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Victor Hugo 2
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Dessinateur

Aux nombreux talents de l'écrivain, il faut ajouter le dessin. L'artiste n'a certes pas éclipsé le poète, mais on continue néanmoins de redécouvrir le travail pictural de Victor Hugo – auquel on a consacré de nombreuses et prestigieuses expositions lors du centenaire de sa mort, en 1985, Soleil d'Encre au Petit Palais et Dessins de Victor Hugo place des Vosges dans la maison qu'il habita sous la Monarchie de Juillet ; mais aussi, plus récemment, à New York, Venise, Bruxelles, ou Madrid.
En bon autodidacte, Hugo n'hésite pas à utiliser les méthodes les plus rustiques ou expérimentales : il mélange à l'encre le café noir, le charbon, la suie de cheminée, peignant du bout de l'allumette ou au moyen des barbes d'une plume.
Ses œuvres sont, en général, de petite taille et il s'en sert tantôt pour illustrer ses écrits Les Travailleurs de la mer, tantôt pour les envoyer à ses amis pour le jour de l'an ou à d'autres occasions. Cet art, qu'il pratiquera toute sa vie, le divertit.
Au début, ses travaux sont de facture plutôt réaliste ; mais avec l'exil et la confrontation mystique du poète avec la mer, ils acquerront une dimension presque fantastique
Cette facette du talent d'Hugo n'échappera pas à ses contemporains et lui vaudra les louanges de, notamment, Charles Baudelaire : Je n'ai pas trouvé chez les exposants du Salon la magnifique imagination qui coule dans les dessins de Victor Hugo comme le mystère dans le ciel. Je parle de ses dessins à l'encre de Chine, car il est trop évident qu'en poésie, notre poète est le roi des paysagistes.
Un certain nombre des dessins de Victor Hugo ont été gravés et publiés de son vivant, en particulier Dessins de Victor Hugo en 1863, préfacé par Théophile Gautier, et en tant qu'illustrations de ses œuvres littéraires Les Travailleurs de la mer et Le Rhin.

Victor Hugo et la photographie

Pendant l'exil à Jersey, Victor Hugo s'intéresse au médium de la photographie. Il collabore avec ses fils François-Victor et surtout Charles, ainsi qu'avec Auguste Vacquerie. Hugo leur délègue la partie technique, mais c'est lui qui met en scène les prises de vues. Ils produisent d'abord des daguerréotypes, puis des photographies d'après négatifs sur papier, portraiturant essentiellement le poète ou son entourage familial et amical. Ils prennent aussi des vues de Jersey, de Marine Terrace et de quelques dessins de Hugo.
Ces images environ 350 œuvres, qui avaient valeur de souvenir ou de communication médiatique, furent diffusées dans le cercle des intimes ou au-delà, rassemblées en albums, insérées dans certains exemplaires des éditions originales de l'écrivain, mais n'ont jamais connu la diffusion commerciale d'abord envisagée par Victor Hugo.

Pensée politique

À partir de 1849, Victor Hugo consacre un tiers de son œuvre à la politique, un tiers à la religion et le dernier à la philosophie humaine et sociale. La pensée de Victor Hugo est complexe et parfois déroutante. Il refuse toute condamnation des personnes et tout manichéisme, mais n'en est pas moins sévère pour la société de son temps. Au fur et à mesure, sa pensée politique va évoluer, quitter le conservatisme et se rapprocher du réformisme.

Politique intérieure

Dans sa jeunesse, Victor Hugo est proche du parti conservateur. Pendant la restauration, il soutient Charles X. En cela, il s'inscrit dans la ligne politique de Chateaubriand.
Lors de la Révolution française de 1848, Victor Hugo, pair de France, prend d'abord la défense de la monarchie le président du Conseil Odilon Barrot, le charge de défendre l'idée d'une régence de la Duchesse d'Orléans. Une fois la république proclamée, Lamartine lui propose un poste de ministre Instruction publique dans le gouvernement provisoire de 1848, mais il refuse. Lors des élections d'avril 1848, bien que non-candidat, il obtient près de 55 500 voix à Paris, mais n'est pas élu. Par contre, aux élections complémentaires du 24 mai, il est élu à Paris avec près de 87 000 voix. Il siège avec la droite conservatrice. Pendant les Journées de Juin 1848, il mène des groupes de forces gouvernementales à l'assaut des barricades dans la rue Saint-Louis. Il vote la loi du 9 août 1848, qui suspend certains journaux républicains en vertu de l'état de siège. Ses fils fondent le journal l’Événement qui mène une campagne contre le président du conseil, le républicain Cavaignac, et soutiendra la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à l'élection présidentielle de 1848. Étant contre le principe de l'Assemblée législative unique, il ne vote pas la Constitution de 1848. Au début de la présidence de Louis Napoléon Bonaparte, il fréquente le nouveau président. En mai 1849, il est élu à l'Assemblée législative. C'est à l'été 1849, que progressivement, il se détourne de la majorité conservatrice de l'Assemblée législative dont il désapprouve la politique réactionnaire. En janvier 1850, Victor Hugo combat la loi Falloux réorganisant l'enseignement en faveur de l'Église catholique romaine ; en mai, il combat la loi qui restreint le suffrage universel et, en juillet, il intervient contre la loi Rouher qui limite la liberté de la presse. En juillet 1851, il prend position contre la loi qui propose la révision de la Constitution afin de permettre la réélection de Louis-Napoléon Bonaparte. En juin 1851, au palais de Justice de Paris, il défend son fils qui est poursuivi pour avoir publié un article contre la peine de mort dans son journal, L'Évènement. Au soir du coup d'État du 2 décembre 1851, avec une soixantaine de représentants, il rédige un appel à la résistance armée. Poursuivi, il parvient à passer en Belgique le 14 décembre. C'est le début d'un long exil.
Dès lors réformiste, il souhaite changer la société. S'il justifie l'enrichissement, il dénonce violemment le système d'inégalité sociale. Il est contre les riches capitalisant leurs gains sans les réinjecter dans la production : l'élite bourgeoise ne le lui pardonnera pas. De même, il s'oppose à la violence si celle-ci s'exerce contre un pouvoir démocratique, mais il la justifie conformément d'ailleurs à la déclaration des droits de l'homme contre un pouvoir illégitime. C'est ainsi qu'en 1851, il lance un appel aux armes– Charger son fusil et se tenir prêt – qui n'est pas entendu. Il maintient cette position jusqu'en 1870. Quand éclate la guerre franco-allemande, Hugo la condamne : il s'agit pour lui d'une guerre de caprice et non de liberté. Puis, l'Empire est renversé et la guerre continue, contre la République ; le plaidoyer de Hugo en faveur de la fraternisation reste sans réponse. Alors, le 17 septembre, le patriote prend le pas sur le pacifiste : il publie cette fois un appel à la levée en masse et à la résistance. Les élections du 8 février 1871 portent au pouvoir les monarchistes partisans de la paix avec Bismarck. Le peuple de Paris, quant à lui, refuse la défaite et la Commune commence le 18 mars ; on s'arrache les Châtiments.

Commune

En accord avec lui-même, Hugo ne pouvait être Communard :
« Ce que représente la Commune est immense, elle pourrait faire de grandes choses, elle n'en fait que des petites. Et des petites choses qui sont des choses odieuses, c'est lamentable. Entendons-nous, je suis un homme de révolution. J'accepte donc les grandes nécessités, à une seule condition : c'est qu'elles soient la confirmation des principes et non leur ébranlement. Toute ma pensée oscille entre ces deux pôles : « civilisation-révolution ». La construction d'une société égalitaire ne saurait découler que d'une recomposition de la société libérale elle-même. »
Depuis Bruxelles où il était allé s'installer, il renvoie dos à dos la Commune et le gouvernement d'Adolphe Thiers. Il écrit ainsi le 9 avril 1871 :
« Bref, cette Commune est aussi idiote que l’Assemblée est féroce. Des deux côtés, folie. Mais la France et la République s’en tireront. »
Devant la répression qui s'abat sur les communards, le poète dit son dégoût et prend la défense des Communards :
« Des bandits ont tué soixante-quatre otages. On réplique en tuant six mille prisonniers !
Victor Hugo défend ainsi la demande de grâce de Louis-Nathaniel Rossel, le seul officier supérieur rallié à la Commune où il est ministre délégué à Guerre qui sera finalement exécuté le 28 novembre. Le 22 mai 1876, Victor Hugo demande au Sénat de voter l’amnistie des Communards survivants.
Victor Hugo a correspondu avec et soutenu Louise Michel, qui fut déportée en Nouvelle-Calédonie à la suite de sa participation à la Commune de Paris. Il lui dédia un poème Viro Major. Il reste de cette relation épistolaire entre 1850 et 1879 une grande partie des lettres de Louise Michel à Victor Hugo qui ont fait l'objet de publications ultérieures.

Combats sociaux

Victor Hugo a pris des positions sociales très tranchées, et très en avance sur son époque. Son chef-d'œuvre, Les Misérables est un hymne à la misère et aux plus démunis.

Question sociale

Dénonçant jusqu'à la fin la ségrégation sociale, Hugo déclare lors de la dernière réunion publique qu'il préside : « La question sociale reste. Elle est terrible, mais elle est simple, c'est la question de ceux qui ont et de ceux qui n'ont pas ! ». Il s'agissait précisément de récolter des fonds pour permettre à 126 délégués ouvriers de se rendre au premier Congrès socialiste de France, à Marseille.

Peine de mort

Hugo est un farouche abolitionniste. Dans son enfance, il a assisté à des exécutions capitales et toute sa vie, il luttera contre ce châtiment. Le Dernier Jour d'un condamné 1829 et Claude Gueux 1834, deux romans de jeunesse, soulignent à la fois la cruauté, l'injustice et l'inefficacité du châtiment suprême. Mais la littérature ne suffit pas, Hugo le sait. Chambre des Pairs, Assemblée, Sénat : Victor Hugo saisira toutes les tribunes pour défendre l'abolition comme dans son discours du 15 septembre 1848.
« ... Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n'appartiennent pas à l'homme : l'irrévocable, l'irréparable, l'indissoluble. Malheur à l'homme s'il les introduit dans ses lois. Tôt ou tard elles font plier la société sous leurs poids, elles dérangent l'équilibre nécessaire des lois et des mœurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience ... »
— Discours de Victor Hugo devant l'Assemblée constituante, 15 septembre 1848.

Victor Hugo vers 1875.États-Unis d'Europe

Victor Hugo a fréquemment défendu l'idée de la création des États-Unis d'Europe. Ainsi, dès 1849, au congrès de la paix, il lance :
« Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées. - Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d'un grand sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le parlement est à l'Angleterre, ce que la diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée législative est à la France! »
Victor Hugo conçoit une Europe axée sur le Rhin, lieu d'échanges culturels et commerciaux entre la France et Allemagne qui serait le noyau central de ces États-Unis d'Europe. Il présente une Europe des peuples par opposition à l'Europe des rois, sous forme d'une confédération d'États avec des peuples unis par le suffrage universel et l'abolition de la peine de mort.
L'idée n'est pas neuve, elle fut défendue avant lui par Saint-Simon, Guizot et Auguste Comte, mais Victor Hugo en fut un de ses plus ardents défenseurs à une époque où l'histoire s'y prête peu. Considéré comme visionnaire ou fou, Victor Hugo reconnaît les obstacles qui entravent cette grande idée et précise même qu'il faudra peut-être une guerre ou une révolution pour y accéder.

Colonisation et esclavage Victor Hugo et la conquête de l'Algérie.

Victor Hugo s'est peu exprimé sur la question de la colonisation de l'Algérie, qui a constitué pourtant la principale aventure coloniale de la France de son époque. Ce silence relatif ne doit pourtant pas être trop rapidement assimilé à un acquiescement de la part de l'auteur des Misérables. En effet, si Hugo a été sensible aux discours légitimant la colonisation au nom de la civilisation, une analyse attentive de ses écrits — et de ses silences — montre qu'à propos de la question algérienne ses positions furent loin d'être dénuées d'ambiguïtés : sceptique à l'égard des vertus civilisatrices de la pacification militaire, il devait surtout voir dans l'Algérie colonisée le lieu où l'armée française s'est faite tigre, et où les résistants au coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte ont été déportés.
Sur la question de l'esclavage, celui qui, dans les années 1820, montrait à travers Bug-Jargal qu'il partageait dans sa vision des peuples noirs les mêmes préjugés que ses contemporains, et qui garda un silence étonnant lors de l'abolition de l'esclavage en 1848, devait intervenir pour demander la grâce de l'abolitionniste américain John Brown150. Notons que l'évocation des méfaits de son personnage Thénardier, le parvenu des Misérables n'oublie pas en fin d'ouvrage la traite des Noirs. Thénardier avec l'argent de Marius donné à titre de remerciement s'installa en Amérique où il y devint négrier.

Féminisme

En 1882, Victor Hugo accepte d'être président d'honneur de la Ligue française pour le droit des femmes, héritière de l'Association pour le droit des femmes, association féministe fondée par Léon Richer. La question de l'égalité des droits des hommes et des femmes avait été déjà traitée quelques années plus tôt dans le dernier chapitre de Quatre-Vingt-Treize.

Droit d'auteur

Victor Hugo fut tenant du droit d’auteur et de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques tout en reconnaissant l'importance de l'accès de tous au savoir :
Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient – le mot n’est pas trop vaste – au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous.

Discours

Victor Hugo a prononcé pendant sa carrière politique plusieurs grands discours ; la plupart d'entre eux sont regroupés dans Actes et paroles :
Pour la Serbie, 1876, Pour une Fédération Européenne;
contre le travail des enfants Chambre des pairs, 1847 ;
contre la misère Discours sur la misère, 9 juillet 1849 ;
sur la condition féminine aux obsèques de George Sand, 10 juin 1876 ;
contre l'enseignement religieux et pour l'école laïque et gratuite Discours à propos du projet de loi sur l'enseignement, 15 janvier 1850 ;
plusieurs plaidoyers contre la peine de mort Que dit la loi ? Tu ne tueras pas. Comment le dit-elle ? En tuant ! ;
plusieurs discours en faveur de la paix Discours d'ouverture du Congrès de la paix, 21 août 1849 ; lettre en 1861 contre le pillage de l'ancien palais d'été par les Français et les Anglais lors de la seconde guerre de l'opium ;
pour le droit de vote universel ;
sur la défense du littoral ;
contre l'invalidation de l'élection de Garibaldi à l'Assemblée nationale en 1871, qui fut à l'origine de sa propre démission Contre l'invalidation de Garibaldi, Discours à l'Assemblée nationale, 8 mars 1871, Grands moments d'éloquence parlementaire.

Convictions religieuses

Selon Alain Decaux, Victor Hugo, élevé par un père franc-maçon et une mère qui n'est jamais entrée dans une église, se construit une foi profonde, mais personnelle.
Victor Hugo n'a jamais été baptisé, a tenté l'expérience d'un confesseur, mais finit sa vie en refusant l'oraison des églises. Il reproche à l'Église le carcan dans laquelle celle-ci enferme la foi. Alain Decaux cite, à ce sujet, cette phrase prononcée par Olympio : Les dogmes et les pratiques sont des lunettes qui font voir l’étoile aux vues courtes. Moi je vois Dieu à l’œil nu. Son anticléricalisme transparaît dans ses écrits comme Religions et religion, La fin de Satan, Dieu, Le pape, Torquemada, ainsi que dans son adhésion à des mouvements anticléricaux.
Victor Hugo reste cependant profondément croyant, il croit en un Dieu souffrant et compatissant, en un Dieu force infinie créatrice de l'univers, à l'immortalité de l'âme et la réincarnation. La mort de Léopoldine provoque un regain dans sa quête de spiritualité et lui inspire les Contemplations.
La quête spirituelle de Victor Hugo l'entraîne à explorer d'autres voies que le catholicisme. Il lit le Coran, s'intéresse au druidisme, critique les religions orientales et expérimente le spiritisme. Comme Balzac et malgré les nombreuses différences entre les visions du monde et de la littérature des deux plus grands hommes du temps, Hugo considère que le principe swedenborgien de correspondance unit l'esprit et la matière.
Victor Hugo se trouve en exil sur l'île de Jersey lorsque son amie Delphine de Girardin, qui se sait condamnée, l'initie en 1853 aux tables tournantes. Cette pratique issue du spiritualisme anglo-saxon, vise à tenter d'entrer en communication avec les morts. Hugo, pour qui les poètes sont également des voyants, est ouvert à ce genre de phénomènes. Ces expériences sont consignées dans Le Livre des tables. Durant deux ans, ses proches et lui interrogent les tables, s'émeuvent à l'idée de la présence possible de Léopoldine et enregistrent des communications d'esprits très divers, dont Jésus, Caïn, Dante, Shakespeare ainsi que des entités telles la Mort, la Bouche d'Ombre, Le Drame ou la Critique. S'ébauche ainsi une nouvelle religion dépassant le christianisme et englobant la métempsycose. Selon le docteur Jean de Mutigny, ces séances presque quotidiennes de tables tournantes révèlent une paraphrénie fantastique qui se retrouve dans les œuvres ultérieures de Victor Hugo, notamment le poème Ce que dit la bouche d'ombre des Contemplations.
Par la suite, Victor Hugo affiche ses convictions concernant la survie de l'âme en déclarant publiquement : Ceux que nous pleurons ne sont pas les absents, ce sont les invisibles. Lors de l'enterrement de l'écrivain, cette phrase est inscrite sur une couronne de fleurs portée par une délégation de la Société Scientifique du Spiritisme qui considérait que Victor Hugo en avait été un porte-parole. Mais l'expérience spirite n'a été qu'un moment dans la quête par Hugo d'une vérité et ce moment a été dépassé par d'autres recherche à la poursuite du vrai.
Son testament, lapidaire, se lit comme une profession de foi :
« Je donne cinquante mille francs aux pauvres.
Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard.
Je refuse l'oraison de toutes les églises ; je demande une prière à toutes les âmes.
Je crois en Dieu.

Hugo et ses contemporains

Estimé par certains et critiqué par d'autres, Victor Hugo reste une figure de référence de son siècle.

Temps des rivaux

Admirateur de Chateaubriand à qui il dédie plusieurs odes, il se détache peu à peu de son ancien maître qui lui reproche une littérature subversive. Il entretient des relations d'estime et d'admiration mutuelles avec Balzac un peu de méfiance, l'ego des grands créateurs y pourvoit, Nerval et Vigny et des relations d'amitié avec Dumas, son compagnon de romantisme, qui dureront, avec beaucoup de hauts et quelques bas, toute la vie. La rivalité est plus exacerbée avec Lamartine, auquel Hugo ne cesse de proclamer son admiration, mais ne lui concède plus, le succès venant, de réelle prééminence artistiqueet avec Musset qui lui reproche ses artifices et son engagement politique.
Il détient en Barbey d'Aurevilly, Gustave Planche, et Sainte-Beuve à partir de 1835, des adversaires tenaces et constants, dans les frères Goncourt des lecteurs très critiques et en George Sand une commentatrice très perspicace. Mais il possède en Théophile Gautier un admirateur inconditionnel que Victor Hugo soutiendra jusqu'à sa mort.
Les relations sont plus conflictuelles avec les admirateurs de la première heure, que Victor Hugo déçoit parfois par la suite et qui alternent éloges et critiques : Charles Baudelaire, Flaubert… D'autres revendiquent leur filiation avec Victor Hugo tout en empruntant des voies qui leur sont propres, se détachant même du romantisme : Théodore de Banville, Leconte de Lisle, Mallarmé, Verlaine…
L'étiquette d'auteur engagé que lui vaut son exil participe à sa notoriété, mais lui aliène l'estime de poètes comme Baudelaire, et provoque sa rupture avec Vigny, fidèle à l'empereur.
Quand il retourne en France après l'exil, il est considéré comme le grand auteur qui a traversé le siècle et comme un défenseur de la république. Les monarchistes ne pardonnent pas facilement à celui qui a trahi son milieu et si les républicains les plus à gauche doutent de sa conversion, il devient cependant un enjeu politique, adulé par la gauche républicaine qui organise pour l'anniversaire de ses 79 ans, une grande fête populaire. Les jeunes poètes continuent de lui envoyer leurs vers – tandis que d'autres se montrent volontiers irrévérencieux.
Hugo : l'Homme apocalyptique,
L'Homme-Ceci-tûra-cela,
Meurt, gardenational épique ;
Il n'en reste qu'un – celui-là
— Tristan Corbière, Un jeune qui s'en va, Les Amours jaunes 1873
Ce culte hugolien exaspère ses pairs. Paul Lafargue écrit en 1885 son pamphlet La légende de Victor Hugo et Zola s'exclame :
Victor Hugo est devenu une religion en littérature, une sorte de police pour le maintien du bon ordre …. Être passé à l'état de religion nécessaire, quelle terrible fin pour le poète révolutionnaire de 1830.

Biographies et commentaires de :
Jacques SEEBACHER, Pierre ALBOUY, Anne UBERSFELD, Philippe VERDIER

Roman, critique, voyages, histoire dialoguent dans l'œuvre de Victor Hugo avec le lyrisme, l'épopée, le théâtre en un ensemble dont le « poète » a souvent proposé des articulations historiques, géographiques ou idéologiques plutôt qu'une périodisation. En règle générale, l'œuvre en prose a pour fonction de recueillir les éléments les plus secrets de l'œuvre poétique, de les composer en architectures prospectives ; plus neuve et plus audacieuse ainsi, elle peut servir de préface à toute la création hugolienne. Elle se distribue pourtant en trois masses : la mort de Léopoldine, en 1843, entre l'Académie (1841) et la Chambre des pairs (1845), marque une première rupture ; vers 1866-1868, c'est le tournant proprement historique et politique. Chacune de ces masses est caractérisée par la présence de romans ou quasi-romans (Han d'Islande, Bug-Jargal, Le Dernier Jour d'un condamné, Notre-Dame de Paris, Claude Gueux, pour la première ; Les Misérables, Les Travailleurs de la mer, pour la deuxième ; L'Homme qui rit et Quatrevingt-Treize, pour la troisième), de textes mêlés d'histoire, de politique et de voyages (pour l'essentiel, respectivement : Le Rhin ; Choses vues et Paris ; Actes et Paroles et Histoire d'un crime) et enfin d'essais critiques, qui se fondent avec l'histoire militante dans la troisième période, en une vue rétrospective qu'annonçaient déjà Littérature et philosophie mêlées dans la première période et la somme du William Shakespeare dans la deuxième. La poétique de l'œuvre en prose s'inscrit donc dans un espace à quatre dimensions : le romanesque, le voyage, la politique, la réflexion critique sur le génie. À côté de l'évolution biographique et historique, c'est le William Shakespeare qui forme le centre de gravité du colosse. Poète usé par l'école de la IIIe République et la pratique des morceaux choisis, dramaturge qu'on croit mort avec le théâtre romantique en 1843 (échec des Burgraves), romancier méconnu parce que trop mesuré aux normes de Stendhal, Balzac ou Flaubert, Hugo apparaît de plus en plus dans sa singularité géniale, si l'on examine toute son œuvre à partir du fonctionnement de son intelligence critique, qui est, contre Sainte-Beuve, une réflexion sur le caractère absolu de la modernité. Jacques Seebacher

La poésie hugolienne prend sa source dans la poésie légère du XVIIIe siècle ; elle revêt, d'abord, des allures post-classiques, puis elle parcourt, illustre, promeut chacun des aspects et des moments de la poésie romantique ; elle en réalise, elle seule, le rêve le plus grand, celui d'une épopée de l'humanité. Elle résume ainsi le XIXe siècle, jusque vers 1865, date où Les Chansons des rues et des bois s'accordent à la poésie fantaisiste, joyeuse et artiste d'un Théodore de Banville ; ensuite, Hugo devient, de son vivant même, anachronique. On aurait alors la tentation de résumer le XIXe siècle poétique avant Mallarmé et Rimbaud par Hugo et par Baudelaire, comme Goethe résumait le XVIIIe siècle par Voltaire et Rousseau, en laissant entendre qu'avec Les Fleurs du mal, en 1857, un monde commence tout comme avec Les Contemplations, en 1856, un monde finit. Une telle vision serait fausse. Il y a plus de fulgurations surréalistes dans Ce que dit la bouche d'ombre (ou dans les comptes rendus des séances de spiritisme) que dans toute l'œuvre de Baudelaire. Hugo ne résume pas seulement le romantisme, il en dégage, lui aussi, la modernité par l'audace d'une écriture poétique qui assume la totalité du réel et l'abolit dans son mouvement même. C'est une voix qui donne à entendre toutes les voix, puis le silence. Ce poète est le poète de Dieu. Il a voulu non point enfermer le monde dans son livre – cela lui était facile –, mais abolir le monde par la parole qui en rend compte, tout de même que Dieu est cette fuite vertigineuse qui, à la fois, crée le monde et l'anéantit incessamment. Hugo dit le monde et, ce faisant, le creuse et le dépasse. C'est ainsi qu'il faut l'écouter et l'entendre, voix multiple, sonore, retentissante ou en sourdine, et voix même du silence. Poète de toutes les présences et poète du vide. Poésie, excessivement difficile, de l'affirmation de l'être et de sa négation. On a pris pour rhétorique redondante ce qui était perpétuelle création et abolition – parole même de la transcendance. Hugo est le grand poète de la mort. Pierre Albouy
Si Hugo est un grand poète lyrique, il s'est voulu aussi un grand dramaturge dont la longue carrière se déroule de ses quatorze à ses soixante-quatorze ans. Le besoin de cesser d'être celui qui dit Je, de devenir le On de la création dramatique obsède ce génie puissant.
Or, on sait que la critique n'a jamais accepté le théâtre de Hugo, qu'elle a toujours été fort réticente devant des œuvres apparemment proches du mélodrame par la technique et par le contenu.
Dès le début de sa carrière le problème se pose à lui moins de faire triompher le drame romantique contre la vieille tragédie que de faire coïncider son esthétique dramatique particulière avec les exigences de la scène et du public dans la première moitié du XIXe siècle. Or cette coïncidence ne se fait pas ou se fait fort mal. Si le drame romantique est généralement mal accueilli par la critique et même par le public, s'il ne réussit pas à s'imposer, le drame de Hugo rencontre des difficultés particulières. Très éloigné des conceptions littéraires et politiques d'un Alexandre Dumas ou même d'un Casimir Delavigne, Hugo se refuse à la moindre concession ; son théâtre ne relève, malgré les apparences, ni de la confession sous le couvert de personnages dramatiques, ni de la thèse politique ou sociale, mais d'une certaine forme de tragique dépendant des rapports nouveaux entre l'individu et l'histoire. Théâtre d'intention individualiste et bourgeoise, il traduit en fait l'impuissance de l'individu à trouver son être propre, à agir sur l'histoire, à dépasser les conflits des générations en rachetant la malédiction du passé. Ce qui paraît capital à Hugo, c'est la justification de l'être maudit, du monstre humain ou social, de l'individu marginal, révolté ou exilé de l'ordre social : « Car j'ai collé mon âme à toute âme tuée », dit le poète.
De là l'usage qu'il fait de l'imaginaire, et plus particulièrement de ce qu'il appelle le grotesque. Après la renonciation au théâtre joué, fantaisie et grotesque s'épanouissent sans contrainte, dès 1843, dans cet énorme matériel que sont les fragments dramatiques et dans les merveilleux textes poétiques du Théâtre en liberté. Anne Ubersfeld

Beaucoup d'inconnu et plus de malentendu encore recouvre l'image de Victor Hugo dessinateur, qui s'est servi de l'encre pour « fixer des vestiges » et des états de « rêverie presque inconsciente ». Quelque trois cent cinquante dessins illustrent sa légende d'artiste dans le musée de la place des Vosges. Ce que l'on retient surtout d'eux, c'est le tour de force de leur technique, celle d'un autodidacte qui improvisait sa matière – lavis brossés au tampon de papier, mixtures de sépia, de fusain, de marc de café, ou de café au lait, de suie – et qui dégradait ses outils, plumes faussées, allumettes brûlées. Ils continuent à faire figure de Marginalia en lisière de l'œuvre littéraire, selon le propre jugement de leur auteur (« Cela m'amuse entre deux strophes », lettre à Baudelaire, 19 avril 1860), et la réticence qui a fait dire à un de leurs premiers admirateurs, Théophile Gautier, que Victor Hugo n'a pas poussé plus loin qu'un « simple délassement » ces exercices en virtuosité parce qu'il était convaincu que « ce n'est pas trop de tout un homme pour un art ». Et encore une fois Victor Hugo se considérait comme « une bête de somme attelée au devoir », c'est-à-dire à la mission d'un mage devant qui le temps s'abrégeait (lettre à Philippe Burty, 18 avr. 1864). Cependant le cas de Hugo dessinateur-peintre, sculpteur et ébéniste, aquafortiste même, une fois, pour Juliette Drouet, aux étrennes de 1868, n'est pas assimilable à celui d'écrivains doués aussi pour les arts du dessin comme Baudelaire et Valéry, mais qui pourraient souscrire à l'aveu de Goethe : « J'ai essayé bien des choses, j'ai beaucoup dessiné, gravé sur cuivre, peint à l'huile, j'ai aussi bien souvent pétri l'argile... dans un seul art je suis devenu presque un maître : dans l'art d'écriture en allemand » (Épigrammes de Venise). L'art du dessin n'est pas une annexe de l'œuvre de Hugo écrivain, ni pure curiosité exploratrice d'un médium différent de l'écriture.Philippe Verdier

Le prosateur

L'arc oriental. Esthétique
Après la préface de Cromwell (1827), qui s'enracine dans l'espace et le temps de la Genèse pour déboucher sur la modernité du drame shakespearien, Littérature et philosophie mêlées (1834) fait le premier bilan d'une période d'activité littéraire (1819-1834). Le passage du Journal... d'un jeune jacobite de 1819 au Journal... d'un révolutionnaire de 1830 commande l'anthologie soigneusement revue et corrigée de ses œuvres critiques, depuis le très ultra Conservateur littéraire jusqu'au ralliement à un libéralisme que la figure de Napoléon, prophétisée par Mahomet, relie, comme dans Les Orientales, à toutes les ambiguïtés du XIXe siècle. Le second volume explicite ainsi, de Voltaire à Mirabeau, l'ambition inquiète de prendre place parmi les génies prophétiques et maudits, en un étrange mélange de fantaisie provocatrice et d'humour prudent. La Grèce apparaît comme la plaque tournante des plus anciennes civilisations et de l'époque moderne, qu'il s'agisse de Chénier ou de Byron, de Lamartine entre Platon et Ossian, ou de Walter Scott qu'il faut « enchâsser dans Homère ». La préface avoue le « But de cette publication », en un texte qui combine l'examen de conscience et la réflexion théorique pour passer du « système » à l'« action », d'une appréhension de l'héritage des Lumières et de la Révolution à la construction d'un siècle neuf sur le principe de « la substitution des questions sociales aux questions politiques ». La thèse fondamentale réside dans le passage d'une esthétique classique (« Une idée n'a jamais qu'une forme, qui lui est propre ») à une esthétique fondée sur l'étude historique et linguistique du style (« Rien de plus consubstantiel que l'idée et l'expression de l'idée »). De là découle la nécessité globale du drame, dans sa pertinence à l'évolution des genres, à la révolution politique, aux réalités sociales d'un public qui fait l'art « populaire », bref à la rencontre exacte d'un génie et du génie de l'époque, en une dynamique critique.

