle-ci n'est cependant pas ignorée. L’histoire du xixe siècle est, d'après lui « le martyrologe des républicains.» Par ailleurs, comme Marx, Louis Blanc considère les structures effectives de l’organisation de la production comme déterminant l’ordre social et politique.
Sur le plan économique, Blanc distingue la place de l’individu dans un système de libre concurrence et dans un système associatif. Sa méthode d’analyse part systématiquement de l’Homme, de son droit fondamental à vivre pour comprendre les influences du monde économique sur la Liberté. Dans son esprit, le travail est tout aussi vital que l'air. Dès lors, la puissance des règles économiques sur le quotidien doit être analysée afin d’établir un projet politique. La logique de l’accaparement, du profit, qui a pour conséquence l’appauvrissement général de la population, n’a aucun sens. Les chômages, les spéculations sur les denrées alimentaires vitales, sont des injustices criminelles. Il condamne cette logique au nom de la liberté :
« Dieu en soit loué ! On n’est pas encore parvenu à s’approprier exclusivement les rayons du soleil. Sans cela, on nous aurait dit : « Vous paierez tant par minute pour la clarté du jour » et le droit de nous plonger dans une nuit éternelle, on l’aurait appelé Liberté ! »
Dans son esprit, un choix doit être proposé aux Travailleurs (entrepreneurs et employés) de l’industrie et du monde agricole : soit la concurrence individuelle complètement libéralisée, soit l’entente concertée au sein d’associations soutenues la première année par l’État. Or, Louis Blanc constate que ce choix n’existe pas dans la France de la première moitié du xixe siècle. Dans son projet politique coexistent alors une organisation concurrentielle du travail, une organisation associative du travail (qui emporte son adhésion) et un service public. L’État ne doit pas favoriser telle ou telle dogme économique, mais permettre au citoyen de librement choisir le mode d’organisation du travail qui lui convient.
Louis Blanc tente de mettre en œuvre ce projet en 1848, à la Commission du Luxembourg, puis sous la Troisième République. Dès lors – au-delà d’une vision dogmatique abstraite à la fois économique et politique s’inscrivant dans une perspective historique et idéologique qui doit être saisie par le droit – la confrontation de son système avec la réalité l’amène à proposer un projet social et démocrate éclairé par l’expérience.
L’évolution de sa pensée, entre ses années de jeunesse parisienne et sa retraite forcée en Angleterre17, est continue et régulière18. Ses années de jeunesse forment le fond de sa philosophie générale qui s’est vue ensuite perfectionnée avec le temps.

L’unité du projet politique

Francis Demier a souligné le faible nombre de travaux récents consacrés à Louis Blanc. La plupart se consacrent à L'Organisation du travail et, plus spécifiquement, aux ateliers sociaux industriels, agricoles et littéraires
Or ces institutions ne sont que les outils d’un projet plus global. L’unité du projet de L. Blanc comprend trois éléments complémentaires :
un aspect social incarné par l’organisation du travail ;
un aspect moral qui propose une perception de l’intérêt individuel en société ;
un aspect politique prenant forme à travers le projet démocratique. Travail, morale et démocratie convergent ainsi vers la République sociale démocrate.
Ainsi, au-delà de l’organisation du travail liberté économique, qui est le socle, la « révolution morale » permet au système de fonctionner durablement, tandis que le projet démocratique garantit institutionnellement le pouvoir souverain du peuple (liberté politique). Ceci forme l’unité républicaine de Louis Blanc qui peut être au service du socialisme si telle est la volonté du peuple souverain. En effet, celui-ci doit s’exprimer par le suffrage universel via un mode de scrutin permettant à l’Assemblée d’être la représentation fidèle de la Nation.
Sur le plan économique, si Blanc défend le principe associatif, source du progrès véritable et de la fraternité, il n'exige pas la suppression du système concurrentiel23. De son silence à l'égard de ce secteur, on pourrait dire qu'il laisse le libéralisme à lui-même, en ne fixant aucune règle à la concurrence. Certainspourraient même soutenir qu'il défend un libéralisme extrême dans les relations commerciales en désengageant totalement l’État des entreprises qui ont fait le choix de l’individualisme concurrentiel.
En effet, lorsque Louis Blanc évoque l’organisation du travail, il ne pense pas aux entreprises existantes. Il cherche simplement à créer un nouvel espace d’échange, basé sur la complémentarité et non sur l’antagonisme. C’est d’ailleurs ce qui se passe en février 1848 lorsqu’il engage les réformes à la tête de la commission du Luxembourg.
Ainsi, tout en facilitant la réalisation des vœux les plus chers des libéraux, il propose à ceux qui le souhaitent une organisation du travail basée sur un contrat social transposé à l’économie. Dans son esprit, s’il faut sortir de l’état de nature des relations économiques - de la barbarie criminelle et archaïque que cette situation induit, de l’absence de liberté, d’égalité et de fraternité dans ce système – s’il est impératif que la monarchie financière tombe à jamais pour enfin pouvoir vivre dans une vraie démocratie, il ne faut cependant violenter personne.
En ce sens, si ses préférences vont dans le sens d’un socialisme pragmatique, s'il dénonce avec force les conséquences du libéralisme pendant tout le XIXe siècle, le principal pour lui est que « deux modes de relations industrielles soient mis en présence. (…) [afin que] l’expérience décide lequel des deux modes est le meilleur, (…) sans commotion, par la seule puissance de l’attrait. Rien ne doit venir gêner le développement concret de l’un ou l’autre système « économico-philosophique » qui, du reste, aspirent tous deux à un mieux vivre ensemble.
Cette position permet à Blanc de faire des ateliers sociaux associations industrielles, agricoles et littéraires les seules entreprises qui peuvent légitimement bénéficier du soutien de la collectivité, c'est-à-dire de l’État. L’aide publique est conditionnée au respect de certaines valeurs, l’État et les associations s’entendent dans le cadre d’un projet unitaire et démocratique. Dans son esprit, le droit du travail, les commandes de l’État, le contrôle d’un fonctionnement équitable de l’entreprise inspection du travail, la protection de la propriété collective dans le travail et privée dans la famille, l’emprunt gratuit, etc., ne concernent que le monde du travail associatif. Les interventions de la puissance publique dans le travail sont l’apanage des associations industrielles, des colonies agricoles et des associations littéraires.
Pour Blanc, le progrès de la civilisation se comprend par un idéal républicain qui se caractérise par une exigence précise d’humanisation de la société et qui passe, avant de proposer une alternative, par la critique radicale du système économique libéral. Dans son esprit, le libre jeu du capitalisme la concurrence laisse le revenu des ouvriers comprimé par la loi du marché et parfois carrément annulé en temps de crise. Mais cette concurrence ne favorise pas non plus la bourgeoisie qui se voit remplacer par une oligarchie financière omnipotente et inique. Se dessine alors un ennemi commun, le monde de la finance, contre lequel notre auteur appelle à la Révolution :
« la féodalité territoriale et militaire a disparu, il faut que la féodalité financière disparaisse. (…) La royauté de l’argent, l’aristocratie de l’argent, voilà bien effectivement ce qui est en question. »
Par ailleurs, la situation de dépendance des « travailleurs » entrepreneurs et salariés, qu'il oppose systématiquement aux financiers, « brasseurs d’affaires », par rapport à l’intérêt porté au capital prêté est intolérable au regard de la Liberté
« L’intérêt du capital représente le privilège accordé à certains membres de la société de voir, tout en restant oisifs, leur fortune se reproduire et s’accroître ; il représente le prix auquel les travailleurs sont forcés d’acquérir la possibilité de travailler ; il représente leur asservissement à une condition que, le plus souvent, ils ne peuvent débattre, et que jamais ils ne peuvent éluder. »
Louis Blanc cherche à y remédier en proposant une intervention sociale et publique à la fois28. Seul l’État, « une réunion de gens de bien, choisis par leurs égaux pour guider la marche de tous dans les voies de la liberté », peut remplir ce rôle d’émancipation du Travail en soutenant la propriété associative des outils de production. C’est au souverain qu’incombe la responsabilité et le pouvoir de donner le crédit et non à le recevoir. Ceci passe inévitablement par une nationalisation de la banque et un crédit gratuit aux associations. C’est l’aspect associatif (partage des bénéfices à égalité) de l’entreprise qui compense le taux d’intérêt que l’entreprise libérale devra payer à l’État banquier.
Selon Blanc, le pouvoir financier du moment conditionne l’asservissement des individus à des taux dont ils ne peuvent discuter. Bien souvent, plus l’emprunt est nécessaire plus le taux augmente ce qui est absolument contre-productif socialement. Aussi, si aucune parité ne peut être faite entre le capital et le travail – car lorsque le travailleur meurt son travail disparaît avec lui tandis que le capital survit au capitaliste - le capital peut alors très bien appartenir aux travailleurs associés, indépendamment du capitaliste.
En prônant la doctrine du laisser-aller dans le travail concurrentiel, et sans organisation associative, « la misère devient pour le plus grand nombre un fait inévitable », tant le rapport de force est inégal et la violence inéluctable. Ceci va à l’encontre du premier des droits fondamentaux, le droit à la vie :
« « Est-il vrai, oui ou non, que tous les hommes apportent en naissant un droit à vivre ? Est-il vrai, oui ou non, que le pouvoir de travailler est le moyen de réalisation du droit de vivre ? Est-il vrai, oui ou non, que si quelques-uns parviennent à s’emparer de tous les instruments de travail, à accaparer le pouvoir de travailler, les autres seront condamnés, par cela même, ou à se faire esclaves des premiers, ou à mourir ? »

Un concept central : l’organisation du pouvoir

C’est afin de garantir la vie des individus qu’il demande une organisation du pouvoir car le système concurrentiel ne peut remplir cette mission. Or, dans son esprit, « c’est une œuvre trop vaste et qui a contre elle trop d’obstacles matériels, trop d’intérêts aveugles, trop de préjugés, pour être aisément accomplie par une série de tentatives partielles »33. Dès lors, seul l’État a la puissance nécessaire d’impulsion permettant la mise en place concrète d’un mode alternatif de répartition - le mode de production reste le même - au sein de la société actuelle.
La mission économique de l'État démocratique reste simple : en parallèle du système concurrentiel laissé à lui-même, le principe de fonctionnement est très précis :
« je n’ai jamais entendu faire l’État producteur et le charger d’une besogne impossible. Qu’il devienne le commanditaire et le législateur des associations, je ne lui demande que cela. »
Ce projet demeure, aux yeux de Blanc, de l'ordre d'une proposition soumise au débat :
« c’est à la nation …, par ses mandataires, si telle est sa pensée, de jeter au milieu du système social actuel, les fondements d’un autre système, celui de l’association. »
Une distinction dans le travail s’opère alors au sein de l’État entre le communisme communauté, rouge, le socialisme association, bleu et le libéralisme l’individu, blanc. Ce sont trois couleurs, trois systèmes à égalité, dans la même unité.
Par le biais d'exclamations rhétoriques, Blanc justifie ainsi l'intervention publique dans le secteur associatif :
« il n’est pas interdit d’améliorer le régime des prisons, et il le serait de chercher à améliorer le régime du travail ! Il n’y a pas de tyrannie à tendre la main à des compagnies de capitalistes, et il y en aurait à tendre la main à des associations d’ouvriers ! (…) Nous avons un budget de la guerre, et il serait monstrueux d’avoir un budget du travail! »
Le concept d’organisation impulsé par un État démocratique est central car, « les obligations sociales ne sont pas tellement simples, elles ne se concilient pas si facilement avec le principe d’égoïsme aveugle qui est au-dedans de nous, qu’on puisse repousser dédaigneusement l’initiation aux saintes maximes du dévouement »37. C’est alors à l’État d’organiser une alternative non antagoniste de fonctionnement ; d’établir juridiquement trois espaces économiques distincts.
Blanc partage une anthropologie pessimiste, plus proche de Hobbes que de Rousseau. L'égoïsme naturel requiert ainsi le cadre associatif afin d'éviter le chaos. Avec l'État appuyant ce secteur, chaque homme peut ainsi choisir de devenir un individu social:
« [Louis Blanc est] convaincu que, parmi ceux qui, dans la lutte, cherchent à vaincre coûte que coûte, il est des hommes dont le cœur souffre des moyens qu’ils mettent en usage. Mais le régime économique où ils vivent plongés est là qui les y condamne. Il faut qu’ils tâchent de ruiner autrui, sous peine d’être ruinés eux-mêmes. »
Perverti par le système économique actuel, l'égoïsme pourrait être mis au service de la cause de l'humanité. Il est, de fait, fondé sur une mauvaise perception des individus: selon Blanc, l'intérêt rationnel des individus pousse à l'association plutôt qu'à la concurrence. Seule une oligarchie financière qui profite de cet état de violence perpétuelle.
Seule une solution politique, toutefois, c'est-à-dire collective, peut permettre la mise en place d'un nouvel ordre économique:
« ce sont les imperfections du régime économique existant qui sont coupables. C’est donc à elles surtout qu’il convient de s’en prendre, et les faire graduellement disparaître est affaire, non de haine et de colère, mais d’étude, non de violence, mais de science »
Selon l'historien Maurice Agulhon, ainsi, pour Louis Blanc:
« ce n’est pas organiser l’économie par une sorte de planification, c’est organiser les travailleurs, les inviter à s’associer en coopératives, et à gérer les échanges sur cette base autogestionnaires avant la lettre40. »
En effet, dans ce projet, l’État joue un rôle d’impulsion et de contrôle interne la première année, après cela, il est le gardien externe de la propriété collective comme il est le gardien de la propriété privée. Il la préserve sans l’accaparer.
Dans un second temps, organiser, ce n’est pas non plus, en ce qui concerne l’État, ordonner le politique par une sorte d’autoritarisme venant du sommet, c’est organiser les citoyens, les inviter à s’associer à travers les communes et dans des réunions publiques, c’est-à-dire à gérer les échanges politiques sur cette base, avant de prendre part à l’élection des mandataires au suffrage universel. En effet, à défaut d’avoir le temps et l’envie de gérer directement les affaires de l’État, le peuple souverain agit à travers ses serviteurs responsables et révocables.
Le mode de scrutin, système de Thomas Hare, choisi par Louis Blanc est un moyen d’optimiser la représentativité de l’Assemblée en fonction des divergences nationales et permet à celle-ci d’être le résumé vivant de la nation. L’Assemblée nationale se voit ainsi composée des personnes jugées par leurs semblables les plus aptes à les servir. Elle devient le lieu de résolution des conflits sociaux (toujours préférable à la rue pour la bonne marche de l’économie. À Londres, Blanc s'initie à la pensée de J.S. Mill, ce qui le pousse à préconiser un système de représentation proportionnelle permettant aux minorités de se faire entendre.
C’est le concept d’État serviteur qui domine sa démonstration et non la vision d’un État maître comme chez Pierre Leroux ou de l’État anarchique de Proudhon. De plus, comme le précise Francis Demier, l’idée d’une révolution de classe, d’un scénario qui pousserait une avant-garde ouvrière à s’emparer du pouvoir pour transformer la société est complètement étrangère à la pensée de Louis Blanc.

Suffrage universel et association

Un moyen d’organisation et une idée à mettre en place

Le suffrage universel est pensé comme moyen d'organiser tant la sphère politique qu'économique, dans un contexte de Modernité caractérisé par l'éloignement du pouvoir central. Le vote devient le moyen d’expression permettant de mandater des personnes pour servir les intérêts des individus à différentes échelles (travail, commune, État). Le citoyen travailleur devient souverain dans ces deux univers.
« Le suffrage universel est l’instrument d’ordre par excellence. Et pourquoi ? parce qu’il est la légitimité dans la puissance, et que là où il est pratiqué, l’État est le « moi » de Louis XIV prononcé non plus par un homme, mais par le peuple. »
Dès lors, en raison de la communauté d’intérêts et de valeurs, c’est bien l’unité républicaine qui est mise en avant. L'idée associative oriente ce projet, se concrétisant dans les ateliers sociaux (industriels et agricoles; le projet d’atelier social littéraire obéit à une autre logique), la commune et l’Assemblée nationale:
« la commune représente l’idée d’unité tout aussi bien que l’État. La Commune, c’est le principe d’association ; l’État, c’est le principe de nationalité. L’État, c’est tout l’édifice ; mais la Commune, c’est la base de cet édifice. »
Ces associations, garanties de l'exercice de la liberté, sont perçues comme le prolongement naturel de la famille, perçue comme forme d'association originelle. Les délégués mandatés par le suffrage ont pour mission de gérer les affaires courantes de la cité ou de l’industrie pour le compte des individus qui, occupés quotidiennement par leur travail et leur famille, ne peuvent intervenir directement et en permanence.
En somme, dans le système qu’il propose, l’individu ne puise plus dans la concurrence les sources du progrès mais dans l’association, organisation qu’il considère comme moins conflictuelle, plus stable économiquement donc moins sujette à une faillite ou à un chômage et, en conséquence, plus enrichissante au niveau macroéconomique:
« Si l’on considère, d’un côté, la force du principe association, sa fécondité presque sans bornes, le nombre des gaspillages qu’il évite, le montant des économies qu’il permet ; et, d’un autre côté, si l’on calcule l’énorme quantité de valeurs perdues que représentent, sous l’influence du principe contraire, les faillites qui se déclarent, les magasins qui disparaissent, les ateliers qui se ferment, les chômages qui se multiplient, les marchés qui s’engorgent, les crises commerciales, (…) il faudra bien reconnaître que, par la substitution du premier principe au second, les peuples gagneraient en richesse ce qu’ils auraient gagné en moralité. »
De plus, au niveau microéconomique, un intérêt purement financier s’ajoute au gain social global en raison de la participation proportionnelle de tous les travailleurs aux résultats économiques de l’entreprise.
Cette idée de proportionnalité se retrouve à l’Assemblée nationale, institution unique d’où tous les pouvoirs découlent car mandatée par le souverain populaire. Les mandataires sont responsables et révocables. Au service du peuple souverain, l'Assemblée devient le lieu de résolution des conflits nés de la pluralité d’opinions. Par ailleurs, un pouvoir administratif autonome est confié aux communes, tandis qu'il faut :
« déclarer supérieurs au droit des majorités et absolument inviolables la liberté de conscience, la liberté de la presse, les droits de réunion et d’association, et, en général, toutes les garanties qui permettent à la minorité de devenir majorité, pourvu qu’elle ait raison et qu’elle le prouve. »
Et c’est en ce sens aussi, qu’il soutient, avec Lamartine, l’abrogation de la loi sur la peine de mort en matière d'infraction politique le 26 février 1848.
Dès lors, l’ensemble du projet s’accompagne inévitablement d’une révolution idéologique car la conscience des interdépendances relève d’un changement de perspective qui nécessite un nouveau prisme de lecture de l’intérêt personnel. Pour lui, « les affections humaines ne sont pas assez vastes pour embrasser dès l’abord l’humanité tout entière »47, ce qui nécessite la participation démocratique, pédagogique (de la même façon que chez Mill), des travailleurs à des niveaux toujours plus étendus : association, commune et Assemblée. Pour lui, briser un seul de ces anneaux c’est détruire ce qui permet à l’Homme de devenir citoyen.

