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Re: Rafle des femmes indésirables
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Merci pour ce superbe texte !

Posté le : 18/05/2016 17:52
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Re: Défi du 14 mai 2016
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Chère Mafalda,

Quelle joie de te revoir dans nos défis. Un beau texte qui laisse rêveur et nous invite à continuer à rêver.

Merci

Bises

Couscous

Posté le : 18/05/2016 07:43
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La bataille de Verdun
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La Bataille de Verdun


La plus terrible bataille que l’humanité ait connue

Le 21 février 1916, il est 7h15 du matin, lorsque l’armée allemande fait donner l’artillerie sur les lignes françaises. Sur Verdun même, les premiers obus tombent à 8h15 et visent la gare et les ponts en amont de la cité. Fidèle à une stratégie qui sera désormais suivie par toutes les armées, l’artillerie « prépare le terrain » en pilonnant les lignes françaises pendant plusieurs heures. Le Trommelfeuer, le feu roulant, les orages d’acier. Et en fin d’après-midi, l’assaut est lancé sur des troupes que l’Etat Major allemand croit à l’agonie.

Côté français, la surprise a été « presque » totale et le choc effroyable. Mais la débandade attendue par l’ennemi n’a pas eu lieu. Les survivants des deux divisions françaises ne battent pas en retraite, ni ne se rendent. A dix contre cent, fusils Lebel contre Mauser et lance-flammes, la défense française s’organise. L’infanterie allemande procède par vagues d’assaut, espacées d’une centaine de mètres. Toutefois, les difficultés du terrain les obligent souvent à progresser par colonnes, désorganisant leur montée en ligne. Et les français encore debout les prennent à revers. Cette capacité de résistance n’avait pas été envisagée par l’état major allemand, fort de la doctrine militaire du moment « l’artillerie conquiert, l’infanterie occupe ». Une lutte impitoyable oppose donc les deux camps dès les premières heures. Elle se prolongera pendant plusieurs mois sur cette poche de quelques kilomètres carrés, causant la perte de 163 000 français et 143 000 allemands, tués ou disparus . 216 000 français et 196 000 allemands seront blessés.

Les deux tiers de l’armée française combattent à Verdun. Des combats particulièrement durs. Les poilus qui en réchappent peuvent jouir de quelques moments de répit à l’arrière- pour 4 jours de combat , deux jours de repos - et se refaire - dans la mesure du possible - un moral. Ce n’est pas le cas des troupes ennemies jamais relevées, usées par « l’enfer de Verdun ». Car c’est bien d’un enfer qu’il s’agit. Des villages entiers sont détruits, les champs sont labourés par les obus, l’air est vicié par les gaz toxiques, les bois disparaissent pour laisser place à un paysage lunaire fait de cratères et de tranchées dans lesquels se terrent les survivants. On se bat souvent pour quelques mètres, baïonnette au fusil, couverts de boues, assoiffés, asphyxiés, rompus... Les villages perdus un jour sont reconquis le lendemain ; celui de Fleury devant Douaumont sera pris et repris 16 fois, celui de Vaux treize fois. Le moindre surplomb devient un enjeu, la ligne de front ne cesse de bouger mais ne cède pas.

La ruée sur Verdun

Les premiers jours de la bataille sont terribles. Un déluge de feu et de gaz toxique s’abat sur seulement 5 kms de front durant plus de huit heures. Près de 80 000 Allemands sont mobilisés pour l’offensive. Du jamais vu sur un aussi petit terrain. Et pour la première fois à si grande échelle – une expérimentation avait déjà eu lieu à Malancourt - le lance-flammes est utilisé par les fantassins allemands. C’est une arme terrifiante. Au Bois des Caures, les chasseurs placés aux avant-postes ripostent comme ils peuvent. Mais ils ripostent. A leur tête, le lieutenant-colonel Driant, également député. Le mois précédent, il avait tenté d’alerter le plus haut niveau de l’état des faiblesses de la défense de Verdun. Il est tué au cours des combats du 22 février. Ses unités sont décimées.