L'impossible roman

C'est pourquoi le roman reste un genre « ironique et railleur », quand il n'est pas simplement lié aux circonstances de la polémique, sans parler de son utilité purement alimentaire. Cette époque se caractérise par les plus grandes hésitations à composer des romans. La rédaction de Han d'Islande (1823) n'a été achevée que pour faire vivre le poète qui venait de se marier. Notre-Dame de Paris (1831) a été écrit in extremis sous la menace de poursuites. Bug-Jargal, simple conte de 1819 pour le pari d'un dîner, prend corps en 1826 à l'occasion assez financière d'une édition de ses Œuvres complètes. Mais ce malaise du roman hugolien, qui s'associe chaque fois à une interrogation politique complexe, est à l'origine de sa vertu critique. Han caricature le roman de la quête chevaleresque en une Norvège qui hérite de toutes les perversions du roman noir anglo-saxon, Bug démarque la simplicité du roman sentimental sous la Restauration, se pare des couleurs de l'exotisme antillais, Notre-Dame bat Walter Scott sur son propre terrain. Cette rivalité caustique se retrouve à l'intérieur même de chacun de ces romans, qui devient ainsi un monstre autophage. Le résidu de cette dévoration littéraire, l'unité qui résulte de ce fourmillement archéologique et de cette fantaisie débridée, est la superposition d'un destin individuel et d'un grand mouvement de masse : le noble Ordener et les mineurs révoltés, Bug et les Noirs déchaînés, les Frollo, Quasimodo et un Gringoire inverse de Hugo devant les truands qui montent à l'assaut de la cathédrale. On a donc la figure constante d'un mythe double du génie et du peuple, combinée à une virtuosité romanesque qui repose sur « Ceci tuera cela » ( Notre-Dame de Paris, V, 2) : l'imprimerie tuera l'architecture, l'écriture romanesque démontera la fantaisie, la gratuité et la féminité du genre, l'exercice de la prose va dire la véritable poésie. À ce degré de réduction, Le Dernier Jour d'un condamné (1829) et Claude Gueux (1834), œuvres à peine romanesques du combat contre l'homicide légal, textes de la prison des lois, des corps et de l'âme, procurent la plus extrême tension de l'écriture, le monologue intérieur, l'origine de Dostoïevski et de Camus, le lent tournoiement d'obsessions justiciables de la psychanalyse. Critique puis autocritique, le roman n'attend plus que la marée lyrique, épique et contemplative pour devenir Les Misérables, par effacement de ce qui restait d'oriental dans le Paris du XVe siècle, de « mosquée » dans la cathédrale, de théologie dogmatique dans l'œuvre.

L'œil écrit

L'expérience personnelle qui alimente et informe cette évolution est certainement le voyage, dans les souvenirs qu'il laisse et que, de plus en plus, fixe la pratique épistolaire. Les souvenirs de Bayonne et de Madrid (1811-1812) avec le premier émoi amoureux, de Dreux (1821) dans l'espoir d'obtenir la femme de sa vie, de Reims (1825) pour le sacre de Charles X, de Chamonix (1825) avec Nodier en passant chez Lamartine, de la route de Brest (1834) à la poursuite de Juliette Drouet, avec retour par la Loire, de Champagne, Normandie, Bretagne et Belgique chaque année de 1835 à 1838 en compagnie de sa maîtresse attitrée désormais, marquent moins les vacances de la passion que la détermination progressive d'un espace intérieur de la vision à partir du regard des « choses vues » qui abolit, dans la netteté même du trait pittoresque, les risques de l'anecdote faussement réaliste à quoi l'archéologue, l'historien, le dessinateur, le père de famille, le poète intimiste n'eussent été que trop enclins. C'est à Montreuil-sur-Mer, lieu futur des Misérables, qu'il fixe, sur un fond inexplicable de tristesse, le 4 septembre 1837, six ans avant la mort de sa fille, et en songeant à elle, le principe de l'échelle des êtres et l'espace que forme en se dissolvant au rythme de la mer l'universelle analogie. S'installe alors une géographie du rêve et de l'action où les voyages vers l'est, en 1839 et 1840, recomposés pour Le Rhin (1842), viennent inscrire une politique européenne, dans le mythe d'un Empire où Charlemagne et Napoléon se tiennent à égale distance du despotisme oriental et du mercantilisme occidental. Ce qui germe donc, dans ces lettres, nées du choc entre le saisissement des choses et la discursivité des guides pour touriste, c'est une figure du destin : géographie et histoire se bloquent mutuellement, le voyage est exil, l'impossible épopée va faire naître les voix du silence. En 1843, le voyage aux Pyrénées, retour à l'enfance, produit les textes les plus aigus de notre littérature descriptive, la métaphysique de la négativité et du renversement y devient comme naturelle dans sa plénitude. Léopoldine se noie. L'écrivain se tait. Les occupations politiques et mondaines, le flamboiement de l'amour charnel aussitôt interdit que trouvé (constat d'adultère de juillet 1845) masquent désormais, pour dix ans, le lent travail de ressourcement d'une carrière finie l'année même où la pairie la consacre. C'est en 1845 qu'un Hugo misérable commence à écrire ce qui ne pourra devenir Les Misérables qu'au travers de l'exil. Babel est définitivement renversée.

L'arc occidental

L'âme. Entrepris peut-être sans projet bien défini, à une époque de difficultés financières que le roman pourrait bien une fois de plus pallier, Les Misérables sont abandonnés en février 1848, moins sans doute à cause de la révolution que parce qu'ils sont au bord de l'indicible, au point précis de l'aveu de l'inceste. Les discours de l'orateur politique ne culminent peut-être avec le discours sur la misère (9 juillet 1849), qui date le ralliement du conservateur à la gauche quasi républicaine, qu'en fonction d'un creusement de la misère personnelle à quoi l'exil politique devient indispensable. Quand la rage s'est vidée dans les Châtiments et dans Napoléon le Petit, l'histoire peut se faire intérieure et exemplaire avec Les Contemplations. De Bruxelles à Jersey, de Jersey à Guernesey, elle devient histoire universelle par La Légende des siècles et se transcende même en une immanence hors des temps (Dieu et La Fin de Satan) qui fait que tout l'Océan est toute l'âme. Sur son roc anglo-normand, Hugo contemple l'être : il peut reprendre Les Misérables, mais il lui faut se relire, constituer un corps de Philosophie (ou « préface philosophique » des Misérables). Cet essai restera inachevé parce que, le roman une fois publié, c'est William Shakespeare (1864) qui administre toutes les preuves de Dieu, de l'âme et de la responsabilité au seul niveau qui importe à Hugo et à ses lecteurs, celui de la littérature, c'est-à-dire de l'histoire, du génie, de l'action.

Forme du génie

La théorie de base, plus ou moins dissimulée pour des raisons d'opportunité politique, réside dans la fonction spontanément civilisatrice, voire révolutionnaire, du beau, parce qu'il n'y a pas d'autre fond à l'œuvre d'art que sa forme même. Puisque Les Contemplations ont repris en « Mémoires d'une âme » ce que Littérature et philosophie mêlées présentait en examen de conscience, le livre majeur de critique peut bien développer, comme d'outre-tombe, une théorie transcendante de la langue universelle du génie. Les « hommes océans » habitent la « région des Égaux ». Au-delà d'une certaine limite, la nature de l'art interdit toute comparaison. Le mouvement de l'histoire aligne cette galerie de portraits selon l'axe qui passe par Eschyle et Shakespeare, et que la révolution continue : le blocage de tous les éléments de la prose est ici parfait dans le mythe qui fait de l'œuvre d'art le modèle privilégié de toute existence historique et spirituelle, jusqu'à l'intériorisation du drame par un système de double action en reflet réciproque, par un jeu de miroirs qui ouvre sur l'ubiquité, sur l'immensité de la création. D'où le rapport entre « les esprits et les masses », « le beau, serviteur du vrai » et, pour finir, « la nature révolutionnaire » du XIXe siècle, qui est « de se passer d'ancêtres ». De même qu'on est passé de l'Inde et de la Grèce à l'Angleterre industrielle autant qu'océanique, en une sorte de tradition géographique, de même l'héritage historique fonde le droit du siècle à son indépendance, son devoir d'élaborer une théorie critique inséparable du progrès des masses et de la révolution : idéologie visionnaire d'un bourgeois républicain qui embrasse à la fois Jésus-Christ et le drapeau rouge, le William Shakespeare circonscrit le lieu poétique où naîtront les efforts les plus scientifiques de la recherche moderne. Cent ans d'historicisme n'ont pu empêcher « que l'histoire soit à refaire », à la frontière du paysage intérieur et des échappées sur la nature sociale.

Tempêtes

Les Misérables 1862 répondaient à cette dynamique. Analogue jusque dans sa composition aux Contemplations, le roman vaut par la manière dont toute une série de « digressions » déterminent, au contact de la destinée du forçat Jean Valjean qui subit les épreuves successives de sa régénération, les conditions critiques du siècle romantique. La réalité, le réalisme poétique, le résidu de tous les sentimentalismes et du roman-feuilleton, le paternalisme, la morale, tout est employé pour être nié par un fonctionnement original de l'ironie, qu'on aperçoit rarement et qui éclate dans les dialogues. De la catastrophe de Waterloo à l'écrasement de l'insurrection de 1832, le roman dit la négativité du siècle. De la mort de Fantine au mariage de Cosette, tendrement et cruellement placé au jour de naissance de l'amour pour Juliette Drouet (16 févr. 1833), Les Misérables crient l'insuffisance de l'amour. Et les différents personnages dans lesquels le romancier s'est peint, Marius en tête, sont menacés d'embourgeoisement stupide quand ils ne consentent pas à mourir pour l'avenir. Le gamin Gavroche, sur la barricade, meurt peut-être en transmettant la chanson du progrès, Voltaire et Rousseau, et tous les socialismes, de même que les flambeaux de l'évêque symbolisent la transmission de la charité. Tout s'évanouit, la tombe du martyr se recouvre d'herbe. Seul le poète y inscrit, au crayon, sa trace. C'est ailleurs, dans l'immensité de l'utopie, dans la réduction forcenée de la fatalité sociale à la fatalité de la nature, en plein océan, qu'il faut achever tout ce que l'œuvre poétique préparait dans le thème des marins perdus.
De tous les romans de Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer (1866) sont sans doute le plus poétique et le plus achevé. Réfection avouée de Notre-Dame de Paris, autobiographie mythique à peine dissimulée, le roman s'étend en préparations sur le jeu des deux abîmes, celui de la mer, celui du cœur, jusqu'à la précipitation de l'intrigue dans le sacrifice suprême, qui est à la fois suicide de Gilliatt et réintégration du héros, de l'auteur et de l'œuvre elle-même dans l'espace infini de la création. L'érotisme, la mort, le travail, la nature même ont été arrachés à leurs déterminations particulières pour se fondre en une sorte de surnature plus expérimentale que métaphysique. Le roman sécrète alors comme un prologue géographique et historique sur L'Archipel de la Manche, où l'« antiquaire » dénote en fait l'ensemble du livre comme un poème de l'utopie : le pessimisme de la dégradation des rochers, des mœurs et des hommes, l'entropie de la nature et de l'histoire se renversent en espoir spirituel. C'est l'aboutissement de toutes les « choses vues « : la multiplication des détails, l'incision du dessin font paradoxalement se dissoudre les barrières.

Conquêtes

De Guernesey ou de Serk, par la Belgique, le Luxembourg et la Rhénanie, les voyages, qui lui font rencontrer de plus en plus d'opposants au régime impérial, décrivent comme la limite de l'exil. De l'Angleterre à la Suisse, l'espace occidental de la démocratie guette Paris, cœur de la France, capitale des futurs États-Unis d'Europe, puisque l'esclavage et la sécession ont éclipsé les espoirs d'outre-Atlantique. Nous sommes, en 1867, au point où toutes les traditions, à partir d'une autobiographie enfin assumée, convergent vers la mission révolutionnaire de Paris (Introduction pour un guide de l'Exposition universelle) : l'avenir oriente le passé, le siècle romantique, commencé dans l'interrogation sur toutes les légitimités et tous les conflits, proclame, à la veille de la guerre, la suprématie de la paix à conquérir. La purgation des forces profondes s'est achevée dans la dilatation de l'espace poétique. Les fatalités sont mortes : l'histoire devient possible, l'écriture est action.

L'axe historique

Écrits; De part et d'autre de la convulsion politique et sociale (la guerre de 1870 et la Commune), Hugo s'engage. Pour la paix, pour la démocratie, pour l'amnistie aux communards, pour une république fondée sur la mystique de l'instruction gratuite, laïque et obligatoire, trouvant dans une sorte de radicalisme la synthèse pratique de son paternalisme populaire et de son anarchisme bourgeois. Patriarche, sorte de Noé vénéré et vilipendé, sénateur de la République comme Sainte-Beuve l'avait été de l'Empire, il est la figure même de l'histoire. La publication de l'Histoire d'un crime contre les tentatives de coup d'État de Mac-Mahon (1877) peut symboliser l'indissolubilité de l'engagement littéraire et politique et le passage de l'exil au combat. La perfection narrative de ce livre écrit au lendemain du coup d'État de 1851 provient d'une double urgence : celle du vaincu qui plaçait sa rage dans le collage objectif des témoignages documentaires, celle du chef spirituel du parti démocratique qui sent à portée de sa main la victoire décisive sur la droite et les possibilités à gauche de ne pas être débordé par la foule. L'impassibilité de cette prose combine la perpétuelle présence du scripteur et son incessant effacement. Le combattant qui se justifie disparaît au profit d'une histoire qui n'est plus fatalité du passé, mais nécessité de l'action. Le juste retour des choses transforme la hantise de l'éternel retour en un texte, proposé aux masses, mais qui, comme les masses, doit d'abord se lire lui-même : le drame de l'histoire s'effectue en conscience critique et autocritique.

Réduction du surréel

Le cheminement romanesque obéit, au fil de cette période, à un schéma analogue. De L'homme qui rit (1869), roman baroque aux prodigieuses inventions apocalyptiques, à Quatrevingt-Treize (1874), où le rêve ne déborde plus de la réalité qu'il interprète, on est passé de l'aristocratie à la république, de l'exil militant au désengagement apparent, du symbolisme initiatique à l'histoire lue comme texte, écrite comme procès et progrès, de tous les héritages à la mort de la paternité, de l'empire maritime de Grande-Bretagne au dialogue français de Paris et de la « Vendée », des exploitations spiritualistes à l'urgence de la démocratie. Le roman intermédiaire qui avait été prévu, sur la monarchie française au XVIIIe siècle, n'a pas été écrit, peut-être parce que la « substitution des questions sociales aux questions politiques » s'est enfin comprise elle-même, parce que la souveraineté du moi s'est fondée dans une pratique de la disparition, parce que le XVIIIe siècle n'exerce plus sa fascination. Tout prend désormais figure pour l'aventure du XXe siècle, et c'est à la veille de l'attaque qui va mettre fin à sa carrière d'écrivain, en 1878, que Hugo célèbre en Voltaire un autre lui-même, qui meurt immortel, dans « la transparence [...] propre aux révolutions » – propre aussi à ce génie de la prose vers quoi tendait toute son œuvre poétique. Actes et Paroles marque peut-être, sous le plaidoyer personnel, la disparition du personnage encombrant l'horizon, du mythe politique, littéraire, social, de l'impérialisme hugolien, au bénéfice de cette « prose du monde » qui ouvre le champ de toute la modernité.Jacques Seebacher

Le poète

« Toute la lyre »
En 1888, Paul Meurice intitulait deux volumes de poèmes posthumes de Hugo Toute la lyre. C'est sous ce titre qu'on peut traiter des débuts de Victor Hugo et de la première partie de sa carrière.
Arraché aux Feuillantines et à sa mère par ordre paternel (ses parents sont séparés), Victor s'ennuie à la pension Cordier et, de 1815 à 1818, y remplit de vers trois cahiers. Beaucoup de pièces dans le goût de L'Almanach des Muses, des charades, des énigmes, des épigrammes, des fables. Des traductions du latin, aussi, de Virgile en particulier. En 1816, Victor Marie, en même temps que son frère Eugène, son rival en poésie, écrit une épopée en trois chants, Le Déluge, dont le merveilleux chrétien avoue l'influence du Génie du christianisme. Elle se mêle aux leçons de Virgile et s'accommode de la domination de Voltaire : comme sa mère, Victor est « royaliste voltairien », et, après que « Le Bonheur que procure l'étude dans toutes les situations de la vie », son premier poème publié, lui a valu, en 1817, l'« encouragement » de l'Académie française, les poèmes académiques et satiriques de 1819 font de cette année celle du « royalisme voltairien ». Le chef-d'œuvre en est assurément le poème du Télégraphe, qui raille les libéraux et les ministériels, avec une verve, un esprit, une bonne humeur qui font songer à Voltaire plus qu'à Joseph de Maistre. Mais déjà se multiplient les odes vengeresses où la lamentation sur l'hydre de l'anarchie se mêle à la prophétie du malheur. Rappelons encore qu'en plus de la poésie lyrique, de l'épopée et de la satire l'adolescent s'est exercé au théâtre et au roman, et, à lui seul, ou presque, assure, quinze mois durant, la rédaction d'une revue, Le Conservateur littéraire. Toute la lyre en vérité !
Le 8 juin 1822 paraît en librairie le premier livre de Victor Hugo, sous le titre d'Odes et poésies diverses. Le recueil ira s'enrichissant et se diversifiant jusqu'à l'édition dernière de 1828. Qu'il déplore la mort du duc de Berry ou célèbre le sacre de Charles X, Victor Hugo est le poète du royalisme ultra. Mais, du début à la fin, il mêle à ses odes politiques les odes « rêveuses » où il dit ses souffrances de fiancé séparé, sa joie et sa fierté d'époux qui se juge comblé. La poésie royaliste l'entraîne, en outre, à prendre l'attitude du prophète jetant l'anathème sur son temps ; en appelant du tribunal des hommes à celui de Dieu, il cultive le genre de la vision comme dans l'ode qui porte ce titre et qui, dans un décor miltonien, fait condamner par Jéhovah le siècle coupable de Voltaire et de Robespierre. Genre, attitude que Hugo pratique avec une sincérité plus entière dans les odes écrites en 1823 : alors, à l'influence de Chateaubriand succède celle de Lamennais ; on devine une première « crise mystique », qui l'autorise à s'écrier dans Action de grâces : « Mon esprit de Patmos connut le saint délire. » Les prophètes et l'Apocalypse au service d'une cause politique, c'est déjà, dans un parti opposé, le prélude aux Châtiments, cependant que l'inspiration cosmique et visionnaire, çà et là, à travers la forme vieillie, annonce Les Contemplations. En 1826, aux Odes s'ajoutent des Ballades : Moyen Âge, « mythologie » à la Nodier, avec des sylphes et des lutins, acrobaties rythmiques et verbales, c'est le temps de la fantaisie. Au début de 1829, Les Orientales achèvent de faire de Hugo le maître des deux domaines romantiques, l'Orient et le Moyen Âge, de la poésie pittoresque et de l'« école de l'art ». Le recueil, cependant, est plus mystérieux qu'on ne croirait : livre souvent nocturne que la lune éclaire davantage que le soleil, livre voluptueux et cruel... À vingt-sept ans, Hugo a parcouru tout l'espace poétique, essayé toutes ses voix.

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Posté le : 21/05/2016 17:53
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Victor Hugo 3
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La voix du poète

Dans Les Feuilles d'automne (1831), Les Chants du crépuscule (1835), Les Voix intérieures (1837), Les Rayons et les Ombres (1840), une poésie très humaine, quotidienne, si l'on peut dire, réaliste même, étend son domaine. Les confidences très réservées sur une lassitude de vivre et un remords : mésentente conjugale, soupçons à l'encontre d'un Sainte-Beuve qui fut, sans doute, l'amant d'Adèle Hugo ; sur le renouveau apporté par l'amour : Juliette Drouet, en 1833 ; rien sur la jalousie qui ravagea le couple, ce semble, au moins l'année suivante, partage qu'il faut comprendre entre la maîtresse et l'épouse ; sur la famille : le père et la mère réconciliés dans la mort, le frère fou qui eut du génie et dont l'exil dans la folie et la mort ont peut-être acheté le droit redoutable de Victor à devenir le Poète, les enfants, enfin, que le cercle de famille applaudit, comme on sait, et dont l'un, la fille préférée, Léopoldine, rachète, par sa pureté, le père souillé par le péché de vivre (« La Prière pour tous ») – ces confidences sans indiscrétion, sans éclat, se mêlent à l'histoire, s'entourent du monde entier, nature et humanité, s'ouvrent à l'invisible selon « La Pente de la rêverie « : dans ce poème de mai 1830, un homme à sa fenêtre rêve, regarde, écoute des enfants jouer ; or la pente de cette rêverie des plus ordinaires descend la « spirale » « profonde » d'une tour de Babel renversée et intérieure où la vision de l'histoire, jusqu'au fond des temps, débouche sur l'abîme vide de l'« ineffable », de l'« invisible », de l'« éternité ». Plus tard, la poésie hugolienne tiendra l'intenable gageure de traduire en langage cette expérience de l'être même comme infinité, comme évanouissement hors de toute forme et de toute limite. Dès Les Feuilles d'automne, une poésie modeste investit l'univers et jusqu'à sa béance...
Depuis l'ode « À la colonne de la place Vendôme », en 1827, Hugo s'est détaché du royalisme maternel, et, retrouvant son père, s'est mis, dès Les Orientales, à célébrer Napoléon. Il est libéral. La révolution de juillet 1830 le trouve attentif, ouvert, réservé. Dans Les Chants du crépuscule, il apparaît comme un modéré soucieux de progrès et de mesure, sensible à un nescio quid divini qu'il perçoit dans le peuple, mais redoutant les révolutions et suggérant que la source terrible et tarissable en pourrait être la misère... Il en est, en 1835, au moment du doute ; Les Chants du crépuscule établissent cette seule certitude « que nous avons le doute en nous ». Puis, dans les deux recueils suivants, la sérénité l'emporte.
Depuis les temps du romantisme jusqu'à la photo de Nadar qui le représente sur son lit de mort, l'iconographie de Victor Hugo est considérable. Ici, un portrait de Victor Hugo jeune. Musée national du château de Versailles.
Cette conquête d'une sagesse – « Sagesse » est le titre du dernier poème des Rayons et les Ombres – s'accompagne d'une définition de la nature et de la fonction du poète. « Qui parle ? » C'est, dirait-on, la question qui court à travers ces quatre recueils. La pièce initiale des Feuilles d'automne définit le poète comme un « écho sonore « : modestie, puisque la voix du poète est composée des voix des autres et de tout le reste, mais grandeur, car cet écho est « au centre de tout... ». Et, dans un des derniers poèmes, le poète est devenu Pan, l'homme à la tête cosmique, la voix même de la totalité. Le « Prélude » des Chants du crépuscule fait encore du poète l'écho – « triste et calme « – de son temps ; or ce temps incertain ne fait entendre que des bruits. Tout parle, mais l'humanité hurle ou dispute et la nature bégaie. De ces bruits, le poète fait des voix. Voix intérieures et, derechef, la préface du troisième recueil définit le poète comme un « écho intime et secret » ; cette voix intérieure s'ajoute à celles de la nature et de l'humanité, pour en faire la triple voix de la poésie ; la source est modeste et cachée, mais la poésie est « inépuisable » comme Dieu, et la voix du poète s'oppose aux bruits puissants et mensongers, elle les domine, elle se fait conseillère des rois et des peuples. Le personnage d'Olympio fait ici son apparition – façon de parler de soi et, plus encore, façon de parler à soi, dialectique entre le Moi et le Je. Les Rayons et les Ombres proclament alors l'ambition d'une poésie de la totalité et représentent l'assomption dans la sérénité de l'univers qui se constituait dès Les Feuilles d'automne. Ayant placé sa voix – au centre –, laissant parler à travers elle les voix contradictoires de la totalité, le poète, docile et puissant, impose aux voix multiples l'harmonie. Ici s'achève une aventure complète, celle d'un Orphée modeste, mais qui est Pan, celle d'un poète qui dit Je, mais qui, pour mieux parler, a aussi recours au personnage d'Olympio.

La poésie totale

Tout pouvait fort bien s'achever là, et, de fait, treize années séparent Les Rayons et les Ombres du prochain recueil poétique de Hugo, les Châtiments. Or c'est là la singularité de Hugo : ces deux carrières, cette seconde naissance.
Elle se prépare par la mort, celle de Léopoldine, noyée dans la Seine, à Villequier, le 4 septembre 1843. Dès juin 1844, l'inspiration avait jailli, mais c'était pour célébrer, dans des pièces radieuses et triomphales, la joie de vivre auprès de Léonie Biard. On sait que Hugo se fit surprendre en flagrant délit d'adultère avec sa blonde maîtresse, le 5 juillet 1845, alors qu'il avait été nommé pair de France en avril, et un peu avant qu'il ne commence son roman des Misères. Puis, après la mort de la fille de Juliette, Claire Pradier, l'inspiration, derechef, jaillit. Réussite, scandale, sensualité, mort, le temps de la seconde naissance approche, annoncé par cette année 1846 où, en plus de six poèmes des Pauca meae, Hugo écrit deux « petites épopées » et médite sur la Bible. Mais il faut une autre épreuve encore, une autre forme de mort. Avec la révolution de 1848, l'évolution politique de Hugo se précipite en 1849 et l'amène dans les rangs des républicains et auprès de la barricade où Baudin est tué, le 3 décembre 1851 ; il tente de susciter la résistance au coup d'État de Louis-Napoléon et, le 11 décembre au soir, sous le déguisement et l'identité de Lanvin, ouvrier typographe, il prend le train pour Bruxelles ; en août 1852, il s'installe à Jersey. C'est l'exil.

Le grand combat

La première œuvre qui naît, dans le dernier trimestre de 1852, les Châtiments, parus fin novembre 1853, révèle cette seconde naissance à laquelle on doit le plus grand Hugo. Deux fois, Hugo a été visé au cœur : la mort de sa fille fait du père un demi-fantôme, un être dont la vie se fonde sur la mort, en qui la mort est comme l'instance suprême à quoi rapporter et le vain souci de vivre et le devoir et la joie même de vivre ; l'exil, mort civique, fait du proscrit un demi-fantôme, mort scandaleuse qui est l'humiliation du Juste par le Parjure, du poète au verbe divin par l'Homme à la parole mensongère. À quoi les Châtiments répliquent en érigeant un Ego Hugo immense ; le temps est passé d'Olympio ; Hugo dit Je, maintenant, parce que ce Je contient tous les autres. Retrouvant ses attitudes du temps des Odes royalistes, il est redevenu le prophète, armé de la « parole qui tue », participant à la puissance divine et de taille cosmique. La voix du poète ne se compose plus seulement des voix multiples dont elle dégage l'harmonie, elle est la loi même du monde, exprimant son devenir, prédisant et jugeant. À un tel poète répond une œuvre-univers et les Châtiments construisent l'univers que Les Contemplations, les épopées, Les Misérables et le William Shakespeare décriront plus complètement. Marche de la nuit « Nox » à la lumière « Lux », du nadir « L'Égout de Rome » au zénith, à l'espace ouvert d'un univers tout entier traversé par les rayons de l'étoile « Stella », cependant que l'Océan, force du mal, est, en même temps, capable de refléter les cieux ; cet univers en souffrance et en progrès est parcouru par un verbe poétique qui intègre toutes les formes (de la chanson à une petite épopée comme L'Expiation) et requiert tous les tons, de la prophétie extatique au grotesque caricatural, avec un accent propre à ce recueil et au 18-Brumaire de Louis Bonaparte, celui de la farce tragique, d'une épopée du sang et du vin, de la boue et de l'étoile.

La « grande pyramide »

Quand paraissent les Châtiments, voici deux mois que Hugo, sa famille et ses amis interrogent les esprits par le moyen des « tables mouvantes ». Expérience très singulière qui, par la rencontre d'un grand poète avec un médium exceptionnel, Charles Hugo, le fils de Victor, nous a valu des textes en prose et en vers qui sont parmi les plus puissants dans la littérature onirique. Les esprits apprennent peu au poète et le confirment plutôt dans ses idées et dans la conviction de sa mission. Il s'agit de poursuivre le combat des Châtiments en enseignant une religion nouvelle qui donne à la démocratie progressiste son plein accomplissement : le progrès ici-bas s'intègre au mouvement même de la création qui, séparée du créateur, s'en rapproche par une ascension lumineuse infinie. C'est ce que signifie La Fin de Satan, commencée au début de 1854, reprise et complétée en 1859-1860, abandonnée et restée inachevée. L'histoire est ouverte par la chute de l'archange révolté, se poursuit dans la fatalité, sous la forme de la guerre (Nemrod), du gibet (la crucifixion de Jésus), de la prison (la Bastille) ; Lilith-Isis, fille de Satan, déesse de l'ombre, préside à cette histoire, jusqu'au jour où, le 14 juillet 1789, l'autre fille de Satan, l'ange Liberté, née d'une plume de l'archange Lucifer et du regard de Dieu, la dissout dans sa lumière ; l'histoire tend alors vers son achèvement, par la réconciliation de Satan avec Dieu. Intégrée dans l'histoire d'un homme écrivant les Mémoires de son âme, l'histoire devient Les Contemplations, somme hugolienne, dont la pièce la plus ancienne remonte à 1834, qui s'enracine dans l'époque des Rayons et les Ombres, et s'est constituée en 1846, puis en 1854 et 1855. Ce livre, qu'il faut lire « comme on lirait le livre d'un mort », tout étant consommé, met en place le moi, le monde et Dieu. Avec lui, Hugo, comme il l'a dit, avait bâti sa « grande pyramide ». Au centre, un tombeau, la mort et la morte, l'absence omniprésente qui fonde la poésie comme langage du moi absolu (le Mage) et de l'autre absolu (la Morte ou la mort ou Dieu). Six livres qui, de « L'Aurore » au « Bord de l'infini », miment l'être dans sa totalité – et aussi sa transcendance à lui-même, ce vide aspirant où s'engouffre la poésie et qui est la présence absente de Dieu.

La récapitulation de l'amour

Cette présence absente, cette immanence de la transcendance, Hugo tente la gageure de l'égaler par le langage – et c'est l'épopée de Dieu. En 1855, l'année des « Mages », poème de Dieu forcé par l'esprit humain, du viol de l'Inconnu, de l'éventrement du Sphinx, Hugo écrit la seconde partie de son épopée, « Solitudines coeli « : à travers un espace que franchit son vol ascensionnel, le Voyant pourchasse Dieu de religions en religions ; la chasse se terminerait par la mort, si elle pouvait s'achever. L'année suivante, cependant qu'en avril paraissent Les Contemplations, Hugo écrit la première partie de son épopée, « Le Seuil du gouffre ». Au vol et à l'audace succèdent le piétinement et l'interdiction ; le monstre Esprit humain est l'être du Milieu et l'Infini lui est révélé seulement comme absence. L'espace devient alors le lieu indéfini où des Voix répètent cette impossibilité de saisir l'Absolu. Cela pourrait durer toujours et, de fait, l'épopée reste béante, inachevée, mal délimitée. Dans cet ensemble pullulant prend naissance, dans l'été de 1856 sans doute, l'étrange poème de L'Âne, complété en 1857, achevé en 1858, publié longtemps après ; le baudet Patience discute avec Kant des limites de la connaissance humaine ; son épopée est celle de l'Humanité, vue et jugée par la Bête. Avec le poème de « La Révolution », qui a fourni plus tard « Le Livre épique » des Quatre Vents de l'esprit, et les deux grands poèmes qui le complètent, « Le Verso de la page », morcelé ensuite, reconstitué naguère par P. Albouy, et « La Pitié suprême », méditation sur la violence dans l'histoire, les derniers mois de 1857 et les premiers mois de 1858 assurent le passage de l'épopée de Dieu à l'épopée de l'Homme.
À partir du dernier trimestre de 1858, Hugo s'enfonce dans La Légende des siècles, qui paraît le 26 septembre 1859, épopée de l'humanité qui s'achève par ce commencement immense que serait la fin de l'histoire. Après avoir été la voix de l'indicible, la voix du poète atteint ici à sa plénitude, avec le chant du « Satyre », ce Prométhée-Orphée, qui est Pan. Puis, des Contemplations, où le moi et le tout s'accordent, à Dieu, où la voix se perd dans le vide de la transcendance ou la monotonie de l'immanence, et à La Légende, où la voix se récupère dans l'écho de l'histoire, on revient à la voix du moi avec Les Chansons des rues et des bois. Fruit de deux étés, celui de 1859, celui de 1865, et de l'automne chaleureux d'une vie, ce livre des amours gaillardes fit scandale – tout en ravissant les amateurs d'art et de poésie artiste. Hugo y raconte une jeunesse joyeuse, qui ne fut pas la sienne, mais où il transfère les amours de sa maturité, récupérant la sagesse prématurée (et un peu rechignée) de sa jeunesse réelle en une sagesse fondée, maintenant, sur la vie et l'amour : « Jeunesse » et « Sagesse » riment dans ce recueil, qui est ainsi l'histoire exemplaire d'une vie, l'épopée de l'humanité vue du côté des femmes, et un livre politique : la liberté de l'amour (de la sensualité) renvoie à l'immensité qui est source de la vie et qui est égalité : Vénus et Goton, le sage et le fou, le très petit et le très grand, s'équivalent dans l'immensité. L'immensité fonde ainsi la Liberté et l'Égalité et, bien sûr, la Fraternité. Du même coup, ce livre d'octosyllabes joyeux récapitule et achève la tentative de poésie totale qui a occupé ces années de l'exil.