La fin des antagonismes :

prise de conscience de l’inévitable solidarité et moralisation des échanges

La prise en compte des intérêts individuels réels qui, depuis la Révolution industrielle, sont plus que jamais mêlés, nécessite une vision dépassant les clivages traditionnels. À cette fin il va s’attacher à prouver combien les antagonismes sont construits, selon la maxime « diviser pour mieux régner ».
Pour Louis Blanc, que ce soit entre les employés ou les employeurs, le législatif ou l’exécutif, la commune ou l’État, les hommes ou les femmes, les jeunes ou les anciens, les projets sociaux et leurs financements, toutes ces oppositions n’ont aucun sens car les intérêts convergent.
Dans son esprit, les employeurs et les employés s’associent pour produire, l’exécutif doit être une émanation sous contrôle du législatif lui-même au service et sous contrôle du souverain populaire, la centralisation politique s’accompagne d’une autonomie administrative des communes, les femmes gèrent la famille (et en cela doivent avoir des droits civils) tandis que les hommes gèrent le foyer (entendu comme structure économique), la fougue de la jeunesse s’accompagne de la sagesse de l’âge. Et, suivant le même principe, les projets sociaux comme l’éducation nationale laïque, gratuite et obligatoire par exemple, trouvent leur légitimité dans une perspective à moyen et à long terme.
Qui plus est, en ce qui concerne le financement du projet social de Louis Blanc, la réduction des dépenses – notamment celles concernant l’Église et les prêtres, et celles attribuées aux préfectures et sous-préfectures, considérées comme une superfétation tout à la fois ridicule et coûteuse – serait une avancée significative. Réduction des dépenses auxquelles s’ajoutent les revenus spéculatifs de la banque nationale et ceux notamment de la mise sur le marché d’une assurance d’État couvrant l’ensemble des activités des individus.
Sa théorie défend alors un système démocratique cherchant plus à unir ses forces qu’à les opposer de façon à lutter ensemble contre la misère. Pour lui, de la même manière où dans le passé les forces se sont rassemblées pour protéger la vie, ce qui a pris la forme d’un contrat social, à présent le temps est venu de transposer ce contrat au monde économique de façon à, là aussi, sortir de l’état de nature pour protéger la vie. En veillant sur les pauvres les bienfaits se feront ressentir sur l’ensemble de la collectivité:
« En demandant justice pour les pauvres, nous veillons sur ce riche que les coups du sort peuvent demain faire tomber dans la pauvreté. En demandant protection pour les faibles, nous songeons aussi à vous, puissants du jour, que le souffle des vicissitudes humaines peut d’un instant à l’autre dépouiller de votre force. Oui, tous les hommes sont frères ; oui, tous les intérêts sont solidaires. La cause de la démocratie, c’est la cause de la liberté bien entendue, qui ne peut exister là où n’est pas l’unité. La démocratie est comme le soleil, elle brille pour tous. »
C'est ainsi que pour Francis Demier: « l'originalité de Louis Blanc tient à l’articulation étroite qui s’établit entre l’avènement de la démocratie qui s’impose après l’effondrement du système ancien miné par les effets pervers de la concurrence, et le changement de société que représente l’« Atelier social . »
D’ailleurs, Louis Blanc fait le pari que la conséquence de la démocratie sera l’avènement du socialisme.
Le projet d'établir les ateliers sociaux, la Commune et l'Assemblée nationale ne peuvent se concrétiser, à long terme, sans changement moral. L'absence de morale actuelle est ainsi souligné par Blanc:
« on ne prétendra pas (…) que la morale trouve son compte (…) dans la baisse systématique des prix, la falsification des marchandises, les réclames mensongères, les ruses de toute espèce pour grossir sa clientèle aux dépens de celle du voisin, (…) dans l’objectif de ruiner autrui sous peine d’être ruiné soi-même54 . »
Ce déficit moral s’accompagne de nombreuses souffrances chez ceux qui sont obligés d’appliquer ces règles:
« Je suis convaincu que, parmi ceux qui, dans la lutte, cherchent à vaincre coûte que coûte, il est des hommes dont le cœur souffre des moyens qu’ils mettent en usage. Mais le régime économique où ils vivent plongés est là qui les y condamne. Il faut qu’ils tâchent de ruiner autrui, sous peine d’être ruinés eux-mêmes55. »
Or, elle est soutenue par l'idéologie libérale qui conçoit l’individualisme et la concurrence comme le terme de toute évolution politique. Celle-ci affecte toute la société, y compris les familles: une sorte de schizophrénie touche les individus qui, solidaires en famille, doivent se battre à l’extérieur, parfois même en détruisant d’autres familles. Dès lors, selon F. Demier,
« dans une dialectique implacable et mécaniste, c’est tout le progrès qui est perverti par la logique de la concurrence dans la mesure où ce qui pourrait être un bien se transforme en aliénation. »
C’est pourquoi il fixe quelques principes moraux, devant servir de repères à la construction concrète du projet. « L’évangile en action » évoqué dans Le Catéchisme des socialistes caractérise ainsi le socialisme. Sans être clérical et tout en défendant la laïcité, il pense néanmoins que « le socialisme a pour but de réaliser parmi les hommes ces quatre maximes fondamentales de l’Évangile : 1° Aimez-vous les uns les autres ; 2° Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on fit à vous-mêmes ; 3° Le premier d’entre vous doit être le serviteur de tous les autres ; 4° Paix aux hommes de bonne volonté ! ».
On pourrait y ajouter un cinquième principe, qu’il décrit comme une loi écrite en quelque sorte dans son organisation par Dieu lui-même, qui consiste à « produire selon ses facultés et à consommer selon ses besoins ».
L’objectif de toute politique est, selon lui, « d’élever la condition intellectuelle, morale et physique de tous ; (…) de rendre les hommes plus éclairés, plus heureux et meilleurs. » Pour Louis Blanc, d’un point de vue moral, lorsque l’action de l’État va dans ce sens elle est un bien, lorsqu’il agit en sens inverse, elle est un mal:
« Si l’État (…) manque à son devoir quand il intervient pour mettre obstacle au développement de l’autonomie individuelle, il remplit, au contraire, le plus sacré de ses devoirs lorsqu’il intervient pour écarter les obstacles que mettent à l’essor de la liberté, chez le pauvre, la misère, résultat d’une civilisation imparfaite, et l’ignorance, résultat de la misère. »

Hommages toponymiques

Par ordre alphabétique des villes :
Une rue Louis Blanc à Aigues-Mortes
un boulevard Louis-Blanc à Alès
une avenue Louis-Blanc à Amiens
une rue Louis-Blanc à Angers
une rue et un cabinet médical Louis-Blanc à Anzin
une place Louis-Blanc à Arles
une place Louis-Blanc à Boulogne-sur-Mer
un cours Louis Blanc au Bouscat
une rue Louis-Blanc à Brest
une rue Louis-Blanc à Cannes
une rue Louis Blanc à Courcelles-les-lens
une place Louis-Blanc à Cusset
une rue Louis-Blanc à Dijon
une avenue Louis-Blanc à Draguignan
une place Louis-Blanc à Elne
une rue Louis-Blanc à Grenoble
une rue Louis-Blanc à Hellemmes
une rue Louis-Blanc à La Garenne-Colombes
un boulevard Louis-Blanc à La Roche-sur-Yon
une rue Louis-Blanc et deux école (maternelle/élémentaire) Louis Blanc au Havre
une rue Louis-Blanc à Lille
un collège à La Varenne Saint-Hilaire : voir Saint-Maur-des-Fossés
un quai de la Sarthe-Louis-Blanc au Mans
une rue Louis-Blanc au Pré-Saint-Gervais
une rue Louis-Blanc à Levallois-Perret
un boulevard Louis-Blanc à Limoges
une rue Louis-Blanc à Lyon
une rue Louis-Blanc à Malakoff
une rue Louis-Blanc à Montataire
un boulevard Louis-Blanc et une station de tramway (ligne 1 et 4) à Montpellier
une rue Louis-Blanc à Nantes
une rue Louis-Blanc à Neuville-sur-Saône
une station du métro Louis Blanc (lignes 7 et 7bis), un collège Louis-Blanc, une rue Louis-Blanc64 ainsi qu'un bassin Louis Blanc du canal Saint-Martin dans le 10e arrondissement de Paris
une rue Louis-Blanc à Périgueux
une rue Louis-Blanc à Rouen
une rue Louis Blanc à Saint-Brice-Courcelles
une rue Louis-Blanc à Saint-Laurent-de-la-Salanque
un collège Louis-Blanc à Saint-Maur-des-Fossés
une école primaire Louis-Blanc à Saint-Tropez
une place Louis-Blanc à Sainte-Maxime
une place Louis-Blanc à Salon-de-Provence
une rue Louis-Blanc à Sanary
une rue Louis-Blanc à Sète
une place Louis-Blanc à Toulon
une rue Louis-Blanc à Tours

Critiques

Les doctrines de Louis Blanc ont été critiqués par l'un de ses contemporains, l'économiste libéral Frédéric Bastiat, dans une brochure intitulée Individualisme et Fraternité et dans un article du Journal des Économistes titré Propriété et Loi en 1848. Il le prend également à partie dans son pamphlet La Loi.

Œuvres

Organisation du travail [1839], Bureau de la Société de l’Industrie Fraternelle, Paris, 1847, 5 édition.
Histoire de dix ans, 1830-1840, Pagnerre, Paris, 1842, 2e édition. Texte en ligne en anglais.
Révélations historiques, Méline, Cans et compagnie, Éditeurs, Bruxelles, 1859.
Histoire de la révolution française, Langlois et Leclercq, Paris, 1847-1862, 12 vols; Furne et Cie - Pagnerre, Paris, 1857-1870, 12 vols., 2e édition, avec une préface de George Sand.
Histoire de huit ans, 1840-1848, Pagnerre, Paris, 1871, 3e édition, 3 vols.
Avec Jacques Crétineau-Joly, la contre-révolution, partisans, vendéens, chouans, émigrés 1794-1800.
Lettres sur l'Angleterre 1866-1867.
Dix années de l'Histoire de l'Angleterre 1879-1881.
Questions d'aujourd'hui et de demain 1873-1884.
Quelques vérités économiques, Les Temps nouveaux, Révélations historiques, 1911.




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Posté le : 05/12/2015 17:13
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Jean Chardin
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Le 6 décembre 1779 meurt Jean Siméon Chardin

à 80 ans, à Paris considéré comme l'un des plus grands peintres français et européens du XVIIIe siècle. Il est surtout reconnu pour ses natures mortes, ses peintures de genre et ses pastels. Il naît le 2 novembre 1699 à Paris. Il reçoit sa formation à l'académie de Saint-Luc, il appartient au mouvement rococo. Ses Œuvres les plus réputées sont La Raie, Le Buffet, Les Attributs de la musique, des arts et des sciences.

En bref

Chardin peint en dehors du temps, en marge de son temps et des vogues bruyantes. Tout le relief de sa vie exigeante et modeste est celui qu'il sait donner à un fruit, à un verre, à un humble pichet. Peu lui importe de n'être pas le peintre des grands genres ni, en vérité, le successeur d'aucun maître, pourvu qu'en ces pâtes denses et épaisses, qu'il accroche en couches successives sur la toile à gros grain, il confère aux réalités simples de la vie, non pas la vertu d'un récit, d'une description ou d'une allégorie, mais le mystère de la vie silencieuse et secrète des choses dans sa durée illimitée. On ne peint pas seulement avec des couleurs, on peint avec le sentiment, disait un jour Chardin. Tout est là. Et parler d'une œuvre qui nous est aujourd'hui si familière, si évidente, et pourtant si lointaine en sa perfection, c'est tenter de saisir comment, de la seule couleur, Chardin sut faire naître le sentiment.
On peut dire que d'emblée la vie du peintre fut placée au registre qui devait demeurer le sien et qu'en naissant à Paris, rue de Seine, fils de menuisier, dans un milieu d'artisans habiles et actifs, Chardin trouvait aussitôt le climat de gravité sérieuse, de probité, et jusqu'au décor qui allaient marquer son œuvre et lui assigner ses dimensions.
Son apprentissage : non point l'enseignement officiel que dispensait l'Académie, ni celui d'un maître unique, mais des moments successifs. Chez Pierre-Jacques Cazes, il dessine d'après l'antique ; Noël-Nicolas Coypel, demi-frère d'Antoine, lui révèle la lumière et la densité des choses, si l'on en croit un récit, en l'invitant à peindre un fusil ; J. B. Van Loo, pour l'aider dans ses débuts difficiles, fait appel à lui pour le seconder dans la restauration des fresques de Rosso et de Primatice, au château de Fontainebleau.
On sait aussi qu'une enseigne aujourd'hui disparue, et qu'on eût tant aimé comparer à celle que Watteau venait d'exécuter pour Gersaint, lui fut commandée par un chirurgien barbier, ami de son père.
Mais tout cela ne nous dit rien de l'acheminement intime et secret de Chardin vers la maîtrise et les premiers succès : ceux que lui vaudront, lorsqu'il les exposera place Dauphine, en 1728, à l'occasion de la Fête-Dieu, La Raie et Le Buffet, qui étonneront à ce point les peintres de l'Académie royale, et surtout Largillière, qu'il est sur-le-champ admis et, deux mois après, reçu parmi eux comme peintre « dans le talent des animaux et des fruits », quand toute son ambition se serait sans doute bornée à la vieille Académie Saint-Luc où il avait d'ailleurs été reçu en 1724.
Dès ce moment, Chardin est en pleine possession de ses moyens ; et quoique toute sa vie, il se soit passionné pour les mille secrets techniques de la peinture, sans doute n'ira-t-il jamais plus loin dans l'accomplissement de son métier.
De compagnon devenu maître grâce, à ces deux très belles œuvres qu'on pourrait, au regard de ce qu'il allait peindre, juger aujourd'hui un peu démonstratives, Jean-Baptiste Chardin va maintenant, délivré des problèmes de la couleur, de la matière où il est désormais inimitable, partir à la seule recherche du sentiment, élever au niveau des grands genres et bien peu le comprendront en son siècle les humbles thèmes où il va se complaire avec un patient travail, et devenir, d'œuvre en œuvre, très simplement Chardin.
La fidélité d'un peintre à soi-même rend ici bien vaine toute chronologie, et de Chardin, comme de Corot, l'on pourrait dire que le fil de leur vie tient à la tendresse pénétrante du regard constant qu'ils portent aux êtres et aux choses, à cette lumière candide dont ils les baignent et les font s'interpénétrer.
Officiellement peintre de fruits et d'animaux, Chardin n'aborde la figure qu'après 1730, année de son premier mariage, avec Marguerite Saintard, dont il aura deux enfants. Veuf en 1735, il perd, à la même époque, sa fille Marguerite Agnès et, remarié en 1744 avec Marguerite Pouget, voit encore mourir en bas âge la fille qu'il avait eue de son second mariage.
Peut-être l'influence toute flamande du portraitiste Aved décida-t-elle Chardin à ne point se limiter à la seule peinture des objets ; peut-être aussi Chardin fut-il sensible à ce qu'Aved, un jour, lui aurait dit qu'il est « plus difficile de peindre un portrait qu'un cervelas ».
Mais l'on peut supposer aisément qu'atteint en ce qu'il avait de plus cher, Chardin eût, de toute manière, incliné à recréer, fût-ce pour lui seul, des scènes d'intimité telles que Le Bénédicité ou La Toilette du matin, évocatrices d'une vie familiale qu'il avait perdue.
Aussi son œuvre est-elle double : tableaux d'objets, d'animaux et de fruits, qui ne sont jamais des « natures mortes », tableaux d'intimité, scènes de la vie domestique, qui, mis à part les autoportraits au pastel des dernières années, ne sont pas des portraits au sens où l'on entendait ce genre au XVIIIe siècle.
Et, par-delà ces distinctions, l'unité de l'œuvre est là, faite d'un admirable métier, d'un espace toujours clos sur lui-même (à la différence des Hollandais, Chardin n'ouvre point de fenêtre ou d'échappée sur le monde extérieur) où l'objet immobile s'anime de vie silencieuse. Le geste de l'Écureuse, du Garçon Cabaretier, celui de la Dame cachetant une lettre, la pose même de la Pourvoyeuse, comme surprise en flagrant délit par le peintre, s'interrompant et s'éternisant au point de prendre une indicible valeur de symbole, se situent au sein d'un espace absolu, intemporel qu'il s'agit de ne point troubler car tout y est à sa place, une fois pour toutes, par une harmonie secrète, longuement méditée, dont on subit le charme sans jamais (et pourquoi le faire ?) pleinement pouvoir le définir.