Les jours suivants, les combats se poursuivent avec la même intensité. Sur les 2 000 hommes du 362ème RI, il n’en reste que 50 debout. Les chiffres des pertes donnent le vertige. Près de 20 000 hommes tués en quelques jours. Le village de Brabant est évacué le 23 février. Samogneux, Beaumont, Ornes sont perdus le jour suivant. Neuf villages seront complètement détruits, « morts pour la France ». Le fort de Douaumont, occupé par une cinquantaine de territoriaux, est pris le 25 février, par surprise et sans combat, par une patrouille de reconnaissance ennemie. La propagande allemande crie victoire. Mais pour le reste, chaque parcelle de terrain est défendue au prix de mille souffrances. Le courage et le calvaire des défenseurs commence à être connu à l’arrière. C’est dans ce contexte que le général Pétain, à la tête de la 2ème armée française, prend le commandement des opérations sur le front de Verdun le 26 février. Tenir coûte que coûte, « jusqu’à la dernière extrémité » est plus que jamais à l’ordre du jour. Verdun ne doit pas être prise par l’ennemi.

« Courage, on les aura ! »


Finalement, à la fin du mois de février, la progression allemande a été meurtrière mais reste limitée. La supériorité numérique et matérielle n’a pas suffi. Et les pertes allemandes sont plus importantes que prévu par leur commandement. Au début de mars, le village de Douaumont est pris. C’est au cours de ces combats que le capitaine Charles de Gaulle, encore inconnu, est blessé par balles et fait prisonnier. Depuis le début de l’offensive, les allemands ont progressé de quelques kilomètres, sur un front restreint, sans réussir à percer. Le 5 mars, l’armée du Kronprinz organise un nouvel assaut, qui englobe cette fois la rive gauche de la Meuse, plus facile d’accès. Forges tombe le 6 mars mais les allemands sont arrêtés au Morthomme le huit.

Depuis Baudonvillers et Bar-le-Duc, une noria de camions est mise en œuvre sur la route reliant Bar le Duc à Verdun, baptisée plus tard par Maurice Barrès la « Voie Sacrée ». Elle va permettre d’acheminer les premiers renforts, puis ravitailler le front et enfin renouveler les troupes régulièrement. Près de 1 500 camions empruntent quotidiennement le circuit selon une mécanique bien huilée. Verdun n’est pas isolée. 2 500 000 combattants français emprunteront le tourniquet de la Voie Sacrée.


Désormais les contre-attaques françaises succèdent aux attaques allemandes. L’armée française ne se contente plus de subir et rend coup pour coup. Le 9 avril, le Morthomme est pris par les Allemands mais les Français opposent une défense acharnée et le gain est limité, au regard des gigantesques moyens mis en œuvre par l’assaillant. Le lendemain, le général Pétain peut rédiger le mot d’ordre historique qui n’est pas encore un cri de victoire mais déjà la marque d’un certain optimisme « Courage, on les aura !».

Pour l’heure, les combats se poursuivent, sur les deux rives de la Meuse et jusqu’aux Eparges, avec leur cortège d’atrocités. On meurt sous les obus, sous les balles, on meurt asphyxié, transpercé par une baïonnette, on meurt au bord d’une tranchée ou d’un trou d’obus, empêtré dans les fils de fers barbelés, on meurt enterré dans la boue sanglante du champ de bataille. Et quand on ne meurt pas, on revient blessé, handicapé, la « gueule cassée » et, dans tous les cas, à jamais marqué par les souffrances que l’on a vécues et auxquelles on a assisté. C’est le lot du poilu de Verdun.

Les Allemands persistent

Au mois de mai, les Français essaient de se rapprocher de Douaumont. La perte du fort n’a jamais été acceptée par le commandement français. Le 1er mai, le général Pétain est remplacé par le général Nivelle, que Joffre juge plus offensif. Sous les ordres de Nivelle, le général Mangin tente de reprendre le fort de Douaumont mais échoue, en raison notamment d’une préparation d’artillerie insuffisante. Ce n’est que partie remise.