Les derniers échos

Le 26 mai 1870, Hugo annonce à Paul Meurice qu'il a « une œuvre prête à être lancée à la mer », Les Quatre Vents de l'esprit, c'est-à-dire un recueil composé de poèmes écrits depuis longtemps, en particulier pendant les fécondes années 1854-1857. Le temps vient de l'accommodation des restes. L'événement, pourtant, va donner lieu à une œuvre fort originale, L'Année terrible (1872). Le siège de Paris, la Commune inspirent cette poésie au jour le jour, où le mythe romantique de l'Allemagne – et d'une Europe rêvée au temps du Rhin et des Burgraves – est abandonné, au profit du mythe de Paris, qui culmine ici. Un autre mythe encore se dessine, création du poète et du public, mythe de Victor Hugo – avec son képi de garde national épique et portant des joujoux à ses petits-enfants, grand-père de tout un peuple. Le mythe traverse les poèmes « Entre géants et dieux », écrits en 1875 et publiés dans la seconde série de La Légende des siècles : ces Titans démocrates sont autant de figures de Victor Hugo. Et le 12 mai 1877 paraît L'Art d'être grand-père, achèvement génial du mythe Victor Hugo. Construit sur l'antithèse de l'enfant et du vieillard, du très faible et du très fort, qui s'accordent et se rejoignent, le recueil dresse la stature géante du grand-père du siècle, tandis que la religion des métempsycoses, qui s'était exprimée jadis par La Bouche d'ombre, inspire maintenant le très étonnant « Poème du Jardin des plantes », méditation sur les âmes captives dans l'animalité.
En un ultime moment créateur, en 1877-1878, Hugo écrit plusieurs pièces du « Groupe des idylles », qui prendra place dans la série complémentaire de La Légende des siècles, et publie Le Pape – rêve (invraisemblable) d'un vicaire du Christ selon le Christ. Mais, le 28 juin 1878, une congestion cérébrale a raison de ses facultés créatrices. Il va, cependant, continuer à publier, donnant l'illusion d'une activité productrice intacte ; en fait, les œuvres qui paraissent alors ont été écrites bien longtemps auparavant. La Pitié suprême, en 1879, est mise au jour au moment même où, le 28 février, Hugo prononce au Sénat un discours pour l'amnistie aux communards. Religions et Religion, qui combine avec une rédaction de 1870 des textes écrits en 1856, au moment des Voix du seuil, puis, la même année 1880, L'Âne (rédigé entre 1856 et 1858), réaffirment la double hostilité du vieil homme au catholicisme et à l'athéisme, qui se répand parmi les républicains. Les Quatre Vents de l'esprit, l'année suivante, la dernière série de La Légende des siècles en 1883, assurent en plein symbolisme une présence massive du romantisme – du « vrai », celui des années 1850, des années de Baudelaire et du Hugo de l'exil.
Après les funérailles nationales du 1er juin 1885 commence une vie posthume fondée sur une contradiction qui ira s'aggravant entre la grande figure dont on célèbre le culte national et républicain, et le poète qu'on méconnaît de plus en plus – jusqu'à ce qu'après Claudel et le surréalisme on soit, enfin, plus à même d'apprécier, de recevoir la poésie du livre VI des Contemplations, de La Fin de Satan, de Dieu. Redécouverte en cours, qui s'accompagne de la publication des derniers inédits, fragments divers de la Boîte aux lettres, des Épîtres, de l'énorme manuscrit de Dieu, complétant les publications dues à Paul Meurice de Toute la lyre, des Années funestes, de La Dernière Gerbe, recueils, au demeurant, factices et que Jean Massin a préféré disperser tout au long de sa vaste édition chronologique. Ainsi ni l'érudition n'en a fini avec Hugo, ni la critique, trop longtemps en retard devant cette œuvre trop forte. Pierre Albouy

Le dramaturge

Théorie et pratique : « Cromwell »

Dès 1825, les jeunes romantiques rêvent de s'emparer du théâtre, d'en renouveler les structures sclérosées, l'inspiration tarie. Projets singulièrement stimulés par la venue à Paris des comédiens anglais jouant Shakespeare. En 1826-1827, Hugo apporte avec son Cromwell et la préface qui le précède, ou plutôt qui le suit, le manifeste de la liberté au théâtre – une liberté non pas abstraite, mais réglée par trois éléments essentiels : l'utilisation et le respect de l'histoire éclairant à la fois le passé et la réalité contemporaine ; la grandeur poétique (rigueur du style, et usage du vers, machine à éloigner les philistins) ; enfin le grotesque, image mystifiée mais vivante de la réalité populaire introduite au cœur du drame.
Le drame lui-même de Cromwell, œuvre géante de six mille vers, répond assez fidèlement à une telle vue, mélange de grandeur, de vue exhaustive de l'histoire, de présence populaire dans les personnages et dans le grotesque (chansons des fous, facéties burlesques de Rochester, dérision de la puissance). D'une part l'œuvre – théorie et pratique – apparaissait comme capable de renouveler le théâtre et de faire sauter les verrous de la vieille tragédie. D'autre part elle posait le problème de l'action politique et de la possibilité pour le grand homme de prendre en main, après une révolution, les destins d'un monde complexe et décadent.

Le théâtre joué

La bataille d'« Hernani »
La victoire ne se remporte que sur le terrain ; Cromwell, trop vaste, ne pouvait être ni joué ni réduit. En 1830, le succès discuté d'Hernani permet à Hugo de défendre sa propre formule du drame romantique : drame de l'être double cherchant dans les luttes de l'histoire et les vicissitudes de l'amour, non seulement son identité, mais l'impossible réconciliation d'un moi déchiré (bandit-grand seigneur ; mauvais roi-bon empereur). La vigueur provocante du style, l'audace des situations, la grandeur paradoxale des personnages, l'amour impossible, la présence permanente de la mort ravirent une jeunesse qui voyait dans l'œuvre, outre l'exaltation napoléonienne du grand homme et le mépris libéral des rois (« Crois-tu que les rois à moi me sont sacrés ? »), l'étendard enfin brandi de la liberté dans l'art et ce mélange diffus d'espérance et de nostalgie qui précéda la révolution de 1830. La bataille d'Hernani, bien plus idéologique et littéraire que proprement littéraire, si elle se joue au niveau du public prend peut-être toute son acuité dans les démêlés de l'auteur avec ses comédiens. Toute victoire littéraire ne pouvait être, dans les conditions commerciales qui étaient celles du théâtre à l'époque, qu'une demi-victoire. Après Hernani, Hugo change de troupe et quitte la Comédie-Française ; c'est à la Porte-Saint-Martin, théâtre « populaire », moins conformiste, qu'il confie en 1831 Marion de Lorme, interdite par la censure de la Restauration en 1829 et libérée par le nouveau régime. Mais les grands acteurs du mélodrame, un Bocage, une Dorval, ne parviennent pas à arracher un vrai succès.

À la recherche d'un public

Hugo, parfaitement conscient des problèmes du théâtre, surtout après la révolution de 1830 et l'échec presque immédiat de ses espérances, s'efforce alors non seulement de trouver un public, mais de le créer un, à la fois bourgeois et populaire ; la formation de ce public serait une double tâche, littéraire et politique. Pendant l'été 1832, Hugo écrit presque simultanément deux pièces pour tenter de conquérir à la fois l'« élite » à la Comédie-Française et le public populaire de la Porte-Saint-Martin. La première, Le roi s'amuse, dont le héros est un grotesque, essuie au Théâtre-Français un échec retentissant : interdite par le pouvoir dès le lendemain, elle ne sera reprise que cinquante ans plus tard. La seconde, Lucrèce Borgia, inaugure la série de ces « grands mélodrames romantiques en prose » où Antonin Artaud voyait du vrai théâtre. Ce drame de l'amour incestueux et de la culpabilité fatale, dont le dernier acte est un chef-d'œuvre de construction poétique et de violence hallucinatoire, eut un succès immense sinon durable. Le drame en prose suivant, toujours à la Porte-Saint-Martin, Marie Tudor (1833), est peut-être la meilleure pièce de Hugo ; ce drame historique plus âprement sévère, transposition de la révolution de 1830, dérouta les spectateurs par sa complexité. Hugo déçu tente à nouveau sa chance au Théâtre-Français : Angelo (1835), œuvre de compromis d'où il se voit contraint d'éliminer presque totalement le grotesque et l'histoire, merveilleusement joué, ne rencontrera pas trop de résistances.

Le théâtre de la Renaissance

Pourquoi ne pas essayer de créer une scène nouvelle qui serait celle du drame romantique ? Avec Alexandre Dumas et grâce à l'amitié du duc d'Orléans, Hugo y parvient : c'est le théâtre de la Renaissance, pour l'inauguration duquel (nov. 1838) il écrit la plus célèbre sinon la meilleure de ses pièces, Ruy Blas, dont le mérite est à la fois de poser les problèmes politiques de l'agonie d'une monarchie, et de remettre à la scène un vigoureux personnage grotesque, César de Bazan. Mais le théâtre de la Renaissance, récupéré par le vaudeville, cesse bientôt de pouvoir abriter le drame.

Les étapes du silence

Après Ruy Blas, il tente d'écrire Les Jumeaux qu'il laisse inachevés (1839). Est-ce là renonciation au théâtre ? Après trois ans de silence, il revient à la scène avec une formule toute nouvelle, sa grande trilogie épique des Burgraves (1842), nommée « trilogie » non parce qu'elle est divisée en trois parties, mais parce que la dimension temporelle unit étroitement au conflit présent la tragédie passée et la rédemption future. Le mal individuel et le mal historique – symbolisés comme souvent chez Hugo par le fratricide – trouvent leur rachat dans la résurrection de l'empereur Barberousse. Perspective historique et perspective individuelle et familiale se rejoignent dans un drame dont le gigantisme statique et les « invraisemblances » barbares rebutèrent un public passablement superficiel. L'échec des Burgraves s'ajoute pour Hugo à cette rupture qu'est la mort de sa fille (1843) : il n'a plus envie ou plus besoin de croiser le fer avec des interprètes qui le refusent, avec un public qui ne répond pas. La verve dramatique cherche ailleurs son exutoire.

Grandeur et limites du drame

Le drame romantique de Hugo a toujours été mal accueilli ; même les reprises des années 1870-1875, compensant les interdictions de l'Empire, obtiennent plus facilement l'adhésion du public que les suffrages des doctes. Plus près de nous encore, son théâtre, malgré d'admirables représentations (celles de Marie Tudor avec Maria Casarès et de Ruy Blas avec Gérard Philipe au Théâtre national populaire, celles de Lucrèce Borgia au Vieux-Colombier, et, à la télévision, Les Burgraves et surtout l'étonnante Marie Tudor d'Abel Gance), il est encore de bon ton de tenir ces œuvres pour médiocres ou désuètes. Il semble que le théâtre de Hugo, justement par ce qu'il représente de particulier et peut-être de nouveau, réclame de ne pas être jugé suivant des normes classiques.

Le héros

Les mobiles des héros de Hugo s'éclairent à la lumière des approches freudiennes, de la « psychologie des profondeurs » pour qui désir incestueux et instinct de mort n'appartiennent pas à la seule mythologie. D'autre part, la « psychologie » de ses personnages ne réside pas dans leurs passions ou dans la conscience qu'ils en prennent, elle est diffuse dans le monde, dans leurs rapports avec le monde. Ils sont représentés comme pris dans le tissu d'événements qui les dépassent et dont ils attendent le sens de leur existence. Incapables de saisir leur propre unité, ce sont des individualités fracturées, des êtres que la fatalité historique a fait doubles ; tout le drame se lit dans l'effort admirable et vain qu'ils font pour ressaisir une unité qui leur échappe ; la fatalité historique redouble et conditionne leur fatalité intérieure : tels Hernani, Lucrèce Borgia, Triboulet, Ruy Blas. De là leur caractère à la fois moral et monstrueux, la « double postulation » dont ils sont le lieu et qui permet à ces drames d'échapper au manichéisme du mélo.

L'histoire

La nouveauté du théâtre de Hugo est de mettre l'accent sur le concret, sur le rapport de l'individu et de l'histoire, de rendre au spectacle sa violence tragique et mortelle, de mettre en question l'ensemble de la scène bourgeoise du XIXe siècle par l'introduction de lieux et de personnages de cour des miracles et par l'emploi provocant du grotesque. Par son goût du concret, de la couleur puissante, il rend au théâtre son statut de spectacle signifiant, aidé en cela par les admirables décors de Pierre Ciceri ; il joue des prestiges de l'objet, non seulement comme vêtement historique, mais comme relais symbolique des grandes lois du monde ; sur ce point, il est l'ancêtre de Brecht.

Limites

Cependant le théâtre de Hugo souffre de son inadéquation à son public : parfois le poète force le ton pour emporter l'adhésion, pour faire passer une invraisemblable et décisive vérité intérieure ou historique. Et surtout le rôle étrange dévolu chez lui à la parole, dévaluant entièrement le discours toujours inefficace et inadéquat à l'action, lui donne l'aspect déconcertant d'une parole vaine, d'une raison vouée au néant. En un sens, par-dessus un siècle de théâtre bourgeois, des deux Dumas à Jean Anouilh, il y a chez Hugo le pressentiment parfois maladroit d'un théâtre « autre », et – si contradictoire que cela paraisse – d'un Brecht par la volonté d'éclairer l'histoire, d'un Artaud par le sens de la cruauté, par une profondeur située au-dessous, en dehors, à côté de la rationalité du langage.

« Le Théâtre en liberté »

Hugo écrit non des centaines, mais des milliers de fragments dramatiques où se déploie toute une fantaisie à l'état naissant, tout un théâtre en miettes, un anti-théâtre essentiellement orienté vers le comique. Projets véritables d'une œuvre rêvée, ou simples étoiles filantes, ces fragments figurent une sorte d'immense commedia à personnages reparaissants, comme la comédie balzacienne, seigneurs, valets, filous, clochards, ingénues, grandes dames et courtisanes : Maglia le bohème, l'homme-Protée, les ducs et les gueux (Goulatromba, Gaboardo), Zubiri la coquette, Tituti l'étudiant. Ils contestent le mariage, la propriété, l'Académie ; ils justifient le vol et l'adultère ; ils chantent les instincts, la liberté, le plaisir, l'ivrognerie, le bonheur de manger quand on a faim.
Simples répliques ou tirades construites, ils annoncent Le Théâtre en liberté, dont les premières saynètes datent de 1854 (Le Suicide, La Forêt mouillée), avant de s'épanouir dans ces chefs-d'œuvre que sont Les Deux Trouvailles de Gallus (1869), tragi-comédie de l'amour absolu, et Mangeront-ils ? (1867), merveilleuse fantaisie où le voleur Aïrolo fait pièce au Roi, le contraignant non seulement à lâcher les pauvres amoureux, ses victimes, mais même à abdiquer. La broderie baroque du langage, la virtuosité du vers ne simplifient pas la mise en scène de ces comédies qui furent pourtant jouées. À côté, deux tentatives de pièces populaires, la très courte saynète L'Intervention, et le curieux mélodrame « contestataire », Mille Francs de récompense (1866), dont le héros Glapieu consolide sardoniquement les colonnes de la morale bourgeoise. Peut-être est-ce dans ce théâtre de l'exil, écrit loin de toute scène concrète, qu'il faut chercher le plus pur de l'inspiration dramatique du poète.
Enfin, il écrit son dernier drame, le plus puissant, le plus touffu, rassemblant l'essentiel de ses préoccupations : Torquemada 1869. Anne Ubersfeld

Le dessinateur

On estime aux alentours de trois mille (en tenant compte des œuvres perdues mais connues par des reproductions ou des références et en comptant séparément celles qui appartiennent à des recueils, carnets, albums, etc.) le nombre des dessins de toutes dimensions et de toutes techniques laissés par Victor Hugo, nombre considérable pour un homme qui avait, comme il le rappelait lui-même, « autre chose à faire ». Conservés, pour plus des deux tiers, à Paris, à la Bibliothèque nationale, à laquelle Hugo légua « tout ce qui sera trouvé écrit ou dessiné par moi », et à la Maison de Victor Hugo, ils se répartissent entre des vues de paysages et de monuments, dont un grand nombre de notes de voyages, une masse de croquis d'inspiration comique ou grotesque, qui ne sont pas tous à proprement parler des « caricatures », et des travaux plus délicats à situer parmi les catégories artistiques du temps, qui semblent surtout relever de l'expérimentation technique sans être pour autant vides de sens : taches d'encre plus ou moins reprises, découpages souvent utilisés comme pochoirs, empreintes de tissus ou d'éléments naturels, et toutes sortes de caprices graphiques. Ces pratiques alors peu orthodoxes, tout au moins chez les peintres de profession, sont également utilisées dans des dessins de facture plus traditionnelle, au lavis d'encre parfois relevé de fusain, de gouache ou d'aquarelle. Beaucoup d'autres sont simplement à la plume ou au crayon.
Le tout forme un œuvre assez homogène, qui commence vers 1825 (mis à part les dessins d'enfant) par des pages au graphisme un peu grêle, et met une vingtaine d'années à trouver son répertoire et son style. Proche de l'imagerie romantique par le goût du pittoresque et la recherche d'effets dramatiques, il la dépasse par son dynamisme, sa liberté de moyens et un sentiment du mystère d'une profondeur exceptionnelle. Pendant trente ans, à partir de 1845 environ, ces traits dominants subsistent sans grands changements, tandis que la production se poursuit à un rythme irrégulier, se faisant parfois plus intense dans les pauses de l'écriture (1850), gagnant en fluidité à Jersey et à Guernesey, devant le spectacle du ciel et de l'océan, renouant dans les années 1860 avec la veine pittoresque et satirique des débuts, et s'épuisant, comme la production littéraire, après 1875-1877.
Œuvres d'un écrivain célèbre, les dessins de Hugo ne tardèrent pas à susciter la curiosité, et, dès 1852, Théophile Gautier déclarait : « Victor Hugo, s'il n'était pas poète, serait un peintre de premier ordre. » Gautier parle aussi de « cauchemar » au sujet d'un grand dessin de 1850, tandis que, sept ans plus tard, Baudelaire oppose à la platitude de la peinture contemporaine de paysage « la magnifique imagination qui coule dans les dessins de Victor Hugo, comme le mystère dans le ciel ». De Huysmans à Claudel et à Breton, de Van Gogh à André Masson, de Gustave Geffroy à Henri Focillon et à Gaëtan Picon, cette prédominance du fantastique, le trouble qu'elle inspire au spectateur ont été fréquemment soulignés par des écrivains et des peintres doués d'une personnalité forte. Mais d'autres, plus conservateurs, soumettent les dessins de Hugo aux vieux critères académiques, soit pour déplorer leur caractère irréfléchi et leur manque de maîtrise technique (« il faut des journées de travail et de réflexion » pour transformer un lavis « peut-être inspiré » en « tableau digne de ce nom », observe André Lhote dans son Traité du paysage), soit au contraire pour promouvoir leur auteur au rang de « véritable artiste ». Il s'agit en somme de normaliser des créations passablement aberrantes. Ce point de vue transparaît longtemps dans le choix des exemples retenus pour la reproduction, qui élimine les dessins les plus déconcertants (quand on ne va pas jusqu'à les « corriger »), et dans la recherche obstinée de rapports d'illustration entre textes et dessins.

« Mes dessins sont un peu sauvages »

C'est faire peu de cas de l'opinion maintes fois exprimée par Hugo, qui montre et offre volontiers certains dessins à ses intimes, les encadre, les accroche sur ses propres murs, se dit « tout heureux et très fier » des lignes flatteuses de Baudelaire à leur sujet, les lègue enfin à la Bibliothèque nationale, mais s'est toujours défendu de toute incursion sur le terrain des « vrais » peintres et a résisté autant qu'il a pu aux admirateurs indiscrets qui allaient, non sans malice, jusqu'à préférer ses dessins à ses livres. Il entend ainsi parer à des opérations de diversion préjudiciables à son œuvre littéraire, mais il manifeste surtout la conscience qu'il a de la singularité de ses dessins. Les tours faussement désinvoltes qu'il emploie pour les désigner – « quelques espèces d'essais de dessins... », « ces choses qu'on s'obstine à appeler mes dessins... », « ces traits de plume quelconques, jetés plus ou moins maladroitement sur le papier... », « mes barbouillages... », « ce machin... » – disent bien sa perplexité devant des productions dont le vocabulaire et les concepts contemporains pouvaient difficilement rendre compte. Il s'y essaie néanmoins quand il écrit à Philippe Burty : « mes dessins [...] sont un peu sauvages », ou quand il parle des « heures de rêverie presque inconsciente » où il se laisse aller à dessiner : instants d'abandon – Gautier parle de « délassement » – où la main, libérée des cadres de la pensée comme des normes et des contraintes qui sont le lot du peintre ordinaire, joue avec les matériaux et laisse parler l'indicible. Sous leur air de modestie, ces indications expliquent fort bien l'audace des dessins de Hugo, que l'auteur évitait prudemment de confronter au conformisme contemporain, et aussi leur charge émotionnelle et leur pouvoir de révélation, celui d'une « écriture automatique » où les désirs et les failles de l'être transparaissent à l'abri de la censure. De fait, si beaucoup d'entre eux s'intègrent sans heurt à l'art de leur temps, beaucoup d'autres restent déroutants et ne sont devenus « lisibles » qu'à partir des révolutions esthétiques du XXe siècle, en particulier le surréalisme et l'art informel.
« Sauvages », ces dessins le sont à la manière dont l'œuvre d'un Picasso le sera (toute proportion gardée) un demi-siècle plus tard, non par grâce de nature mais par rupture avec le code esthétique dominant. Hugo a appris à dessiner pendant ses études secondaires, notamment d'après des recueils de modèles, et possédait une bonne formation en matière de géométrie et d'optique. De rares portraits, quelques compositions reposant sur un effet de perspective illusionniste et la totalité des dessins de voyage montrent d'ailleurs qu'il était capable de dessiner « correctement ». C'est donc de façon délibérée qu'il écarte ce savoir scolaire au profit de techniques empiriques et aléatoires, où l'imagination s'affranchit des recettes du métier, de la réflexion, bref de la « maîtrise ». Quant à sa culture artistique, renforcée par ses relations d'amitié avec des peintres comme Louis Boulanger et Célestin Nanteuil, elle a pu laisser des traces dans ses dessins, mais seules quelques œuvres « en marge », avec lesquelles il se sentait en accord intime – surtout chez des graveurs : Rembrandt, Piranèse, Goya, sans doute Meryon –, l'ont affecté en profondeur. Il connaissait également des formes d'expression alors tenues pour mineures, comme les dessins de nonsense de Grandville, voire ignorées ou méprisées comme les dessins d'enfants et les graffiti, et il en a fait son profit, tout comme de certaines pratiques d'amateurs, notamment les découpages et les taches d'encre. Il y avait là une effervescence de trouvailles naïves ou provocantes, d'autant plus aiguës qu'elles semblaient sans conséquence, et qui, pourtant, entraient en concurrence avec l'art savant, y compris celui des grands peintres romantiques, nourris de culture classique et attachés aux procédures traditionnelles.

La métamorphose et le jeu du sens

C'est donc sous le signe de l'écart et du jeu qu'il convient de considérer l'œuvre graphique de Hugo dans ses manifestations originales. Écart par rapport aux formes « majeures » de l'art et à leurs disciplines et conventions ; jeu du corps et de l'imagination agissant librement sur les matériaux ou se laissant « agir » par eux, jeu interne des structures formelles et sémantiques, dont l'irrationnel et le mouvant forment le terrain privilégié. Tout est expansion et métamorphose ; le dynamisme et l'inachèvement des formes, le flottement ou la circulation du sens disent la dilatation continue de la conscience et de l'univers travaillés par l'infini. C'est en ce sens global, et donc au-delà des rapports d'illustration proprement dits, souvent plausibles mais presque toujours insaisissables, que la démarche du dessinateur s'accorde à celle de l'écrivain.
Devant ce phénomène de diffusion et d'interaction généralisées, les distinctions couramment admises perdent beaucoup de leur pertinence. Le réel et l' imaginaire, les notions correspondantes d'observation et d'invention cessent de s'exclure, jusque dans des pages réputées « d'après nature » et dont l'objectivité semble garantie par des indications précises de date et de lieu. Beaucoup d'entre elles n'ont été exécutées que de mémoire, à partir de notes sur le motif. L'exemple le plus éloquent est sans doute la fameuse vue du Rhin datée et localisée « 27 7bre 1840. La Tour des rats », dont on sait par un document qu'elle a toutes chances de se situer sept ans plus tard. À l'inverse, une vue de ville médiévale qu'on avait toujours tenue pour purement imaginaire porte l'inscription suivante, longtemps cachée par l'encadrement : « Cologne. Vu le 27 août 1865, 7 h du soir. » On ignore si Hugo l'a dessinée telle quelle au jour et à l'heure indiqués, mais il est certain qu'une « chose vue » bien concrète se trouve à son origine.
Les autres dessins de paysages et de motifs architecturaux, qu'ils passent pour être imaginaires ou d'après nature, se répartissent entre ces cas limites selon leur degré de fidélité au « réel », et le terme de « souvenir » que Hugo leur accole parfois est un guide incertain pour l'identification de leurs sources. Ainsi un seul et même motif, inspiré par une chapelle en ruine reconnaissable dans une photographie de Jersey, apparaît tour à tour dans quatre dessins avec des indications de lieux bien différents : un croquis (inédit) au crayon, apparemment pris sur le motif et annoté « 5 h 1/4 – 3 7bre – l'Hermitage » ; deux lavis « fantastiques », l'un daté du même jour que le premier, quoique probablement postérieur, l'autre de « 1855 » seulement, mais également intitulé par Hugo « l'Hermitage (Jersey) » ; un troisième, enfin, ne spécifiant ni lieu ni date, mais portant sur le cadre l'inscription suivante : « Souvenir de Suisse. Vedette de Guillaume Tell près d'Altorf » (un site vu par Hugo en 1839). Les souvenirs bien distincts de Suisse et de Jersey ont donc fusionné dans un signe unique, malgré l'origine clairement identifiable de celui-ci. « L'Hermitage » a d'ailleurs fait l'objet d'un découpage (et même de deux, sans variante notable mais de format différent), que Hugo a utilisé comme pochoir, opérant à partir de cette sorte de matrice un jeu complexe de variations et d'enchaînements. Le procédé, courant dans ses dessins à partir des années 1850, permet d'entrevoir toute une circulation d'impressions, d'idées, de souvenirs, de fantasmes (et l'on sent bien ce que ces termes d'origine rationaliste ont d'inadéquat) sans doute en partie inconsciente et qui doit largement nous échapper.
De façon générale, et mis à part les vues d'après nature, parfois dessinées après coup mais dont les précisions de lieu sont rarement inexactes, les indications fournies par Hugo sur la signification de ses dessins, notamment sous forme de titre ou de légende, ne font souvent qu'indiquer une direction assez vague. Elles sont d'ailleurs peu nombreuses, de même que les rapprochements explicites entre des dessins et des textes susceptibles d'en fixer le sens. Le seul exemple d'une certaine ampleur est le manuscrit des Travailleurs de la mer (1865-1866). Hugo y a inséré une trentaine de dessins, dont quelques-uns seulement furent exécutés dans cette intention. L'emplacement de chaque pièce à proximité d'un passage du texte suggère une interprétation possible, mais bien des cas restent ambigus, et, le plus souvent, l'image, mise en regard d'une « scène » déterminée, tend à s'émanciper de la trame narrative pour rayonner largement.
Ce glissement ininterrompu du détail à l'ensemble, ce mouvement général vers l'effacement des limites et la solidarité des formes, affecte à la fois le rapport texte/image et la technique même des dessins. Toutes les ressources élaborées par Hugo pour échapper à la figuration rationnelle, bornée et « composée », sont simultanément mises en œuvre. Les hachures à la plume et les traînées de lavis brouillent les contours ; les corps flottent, les plans ondulent ; les vues plongeantes écrasent la perspective, abolissent la hiérarchie conventionnelle du « sujet » et du « fond ». Presque partout, la tache, la coulée d'encre, sans limite, sans haut ni bas, principe d'un espace obscur et mouvant, modèle décliné par l'ombre, l'océan, les rochers, les nuages, les ruines de vieilles villes, les méandres de la pieuvre... Le manuscrit des Travailleurs de la mer, spécimen accompli de l'art de Hugo dessinateur, parcourt ainsi toutes les modalités du jeu des formes, inséparables du jeu du sens, participant à cette quête intuitive du tout qui est la plus haute ambition hugolienne et dont les « proses philosophiques » de la même époque formulent la théorie.
Formes ouvertes à l'action du hasard et aux projections de la rêverie, les taches d'encre retravaillées ont pour équivalent dans l'ordre linéaire des improvisations fantastiques, concentrées pour la plupart dans des carnets de 1856-1857, silhouettes dentelées, griffonnées arbitrairement, puis complétées par l'adjonction de quelques détails plus intelligibles. La grande masse des « caricatures » entretient un rapport moins aléatoire avec le réel, bien qu'elle concerne rarement des modèles précis, mais il est évident que la fantaisie, le plaisir de l'invention y précèdent souvent l'intention satirique. Celle-ci n'intervient qu'après coup, généralement sous forme de légende, avec un mélange libérateur de virulence et de verve dont la bêtise et l'autorité sous toutes leurs formes font les frais. Le sens intervient donc a posteriori, tout au moins le sens explicite, car le concours aventureux du geste et du matériau qui paraît y préluder est sans doute moins aveugle qu'on ne l'imagine.
« Ces griffonnages sont pour l'intimité et l'indulgence des amis tout proches. » Hugo délimite ainsi l'espace intime dans lequel son activité de dessinateur s'exerce loin du public et des circuits professionnels : un champ de recherche, ou plus exactement d'incitation aux découvertes, où l'artiste essaie de renoncer à son statut de « sujet » souverain. De là tant de secrets et de souvenirs, tant de « thèmes » imaginaires, à la fois transparents et obscurs, qui s'offrent et se dérobent au commentaire. « Une parole clandestine », selon la formule d'Anne Ubersfeld, s'y dit « dans la contrainte, comme si ce qu'elle véhicule ne pouvait se faire entendre que par bribes ». « Faire entendre » la « parole » des profondeurs a sans doute été l'un des principaux moteurs de cette vaste création graphique. L'ombre dans laquelle Hugo chercha toujours à la maintenir suggère que cette fonction ne lui était pas inconnue. Pierre Geogel

Liste des Å“uvres

Note : l'année indiquée est la date de la première parution

Théâtre

Les Burgraves, scène du 2e acte.
1816 : Irtamène
1819 ou 1820 : Inez de Castro
1827 : Cromwell
1828 : Amy Robsart
1830 : Hernani
1831 : Marion de Lorme
1832 : Le roi s'amuse
1833 : Lucrèce Borgia
1833 : Marie Tudor
1835 : Angelo, tyran de Padoue
1838 : Ruy Blas
1843 : Les Burgraves
1882 : Torquemada
1886 : Théâtre en liberté à titre posthume
1939 : Le château du diable pièce inachevée écrite en 1812 et publiée à titre posthume

Romans

Luc-Olivier Merson 1846-1920, illustration pour Notre-Dame de Paris, 1881.
1818 : Bug-Jargal
1823 : Han d'Islande
1829 : Le Dernier Jour d'un condamné
1831 : Notre-Dame de Paris
1834 : Claude Gueux
1862 : Les Misérables
1866 : Les Travailleurs de la mer
1869 : L'Homme qui rit
1874 : Quatrevingt-treize

Poésies

1822 : Odes et poésies diverses
1824 : Nouvelles Odes
1826 : Odes et Ballades
1829 : Les Orientales
1831 : Les Feuilles d'automne
1835 : Les Chants du crépuscule
1837 : Les Voix intérieures
1840 : Les Rayons et les Ombres
1853 : Les Châtiments
1856 : Les Contemplations
1859 : Première série de la Légende des siècles
1865 : Les Chansons des rues et des bois
1872 : L'Année terrible
1877 : L'Art d'être grand-père
1877 : Nouvelle série de la Légende des siècles
1878 : Le Pape
1879 : La Pitié suprême
1880 : L'Âne
1880 : Religions et religion
1881 : Les Quatre Vents de l'esprit
1883 : Série complémentaire de la Légende des siècles

Recueils posthumes :

1886 : La Fin de Satan
1891 : Dieu et 1941
Choix de poèmes parmi les manuscrits de Victor Hugo, effectué par Paul Meurice :
1888 : Toute la Lyre 1893, 1893, 1835-1937,
1893 : Nouvelle série de Toute la Lyre
1898 : Les Années funestes
1902 : Dernière Gerbe et 1941 le titre n'est pas de Victor Hugo
1942 : Océan. Tas de pierres

Autres textes

1818 : A.Q.C.H.E.B. A quelque chose hasard est bon texte qualifié d'opéra-comique par son auteur
1834 : Étude sur Mirabeau
1834 : Littérature et philosophie mêlées
1836 : La Esmeralda livret d'opéra
1842 : Le Rhin, éd. J. Hetzel-A. Quantin Paris, 1884, t. 1 disponible sur Gallica et t. 2 disponible sur Gallica
1852 : Napoléon le Petit pamphlet éd. J. Hetzel Paris, 1877 disponible sur Gallica
1855 : Lettres à Louis Bonaparte
1864 : William Shakespeare
1867 : Paris-Guide
1874 : Mes fils
1875 : Actes et paroles - Avant l'exil
1875 : Actes et paroles - Pendant l'exil
1876 : Actes et paroles - Depuis l'exil
1877 : Histoire d'un crime - 1re partie
1878 : Histoire d'un crime - 2e partie
1883 : L'Archipel de la Manche

Å’uvres posthumes de Victor Hugo.