Sa vie

Jean Siméon Chardin naît à Paris le 2 novembre 1699, d'un père artisan, fabricant de billards. Mis à part le fait qu'il a été l'élève du peintre d'Histoire Pierre-Jacques Cazes et qu'il a peut-être été conseillé par Noël Nicolas Coypel, on n'a aucune certitude à propos de sa formation avant le 6 février 1724, date à laquelle il est reçu à l'Académie de Saint-Luc avec le titre de maître – titre auquel il renonça en 1729.
D'après les frères Goncourt, Coypel aurait fait appel à Chardin pour peindre un fusil dans un tableau de chasse, ce qui lui aurait donné le goût pour les natures mortes.
Il est probable que deux de ses tableaux, la Raie et Le Buffet aient été remarqués par deux membres de l'Académie royale à l'Exposition de la Jeunesse, place Dauphine, en 1728 : Louis Boulongne, Premier peintre du Roi, et Nicolas de Largillière un des meilleurs peintres français de natures mortes
Chardin devient ainsi peintre académicien dans le talent des animaux et des fruits, c'est-à-dire au niveau inférieur de la hiérarchie des genres reconnus.
La Raie fait l'objet d'une admiration et d'une fascination unanimes depuis le xviiie siècle. Notons que le Buffet est une des premières œuvres datées de Chardin. Henri Matisse copia ces deux tableaux en 1896 ; ils se trouvent actuellement au musée Matisse du Cateau-Cambrésis.
Chose rare chez Chardin, un animal vivant figure dans la Raie comme dans le Buffet. L'artiste peint très lentement, revient sans cesse sur son travail, ce qui n'est guère compatible avec la représentation d'animaux vivants. Il est aussi probable que Chardin ait redouté que l'on compare ses œuvres à celles des deux maîtres du temps « dans le talent des animaux » : Alexandre-François Desportes 1661-1743 et Jean-Baptiste Oudry 1661-1755. Ce dernier avait précédé Chardin à l'Académie de Saint-Luc en 1708 et à l'Académie royale en 1717. À ce propos, voir plus bas.
L'année 1731 est marquée par des événements particulièrement importants. Il épouse Marguerite Saintard sept ans après un contrat de mariage passé avec elle. Le père de l'artiste meurt peu après, et son fils Jean Pierre naît en novembre. Cette même année, sous la direction de Jean-Baptiste van Loo (1684-1745), il participe à la restauration des fresques de la galerie François Ier du château de Fontainebleau.
Sa femme Marguerite meurt en 1735 et sa fille Marguerite Agnès en 1737. Il se remarie en 1744 avec Françoise-Marie Pouget, dont il n'eut pas d'enfant.
Jean-Baptiste Chardin, alors conseiller et trésorier de l'Académie royale de peinture et de sculpture, meurt le 6 décembre 1779 à Paris au Palais du Louvre.

Les scènes de genre : un défi remporté
Œuvres nouvelles

Les premiers tableaux à figures de Chardin ont été peints en 1733 au plus tard. Chardin se rend compte qu'il ne peut pas vendre indéfiniment des natures mortes. Il lui faut devenir maître dans un autre genre pictural.
Dans son Abecedario (1749), un contemporain de Chardin, Pierre-Jean Mariette, rapporte l'anecdote suivante : Chardin faisant remarquer à un de ses amis peintres, Joseph Aved (1702–1766), qu'une somme d'argent même assez faible était toujours bonne à prendre pour un portrait commandé quand l'artiste n'était pas très connu, Aved lui aurait répondu : « Oui, si un portrait était aussi facile à faire qu'un cervelas. » L'artiste était mis au défi de peindre autre chose que des natures mortes. Mais ce n'était pas la seule raison de changer de registre. Mariette ajoute : « Ce mot fit impression sur lui et, le prenant moins comme une raillerie que comme une vérité, il fit un retour sur son talent, et plus il l'examina, plus il se persuada qu'il n'en tirerait jamais grand parti. Il craignit, et peut-être avec raison, que, ne peignant que des objets inanimés et peu intéressants, on ne se lassât bientôt de ses productions, et que, voulant essayer de peindre des animaux vivants, il ne demeurât trop au-dessous de MM. Desportes et Oudry, deux concurrents redoutables, qui avaient déjà pris les devants et dont la réputation était établie. »
Chardin se consacre donc aux scènes de genre, ce qui n'est pas sans difficultés pour lui. Les amateurs de peinture du xviiie siècle prisent, plus que tout, l'imagination. Or, c'est la faculté qui faisait le plus défaut à Chardin. Il a du mal à composer ses tableaux, et c'est ce qui explique en partie que lorsqu'il trouve, après de longues et patientes recherches, une structure qui lui convient, il la reproduit dans plusieurs œuvres. Cette période de la vie de Chardin s'ouvre sur deux pièces maîtresses :
Une Femme occupée à cacheter une lettre (146 × 147 cm, Potsdam, palais de Sanssouci. Ce tableau est exposé place Dauphine en 1734, et le Mercure de France le décrit ainsi : « Le plus grand représente une jeune personne qui attend avec impatience qu'on lui donne de la lumière pour cacheter une lettre, les figures sont grandes comme nature. »
Une Femme tirant de l'eau à la fontaine, dit La Fontaine, ou encore La Femme à la fontaine (38 × 43 cm, Stockholm, Nationalmuseum). Comme dans le tableau précédent, une ouverture dans le mur du fond, à droite, apporte de la clarté et montre une scène secondaire. Cependant aucun rapprochement n'est possible avec les tableaux hollandais : les intérieurs de Chardin sont fermés et les fenêtres sont très rares4.
Chardin expose ce dernier tableau au Salon du Louvre en 1737, ainsi que la Blanchisseuse (37 × 42,5 cm, Stockholm, Nationalmuseum), La Fillette au volant (81 × 65 cm, Paris, collection particulière) et Le Château de cartes (82 × 66 cm, Washington, National Gallery of Art). Puis les expositions se succéderont presque tous les ans jusqu'à sa mort.
Particulièrement dans la Fillette au volant, le peintre ne fait preuve d'aucune volonté de donner une impression de mouvement. Figée dans une attitude, le regard fixe, la petite fille est en train de poser pour Jean Siméon et son attitude trahit presque la surveillance dont elle fait l'objet. Cette immobilité, par contre, semble naturelle dans Le Château de cartes, du fait même du thème qui convient si bien à Chardin qu'il effectue quatre compositions avec peu de variantes sur ce sujet.
Présenté à Louis XV à Versailles en 1740 par Philibert Orry, surintendant des Bâtiments du Roi5 et contrôleur général des Finances, Chardin offre deux tableaux au souverain. On peut lire à cette occasion dans le Mercure de France : « Le dimanche 27 novembre 1740, M. Chardin de l'Académie royale de peinture et sculpture, fut présenté au roi par M. le contrôleur général avec deux tableaux que Sa Majesté reçut très favorablement; ces deux morceaux sont déjà connus, ayant été exposés au Salon du Louvre au mois d'août dernier. Nous en avons parlé dans le Mercure d'octobre, sous le titre : la Mère laborieuse et le Bénédicité. » Ce fut la seule rencontre de Chardin avec Louis XV.

Le regard du XIXe siècle : Chardin, peintre des vertus bourgeoises

Le Bénédicité (49,5 × 38,5 cm, Paris, musée du Louvre) et la Mère laborieuse 49 × 39 cm, même musée sont tombés dans l'oubli dix ans après la mort de Louis XV, puis ont été redécouverts en 1845 : le siècle bourgeois apprécie les représentations des vertus bourgeoises qu'il oppose à la dissolution supposée générale des mœurs de la noblesse.
L'auteur anonyme d'un article du volume XVI du Magasin Pittoresque écrit en 1848 : « À Watteau les déjeuners sur l'herbe, les promenades au clair de lune, la capricieuse beauté du jour avec l'élégant cavalier de son choix, les danses sous la feuillée des bergères et des bergers titrés ; mais à Chardin l'honnête et paisible intérieur, la mère qui brosse l'habit de son fils avant de l'envoyer à l'école, la mère apprenant à bégayer le nom de Dieu à sa petite couvée. Il imite le calme avec calme, la joie avec joie, la dignité avec dignité. Il semble qu'un siècle ne puisse contenir deux histoires si différentes; cependant elles se côtoient. Chacune a eu son historien, tous deux hommes de génie. Le brillant chatoiement de Watteau a trop souvent éclipsé la douce clarté de Chardin. Ébloui par l'agaçante coquetterie de la marquise, à peine s'arrête-t-on devant l'humble bourgeoise; et pourtant, quel plus doux mystère que cette suave peinture renfermant les vrais trésors de la vie humaine : honneur, ordre, économie ! » Et si l'auteur, dans le même passage, parle de Chardin comme d'un poète aux doux coloris, ce n'est qu'un bref intermède avant de s'émerveiller devant la représentation de son idéal féminin : « Elle est le type de ces milliers d'autres femmes auxquelles les hommes rigides, honnêtes, confient leur honneur, leur joie, leur nom, leurs enfants, et dont la présence est une bénédiction pour le seuil qu'elles ont une fois passé. »

Les natures mortes de la maturité

En 1744, Chardin épouse Françoise-Marguerite Pouget (1707–1791)6. Il a 45 ans, elle en a 37.
Bientôt Chardin est protégé et encouragé par un personnage important, le marquis de Vandières (1727–1781), futur marquis de Marigny et de Menars, directeur des Bâtiments de 1751 à 1773. Il obtient une pension pour Chardin7.
« Sur le rapport que j'ai fait au Roy Monsieur de vos talents et de vos Lumières, Sa Majesté vous accorde dans la distribution de ses grâces pour les Arts, une pension de 500 livres, je vous en informe avec d'autant plus de plaisir, que vous me trouverez toujours très disposé de vous obliger, dans les occasions qui pourront se présenter et qui dépendront de moi à l'avenir. »
En 1754, son fils Jean Pierre remporte le premier prix de l'Académie et entre à l'École royale des élèves protégés. En 1757, il reçoit son brevet pour aller poursuivre ses études de peinture à Rome. Enlevé par des corsaires anglais au large de Gênes en 1762, puis libéré, Jean Pierre meurt en 1767 à Paris, à moins qu'il ne se soit suicidé à Venise.
Il est nommé trésorier de l'Académie en 1755, et deux ans après Louis XV lui accorde un petit appartement dans les Galeries du Louvre, ce dont il se montre très fier. Marigny, dont la bienveillance à l'égard de Chardin ne se démentit jamais, est à l'origine de cet honneur rendu au peintre et l'en avertit lui-même.
« Je vous apprends avec plaisir, Monsieur, que le Roy vous accorde le logement vacant aux Galeries du Louvre par le décès de S. Marteau, vos talents vous avaient mis à portée d'espérer cette grâce du Roy, je suis bien aise d'avoir pu contribuer à la faire verser sur vous. Je suis, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur. »
On imagine sans peine Chardin savourant avec délice l'annonce de cette distinction devant ses confrères, en pleine séance de l'Académie :
« M. Chardin, Conseiller, Trésorier de l'Académie, a fait part à la Compagnie de la grâce honorable que le Roy lui a faitte en lui accordant un logement aux Galeries du Louvre. La Compagnie a témoigné de l'intérest qu'elle prend à tous les avantages que son mérite et ses talents lui procurent. »
L'inventaire après décès des biens de Chardin révèle que cet appartement comportait quatre chambres, une salle à manger, une cuisine, un corridor, une cave et une soupente sous l'escalier.
Très occupé par ses fonctions de trésorier et par la responsabilité qui lui incombe de l'arrangement des tableaux pour le Salon de l'Académie (office dit de « tapissier » qui lui vaut des démêlés avec Oudry), Chardin se consacre à nouveau à la nature morte depuis 1748. Il expose toujours des peintures de genre, mais cesse d'en créer : ce sont, la plupart du temps, des œuvres antérieures ou des variantes.
Les natures mortes qu'il expose dans cette période sont assez différentes des premières. Les sujets en sont très variés : gibier, fruits, bouquets de fleurs, pots, bocaux, verres, etc. Chardin semble s'intéresser davantage aux volumes et à la composition qu'à un vérisme soucieux du détail, voire des effets de trompe-l'œil. Les couleurs sont moins empâtées. Il est plus attentif aux reflets, à la lumière : il travaille parfois à trois tableaux à la fois devant les mêmes objets, pour capter la lumière du matin, du milieu de journée et de l'après-midi.
Durant cette période le style de Chardin évolue :
« En un premier temps,l'artiste peint par larges touches qu'il dispose côte à côte sans les fondre entre elles (…) ; après avoir pendant quelques années, vers 1755-1757, multiplié et miniaturisé les objets qu'il éloigne du spectateur, tenté d'organiser des compositions plus ambitieuses, il accordera une place de plus en plus grande aux reflets, aux transparences, au « fondu »; de plus en plus ce sera l'effet d'ensemble qui préoccupera l'artiste, une vision synthétique qui fera surgir d'une pénombre mystérieuse objets et fruits, résumés dans leur permanence. »
Retenons La Table d'office, dit aussi Partie de dessert avec pâté, fruits, pot à oille8 et Huilier (38 × 46 cm, Paris, musée du Louvre). Chardin propose ici une composition horizontale dans laquelle il multiplie des couleurs et les formes géométriques. Au musée des beaux-arts de Carcassonne, se trouve une nature morte de même titre, mêmes dimensions, avec les mêmes objets.
Il peint aussi des compositions plus sobres, inscrites dans une figure ovale, avec des fruits, et où l'accent porte sur les reflets, les jeux complexes de la lumière. Par exemple, le Bocal d'abricots (Ovale 57 × 51 cm, Toronto, Art Gallery of Ontario), et le Melon entamé (Ovale 57 × 52 cm, Paris, collection particulière9.
Il faut rappeler enfin Le Bocal d'olives (7I × 98 cm, Paris, musée du Louvre) dont Diderot disait qu'il fallait commencer par le copier pour apprendre le métier de peintre. Mais le mieux est de laisser la parole au philosophe :
« C'est que ce vase de porcelaine est de la porcelaine; c'est que ces olives sont vraiment séparées de l'œil par l'eau dans laquelle elles nagent, c'est qu'il n'y a qu'à prendre ces biscuits et les manger, cette bigarade l'ouvrir et la presser, ce verre de vin et le boire, ces fruits et les peler, ce pâté et y mettre le couteau.
C'est celui-ci qui entend l'harmonie des couleurs et des reflets. Ô Chardin ! Ce n'est pas du blanc, du rouge, du noir que tu broies sur ta palette : c'est la substance même des objets, c'est l'air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau et que tu attaches sur la toile.
(…) On n'entend rien à cette magie. Ce sont des couches épaisses de couleur appliquées les unes aux autres et dont l'effet transpire de dessous en dessus. D'autres fois, on dirait que c'est une vapeur qu'on a soufflée sur la toile; ailleurs une écume légère qu'on y a jetée. Rubens, Berghem, Greuze, Loutherbourg vous expliqueraient ce faire bien mieux que moi; tous en feront sentir l'effet à vos yeux. Approchez-vous, tout se brouille, s'aplatit et disparaît; éloignez-vous, tout se crée et se reproduit.
(…) Ah ! Mon ami, crachez sur le rideau d'Apelle et sur les raisins de Zeuxis. On trompe sans peine un artiste impatient et les animaux sont mauvais juges en peinture. N'avons-nous pas vu les oiseaux du jardin du Roi se casser la tête contre la plus mauvaise des perspectives ? Mais c'est vous, c'est moi que Chardin trompera quand il voudra. »
En 1765, Chardin est reçu, à la suite d'un vote à l'unanimité, à l'Académie des Sciences, des Belles Lettres et des Arts de Rouen comme associé libre.
En 1769, les époux Chardin reçoivent une rente viagère annuelle de 2 000 livres exempte d'impôts – rente augmentée de 400 livres l'année suivante. Marigny lui avait déjà fait obtenir une pension de 200 livres par an pour ses responsabilités dans l'organisation du Salon du Louvre et l'accrochage des tableaux. « J'ai obtenu du Roy, pour vous, Monsieur, 200 livres par an en considération des soins et peines que vous prené lors de l'Exposition des tableaux du Louvre, Regardé ce petit avantage comme un témoignage du désir que j'ay de vous obliger. ».
En 1772 Chardin commence à être gravement malade. Il souffre probablement de ce que l'on appelait « la maladie de la pierre », c'est-à-dire de coliques néphrétiques. À cause de l'âge et de la maladie, le 30 juillet 1774, il démissionne de sa charge de trésorier de l'Académie.