Au début du mois de juin, les Allemands, malgré des pertes importantes, s’entêtent à vouloir prendre Verdun. Au prix d’intenses efforts et au terme d’un siège de sept jours, ils parviennent à s’emparer du fort de Vaux le 7 juin. La résistance héroïque du commandant Raynal et de ses hommes reclus à l’intérieur du fort de Vaux, manquant d’air et d’eau, est saluée par l‘ennemi au moment de la reddition, devenue inévitable.


Le 23 juin, après un bombardement incessant, d’autant plus traumatisant que les Allemands utilisent des obus à gaz toxique, 60 000 hommes s’avancent sur un front de 6 km. Fleury est pris par l’ennemi. Les pertes sont nombreuses, des deux côtés. Mais les tentatives allemandes pour conquérir Verdun échouent à nouveau. L’ultime assaut prend appui le 12 juillet sur le secteur de Souville et marque le point le plus avancé de la progression ennemie. Mais c’est encore un revers et le fort de Souville reste aux mains des Français. Les Allemands n’ont jamais approché à moins de 5 KM de Verdun. Aucun des objectifs n’a été atteint. Et le 12 juillet le Kronprinz, Guillaume de Prusse, à la tête de la 5ème armée allemande, reçoit l’ordre de se contenter désormais d’une action défensive.

A compter de cette date, les Allemands ont renoncé à prendre Verdun. Pour autant, les combats ne vont pas cesser. Les Français vont se livrer durant tout l’été à un grignotage des positions ennemies. Le 24 octobre, le fort de Douaumont est reconquis par le Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc, aidé, entre autres, de tirailleurs sénégalais et somalis. Le fort de Vaux est repris le 3 novembre. Au 21 décembre, au terme de 300 jours et 300 nuits de combat, la plupart des positions perdues pendant la bataille ont été réinvesties par l’armée française. L’hiver peut s’installer. La bataille de Verdun est gagnée.


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Posté le : 17/05/2016 18:29
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Re: Défi du 14 mai 2016
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Merci beaucoup Donald pour ton appréciation.
Tu sais, j 'aime beaucoup tes textes.
Toutes mes amitiés.

Posté le : 17/05/2016 13:36
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Re: Défi du 14 mai 2016
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Vu que ce thème m'a inspiré, voici une seconde histoire, moins rock même si elle a été écrite en écoutant le groupe Tuxedomoon.

Un château en Espagne


Eugène ne rêvait plus. Il était devenu, pour une raison inconnue, incapable de voir au-delà de la simple réalité, d’imaginer la vie autrement, de se projeter dans une situation fictive. Cet état avait un avantage : il ne déprimait jamais, ne voyait pas le pire dans les signes parfois négatifs du quotidien. Par contre, pour son entourage, il paraissait pesant, lourd, trop terre à terre. Pour cette raison, il se força à consulter un spécialiste.

Le professeur Royer, expert mondialement reconnu, commença par des questions simples, comme dans une discussion entre deux personnes normales.
— Eugène, savez-vous ce qu’est un château en Espagne ?
— Du point de vue littéral ?
— Répondez comme vous le sentez !

Eugène fournit une explication au premier degré, découpant le mot « château » et le nom propre « Espagne » tel un entomologiste en train de disséquer un insecte afin d’en isoler l’appareil digestif et les pattes. Le professeur Royer le laissa développer son laïus, sans l’interrompre ni l’orienter vers une voie alternative. Eugène termina son exposé, conscient de ne pouvoir aller plus loin, presque malheureux de ne pas dépasser la surface des mots.
— Vous ne semblez pas content de vous, Eugène, remarqua le professeur.
— Je n’arrive pas à me sortir de la réalité.
— Pourtant, vous connaissez l’expression « construire un château en Espagne », au moins par la fable de Jean de la Fontaine ?
— Oui. J’ai étudié « la laitière et le pot au lait » quand j’étais collégien. Je me souviens même de cette expression dans une œuvre de Stendhal, « le rouge et le noir ».
— Stendhal écrivait alors : « Dans tous les châteaux en Espagne de sa jeunesse, il s'était dit qu'aucune dame comme il faut ne daignerait lui parler ». Il avait même utilisé cette expression, à meilleur escient, je trouve, dans « la Chartreuse de Parme », avec cette phrase : « Je donnais au domestique qui m'avait servi à table cet unique écu de six francs sur l'emploi duquel j'avais fait tant de châteaux en Espagne. »
— Je m’en souviens également. J’aimais beaucoup lire Stendhal, avant. Maintenant, ça me lasse, je trouve les descriptions intéressantes mais longues et ne parviens plus à lire entre les mots. Je me rappelle qu’il y avait un sens profond, voire plusieurs niveaux de lecture dans ses romans. J’ai du les percevoir à l’époque. Aujourd’hui, je n’y arrive plus.