1887 : Choses vues - 1re série mémoires et commentaires pris sur le vif, le titre n'est pas de Victor Hugo
1900 : Choses vues - 2e série
1890 : Alpes et Pyrénées carnets de voyage
1892 : France et Belgique carnets de voyage
1896 : Correspondances - t. I
1898 : Correspondances - t. II
1901 : Post-scriptum de ma vie, recueil de textes philosophiques des années 1860
1934 : Mille francs de récompense, théâtre
1951 : Pierres fragments manuscrits
1964 : Lettres à Juliette Drouet suivi de Le livre de l'anniversaire

Postérité

Centenaire de la naissance de Victor Hugo à Paris 1902.Des cérémonies sont organisées dès le centenaire de sa naissance. La Poste française émet un timbre à son effigie le 11 décembre 1933. 5 nouveaux francs Victor Hugo imprimé de mars 1959 à novembre 1965.
Au XXe siècle
Au début du XXe siècle, Victor Hugo reste une gloire nationale et l'anniversaire de sa naissance donne lieu à de nombreuses manifestations officielles. Le milieu artistique a cependant pris un peu ses distances. Le mouvement parnassien et le mouvement symboliste, en remettant en cause l'éloquence dans la poésie, se sont posés en adversaires de l'école de Hugo et la mode en ce début de siècle est à une poésie moins passionnée. La phrase d'André Gide, Victor Hugo hélas, en réponse à la question Quel est votre poète ? à un questionnaire sur les poètes et leur poète, montre la double attitude des poètes du XXe siècle, reconnaissant à Victor Hugo une place prééminente parmi les poètes, mais exaspérés parfois aussi par ses excès. Charles Péguy, dans Notre patrie publié en 1905, n'est pas tendre envers le grand homme, l'accusant d'être un hypocrite pacifiste, disant de lui que Faire des mauvais vers lui est complètement égal, mais plus loin s'exclamant quels réveils imprévus, quel beau vers soudain et parlant d'entraînement formidable de l'image et du rythme. Saint-John Perse lui reproche d'avoir perverti le romantisme par son engagement politique. On retrouve de son influence aussi bien chez des admirateurs comme Dostoïevski que chez de violents détracteurs comme Jean Cocteau. Vers 1930, Eugène Ionesco écrit le pamphlet Hugoliade et reproche à Hugo une éloquence masquant la poésie ainsi que sa mégalomanie.
Entre les deux guerres, c'est en sa qualité de révolutionnaire qu'il est apprécié par les gens de gauche Romain Rolland, Alain et exécré des réactionnaires Charles Maurras, c'est en sa qualité de visionnaire qu'il est apprécié des surréalistes. Il est admiré par Aragon, par Desnos.

Durant la guerre, son image sert de porte-drapeau à la résistance.

Au retour de la guerre, les passions s'assagissent, on découvre l'homme. François Mauriac déclare, en 1952 : Il commence à peine à être connu. Le voilà au seuil de sa vraie gloire. Son purgatoire est fini. Henri Guillemin publie une biographie très nuancée de l'écrivain. Jean Vilar popularise son théâtre. Victor Hugo est désormais adapté au cinéma, au théâtre et pour la jeunesse. Le centenaire de sa mort est fêté en grande pompe.

Adaptations

Les œuvres d'Hugo ont donné lieu à d'innombrables adaptations au cinéma, à la télévision ou au théâtre. Le héros hugolien le plus interprété demeure Jean Valjean, incarné, en France, par Harry Baur, Jean Gabin, Lino Ventura ou Gérard Depardieu.

Cinéma

Près d'une centaine d'adaptations au total dont plus d'une quarantaine pour Les Misérables, suivi de près par Notre-Dame de Paris. On peut y voir le caractère universel de l'œuvre d'Hugo, car les cinémas les plus divers s'en sont emparés : américain 1915, Don Caesar de Bazan, tiré de Ruy Blas ; The Man Who Laughs 1928, adaptation de L'Homme qui rit ; anglais, indien Badshah Dampati, en 1953, adaptation de Notre-Dame de Paris ; japonais en 1950 Re Mizeraburu : Kami To Akuma : adaptation dans un cadre japonais, sous l'ère Meiji ; égyptien ex :1978, Al Bo'asa adaptation des Misérables ; italien 1966, L'Uomo che ride, adaptation de L'Homme qui rit, etc.
L'Histoire d'Adèle H. de François Truffaut est un des rares films biographiques qui évoque indirectement l'exil de Victor Hugo qui n'apparaît pas dans le film à travers le destin de sa fille Adèle Hugo. L'écrivain apparaît dans le film de Sacha Guitry Si Paris nous était conté interprété par Émile Drain.
En 2016, le film documentaire Ouragan, l'odyssée d'un vent a repris le texte de Hugo intitulé La Mer et le Vent pour constituer l'essentiel de la narration, accompagnant les images dédiées à l'ouragan.

Télévision

Un nombre important d'adaptations d'œuvres de Victor Hugo a été réalisé pour la télévision. Pour la télévision française Jean Kerchbron réalisa les adaptations de Marion de Lorme, Torquemada et L'Homme qui rit, en 2000 Josée Dayan fit une adaptation des Misérables avec Gérard Depardieu, Christian Clavier et John Malkovich.

Opéra

Une centaine d'opéras ont été inspirés par l'œuvre de Victor Hugo. Signalons, entre autres, parmi les plus connus :
1833 : Lucrezia Borgia, de Gaetano Donizetti, d'après Lucrèce Borgia.
1837 : Il Giuramento, Saverio Mercadante, d'après Angelo, tyran de Padoue.
1844 : Ernani de Verdi, tiré de la pièce Hernani.
1851 : Rigoletto de Verdi, d'après la pièce Le Roi s'amuse.
1879 : Maria Tudor de Carlos Gomes, d'après le drama Marie Tudor
1885 : Marion Delorme d'Amilcare Ponchielli, d'après la pièce Marion de Lorme
1943 : Torquemada de Nino Rota, d'après la pièce Torquemada
Sur ces opéras et d'autres, on se reportera au numéro hors série de L'Avant-scène opéra, Hugo à l'opéra, dirigé par Arnaud Laster, spécialiste des rapports de Victor Hugo avec la musique et des mises en musique de ses œuvres.
Contrairement à ce que l'on a souvent prétendu, Victor Hugo n'était pas hostile à la mise en musique de ses poèmes ni aux opéras inspirés par ses œuvres sauf quand on ne signalait pas qu'il était l'auteur de l'œuvre adaptée. Néanmoins, lors des premières représentations d'Ernani, Hugo insista pour que le titre et le nom des personnages soient changés.
Son ami Franz Liszt composa plusieurs pièces symphoniques inspirées de ses poèmes : Ce qu'on entend sur la montagne, tiré des Feuilles d'automne, et Mazeppa, tiré des Orientales.

Mélodies

De nombreux compositeurs ont mis en musique des poèmes de Victor Hugo : Gounod Sérénade, Bizet Guitare ; Les Adieux de l'hôtesse arabe, Lalo Guitare, Delibes Églogue, Jules Massenet Soleils couchants, Franck S'il est un charmant gazon, Fauré Le Papillon et la Fleur ; L'Absent ; Puisqu'ici bas, Wagner L'Attente, Liszt Ô quand je dors ; Comment, disaient-ils, Saint-Saëns Soirée en mer ; La Fiancée du timbalier, Maude Valerie White Chantez, chantez, jeune inspirée, Reynaldo Hahn Si mes vers avaient des ailes ; Rêverie.
Thierry Escaich : Guernesey, cycles de trois mélodies pour ténor et piano d'après Victor Hugo, et Djinns, dans Les Nuits hallucinées pour mezzo-soprano et orchestre
Comédies musicales
1980 : Les Misérables, adaptation d'Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg pour Robert Hossein, est devenue l'une des plus populaires comédies musicales à partir de 1985 où elle a été montée à Londres en anglais et où elle est toujours à l'affiche : jouée dans 40 pays, traduite en 21 langues et vue par plus de 55 millions de spectateurs au total, elle a été jouée en anglais au théâtre du Châtelet à Paris dans une mise en scène de Trevor Nunn et John Caird, en 2010.
1999 Notre-Dame de Paris, adaptation Luc Plamondon et Richard Cocciante.
Films d'animation

Plusieurs succès, dont les plus célèbres :

1996 : Le Bossu de Notre-Dame The Hunchback of Notre Dame, par les studios Disney
1979 : Les Misérables, film d'animation japonais.

Chansons

Plusieurs chanteurs ont repris des poèmes de Victor Hugo. Citons :
Georges Brassens : Gastibelza, La Légende de la Nonne
Julos Beaucarne : Je ne songeais pas à Rose
Colette Magny : Les Tuileries, Chanson en canot
Malicorne : La fiancée du timbalier
Pierre Bensusan : « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne »
Gérard Berliner : composition théâtrale Mon Alter Hugo221, qui donnera aussi lieu à l'album Gérard Berliner chante Victor Hugo
Serge Reggiani : La Chanson de Maglia, sur une musique de Serge Gainsbourg en 1961.


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Posté le : 21/05/2016 17:51
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Hergé 1
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Le 22 mai 1907 naît Georges prosper Remi dit Hergé

à Etterbeek, auteir belge Dessinateur et scénariste de bande dessinée, père des aventures de " Tintin "
Il reçoit les distinctions suivantes: en 1973, grand prix Saint-Michel, en 1977 : la médaille de vermeil de la Ville d'Angoulême, en 1978 : grade d'officier de l'ordre de la Couronne. Il est marié à Germaine Kieckens de 1932 à 1977, puis Fanny Vlamynck à partir de 1977. Il meurt, à 75 ans, le 3 mars 1983 à Woluwe-Saint-Lambert en Belgique.
D'abord dessinateur amateur d'une revue scoute, à partir de 1924 il signe ses planches du pseudonyme « Hergé » formé à partir des initiales R de son nom et G de son prénom. Quelques mois plus tard, il entre au quotidien Le Vingtième Siècle, dont il devient rapidement l'homme providentiel grâce aux Aventures de Tintin. Celles-ci débutent le 10 janvier 1929 dans un supplément du journal destiné à la jeunesse, Le Petit Vingtième. Hergé, qui est l'un des premiers auteurs francophones à reprendre le style américain de la bande dessinée à bulles, est souvent considéré comme le père de la bande dessinée européenne.

Durant les années 1930, Hergé diversifie son activité artistique illustrations de journaux, de romans, de cartes et de publicités, tout en poursuivant la bande dessinée. Il crée tour à tour Les Exploits de Quick et Flupke 1930, Popol et Virginie au pays des Lapinos 1934 et enfin Les Aventures de Jo, Zette et Jocko 1935. Après l'album Tintin au pays des Soviets, où il entraîne son personnage de jeune reporter à affronter les embûches du monde soviétique, il produit Tintin au Congo puis Tintin en Amérique. Ces albums sont en noir et blanc. En 1934, il fait la rencontre de Tchang Tchong-Jen, jeune étudiant chinois venu étudier à l'Académie royale des beaux-arts de Bruxelles. Cette rencontre bouleverse la pensée et le style d'Hergé. Il commence à se documenter sérieusement, ce qu'il ne faisait pas jusque-là, et crée Le Lotus bleu, toujours en noir et blanc. Durant la Seconde Guerre mondiale, Hergé publie les aventures de Tintin dans le supplément jeunesse du quotidien Le Soir, alors contrôlé par l'occupant allemand ; cela entache sérieusement sa réputation et lui vaut, à la libération, d'être accusé de collaboration. Il est cependant remis en selle par un ancien résistant, Raymond Leblanc, devenu éditeur qui lance, en 1946, le journal Tintin. Hergé est directeur artistique de cet hebdomadaire, dont le grand succès contribue à celui de la bande dessinée franco-belge et grâce auquel il impose son style propre, la ligne claire. Durant les années 1950 et 1960, perfectionniste et visionnaire, Hergé développe cette technique graphique dans le journal Tintin sans oublier de reprendre Jo, Zette et Jocko et, surtout Quick et Flupke. Tintin demeure cependant son œuvre principale, et lui vaut une renommée européenne, puis internationale.
Hergé dirige un studio où travaillent notamment Edgar P. Jacobs et Bob de Moor qui, outre leur apport à l'exécution des aventures de Tintin, s'imposent eux aussi comme de brillants créateurs de la bande dessinée franco-belge. Au fur et à mesure des années, des hommages internationaux affluent vers Hergé ; après d'ultimes retrouvailles en 1981 avec Tchang qui a miraculeusement traversé guerres et révolution, il meurt d'une leucémie en 1983. Depuis, il est considéré comme l'un des plus grands artistes contemporains et a vendu presque 250 millions d'albums, traduits dans une centaine de langues. L'œuvre d'Hergé est gérée par sa veuve Fanny Rodwell via les sociétés Moulinsart et Studios Hergé anciennement Fondation Hergé.

En bref

Du général de Gaulle, qui selon André Malraux dans Les Chênes qu'on abat, déclara : « Mon seul rival international, c'est Tintin ! », au philosophe Michel Serres, qui écrivit : « J'ai plus appris en théorie de la communication dans Les Bijoux de la Castafiore que dans cent livres théoriques mortels d'ennui et stériles de résultats », les témoignages abondent sur la place exceptionnelle que l'œuvre d'Hergé a occupée dans l'imaginaire collectif de la seconde moitié du XXe siècle. Aucune autre bande dessinée au monde n'a été aussi commentée, n'a fait l'objet d'autant d'ouvrages – un phénomène éditorial seulement comparable, dans le domaine de l'histoire culturelle contemporaine, à la masse de livres sur les Beatles publiés dans les pays anglo-saxons. Une parution hebdomadaire :
Le créateur qui influença le plus la bande dessinée francophone, le Belge Georges Remi, dit Hergé, est né le 22 mai 1907 à Bruxelles. Ses premiers dessins sont publiés dès 1922, et c'est en 1924 qu'il adopte son pseudonyme, formé à partir de ses initiales inversées (R.G.). Très engagé dans le scoutisme, il publie de 1926 à 1929, dans le mensuel Le Boy-Scout belge, Les Extraordinaires Aventures de Totor, chef de patrouille des Hannetons, récit naïf, avec le texte placé sous l'image, sur les tribulations en Amérique d'un jeune chef scout qui préfigure Tintin.
En 1928, le quotidien bruxellois Le XXe Siècle demande à Hergé de créer un supplément hebdomadaire pour la jeunesse. Dans ce journal catholique, très marqué à droite (où Hergé se lie un moment avec un reporter, le futur chef fasciste Léon Degrelle), Hergé lance Le Petit Vingtième, et y dessine à partir du 10 janvier 1929 une histoire – avec, cette fois, le texte dans des bulles –, Tintin au pays des Soviets. Avec les aventures satiriques du jeune journaliste Tintin et de son chien Milou dans la Russie stalinienne, Hergé vient de créer, à son insu, la bande dessinée qui deviendra le grand classique européen du genre.
En 1930, au terme de ce premier épisode, la direction du journal demande à Hergé d'envoyer son reporter fictif au Congo belge, afin d'y exalter l'œuvre des missionnaires : c'est Tintin au Congo (1930-1931), récit souvent jugé raciste par la suite, mais que personne alors ne perçut comme tel. Après la satire du communisme, Hergé se moque dans Tintin en Amérique (1931-1932) du capitalisme, autre contre-modèle de l'extrême droite chrétienne. Puis il s'éloigne de l'esprit burlesque de ces trois épisodes initiaux dans Les Cigares du pharaon (1932-1934), marqué par l'irruption du fantastique et la création de la paire de détectives stupides, Dupond et Dupont, et surtout dans Le Lotus Bleu (1934-1935), sa première œuvre maîtresse, défense et illustration de la Chine, brutalement occupée par le Japon. Après les aventures sud-américaines de L'Oreille cassée (1935-1937) et écossaises de L'Île Noire (1937-1938), Hergé revient à une veine plus politique dans Le Sceptre d'Ottokar 1938-1939, inspiré par l'annexion de l'Autriche par Hitler (le dictateur s'appelle Müsstler, contraction de Mussolini et Hitler).
Une bande dessinée d'avance : Durant l'occupation de la Belgique, c'est le grand quotidien bruxellois Le Soir qui poursuit la publication de la série. Dans Le Crabe aux pinces d'or (1940-1941), Tintin rencontre un personnage si truculent qu'il finira par être quelque peu éclipsé par lui : le capitaine Haddock, ivrogne au grand cœur. L'Étoile mystérieuse (1941-1942) est pour le moins politiquement maladroit, puisque les « méchants » y sont des juifs new-yorkais. Le diptyque constitué par Le Secret de la Licorne (1942-1943) et Le Trésor de Rackham le Rouge (1943), généralement considéré comme l'un des sommets de l'œuvre, voit l'apparition du professeur Tournesol, savant génial, sourd et distrait. La libération de la Belgique interrompt jusqu'en 1946 Les Sept Boules de cristal (la première partie est publiée en 1943-1944, la seconde en 1946), mais aussi la carrière d'Hergé, à qui l'on reproche sa participation au Soir, dont certains articles étaient ouvertement pro-nazis. Pendant deux ans, les éditeurs de journaux le tiennent à l'écart, ce qui provoquera en lui un traumatisme durable et des périodes de dépression
Hergé réapparaît en 1946 dans le premier numéro du journal Tintin, lancé par les éditions du Lombard, dont le responsable, Raymond Leblanc, est un ancien résistant qui prend la défense d'Hergé, dont le retour suscite l'hostilité de certains députés. L'hebdomadaire, qui aura une édition française à partir de 1948, va publier en feuilleton tous les épisodes suivants, réalisés à partir de 1950 avec des assistants, principalement Bob De Moor et Jacques Martin qui prennent la suite de E. P. Jacobs, avec lequel Hergé avait travaillé de 1943 à 1947 (l'importance du mystérieux Jacques Van Melkebeke, qui collabora à la même époque aux scénarios d'Hergé, avant de participer à ceux de Jacobs, ne sera longtemps connue que de quelques initiés). Neuf épisodes vont ainsi se succéder dans « le journal des jeunes de 7 à 77 ans ». Le Temple du Soleil (1946-1948) se déroule chez les Incas, Tintin au pays de l'or noir (1948-1950, commencé en 1939-1940 dans Le Petit Vingtième) évoque un Proche-Orient déchiré (la première version montre notamment des soldats britanniques aux prises en Palestine avec des militants sionistes), Objectif Lune (1950-1952) et On a marché sur la Lune (1952-1953) anticipent avec réalisme l'exploration spatiale, L'Affaire Tournesol (1954-1956) est typique de la « guerre froide » (la Bordurie fasciste du Sceptre d’Ottokar est devenue un État stalinien). Après Coke en stock (1956-1958), qui rassemble beaucoup de personnages en une multiplicité d'intrigues entremêlées, Hergé donne son histoire la plus dépouillée : Tintin au Tibet (1958-1959), une de ses grandes réussites, correspond à une crise intime, due notamment à une nouvelle orientation de sa vie conjugale (les neiges de l'Himalaya représenteraient la nostalgie et les impasses de la pureté). Les Bijoux de la Castafiore (1961-1962) est une anti-aventure (Hergé joue avec le lecteur : malgré les apparences, rien ne se passe). Enfin, Vol 714 pour Sydney (1966-1967) et Tintin et les Picaros (1975-1976) sont des histoires décalées, où Hergé se moque subtilement de ses personnages. À sa mort, le 3 mars 1983 à Bruxelles, il laisse l'ébauche d'un vingt-quatrième épisode, Tintin et l'Alph-Art, qui sera publié en l'état en 1986. Outre Tintin, Hergé est l'auteur de Quick et Flupke, une série sous-estimée sur les espiègleries de deux gamins de Bruxelles, née dans Le Petit Vingtième en 1930 (l'auteur, plus libre que dans Tintin, y joue parfois avec les codes de la bande dessinée), ainsi que de Jo, Zette et Jocko, une bande mineure créée en 1936 pour l'hebdomadaire français Cœurs Vaillants. La ligne claire : La source graphique de Tintin se trouve dans les premiers albums de Zig et Puce d'Alain Saint-Ogan : à celui qui est alors son modèle, et qu'il ira voir à Paris en 1931, Hergé emprunte la technique de la bulle, le goût d'un dessin immédiatement compréhensible, à la fois réaliste et épuré des détails inutiles – ce que l'on baptisera un demi-siècle plus tard la « ligne claire » – et même plusieurs gags. Mais il apporte, dès Les Cigares du pharaon, la cohérence narrative dont Saint-Ogan ne s'est jamais soucié, et une telle diversité de thèmes que l'on peut s'interroger sur l'unité de la série : à part la présence de Tintin et Milou, il n'y a guère de rapports entre les univers du Lotus Bleu (aventure historique), d'On a marché sur la Lune (récit de science-fiction) ou des Bijoux de la Castafiore (comédie de situation). Ces univers apparemment distincts traduisent en fait l'évolution de leur créateur, du monde encore puéril de Tintin au pays des Soviets (Hergé a alors vingt et un ans) à celui de Tintin et l'Alph-Art, où l'auteur, septuagénaire, aborde le sujet qui le passionne alors : l'art moderne. Contrairement aux interminables séries où la succession des épisodes n'est qu'une simple accumulation, sans progression interne, la suite des albums de Tintin, parce qu'elle correspond au cheminement intellectuel et artistique de toute une vie, renvoie le lecteur à l'évolution intime d'Hergé et, au-delà, à la réalité ultime : le temps. L'ampleur du succès de Tintin (plus de 200 millions d'albums vendus, en environ quatre-vingts langues ou dialectes) et la variété des points de vue sous lesquels l'œuvre peut être analysée (historique, idéologique, ésotérique, psychanalytique, sémiologique, esthétique, bibliophilique...) ont provoqué des études pléthorique (plus de deux cents ouvrages), complémentaires ou contradictoires. Le « reporter du Petit Vingtième » est devenu une figure emblématique du XXe siècle. Ouvert en 2009, le musée Hergé à Louvain-la-Neuve (Belgique) rend hommage au créateur de Tintin. Dominique Petitfaux

sa vie

Georges Remi est né au 25, rue Cranz anciennement devenant aujourd'hui 33, rue Philippe Baucq à Etterbeek, une commune de l'agglomération bruxelloise, le 22 mai 1907 à 7h30. L'enfant est baptisé quelques semaines plus tard, le 9 juin, à l'église paroissiale de la commune ; sa marraine est sa propre grand-mère maternelle, Antoinette Roch. Ses parents appartiennent à la classe moyenne bruxelloise : Alexis Remi 1882–1970 est employé dans la maison de confection pour enfants Van Roye-Waucquez à Saint-Gilles et Élisabeth Dufour 1882–1946, ancienne couturière, est sans profession. Son père, wallon, était né d'une union illégitime entre une servante, Léonie Dewigne 1860-1901 et probablement Alexis Coismans, un ébéniste bruxellois de vingt-quatre ans. Le fait qu'il se présenta à la maison communale d'Anderlecht pour déclarer la naissance des jumeaux et le choix du prénom d'un des enfants semblerait lui donner la paternité d'Alexis et Léon Remi. Certains pensent que la paternité reviendrait plutôt à Gaston, comte Errembault de Dudzeele 1847-1929 chez les parents de qui Léonie travaillait comme domestique à Chaumont-Gistoux. Délaissée par Coismans, la jeune fille épousa Philippe Remi qui reconnut les enfants septembre 1893. Cette mystérieuse affaire a fait évoquer à Serge Tisseron le poids d'un secret de famille dans l'œuvre du futur Hergé. Quant à Élisabeth c'est une flamande ce qui fera dire plus tard à Georges Remi : Je suis un Belge synthétique. Après la naissance de Georges, la famille Remi ne va cesser de déménager. Le 26 juin 1908, ils s'installent au 34 de la rue de Theux à Etterbeek, la demeure du plombier Joseph Dufour 1853-1914 et Antoinette Roch 1854-1935, les parents d'Élisabeth. De santé fragile, la jeune maman est victime d'une rechute de pleurésie durant le printemps 1909. Une friction familiale fait partir le jeune couple qui s'installe le 12 janvier 1912 au 57 avenue Jules Malou dans la même commune. Le 26 mars de la même année, naît à Ixelles Paul Remi 1912-1986, le frère cadet de Georges avec qui les contacts sont très lâches. Le lendemain, les Remi élisent domicile au 91 rue de Theux à Ixelles.
Je me sentais médiocre et je vois ma jeunesse comme une chose grise, grise.

— Interview d'Hergé.

Occupation de la Belgique 1914-1918

Selon les propres mots d'Hergé, le petit Georges était un enfant insupportable, particulièrement lorsque ses parents l'emmenaient en visite. L'un des remèdes les plus efficaces était de lui fournir un crayon et du papier. L'un de ses premiers dessins connus figure au dos d'une carte postale où sont représentés au crayon bleu un train à vapeur, un garde-barrière et une automobile vers 1911. Le 29 septembre 1913, le jeune garçon de 6 ans entre à l'école primaire de l'Athénée à Ixelles. À peine l'année scolaire est-elle terminée que la Belgique est occupée par l'armée allemande de Guillaume II 20 août 1914. Son oncle Léon est mobilisé sur le front de l'Yser dès la fin août 1914 ; il en reviendra, après quatre ans de combats, avec la croix de guerre avec palmes. Le cardinal Mercier, archevêque de Malines, en appelle à la résistance belge. Entretemps, après une rechute d'Élisabeth, la famille Remi déménage une nouvelle fois 124 rue du Tram à Watermael-Boitsfort dans la banlieue sud de Bruxelles septembre 1914. Durant sa scolarité à l'école no 3 d'Ixelles, Georges Remi dessine dans le bas de ses cahiers des histoires imagées qui racontent les démêlés d'un petit garçon avec l'occupant allemand.
Un jour, un élève m'a pris un dessin et l'a montré au professeur. Celui-ci l'a regardé avec une moue méprisante, et m'a dit Il faudra trouver autre chose pour vous faire remarquer !. Parfois l'instituteur, me voyant occupé à griffonner et me croyant distrait, m'interpellait brusquement : Remi !… Répétez donc ce que je viens de dire ! Et déjà il ricanait méchamment dans sa barbe. Mais son visage exprimait généralement un profond étonnement lorsque, tranquillement, sans hésiter, je répétais ce qu'il venait de dire. Car si je dessinais d'une main, eh bien, j'écoutais attentivement de l'autre !

— Hergé, interview.

En raison de l'amélioration de la santé d'Élisabeth, la famille revient s'installer définitivement au 34 rue de Theux à Etterbeek août 1917. En mars 1918, Georges Remi croque dans le cahier de poésie de son amie Marie-Louise van Cutsem Milou un dessin à l'encre de Chine et à l'aquarelle représentant un coq qui apostrophe un lapin face à un œuf brisé. Le 7 octobre 1919, l'écolier entre à l'École supérieure no 11 d'Ixelles. À l'occasion du premier anniversaire de l'Armistice en novembre 1919, il compose une vaste fresque patriotique faite de craies de couleur dans laquelle les soldats belges flanquaient une solide raclée à l'armée allemande, ce qui bouleverse son professeur de dessin, monsieur Stoffijn, dit Fine-Poussière.

Études secondaires et scoutisme.

Georges Remi était issu d'une famille de la classe moyenne catholique et ancrée à droite. En 1919, le patron de son père, Monsieur Waucquez avait fortement conseillé Alexis Remi de mettre son fils en établissement catholique à la suite d'une année scolaire plutôt médiocre. Le jeune garçon est, à son grand désespoir placé au sein de la troupe scoute du collège Saint-Boniface de Bruxelles. Dès lors, l'environnement ultracatholique et scout ne le quittera plus jusqu'aux années 1950.
Après avoir fait sa communion, le jeune garçon entre à l'Institut Saint-Boniface de Bruxelles dirigé par l'abbé Pierre Fierens ; il est âgé de 13 ans 1920. Malgré une légende tenace répandue par Hergé lui-même, l'élève se montre excellent dans toutes les matières sauf en dessin. Au dernier trimestre, le prix de dessin ne lui est pas décerné au grand dam de ses camarades et le professeur de dessin répond : ...Bien sûr, Remi mérite mieux ! Mais il fallait dessiner des épures, des prismes et autres objets avec ombre portée… Chez ce garçon, un autre dessin est inné ! Ne vous en faites pas, on en reparlera...
En 1918, Georges Remi avait rejoint les Boy-Scouts de Belgique organisme laïque, La 1re Troupe du Groupe Honneur. Il devient rapidement chef de la patrouille des Écureuils et reçoit le nom totémique de Renard curieux. avant de les abandonner en 1921 pour la Troupe Saint-Boniface du collège. Le jeune garçon vit ce changement avec beaucoup de tristesse. Durant le début des années 1920, l'adolescent prend plaisir dans le scoutisme qu'il considère comme la grande affaire de sa jeunesse. À l'époque, Georges Remi poursuit ses croquis, notamment lors des camps d'été en Autriche, en Suisse, en Italie, dans les Pyrénées, et en fait paraître à partir de 1921 dans les revues du collège Jamais Assez puis Le Boy-Scout. Enfin, à la suite de ses cours d'anglais et de sa passion pour le scoutisme, le jeune Remi est fasciné par l'Amérique des cow-boys et des indiens comme le prouvent ses cahiers de l'époque qui fourmillent de visages qu'il commence à signer Hergé, Remi Georges 1924. Au même moment, à l'occasion de la fête de l'aumônier Hansen, le créateur de la troupe scoute, il est choisi pour dessiner une vaste fresque sur un mur du collège Saint-Boniface vers 1922. Redécouverte par hasard en 2007 : elle est composée d'une scène de chevaliers en armure, de cow-boys et d'indiens. Lorsque le jeune Hergé retourne auprès de ses parents, c'est pour se rendre en famille au bord de la mer à Ostende avec la famille van Cutsem étés 1923, 1924 et 1925.