Le temps des pastels

Il faut faire une place à part au pastel dans l'œuvre de Chardin. Cet art, déjà pratiqué par Léonard de Vinci et Hans Holbein[Lequel ?], prend son essor au xvie siècle, notamment avec les portraits de la famille royale par Quentin de La Tour (1704-1788). Peut-être est-ce lui qui a donné le goût de cette technique à Chardin, son ami.
En 1760, Quentin de La Tour avait fait, au pastel, un portrait de Chardin (Paris, musée du Louvre) qui l'avait offert à l'Académie à l'occasion de sa démission de la charge de trésorier.
« Le Secrétaire a ajouté que M. Chardin seroit flatté si l'Académie avoit agréable de lui permettre de placer en l'Académie son portrait peint au pastel par M. de la Tour (…). [L'Académie] a reçu le don de son portrait avec action de grâces, et Elle a prié M. le Moyne, ancien Directeur et M. Cochin, Secrétaire, d'aller chés M. Chardin, de la part de la Compagnie, lui réitérer ses remerciements »
— Procès verbal de la Séance du 30 juillet 1774
Le 7 janvier 1775, en présence de Chardin, ce portrait est accroché dans la salle des séances.
C'est au début des années 1770 que Chardin se consacre véritablement au pastel, ce qu'il explique notamment par des raisons de santé, dans une correspondance avec le comte d'Angivillier. Ce dernier est directeur et ordonnateur des Bâtiments du Roi depuis 1774. Les relations entre Chardin et lui sont extrêmement différentes de celles que le peintre entretenait avec le frère de Mme de Pompadour. Il est même possible de dire que Chardin doit faire face à un mépris teinté d'hostilité. Ainsi, lorsqu'en 1778, il exprime auprès de d'Angivillier son désir de percevoir les honoraires jadis affectés à sa charge de trésorier de l'Académie, il se heurte au dédain du comte.
Chardin est à la fois conscient de la haute maîtrise dont témoigne son art, et du peu d'estime que l'on accorde aux peintres de nature morte :
« Si j'osais, en finissant, Monsieur le Comte après avoir parlé des intérêts du Trésorier, stipuler aussi ceux du peintre, je prendrois la liberté d'observer au Protecteur des Arts que cette faveur rejailliroit en même tems sur un artiste qui se plaît à convenir à la vérité que dans le courant de ses travaux, les bienfaits de sa Majesté l'ont aidé à soutenir la peinture avec honneur, mais qui a malheureusement éprouvé que les études longues et opiniâtres qu'exige la nature, ne le conduisoient point à la fortune. Si cette capricieuse m'a refusé ses faveurs, Elle n'a pu me décourager, ni m'enlever l'agrément du travail. Mes infirmités m'ont empêché de continuer à peindre à l'huile, je me suis rejeté sur le pastel qui m'a fait recueillir encore quelques fleurs, si j'ose m'en rapporter à l'indulgence du public. Vous même, Monsieur le Comte, avez paru m'accorder votre suffrage aux précédens Salons, avant que vous en fussiez le premier ordonnateur et vous m'avez encouragé dans cette carrière dans laquelle je me suis montré plus de 40 années. »
— Lettre du 28 juin 1778, fautivement datée par Chardin du 21 juin.
Dans sa réponse, d'Angivillier fait remarquer que Chardin percevait une somme déjà plus importante que les autres « officiers » (ceux qui ont un office, c'est-à-dire une charge, un emploi) dans le cadre de l'Académie. Mais surtout il reprend à son compte l'idée, qui n'avait presque plus cours chez les véritables amateurs d'art, que la peinture de natures mortes demande moins d'études et de travail que la peinture d'Histoire. En conséquence, il considère que ce fut une erreur de rémunérer aussi largement Chardin, qui devrait s'estimer bien heureux que le roi lui ait attribué un logement.
« Si vos ouvrages prouvent les soins qui vous ont mérité une réputation dans un genre, vous dévés sentir que l'on doit la même justice à vos confrères, et vous devés convenir qu'à travail égal vos études n'ont jamais comporté les frais aussi dispendieux ny des pertes de temps aussi considérables que celles de MM. Vos confrères qui ont suivi les grands genres. L'on peut même leur savoir gré du désintéressement, car si leurs prétentions se montoient en raison de leur fatigue, l'administration ne seroit pas en mesure de les satisfaire. »
Lettre du 21 juillet 1778.
À aucun moment d'Angivillier ne suppose que l'absence de revendications de la part des autres membres de l'Académie puisse être simplement due à une reconnaissance du génie de Chardin dont les œuvres transcendant l'archaïque classement en « genres ».
À sa mort, Madame de Pompadour avait, en quelque sorte, légué Boucher 1703-1770 à Louis XV qui en fit son Premier peintre en 1765 et le nomma directeur de l'Académie. Les attaques d'un Diderot, que sa morale bourgeoise frappe parfois de cécité esthétique, n'y font rien : Boucher est un grand peintre. Mais à la mort du « favori de la favorite », les tenants de la peinture d'histoire se déchaînent. Charles Nicolas Cochin le jeune11 (1715-1790), grand ami de Chardin et jadis protégé de Marigny, en sera la victime : forcé de démissionner de sa place de secrétaire de l'Académie, il est remplacé par Jean-Baptiste Marie Pierre (1714-1789), nouveau Premier peintre du Roi.
Soutenue par d'Angevillier et Pierre qui tous deux méprisent Chardin – qui le leur rend bien plus encore – la peinture de grand genre se tourne alors vers le néo-classicisme.
C'est dans ce contexte, et malgré ses ennemis, que Chardin s'impose auprès des amateurs par ses pastels, ultimes joyaux de son art. Aux Salons de 1771, 1773, 1775, 1777, 1779 il expose des autoportraits, des portraits de sa femme, des têtes de vieillards, des têtes d'enfants, des têtes d'expression12, et une copie de Rembrandt.
Chardin connaît le succès avec ces dessins dans lesquels il fait preuve de bien plus de maîtrise que dans ses quelques portraits à l'huile. « C'est un genre auquel on ne l'avait point vu encore s'exercer, et que, dans ses coups d'essais, il porte au plus haut degré », écrit un critique dans l'Année littéraire, en 1771.
Déjà les connaisseurs avaient remarqué que, dans ses peintures à l'huile, l'artiste juxtaposait les pigments plutôt qu'il ne les mélangeait sur la palette.
Ainsi, l'abbé Guillaume-Thomas-François Raynal (1713-1796, dans sa Correspondance littéraire, écrit en 1750 : « Il place ses couleurs l'une après l'autre sans pres­que les mêler de sorte que son ouvrage ressemble un peu à la mosaïque de pièces de rapport, comme la tapisserie faite à l'aiguille qu'on appelle point carré. »
Le pastel permet à Chardin d'approfondir cette technique. Quant aux couleurs, elles s'imposent à l'artiste dans leur relation.
En effet, le problème n'est pas de savoir s'il y a du bleu ou du vert sur tel visage réel, mais s'il en faut dans le portrait. Un demi-siècle avant que les théories d'Eugène Chevreul (1786-1899) n'influencent les impressionnistes, il développe dans ses pastels l'art du mélange optique des teintes, et de la touche hachurée qui accroche la lumière. Par-dessus ses bésicles, dans son Autoportrait de 1771 (Paris, musée du Louvre), le doux et malicieux regard du « Bonhomme Chardin » invite l'amateur, non pas à scruter l'âme du peintre, mais à revenir sur l'œuvre même, pour observer, étudier sans cesse les audaces picturales qui confèrent une vie fascinante à son visage.
« Des trois couleurs primitives se forment les trois binaires13. Si au ton binaire vous ajoutez le ton primitif qui lui est opposé, vous l'annihilez, c'est-à-dire vous en produisez la demi-teinte nécessaire. (…) De là, les ombres vertes dans le rouge. La tête des deux petits paysans. Celui qui était jaune avait des ombres violettes; celui qui était le plus sanguin et le plus rouge, des ombres vertes. »
Chardin aurait pu écrire, s'il avait été théoricien, ces notes extraites des Carnets de voyage au Maroc de Delacroix (1832)… comme il aurait pu lui aussi déclarer que « l'ennemi de toute peinture est le gris ».
Louis XV meurt en 1774, mais depuis dix ans déjà, Mme de Pompadour n'était plus à ses côtés pour orienter ses goûts. Cette même année, d'Angivillier, dont on a vu le peu d'estime qu'il avait pour Chardin, succède au frère de la favorite, protectrice des arts et des lettres. Le peintre souffre finalement assez peu de ces changements, et de toute façon, ses détracteurs ne parviennent pas à entraîner une désaffection du public cultivé.
Ainsi, au Salon du Louvre du 25 août 1779, Chardin expose ses derniers pastels. Mesdames – ainsi nommait-on les filles de Louis XV – connaissaient et appréciaient Chardin : pour leur demeure de Bellevue, il avait peint en 1761 deux dessus de portes, Les Instruments de la musique guerrière, et Les Instruments de la musique civile. L'une d'elles, Mme Victoire, se laisse tenter par un portrait de Jacquet (c'est-à-dire de jeune laquais):
« On a beaucoup parlé de la richesse du dernier salon. La reine14 et toute la famille royale voulurent le voir et en marquèrent leur satisfaction. Un des morceaux qui fit le plus de plaisir à Mme Victoire, dont le suffrage éclairé fait l'ambition des meilleurs artistes, fut un petit tableau de M. Chardin représentant un petit Jacquet. Elle fut si frappée de la vérité de cette figure que dès le lendemain, cette princesse envoya au peintre, par M. le comte d'Affry, une boîte en or, comme un témoignage du cas qu'elle faisait de ses talents. »

Un art médité

Une comparaison avec l'art de Vermeer s'impose ici. Mais, tandis que le métier aigu et lisse du maître de Delft ne se laisse point pénétrer ou ne se livre qu'au travers d'une lumière toute d'irréalité et de distante discrétion, l'art de Chardin garde une humaine présence qui nous touche plus directement.
Tout tient d'abord à un métier des plus nouveaux pour l'époque. Rembrandt est là, lui aussi, avec sa touche grasse et somptueuse, et cette qualité des blancs et des oppositions de lumière que seul peut-être jusqu'alors, parmi les Français, Louis Le Nain avait su maîtriser.
Les natures mortes flamandes, celles de Pieter Claesz et de Willem Heda en particulier, baroques et descriptives par la qualité sans mystère de tous les détails minutieux de la vie d'une époque qu'elles nous livrent, n'ont, en effet, pas plus que les intérieurs « léchés » peints par Mieris ou Gérard Dou, la retenue, la science de composition que nous trouvons dans les œuvres de Chardin. Aussi bien un verre peint par Heda n'est-il qu'un objet fragile fait pour y boire. Mais le moindre gobelet, la moindre bouteille vus par Chardin ont, comme plus tard les pommes de Cézanne, la consistance des choses qui ne meurent pas, parce que l'esprit et la main de l'artiste sont allés au-delà de la simple apparence.
Chardin ne doit pas davantage à la somptuosité d'un Snyders ou d'un Largillière, d'âme flamande lui aussi. Cet amoncellement de viandes et de fruits, de bêtes écorchées et d'ustensiles épars qui saturent la toile dans un foisonnement de couleurs lui sont résolument étrangers. Ce que son art médité peut avoir de savoureux se condense entièrement en une matière précieuse où le lyrisme est présent, mais contenu par une exigence d'ordre, de composition, de sobriété qui confère à l'émotion première une indéfinissable résonance. Et cet équilibre parfait entre la sensation des choses et leur mise en harmonie, ce dépassement de deux mouvements contraires de l'esprit, auquel on ne peut atteindre que par l'exigence la plus élevée, est sans doute le trait qui permet de définir non seulement Chardin, mais tous les grands maîtres de la peinture européenne depuis cinq cents ans.

Le métier

La manière de Chardin, son goût pour la vérité simple ne pouvaient que surprendre ses contemporains épris du maniérisme aristocratique et factice que dispensaient alors Boucher, Lancret, Pater et, avec eux, tous les petits maîtres du XVIIIe siècle.
Mariette lui-même, grand amateur de dessin, a peine à comprendre que Chardin dessine peu et il tient pour un défaut d'imagination que « monsieur Chardin [soit] obligé d'avoir continuellement sous les yeux l'objet qu'il se propose d'imiter... » Car, pour les hommes du temps, voir et imiter, c'est tout un « quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux », écrivait déjà Pascal). Aussi ne leur vient-il point à l'idée qu'on puisse aller plus loin par le regard qui observe et recréée que par le don, commun aux peintres officiels, d'imaginer dans le seul respect des conventions établies.
Et la technique de Chardin étonne, autant que son goût du vrai, ceux mêmes qui l'admirent. « La manière de peindre de Chardin est singulière », écrit Bachaumont. « Il place ses couleurs l'une après l'autre, sans presque les mêler de façon que son ouvrage ressemble un peu à de la mosaïque. »
Habitués à la technique vernissée du XVIIIe siècle, les amateurs d'alors comprenaient mal qu'un tableau, peu lisible de près, pût à distance si parfaitement se composer, ni qu'à une manière, apparemment respectueuse des traditions, répondit une technique aussi nouvelle.
Ce que Chardin veut exprimer n'a plus rien à voir, en effet, avec la classique opposition des Hollandais entre l'ombre et la lumière. Séparant ses touches, il obtient par des procédés qui lui sont propres, le fondu parfait de l'œuvre terminée et s'efforce, comme dans Le Gobelet d'argent du Louvre, d'animer chaque objet, chaque moment, de la lumière et de la teinte de tout ce qui l'entoure. Les innovations techniques de Chardin touchent notre sensibilité ; car ce que l'on aime aujourd'hui à découvrir dans une œuvre, c'est le « faire » d'un peintre, c'est la présence sensuelle, spontanée et vécue de la touche, alors que la vieille tradition académique du métier parfait, exigeait encore, au temps de Louis XV, pour qu'une œuvre fût tenue pour achevée, que la trame de son exécution ne fût jamais apparente.
C'est pourtant à ce métier même qu'un contemporain qualifiait de « brut » et de « raboteux » que Chardin doit aujourd'hui, par notre admiration, d'être toujours présent.

La composition picturale

Chardin n'obtient la simplicité poétique de ses mises en page que par la plus extrême justesse dans la disposition des objets et des lignes. Ce n'est d'ailleurs pas sans raison que Braque portait une particulière dilection à la nature morte Pipe et vase à boire, et que Malraux compare La Pourvoyeuse à « un Braque génial ».
La Pourvoyeuse, comme toute composition de Chardin, est pyramidale. Au centre du tableau, la tache lumineuse, doucement inclinée vers la droite, de la Pourvoyeuse, fixe le regard. Mais la vie même de l'œuvre, la parfaite insertion d'une silhouette dans une surface plane ne pouvaient naître que du contraste des lignes et de la répartition subtile des zones de clarté et d'ombre.
Il fallait, pour y parvenir, aménager le fond du tableau et faire vivre le premier plan. Une porte s'ouvre donc à gauche, dont les contours nets et droits s'opposent aux obliques de la figure centrale. L'espace qu'elle délimite est l'occasion, pour Chardin, de créer une seconde zone de lumière qu'il peuple d'objets familiers – chaudron, fontaine de cuivre – et qu'il anime d'une fine silhouette de femme, si bien que ce rectangle clair apparaît, au sein même de l'œuvre, comme un second tableau plus dense qui vient s'inscrire dans l'espace du premier, le répéter à moindre échelle, l'animer et lui donner sa profondeur.
Du linge que tient la Pourvoyeuse pointe l'os d'un gigot : la géométrie de l'embrasure de la porte en est atténuée, et l'indispensable passage, le trait d'union entre les zones de lumière, que sépare un mur d'ombre, est créé. L'oblique du bahut, compense, à droite, l'inclinaison du sol : le déhanchement de la femme lourdement chargée de victuailles s'en trouve accentué. L'écuelle de terre, enfin, vient, où il le faut, interrompre la nudité du sol et les deux bouteilles noires – l'une renversée pour mieux occuper le bas du tableau – apportent à l'œuvre la note fondamentale qui lui confère sa profondeur, sa gravité, en faisant jouer sa lumière.
Ainsi, nul hasard dans l'art de Chardin. Une volonté consciente et discrète choisit le motif et en assure l'ordonnancement. Et l'univers clos et intime où se complait l'artiste, comme s'il peignait à l'écart du monde, achève de donner à son œuvre une tonalité d'absolu.
Peut-être notre goût pour les formes abstraites, élaboré à l'école de Juan Gris, de Braque, de Staël et de Morandi, nous porte-t-il aujourd'hui vers les tableaux d'objets, plus que vers les scènes familiales peintes par Chardin. Peut-être aussi la manière déclamatoire d'un Greuze et, plus tard, les paysanneries symboliques d'un Millet nous sont-elles, parce qu'œuvres anecdotiques et littéraires, une gêne quand nous voulons apprécier la qualité du Bénédicité, de La Toilette du matin, de La Blanchisseuse, ou de La Pourvoyeuse elle-même.
Et, en ce XVIIIe siècle qui redécouvre l'art des maîtres flamands et hollandais, longtemps proscrits de la cour de Louis XIV, la secrète originalité de Chardin n'est-elle pas flagrante, plus immédiatement saisissable dans Les Apprêts du déjeuner, ou dans tel Bouquet de fleurs du musée d'Édimbourg que dans les tableaux de vie familiale où s'exprime une autre forme de sensibilité plus dépendante d'un temps et de la tradition qui l'a préparé ?
Chardin connut les succès d'une honnête carrière, non l'engouement et les faveurs de la Cour. Il n'y prétendait d'ailleurs pas et ne reçut jamais d'elle que quelques commandes de dessus-de-porte pour Choisy et Bellevue (les attributs des arts, de la musique et des sciences) et les prérogatives et pensions attachées à sa fonction d'académicien.
Autre est sa clientèle, d'autres sources les suffrages qu'il obtint lors de tous les Salons auxquels il participa. L'estime de ses confrères qui marqua ses débuts lui fut toujours acquise. La constante amitié de Cochin, secrétaire de l'Académie, celle de l'amateur La Live de Jully, les éloges répétés de la critique et surtout de Diderot suffirent à entourer Chardin d'un climat d'intelligente compréhension. Résolument en marge des faux brillants d'une société finissante, recherchant avec une passion tenace la vérité des choses, Chardin, comme l'écrit René Huyghe, « comprit qu'il n'est d'œuvre valable que si le point d'arrivée est la peinture ». La quasi-disgrâce que lui valut, dans ses dernières années, le dédain du surintendant d'Angiviller et l'emprise croissante du néo-classicisme n'entamèrent en lui ni la bonhomie du peintre ni les certitudes qu'il s'était lentement acquises.
Cette quête du sentiment, quand son regard commence à se lasser, il la tourne vers lui-même et nous laisse, peu avant sa mort, deux admirables autoportraits au pastel qui sont comme la signature de sa vie.
« Simplificateur doucement impérieux », écrit Malraux, Chardin n'a pas fini de nous conduire à la poésie et à la réalité des choses, car son œuvre est hors du temps, et « rien ne peut lui être opposé en France, de Watteau à la Révolution ». Philippe Levantal
— Nécrologe des Hommes Célèbres, t. XV, 178015
Sans doute Mme Victoire a-t-elle voulu acheter le pastel; Chardin le lui a offert, et le lendemain elle lui a fait parvenir une tabatière en or.
Le 6 décembre 1779, à 9 heures du matin, meurt Jean Siméon Chardin dans son appartement des galeries du Louvre, à Paris
Par l'inventaire après décès, nous savons que le ménage Chardin était à l'aise. Toutefois, Madame Chardin demande une part de réversion des rentes de son mari. On ne peut, cette fois, reprocher à d'Angivillier son refus :
« Mais quoiqu'il y ait eu, en effet, quelques exemples de veuves d'artistes qui ont obtenu des pensions après la mort de leurs maris, je trouve que c'étoient des ou des veuves d'artistes qui étoient morts spécialement au service du roy, ou quelques-unes qui, par la suite de la mort de leur mari, restoient dans un état de détresse telle que l'honneur des arts de l'Académie exigeoit en quelque sorte que l'on vint à leur secours. M. Chardin s'est fait une réputation méritée et dans le public et dans l'Académie, mais n'a pas eu le premier avantage, parce que la nature de son talent, quoique éminent, ne le comportoit pas. Je suis assuré que le second cas ne vous est pas applicable, et votre délicatese refuseroit sûrement un bienfait du roi à ce titre. »
— Documement des Archives nationales datant de 1779
Madame Chardin se retire chez un membre de sa famille. Elle meurt le 15 mai 1791.