Le professeur Royer se sentit désolé pour Eugène. C’était la première fois qu’il rencontrait un cas de ce genre. Le jeune homme paraissait sain, ses analyses biologiques ne montraient aucune altération du cerveau, pas le moindre défaut apparent. Il vivait dans un milieu éduqué, avec des parents aimants et attentionnés, un frère et une sœur, une fiancée et des amis. Dans son cursus, rien ne semblait clocher. Il n’avait pas connu de traumatisme particulier, ni pendant son adolescence, ni dans sa vie d’étudiant ou lors de son parcours professionnel. Eugène ressemblait fort à une énigme difficile et longue à résoudre.
— Parlons de vos rêves. A quoi ressemblent-ils ?
— A des documentaires. Je vois des scènes, des personnages, tous très réels.
— En couleur ?
— Oui. Celles de la réalité.
— Vous vous en souvenez bien ?
— Très précisément, comme si c’était ancré dans ma mémoire. Ils ne s’échappent pas, ne dérivent pas vers d’autres versions.
— Et vous rêvez souvent ?
— Toutes les nuits, même quand je suis très fatigué.

Le professeur Royer demanda à Eugène de lui raconter son dernier rêve. Le jeune homme lui raconta une histoire d’archive mal rangée, de codification manquante dans les fichiers de la bibliothèque, de pointage des listes officielles. Il cita les références au caractère près, décrivit les vêtements de ses collègues, commenta les erreurs de procédure et termina avec précision, fournissant la solution du problème.
— Vous n’avez pas imaginé une raison différente à cette erreur de rangement ?
— Pourquoi faire ?
— Certaines fois, le cerveau élabore des scénarios alternatifs, émet des hypothèses absurdes, afin de mieux mettre en exergue des corrélations, de refaire le film.
— Change-t-il la fin ?
— Non, il la magnifie, sort votre personnage de sa routine habituelle, tente de l’amener à penser autrement. C’est un mécanisme de défense, une manœuvre intellectuelle destinée à ne pas reproduire les mêmes gestes, à éviter les erreurs récurrentes. On appelle ça l’abstraction.

Eugène fronça les sourcils. Le professeur comprit l’ampleur de sa bourde. Sans s’en rendre compte, il avait traité Eugène de fourmi, d’automate savant incapable de se projeter, de dépasser la simple réalité des faits. Le jeune homme, archiviste de son état, avait par le passé suivi des études ardues, démontré ses qualités cognitives et son intelligence.
— Je suis trop concret, est-ce mon problème, professeur ?
— Je ne dis pas ça, Eugène. Je pointe seulement votre incapacité à rêver de manière abstraite. C’est très différent. Ne le prenez pas mal, je vous en prie.
— Je ne suis pas vexé. Vous êtes là pour m’aider.
— Revenons-en aux châteaux en Espagne, voulez-vous ?
— D’accord.
— Jouez-vous à la loterie ?
— Non. A aucun jeu de hasard. Et je suis nul aux cartes.
— Vous n’aimez pas ?
— Pas spécialement.