Première carrière de dessinateur 1925-1929

Entrée au Vingtième Siècle et aventures de Totor

Durant les années 1920, les réalisations d'Hergé restent encore très modestes. Bien qu'il illustre des articles et des couvertures de mensuels de gags scouts, la technique reste maladroite : par exemple, en avril 1925, il croque pour le Blé qui lève quatre dessins sur les plaisirs du vélo où un cyclotouriste regonfle son pneu tellement fort qu'il le fait exploser…. Au même moment, son chef de troupe René Weverbergh lui offre pour la Saint-Georges, un ouvrage intitulé Anthologie d'Art pour perfectionner son coup de crayon. Ses études secondaires terminées, Hergé cherche désormais du travail. Lors d'une réunion scoute, l'abbé Wathiau lui propose un poste d'employé au Vingtième Siècle. Acceptant l'offre, il est engagé à partir du 31 octobre 1925 : Mon travail consistait surtout à inscrire le nom des nouveaux abonnés sur des formulaires spéciaux … à envoyer par la poste, et à établir un fichier.
Le journal est dirigé par l'autoritaire abbé Norbert Wallez 1882-1952 dont la ligne éditoriale est ultracatholique et nationaliste. C'est d'ailleurs l'administrateur du Boy-Scout belge, le journal du collège, René Weverbergh qui présenta le jeune Georges à l'abbé Norbert Wallez, le directeur du Vingtième Siècle 1925. L'ecclésiastique se révéla alors à un jeune garçon qui n'avait aucune assurance et qui s'autocritiquait sans cesse. Plus tard, Hergé avoua que Wallez avait profondément influencé sa philosophie, sa personnalité et même sa vie conjugale puisque c'est lui qui lui présenta sa secrétaire Germaine Kieckens au dessinateur. Or, le directeur du Vingtième Siècle est un ultracatholique fasciste vouant un véritable culte à Mussolini dont il avait un portrait dans son bureau. Au début des années 1930, Église et anticommunisme se confondaient en Belgique et Tintin, que lui avait commandé l'abbé, devint tout naturellement un jeune reporter catholique sauveur du peuple russe contre la barbarie soviétique…
Hergé continue de publier en parallèle pour la revue du Boy-Scout des planches de gags. Dans le numéro de juillet 1926, la double page centrale propose les Extraordinaires Aventures de Totor, C. P. des Hannetons, un grand film comique d'United Rovers. La suite des aventures de ce scout débrouillard, souvent reconnu comme l'ancêtre de Tintin, se déroule en août-septembre à Manhattan. Cependant, le dessinateur est appelé au service militaire le 16 août : il est affecté à la 4e Compagnie du 1er Régiment de Chasseurs à pied à Mons alors qu'il avait demandé la cavalerie ! Totor qui devait réapparaître dans le Boy-Scout à l'automne 1926, ne fera sa réapparition qu'en février 1927 à partir de la septième planche. Conscients du talent de leur fils, les parents de Georges Remi se décident finalement à l'inscrire à l'école Saint-Luc, en vain : J'y suis allé un soir à l'école Saint-Luc, mais comme on m'y avait fait dessiner un chapiteau de colonne de plâtre et que ça m'avait ennuyé à mourir, je n'y suis plus retourné.
Cette surcharge de travail quotidien empêche le jeune Remi de poursuivre sa relation avec Marie-Louise van Cutsem Milou. Fin avril 1927, Georges Remi fait la connaissance de Germaine Kieckens, employée dans une fabrique d'écrins à Bruxelles. Il l'invite le week-end suivant à l'aérodrome de Bruxelles où il est chargé avec sa compagnie de surveiller l'avion de Charles Lindbergh en visite en Belgique après son exploit aérien. En parallèle, Hergé accepte la proposition de l'abbé Wallez d'illustre, Popokabaka 1er mars-26 juillet 1927 et La Rainette 2 août-25 octobre 1927.

Le Petit Vingtième Le Petit Vingtième.

Après son service militaire, Hergé est chargé par l'abbé Wallez des tâches d'illustrateur et de reporter-photographe. Son amie Germaine est embauchée au Vingtième Siècle le 15 février 1928 comme secrétaire de l'abbé Wallez. Satisfait du travail d'Hergé, ce dernier lui confie la responsabilité du nouveau supplément hebdomadairdestiné à la jeunesse pour agrandir le nombre de lecteurs : Le Petit Vingtième. Poussé par Wallez, Hergé s'instruit en dévorant de nombreux ouvrages afin de donner plus de précisions à ses illustrations. Le premier numéro du Petit Vingtième paraît le 1er novembre 1928 mais se montre aux yeux du public assez décevant. L'artiste y propose dans un premier temps L'Extraordinaire aventure de Flup, Nénesse, Poussette et Cochonnet, une série qui raconte l'histoire de trois jeunes adolescents et d'un porc connaissant diverses aventures, sur un scénario de l'abbé Desmedt, un rédacteur sportif du journal. L'histoire se déroule sur un fond colonialiste et proclérical, toujours en vogue à l'époque, en particulier lorsque les enfants, prisonniers dans un village de cannibales, sont sauvés par la bienveillance d'un missionnaire catholique. Hergé est peu motivé mais la série se poursuit jusqu'en mars 1929.
Je me sentais comme dans un costume mal coupé qui me gênait aux entournures.

— Interview d'Hergé.

Cette année-là, Bruxelles accueille une exposition sur la Russie bolchevique. Les employés du Vingtième Siècle, ultra-catholiques et anticommunistes sont indignés par cette exposition située à quelques pas de leur bureau. L'un d'eux, le comte Perovsky, est un ancien Russe blanc réfugié en Belgique après la guerre civile de 1918-1921. Une centaine d'étudiants nationalistes dirigés par Léon Degrelle met à sac l'exposition à la grande joie de l'abbé Wallez. Enfin, pour donner plus de clarté à ses dessins, l'artiste abandonne le dessin artisanal du XIXe siècle et adopte la nouvelle technique de la photogravure, technique simple mais efficace traitement des plaques à l'acide. Pressentant le talent et la personnalité du jeune dessinateur, l'abbé Wallez est le premier à lui donner le coup de pouce décisif : L'abbé Wallez a eu sur moi une énorme influence, pas du point de vue religieux, mais il m'a fait prendre conscience de moi-même, il m'a fait voir en moi

Collaborations au Boy-Scout belge et à l'Action Catholique 1927-1929

Appel du cardinal Mercier 1917.
En parallèle de son activité au Vingtième Siècle, Hergé a préservé des rapports étroits avec ses camarades scouts et les abbés qu'il a côtoyés à Saint-Boniface. Au cours de l'année 1927, le Boy-Scout devient le Boy-Scout belge, au sein duquel il continue à faire paraître, jusqu'en juillet 1929 et à raison d'une planche par mois, les aventures de Totor. En 1928, une publicité vante les articles de culture générale, de formation technique scoute, des événements du mois, de sciences naturelles, de nouvelles des troupes… Hergé y dessine presque tout : la couverture de présentation qu'il modernise, les cartes postales, les illustrations d'articles. D'autre part, le dessinateur collabore aussi à diverses publications des mouvements d'Action catholique. Le rôle de ce mouvement, mis au point par Léon XIII et poursuivi par le cardinal Mercier, est de relancer l'enthousiasme religieux qui commence à péricliter au sein de la société belge et plus largement européenne. Pour Hergé, il s'agit de réaliser les têtes de rubriques, d'illustrations de contes, de petits gags et aussi l'emblème de la Jeunesse indépendante catholique JIC : l'aigle noir tenant le bouclier armorié JIC. Le 16 décembre 1928, pour accroître davantage l'audience du quotidien, l'abbé Wallez lance un supplément culturel intitulé Le Vingtième Siècle Artistique et Littéraire. Georges Remi est comme d'habitude chargé du dessin, il illustre des centaines de romans : Ilias de Léon Tolstoï, La Belle Histoire de Geneviève d'Henri Lavedan… Durant cette période, l'artiste approfondit et précise son coup de crayon.
Tintin et Milou au Petit Vingtième 1929-1931 Goût pour la bande dessinée

L'absurde Krazy Kat 1918

À la fin des années 1920, Hergé découvre par l'intermédiaire de Léon Degrelle, correspondant du Vingtième Siècle au Mexique, la bande dessinée américaine faisant sortir directement les paroles de la bouche des personnages. Depuis la fin du XIXe siècle le comic strip est très populaire aux États-Unis et s'adresse avant tout aux enfants. Le tournant des années 1930 exporte le genre en Europe occidentale. Les séries américaines les plus célèbres sont Krazy Kat de George Herriman qui paraît dans The New York Evening Journal depuis 1913 ou encore les Katzenjammer Kids de Rudolph Dirks dans le New York Journal depuis 1897. En France, le genre est déjà utilisé depuis peu par le dessinateur des aventures de Zig et Puce 1925, Alain Saint-Ogan. Jusqu'ici, les dessins de l'artiste belge n'étaient que de simples textes mis en images : désormais il va créer une véritable bande dessinée. Parallèlement, Hergé publie toujours dans d'autres revues : il dessine ainsi sept planches pour l'hebdomadaire satirique Le Sifflet avec en particulier, dans le numéro du 30 décembre 1928, une histoire intitulée La Noël du petit enfant sage au contenu scatologique ; pour la première fois, Hergé y présente ses dialogues exclusivement au sein de bulles.
À la fin de l'année 1928, songeant à abandonner l'histoire considérée comme ennuyeuse de Flup, Nénesse, Poussette et Cochonnet, Hergé reprend le personnage de Totor, modifie son nom, lui adjoint un petit fox-terrier Milou, peut-être en référence à son ex-amie Marie-Louise van Cutsem ? et lui donne un nouveau métier : celui de reporter. Mis au courant du projet, l'abbé Wallez, admirateur de Mussolini et virulent anticommuniste, propose d'envoyer ce nouveau personnage, auquel les enfants sont invités à s'identifier, en URSS pour y dénoncer les crimes qui y sont perpétrés : dès ses origines, Tintin aura une fonction politique.

Lancement des Aventures de Tintin Tintin au pays des Soviets.

Georges Remi a toujours su s'adapter au contexte dans lequel il se trouvait. Au milieu des années 1920, il dessinait Totor, chef de patrouille comme lui. En 1929, devenu reporter au Petit Vingtième, son nouveau héros devient naturellement reporter pour le même journal. Selon l'auteur lui-même, le visage de Tintin lui aurait été inspiré par son frère cadet Paul : le visage rond et la houpette, alors que d'autres voient une certaine ressemblance avec le jeune navigateur danois Palle Huld, adepte des culottes de golf, qui fit le tour du monde en 1928. Le 10 janvier 1929, Tintin fait donc son apparition dans Le Petit Vingtième. Hergé exécute et livre deux planches par semaine qui enchaînent gags et catastrophes sans bien savoir où son récit l'entraîne. Devant le choix de sa direction, profondément anticommuniste, d'envoyer Tintin en Russie soviétique URSS, et ne pouvant se rendre sur les lieux de pérégrination de son personnage, Hergé s'inspire pour son histoire d'une source unique : le livre Moscou sans voiles, paru sous la plume de Joseph Douillet en 1928. Les caractères cyrilliques sont dessinés par son collègue le comte Perovsky. Durant l'été 1929, le rappel d'Hergé sous les drapeaux lui inspire la présence d'une manœuvre militaire dans la série qu'on peut voir aux planches 56-57. Le 25 décembre 1929 sort la première couverture de Tintin au Petit Vingtième en bichromie avec deux planches couleurs 100 et 101. L'hebdomadaire catholique français Cœurs vaillants reprendra dès octobre l'histoire, mais l'adaptera en y ajoutant des textes explicatifs, au grand dam d'Hergé. Au terme des 138 planches 1er mai 1930, les traits de Tintin se sont affirmés, passant des premiers dessins du gros scout lourdaud et ridicule … au personnage que nous connaissons désormais. L'aventure est assemblée dans un album publié à seulement 5 000 exemplaires. Avant même la fin de la publication des planches, une fausse lettre de la Guépéou arrive au bureau de Petit Vingtième, lui demandant de mettre un terme à l'activité du reporter virtuel : selon Benoît Peeters, il s'agit déjà d'accréditer l'existence de Tintin.

Premiers succès Quick et Flupke.

Le 23 janvier 1930, le dessinateur crée deux nouveaux personnages de la moyenne bourgeoisie bruxelloise : Quick et Flupke. Cette nouvelle bande dessinée paraît dans les pages du Petit Vingtième de façon continue, tous les jeudis, jusqu'en 1935, puis de façon plus irrégulière jusqu'en 1940 seulement 19 gags entre 1937-1940. D'après l'auteur lui-même : Quick était le surnom d'un de mes amis. Pour Flupke, j'ai pris Flup Philippe et le ke flamand signifie "petit". Flupke c'est "petit Philippe"
Selon Benoît Peeters, les Exploits de Quick et Flupke semblent rassembler « tous les éléments que ses autres albums n'étaient pas en mesure d'intégrer. Ici aucun exotisme, mais de simples planches de gags causés par les enfants eux-mêmes, le souvenir d'une enfance endiablée pour Hergé. Mais l'artiste est surtout occupé ailleurs : en mai 1930, commençant à se rendre compte du succès de Tintin, il imagine déjà une suite. L'abbé Wallez a l'idée de mettre en scène le retour de Tintin de son voyage soviétique. Le 8 mai 1930, le Petit Vingtième organise le retour des héros : Le jour venu, je suis parti avec un garçon Lucien Pepperman qu'on avait désigné pour incarner Tintin …. Je l'avais affublé d'un costume à la russe et de belles bottes rouges ; pour faire plus réaliste nous avions emprunté tous deux le train en provenance de Cologne, c'est-à-dire le train de l'Est, de la Russie …. J'étais persuadé que nous débarquerions dans un grand désert. Or, à ma grande stupéfaction il y avait foule.
À la fin de l'année 1930, c'est au tour de Quick et Flupke d'être rattrapés par le succès. La Radio Catholique Belge organise quelques émissions improvisant une interview fictive des deux gamins de Bruxelles. Finalement, les demandes s'accroissent. Le Petit Vingtième double, puis triple, et enfin sextuple son tirage le jour où paraît le fameux Tintin. La même année, Hergé se voit pourvoir un assistant en la personne de Paul Jamin qui sera plus tard connu en tant que caricaturiste du journal satirique bruxellois Pan sous le pseudonyme d'Alidor. Dans l'élan d'une tradition coloniale qui marque la Belgique depuis le début du siècle, Hergé décide, sous les ordres de l'abbé Wallez, d'envoyer son personnage en Afrique, dans la colonie belge du Congo. Propriété du roi des Belges Léopold II depuis la conférence de Berlin sur le partage de l'Afrique 1885 qui lui avait accordé de développer la colonisation et de lutter contre l'esclavage en Afrique centrale, le Congo est annexé par un vote du parlement belge en 1908. La Belgique va alors commencer à récupérer l'emprunt consenti au roi ainsi que les frais d'envoi d'officiers, et aussi, après la guerre, de récolter les fruits des combats victorieux, en 1914-1918, contre les troupes ennemies de l'Afrique orientale allemande. Mais, au début des années 1930, le Congo belge est confronté à une pénurie de main-d'œuvre européenne qui menace son développement. Et Tintin s'y rend, non plus pour critiquer, mais pour faire valoir le domaine africain afin d'y attirer de jeunes Belges entreprenants. Le récit est aussi l'occasion d'exalter l'œuvre d'évangélisation et d'enseignement auprès des noirs des missionnaires de Scheut. L'histoire débute dans les colonnes du Petit Vingtième le 5 juin 1930. Pour établir son histoire, Hergé s'est surtout documenté par le biais du musée royal de l'Afrique centrale où se trouve la célèbre statue de l'Aniota à peau de léopard représentant un membre d'une secte secrète indigène, ce qui donne lieu, dans l'album, à un épisode dramatique dont Tintin sort évidemment indemne. 118 planches se succèdent jusqu'au 11 juin 1931. Malgré le peu d'enthousiasme du dessinateur, la seconde aventure du reporter du Petit Vingtième est encore un succès : Tintin et Milou reviennent triomphalement à la gare du Nord de Bruxelles, devant une foule en liesse. On peut lire dans la presse : Tintin et Milou accueillis par Quick et Flupke. Dix Congolais les accompagnent. Le jeune garçon qui représente le héros est costumé en colonial.

Illustration de romans et de publicités 1929-1932

Au début des années 1930, Hergé participe peu au supplément Votre Vingtième, Madame, y réalisant des couvertures d'esprit Art déco assez étonnantes. C'est l'image de la femme libérée de l'entre-deux-guerres qui transparaît ici, influencée par les années folles venues tout droit des États-Unis. Le dessinateur dresse des portraits de femmes faisant du sport, pilotant une automobile ou encore un bateau. À partir de la fin des années 1920, Georges Remi officie comme illustrateur pour plusieurs romans, bien souvent dans le sillage du scoutisme catholique. Le premier d'entre eux est L'Âme de la mer 1927 de Pierre Dark, un ancien compagnon de scoutisme. L'année suivante, il illustre Mile, histoire d'un membre de patronage de Maurice Schmitz, un ouvrage à succès. Enfin, il s'associe à l'édition de l'Histoire de la guerre scolaire 1932 de Léon Degrelle.
En parallèle de ces activités, Hergé réalise des centaines de publicités : le lettrage et la composition sont toujours au rendez-vous. Parmi elles figurent une affiche de 1928, la Grande Fancy-Fair : organisée au profit des écoles libres de la paroisse Saint-Boniface, mais aussi des illustrations pour des marques d'amplificateurs Modulophone, 1930, de tapisseries J. Lannoy fils, 1928, de magasins de jouets L'Innovation, 1931… Ce travail en parallèle d'illustrateur renforce davantage sa technique et sa précision dans la composition de ses bandes dessinées.

Début d'une industrie 1931-1936,

Tintin en Amérique.

En mai 1931, Hergé et le dessinateur Paul Jamin qui deviendra, après la guerre, le brillant dessinateur caricaturiste de l'hebdomadaire Pan se rendent à Paris où ils rendent visite à Alain Saint-Ogan pour se perfectionner et demander des conseils. Le Français témoigne : J'avais oublié cette visite. Mon Dieu ! Qu'avais-je pu dire alors à celui qui devait devenir le créateur de Tintin, célèbre dans le monde entier ? Grâce au Ciel, paraît-il, je ne l'avais pas découragé.
Après avoir convaincu l'abbé Wallez qu'il fallait dénoncer la pègre de Chicago, l'artiste se décide enfin à envoyer son héros au pays des cow-boys et des indiens, milieu qu'il affectionne tout particulièrement. Déjà, sur les dernières planches de Tintin au Congo, il avait fait figurer des gangsters américains qui devaient annoncer le prochain scénario, un peu comme si l'auteur avait hâte de passer à l'aventure suivante. Les premières planches des Aventures de Tintin, reporter à Chicago apparaissent le 3 septembre 1931 toujours dans le Petit-Vingtième. Pour la première fois, Georges Remi intègre dans le récit un personnage réel : Al Capone 1899-1947. Il se documente sur les États-Unis à travers une revue, Le Crapouillot mais aussi des ouvrages, Scènes de la vie future de Georges Duhamel ou encore L'Histoire des Peaux-Rouges de Paul Coze. Contrairement aux deux histoires précédentes, le scénario propose non plus une succession d'épisodes mais un grand mouvement général structurant. Le 17 septembre 1931, quelques jours à peine après l'apparition de Tintin en Amérique, le dessinateur propose une série publicitaire intitulée Tim l'écureuil, héros du Far West publiée dans un petit journal de quatre pages et distribué dans le magasin bruxellois L'Innovation. Quelques années plus tard, l'aventure sera remaniée dans le Petit Vingtième sous le nom de Popol et Virginie au Far West février 1934. Ce sont les seules histoires d'Hergé mettant en scène des animaux anthropomorphes :J'ai essayé de mettre en scène des animaux, et j'ai vu rapidement que ça ne me menait nulle part. J'en suis donc revenu à des personnages humains.
Au tournant de l'année 1931-1932, le dessinateur signe un contrat avec l'éditeur tournaisien Casterman qui aura, après avoir indemnisé Wallez, le privilège d'éditer tous les albums de l'auteur en langue française. Le 20 juillet 1932, Hergé épouse Germaine Kieckens 1906-1995 avec la bénédiction de l'abbé Wallez qui célèbre le mariage dans une église bruxelloise. Les jeunes mariés s'installent le mois suivant au 10 rue Knapen à Schaerbeek. L'aventure en Amérique s'achève le 20 octobre 1932, Casterman sort le premier album à la fin de la même année. L'éditeur tournaisien propose à Hergé de percer dans le marché français très prometteur courant décembre 1933.

Plein cap sur l'Orient Les Cigares du pharaon.

Les illustrations égyptiennes inspirèrent Hergé dans son travail.
Le 8 décembre 1932, apparaissent dans le Petit Vingtième les premières planches des « Aventures de Tintin reporter en Orient version ancienne des Cigares du pharaon. Pour la première fois Hergé fait de cette aventure une sorte de roman policier dans lequel on trouve le paramètre mystère. Selon B. Peeters, Les Cigares du pharaon représentent la quintessence du récit feuilletonesque. On y retrouve … la mystérieuse malédiction, la redoutable société secrète, l'indémasquable génie du Mal …, le poison qui rend fou. Durant les épisodes du feuilleton, l'artiste joue avec ses lecteurs chaque semaine en proposant la rubrique Le Mystère Tintin au sein de laquelle le public doit proposer des solutions pour sortir le héros d'affaire. La malédiction égyptienne est, au début des années 1930, dans l'air du temps. En effet, l'opinion publique avait été frappée, quelques années plus tôt, par la mystérieuse affaire du tombeau de Toutânkhamon et les morts successives des savants qui avaient ouvert la tombe de ce pharaon. Mais surtout, ce qui fait le nœud gordien de l'histoire n'est pas l'égyptologie mais le trafic armes et drogue, particulièrement actif à l'époque dans la région de la mer Rouge. D'ailleurs Hergé s'inspire du récit autobiographique de Henri de Monfreid, Les Secrets de la mer Rouge 1931, qu'il représente dans l'aventure. Dès les premières planches du feuilleton, deux nouveaux personnages apparaissent, des policiers en civil nommés X 33 et X 33 bis futurs Dupond et Dupont. Au terme des 124 planches, Les Cigares du pharaon sont achevés le 8 février 1934. Au début des années 1930, Hergé réalise un certain nombre de bandes dessinées à caractère publicitaire. L'une des plus célèbres est Cet aimable M. Mops, composée de huit planches parues dans un agenda édité par un grand magasin bruxellois 1932 ou encore Les Mésaventures de Jef Debakker quatre planches pour les Briquettes Union vers 1934.

Tchang Tchong-Jen : bouleversement dans l'œuvre d'Hergé Tchang Tchong-Jen et Le Lotus bleu.
Invasion japonaise de la Mandchourie.

Les quatre premières aventures de Tintin restaient maladroites, parfois un peu bâclées et truffées de préjugés. Hergé témoigna sur son rythme de travail : C'était réellement du travail à la petite semaine. Je ne considérais pas cela comme un véritable travail, mais comme un jeu, comme une farce. Tintin était un jeu pour moi jusqu'au Lotus bleu.
Durant le printemps 1934, après avoir installé avec deux collaborateurs José De Launoit et Adrien Jacquemotte l'Atelier Hergé à Bruxelles, Georges Remi annonce à la rédaction du Petit Vingtième qu'il souhaite faire la suite des Cigares du pharaon en envoyant le jeune reporter en Extrême-Orient, plus exactement en Chine. Jamin s'empresse de brosser un tableau du pays dans lequel Tintin doit prochainement partir dans le Petit Vingtième. À la lecture de cet avant-goût, certains lecteurs craignent que le reporter soit tué par les Chinois! Après avoir lu les stéréotypes effrayants annoncés par le collaborateur d'Hergé, l'abbé Gosset, aumônier des étudiants chinois à l'université de Louvain, lui recommande au travers d'une lettre de se documenter sérieusement sur la Chine. C'est ainsi qu'Hergé fait la connaissance d'un jeune Chinois étudiant à l'Académie des beaux-arts de Bruxelles : Tchang Tchong-Jen 1907-1998. Ce dernier fournit une mine d'informations à Hergé dans de nombreux domaines histoire, géographie, langue, art, littérature et philosophie. Avant cette rencontre, l'artiste belge imaginait encore le mythe du Jaune qui mangeait des nids d'hirondelles, portait une natte et jetait les petits enfants dans les rivières comme l'avait écrit Jamin quelques jours plus tôt : C'est à partir de ce moment-là que je me suis mis à rechercher de la documentation, à m'intéresser vraiment aux gens et aux pays vers lesquels j'envoyais Tintin, par souci d'honnêteté vis-à-vis des lecteurs qui me lisaient.
Tchang deviendra un personnage-clé de l'œuvre d'Hergé, sauvé de la noyade par Tintin, l'un des vrais amis qu'il se fera au cours de ses aventures. Pourtant, Le Lotus bleu est plus un message politique qu'une histoire pour les enfants. La cinquième aventure de Tintin est l'une des plus engagées de la carrière d'Hergé. Depuis 1931, le Japon cherche à coloniser la Chine pour développer sa puissance économique. L'invasion de la Mandchourie province chinoise septentrionale démarre à la suite de la section d'une voie ferrée japonaise dans cette région près de Moukden. Cet attentat fut probablement planifié par les Japonais eux-mêmes, leur donnant le prétexte d'une invasion immédiate de la province. Hergé fait figurer dans l'aventure le faux attentat sur la voie ferrée. Hergé se tient au courant des événements sino-japonais en 1934-1935 grâce aux informations pourtant pro-japonaises des médias européens : l'une des planches de l'aventure représente Tintin allant au cinéma pour visionner les actualités mondiales. L'aventure se termine le 17 octobre 1935 au bout de 124 planches. Le Lotus bleu devient dans les années 1936-1939 un véritable succès en Chine mais pas pour Tokyo puisque l'ambassadeur japonais à Bruxelles est irrité de la position de l'histoire vis-à-vis de son pays. Durant ces années, le père de Tintin poursuit la réalisation de couvertures de livres ou de publicités. Ainsi, il offre ses services à Paul Werrie, auteur de la Légende d'Albert Ier roi des Belges qui vient de décéder d'une chute lors d'une escalade des rochers de Marche-les-Dames, en bord de Meuse 17 février 1934.
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Posté le : 21/05/2016 15:23
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Tintin, Milou et les autres milieu des années 1930 L'Oreille cassée.

Percy Fawcett est un explorateur disparu dans la jungle brésilienne en 1925 qui inspira à Hergé le personnage de Ridgewell.
Après Le Lotus bleu, Hergé revient à l'aventure de naguère avec L'Oreille cassée qui démarre le 5 décembre 1935 dans le Petit Vingtième. Ce choix est en grande partie dû aux pressions subies par l'auteur à l'issue du Lotus bleu. Au milieu des années 1930, l'Amérique latine est dans l'air du temps comme en témoignent l'expédition d'Henri Lavachery au Pérou et à l'île de Pâques, les récits d'Antonin Artaud au Mexique et la disparition du colonel Percy Fawcett dans la jungle brésilienne dix ans auparavant. Avec cette sixième histoire, le dessinateur rompt pour un temps avec le réalisme géographique et historique, puisqu'il ouvre le décor dans des pays imaginaires et surtout il s'attache à poser le récit autour du fétiche arumbaya. Désormais le mystère réapparaît au plus grand bonheur des lecteurs : qui a tué Monsieur Balthazar ? L'action se déroule en Europe puis au San Theodoros et au Nuevo Rico deux territoires inventés par Hergé mais qui reprennent l'ensemble des caractéristiques de l'Amérique latine des années 1930 : les coups d'État à répétition, la forte présence militaire, le libérateur latino-américain à la Simón Bolívar… Comme pour Le Lotus bleu, il dresse le tableau d'une guerre contemporaine, celle du Gran Chaco renommée Gran Chapo, opposant la Bolivie et le Paraguay 1932-1935 à propos de concessions pétrolières. Sa principale source d'inspiration est encore une fois, la revue Le Crapouillot. Avec L'Oreille cassée on passe définitivement du feuilleton au récit bouclé.

Jo, Zette et Jocko.

Jusqu'en 1935, Les Exploits de Quick et Flupke continuent de paraître en parallèle des aventures de Tintin dans le Petit Vingtième. Après cette date, les apparitions se font de plus en plus rares jusqu'à disparaître définitivement : J'ai abandonné ces garnements-là parce qu'ils me donnaient beaucoup de soucis alors que Tintin me mobilisait de plus en plus.
Pourtant à travers les deux gamins de Bruxelles, Hergé avait bouleversé la bande dessinée. Les codes traditionnels se sont trouvés modifiés : il apparaît lui-même sur plusieurs planches dans lesquelles il est pris à partie par Quick et Flupke, les personnages se cognent sur le bord des cases en faisant du ski, leur parodie d'Hitler de Mussolini où enfin ils gomment les éléments du dessin qui leur déplaisent, le tout dans un esprit d'absolue liberté. Peeters. En décembre 1935, Gaston Courtois, de la direction de Cœurs vaillants adresse une lettre à Hergé en lui commandant des personnages plus réalistes que Tintin dont le papa travaille, qui a une maman, une petite sœur, un petit animal de compagnie. Déjà très occupé par l'univers grandissant de Tintin, Hergé ne se sent pas très à l'aise dans un nouvel univers qu'il faut construire de toutes pièces. Cinq épisodes de Jo, Zette et Jocko sont réalisés en bichromie à partir de janvier 1936 avant d'être abandonnés à leur tour. Tintin est une vedette internationale puisqu'après avoir conquis la Belgique, la France et la Suisse c'est au tour du Portugal où O Papagaio publie dans ses colonnes, en avril 1936, les planches colorisées de Tintin en Amérique : c'est la première traduction étrangère de l'œuvre.
Nombre de gags de Quick et Flupke dans le Petit Vingtième 1930-1940
Dates Nombre de gags Sujets et contextes
1930 46 La vie quotidienne de rue.
1931 51 La vie quotidienne de rue.
1932 47 Le Far-West, la SDN, le football, le yoyo et l'irréalisme.
1933 24 Les obus, Hergé, le cauchemar, la politique internationale et les sports d'hiver.
1934 41 Le Loch Ness, l'irréalisme, Hitler et Mussolini et la politique internationale.
1935 35 Les automobiles, Hergé et les sports d'hiver.
1936 9 L'irréalisme, Mussolini et la politique internationale.
1939 7 Le service militaire, l'art contemporain et l'irréalisme.
1940 3 La vie quotidienne.