La diffusion des œuvres : gravures et poèmes

Avant le xixe siècle et en dehors des expositions et Salons qui, de toute façon, ne duraient guère, peu de personnes pouvaient contempler des tableaux, hormis dans les lieux de culte. La gravure, mode de reproduction autant que certes moyen d'expression pour de grands artistes, comme Rembrandt, fut également un mode de reproduction et diffusion d'une extrême importance depuis la fin du xive siècle jusqu'à l'invention de la photographie en 1839 par Daguerre.

Au xviiie siècle particulièrement, les collectionneurs se plaisaient à faire reproduire ainsi les œuvres de leurs collections particulières. Les tableaux de Jean-Baptiste Greuze et de Chardin les peintures de genre sont sans doute ceux qui, en ce siècle, ont donné lieu au plus grand nombre de gravures. Mariette en témoigne dans son Abécédario : « Les estampes qu'on a gravées d'après les tableaux de M. Chardin (…) sont devenues des estampes à la mode (…). Le gros public revoit avec plaisir des actions qui se passent journellement sous ses yeux dans son ménage. » Souvent une brève légende en vers accompagne l'image. En voici quelques exemples :

Une Femme occupée à cacheter une lettre, gravé par Étienne Fessard.
Une femme occupée à cacheter une lettre16, gravé par Étienne Fessard (1714-1777) :
« Hâte-toi, Frontain : vois ta jeune Maîtresse,
Sa tendre impatience éclate dans ses yeux ;
Il lui tarde déjà que l'objet de ses Vœux
Ait reçu ce Billet, gage de sa tendresse.
Ah ! Frontain, pour agir avec cette lenteur
Jamais le Dieu d'Amour n'a donc touché ton cœur. »

Les Bouteilles de savon, gravé par Pierre Filloeul (1696-après 1754) :
« Contemple bien Garçon
Ces petits globes de Savon :
Leur mouvement si variable
Et leur éclat si peu durable
Te feront dire avec raison,
Qu'en cela mainte Iris leur est assez semblable. »

Une Dame qui prend du thé
gravé par Pierre Filloeul.
Une Dame qui prend du thé18, gravé par Pierre Filloeul :
« Que le jeune Damis seroit heureux, Climène,
Si cette bouillante liqueur,
Pouvoit échauffer votre cœur,
Et si le sucre avait la vertu souveraine
D'adoucir ce qu'en votre humeur
Cet amant trouve de rigueur. »

Le Château de cartes ou Le Fils de M. Le Noir s'amusant à faire un château de cartes19, gravé par Pierre Filloeul :
« Vous vous moquez à tort de cet adolescent
Et de son humble ouvrage
Prest à tomber au premier vent
Barbons dans l'âge même où l'on doit être sage
Souvent il sort de nos serveaux (sic)
De plus ridicules châteaux. »

Et parfois, le graveur lui-même est l'auteur de l'épigramme. Ainsi de la gravure d'après ce même tableau, par François-Bernard Lépicié (1698-1755) :
« Aimable Enfant que le plaisir décide,
Nous badinons de vos frêles travaux :
Mais entre nous, quel est le plus solide
De nos projets ou bien de vos châteaux. »

La fortune critique

La Fillette au volant 1741, Florence, Galerie des Offices.
Le lien avec le rôle des estampes se fait tout naturellement sitôt que l'on sait que la sortie de chaque nouvelle gravure d'après un tableau de Chardin est la source d'un commentaire, généralement élogieux, dans le Mercure de France. Toutefois, ce n'est pas dans ce périodique qu'il convient de puiser quelques critiques.
La Font de Saint-Yenne 1688-1776,
Réflexions sur quelques causes de l'État présent de la Peinture en France, 1747 :
« J'aurais dû parler du Sieur Chardin dans le rang des peintres compositeurs et originaux. On admire dans celui-ci le talent de rendre avec un vrai qui lui est propre et singulièrement naïf, certains moments dans les actions de la vie nullement intéressants, qui ne méritent par eux-mêmes aucune atten­tion, et dont quelques-uns n'étaient dignes ni du choix de l'auteur ni des beautés qu'on y admire: ils lui ont fait cepen­dant une réputation jusque dans le pays étranger. Le public avide de ses tableaux, et l'auteur ne peignant que pour son amusement et par conséquent très peu, a recherché avec empressement pour s'en dédommager les estampes gravées d'après ses ouvrages. Les deux portraits au Salon, grands comme nature, sont les premiers que j'ai vus de sa façon. Quoi qu'ils soient très bien, et qu'ils promettent encore mieux, si l'auteur en faisait son occupation, le public serait au désespoir de lui voir abandonner, et même négliger un talent original et un pinceau inventeur pour se livrer par complaisance à un genre devenu trop vulgaire et sans l'aiguillon du besoin. »
Anonyme, « Éloge historique de M. Chardin »,
dans Le nécrologue des Hommes illustres, 1780 :

« Son premier maître fut la nature : il avait porté en naissant l'intelligence du clair-obscur, et il s'attacha de bonne heure à perfectionner ce talent si rare, persuadé que c'est la couleur qui fait tout le charme de l'imitation, et qui donne à la chose imitée un prix qu'elle n'a pas souvent dans la réalité. Cette exactitude l'empêcha sans doute de s'élever au genre de l'Histoire, qui exige plus de connaissances, une imagination plus vaste, plus d'effort, de génie, et plus de détails que tous les autres genres, ou, pour mieux dire, qui les réunit tous. Il se borna à un seul, préférant d'être le premier dans un genre inférieur, que d'être confondu dans la foule des Peintres mé­diocres dans un genre plus élevé ; aussi sera-t-il toujours re­gardé comme un des plus grands Coloristes de l'École Fran­çaise. »
Charles Nicolas Cochin, 1715-1790,
Essai sur la vie de M. Chardin, 1780 :

« Ces tableaux lui coûtaient beaucoup de temps, parce qu'il ne se contentait pas d'une imitation prochaine de la nature, qu'il y voulait la plus grande vérité dans les tons et dans les effets. C'est pourquoi il les repeignait jusqu'à ce qu'il fut parvenu à cette rupture de tons que produit l'éloignement de l'objet et les renvois de tous ceux qui l'environnent, et qu'enfin il eût obtenu cet accord magique qui l'a si supérieurement distin­gué. (…) Aussi, quoiqu'en général son pinceau fût peu agréable et en quelque sorte raboteux, il était bien peu de tableaux qui pussent se soutenir à côté des siens, et l'on disait de lui, comme de M. Restout le père, que c'était un dangereux voisin. Ses tableaux avaient, de plus, un mérite fort rare: c'était la vérité et la naïveté, soit des attitudes, soit des compositions. Rien n'y paraissait amené exprès ni pour grouper ni pour produire de l'effet ; et cependant toutes ces conditions étaient remplies avec un art d'autant plus admirable qu'il était plus caché. Indépendamment du vrai et de la force du coloris, cette sim­plicité si naturelle charmait tout le monde. En général, le public est peu touché des efforts de génie qu'on fait pour trouver des effets et des tournures qu'on nomme pittoresques. À la vérité, elles ont quelquefois un vrai mérite ; mais trop souvent elles s'écartent de la nature et manquent par là l'im­pression qu'on s'était proposé qu'elles fissent. C'est la vérité et le naturel que le plus grand nombre cherche principalement: aussi M. Chardin eut-il les plus grands succès dans toutes les expositions. »
Edmond et Jules de Goncourt, « Chardin »,
dans Gazette des Beaux-Arts, 1864 :

« Chez lui, point d'arrangement ni de convention : il n'admet pas le pré­jugé des couleurs amies ou ennemies. Il ose, comme la nature même, les couleurs les plus contraires. Et cela sans les mêler, sans les fondre : il les pose à côté l'une de l'autre, il les oppose dans leur franchise. Mais s'il ne mêle pas ses couleurs, il les lie, les assemble, les corrige, les caresse avec un travail systémati­que de reflets, qui, tout en laissant la franchise à ses tons posés, semble envelopper chaque chose de la teinte et de la lumière de tout ce qui l'avoisine. Sur un objet peint de n'importe quelle couleur, il met toujours quelque ton, quelque lueur vive des objets environnants. À bien regarder, il y a du rouge dans ce verre d'eau, du rouge dans ce tablier bleu, du bleu dans ce linge blanc. C'est de là, de ces rappels, de ces échos continus, que se lève à distance l'harmonie de tout ce qu'il peint, non la pauvre harmonie misérablement tirée de la fonte des tons, mais cette grande harmonie des consonances, qui ne coule que de la main des maîtres. »
Marcel Proust, Chardin et Rembrandt , écrit en 1895 et
publié en premier dans Le Figaro Littéraire :

« Si je connaissais ce jeune homme, je ne le détournerais pas d'aller au Louvre et je l'y accompagnerais plutôt ; mais le menant dans la galerie Lacaze et dans la galerie des peintres français du xviiie siècle, ou dans telle autre galerie fran­çaise, je l'arrêterais devant les Chardin. Et quand il serait ébloui de cette peinture opulente de ce qu'il appelait la médio­crité, de cette peinture savoureuse d'une vie qu'il trouvait insipide, de ce grand art d'une nature qu'il croyait mesquine, je lui dirais : Vous êtes heureux ? Pourtant qu'avez-vous vu là? qu'une bourgeoise aisée montrant à sa fille les fautes qu'elle a faites dans sa tapisserie (La mère laborieuse), une femme qui porte des pains (la Pourvoyeuse), un intérieur de cuisine où un chat vivant marche sur des huîtres, tandis qu'une raie morte pend aux murs, un buffet déjà à demi dégarni avec des cou­teaux qui traînent sur la nappe (Fruits et Animaux), moins encore, des objets de table ou de cuisine, non pas seulement ceux qui sont jolis, comme des chocolatières en porcelaine de Saxe (Ustensiles variés), mais ceux qui vous semblent le plus laids, un couvercle reluisant, les pots de toute forme et toute matière (la Salière, l'Écumoire), les spectacles qui vous répugnent, poissons morts qui traînent sur la table (dans le tableau de la Raie), et les spectacles qui vous écœurent, des verres à demi vidés et trop de verres pleins (Fruits et Animaux). Si tout cela vous semble maintenant beau à voir, c'est que Chardin l'a trouvé beau à peindre. Et il l'a trouvé beau à peindre parce qu'il le trouvait beau à voir. »
Maurice Denis 1870-1943, « Cézanne »,
dans l'Occident, no 70, septembre 1907, p. 131 :

« L'aspect caractéristique des tableaux de Cézanne vient de cette juxtaposition, de cette mosaïque de tons séparés et légè­rement fondus l'un dans l'autre « Peindre, disait-il, c'est en­registrer ses sensations colorées. » Telles étaient les exigences de son œil qu'il lui fallait recourir à ce raffinement de technique pour conserver la qualité, la saveur de ses sensations, et contenter son besoin d'harmonie… Les fruits de Cézanne, ses figures inachevées sont le meilleur exemple de cette méthode de travail, renouvelée peut être de Chardin: quelques touches carrées en indiquent par de doux voisinages de teintes la forme arrondie ; le contour ne vient qu'à la fin, comme un accent rageur, un trait à l'essence, qui souligne et isole la forme déjà rendue sensible par le dégradé de la couleur. »
Élie Faure 1873-1937, Histoire de l'Art,
Art Moderne, IV, 1921, p. 226­-227 :

« Toute la splendeur est dans la volupté exclusive de peindre que jamais, Vermeer de Delft à part, sans doute, nul ne posséda à ce degré. Le bon peintre Chardin fait sa tâche avec amour, comme un bon menuisier, un bon maçon, un bon tourneur, un bon ouvrier qui a fini par aimer la matière qu'il travaille et l'outil qui le tire de l'uniforme ennui et l'élève à la dignité de connaître ses moyens. Il n'y a pas plus d'amour dans le bras nu sortant de la manche échancrée que dans la serviette qu'il tient et le gigot qui la remplit et pèse à la main rose et grasse. C'est avec la même attention qu'il a peint la petite fille appliquée à bien dire le Bénédicité pour avoir plus vite sa soupe, la maman qui va la servir et s'amuse à la regarder, et les harmonies bourgeoises qui les entourent l'une et l'autre, les tabliers, les robes de laine, la raie bleue courant sur la nappe, la soupière, les meubles de chêne verni, l'ombre rôdante et caressante. Il sait que tout cela s'accorde, que la vie des objets dépend de la vie morale des êtres, que la vie morale des êtres reçoit le reflet des objets. Tout ce qui est a droit à son tendre respect. Il est avec Watteau, en France, le seul peintre religieux de ce siècle sans religion. »
André Malraux 1901-1976, Les Voix du silence, Paris, 1951 :

« L'humilité de Chardin implique moins une soumission au modèle qu'une destruction secrète de celui-ci au bénéfice de son tableau. Il disait qu'« on fait de la peinture avec des sentiments, non avec des couleurs » ; mais avec ses sentiments il faisait des pêches. L'enfant du Dessina­teur n'est pas plus attendrissant que la nature morte au pichet, et l'admirable bleu du tapis sur lequel il joue n'est pas très soumis au réel : la Pourvoyeuse est un Braque génial, mais tout juste assez habillé pour tromper le spectateur… Chardin n'est pas un petit maître du xviiie siècle plus délicat que ses rivaux, c'est, comme Corot, un simplificateur doucement impé­rieux. Sa maîtrise silencieuse détruit la nature morte baroque des Hollandais, fait de ses contemporains des décorateurs, et rien ne peut lui être opposé en France, de la mort de Watteau à la Révolution… »

René Demoris, «La Nature morte chez Chardin, :

« Fréquemment, la nature morte hollandaise surprend les objets, dans l'ordre où l'homme, pour son usage, les a disposés. Elle tend en somme à constituer une scène de genre dont l'homme est provisoirement absent (…). Latente encore chez les Hollandais, la présence humaine est résolument expulsée chez Chardin. (On saisit mieux pour­quoi il se débarrasse si vite du chien et du chat, qui constituent un élément anecdotique et parasite.)
(…) Si les personnages sont bien représentés dans une action, cela ne veut pas dire en mouvement: ils sont saisis dans un temps mort de cette action, qui les met en position de repos. Pour le déjeuner, c'est l'instant du Bénédicité ; pour la sortie de l'en­fant, celui où la gouvernante jette sur lui un dernier regard. De même, la servante immobile et courbée tient une cruche sous la fontaine. Mieux encore, le garçon cabaretier et la servante qui nettoient poêle ou tonneau ont relevé la tête et regardent quelque chose qui doit être hors du tableau. L'instant où est présentée la pourvoyeuse, c'est celui où, ayant déposé le pain sur le buffet et son sac encore à la main, elle semble reprendre son souffle. Suspension encore plus nette dans le cas des enfants qui construisent des châteaux de cartes et semblent retenir geste et souffle pour ne pas les ébranler, ou de celui qui est fasciné par son toton.
(…) Chez les mères ou les gouvernantes qui regardent des enfants, le regard est attentif, mais sans fonction précise: on peut mettre tout ce qu'on veut dans le regard de la Jeune Gouvernante de la National Gallery ou dans celui de la Mère du Bénédicité. Il semble que, l'enfant cessant de requérir l'attention, l'adulte, prenant sur lui un léger recul, le regarde pour rien, pour le regarder – et c'est peut-être sur cette plage d'attention sans but précis que pourrait se définir le senti­ment, dans ce moment de temps perdu, où l'être, objet de l'activité, est regardé pour lui-même, hors de toute exigence pratique. Ce temps mort, que rien n'habite (car nous ne savons ce que regarde la servante, et le visage de la mère n'exprime rien), n'est pas soumis au temps que découpe l'ac­tivité entreprise : il donne donc le sentiment d'une durée indé­finie, nous montrant des personnages à la fois engagés dans une action et détachés d'elle. »

Collectionneurs célèbres du XVIIIe siècle

Frédéric II de Prusse
Louis XV par Quentin de La Tour.
L'œuvre de Chardin a été largement diffusée de son vivant auprès de nombreux collectionneurs. La liste des différents propriétaires de ses tableaux, très loin d'être exhaustive, n'est ici présente que pour donner un aperçu de la très haute estime dans laquelle Chardin était tenu par ses contemporains.