Le professeur Royer décida d’aborder un thème plus sensible, la mort. Puisque son patient ne se projetait pas dans le positif, autant essayer de l’amener sur un terrain négatif, anxiogène.
— Pensez-vous à la mort ?
— Quand j’entends parler d’un décès, à la télévision ou dans une discussion.
— Qu’est-ce que ça vous fait ?
— Je pense qu’il y a une fin à tout, surtout en matière de vie humaine.
— Avez-vous jamais cru en Dieu ?
— Enfant, oui. Depuis, je suis devenu adulte. La science a remplacé le divin.
— Certains faits ne s’expliquent pourtant pas.
— Pas encore. La science prend parfois des siècles avant de forger des explications et de les démontrer par l’observation.
— Et l’art ? La musique ? Personne n’a jamais mis en équation, ou conçu de théorie, pour expliquer l’impact de la musique sur notre humeur. Le requiem de Mozart n’a pas le même impact sur ma femme et moi. Nous ne l’apprécions pas de manière identique.
— Certaines mélodies me plaisent, me donnent envie de danser, de pleurer ou de chanter. Je ne suis pas insensible à l’esthétique. Seulement, je ne sais pas pourquoi.
— Et ça vous gêne ?
— Non. Je fais avec.
— Parlez-vous de musique avec vos amis ou votre fiancée ?
— Pas souvent. Ils me croient réfractaires.

Le professeur Royer aperçut une porte de sortie. Les autres, surtout ses proches, le voyaient comme un monolithe privé de sentiments, une sorte d’automate pensant mais hermétique à l’imaginaire. Quelque chose avait du arriver sans prévenir, en silence, pour ériger des barrières mentales, émotionnelles, chez le jeune homme. Il avait alors développé des automatismes afin de ne pas se dévaluer à leurs yeux. Son travail d’archiviste dans une prestigieuse institution nationale n’avait pas aidé. Ses émotions avaient laissé place à de la précision. Ses capacités d’imagination s’étaient retranchées derrière une vision documentaire de sa propre perception. Eugène était simplement devenu une machine à enregistrer, sans le savoir. Il avait coupé le lien avec l’enfant d’antan, celui des terreurs nocturnes, des fantaisies héroïques et des contes de fées.
— Avez-vous peur ?
— Oui, ça m’arrive.
— Racontez !
— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
— Ce qui provoque cette peur.

Eugène raconta le jour où il avait conduit sur une route de campagne bordée d’arbres. La circulation s’était progressivement chargée, formant un embouteillage. Il n’avait pas cherché à imaginer la raison du bouchon. Arrivé au goulet d’étranglement, il avait vu, sur la voie opposée, une voiture encastrée dans un tronc, un corps étendu sur le sol, une large flaque bistre, et surtout le visage des pompiers. Alors, il avait eu peur, sans réellement mettre une image devant ce sentiment. Le reste du voyage s’était déroulé avec une sensation d’oppression, une boule au ventre, la retenue dans chacun de ses gestes de conducteur aguerri.

Au fur et à mesure qu’il racontait cette expérience désagréable, Eugène la mimait. Il ne reproduisait pas exactement la scène. Ce n’était plus du documentaire mais de l’interprétation, une sorte de théâtre japonais avec des ombres et de la lumière. Le professeur Royer s’en rendit progressivement compte. Il tenta alors un coup audacieux. Tandis qu’Eugène progressait dans son histoire, il connecta son ordinateur à un site dédié aux accidents de la route, trouva une scène particulièrement dramatique et lança la séquence. Au moment précis du crash, il activa les haut-parleurs à la puissance maximale. Eugène sursauta puis se mit à pleurer.
— Que vous arrive-t-il, Eugène ?
— Je me suis vu percuter un arbre le long de la route.
— Et ?
— J’étais en sang, les bras désaxés et le corps tordu.
— Aviez-vous mal ?
— Atrocement. Ma peau me piquait, mes poumons me brulaient le torse et la gorge, ma tête résonnait dans un vacarme assourdissant.
— Vous savez que c’est irréel ?
— Je n’en suis pas persuadé.
— De quoi ?
— Que ça ne va pas m’arriver.
— Je n’ai pas de boule de cristal. Tout ce que je peux vous dire, c’est que vous allez guérir.
— Verrai-je un jour des châteaux en Espagne ?
— Nous allons tout faire pour ça.