Léon Degrelle

Entre 1931 et 1936, Hergé réalisa des illustrations pour divers ouvrages. Ses clients provenaient de la mouvance ultracatholique : Raymond de Becker Le Christ, roi des affaires, 1930, Pour un Ordre nouveau, 1932… et surtout Léon Degrelle, un journaliste correspondant au Vingtième Siècle et auteur des Grandes farces de Louvain 1930 et d'une Histoire de la guerre scolaire 1932. Degrelle était à l'origine un monarchiste maurrassien et anticommuniste précoce. C'est à son entrée au Vingtième Siècle en 1929 qu'il rencontra Hergé. Après un séjour outre-atlantique, d'où il initia le jeune dessinateur à la bande dessinée américaine. Pour les élections législatives de 1932, Hergé contribua à sa propagande anticommuniste notamment par le biais d'une affiche qu'il réalisa pour le compte du parti catholique : c'était une tête de mort protégée par un masque à gaz et qui s'exclamait : Contre l'invasion, votez pour les Catholiques. Après cette campagne, Hergé s'était déclaré tout prêt à travailler avec Degrelle mais s'agissant de ce dessin comme n'importe quel autre, il n'envisage pas de le signer sans l'avoir méticuleusement revu, achevé et définitivement mis au point. À partir de 1934, à la tête du mouvement Rex, l'action de Degrelle se montra de plus en plus politique jusqu'à rencontrer Mussolini puis Hitler au cours de l'année 1936. La même année, Degrelle créa son journal politique Le Pays réel au sein duquel il mena une violente campagne antiparlementaire et anticommuniste. Durant cette période, Hergé prit du recul avec le leader rexiste et pendant la guerre il refusa de participer aux planches du Pays réel dont le chef venait d'incorporer la SS. Pourtant d'aucuns Maxime Benoît-Jeannin, Le Mythe Hergé notent un rapprochement entre l'œuvre d'Hergé et le mouvement rexiste par le spectre de Rastapopoulos : Par son nom Rastapopoulos est un concentré de toutes les tares que les mouvements antiparlementaires et antirépublicains stigmatisent dans leurs journaux. Et puis à la fin du XIXe siècle, le mot "rastaquouère" vise les étrangers à la richesse ostentatoire … D'ailleurs sur l'une des dernières planches de Quick et Flupke avril 1936 concernant une parodie d'un poème de Théophile Gautier, l'artiste représenta une étrange case sur laquelle on voit une allégorie de la mort portant un masque à gaz et accompagnée d'un singe brandissant le message Rex vaincra !. Derrière eux, on peut voir des avions de guerre dans le ciel et un diablotin peut-être communiste qui asperge l'allégorie d'un insecticide appelé antirex .

Seconde Guerre mondiale 1937-1944

Avant-goût du conflit à venir L'Île Noire et Le Sceptre d'Ottokar.

Le 30 janvier 1936, Georges Remi et son épouse Germaine déménagent pour élire domicile 12 place de Mai à Woluwe-Saint-Lambert. Désormais, Hergé prend conscience de ses droits d'auteur et s'adjoint les services d'un avocat, maître Dujardin. Les bénéfices des 6 000 exemplaires tirés du Lotus bleu en août 1936 reviendront à lui seul et non plus à l'abbé Wallez qui perd ses droits. L'artiste rêve d'une boutique Tintin et Milou à Bruxelles où l'on vendrait des produits dérivés du célèbre reporter. En mars 1937, Hergé dessine les toutes premières planches de Tintin en Angleterre l'Ile Noire. Pour s'assurer du réalisme de ses croquis, il participe le mois suivant à un voyage scout sur place dans le Sussex. Le scénario est placé sous le signe de l'enquête policière sur fond de traditions écossaises. La septième aventure qui apparaît dans les colonnes du Petit Vingtième le 15 avril 1937, est la première à mettre en scène la technique : apparition de la télévision, les machines d'impression des faux-monnayeurs, la place centrale des trains ou encore la Jaguar Mark IV du docteur Müller. L'élément principal de l'histoire est bien entendu la Bête qui effraie tout le monde un gorille. Encore une fois, il faut y chercher des éléments contemporains d'Hergé : d'abord le succès au cinéma du film King Kong 1933, une affaire de faux-monnayeurs organisée par un personnage germanophone nommé Müller et surtout les témoignages sur l'apparition du monstre du Loch Ness dans un lac d'Écosse 1934. Hergé mélange tous ces éléments pour établir son intrigue.
Le 23 décembre 1937, dix jours après le massacre de Nankin, paraît dans le Petit Vingtième un appel à aider les Chinois :
« Ne feriez-vous rien pour eux... ? »
« Des milliers de nos jeunes amis chinois sont les innocentes victimes de la guerre... »
Cet appel est accompagné d'un dessin d'Hergé, où Tintin désigne au lecteur une famille chinoise dans les ruines d'une maison.
Le 4 août 1938 débutent les premières péripéties de Tintin en Syldavie, pays imaginaire, sous le titre de le Sceptre d'Ottokar. Comme le note B. Peeters, les signes annonciateurs du second conflit mondial sont … innombrables. Et ce sont eux que l'auteur va prendre comme point de départ de sa fiction.. Hergé crée pour la seconde fois deux États imaginaires antagonistes, le royaume de Syldavie et la Bordurie, qui empruntent beaucoup de traits à la Yougoslavie : les personnages coiffés de toques, la charrette de foin, les Alpes dinariques, le pélican très présent au Monténégro, les minarets… En cette année 1938, le contexte international est sensible et Hergé le suit de près. Le 12 mars, les troupes allemandes d'Hitler annexent l'Autriche : c'est l'Anschluss. L'artiste reprend dans l'aventure cet événement qu'il transforme en un Anschluss raté : la dictature de Bordurie tente de s'emparer, via les moyens que possèdent ces régimes totalitaires, de la Syldavie par l'intermédiaire de Müsstler qui est une synthèse de Mussolini et d'Hitler. En faisant de la Syldavie un royaume sympathique et inoffensif, on croit reconnaître comme François Rivière cette Belgique déguisée en pays slave. Cette histoire semble, enfin, emprunter de nouveau à l'histoire familiale d'Hergé : les jumeaux Nestor et Alfred Halambique font sûrement référence à son père et à son oncle eux-mêmes jumeaux, alors que Bianca Castafiore, inspirée notamment de Renata Tebaldi, pourrait bien être aussi le négatif de la comtesse qui avait recueilli son père et son oncle lorsqu'ils étaient encore des nouveau-nés. X33 et X33 bis apparus en 1934, sont pour la première fois, dans Le Sceptre d'Ottokar, nommés Dupont et Dupond. Lorsque les dernières planches paraissent dans le Petit Vingtième, le 10 septembre 1939, Hitler vient de soumettre la Pologne depuis quelques jours : le second conflit mondial vient de commencer.

Dans la tourmente de la guerre Tintin au pays de l'or noir.

Après la démission forcée de l'abbé Wallez au milieu des années 1930 faisant suite à une altercation avec un représentant de l'État, William Ugeux devient le nouveau rédacteur en chef du Vingtième Siècle. À la fin du printemps 1939, Georges et Germaine sont invités au Vélodrome d'Hiver à Paris par Cœurs vaillants pour écouter l'interprétation de la chanson Tintin et Milou. Le 28 juin, les époux Remi s'installent au 17 avenue Delleur à Watermael-Boitsfort. À la mi-septembre 1939, l'artiste est mobilisé à Herenthout province d'Anvers où il est chargé de réquisitionner les bicyclettes des environs. Or durant l'automne il continue à envoyer depuis sa caserne, certes irrégulièrement, les planches de la nouvelle aventure de Tintin au Petit Vingtième : Tintin au pays de l'or noir. Son ancien ami scout Raymond de Becker lance le 7 décembre 1939 la revue L'Ouest officiellement neutre mais soutenue, selon M. Benoît-Jeannin, par l'ambassade d'Allemagne à Bruxelles. Pour de Becker, la Belgique doit cesser de s'aligner sur la politique française vis-à-vis de l'Allemagne et de l'Europe. Entre le 7 et 28 décembre 1939, Hergé dessine pour la nouvelle revue quatre strips de Monsieur Bellum qui s'insurge contre le « bourrage de crâne, dit-il, de la radio belge. Lieutenant de réserve, Georges Remi est ensuite envoyé à Eekeren comme instructeur dans une compagnie d'infanterie d'expression flamande. Durant cette période hiver 1939-printemps 1940, il continue d'envoyer, pratiquement chaque semaine, deux planches de Tintin au pays de l'or noir. Le 12 avril 1940, il tombe malade et, déclaré inapte par le médecin de l'hôpital militaire d'Anvers, il est mis en congé sans solde. Hergé termine les deux derniers gags de Quick et Flupke puis il dépose les dernières planches 55 et 56 de l'or noir qui apparaissent pour la dernière fois dans le numéro du 9 mai.

Le Soir et Le Soir-Jeunesse.

Cependant, cette correspondance s'interrompt définitivement quand le Vingtième Siècle cesse de paraître le 8 mai 1940. La parution suivante n'aura pas lieu à cause de l'attaque allemande du 10 mai contre la Belgique88. En effet, durant les mois de mai et juin 1940, l'armée allemande écrase dans une guerre-éclair les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et la France. L'officier Paul Remi, frère d'Hergé, est alors déporté en Allemagne comme prisonnier de guerre. Après les premiers bombardements, les Remi et leur chat siamois quittent Bruxelles et font une halte à Paris chez une amie arrivés le 20 mai 1940. Deux jours plus tard, ils partent pour le Puy-de-Dôme à Saint-Germain-Lembron où ils trouvent refuge durant un mois dans la demeure du dessinateur Marijac. Le couple belge est de retour à Bruxelles le 30 juin 1940 au moment où le roi Léopold III appelle ses sujets à reprendre le travail. Avec l'arrêt du Petit Vingtième, la situation de Georges Remi se précarise. Depuis la mi-juin, le plus gros tirage belge, Le Soir, réapparaît mais sous contrôle allemand, d'où le surnom Le Soir volé que lui donnent les Résistants. Quelques semaines plus tard, Raymond de Becker un ancien camarade scout d'Hergé et admirateur de Mussolini, est nommé chef des services rédactionnels du quotidien. Après avoir refusé la proposition du Pays réel, l'organe de presse du parti rexiste pro allemand Rex, Hergé accepte celle du Soir. Sa période d'essai débute le 15 octobre 1940 durant laquelle il se voit confier la responsabilité d'un supplément hebdomadaire consacré à la jeunesse : Le Soir-Jeunesse.
Le dessinateur y retrouve également Paul Jamin 1911-1995 qui dessine aussi pour Le Pays Réel et le Brüsseler Zeitung. Enfin, Hergé rencontre Jacques Van Melkebeke qui devient son principal collaborateur. Jamin, Van Malkebeke et Hergé signent dans Le Soir-Jeunesse des éditoriaux sous le pseudonyme Monsieur Triplesec.
Le journal ayant été repris en octobre 1940 par un groupe de collaborateurs belges, les histoires proposées ne doivent faire référence à aucun sujet brûlant : Hergé reprend un fait divers de trafic de cocaïne sur le yacht d'un certain Miguel Castanesa par le biais de boîtes de crabe. Le 17 octobre commence à paraître, dans le premier numéro du Soir-Jeunesse intitulé Tintin et Milou sont revenus !, Le Crabe aux pinces d'or. Mais la pénurie de papier ne tarde pas à réduire les dimensions du supplément qui ne connaitra pas le même succès que le Petit Vingtième.

Habitudes de travail bouleversées

Articles détaillés : Le Crabe aux pinces d'or et capitaine Haddock. Edgar P. Jacobs.
En cet automne 1940, les affaires semblent repartir pour Hergé. Il accepte l'illustration des Fables de Robert du Bois de Vroylande où figure une histoire intitulée Les deux Juifs et leur pari. Puis le plus gros quotidien flamand Laatste Nieuws lui propose la publication dans ses colonnes de Tintin in Kongo en néerlandais. L'évolution de la neuvième aventure, Le Crabe aux pinces d'or, subit les aléas du conflit. De mois en mois, le supplément Le Soir-Jeunesse s'amenuise : alors qu'en octobre 1940 il occupait huit pages dont deux pour Les Aventures de Tintin, il ne dispose plus que de quatre pages en mai 1941, jusqu'à disparaître le 23 septembre. Dès lors, c'est en minuscules strips quotidiens que l'aventure continue d'être publiée. Cette dernière est avant tout célèbre parce qu'elle fait apparaître le capitaine Haddock, qui deviendra une figure-phare des aventures. Selon Hergé, le nom de ce personnage lui serait venu alors que son épouse cuisinait du Haddock, le nom d'un poisson devenu familier aux Belges à l'époque des restrictions de viande due au rationnement alimentaire pendant l'occupation allemandeN 13. Après quelques planches envoyées au journal, Hergé abandonne définitivement les Exploits de Quick et Flupke. Durant ces années d'occupation, les sujets traitent de « littérature d'évasion. Les 98 planches du Crabe sont bouclées le 3 septembre 1941. Entre-temps, la troupe du théâtre de la Jeunesse présente aux Galeries de Bruxelles une pièce écrite par Hergé et Jacques Van Melkebeke : Tintin aux Indes ou le Mystère du diamant bleu avril 1941. Le décor est planté dans l'Inde des Maharadjahs on note, outre Tintin, la présence des Dupondt et celle d'un savant sourd, esquisse du futur professeur Tournesol. C'est d'ailleurs au théâtre que Van Melkebeke présente à Hergé son ami Edgar P. Jacobs 1904-1987 qui devient rapidement décoriste et coloriste du père de Tintin.

L'Étoile mystérieuse.

En 1936, Charles Lesnes, introducteur d'Hergé chez Casterman, expliquait au dessinateur qu'il fallait de toute évidence et le plus rapidement possible entrer dans une voie nouvelle : celle de la couleur. Trois ans plus tard, Hergé et ses collaborateurs s'étaient mis à l'œuvre et les quatre premiers albums, hormis Tintin au pays des Soviets, étaient achevés. Cependant ces refontes ne concernaient que des encarts colorisés hors-texte au sein des albums en noir et blanc. En revanche, l'acquisition par Casterman d'une nouvelle machine offset fait évoluer les choses. Dès février 1941, Louis Casterman demande à Hergé d'envisager la possibilité de réduire sensiblement le nombre de pages des futurs Tintin pour qu'ils puissent être imprimés en couleur par le procédé offset. Après avoir longuement hésité, Hergé accepte de mettre en couleurs ses histoires et de respecter le cadre des 62 pages :

Le remaniement des albums d'avant-guerre avant 1945

Albums Année de la première édition Année du premier changement Année du deuxième changement
Tintin au Congo Petit Vingtième en 1931 Casterman en 1937 Casterman en 1942
Tintin en Amérique Petit Vingtième en 1932 Casterman en 1937 Casterman en 1942
Les Cigares du pharaon Casterman en 1934 Casterman en 1938 Casterman en 1942
Le Lotus bleu Casterman en 1936 Casterman en 1939 Casterman en 1942
L'Oreille cassée Casterman en 1937 Casterman en 1942 Casterman en 1943
L'ÃŽle Noire Casterman en 1938 Casterman en 1942 Casterman en 1943
Le Sceptre d'Ottokar Casterman en 1939 Casterman en 1942 Néant
Le Crabe aux pinces d'or Casterman en 1941 Casterman en 1942 Casterman en 1943
L'Étoile mystérieuse Casterman en 1942 Néant Néant
La tâche étant immense, Hergé doit être épaulé par des collaborateurs, dont Edgar P. Jacobs, qui entament un important travail de refonte et de mise en couleurs des albums d'avant-guerre. L'artiste annonce à l'éditeur son intention d'organiser « une sorte d'atelier, spécialisé dans ce genre de travail : Eugène Van Nyverssel, son épouse Germaine, Edgar P. Jacobs, Alice Devos, Guy Dessicy, Franz Jageneau et Monique Laurent forment la première équipe. Pourtant, Hergé ne se limite pas uniquement au coloriage de ses albums : il en profite pour corriger les maladresses de dessin ou de découpage, il réécrit lisiblement les textes, et enfin il supprime ou ajoute des cases. L'Étoile mystérieuse est le premier album à résulter de ce long travail : 176 strips parus dans Le Soir du 20 octobre 1941 au 21 mai 1942 sont remaniés en 62 planches.

Les planches de L'Étoile mystérieuse

sont alors teintées d'antisémitisme et d'anti-américanisme.

Au cœur d'une expédition scientifique en Arctique, Hergé prend soin de mettre en scène des ressortissants de pays neutres ou alliés de l'Allemagne Suède, Espagne, Allemagne, Suisse et Portugal et dans la version d'avant 1945, le navire concurrent est américain. L'œuvre d'Hergé souffre peu de la censure allemande : en 1941, les autorisations de réimprimer Tintin en Amérique et L'Île noire demandées par Casterman tardent à venir, mais la réédition aura lieu, et aucun album de Tintin, sauf L'Île Noire à l'été 1943, ne sera interdit sous l'Occupation. Le 5 mars 1942, il est l'un des rares à intervenir, pour la première fois, sur Radio-Bruxelles. À la fin de l'année, L'Île Noire, L'Oreille cassée et Le Crabe aux pinces d'or sont presque terminés.

Évasion dans l'aventure

Le Secret de La Licorne, Le Trésor de Rackham le Rouge et Professeur Tournesol.

Auguste Piccard, inspirateur du Professeur Tournesol 1932.
Sur sa lancée, Hergé poursuit l'écriture de récits d'évasion, un peu comme pour faire oublier le quotidien de l'Occupation. Le 11 juin 1942, Le Secret de La Licorne, prémices d'une chasse au trésor, commence à paraître dans Le Soir. Voulant éviter la monotonie, l'artiste introduit dans son histoire un maximum de fantaisie et de liberté. Pour la première fois, ce sont les personnages secondaires qui perturbent le bon déroulement de l'histoire. Après les Peaux-Rouges de Tintin en Amérique, le dessinateur traite ici d'un autre thème mythique de la littérature de jeunesse : les corsaires et les pirates. Pour plonger le lecteur dans cet univers, il l'embarque, fin XVIIe siècle, à bord d'un vaisseau de Louis XIV, La Licorne, commandé par un ancêtre du capitaine Haddock. Depuis L'Étoile mystérieuse, Hergé regrettait de ne pas avoir dessiné le navire d'exploration l'Aurore à partir d'une véritable maquette. Pour La Licorne, il procède méthodiquement en reproduisant très fidèlement les caractéristiques des vaisseaux d'époque dont les maquettes étaient visibles au Musée de la Marine de Paris. L'histoire se poursuit dans Le Trésor de Rackham le Rouge à partir du 19 février 1943 dans Le Soir. Cet épisode marque l'apparition du professeur Tournesol, personnage haut en couleur, inspiré du physicien suisse Auguste Piccard 1884-1962. Ce dernier fut le concepteur de nombreuses inventions comme le ballon stratosphérique ou le bathyscaphe et réalisa des plongées sous-marines. L'aventure se termine par l'acquisition du château de Moulinsart, au terme de 183 strips en noir et blanc le 23 septembre 1943.

Château de Moulinsart et Les Sept Boules de cristal.

Le château de Cheverny Loir-et-Cher, inspiration du château de Moulinsart.
Au tournant du Trésor de Rackham le Rouge et des Sept Boules de cristal, Hergé introduit le château de Moulinsart et son serviteur Nestor. Il s'agit alors de la demeure historique de la famille Haddock qui est rachetée par le capitaine grâce aux fonds gagnés par la découverte du trésor de Rackam-le-Rouge lors des plongées de Tintin effectuées avec le sous-marin du professeur Tournesol : c'est la fin du nomadisme des personnages. Les Sept Boules de cristal commencent d'ailleurs le 16 décembre 1943 dans ce nouveau décor somptueux, largement inspiré du château français de Cheverny privé de ses deux ailes extérieures. Dans la lignée des Cigares du pharaon et de L'Étoile mystérieuse, le dessinateur fait de la malédiction d'une momie inca l'énigme centrale de son histoire. À l'époque, aidé par son collaborateur Edgar P. Jacobs, Hergé s'attache de plus en plus au réalisme des décors. Aussi Jacobs repère-t-il dans la banlieue bruxelloise une villa qui servira de modèle pour la maison du professeur Bergamotte : Jacobs avait découvert exactement le genre de villa qui convenait, pas très loin de chez moi, toujours à Boitsfort. Et nous voilà postés devant cette maison, amassant des croquis sans nous inquiéter …. Notre travail terminé, nous repartons paisiblement. Surgissent à ce moment deux autos grises … qui stoppent devant la villa : celle-ci était réquisitionnée et occupée par des SS !
Cette aventure est probablement celle où l'évolution sera la plus soumise aux aléas de la guerre : la progression est ralentie pour être totalement interrompue avec la Libération de Bruxelles par la Division britannique des Guards, au matin du 4 septembre 1944. L'interruption correspond approximativement à la séquence où Tintin effectue une visite à l'hôpital.

Retour sur le devant de la scène 1944-1954 Années difficiles 1944-1946

À partir de 1943, des tensions apparaissent au sein du Soir. De Becker se brouille avec la hiérarchie allemande et devient progressivement anti-nazi. Il est démis de ses fonctions et placé en résidence surveillée en Bavière jusqu'à la fin de la guerre.
Le 4 septembre 1944, Hergé fête la Libération avec Jacobs et deux soldats britanniques chez lui. Or, trois jours plus tard son domicile est perquisitionné par la Police Judiciaire. Mais le monde d'Hergé s'écroule. Durant l'automne 1944 plusieurs de ses amis proches dont Jacques Van Malkebeke, Paul Jamin et l'abbé Wallez sont arrêtés et jugés pour leur rôle de collaborateurs ou leur proximité supposée avec l'idéologie nazie. L'ecclésiastique comme les autres est condamné à mort avant que la peine ne soit commuée en quelques années de prison.
Le 8 septembre, le Haut Commandement Interallié ordonne l'interdiction momentanée de l'exercice de tous les journalistes ayant collaboré à la rédaction d'un journal pendant l'Occupation. Après la Libération de Bruxelles, les milices de la Résistance effectuent une vague d'arrestations dans le milieu journalistique. Bien que n'y ayant jamais rédigé d'articles politiques, Hergé avait en effet travaillé pour Le Soir entre 1940 et 1944. Hergé est arrêté par quatre fois et passe une nuit en prison : Plus personne ne vous connaît ni même les éditeurs, plus personne !
J'ai été arrêté quatre fois, chaque fois par des services différents, mais je n'ai passé qu'une nuit en prison ; le lendemain on m'a relâché. Je n'ai cependant pas figuré au procès des collaborateurs du Soir, j'y étais en spectateur… Un des avocats de la défense a d'ailleurs demandé : "Pourquoi n'a-t-on pas aussi arrêté Hergé ?", ce à quoi l'Auditeur militaire a répondu : "Mais je me serais couvert de ridicule !

— Interview d'Hergé.

En effet, quelques semaines auparavant, le substitut chargé de constituer le dossier des journalistes du Soir volé explique que ce serait de nature à ridiculiser la justice que de s'en prendre à l'auteur d'inoffensifs dessins pour enfants, même si reconnaît-il plus loin, il allait devoir poursuivre des chroniqueurs littéraires, sportifs, etc. dont les écrits personnels ne sont pourtant pas sujets à critique. Le dessinateur est donc l'objet d'une certaine clémence qu'il doit au résistant belge William Ugeux. Ce dernier donne son avis sur le cas Hergé : Quelqu'un qui s'est bien conduit à titre personnel, mais qui n'en est pas moins demeuré un anglophobe évoluant toujours dans la mouvance rexiste. Il illustrait bien la passerelle qui reliait l'esprit scout primaire et la mentalité élémentaire des rexistes : goût du chef, du défilé, de l'uniforme… Un maladroit plutôt qu'un traître. Et candide sur le plan politique
Ainsi, le 22 décembre 1945, le dossier d'Hergé est classé sans suite et un an plus tard il obtient l'autorisation pour publier de nouveau septembre 1946. Entre temps, les milieux résistants avaient fait paraître dans l'hebdomadaire La Patrie, la Galerie des traîtres, un fascicule injuriant les collaborateurs, la parodie Tintin au pays des Nazis, dans laquelle on peut lire : Élève Tintin, vous avez aidé l'élève Nazi à faire ce devoir ! Vous êtes un sale collaborateur, élève Tintin ! Je dirais même plus un sale Kollaborateur !
Hergé eut un souvenir amer de l'Épuration et garda une certaine rancune vis-à-vis de la Résistance : Je détestais le genre Résistant. On m'a proposé quelquefois d'en faire partie, mais je trouvais cela contraire aux lois de la guerre. Je savais que pour chaque acte de la résistance, on allait arrêter des otages et les fusiller.
Page de Galerie de Traitres publié par "L'Insoumis" au sujet de Georges Remy sic en fait Georges Remi, aka Hergé au musée de la Résistance à Anderlecht.
Entre fin 1944 et fin 1946, Georges Remi est interdit de publication. De nombreuses rumeurs circulent alors sur son compte. Certains avancent qu'il est devenu fou et d'autres même qu'il est mort. En réalité, le dessinateur travaille sur certains de ses albums d'avant-guerre. En juin 1945, Paul Remi rentre de captivité en Belgique mais cela n'arrange pas l'état de santé de sa mère. De son côté, Hergé améliore l'efficacité narrative des images de Tintin en Amérique. De nombreuses planches de l'ancienne édition version 1932, où certaines maladresses apparaissaient, sont corrigées. L'album est colorisé et calibré en 62 pages. Tintin au Congo est le second album à subir une refonte totale. L'auteur prend soin de modifier certaines séquences de la version en noir et blanc qui pourraient être embarrassantes à une époque sensible. Ce sont les détails colonialistes qui sont adoucis, comme la célèbre leçon de géographie à des Congolais où Tintin s'exclamait : Votre patrie la Belgique version 1930, qui devient une leçon de mathématiques : Deux plus deux égalent ? version 1946. Casterman lui réclame les planches originales du Sceptre d'Ottokar pour les coloriser, mais celles-ci sont restées dans les locaux de Cœurs Vaillants pendant l'Occupation et ont disparu. Enfin dernier album concerné, Le Lotus bleu, dans l'ensemble peu modifié exceptés la colorisation, le calibrage paginal et quelques enrichissements de décor version 1946. À la même période, Hergé lance avec Edgar P. Jacobs des planches de bandes dessinées sous le pseudonyme de Olav.

Le Journal de Tintin

Le Journal de Tintin et Le Temple du Soleil.

Le 19 avril 1946, Élisabeth Remi, la mère d'Hergé, décède dans un hôpital psychiatrique banlieue nord-est de Bruxelles. Au cours de l'été, l'ancien résistant Raymond Leblanc 1915-2008 propose à Hergé d'obtenir pour lui l'autorisation de créer un journal. Leblanc fonde Le Journal de Tintin et Hergé devient le directeur artistique des bureaux situés au 55 rue du Lombard à Bruxelles. De nombreux dessinateurs coopèrent dont Edgar P. Jacobs, Jacques Van Melkebeke et Jacques Laudy. Le premier numéro de l'hebdomadaire paraît le 26 septembre 1946. Les conditions de travail ne sont plus celles de l'Occupation, ce qui améliore considérablement la qualité du dessin format à l'italienne, finesse des couleurs, taille des images…. Après deux ans d'interruption, la suite des Sept Boules de cristal apparaît dans le premier numéro du Journal sous le titre Le Temple du Soleil. Le tournant entre les deux albums s'effectue le 16 janvier 1947. Envoyant ses héros au Pérou, la documentation amassée, avec l'aide d'Edgar P. Jacobs, pour l'occasion est considérable. Outre les croquis et les photos, la source de référence du dessinateur est l'ouvrage de Charles Wiener, Pérou et Bolivie 1880. En parallèle du récit de l'aventure, les planches doubles du Journal permettent l'impression en bas de page de documents renseignant le lecteur sur les civilisations précolombiennes.
Après avoir contribué à la documentation et au coloriage du Temple du Soleil, Edgar P. Jacobs continue son chemin en se consacrant aux aventures de ses propres héros Blake et Mortimer à partir de janvier 1947. La période est particulièrement difficile pour Hergé. Une querelle éclate au printemps entre son agent Bernard Thièry et lui. Accusé d'escroquerie, ce dernier menace le dessinateur de divulguer la collaboration de Van Melkebeke alors interdit de publication depuis la Libération. L'abbé Wallez, quant à lui, est condamné à quatre années de prison le 10 juin.

Première remise en question Tintin au pays de l'or noir

Comme il le souligne dans l'une de ses lettres, le dessinateur est las : Quand je dis que je suis blasé, c'est fatigué que je devrais dire. Je suis las de ces éloges ; je suis las de refaire pour la ixième fois le même gag …. Ce que je fais ne répond plus à une nécessité. Je ne dessine plus comme je respire, comme c'était le cas il n'y a pas tellement longtemps. Tintin, ce n'est plus moi ….
Pour se changer les idées, le couple Remi part en Suisse durant une grande partie de l'été 1947. À leur retour, ils caressent le projet de s'établir en Amérique du Sud, loin des problèmes de la Belgique d'après-guerre116. Au printemps 1948, l'artiste belge qui rêve d'adapter Tintin au cinéma envoie une lettre à Walt Disney pour lui demander son appui, en vain. Durant l'été, Georges et sa femme reprennent la direction de la Suisse accompagnés de Rosana, âgée de 18 ans et fille d'une amie de Germaine. Durant le séjour, l'homme et la jeune fille entretiennent une courte liaison amoureuse sitôt avouée. Entre-temps, d'autres collaborateurs essentiels apparaissent dans le sillage d'Hergé : Bob de Moor 1925-1992 ou Guy Dessicy. Le 16 septembre 1948, Hergé reprend une publication avortée de 56 planches en mai 1940 du fait de la disparition du Petit Vingtième : Tintin au pays de l'or noir. Le scénario avait débuté avant guerre avec l'attentat d'Haïfa survenu durant l'été 1938 à l'encontre de l'occupant britanniqu.
Cette aventure est celle qui connaît le plus de fluctuations. En une décennie, l'histoire fut arrêtée trois fois : en mai 1940 occupation de Bruxelles, en juin 1947 première déprime de Hergé et enfin en avril 1949 seconde déprime. Avant de compléter la suite de l'histoire, Georges Remi procède à certaines adaptations par rapport aux planches de 1939-1940 : il intègre ainsi le capitaine Haddock et le château de Moulinsart. Comme l'exprime B. Peeters : Véritable fantôme se glissant dans un récit qui n'avait pas été prévu pour lui, Haddock apporte à cet album une note de bizarrerie presque surréaliste. Apparaissent au cours de cette aventure, l'émir Ben Kalish Ezab et son fils Abdallah inspiré de Fayçal II, fils de Ghazi Ier le roi d'Irak. D'un point de vue politique, c'est le témoignage des tensions qui subsistent pour l'indépendance sur fond de concessions pétrolières durant les années 1940 et 1950 dans le royaume d'Irak. L'épilogue est publié le 23 février 1950. Depuis le 16 décembre 1949, les Remi ont fait l'acquisition d'une ferme dont l'origine remonte au XVIe - XVIIe siècle, époque de la domination espagnole, ancienne propriété Labouverie, dans le village de Céroux-Mousty, rue de Ferrières, au sud de Bruxelles, dans le Brabant wallon.

Studios Hergé

Studios Hergé, Objectif Lune, On a marché sur la Lune et La Vallée des cobras.