Les princes

Louise Ulrique de Prusse, reine de Suède 1720-1782, sœur du roi de Suède Adolphe Frédéric : au moins 10 tableaux. N.B. Les ambassadeurs de Suède ont apporté beaucoup d'informations sur les méthodes de travail de Chardin.
Louis XV 1710-1774 : 3 tableaux et 5 dessus de porte.
Caroline-Louise de Hesse-Darmstadt 1723-1783, margravine de Bade. Elle possédait 5 tableaux de Chardin (dont 4 se trouvent encore au musée de Karlsruhe.
Catherine II de Russie 1729-1796 possédait 5 tableaux.
Frédéric II de Prusse, 1712-1786 : 3 tableaux.
Prince Joseph Wenzel de Liechtenstein 1696-1772, ambassadeur d'Autriche à Paris : 10 œuvres, dont 3 pastels.
La noblesse
Pierre-Louis Éveillard, marquis de Livois 1736-1790 : 10 œuvres 3 sont au musée des beaux-arts d'Angers, et 2 au Louvre.
Chevalier Antoine de Laroque (1672-1744) : 10 tableaux à la vente après décès.
Les artistes
Joseph Aved 1702-1766, peintre et ami de Chardin. Ce dernier fit son portrait. Il possédait au moins 9 tableaux de Chardin, uniquement des natures mortes. Il en vendit 2 à la margravine Caroline Louise.
Jean-Baptiste Pigalle 1714-1785, sculpteur : au moins 6 tableaux.
Jacques-Augustin de Sylvestre 1719-1809, graveur : au moins 16 tableaux.
Dominique Vivant, baron Denon, dit Vivant Denon 1747-1825, graveur et directeur du Musée Napoléon : 2 tableaux.
Jean-Baptiste Marie Pierre (1714-1789), peintre : un tableau représentant une poularde et un coquemard.

Philatélie

En 1946, émission d'un timbre de 2 francs et surtaxe de 3 francs au profit de L'Adresse Musée de La Poste, rouge-brun, représentant Le cachet de cire, ce timbre a fait l'objet d'une vente anticipée à Paris au Salon de la Philatélie le 25 mai 1946. Il porte le n° YT 753
En 1956, un timbre de la série Célébrités du XVème au XXème siècle, vert, de 15 francs avec surtaxe de 5 francs est émis par la poste. Il figure la reproduction d'un autoportrait. Il est vendu en 1er jour à Paris le 9 juin. Il porte le n° YT 1069.
En 1997, dans la série artistique, la poste émet un timbre multicolore de 6,70 francs représentant le tableau Raisins et Grenades. La vente anticipée 1er jour a eu lieu à Paris le 27 septembre. Il porte le n° YT 310521.



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Posté le : 05/12/2015 16:26
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Peter Handke
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Le 6 décembre 1942 naît Peter Handke à Griffen

en Carinthie, écrivain, auteur dramatique, scénariste, réalisateur et traducteur autrichien.
Poète, essayiste, romancier, auteur de théâtre, cinéaste, Peter Handke est l'une des personnalités les plus en vue de la littérature autrichienne actuelle. Admirateur précoce de Beckett et du Nouveau Roman, il apparaît d'abord comme un homme d'avant-garde chez qui l'austérité, l'hermétisme et le goût de la provocation – il a été très marqué par les événements de 1968 – se combinent selon un équilibre original. Mais son évolution ultérieure semble remettre en cause cette image, au point qu'on a pu l'accuser d'être devenu le « chantre d'un idéalisme néo-romantique ou néo-classique ». Dans sa rébellion contre les images irréelles et convenues que les médias nous imposent, il se livre au contraire à une tentative méritoire pour réinventer l'authenticité d'une présence humaine au sein du monde « postmoderne » ; ce conflit avec l'image du monde diffusée par les médias prend aujourd'hui chez Handke une dimension de plus en plus politique.

En bref

Né le 6 décembre 1942 à Griffen, en Carinthie, d'une mère cuisinière qui, enceinte et délaissée par le père de l'enfant, employé de banque nazi, épouse en hâte un sous-officier allemand (Le Malheur indifférent), Handke a trop bien connu les épreuves de l'extrême pauvreté matérielle et morale pour ne pas ressentir au plus intime de lui-même l'abandon où sont réduits les opprimés. Il y a chez lui une fascination des vies misérables et étriquées, de la déréliction culturelle de ceux que le sort n'a pas favorisés. Pourtant, il se définit agressivement comme un « habitant de la tour d'ivoire », dans la mesure où la confusion entre littérature et action politique lui semble dérisoire. Non seulement l'agitation politique directe lui paraît dégrader l'écrivain, réduit à employer les méthodes de son adversaire réactionnaire, mais sa nature même la désamorce automatiquement : « La littérature transforme tout ce qui est réel, y compris l'engagement, en style. Elle rend tous les mots inutilisables et les corrompt plus ou moins. » C'est seulement en exerçant en toute rigueur son activité d'écrivain que l'auteur peut influencer la société qui l'entoure, car « les questions formelles sont en fait des questions morales ». Aussi se montre-t-il très dur pour Brecht, tout en reconnaissant sa dette envers lui : « Il n'a jamais troublé les gens qui ne l'étaient pas, il a simplement fait passer quelques heures agréables à un immense public. » Comparé à Faulkner ou à Beckett, Brecht est pour lui un auteur de seconde zone. D'où la sévérité des jugements portés naguère sur Handke en Allemagne de l'Est, où le dictionnaire Meyer le présentait ainsi : « L'influence exercée par Handke qui pousse jusqu'à l'absurde les expériences structuralistes sur le langage et refuse tout engagement social montre bien l'impuissance culturelle de l'impérialisme et fait apparaître Handke lui-même comme un représentant de la manipulation des consciences dans le capitalisme d'aujourd'hui. » Bien que la notion d'écriture engagée lui reste tout à fait étrangère, il semble toutefois que cette réserve politique s'affaiblisse chez Handke ; la mauvaise conscience suscitée par le passé nazi domine un texte comme Le Chinois de la douleur. Vivant à cette époque en Autriche, Handke ressent comme son compatriote Thomas Bernhard un grand malaise devant les relents de nazisme qu'il perçoit dans son propre pays. Le héros, Andreas Loser, spécialiste de recherche archéologique sur les « seuils », est déstabilisé par la découverte de sa propre violence alors qu'il s'en prend à un inconnu. Cette violence le mènera à entrer dans le « peuple des malfaiteurs » lorsqu'il commettra un meurtre pour éliminer « l'Empêcheur », qui barbouillait des croix gammées sur les chemins du Mönchsberg, sorte d'incarnation du Mal en soi devant laquelle l'indifférence est inacceptable. À l'occasion du drame yougoslave, Handke va même prendre à contre-pied certains de ses anciens admirateurs. Dans Un voyage hivernal vers le Danube, la Save, La Morava et la Drina, il exprime sa méfiance envers les intellectuels qui tranchent de tout sans avoir rien vérifié, envers « les hordes des agités à distance, lesquels confondent leur métier qui est d'écrire avec celui d'un juge et même avec le rôle d'un démagogue ». Il voit dans les réactions dominantes à l'Ouest une nouvelle illustration du danger des images qui se substituent à la complexité du rapport au réel : « Que sait celui-là à qui on donne à voir au lieu de la chose rien que l'image de celle-ci ou qui ne reçoit qu'un abrégé d'image comme dans les informations télévisées ou, comme dans le monde de la connexion, qu'un abrégé d'abrégé ? » Contre cela, il va mener sur place sa propre enquête, non pour en retirer des révélations politiques fracassantes, mais pour y constater la dignité du peuple serbe. En contraste avec la simplicité directe de ce témoignage, le bref ouvrage de 2003 consacré aux procès intentés aux Serbes, Autour du Grand Tribunal, laisse une impression confuse et peu convaincante.
Cette sympathie pour la Serbie suscitera le scandale lorsqu'il assistera le 18 mars 2006 aux funérailles de Slobodan Miloševiæ et déclarera : « Le monde, le soi-disant monde sait tout sur la Yougoslavie, la Serbie.[...] Le soi-disant monde connaît la vérité. C'est pour ça que le soi-disant monde est absent aujourd'hui, et pas seulement aujourd'hui, et pas seulement ici.[...] Moi, je ne connais pas la vérité. Mais je regarde. J'écoute. Je ressens. Je me souviens. Je questionne. C'est pour ça que je suis aujourd'hui présent. » Les réactions sont vives : à Düsseldorf, le jury du prix Heinrich-Heine l'avait choisi pour lauréat, mais la municipalité s'y oppose ; Handke renonce au prix de lui-même, mais il contre-attaque, déplorant que la morale soit « devenue dans cette guerre un autre mot pour dire l'arbitraire ». En France, Marcel Bozonnet, administrateur général de la Comédie-Française, provoque de nombreux remous en annulant la programmation de la pièce de Handke, Voyage au pays sonore, ou l'Art de la question, initialement prévue en 2007.

Sa vie

Peter Handke est le fils d'une cuisinière d'origine slovène et d'un soldat allemand, employé de banque dans le civil, stationné en Carinthie1. Peu avant sa naissance elle épouse un soldat allemand, conducteur de tram dans le civil. Le jeune Peter vit avec sa mère à Berlin-Est avant de retourner à Griffen. L'alcoolisme grandissant de son beau-père Bruno Handke, et l'étroitesse des conditions de vie sociale dans cette petite ville isolée le conduisent plus tard à se révolter continuellement contre les habitudes et les restrictions de la vie.
En 1954, il entre en internat au lycée catholique et humaniste de Tanzenberg. Il se plonge dans la lecture de classiques et est impressionné, à 15 ans, par Sous le soleil de Satan de Georges Bernanos qui l'abreuve du sang noir du catholicisme. Dans le journal de l'internat, Fackel La Torche, il publie ses premiers textes. En 1959, il entre à l'internat de Klagenfurt et y obtient en 1961 la Matura, diplôme qui sanctionne en Autriche la fin des études secondaires. Il entame alors des études de droit à Graz. Après ses premiers succès littéraires, il rejoint le groupe Forum Stadtpark der Grazer Gruppe et abandonne ses études en 1965, pour se consacrer entièrement à l'écriture, après que l'éditeur Suhrkamp a accepté son manuscrit Die Hornissen Les Frelons.
À ses débuts, Peter Handke rejette les modèles dominants de la littérature et se lance dans une révolte langagière et narrative sous l'influence de l'absurde et du Nouveau Roman2. Il est également marqué par ses lectures de Franz Kafka, Samuel Beckett et William Faulkner qui l'amènent à réfuter avec violence le réalisme et à prôner une écriture expérimentale. Il se revendique également du Wiener Gruppe dont il partage les valeurs et les techniques stylistiques. Cette influence transparaît dans ses romans (Le Colporteur, L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty, ses pièces de théâtre Gaspard, La Chevauchée sur le lac de Constance et sa poésie, située entre rêve et évocation de la banalité quotidienne L'Intérieur de l'extérieur de l'intérieur, Poème bleu. La thématique de ses textes se centre sur l'angoisse procurée par la société contemporaine, l'incommunicabilité et l'errance de l'être dans le monde comme dans le langage. L'auteur se montre soucieux de maîtriser ses effets et manifeste une grande retenue, mêlant un style inventif à des images marquantes4. Son travail sur la langue se situe volontairement du côté de la culture moderne littéraire et philosophique autrichienne qui analyse le langage et le met à distance (Karl Kraus, Ludwig Wittgenstein, Fritz Mauthner). L'auteur déclare : « La littérature, c'est le langage devenu langage; la langue qui s'incarne. J'écris avec la respiration, pour découvrir le sacré, celui de la vie. Je crois être un romantique décidé, qui rend grâce à la mémoire.
En 1966, il réussit une intervention spectaculaire lors de la rencontre du Groupe 47 à Princeton, où il présente sa pièce provocante et avant-gardiste Publikumsbeschimpfung (Outrage au public). Lors de la réception du prix Gerhart Hauptmann en 1967, il exprime sa colère et sa tristesse au sujet de l'acquittement d'un policier qui causa le décès d'un étudiant. Handke est largement marqué par les événements de mai 1968. Il est le cofondateur de « l'édition de Francfort des auteurs » en 1969 et membre de l'assemblée des auteurs de Graz de 1973 à 1977. Il reçoit le prix Büchner en 1973.
Dans Der kurze Brief zum langen Abschied (La Courte Lettre), il évoque l'échec de son mariage à travers l'histoire d'un Autrichien qui erre dans toute l'Europe et les États-Unis à la recherche de son épouse. Il part un temps s'installer en région parisienne avant de revenir en Autriche. Ultérieurement, il revient vivre en France.
Passionné de cinéma, Handke entame une collaboration avec Wim Wenders. En 1978 sort son film en tant que réalisateur, La Femme gauchère.
Dans les années 1980, il évolue vers une production littéraire plus conventionnelle, ce qui lui vaut des critiques de la part de l'intelligenstia qui lui reproche d'être le « chantre d'un idéalisme néo-romantique ou néo-classique »5,1. Il voyage alors en Alaska, au Japon et en Yougoslavie. Ces récits de voyage Eine winterliche Reise zu den Flüssen Donau, Save, Morawa und Drina oder Gerechtigkeit für Serbien Voyage hivernal vers le Danube, parus en 1996, où il présente les Serbes comme victimes de la guerre civile, soulèvent de violentes controverses qui perdurent encore jusqu'à ce jour. Yves Laplace analyse notamment la « déroute » de Peter Handke à ce sujet dans son ouvrage Considérations salutaires sur le massacre de Srebrenica. En 1999, Handke condamne les bombardements de l'OTAN sur la République serbe1. En 2005, l'ex-président Slobodan Milošević, accusé de génocide et de crime contre l'humanité par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye, cite Peter Handke comme témoin pour sa défense. Même si Handke refuse de répondre à cette demande, il écrit un essai s'intitulant Die Tablas von Daimiel (Les Tables de Daimiel qui porte comme sous-titre Ein Umwegzeugenbericht zum Prozeß gegen Slobodan Milošević Un rapport testimonial détourné pour le procès contre Slobodan Milošević.
Peter Handke a vécu à Graz, Düsseldorf, Berlin, Paris, Kronberg in Taunus, aux États-Unis 1978-79, à Salzbourg 1979-88 et, depuis 1991, à Chaville près de Paris6 ; il retourne parfois à Salzbourg. Il a traduit en allemand des œuvres d'Emmanuel Bove, René Char, Francis Ponge et Patrick Modiano1. Outre-Rhin, il a également contribué à faire connaître l'un des premiers romans de Julien Green.
En 2012, il publie une nouvelle pièce : Les Beaux Jours d’Aranjuez : un dialogue d'été, écrite directement en français.
En 2014, le Prix Ibsen lui a été décerné en récompense de son « œuvre hors pair, dans sa beauté formelle et sa réflexion brillante».
Il a deux filles, Amina Handke, qui a étudié la peinture et les médias, et Léocadie.

Controverse relative aux funérailles de Milošević

Ses écrits ont déclenché la polémique lorsqu'il est intervenu en faveur de la Serbie. Le 18 mars 2006, à l'occasion des funérailles de Slobodan Milošević auxquelles il assiste, il déclare : « Le monde, le soi-disant monde sait tout sur la Yougoslavie, la Serbie. Le monde, le soi-disant monde, sait tout sur Slobodan Milošević. Le soi-disant monde connaît la vérité. C'est pour ça que le soi-disant monde est absent aujourd'hui, et pas seulement aujourd'hui, et pas seulement ici. Le soi-disant monde n'est pas le monde. Moi, je ne connais pas la vérité. Mais je regarde. J'écoute. Je ressens. Je me souviens. Je questionne. C'est pour ça que je suis aujourd'hui présent, près de la Yougoslavie, près de la Serbie, près de Slobodan Milosevic. ».
Cette intervention entraîne l'annulation par l'administrateur général de la Comédie-Française, Marcel Bozonnet, des représentations de sa pièce Voyage au pays sonore ou l'art de la question prévues pour 2007. Peter Handke bénéficie du soutien du monde de la culture qui, dans son ensemble, considère cet acte comme une censure injustifiée. Une pétition contre la censure de son œuvre circule et rassemble Emir Kusturica, Patrick Modiano, Paul Nizon, Bulle Ogier, Luc Bondy ou encore sa compatriote Elfriede Jelinek, lauréate du prix Nobel de littérature en 2004.
La même année, une polémique éclate à Düsseldorf où le prestigieux prix Heinrich Heine est décerné à Handke. Mais le conseil de la ville refuse de lui remettre la récompense, spécialement dotée de 50 000 euros pour célébrer le 150e anniversaire de la mort du poète. De même, deux jurés du prix démissionnent pour protester contre ce choix. Afin de ne pas faire enfler la polémique, Peter Handke renonce finalement à la distinction. Il décline également l'offre des comédiens Rolf Becker et Käthe Reichel de lui offrir un prix Heine alternatif de la ville de Berlin, dotée d'une somme équivalente et déclare que cela le « renforcerait dans le statut de paria et de coupable ; celui d'avoir commis le crime de penser différemment et d'avoir un autre point de vue sur l'histoire de la Yougoslavie. ».

Condamnation du Nouvel Observateur

Le 4 décembre 2007, la 17e chambre civile du TGI de Paris a jugé l'hebdomadaire coupable de diffamation envers Peter Handke pour un article publié le 6 avril 2006, sous la signature de Ruth Valentini, sous le titre « Handke à Pozarevac », dans la rubrique Sifflets, article auquel est reproché par le tribunal l'allégation selon laquelle, par sa présence aux obsèques de Slobodan Milošević, Peter Handke aurait pu « approuver le massacre de Srebrenica et d'autres crimes dits de purification ethnique », le tribunal ayant rejeté l'excuse de la bonne foi11. Le journal et son directeur de la publication devront payer un euro de dommages et intérêts ainsi que 2 500 € au titre de frais de justice.

Phases révolutionnaires

Une de ses premières œuvres, intitulée significativement Outrage au public, déclenche un beau scandale lors de sa représentation à Francfort, à Experimenta 1. Durant la session de 1966, à Princeton, du Groupe 47, qui exerce alors une tutelle un peu lourde sur les lettres allemandes, il fait un éclat en attaquant violemment l'esthétique descriptive, le « nouveau réalisme » prôné par la majorité des participants. Pourtant les récompenses officielles ne lui font pas défaut : lauréat du prix Büchner en 1973, il avait déjà reçu le prix Gerhart-Hauptmann en 1967. Lors de l'attribution de celui-ci, refusant le jeu convenu des réponses académiques, Handke prononce un discours antilittéraire où il exprime exclusivement sa « tristesse et sa colère, sa colère et sa tristesse », à propos de l'acquittement récent d'un policier responsable de la mort d'un étudiant. Après ces débuts fracassants, sans abandonner ses recherches et ses ambiguïtés, son art est allé vers davantage de dépouillement et de simplicité. Dès 1972, Handke affirmait le caractère non agressif d'Outrage au public (dont il avait volontairement arrêté les représentations en plein succès), et retrouvait le goût de raconter des histoires, à arrière-plan souvent autobiographique, où des êtres à la fois quotidiens et énigmatiques vivaient au jour le jour le malaise d'exister. Depuis lors, cette dimension autobiographique s'est affirmée de manière de plus en plus ouverte ; dans une œuvre importante plus tardive, Mon Année dans la baie de Personne 1994, la personnalité du narrateur, Georg Keuschnig, semble bien proche de la sienne, et l'on n'est pas loin d'une sorte de journal au jour le jour où sont interpolés, à la façon des Mille et Une Nuits, de brefs récits anecdotiques regroupés sous le titre « L'Histoire de mes amis ».