FIN


Posté le : 17/05/2016 10:30
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Re: Défi du 14 mai 2016
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Mon Donald,

Ton portrait de famille américaine est presque typique. La pauvre fille, elle est mal tombée. Même si elle sait qu'il ne faut pas construire des châteaux en Espagne, elle parviendra peut-être à sortir du panier.

Merci pour ta participation à ce défi.

Bises

Couscous

Posté le : 17/05/2016 07:51
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Re: Défi du 14 mai 2016
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Jolie interprétation du défi, chère Mafalda.
Un poème positif.
J'aime bien la formule " la folie des grandeurs, attise le goût du bonheur.", elle est assez décalé par rapport à ce qu'on entend derrière ces deux concepts et réalités.
Merci
Donald

Posté le : 17/05/2016 04:14
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Re: Défi du 14 mai 2016
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Je voudrais...

Je voudrais de l ' or
Un pantin qui s' articule
Des vagues d' amour
Et peu de labour
Un point, une virgule
A chaque fois que j' écris, que je prononce
Et toujours lorsque je renonce.

Point de malheur, point de ronces
En fait, seulement construire des châteaux en Espagne
Pour que la folie des grandeurs, attise le goût du bonheur.

Mais...

Mon château à moi est en cartes
Et à chaque chute, je le reconstruis
A chaque bruit, au moindre vent,
Je repars de l 'avant
Et le fais partager à autrui.

Posté le : 16/05/2016 14:02
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Re: Défi du 14 mai 2016
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Hey !


« Hey ! » cria le gros Franck à ses compagnons invisibles. La musique alternative, celle des Pixies et de son leader gras du bide, tournait en boucle dans sa petite chambre d’adolescent de quarante ans. Il ne lui manquait plus que la raquette de tennis à la main pour jouer le rôle du parfait rocker en plein concert devant des milliers de fans aveuglés par son génie.

« Ta gueule, ducon ! » jura Marnie, sa mère, en ouvrant la porte telle une furie déchainée. Franck la toisa de son double-mètre, se retint de lui éclater la tête puis repartit dans sa chorégraphie digne d’Iggy Pop. Sa génitrice en resta là, regrettant amèrement le jour maudit où elle s’était laissée emballer par Franck Sr, un gars un peu moins boutonneux que les autres, en fait le seul à posséder une conduite intérieure pas trop pourrie. Plutôt que de lutter contre le résultat d’une capote trouée, elle battit en retraite, espérant ne pas rater son émission préférée, celle où des femmes de son âge retrouvaient le charme qu’elles n’avaient jamais eu, grâce au relooking extrême prodigué par une chaine du câble.

« Quand vais-je me tirer d’ici ? » se demanda Lucy, la demi-sœur de Franck, née d’une improbable promesse de seconde chance vendue à Marnie dix ans après son veuvage, quand un vendeur d’aspirateurs lui avait fourgué des vessies à la place de lanternes, encore sur la banquette arrière d’une conduite intérieure. Lucy commençait à ne plus supporter sa famille, entre une mère hystérique et droguée aux calmants, un demi-frère asocial et incapable de garder un travail plus de deux jours consécutifs, et des raclures de bidets en guise de cousins. Pas moche du tout, le seul héritage potable de Marnie, la petite, comme l’appelait le gros Franck, n’avait pas oublié son cerveau à l’école primaire. Du coup, elle tirait vers le haut une ascendance sociale pourtant mal embarquée dans une Amérique aux dents blanches, où un président noir tentait de son mieux de sauver les galériens du système, à coups de plan fédéral et de négociations entre riches.