Depuis 1950, Hergé a le projet d'envoyer ses héros sur la Lune. L'idée lui en est venue à la lecture d'un livre d'Alexandre Ananoff intitulé l'Astronautique et il se met en rapport épistolaire avec l'auteur pour en obtenir des précisions sur l'aménagement d'une fusée habitable et sur les commandes et instruments de contrôle de celle-ci. L'ampleur du projet nécessite, par sa masse de documentation et de travail, une équipe autour d'Hergé et une organisation digne d'une véritable entreprise. Le 6 avril 1950, Me Willocx, notaire à Saint-Gilles, signe l'acte de la société anonyme Studios Hergé. Bob de Moor, second depuis le départ de Edgar P. Jacobs, est rejoint par Jacques Martin, Roger Leloup et d'autres. Pour calmer le chagrin de son père devenu veuf, Hergé le nomme comme responsable des archives. Dans le contexte international de l'époque, une partie du monde est entrée dans la Guerre froide. Le sujet de la nouvelle aventure de Tintin a pour toile de fond tantôt le rêve mythique de Jules Verne De la Terre à la Lune 1865 tantôt le contexte d'après-guerre d'utilisation des missiles et fusées. Entre 1948 et 1950, le bloc occidental reprend à son profit la technologie des V2 allemands fusée Véronique mise au point en 1948. Afin d'être lavé de tout soupçon, Hergé plante son action dans l'un de ses pays imaginaires, la Syldavie. Le 30 mars 1950, les premières planches de On a marché sur la Lune apparaissent dans le Journal de Tintin.
D'autre part, les Studios Hergé amassent une documentation énorme auprès du docteur Bernard Heuvelmans une connaissance du groupe, spécialiste de la cryptozoologie. Le fruit de cette collaboration donne naissance à une première planche, écrite par Hergé et Jacques Van Melkebeke le rédacteur en chef du Journal de Tintin qui se déroule aux États-Unis avec la participation des professeurs Tournesol et Calys. Jugée médiocre, Hergé l'abandonne tout en continuant la collaboration avec Heuvelmans125.
Mais le projet astronautique continue et une maquette de la fusée est conçue - dans laquelle on trouve l'influence des dessins et schémas d'Ananoff - pour permettre au décorateur-en-chef d'Objectif Lune Bob de Moor de rendre les scènes techniquement plus réalistes. Afin d'éviter la lourdeur documentaire du sujet, Hergé introduit une ligne humoristique au travers du capitaine Haddock, pour rendre l'histoire plus légère. L'aventure se termine le 30 décembre 1953 au terme de 117 planches parues. L'ensemble est scindé en deux albums distincts : Objectif Lune Casterman, 1953 et On a marché sur la Lune Casterman, 1954. À la fin des deux épisodes Hergé dresse un jugement sévère : d'une part il est insatisfait de la fin tragique de l'ingénieur Wolff : Il fallait sortir de cette impasse et j'ai fini par céder, et par écrire cette sottise : "Peut-être par miracle me permettra-t-il d'en réchapper. …" Il n'y a pas de miracle possible : Wolff est condamné sans appel, et il le sait mieux que quiconque.
D'autre part, l'auteur estime que le sujet extraterrestre est étroit et qu'il a, selon lui, fait le tour pour ne plus y revenir : Que voulez-vous qu'il se passe sur Mars ou sur Vénus ? Le voyage interplanétaire, pour moi, est un sujet vidé. L'évolution de la conquête spatiale par les Soviétiques et les Américains et l'apparition du mythe des OVNI ne changeront rien à cette opinion, en tout cas quant aux projets d'Hergé dans la bande dessinée.
Quelques semaines plus tard, le dessinateur achète un étage d'appartement, avenue Louise à Bruxelles, pour y installer les Studios Hergé. Casterman commande à Hergé les planches d'avant-guerre 1935-1939 revisitées et en couleurs de Jo, Zette et Jocko. Les collaborateurs du dessinateur se mettent au travail et cinq albums sont proposés : Le Testament de M. Pump et Destination New-York 1951 reprennent les planches du Stratonef, Le "Manitoba" ne répond plus et L'Éruption du Karamako 1952, reprennent Le Rayon du mystère et enfin La Vallée des cobras 1956. Sur les instructions d'Hergé, Jacques Martin s'est personnellement occupé de ce dernier album à l'origine inachevé.

Tintin superstar B. Peeters

Crise personnelle 1952-1959 L'Affaire Tournesol

Durant la conception des deux albums précédents, son épouse Germaine est grièvement blessée lors d'un accident de voiture 17 février 1952. Quelques mois plus tard, Norbert Wallez récemment sorti de prison décède pendant que le dessinateur retrouve son amie d'enfance Marie-Louise van Cutsem lors d'une dédicace d'albums au Palais des Beaux Arts de Bruxelles septembre 1952. Ces événements n'arrangent en rien la fragilité psychologique d'Hergé. Mais les affaires reprennent l'année suivante et Tintin devient une véritable icône mondiale. Les Studios Hergé font l'acquisition de locaux plus vastes et déménagent le 1er avril 1953 pour l'avenue Louise à Bruxelles. Poussé par Casterman à éditer la dernière aventure de Jo, Zette et Jocko publiée en 1939, Hergé ne parvient pas à mettre la main sur les planches originales laissées à Cœurs Vaillants qui ne veut pas les lui rendre. Enfin, Raymond Leblanc travaille au projet du premier magasin Tintin à proximité des Studios Hergé, avenue Louise.
Le 22 décembre 1954, L'Affaire Tournesol commence à paraître dans le Journal. Après la visite de Séraphin Lampion, les héros sont envoyés en Suisse où Hergé s'était préalablement rendu en repérage. Il croqua et photographia l'hôtel Cornavin à Genève, la demeure du professeur Topolino à Nyon ou les bords du lac Léman : Il fallait que je découvre l'endroit exact près de Genève, où une voiture peut quitter la route et tomber dans un lac.
L'Affaire Tournesol est l'aventure par excellence qui rend le mieux compte de l'atmosphère de la Guerre froide. Les tensions entre la Syldavie et la Bordurie trahissent les affrontements entre les blocs. Le symbole bordure des moustaches de Plekszy-Gladz est un mélange du brassard nazi et des moustaches de Staline qui vient de mourir mars 1953. La série se termine le 22 février 1956. La même année, Hergé entame une relation extra-conjugale avec l'une de ses coloristes, Fanny Vlamynck, arrivée aux Studios en 1955.

Les paysages blancs du Tibet.

Entre octobre 1956 et janvier 1958, les Studios Hergé réalisent Coke en stock. Cette dix-neuvième aventure est celle du retour d'anciennes connaissances. Ainsi réapparaissent : l'émir ben Kalish Ezab, Abdallah, le général Alcazar, Dawson, le docteur Müller, le lieutenant Allan, Rastapopoulos, Bianca Castafiore, Séraphin Lampion et Oliveira da Figueira. L'intrigue tourne autour du trafic d'armes et surtout d'esclaves qu'Hergé voulait dénoncer. Accompagné de Bob de Moor, l'artiste se rend sur un cargo suédois pour y prendre des clichés qui serviront de décor pour l'aventure132. En parallèle, la santé psychique d'Hergé demeure instable, marquée par des rêves de blanc et angoissants. Tintin au Tibet, l'album probablement le plus personnel de son œuvre, reflète bien l'état d'esprit de l'auteur à la fin des années 1950. Pour lutter contre ses démons, le dessinateur débute sa nouvelle aventure le 17 septembre 1958 : À un certain moment, dans une sorte d'alcôve d'une blancheur immaculée, est apparu un squelette tout blanc qui a essayé de m'attraper. Et à l'instant, tout autour de moi, le monde est devenu blanc, blanc.
Il consulte le professeur Franz Riklin, psychanalyste disciple de Carl Gustav Jung, qui lui conseille purement et simplement d'arrêter de travailler. Mais Hergé ne tient pas compte de ses recommandations et poursuit la réalisation de l'album. Tintin au Tibet sera tout simplement le remède à cette crise des rêves et du subconscient meurtri de Georges Remi. La vingtième aventure est assez singulière et se démarque particulièrement des autres : pas de personnages secondaires, pas de méchants et un Tintin plus humain que jamais à la recherche de son ami de toujours, Tchang. Le rôle d'Haddock équilibre l'ensemble grâce à son humour décalé et râleur. C'est aussi une documentation précise sur l'Himalaya, Katmandou et surtout le plus d'informations possibles sur le légendaire Yéti. Cet hypothétique abominable homme des neiges dont l'existence fut défendue par le cryptozoologiste belge Bernard Heuvelmans et dont Maurice Herzog pensait que les traces mystérieuses qu'il avait découvertes dans la neige de l'Annapurna, à haute altitude, pourraient être celles de ce primate survivant de la préhistoire. Plus on progresse vers la fin de l'album, plus la blancheur l'emporte sur les autres couleurs : une couleur pure mais qui hante le dessinateur depuis plusieurs mois. Enfin, le monde du rêve est au centre de l'intrigue : rêve prémonitoire, télépathie, lévitation… L'histoire est terminée le 25 novembre 1959. Libéré de ses démons, Hergé quitte sa femme Germaine, mais sans pour autant pouvoir divorcer car celle-ci ne lui accordera qu'en 1977.
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Posté le : 21/05/2016 15:21
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Succès mondial de Tintin années 1950-1960

Vers la fin des années 1950, Hergé voyage beaucoup : il traverse l'Italie, l'Angleterre, la Suède, la Grèce et le Danemark. Les albums de son héros Tintin voyagent aussi. À partir de 1946, les premières traductions néerlandaises sont commandées : la maison d'édition Casterman édite le Secret de La Licorne dans sa version néerlandaise Het Geheim van de Eenhoorn, suivi de L'Oreille cassée Het Gebroken Oor, L'Île Noire De Zwarte Rotsen et enfin tous les autres albums. En 1948, Casterman atteint le premier million d'exemplaires vendus.
Les premières traductions étrangères 1936-1960
Album Édition originale Première édition étrangère
Tintin en Amérique 1932 Casterman 1936 Portugais
Tintin au Congo 1931 Casterman 1940 Néerlandais
Le Secret de La Licorne 1943 Casterman 1946 Néerlandais
Le Secret de La Licorne 1943 Casterman 1952 Anglais britannique
Le Trésor de Rackham le Rouge 1944 Casterman 1952 Allemand
Le Secret de La Licorne 1943 Casterman 1952 Espagnol
Le Sceptre d'Ottokar 1939 Casterman 1959 Anglais américain
Le Sceptre d'Ottokar 1939 Casterman 1960 Danois
Le Sceptre d'Ottokar 1939 Casterman 1960 Suédois
Quatre albums vont poser problème aux éditeurs anglophones et ces derniers de réclamer des modifications à Hergé : L'Île Noire, L'Étoile mystérieuse, Le Crabe aux pinces d'or et Tintin au pays de l'or noir.
L'Étoile mystérieuse : Dans la version originale de L'Étoile mystérieuse, dessinée en pleine Occupation allemande, Hergé avait donné aux ennemis du navire l'Aurore la nationalité américaine comme le montre la case illustrant le canot se dirigeant vers l'aérolithe tombé en mer. À la suite des pressions exercées par les éditeurs anglophones, Hergé remplace en 1954 le drapeau américain par le drapeau fictif du Sao Rico.
Le Crabe aux pinces d'or : Le Crabe aux pinces d'or doit aussi se conformer aux exigences d'outre-Atlantique. Le puritanisme américain réclame entre autres, pour l'édition 1958, le retrait de deux cases dans lesquelles on voit le capitaine Haddock boire du whisky au goulot pour, dit-on, ne pas inciter les jeunes à boire…
L'Île Noire : En 1965, Methuen insiste pour que soit réalisée une version actualisée et plus réaliste de L'Île Noire à l'intention des lecteurs britanniques. En effet, l'éditeur londonien venait de trouver 131 erreurs de détail dans la précédente édition de 1943. Surchargé de travail, l'artiste dépêche sur place son assistant Bob de Moor qui a pour mission de croquer et de photographier les traces de Tintin en Écosse. Les changements de la nouvelle édition 1966 sont frappants : l'électrification des lignes ferroviaires, le whisky Johnny Walker devient l'insignifiant Loch Lomond, l'automobile de Müller devient une Jaguar modèle Jaguar Mark X de 1961 ou encore la voiture à bras des pompiers devient un camion moderne…
Tintin au pays de l'or noir : Enfin, en 1969, Methuen fait redessiner Tintin au pays de l'or noir pour qui la version originale est obsolète : « L'album ne pouvait paraître en Grande-Bretagne dans sa version originale : il y était question de la lutte des organisations juives contre l'occupant britannique, avant l'indépendance d'Israël. De son côté, Bob de Moor se rend dans le port d'Anvers pour prendre des clichés d'un pétrolier des années 1940 qui servira de modèle au Speedol Star.
Le symbole le plus édifiant de ce succès planétaire est probablement l'inauguration du nouveau siège des éditions du Lombard éditeur du Journal de Tintin, avenue Spaak à Saint-Gilles 13 septembre 1958. L'immeuble est surmonté d'une enseigne lumineuse et pivotante représentant Tintin et Milou.

Tintin sous toutes les formes

Après 1945, Hergé ne réalise pratiquement plus d'illustrations. Il se concentre avant tout sur la préparation de ses albums. En revanche, les Studios Hergé vont insérer l'image Tintin et Milou sur de nombreux supports.
Les chromos : En septembre 1944, peu de temps avant la Libération de Bruxelles, Hergé et Edgar P. Jacobs décident de réaliser une série de cartes postales qui constitueraient une encyclopédie sur des thèmes précis. Chaque carte sera accompagnée par le personnage de Tintin vêtu d'un costume approprié. Le projet est reporté à l'automne 1946 au sein du Journal de Tintin et publié dans la rubrique documentaire. Entre 1946 et 1950, apparaissent les Entretiens du Capitaine Haddock sur l'histoire de la marine. À partir de 1950, les éditions du Lombard font éditer des chromos en couleurs indépendamment du journal, offerts en échange de l'achat de timbres Tintin . Sept collections sont lancées :
Les chromos Tintin
Concepteur Collection
Edgar P. Jacobs 1946-47 L'histoire de l'Aérostation
Edgar P. Jacobs 1947-48 Le chemin de fer
Jacques Martin L'histoire de l'automobile
Jacques Martin L'aviation en 1939-1945
Jacques Martin L'aviation des origines à 1914
Jacques Martin L'histoire de la marine des origines à 1700
Jacques Martin L'histoire de la marine de 1700 à 1850
Une dernière collection sur l'histoire des costumes et des guerriers est envisagée mais le projet est abandonné.
Les cartes postales : Les Studios Hergé publient de nombreuses cartes postales mettant en scène les personnages des Aventures de Tintin. Au cours des années 1940, Hergé envoyait épisodiquement des cartes de vœux aux lecteurs. Par contre, à partir de 1950, chaque nouvel an, une carte de vœux est systématiquement dessinée. Aux cartes de style classique des premières années, les années suivantes se montrent particulièrement inventives : les personnages sont représentés sur une sorte de vitrail médiéval 1967, une mosaïque byzantine 1963 ou encore une fresque égyptienne 1978.

Le cinéma

Tintin et le Mystère de la Toison d'or et Tintin et les Oranges bleues.

Le cinéma a toujours fasciné Hergé. Dès 1926, dans les Aventures de Totor, il inscrivait en entête « United Rovers présente un grand film comique signé Hergé moving pictures. Les premières aventures d'avant-guerre s'inspiraient, elles-aussi, largement des westerns muets des années 1920-1930. Le projet d'une adaptation au grand écran apparaît après-guerre. À la fin des années 1940, la compagnie française les Beaux Films propose une adaptation de certaines aventures en diapositives. À la même époque, sans plus de succès, Claude Misonne crée un long métrage du Crabe aux pinces d'or joué par des poupées 1947. Il faut attendre une quinzaine d'années pour voir apparaître des propositions de films live avec des comédiens au grand enthousiasme d'Hergé qui, bien entendu, participe à la mise en scène. En 1960, sort en salle Tintin et le Mystère de la Toison d'or, un film de Jean-Jacques Vierne avec Jean-Pierre Talbot dans le rôle de Tintin. Quatre ans plus tard, apparaît Tintin et les Oranges bleues de Philippe Condroyer avec Talbot au même rôle. Au grand désespoir d'Hergé, c'est un double échec, les films n'attirent pas les foules. Un projet de troisième film aurait même été abandonné en 1967.

[size=SIZE]Tintin et le Lac aux requins.
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Après l'échec des films, Hergé revient au dessin animé classique. En 1955, Raymond Leblanc, le directeur du Journal de Tintin, avait fondé les Studios Belvision dans le but d'adapter Les Aventures de Tintin sur grand écran. Quatre années de travail avaient été nécessaires pour qu'en 1959 sortent des dessins en couleurs pour la télévision en plusieurs séquences de 5 minutes quotidiennes : Objectif Lune, Le Crabe aux pinces d'or, Le Secret de La Licorne, Le Trésor de Rackham le Rouge, L'Étoile mystérieuse, L'Île Noire et L'Affaire Tournesol. C'est un véritable succès. Dix ans plus tard, après plusieurs années de travail aux Studios Hergé, sort en salle Le Temple du Soleil avec l'aide de Greg. Bien que l'histoire d'origine 1949 ait été fortement remaniée, le public est conquis. En 1972, Greg propose à Hergé un scénario original de long métrage qui ne reprend pas une aventure existante de Tintin. Tintin et le Lac aux requins plante le décor en Syldavie avec comme personnages principaux : Tintin, Haddock, Tournesol et Rastapopoulos. Le film est adapté en bande dessinée en 1973 par Casterman en 44 pages. Enfin, intéressé par le sujet, Steven Spielberg demandera en 1982 l'autorisation d'Hergé pour adapter Tintin, projet qu'il mettra près de 30 ans à mûrir avant la sortie en octobre 2011 sur grand écran de Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne.

Dernières années 1961-1983 Recul de l'auteur

Les Bijoux de la Castafiore et Vol 714 pour Sydney.
Toutes les activités accumulées par Hergé depuis les années 1950 refonte d'albums, confections des cartes de vœux, adaptations au cinéma en font un homme fatigué qui espace de plus en plus ses nouvelles aventures. Avec sa nouvelle histoire, il veut à la fois camper Tintin chez lui à Moulinsart, sans exotisme, pour voir si j'étais capable de tenir le lecteur en haleine jusqu'au bout et d'autre part, bouleverser ses habitudes d'écriture. Les Bijoux de la Castafiore, sorte d'anti-aventure paraît à partir du 4 juillet 1961 dans le Journal de Tintin
« Ce côté aventure me paraît à l'heure actuelle un peu infantile. »

— Interview d'Hergé16.
Le scénario est digne d'une planche de Quick et Flupke : le récit banal est dérangé par des actions extérieures qui viennent à lui dans un cadre limité : la propriété de Moulinsart. Hergé s'amuse à dérégler ses personnages. Tintin est effrayé par une chouette, Haddock passe son temps en fauteuil roulant, les Dupondt ne cessent de se casser la figure et le paroxysme de ce dérèglement est la séance de télévision dans le laboratoire de Tournesol. Au terme des 62 planches, l'aventure se termine le 4 septembre 1962.
Quatre ans après la fin des Bijoux de la Castafiore, Hergé entame sa prochaine aventure : c'est le 27 septembre 1966. Ici Tintin et ses amis sont de nouveau projetés à l'étranger sur une île indonésienne. Dans Vol 714 pour Sydney, destination d'origine des héros, le dessinateur continue dans sa lancée de démythification de la famille de papier en réglant ses comptes avec les méchants : Rastapopoulos en est l'exemple frappant : En cours de récit, je me suis rendu compte qu'en définitive Rastapopoulos et Allan n'étaient que de pauvres types. J'ai découvert ça après avoir habillé Rastapopoulos en cow-boy de luxe …. D'ailleurs, ainsi déboulonnés, mes affreux me paraissent un peu plus sympathiques : ce sont des forbans, mais de pauvres forbans!…
Autre point essentiel de l'album, c'est la maquette du Carreidas 160, jet privé du milliardaire Lazlo Carreidas, caricature du constructeur français Marcel Dassault. Le Journal de Tintin présente un écorché extrêmement précis de l'avion réalisé par Roger Leloup 1966. Enfin, par le biais du personnage Ezdanitoff inspiré du journaliste Jacques Bergier, Hergé initie ses lecteurs à la parapsychologie et boucle l'histoire par l'intervention discrète des extraterrestres comme clin d'œil humoristique. La fin est proposée dans le Journal du 28 novembre 1967.

Reconnaissance internationale années 1970

Tintin est devenu un héros universel. Au fond, je n'ai qu'un seul rival international : c'est Tintin ira jusqu'à dire Charles de Gaulle.
Après la fin de Vol 714 pour Sydney, Hergé décide de mettre de côté Tintin quelques années pour voyager, s'adonner à sa nouvelle passion l'art contemporain et surtout se reposer. Le 6 juin 1970, Alexis Remi le père de l'artiste, décède à l'âge de 87 ans. Grand fan des Indiens d'Amérique depuis sa jeunesse, Hergé les rencontre pour la première fois, accompagné de sa compagne Fanny Vlamynck dans le Dakota du Sud 1971. La même année, il donne une interview exclusive au jeune journaliste Numa Sadoul qui dure pendant quatre jours. Cette entrevue lui permet de se dévoiler et de brosser un tableau intime de Tintin et de sa vie. Pourtant, c'est durant cette décennie que le dessinateur va se trouver propulsé sur le devant de la scène. En effet, il reçoit de nombreux hommages et des décorations. En 1973, il est reçu par le gouvernement de Tchang Kaï-chek pour avoir soutenu la cause chinoise en 1935. Trois ans plus tard, après quarante-deux ans de séparation, il retrouve les traces de son ami chinois Tchang Tchong-Jen, le coauteur du Lotus bleu qu'il croyait mort. En 1979, Andy Warhol réalise une série de quatre portraits de l'artiste belge qui resteront mondialement célèbres. Enfin, les années 1970 sont celles de la notoriété internationale d'Hergé gagnée en plusieurs stades progressifs. Durant les années 1930, les ventes éditées par le Petit Vingtième étaient très modestes moins de 50 000 exemplaires en Belgique. Une première percée se produisit en 1941 avec la publication du Crabe aux pinces d'or favorisée par l'apparition de l'album en couleur quelques mois plus tard chez Casterman. L'apparition du Journal Tintin en 1946 stimula encore davantage les ventes pour atteindre le million d'exemplaires vendus en 1948. À partir de ce moment, la machine est en marche et il n'est plus possible de l'arrêter : un million d'exemplaires par an 1960, 10 millions d'exemplaires 1961, 26 millions 1970, 81 millions 1980 et jusqu'à 6 millions pour la seule année 1983 ! À la mort du dessinateur, Les Aventures de Tintin étaient traduites en une quarantaine de langues à travers le monde.

Œuvre inachevée Tintin et les Picaros et Tintin et l'Alph-Art.

Huit ans après la fin de Vol 714 pour Sydney, l'avant-dernière aventure de Tintin apparaît le 16 septembre 1975 dans le Journal. Depuis le précédent album, Hergé ne travaille plus que pour son plaisir et il prend son temps pour bâtir l'histoire : L'idée a mis longtemps à prendre forme ; c'est comme une petite graine, un petit ferment qui prend son temps pour se développer. J'avais un cadre : l'Amérique du Sud … mais rien ne prit forme avant longtemps : il fallait que vienne un déclic.
Hergé présente des personnages profondément modifiés d'une part physiquement port du jean, pratique du yoga, déplacement en cyclomoteur… et moralement extrême passivité face aux actions. Suite de L'Oreille cassée, Tintin et les Picaros reprend un certain nombre de personnages déjà connus du public : le général Alcazar, le colonel Sponsz, Pablo, Ridgewell… Des nouveaux interviennent : Peggy Alcazar, le général Tapioca qui n'était jusqu'alors que mentionné, le colonel Alvarez. L'artiste s'inspire de nouveau du contexte international instable en Amérique Latine marqué, au cours des années 1970, par l'affaire Régis Debray et des coups d'État à répétition : notamment au Chili, l'assassinat du président Salvador Allende lors du coup d'État militaire du général Pinochet en 1973. Dans Les Picaros, Hergé fait de nouveau intervenir Tintin dans les affaires de l'État fictif du San Theodoros. Enfin, par le prisme de cette bande dessinée, certains y voient le début de la fin : « Malgré les apparences, la fin de Tintin et les Picaros est la plus amère qu'ait jamais dessinée l'auteur. "Eh bien je ne serai pas fâché de me retrouver chez nous, à Moulinsart…" déclare le capitaine Haddock … "Moi aussi capitaine…" répond laconiquement Tintin. On sent … que les héros, cette fois, sont bel et bien fatigués.
Le 13 avril 1976, Hergé termine Les Picaros. Il a déjà, à cette période, un projet pour le prochain album : J'ai une idée, ou plutôt, une fois encore, j'ai un lieu, un décor : j'aimerais que tout se passe dans un aéroport, du début à la fin. En 1978, l'auteur abandonne l'idée de l'aéroport pour le thème de l'art contemporain, sa nouvelle passion depuis les années 1960. Cependant, l'année 1979 est celle du demi-siècle de Tintin, ce qui occupe tout le temps du dessinateur. Par ailleurs, son état de santé se dégrade. Tintin et l'Alph-Art s'esquisse lentement, malgré l'épuisement de l'auteur.
Le 18 mars 1981, Hergé retrouve Tchang, avec qui il s'était lié d'amitié lors de la réalisation du Lotus bleu. Après plus de 40 années de séparation, leurs retrouvailles sont organisées à Bruxelles, par Gérard Valet, journaliste à la RTBF, et la rencontre est retransmise en direct à la télévision. Hergé apparaît très affaibli et semble extrêmement gêné par cette hyper-médiatisation.
La maladie progresse, Hergé doit s'aliter et subir régulièrement des transfusions sanguines. Courant février 1983, il est hospitalisé à la clinique Saint-Luc de Woluwe-Saint-Lambert. Après une semaine passée dans le coma, Georges Remi décède d'une leucémie le 3 mars 1983, à l'âge de 75 ans. La dernière aventure de Tintin est interrompue au niveau de la planche 42. Le défunt est inhumé, à sa demande, au cimetière du Dieweg dans la commune bruxelloise d'Uccle, et cela par dérogation spéciale car cette nécropole est désaffectée. Mais il s'y trouve un certain nombre de monuments remarquables qui plaisaient à Hergé.

Postérité

Å’uvre actuelle depuis 1983 Aventure post-mortem 1984-2010
Son héritière et veuve Fanny Remi sa femme depuis 1977 hésite sur le sort à réserver à L'Alph-Art : ses collaborateurs doivent-ils poursuivre l'album ? Hergé avait fait part de sa volonté avant de mourir : Il y a certes des quantités de choses que mes collaborateurs peuvent faire sans moi et même beaucoup mieux que moi. Mais faire vivre Tintin, faire vivre Haddock, Tournesol, les Dupondt, tous les autres, je crois que je suis le seul à pouvoir le faire : Tintin c'est moi, exactement comme Flaubert disait "Madame Bovary, c'est moi !".
En 1986, madame Remi dissout les Studios Hergé remplacés par la Fondation Hergé. Elle décide que L'Alph-Art pourra être publié mais dans l'état laissé à la mort de son créateur153. Les adaptations se multiplient : en 1984, Johan de Moor et le studio Graphoui avaient entrepris de redonner vie à Quick et Flupke en les adaptant au petit écran. Ainsi 260 dessins animés d'une minute sont réalisés. En parallèle, les planches en noir et blanc des gamins de Bruxelles, sont reprises, modernisées, colorisées et partagées en onze albums Casterman 1984-1991. En 1991 est créée, d'après Les Aventures de Tintin, une série télévisée d'animation franco-canadienne produite par Ellipse et réalisée par Stéphane Bernasconi. Au total il y a 18 épisodes de 45 minutes chacun hormis Tintin en Amérique. La série reprend tous les albums exceptés Tintin au pays des Soviets jugé trop ancien et partial, Tintin au Congo jugé trop colonialiste et enfin Tintin et l'Alph-Art car inachevé. Diffusée sur France 3 à partir de mai 1992, c'est un véritable succès. En 2001, le Musée national de la Marine consacre une exposition à Hergé intitulée Mille sabords ! Tintin, Haddock et les bateaux.
Malgré la volonté de l'auteur, des centaines d'apocryphes vont se développer après sa mort. Leur diffusion se fait de façon confidentielle car ils sont poursuivis farouchement par Fanny Remi et son nouveau mari Nick Rodwell, les héritiers des droits d'auteurs qui exploitent à présent commercialement la marque et ses très nombreux produits dérivés. En 2007, à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de l'artiste, Hergé revient au sommet de l'actualité. Un article de Philippe Goddin, un spécialiste de Tintin, affirme qu'il pourrait être mort du SIDA. Bien qu'il soit mort officiellement de la leucémie, Hergé devait changer son sang régulièrement. Or, à cette époque, le VIH était très mal connu et encore moins détectable dans le sang. Le dessinateur aurait donc pu contracter le virus lors d'une transfusion ce qui expliquerait les fréquentes grippes, pneumonies et bronchites qu'il avait à répétition à la fin de sa vie. Au même moment, sa veuve pose la première pierre du futur Musée Hergé de Louvain-la-Neuve au parc de la Source Belgique. La structure ouvre ses portes en juin 2009. En 2007, Steven Spielberg et Nick Rodwell annoncent la réalisation d'une Trilogie Tintin, prévue pour 2010-2011. La première partie est une adaptation du Secret de La Licorne et Tintin est joué par le britannique Jamie Bell158, révélé dans Billy Elliot. Le film est relativement bien accueilli par la critique, et est un succès commercial.

Haute surveillance


Après la mort d'Hergé, ses collaborateurs, groupés autour de Bob de Moor, avaient donc espéré faire survivre l'œuvre de leur "patron". Du vivant de celui-ci, ils avaient entrepris quelques tentatives de réaliser des aventures de Tintin conçues dans une perspective d'avenir. Mais Hergé jugeait que "ce n'était pas encore ça" 159 et, finalement, il avait décidé que son œuvre s'arrêterait avec lui. Vraisemblablement, il devait craindre une dérive qui enlèverait à son héros sa spécificité incomparable, pour en faire un des multiples sujets interchangeables des bandes dessinées pullulant dans le monde. La dernière manifestation posthume d'Hergé fut la réalisation par les anciens de son atelier de la fresque décorant les quais de la station Stockel du métro bruxellois. Conçue par l'architecte Jacques Baudon, cette station est dédiée à la déclaration de l'ONU sur la protection de l'enfance. On y voit représenté tous les personnages des aventures de Tintin qui ont enchanté des générations d'enfants et d'adultes.
Dans les années 2000, à une des entrées de la nouvelle gare du Luxembourg, à Bruxelles, une reproduction photographique en noir et blanc fortement agrandie représente l'entrée de Saint-Nicolas à Bruxelles dessinée par Hergé dans les années trente. Ce sont les héritiers d'Hergé qui ont autorisé la pose de cette fresque, tout comme des planches agrandies installées à la gare du midi, à Bruxelles, représentant Tintin juché sur une locomotive à vapeur en pleine vitesse extraites de la version en noir et blanc de Tintin en Amérique. Sa veuve étant remariée avec Nick Rodwell, les époux, parfois jugés trop protectionnistes, gèrent l'héritage artistique d'Hergé au travers de la société anonyme Moulinsart dans le principe d'un respect absolu de l’œuvre. Depuis 1996, les héritiers rachètent les franchises de droits à l'exploitation de Tintin. Désormais, la totalité de la légitimité de l'œuvre originale leur revient. Les produits dérivés, réalisés par des stylistes professionnels de la Fondation Hergé, doivent être réalisés suivant un cahier des charges extrêmement rigoureux : respect des couleurs, du texte, pas de montage… Fanny Rodwell refuse toute association entre l'image de Tintin et des marques d'alcool ou de cigarettes. De nombreux produits de l'univers de Tintin, se vendent uniquement dans les boutiques et espaces réservés à cet effet. Leurs prix, souvent élevés entre 50 et 800 euros pour une statuette sont la conséquence d'une production artisanale de qualité.
La société anonyme Moulinsart 162 avenue Louise, 1050 Bruxelles, Belgique est titulaire exclusive, pour le monde entier, de l’ensemble des droits d’exploitation de l’œuvre d’Hergé, en particulier Les Aventures de Tintin. Le droit d’auteur protège non seulement les albums de bande dessinée et les dessins cases, strips, planches, dessins hors-textes, couvertures, scénarios, textes, dialogues, gags, mais aussi les décors, les personnages et leurs caractéristiques, les noms, titres et lieux imaginaires, les onomatopées, polices de caractères et autres éléments de l’œuvre d’Hergé.