[size=SIZE]Grandeur et insuffisance du langage
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Méfiant envers les « rituels théoriques et la critique de la culture, Handke n'en a pas moins consacré une large part de son activité à la réflexion sur la vie des formes et la puissance du mot. Influencé par la théorie du langage de Wittgenstein, il n'a pas suffisamment foi en une existence factuelle du monde pour pouvoir l'abstraire de la médiation de la parole par laquelle il nous interpelle. À la limite, il n'y a pas pour lui de monde, mais seulement une parole du monde, elle-même décevante et trompeuse : « Au lieu de faire comme si on pouvait regarder à travers la langue comme à travers une vitre, c'est la langue elle-même, dans sa perfidie, qu'il faudrait percer à jour » ; d'où, dans ses premiers textes, ces rêves éveillés articulés sur la langue, ces images qui n'arrivent pas à se dépêtrer des expressions stéréotypées (Histoires du demi-sommeil), ces phrases qui s'engluent dans leur propre syntaxe sans parvenir à se formuler (Modèle pour un rêve), ou encore ces affirmations qui, aussitôt énoncées, sont démenties par une image filmique (L'Angoisse du gardien de but). La langue reste pourtant le seul recours de l'homme dans son désarroi : « La littérature a été longtemps pour moi le moyen, sinon de voir clair en moi-même, du moins d'y voir un peu plus clair. [...] Certes, j'étais déjà parvenu à la conscience avant de m'occuper de littérature, mais c'est seulement la littérature qui m'a montré que cette conscience de soi n'était pas un cas isolé, un „cas“, une maladie. » Et puisqu'il en est ainsi, toute œuvre véritable nous apporte une nouvelle appréhension de ce qui nous entoure, constate Handke, nous livrant du même coup une liste de ses admirations : « Kleist, Flaubert, Dostoïevski, Kafka, Faulkner, Robbe-Grillet ont modifié ma conscience du monde. » Il faudrait y ajouter les écrivains, en majorité français, qu'il a choisi de traduire en allemand : Bove, Char, Modiano, Ponge, et son traducteur G. A. Goldschmidt. Mais c'est peut-être à travers la vision des peintres qu'il retrouvera sa confiance en une possibilité de dire le monde. La Leçon de la Sainte-Victoire l'aide à trouver son lieu dans la « maison des couleurs » et suscite son espoir en une forme d'écriture qui permette de voir les choses selon un rapport d'appartenance et non plus d'irréalisation médiatique.

Le monde inhabité

Au-delà de toute visée politique, l'œuvre de Handke est surtout un réquisitoire contre la condition humaine. Axée sur des thèmes apparemment rebattus – la solitude, l'incommunicabilité, l'absence de tout recours transcendant, un érotisme triste où l'homme a rapport à son corps comme à une machine étrangère –, elle les renouvelle par une extraordinaire intensité de la vision, où à force de froideur et de distance l'émotion jaillit et submerge tout. Le mystère de la banalité s'instaure au détour d'une phrase, d'une réplique, d'un plan. Des êtres absents, murés dans le silence et l'incompréhension d'eux-mêmes – souvent des femmes, dont Handke aborde les problèmes avec une particulière tendresse –, finissent par se révéler dans leurs gestes, leurs refus, leurs dérobades mêmes. Handke pratique avec une suprême maîtrise l'art de l'understatement, fidèle à son principe esthétique selon lequel toute œuvre doit rendre « consciente une nouvelle possibilité du réel encore inconsciente, une nouvelle possibilité de voir, de parler, de penser, d'exister ». Errant lui-même et déraciné (La Courte Lettre reflète les difficultés d'un mariage dont il a eu une petite fille, Amina ; il a résidé longuement à Chaville, dans la région parisienne qu'il a ensuite momentanément quittée pour l'Autriche avant de revenir s'y installer), il est, comme son ami Wim Wenders, avec lequel il a travaillé dans plusieurs films, le maître des errances et des longues séquences descriptives qu'il envisage non comme l'expression d'un « nouveau réalisme », mais comme le « moyen nécessaire pour parvenir à la réflexion ». Il était naturel que cette qualité exceptionnelle du regard entraînât un jour ce cinéphile passionné sur les voies de la mise en scène, révélant, avec La Femme gauchère, un souci de recherches plastiques et une préciosité esthétisante qui étonnent un peu, par contraste avec la sobriété de ses écrits. Handke, qui tournera seul L'Absence en 1993, avait déjà collaboré comme scénariste avec plusieurs cinéastes, dont Benoît Jacquot pour l'adaptation du roman de Henry James Les Ailes de la colombe, en 1981. Mais c'est dans sa collaboration avec Wim Wenders qu'il atteint ses plus grandes réussites. Après L'Angoisse du gardien de but (1972) et Faux Mouvement (1975), Les Ailes du désir (1987) constituent un point d'équilibre où la présence de Wenders semble tonifier l'univers de Handke en renforçant sa dimension historique, tout en ménageant leur place à l'humour et au rêve ; l'image, ici, comme ailleurs le mot, s'applique à suggérer le secret des êtres avec une complicité retenue.
Cette intensité du regard qui s'oppose au déferlement postmoderne des images retrouve toutefois dans l'écriture du dernier Handke son lieu le plus propre. Si le rapport à autrui reste toujours problématique, sauf peut-être lorsqu'il concerne les enfants, la vérité de la présence du narrateur au monde s'affirme avec de plus en plus de force, grâce à la confiance retrouvée dans les pouvoirs du langage. Les images de Mon Année dans la baie de Personne ou celles des relations d'errances, jusqu'à La Perte de l'image ou par la Sierra de Gredos atteignent souvent à une puissance épiphanique, au sens joycien du terme. En dehors de toute réaction partisane, il reste permis d'apprécier la rigueur et la persévérance avec lesquelles Handke poursuit, non sans une nuance d'ascétisme, une œuvre d'écrivain qui s'interdit la moindre concession aux modes du jour. Julien Hervier

[size=SIZE]Œuvres[/size]

Les Frelons 1966
Bienvenue au conseil d'administration 1967
Le Colporteur 1967
Espaces intermédiaires 1969
L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty 1970
Le Vent et la Mer pièces radiophoniques 1970
La Courte Lettre pour un long adieu 1972, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
J'habite une tour d'ivoire 1972
Le Malheur indifférent 1972
L'Heure de la sensation vraie 1975, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
Faux Mouvements 1975
La Femme gauchère 1976, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
Le Poids du monde 1977, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
Lent Retour 1979, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
La Leçon de la Sainte-Victoire 1980, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
Histoire d'enfant 1981, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
L'Histoire du crayon, carnet 1982, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
Le Chinois de la douleur 1983
Le Recommencement 1986
L'Absence 1987, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
L'Après-midi d'un écrivain 1987, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
Poème à la durée 1987, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
Essai sur la fatigue 1989
Encore une fois pour Thucydide 1990, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
Essai sur le juke-box 1990
Essai sur la journée réussie 1991
Mon année dans la baie de personne 1994
Quelques notes sur le travail de Jan Voss 1995
Un voyage hivernal vers le Danube 1996
Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille 1997, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
La Perte de l'image ou par la Sierra de Gredos 2002
Milos Sobaïc, avec Dimitri Analis essai sur le peintre yougoslave 2002
Don Juan 2004
À ma fenêtre le matin, Paris, Verdier 2006
Kali 2006, trad. Georges-Arthur Goldschmidt
La Nuit morave 2008, trad. Olivier Le Lay
Coucous de Velika Hova 2011, trad. Marie-Claude Van Lendeghem
Hier en chemin : Carnets, novembre 1987-juillet 1990 2011, trad. Olivier Le Lay
Les Beaux Jours d'Aranjuez - un dialogue d'été 2012
Toujours la tempête 2012, trad. Olivier Le Lay
Une année dite au sortir de la nuit 2012, trad. Anne Weber
Essai sur le Lieu Tranquille 2012, 2014 en français, trad. Olivier Le Lay

Théâtre

Outrage au public 1966
Introspection 1966
Prédiction 1966
Appel au secours 1967
Gaspard 1967
Le pupille veut être tuteur 1969
Quodlibet 1970
La Chevauchée sur le lac de Constance 1971
Les Gens déraisonnables sont en voie de disparition 1974
Par les villages 1981, Über die Dörfer
Voyage au pays sonore ou l'Art de la question 1989
L'Heure où nous ne savions rien l'un de l'autre 1992
Préparatifs d'immortalité 1997
Souterrain-Blues 2013
Les Beaux Jours d’Aranjuez : un dialogue d'été 2012

Filmographie

1969 : Publikumsbeschimpfung, de Claus Peymann (TV) (scénario)
1969 : Drei Amerikanische LP's, de Wim Wenders (TV) (scénario)
1971 : Chronik der laufenden Ereignisse, de Peter Handke (TV)
1972 : L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty, de Wim Wenders (scénario et roman)
1975 : Faux Mouvement (Falsche Bewegung) de Wim Wenders (scénario)
1978 : La Femme gauchère (Die Linkshändige Frau), de Peter Handke (scénario et roman)
1981 : Les Ailes de la colombe, réalisé par Benoît Jacquot d'après le roman éponyme de Henry James (scénario)
1987 : Les Ailes du désir (Der Himmel über Berlin), de Wim Wenders (scénario - coauteur du synopsis)
1993 : L'Absence, de Peter Handke
1998 : La Cité des anges (City of Angels), de Brad Silberling (scénario)



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Paul Auguste Marie Adam
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Le 6 décembre 1862 à Paris naît Paul Auguste Marie Adam

né le 6 décembre 1862 à Paris où il est mort le 2 janvier 1920, est un écrivain français et critique d'art.

Sa vie

Issu d'une famille d'industriels et de militaires originaires de l'Artois, fils d'un directeur des Postes sous le Second Empire, Paul Adam fait ses études secondaires au lycée Henri-IV à Paris avant de se lancer dans la carrière littéraire dès 1884.
Il collabore à La Revue indépendante avant de publier en Belgique son premier roman, Chair molle 1885, qui est accusé d'immoralité, provoque le scandale et vaut au jeune auteur une condamnation à quinze jours de prison avec sursis et une lourde amende.
Délaissant le naturalisme, Paul Adam se tourne vers le symbolisme. Il contribue à diverses revues liées à ce mouvement, anime Le Symboliste et La Vogue et fonde avec Paul Ajalbert Le Carcan. En 1886, il collabore avec Jean Moréas dans Le Thé chez Miranda et Les Demoiselles Goubert et publie un roman intimiste, Soi. Sa notoriété est établie avec le roman Être 1888.
En 1892, il prononce son célèbre Éloge de Ravachol :
« De tous les actes de Ravachol, il en est un plus symbolique peut-être de lui-même. En ouvrant la sépulture de cette vieille et en allant chercher à tâtons sur les mains gluantes du cadavre le bijou capable d'épargner la faim, pour des mois, à une famille de misérables, il démontra la honte d'une société qui pare somptueusement ses charognes, alors que, pour une année seule, 91 000 individus meurent d'inanition entre les frontières du riche pays de France, sans que nul y pense, hormis lui et nous. »
En 1906, dans Vues d'Amérique, Paul Adam synthétise son approche de l'art : « L'art est l'œuvre d'inscrire un dogme dans un symbole. »
Il fut l'un des témoins de Jean Lorrain lors de son duel, à Meudon, avec Marcel Proust le 6 février 1897.
Partisan du général Boulanger, il milite dans les mouvements nationalistes et traditionalistes et, pendant la Première Guerre mondiale, il se rend auprès des troupes pour soutenir leur moral et fonde la Ligue intellectuelle de fraternité latine.
Parallèlement, il publie de très nombreux ouvrages : essais, romans, nouvelles, récits de voyage, parmi lesquels on peut citer les romans de son cycle napoléonien : La Force (1899), L'Enfant d'Austerlitz 1901, Au soleil de juillet 1903, ainsi que La Ruse 1903 et Stéphanie 1913, curieux plaidoyer en faveur des mariages arrangés par rapport aux mariages d'amour. Le guide Paris-Parisien, qui le considère en 1899 comme une « notoriété des lettres », note qu'il a des « conceptions audacieuses » auxquelles il donne une « forme très audacieuse »3. Remy de Gourmont disait de lui :
« J’ai pensé à Balzac — M. Paul Adam en sera flatté, j’espère — en lisant, dans la biographie que l’on vient de donner de l’auteur de la Ruse, la liste de ses œuvres. Il y a en effet quelque chose de balzacien dans la fécondité de ce jeune romancier qui, en dix-sept ans de travail, nous aura donné trente-cinq volumes, et souvent des volumes énormes, qui en valent deux ou trois par la compacité. Quelle est sa méthode de travail, je ne l’ignore pas absolument ; elle est plus raisonnable que celle de Balzac et, par conséquent, elle durera sans doute plus longtemps. »

Hommage

Un monument en son honneur, sculpté par Paul Landowski, a été érigé contre le mur du Palais du Trocadéro, avenue Albert-de-Mun.

Œuvres

Chair molle, A. Brancart, Bruxelles, 1885.
Soi, Tresse et Stock, Paris, 1886.
Les Demoiselles Goubert, Mœurs de Paris avec Jean Moréas, Tresse et Stock, Paris, 1886.
Le Thé chez Miranda avec Jean Moréas, Tresse et Stock, Paris, 1886.
La glèbe, Tresse et Stock, Paris, 1887.
Les Volontés merveilleuses : Être, Librairie illustrée, Paris, 1888.
Les Volontés merveilleuses : L'essence de soleil, Tresse et Stock, Paris, 1890.
Les Volontés merveilleuses : en décor, 1890.
L'Époque : Le Vice filial, E. Kolb, Paris, 1891.
L'Époque : Robes rouges, E. Kolb, Paris, 1891.
L'Époque : Les Cœurs utiles, E. Kolb, Paris, 1892.
L'Automne : drame en trois actes, E. Kolb, Paris, 1893. Interdit par la censure le 3 février 1893.
Le Conte futur, Librairie de l'Art indépendant, Paris, 1893.
Critique des mœurs, E. Kolb, Paris, 1893.
Les Images sentimentales, Paul Ollendorff, Paris, 1893.
Princesses byzantines, Firmin-Didot, Paris, 1893.
La Parade amoureuse, P. Ollendorff, Paris, 1894.
Le Mystère des foules, P. Ollendorff, Paris, 1895.
Les Cœurs nouveaux, P. Ollendorff, Paris, 1896.
La Force du mal, A. Colin, Paris, 1896.
L'Année de Clarisse, P. Ollendorff, Paris, 1897 illustr. de Gaston Darbour.
La bataille d'Uhde, P. Ollendorff, Paris, 1897.
Le Vice filial, Paris, Librairie Borel, 1898, illustré par Jan Dědina.
Tétralogie Le Temps et la Vie, épopée de la famille Héricourt :
La Force, P. Ollendorff, Paris, 1899.
L'Enfant d'Austerlitz, P. Ollendorff, Paris, 1901.
La Ruse, 1827-1828, P. Ollendorff, Paris, 1903.
Au soleil de juillet, 1829-1830, P. Ollendorff, Paris, 1903.
Basile et Sophia, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901.
Lettres de Malaisie, La Revue Blanche, Paris, 1898 ; réédition Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1996 (ISBN 2-84049-100-1)
Le Troupeau de Clarisse, P. Ollendorff, Paris, 1904.
Le Serpent noir, P. Ollendorff, Paris, 1905.
Vues d'Amérique, P. Ollendorff, Paris, 1906.
Clarisse et l'homme heureux, J. Bosc & Cie, Paris, 1907.
La Morale des Sports, la Librairie mondiale, Paris, 1907.
La cité prochaine, 1908.
Les Impérialismes et la morale des peuples, Boivin & Cie, Paris, 1908.
Le Malaise du monde latin, 1910.
Le Trust, A. Fayard, Paris, 1910.
Contre l’Aigle, H. Falque, Paris, 1910.
Stéphanie 1913
Le Lion d'Arras, E. Flammarion, 1919 ajout tardif à la série Le Temps et la Vie
Notre Carthage, E. Fasquelle , 1922 Préface du Général Charles Mangin, publication posthume.
théâtre

Les Mouettes, première représentation par la Comédie-Française le 14 novembre 1906




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Posté le : 05/12/2015 15:28
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Frédérik Bazille
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Le 6 décembre 1841 à Montpellier Hérault naît Frédéric Bazille

peintre français impressionniste du XIXe siècle. Il meurt au combat, à 28 ans le 28 novembre 1870 à Beaune-la-Rolande Loiret, peintre français impressionniste du XIXe siècle. Il a pour maître Charles Gleyre, il appartient au mouvement impressionnisme. Ii lest influencé par Monet, Renoir, Degas, Sisley, Manet, Morisot, Cézanne, Pissarro, Guillaumin... Ses Œuvres les plus réputées sont : Vue de village L'Atelier de la rue de Furstenberg, Réunion de famille. Un peintre qui eut la chance de rencontrer très tôt Monet et Renoir, et de travailler avec eux, la chance de voir son talent vite reconnu par Émile Zola et par de bons critiques comme Edmond Duranty et Zacharie Astruc, la chance aussi de n'avoir jamais été dans le besoin ; mais qui eut le malheur de disparaître très jeune, moins de quatre ans avant la première exposition de groupe de ses amis les futurs impressionnistes, dont il eût sans doute partagé les vicissitudes et la gloire : on pourrait ainsi résumer la brève carrière de Frédéric Bazille, en ajoutant aussitôt que la qualité et la richesse de l'œuvre, fatalement réduite (moins de soixante-dix tableaux), qu'il laissa à la postérité révèlent admirablement les différentes voies qui s'ouvraient à un jeune peintre français au tournant des années 1860.