Contrairement à Franck et Marnie, Lucy ne se cachait pas derrière des films intérieurs, ne construisait pas d’imaginaires châteaux en Espagne. Pour elle, se voiler la face, c’était reculer pour mieux sauter dans le purin. Malheureusement, sa dernière discussion avec les deux autres ahuris lui avait presque enlevé ses dernières illusions.
— Je ne vous comprends pas, avait-elle fini par lâcher, un soir entre le fromage et le donut. Vous restez là assis sur votre cul à croire que vos rêves les plus fous vont se réaliser.
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse d’autre ? Personne ne veut d’un géant incapable de taper sur un clavier, d’aligner trois phrases sans jurer, ou d’obéir aux ordres, avait alors répondu Franck, dans un rare moment de lucidité.
— Et toi, maman ?
— Moi, je bosse dur au salon, à torcher le cul des roquets, à lisser le pelage de cabots abrutis par des générations de rapports consanguins. Tout ça pour entretenir ton raté de frère et te permettre de partir sur un meilleur pied que moi.
— Eh, la mère, tu le prends bien avec le voisin, ton pied, ironisa Franck.
— Plus qu’avec ton père en son temps, quand ce mou du bulbe essayait vainement de tenir dix secondes.
— Stop, avait alors hurlé Lucy. On ne peut pas continuer comme ça, à croire qu’on va s’en sortir en se racontant des histoires inspirées par nos séries télévisées ou des chansons débiles.
— Ce n’est pas débile, les Pixies, pleurnicha Franck. C’est de la contre-culture, le refuge des jeunes contre la dictature des vieux.
— Parce qu’à quarante ans, tu te crois encore partie de la jeunesse ? Ouvre les yeux, putain de merde, tu n’es plus un adolescent. C’est fini, le temps des milk-shakes à la fraise avec les pouffes de ta classe. Maman a raison. Tu es un boulet.

Franck n’avait pas aimé. Au lieu de discuter, d’argumenter, de montrer un peu de maturité, il s’était muré dans un silence boudeur. Marnie en avait ensuite profité pour défendre son mode de vie basé sur la télévision et les émissions à deux dollars. Lucy avait vainement tenté de la ramener à la raison, de lui prouver par l’absurde que sa vie artificielle ne la menait nulle part, mais ses arguments étaient simplement tombés à l’eau.

« Reprenez votre vie en main ! » déclarait une affiche collée sur tous les murs de la ville. Lucy était allée voir ce que ce révérend Jones avait de spécial à proposer pour sortir les Américains de la crise profonde dans laquelle des années de mensonges les avaient embourbés. Le beau gosse au brushing parfait avait servi une soupe trop sucrée à des milliers de crédules, en invoquant Jésus Christ toutes les trois phrases, en mêlant Dieu aux malheurs du monde, en promettant de raser gratis moyennant une mise de fond de cinq cents dollars par tête de veau. Malheureusement, Lucy n’aimait ni la soupe ni le sucre et encore moins Jésus Christ fils de Dieu. En plus, elle n’avait pas cinq gros billets à jeter par les fenêtres. Lucy avait alors déclaré forfait. Jusqu’à ce fameux soir.

Lucy, Marnie et Franck se retrouvèrent un dimanche, en fin de journée, devant la télévision, à regarder un candidat républicain aux cheveux peignés en avant, au maquillage trop brillant, en train d’expliquer à de pauvres gens comme eux pourquoi l’Amérique devait retrouver ses valeurs d’antan, fermer ses frontières, rançonner les Chinois, les Arabes et les autres. Le reste de son discours, tourné en boucle devant des journalistes héberlués, se résumait à des phrases toutes faites, à des formules simplistes, à l’usage des gogos et des nostalgiques du six-coups, dans une ambiance de fin du monde. Lucy partit vomir dans les toilettes, Franck cassa le poste d’un coup de poing et Marnie déclara ouverte la guerre civile.

Posté le : 15/05/2016 21:30
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Re: Défi du 14 mai 2016
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Excellent !
"Plus c'est cruel, plus c'est bon", disait la mère de Blanche Neige avant de fourrer la pomme de sa belle-fille à l'arsenic de contrebande.
Bises
Donald

Posté le : 15/05/2016 18:30
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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