En Bref

Né dans une famille de notables protestants de Montpellier Hérault, son père Gaston Bazille est agronome et sénateur1, sa mère Camille Vialars hérite d'un domaine agricole à Saint-Sauveur. Frédéric Bazille commence des études de médecine pour faire plaisir à ses parents. Mais la vocation est pressante : dès 1859, il suit des cours de dessin et de peinture dans l'atelier du sculpteur Baussan.
En 1862, il part s'installer à Paris où il s'inscrit à l'atelier du peintre Charles Gleyre sous les conseils de son cousin peintre Eugène Castelnau. Dès lors, il sera peintre. Dans cet atelier il rencontre Claude Monet puis Auguste Renoir. Très vite, un groupe se forme qui intègre Edgar Degas, Alfred Sisley, Édouard Manet, Berthe Morisot, Paul Cézanne, Camille Pissarro, Émile Zola, Paul Verlaine...
Plus favorisé qu'eux, il partage ses divers ateliers avec Renoir et Monet dès 1865. À partir de 1866, il est présent au Salon de peinture de Paris, sans grand succès.
Il passe généralement ses étés dans la propriété familiale du Domaine de Méric, à Montpellier, et face au village de Castelnau-le-Lez, domaine qui sert de décor à quelques-unes de ses toiles, comme La Robe rose 1864, Réunion de famille 1867 ou Vue de village 1868.
Sa palette s'éclaircit et se colore.
En août 1870, il s'engage dans un régiment de zouaves. Il est tué, à 28 ans, le 28 novembre 1870, lors de la Bataille de Beaune-la-Rolande. La première exposition des Impressionnistes, où plusieurs de ses toiles sont exposées, a lieu en 1874, quatre ans après sa mort.
Il est inhumé au cimetière protestant de Montpellier dans une tombe réalisée par le sculpteur Auguste Baussan.

Sa vie

Né en 1841 à Montpellier, dans un milieu protestant fortuné et cultivé (son père, propriétaire terrien et éleveur, fut sénateur de l'Hérault), Frédéric Bazille put très tôt découvrir chez un voisin ami de sa famille, le célèbre collectionneur Alfred Bruyas, d'importantes œuvres des plus grands maîtres français de l'époque : Corot, Delacroix, Couture, Théodore Rousseau, Courbet... et l'on peut supposer que là s'éveilla sa vocation de peintre. Tout en étudiant la médecine, il suit des cours de dessin auprès d'un sculpteur montpelliérain, Auguste Baussan. En 1862, il part pour Paris afin de poursuivre ses études, dont il va se détourner progressivement au profit de la peinture. À peine arrivé dans la capitale, il entre en effet dans l'atelier du peintre suisse Charles Gleyre, où il rencontre Monet, Renoir et Sisley. En 1863, il passe huit jours à Chailly, près de Fontainebleau : « J'étais avec mon ami Monet, du Havre, qui est assez fort en paysages, écrit-il à sa mère, il m'a donné des conseils qui m'ont beaucoup aidé. » L'année suivante, celle de ses premiers tableaux connus, il fait en juin un séjour à Honfleur, encore avec Monet. Et c'est avec lui qu'il s'installe dans un atelier de la rue Furstenberg, au-dessus de celui de Delacroix, en janvier 1865. Avec lui, la même année, il travaille à nouveau à Chailly, posant pour plusieurs personnages du grand Déjeuner sur l'herbe, que Monet laissera finalement inachevé (et qu'il découpera plus tard en trois morceaux, dont deux sont aujourd'hui conservés à Paris, au musée d'Orsay).
Bazille retourne de temps à autre à Montpellier voir ses parents, séjournant aussi dans le domaine familial de Méric, à quelques kilomètres de la ville, près de Castelnau – beau village qui apparaît au fond de deux de ses œuvres les plus célèbres : La Robe rose, (1864, musée d'Orsay) et la Vue de village, (1868, musée Fabre, Montpellier). En 1866, il change par deux fois d'atelier : après avoir passé quelques mois dans le premier, rue Godot-de-Mauroy, il partage le second, rue Visconti, avec Renoir, et l'année suivante, Monet les rejoint, comme Bazille l'écrit plaisamment à sa mère : « Monet m'est tombé du ciel avec une collection de toiles magnifiques qui vont avoir le plus grand succès à l'Exposition. Il couchera chez moi jusqu'à la fin du mois. Avec Renoir, voilà deux peintres besogneux que je loge. C'est une véritable infirmerie. J'en suis enchanté, j'ai assez de place, et ils sont tous deux fort gais. » Il aide par ailleurs Monet en lui achetant à tempérament Femmes au jardin (1867, musée d'Orsay) et en lui trouvant un acquéreur pour l'une de ses natures mortes. Au cours de l'été 1867, il entreprend le tableau qui est tenu parfois pour son chef-d'œuvre, Réunion de famille (musée d'Orsay), où il affronte la grande difficulté de représenter un groupe de personnages posant en plein air, en pleine lumière naturelle, ce qu'il avait déjà fait l'hiver précédent dans La Terrasse de Méric (musée du Petit Palais, Genève). Cette année 1867, Renoir représente Bazille (musée d'Orsay) en train de peindre dans l'atelier de la rue Visconti un trophée de chasse, Le Héron, également peint au même endroit et au même moment par Sisley, les tableaux de Bazille et Sisley sont au musée Fabre.
Au Salon de 1868, deux toiles de Bazille sont acceptées, Réunion de famille (1867) et Pots de fleurs (1866, collection particulière). Dans un article publié sur ce Salon par L'Événement illustré du 24 mai 1868, Émile Zola, après un long éloge de Monet, consacre quelques lignes au premier de ces tableaux, « qui témoigne d'un vif amour de la vérité. [...] On voit que le peintre aime son temps, comme Claude Monet, et qu'il pense qu'on peut être un artiste en peignant une redingote ». Au cours des deux années suivantes, Bazille sera de nouveau admis au Salon, avec un tableau chaque fois : la Vue de village en 1869, œuvre soutenue par le très académique Alexandre Cabanel (un Montpelliérain...) et remarquée par Berthe Morisot, puis Scène d'été (1869, The Fogg Art Museum, Harvard University, Cambridge, Massachusetts) en 1870, que le peintre appelle dans sa correspondance Baigneurs – une œuvre complexe et étrange, où l'on retrouve son souci de la représentation des figures, mais nues cette fois, dans la nature. À la fin de l'année 1869, Bazille peint L'Atelier de la rue La Condamine, qui sera son avant-dernier atelier, le dernier étant rue des Beaux-Arts ; dans ce tableau, conservé au musée d'Orsay, on voit le peintre au milieu de ses amis, Manet, Monet, Renoir (ou Sisley ?), Zola et Edmond Maître
Au lendemain de la déclaration de guerre de la France à la Prusse, en 1870, Bazille s'engage dans un régiment de zouaves. Il est tué le 28 novembre, au combat de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. « Pour moi, aurait-il dit au général d'Armagnac, qui a rapporté ce propos, je suis bien sûr de ne pas être tué, j'ai trop de choses à faire dans la vie. »

Une œuvre diverse et partagée

Pour réduite qu'elle soit en nombre, l'œuvre de Frédéric Bazille est d'une remarquable diversité. Hormis la peinture mythologique, religieuse ou historique – qui occupait le devant de la scène dans les Salons –, tous les genres y sont représentés : le paysage ; l'intérieur, avec ou sans figures ; le portrait, isolé ou de groupe, en plein air ou dans une pièce ; le nu, masculin et féminin ; la nature morte. En ce sens, il s'agit d'une œuvre moderne, attachée à la représentation de la réalité, conforme au programme esquissé par Baudelaire une vingtaine d'années plus tôt, à la fin de son Salon de 1845. C'est d'ailleurs la qualité que Zola reconnaît aussitôt, dans la phrase citée plus haut, à la Réunion de famille peinte par Bazille. Aussi, plutôt que de l'imaginer en peintre impressionniste qui n'aurait pas eu le temps de le devenir, émule trop tôt disparu de Monet et de Renoir, faut-il voir en Bazille un héritier direct et résolu de la tradition réaliste énergiquement ranimée par Courbet et Manet, deux maîtres qu'il fréquentait et admira.
S'il n'aborda que des sujets modernes (hormis bien sûr les copies d'œuvres anciennes qu'il fit au Louvre et au musée Fabre) et s'il pratiqua volontiers le plein air, en adepte de la peinture claire, rien de sa manière ne peut être vraiment assimilé à celle des futurs impressionnistes (Monet développait alors cette fragmentation des touches que l'on observe, par exemple, dans la série de tableaux peints au bord de la mer, en 1867, à Sainte-Adresse). On chercherait en vain, dans toute l'œuvre de Bazille, les petites silhouettes de personnages à peine esquissés, ou la liberté et la fougue d'exécution quand il s'agit de rendre les mouvements des nuages ou des vagues, que l'on trouve dans les tableaux de Monet dès avant 1870. Le souci de bien construire les formes, d'en restituer la solidité, prévaut largement chez Bazille sur le désir de saisir exactement les effets changeants de la lumière naturelle, si impérieux chez Monet. Et quand le hasard – mais est-ce vraiment le hasard ? – veut que l'un et l'autre, la même année 1868, représentent une jeune femme en robe claire isolée dans la campagne, le premier montre un modèle qui pose devant un paysage, et le tableau (Vue de village) « sent » un peu l'atelier, tandis que le second peint une figure parfaitement fondue dans le paysage, le tableau (Au bord de l'eau, Bennecourt, The Art Institute of Chicago) respirant admirablement. Dans celui de Bazille, il est d'ailleurs remarquable que la vue, au second plan, de la rivière et du relief sablonneux qui la borde évoque, bien davantage que Monet, le Corot de certains paysages d'Italie – Corot qui était pour Bazille, ainsi qu'il l'écrivait à son cousin Louis, « le premier des paysagistes passés et présents, et l'un des premiers peintres français ».

Un artiste original entre Courbet et les impressionnistes

Il y a chez Bazille, contraire à toute effusion, une étrange inquiétude de l'espace, et pas seulement de l'espace pictural. Au cours de sa brève carrière, il loue successivement six ateliers à Paris et peint l'intérieur de trois d'entre eux, avec des tableaux identifiables aux murs, comme s'il éprouvait le besoin de s'assurer des lieux où il travaille, d'y fixer des repères. Les scènes et les figures qu'il représente sont toujours cadrées de près, évitant les lointains, les perspectives trop larges ou trop ouvertes, les espaces vides. Même dans la Vue de village, les maisons serrées de Castelnau, à l'arrière-plan, paraissent bien proches ; et dans les deux tableaux des Remparts d'Aigues-Mortes (1867), qui appartiennent au musée Fabre et à la National Gallery of Art de Washington, la solide ligne des fortifications ferme l'horizon au loin, retient le regard entre l'eau des marais et le ciel. Seules deux études (également conservées au musée Fabre) pour un grand tableau de Vendange envisagé au cours de l'automne de 1868, mais jamais peint, et dont certains croquis préparatoires montrent qu'il aurait été peuplé de nombreux personnages, laissent percevoir, dans l'espace qu'elles ouvrent très simplement, très largement, tout ce qui entrait de fascination dans cette crainte du vide. Il est assez significatif aussi qu'au cours des deux dernières années de sa vie, Bazille semble s'être détourné du paysage « pur », genre le plus étroitement lié à la peinture impressionniste : hormis une vue des Bords du Lez (1870, The Minneapolis Institute of Arts), où les troncs, les branches et les feuilles des arbres sont exécutés avec une précision presque sèche, qui fait d'ailleurs penser à Théodore Rousseau plutôt qu'à Monet, l'artiste ne produit plus en effet que des tableaux d'intérieur, portraits ou figures et natures mortes, et une scène de baignade où la nature n'est guère qu'un décor.
Aux infinis reflets changeants de la lumière naturelle, recherchés passionnément par Monet, et aux grands espaces vacants qui l'attirent et l'inquiètent, Bazille oppose la plénitude des formes et la netteté du dessin – parfois aussi, peut-être sous l'influence de Renoir, un sens décoratif raffiné, très perceptible quand il peint des vêtements de femme ou des bouquets de fleurs. En témoignent La Toilette (musée Fabre) et les deux tableaux intitulés Négresse aux pivoines (musée Fabre et National Gallery of Art, Washington) : trois œuvres de 1870 où il cherche une synthèse heureuse entre la tradition de Delacroix, les audaces de Manet et la solidité, l'aplomb de Courbet, usant d'une touche tantôt vive et minutieuse, tantôt grasse et brossée, jamais expéditive, qui s'exalte surtout à rendre les matières – le poli d'une peau jeune, le velouté d'une étoffe ou d'une fourrure, la fragilité des pétales –, et de beaux accords de couleurs : par exemple avec le visage de la femme noire auprès de son caraco de coton blanc. Et l'on comprend que Bazille se soit étonné de voir La Toilette refusée (sans doute « par erreur », écrit-il à son frère) par le même jury du Salon qui acceptait sans sourciller sa Scène d'été, une œuvre autrement ambitieuse et, dirait-on aujourd'hui, dérangeante, où il aborde non sans naïveté, fraîcheur et maladresse, un thème qui obsédera toute sa vie Cézanne.
Ici les personnages ne posent pas pour le peintre, comme dans la Réunion de famille. Les baigneurs sont censés être surpris en action : l'un nage, un autre aide son camarade à sortir de l'eau, deux autres s'empoignent... Bazille voudrait exprimer le mouvement, mais le manque d'unité de la composition et d'articulation entre les figures, et quelque chose d'emprunté dans leurs gestes, donnent à la scène un caractère artificiel. Reste une belle lumière, aussitôt notée par la critique : les tableaux d'été de Bazille, écrit Émile Duranty, « sont pleins de verdure, de soleil et de carrure simple » (Paris-Journal, 19 mai 1870), et Zacharie Astruc : « Bazille est déjà maître d'un élément qu'il a conquis : la plénitude de la lumière – l'impression particulière de plein air, la puissance du jour. Le soleil inonde ses toiles » (L'Écho des beaux-arts, 12 juin 1870). Pourtant, ce n'est pas cet aspect de l'art du jeune maître montpelliérain qui frappe et retient aujourd'hui, peut-être parce que nous savons ce qui est arrivé après lui : le triomphe de l'impressionnisme, et Van Gogh et les Fauves. Plutôt est-ce un sens inné de la forme nette et pleine, mis au service de figures sobrement et fermement construites, sans effet extérieur. Ainsi, la Jeune femme aux yeux baissés et la Tireuse de cartes (collections particulières) ont une présence grave, baignée d'une singulière poésie, dont on aurait peine à trouver d'autres exemples dans la peinture française des années 1860, et une qualité plastique qui semblent annoncer de loin, par-delà Cézanne, certains tableaux de Derain et de Balthus. Alain Madeleine-Perdrillat

Œuvres sélection

La Robe rose 1864, 147 × 110 cm, Musée d'Orsay, Paris.
Atelier de la rue Furstenberg, 80 × 65 cm, Montpellier, Musée Fabre.
Aigues-Mortes, 46 × 55 cm, Montpellier, Musée Fabre.
Autoportrait, 1865, 109 × 72 cm, Institut d'art de Chicago, Chicago.
Réunion de Famille, 1867, 152 × 230 cm, Musée d'Orsay, Paris.
Le Pêcheur à l'épervier, 1868, 134 × 83 cm, Fondation Rau pour le tiers-monde, Zurich.
Vue de village, 1868, 130 × 89 cm, Musée Fabre, Montpellier.
Scène d'été, 1869, 158 × 158 cm, Cambridge, Harvard University.
La Toilette, 1870, 132 × 127 cm, Musée Fabre, Montpellier.
L'Atelier de la rue La Condamine, 1870, 98 × 128,5 cm, Musée d'Orsay, Paris.
Paysage au bord du Lez, 1870, 137,8 × 202,5 cm, The Minneapolis institute of Art, Minneapolis.
Porte de la Reine à Aigues-Mortes, 1867, 80.6 x 99.7 cm, Metropolitan Museum of Art, New-York.

Expositions récentes

Frédéric Bazille et ses amis impressionnistes, Montpellier, Musée Fabre et Brooklyn (USA), Museum of Art, juillet 1992-janvier 1993
Monet & Bazille A Collaboration, Atlanta (USA), High Museum of Art, 23 février - 16 mai 1999
Bazille, Musée Marmottan, Paris, d'octobre 2003 à janvier 2004

Bibliographie

Frédéric Bazille et ses amis impressionnistes, catalogue de l'exposition Montpellier, Musée Fabre et Brooklyn USA, Museum of Art, juillet 1992-janvier 1993. Paris, Réunion des Musées nationaux et Brooklyn, Art museum, 1992
Frédéric Bazille : Correspondance éditée par Guy Barral et Didier Vatuone, Montpellier, Presses du Languedoc, 1992
Valérie Bajou, Frédéric Bazille, Édisud 1993 -
Pascal Bonafoux: Bazille, les plaisirs et les jours, 1994
Dianne W. Pitman : Bazille, Purity, pose and paintings in the 1860s., Pennsylvania State University Press USA, 1998
Marianne Delafond et Caroline Genet-Bondeville, Frédéric Bazille, La Bibliothèque des Arts Catalogue de l'exposition au musée Marmottan Monet,‎ 2003, 93 p.
Lucile Encrevé, Gaston Bazile, in Patrick Cabanel et André Encrevé dir., Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, tome 1 : A-C, Les Éditions de Paris Max Chaleil, Paris, 2015, p. 210-211



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Posté le : 05/12/2015 15:21
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Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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