— Extrait de la charte Moulinsart.
En mars 2008, une gouache originale réalisée en 1932 par Hergé pour la couverture de Tintin en Amérique a été vendue, aux enchères chez Artcurial à Paris, pour la somme de 780 000 euros. C'est un record pour un original de BD. En 2009, depuis 1929, plus de 230 millions d'albums de Tintin ont été vendus à travers le monde en plus de 90 langues dont 43 langues régionales :
49 Langues officielles :
NB : La date signifie la première date d'édition.
Afrikaans (1973) - Allemand (1952) - Anglais américain (1959) - Anglais britannique (1952) - Arabe (1972) - Arménien (2006) - Bengali (1988) - Bulgare - Chinois mandarin (2001) - Cingalais (1998) - Coréen (1977) - Danois (1960) - Espagnol (1952) - Espéranto (1981) - Estonien (2008) - Finnois (1961) - Français (1930) - Grec (1968) - Hébreu (1987) - Hongrois (1989) - Indonésien (1975) - Islandais (1971) - Italien (1961) - Japonais (1968) - Khmer (2001) - Latin (1987) - Letton (2006) - Lituanien (2007) - Luxembourgeois (1987) - Malais (1975) - Mongol (2006) - Néerlandais (1946) - Norvégien (1972) - Perse (1971) - Polonais (1994) - Portugais (1936) - Portugais brésilien (1961) - Romanche (1986) - Roumain (2005) - Russe (1993) - Serbo-croate (1974) - Slovaque (1994) - Slovène (2003) - Suédois (1960) - Taïwanais (198
) - Tchèque (1994) - Thaï (1993) -Turc (1962) - Vietnamien (1989).
43 Langues régionales :
Alghero (1995) - Allemand (Bernois) (1989) - Alsacien (1992) - Anversois (néerlandais local) 2008) - Asturien (1988) - Basque (1972) - Borain (2009) - Bourguignon (2008) - Breton (1979) - Bruxellois (2007) - Bruxellois (Néerlandais local) (2004) - Cantonais (2004) - Catalan - Corse - Créole Antillais (2009) - Créole mauricien (2009) - Créole réunionnais (2008) - Féroïen (1988) - Flamand (Ostende) (2007) - Francoprovençal (Bresse) (2006) - Francoprovençal (Gruyère) (2007) - Francoprovençal (unifié) (2007) - Frison (1981) - Gaélique (1993) - Galicien (1983) - Gallo (1993) - Gallois (1978) - Gaumais (2001) - Néerlandais (Hasselts) (2009) - Néerlandais (Twents) (2006) - Occitan (1979) - Picard (Tournai-Lille) (1980) - Picard (Vimeu) - Papiamentu (2008) - Provençal (2004) - Tahitien (2003) - Tibétain (1994) - Vosgien (2008) - Wallon (Charleroi) - Wallon (Liège) (2007) - Wallon (Namur) (2009) - Wallon (Nivelles) (2005) - Wallon (Ottignies) (2006) - Français québécois (2009).

Personnalité insaisissable Collaborateur passif

Quand certainsQui ? le comparent à Georges Simenon ou considèrent que c'était un collaborateur passif mais opportuniste, d'autres jugent qu'Hergé n'était pas un collaborateur ni un antisémite mais simplement un homme de son époque et que Tintin n'est pas une exception. Par exemple, ils avancent que Jacques Martin, le futur père d'Alix, fut un produit de Vichy en participant aux Chantiers de la Jeunesse du maréchal Pétain entre 1941 et 1943.
Comme le constate Pierre Assouline : pour Hergé comme pour un certain nombre d'écrivains et d'artistes, l'Occupation a correspondu à un "âge d'or", ainsi qu'en témoignent la qualité, la richesse et l'abondance de leur travail durant cette période. À partir de l'automne 1941, les albums vendus atteignent la barre des 100 000 exemplaires sur lesquels le dessinateur touche 10 % du prix. Son salaire mensuel 10 000 francs belges pendant les années 1940-1944 sera aussi pointé du doigt, notamment au procès des journalistes du Soir en 1946. Pour certains de ses détracteurs, en passant de la rédaction du Vingtième Siècle à celle du Soir en 1940, Hergé passe d'un journal tiré à 15 000 exemplaires à un autre tiré à 200 000 puis 300 000 ; il ajoutera : De l'effondrement de 1940, date, il faut s'en souvenir, l'entrée d'Hergé dans le succès et son corollaire, la richesse… Ainsi, Hergé vendit 600 000 albums durant l'Occupation.
Un jour, sous l'Occupation, le dessinateur reçoit une lettre d'un lecteur du 16 octobre 1940 : Permettez Monsieur, un père de famille nombreuse de vous dire sa tristesse et sa déconvenue de voir Tintin et Milou paraître dans le Nouveau Soir. En marge de vos amusants dessins, on leur infiltrera le venin de la religion néopaïenne d'outre-Rhin. Si vous le pouvez encore faites machine arrière. Excusez de ne pas signer mais les temps sont trop incertains.

Opinons politiques

Concernant ses opinions politiques, il est incontestable qu'Hergé a longtemps été proche des milieux catholiques d'extrême-droite. En revanche, il semble avoir été beaucoup plus réservé vis-à-vis du fascisme et de l'Allemagne nazie. Jamais il n'a exprimé publiquement sa sympathie pour le rexisme et encore moins adhéré au mouvement. Il a en outre dépeint dans Le Sceptre d'Ottokar une Belgique victime d'une tentative d'agression allemande, par l'intermédiaire des États fictifs de la Syldavie et de la Bordurie une sorte d'Anschluss raté. La tentative d'Anschluss que déjoue Tintin est perpétrée par un certain Müsstler mot-valise construit sur les noms des dictateurs italien Mussolini et allemand Hitler, chef du parti La Garde D'Acier.

Heinkel He que pilote Tintin dans Le Sceptre d'Ottokar.

Il semble aussi qu'Hergé se soit inspiré des uniformes de la Wehrmacht pour dessiner ceux de l'armée bordure, dont les avions militaires sont des Heinkels, comme l'atteste le nom écrit sur le fuselage dans la première version de 1939, et comme le lui fera sèchement remarquer un officier-censier allemand pendant la guerre. L'album est réédité en 1942, sous l'Occupation allemande : le nom de "Müsstler" est conservé dans cette version.
Pour M. Benoît-Jannin, À l'approche de la Seconde Guerre mondiale, Hergé (…) appartient à un groupe informel d'individus venant de l'Action catholique belge ou de nulle part, qui va servir l'Ordre nouveau. C'est l'effondrement de 1940 (…) qui permettra à cette poignée d'idéologues fascisants et d'opportunistes de tenir tout à coup le haut du pavé.
Pour Philippe Goddin, Hergé était un homme de droite imprégné de catholicisme et de scoutisme. Mais un homme de droite anticonformiste qui, dans son dernier album (…) renverra fascistes et révolutionnaires dos à dos.

Accusation de racisme

Au cours des années 1930 en Europe, réapparaît la vague d'antisémitisme qui s'était déjà déclarée au tournant du xixe siècle au temps de l'affaire Dreyfus. En France et en Belgique, sans parler de l'Allemagne et de l'Italie, les milieux catholiques d'extrême-droite gagnent du terrain. Or, c'est précisément dans ce milieu qu'Hergé est né et qu'il s'épanouira. Dans l'édition originale de L'Oreille cassée 1936, on retrouve, à la 117e planche, le premier croquis d'un Juif. C'est un antiquaire à qui Tintin s'adresse pour obtenir un fétiche arumbaya. Cependant, c'est L'Étoile mystérieuse qui suscite toutes les interrogations. Contrairement à l'album précédent, celui-ci est dessiné pendant l'Occupation allemande entre octobre 1941 et mai 1942. Dans l'édition du Soir-Jeunesse, on trouvait d'abord une planche qui représentait deux Juifs au nez crochu et à la bouche lippue s'exclamer ainsi : Tu as entendu Isaac ? C'est la fin du monde ! Si c'était vrai ? Hé hé hé ! Ce sera une bonne bedide avaire Salomon ! Che tois 50 000 francs à mes vournisseurs… Gomme za che ne te frais bas bayer. Puis l'histoire se montre comme une vision manichéenne : d'un côté le groupe du Bien des pays neutres ou alliés à l'Allemagne avec Tintin en tête qui combat d'un autre côté le groupe du Mal dirigé par un banquier américain Juif du nom de Blumenstein. Pour l'édition en album couleurs 1943, Casterman exigea le retrait de la première planche, le changement du nom du banquier en Bohlwinkel et le retrait du drapeau américain planté sur le canot ennemi. Ainsi, pour M. Benoît-Jeannin L'Étoile mystérieuse est une « complaisance antisémite d'autant plus que le supplément Le Soir-Jeunesse avait une rubrique qui encourageait les lecteurs à envoyer des histoires juives. Hergé a réagi sur ces détails avec des propos qui n'ont rien d'antisémite : J'ai effectivement représenté un financier antipathique sous les apparences sémites, avec un nom juif : le Blumenstein de L'Étoile mystérieuse. Mais cela signifie-t-il antisémitisme ?… Il me semble que, dans ma panoplie d'affreux bonshommes, il y a de tout : j'ai montré pas mal de mauvais de diverses origines, sans faire un sort particulier à telle ou telle race. On a toujours raconté des histoires juives, des histoires marseillaises, des histoires écossaises. Ce qui, en soi, n'a rien de bien méchant. Mais qui aurait prévu que les histoires juives, elles, allaient se terminer, de la façon que l'on sait, dans les camps de la mort de Treblinka et d'Auschwitz ?… À un moment donné, j'ai d'ailleurs supprimé le nom Blumenstein et je l'ai remplacé par un autre nom qui signifie, en bruxellois, une petite boutique de confiserie : bollewinkel. Pour faire plus exotique je l'ai orthographié Bohlwinkel. Et puis, plus tard, j'ai appris que ce nom était, lui aussi, un véritable patronyme israélite !
Fin 1941, les massacres n'avaient pas encore touché l'Europe de l'Ouest, mais en Belgique depuis octobre 1940, les Juifs étaient déjà exclus des universités, des écoles et de l'administration..
D'ailleurs le dessinateur n'a jamais émis publiquement d'excuses au sujet de son rôle durant la guerre, mais il confiera en privé trente ans après les faits : « C'est vrai que certains dessins, je n'en suis pas fier. Mais vous pouvez me croire : si j'avais su à l'époque la nature des persécutions et la Solution finale, je ne les aurais pas faits. Je ne savais pas. Ou alors, comme tant d'autres, je me suis peut-être arrangé pour ne pas savoir
Sur la question de l'antisémitisme ou du racisme supposé d'Hergé les exemples et contre-exemples abondent dans son œuvre :
Concernant les Juifs, leur image ne fut pas systématiquement négative181. En effet, lorsqu'il dépeint des activistes de l'Irgoun luttant contre les Britanniques en Palestine dans la première version inachevée de Tintin au pays de l'or noir en 1939, il ne tombe pas dans la caricature. Le riche juif américain Samuel Goldwood de L'Oreille cassée, parue deux ans plus tôt, a quant à lui le beau rôle, puisqu'il restitue spontanément à Tintin le fétiche volé à la fin du récit.
Dans Les Sept boules de cristal, certains lui ont reproché la grande étoile étoile de David qu'il a placée sur la scène du music-hall à une période qui ne s'y prêtait pas 1943-1944. Or, lorsque la première partie de l'histoire parut dans Le Soir, l'étoile ne figurait pas. Elle a été ajoutée après coup183. Enfin, dans l'aventure en Amérique, le dessinateur rendit plus humains les Indiens longtemps considérés comme de cruels sauvages en dénonçant notamment leurs expropriations foncières par les compagnies pétrolières.
Finalement, s'interroge Pierre Béguin, Hergé est-il considéré comme raciste parce qu'il a dessiné des Japonais fourbes ? Non. L'est-il pour avoir réduit Chicago à une ville de gangsters et représenté les Américains comme des affairistes sans scrupules ? Non. L'est-il pour avoir limité sa vision de l'Amérique latine à des bandes de révolutionnaires sanguinaires et avinés ? D'ailleurs, concernant Tintin au Congo, les Congolais actuels préfèrent en sourire au point de faire de Tintin une icône : Faux ! Tintin n'était pas raciste, seulement un peu paternaliste ! Comme tous les blancs de l'époque …. Il montre bien les méfaits de la colonisation, le côté négatif des Blancs, leurs magouilles… Les aventures du petit reporter nous ont permis de sortir de notre isolement …

Affaire Tintin au Congo

Malgré le rajeunissement donné par Hergé à son deuxième album en 1946, Tintin au Congo connut à partir de la fin des années 1950, une assez longue période de disgrâce qui … le laissa fort difficile à dénicher. Le temps était désormais à la décolonisation. Il aura fallu attendre les années 1970 pour revoir l'album dans les boutiques. L'édition britannique ne fut disponible qu'en 1982. Or, Hergé avait dessiné ces planches en noir et blanc entre 1930 et 1931 lorsqu'il travaillait pour le Petit Vingtième. En 1927, on venait de fêter le cinquantenaire de la découverte du Congo belge par Stanley et ce fut donc le moment pour envoyer le jeune reporter dans cette contrée lointaine. Comme pour Les Soviets, son rôle était politique : il s'agissait de faire l'éloge d'une colonie qui n'attirait aucun Belge mais qui manquait de main d'œuvre. Pour Hergé, comme c'était le cas avec la série Flup, Nénesse, Poussette et Cochonnet 1928, le missionnaire catholique était toujours l'un des héros des aventures africaines.
Le 23 juillet 2007, un Congolais étudiant en Sciences Politiques à Bruxelles porte plainte devant la justice belge contre X et contre la société Moulinsart. Il réclame l'arrêt de la vente de l'album Tintin au Congo et un euro symbolique de dommages et intérêts à l'éditeur.
En parallèle, la commission britannique pour l'égalité des races CRE estima que l'album était délibérément raciste. Aux États-Unis et à Londres, certaines bibliothèques et librairies ont retiré l'ouvrage des rayons pour enfants pour le placer dans ceux réservés aux adultes. De son côté, la société Moulinsart s'est montrée étonnée que cette polémique renaisse aujourd’hui. Hergé s’était expliqué, disant qu’il s’agissait d’une œuvre naïve qu’il fallait replacer dans le contexte des années 1930, où tous les Belges pensaient faire du très bon travail en Afrique.
Le débat est relancé toutes les décennies depuis un demi-siècle. Hergé était-il raciste ? Si le tableau qu'il dresse du Congo et de ses habitants l'est bien, il faut rappeler comme il le souligna lui-même, qu'il vivait à une époque où le colonialisme battait son plein. Bien entendu il y avait des anticolonialistes mais l'opinion générale y était plutôt favorable : Pour le Congo, tout comme pour Tintin au pays des Soviets, il se fait que j’étais nourri des préjugés du milieu bourgeois dans lequel je vivais… C’était en 1930. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l’époque : Les nègres sont de grands enfants, heureusement que nous sommes là !etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque en Belgique.
Pour Jean-Claude De la Royère, conservateur au Centre belge de la Bande dessinée : faire du politiquement correct avec de l’ancien est impossible. D'ailleurs finalement, Hergé n'avait-il pas dans beaucoup d'autres aventures insufflé d'incontestables valeurs humanistes ? Le Dalaï-lama, n'a-t-il pas déclaré lors de son passage en Belgique que : Tintin au Tibet a permis à de très nombreuses personnes de savoir que le Tibet existait ? Toutefois, les opinions restent partagées sur les valeurs véhiculées dans le numéro.

Œuvre Théoricien de la « ligne claire »

La manière de dessiner d'Hergé varia considérablement entre les années 1920 et les années 1970. Au début de sa carrière, le jeune dessinateur n'a pas encore son propre style et comme beaucoup de débutants il commence par imiter d'autres artistes. On connaît l'existence de caricatures de souverains français Louis XIII, Louis XIV et Louis XV) ou de croquis de militaires Joffre et Foch qu'il a repris dans le Larousse vers 1922. Au cours des années 1920, il est frappé par les techniques de plusieurs artistes comme Benjamin Rabier 1864-1939 célèbre pour ses croquis d'animaux Fables de La Fontaine, La vache qui rit fondée en 1921 : On retrouve son influence au début des Soviets quand mes dessins partent d'une décorative, une ligne en "S".
À partir de Tintin et les Picaros, Hergé commence à intégrer l'art contemporain dans ses albums vpor la sculpture de Miró, 1968.
Ses premières aventures sont marquées par le peu de clarté dans les cases, les contrastes de noir et blanc qu'il commence à maîtriser à la perfection et enfin le milieu cinématographique qui a marqué son enfance. Au milieu des années 1930, il prend conseil auprès du maître de la bande dessinée française, Alain Saint-Ogan. Les Aventures de Quick et Flupke sont un véritable laboratoire pour Hergé qui se lâche sans contrainte : les lignes vibratoires des notes de musique, les directions, les pirouettes. Un tournant s'amorce dans le dessin de l'artiste avec Le Lotus bleu. En effet, son ami chinois Tchang Tchong-Jen lui apprend l'art de la calligraphie chinoise tout en approfondissant sa philosophie et son observation de la nature : Cet arbre que tu regardes, il a une âme comme toi. Le souci principal d'Hergé est de rendre visible, clair, vivant et précis son dessin ce qu'il commence à maîtriser avec le Sceptre d'Ottokar. Pendant la guerre, il travaille beaucoup et selon ses mots dessine deux cases exceptionnelles : la première dans le Crabe aux pinces d'or et la seconde dans le Trésor de Rackham le Rouge.
Après 1945 il renforce progressivement en place sa méthode graphique qu'il approfondit au fil des années. Contrairement à ses débuts notamment lorsqu'il était illustrateur il y a une absence d'ombres et de hachures. Pour mettre en page son aventure, le père de Tintin commence par écrire un synopsis de deux ou trois pages avant d'effectuer un découpage sur de petites feuilles où il griffonnera des croquis. Puis il passe aux planches de grand format et enfin il fait un calque de tous les croquis qu'il juge satisfaisants les plus clairs, qui marquent le plus le mouvement. La ligne blanche est particulièrement bien visible dans les albums de la fin des années 1950 et des années 1960. C'est le temps où les objets, les personnages et les décors sont systématiquement tracés à l'encre de même épaisseur. L'aplat de couleurs est un dégradé de couleurs simples et vives. Durant les années 1960, Hergé commence à se piquer d'art moderne d'abord par Joan Miró puis par Lucio Fontana. Lors de l'exposition Tintin à Rotterdam 1977, le dessinateur Joost Swarte fut le premier à parler du style d'Hergé comme d'une ligne claire Klare lijn. Depuis, le père de Tintin est considéré comme le pionnier et le théoricien de cette nouvelle conception du dessin.

Collectionneur et peintre abstrait

Hergé nourrissait des fortes affinités avec la peinture. Parmi les maîtres anciens, il aimait beaucoup Bosch, Breugel, Holbein et Ingres, dont il admirait les traits et les lignes pures. Il s'intéresse également de près aux artistes contemporains comme Liechtenstein, Warhol ou Miro, au sujet duquel il confiera à son conseiller en art et ami Pierre Sterckx qu'il a provoqué chez lui un véritable choc. Hergé commence à acquérir des œuvres dans les années 1950, principalement des toiles d'expressionnistes flamands. Au début des années soixante, il fréquente la galerie Carrefour de Marcel Stal et, au contact des artistes, critiques, collectionneurs qu'il y croise, entreprend d'acheter des œuvres de Fontana, Poliakoff et bien d'autres.
En 1962, Hergé franchit le pas, il veut peindre. Il va choisir Van Lint, qui était un des peintres abstraits les plus en vue de l'époque et qu'il appréciait beaucoup, pour être son professeur particulier. Durant un an, Hergé apprend, sous la tutelle de Van Lint, et 37 toiles en sortiront, influencées par son professeur, mais aussi par Miro, Poliakoff, Devan ou Klee. Toutefois, Hergé en restera là, ayant senti qu'il ne pouvait plus avancer, qu'il ne pouvait s'exprimer dans cette voie. Ces toiles ont néanmoins atteint une cote élevée, due à l'attraction exercée sur les collectionneurs pour tout ce qui se rapproche d'Hergé, mais aussi pour leur qualité intrinsèque .

Totor 1926

Totor ou Totor, CP Chef de Patrouille des Hannetons, est un héros de bande dessinée créé par Hergé pour le journal Le Boy-Scout belge, en 1926. C'est un chef scout très débrouillard, qui apparaît pour la première fois dans Les extraordinaires aventures de Totor, CP des Hannetons. Dessiné par Hergé à ses débuts, ce personnage est graphiquement très approximatif, et ne durera pas très longtemps, bientôt remplacé par Tintin. On peut ainsi considérer Totor comme l'ancêtre de ce dernier, à la fois graphiquement et historiquement.

Les Aventures de Tintin 1929

La série est publiée pour la première fois le 10 janvier 1929 dans Le Petit Vingtième, supplément pour enfants du journal belge Le Vingtième Siècle. La série est également publiée assez rapidement dans Cœurs vaillants à partir du 26 octobre 1930. Les Aventures de Tintin se déroulent dans un univers reproduisant minutieusement le nôtre, fourmillant de personnages aux traits de caractère bien définis. Cette série est plébiscitée depuis plus de 70 ans par les lecteurs et les critiques.
Le héros de la série est le personnage éponyme Tintin, un jeune reporter et globe-trotter belge. Il est accompagné durant ses aventures par Milou, son fidèle chien. Au fil des Aventures, plusieurs figures récurrentes sont apparues comme le Capitaine Haddock — au point de devenir incontournable — les détectives incompétents Dupond et Dupont, ou encore le professeur Tournesol. Hergé lui-même apparaît dans chacun de ses albums, en tant que personnage secondaire. Cette série à succès, publiée sous la forme d'albums 24 au total, dont 1 inachevé, est à l'origine d'un magazine à grand tirage Le Journal de Tintin, et a été adaptée à la fois au cinéma et au théâtre. Les Aventures de Tintin ont été traduites dans environ cinquante langues et vendues à plus de 200 millions d'exemplaires.

Quick et Flupke 1930

Quick et Flupke est une série d'albums de bande dessinée créée par Hergé. Les séries sont publiées dans les pages du journal Le Petit Vingtième à partir du 23 janvier 1930. Les deux héros sont des enfants des rues de Bruxelles, et sont nommés Quick et Flupke, Petit Philippe en brabançon. Les deux garçons causent de sérieux problèmes par accident, ce qui leur amène des ennuis avec leurs parents et la police, en particulier l'Agent 15. Ils aiment fabriquer toutes sortes d'engins aussi inutiles que dangereux comme des avions à roulettes ou des planeurs.
Après la Seconde Guerre mondiale, les planches sont regroupées par séries. Les deux premières sont éditées en janvier 1949, la onzième et dernière série en janvier 1969. Six recueils des mêmes histoires sont ensuite tirés sous le nom Les exploits de Quick et Flupke de 1975 à 1982.
Le Triomphe de l'Aigle Rouge 1930
Le Triomphe de l'Aigle Rouge est une histoire de Far-West parue en 1930 dans 5 numéros de Cœurs vaillants Les illustrations sont signées Hergé ; le texte a priori également. Elle raconte les aventures de Tim Cobalt et chacun des 5 épisodes est accompagné de une à deux grandes illustrations 12x14 cm.

Popol et Virginie au pays des Lapinos 1934

Popol et Virginie au pays des Lapinos est un album à part dans l'œuvre d'Hergé, c'est le résultat d'une longue chaîne de transformations. La première mouture de cette histoire est publiée sous le titre Tim l'écureuil au Far West dans un petit journal de quatre pages distribué à l'automne 1931 dans le grand magasin bruxellois L'Innovation. Deux ans plus tard, Les Aventures de Tom et Millie sont publiées dans Pim et Pom, encart jeunesse de Pim - Vie heureuse, le supplément hebdomadaire du journal belge La Meuse. Ensuite en 1934 Les Aventures de Popol et Virginie au Far West sont publiées dans Le Petit Vingtième, avant de finalement reparaître en 1948 dans l'hebdomadaire Le Journal de Tintin sous le titre que nous connaissons aujourd'hui.

Jo, Zette et Jocko 1936 Jo, Zette et Jocko.

Jo, Zette et Jocko raconte une histoire sous forme de bande dessinée réalisée par Hergé. Elle a été créée en 1936 pour le journal Cœurs vaillants, dont les éditeurs catholiques un peu réservés devant le personnage de Tintin, auraient demandé à Hergé de créer de nouveaux héros, avec une famille. 1re planche de Le Rayon du mystère ou Les Aventures de Jo, Zette et Jocko dans le no 3 de Cœurs vaillants du 19 janvier 1936. Publié ensuite dans Le Petit Vingtième, à partir d'octobre 1936.
Il s'agit d'un frère et d'une sœur, Jo et Zette, âgés d'une douzaine d'années, et de leur singe Jocko. Ils vivent en famille avec leur mère et leur père, l'ingénieur Legrand. Jocko est un chimpanzé apprivoisé, qui les accompagne librement. Très intelligent, il lui arrive de soliloquer, mais il ne parle pas aux humains. La particularité des aventures de Jo et Zette Legrand réside dans le fait qu'il s'agit d'une action se situant dans le cadre d'une vraie famille avec des personnages ayant un prénom et un nom. On est donc de ce point de vue loin de Tintin du même auteur qui, lui, n'a pas de parents connus. Si les enfants vivent loin de leurs parents des aventures peu ordinaires, ils restent néanmoins dépendants de l'intervention d'adultes pour les sauver. Ils ne possèdent pas de pouvoirs particuliers mais leur seule intelligence et volonté pour se sortir de mauvais pas. Ceci fait d'eux des personnages très réalistes et proches de leurs lecteurs.

Distinctions et décorations

1971 : Prix Adamson du meilleur auteur international
1972 : Prix Yellow Kid pour l'ensemble de son Å“uvre
1973 : Grand Prix Saint-Michel
17 janvier 1979 : « Mickey d'honneur » pour l'ensemble de son œuvre de la Walt Disney Company.
1999 : Temple de la renommée Jack Kirby à titre posthume
2003 : Temple de la renommée Will Eisner à titre posthume


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Posté le : 21/05/2016 15:17
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Re: Défi du 21 mai 2016
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De retour d'un petit séjour à l’île d'Yeu, je reprends mes bonnes habitudes et vous livre le fruit d'une imagination, un tantinet débridée!!!!

Pierre qui roule, parait il, n’amasse point la mousse,
Sachant que les voyages formeraient la jeunesse,
Dés lors qui faut-il croire, ceux qui, ailleurs, te poussent,
Ou ceux plus casaniers qui ne changent point d’adresse ??

Cette question posée, par Couscous la perfide,
Demande réflexion, voir une commission
Comme le font nos élus, qui brassent tant de vide,
Et créer un séminaire à la moindre question.

Evoquons d’abord Pierre, et qu’a fait ce pauvre homme,
Pour avoir inspiré cet adage complexe,
Il n’est point comme d’Adam, ce pauvre hère à la gomme,
Cédant à la fourbe Eve, gourgandine du sexe.

Il eut mieux fait d’aller consommer une mousse
Chez Lucifer, plutôt que céder au péché,
Ou bien prendre un rosé avec du pamplemousse,
Ignorant la bougresse et sa lascivité.

Alors qui est ce Pierre qui nous pose souci,
Est-il de chez nous ou d’une contrée voisine,
Et s’il était natif comme l’auteur du défi
De ce pays de bières ou réside Delphine ????.

Je la sais très adroite et futée pour qu’elle puisse,
L’air de point y toucher, évoquer tout en douce,
L’idole du pays qu’est la Manneken-Pis,
Qui urine longuement, usant trop de la mousse.

Et si notre Pierrot, venait de Burgondie,
Cet endroit dont Isté nous vante les mérites,
Entre autres du vignoble, dont le Kjtiti,
Aimerait de visu en vérifier ce mythe……..

De fait je soupçonne notre bon Bourguignon,
De railler ce breuvage, pour mieux nous évoquer
Un Morey Saint Denis, un Vougeot, un Corton,
Alors que dans mon verre, j’ai de l’eau pour trinquer !!!!

Et si Donald était ce Pierre façon Rocker,
Friands de ces années fleurant bon la musique,
Des Beattles jusqu’aux Stones en passant par The Doors,
Ces groupes que mon père qualifiait d’hystériques.

Sur la route 66 ce Pierre aurait en somme
A défaut d’amasser des quantités de mousse,
Comm’ le dit Donald :’’ Happiness is a warm gun’’
Empilé des pensées, plus riches que le flouse ……




Posté le : 21/05/2016 15:14
_________________

Le bonheur est une chose qui se double,..…..si on le partage …

Titi
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Re: L'Odysséa vers Loria
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L'écriture de" L'Odyssée vers Loria " sur L'ORée des rêves :

http://www.loree-des-reves.com/module ... php?topic_id=155&forum=21





Odyssée vers Loria
Auteurs du livre :
Bacchus,
Christianr
Emma,
Julien Martin
Loriane
Shoupi,
---
Il avait quitté son lieu de travail dans la lumière
du couchant.
C'est avec plaisir qu'il roulait lentement sur la
route ombragée où les arbres conservaient encore
leur feuillage. Les prémisses de l'automne se
devinaient en quelques touches légères de feuilles
mordorées, parsemées et encore bien discrètes.
La route était bordée de superbes platanes aux
troncs tachés comme des pelages de léopard, de
marron plus ou moins clair allant par endroit
jusqu'au blanc.
1Il était heureux de vivre dans ce pays, dans cette
région de nature bienveillante. La variété des
paysages et des cultures offrait des richesses de
beauté qui réjouissaient son âme et ses yeux.
Un champ de verdure, soigné comme une pelouse,
côtoyait un verger qui longeait la route, plus loin
un champ offrant une chaude tonalité ocre
indiquait que les labours venaient de commencer.
La généreuse terre nourricière avait offert ses
lourds épis de blé et, attendait maintenant la venue
des premiers gels qui la préparerait aux futures
semailles.
Son regard caressait plus qu'il ne regardait les
rangées de vignes qui avaient commencé de
rougir. Alors que derrière, sur l'horizon immédiat
se déroulait un rideau de peupliers qui serpentait
dans les prés. L'œil séduit, il ralentit pour mieux
percevoir la musique du cours d'eau qui courait en
cascades successives entre les arbres.
À ce moment une bouffée de bonheur l'envahit.
Il traversa une petite bourgade qu'il connaissait
bien, le soleil rasant allumait de tendres incendies
de rouges, ors et jaunes sur les vieilles pierres des
maisons aux hauts toits de lauze.
La vue de ces maisons paisibles et rassurantes
ramena son esprit vagabond à son but du jour, à ce
qui avait motivé ce déplacement imprévu, c'est à
dire cette visite à sa propre maison.
2Car pour l'heure il se rendait dans sa vieille
propriété perdue là-bas au fond d'une campagne
déserte, ignorée des grands chemins, sa vieille, si
vieille demeure solitaire, sans voisin au bout d'une
discrète route de terre.
Il fallait pour y parvenir, traverser champs et bois
sur plusieurs kilomètres avec pour seules
rencontres des lapins affolés, des renards dorés et
roux comme l'automne, des chauve-souris qui
rejoignaient leurs arbres dortoirs ou des chouettes
superbes qui s'éveillaient la nuit venue.
Son travail et ses activités de citadin l'avaient tenu
loin de cette ancienne bâtisse héritée plusieurs
années plus tôt de ses parents.
Il ne venait guère souvent, la route était longue
pour s'y rendre, il fallait faire un voyage de
plusieurs heures, et le confort que ce séjour offrait
était très succinct.
Il attendait avec espoir des jours de plus grand
aisance pécuniaire, pour entreprendre les travaux
qui risqueraient bien de se révéler incontournables
sous peu.
Lorsque la missive de la mairie du village lui
signala un problème urgent dans la maison, il fut
tout d'abord furieux.
Comment trouver le temps pour venir faire la
moindre des réparations ?
3Mais le message était clair, des taches
inexplicables apparaissaient sur les murs de la
façade, et il était impérieux que le propriétaire
vienne se rendre compte des risques de dangers
possibles que cela pouvait éventuellement
représenter.
Le service de la commune s'était fait insistant, car
il semblait que les taches s'étaient encore
agrandies dans les dernières semaines. Donc le
propriétaire de la maison s'était résolu par la force
des choses à aller assumer son rôle de responsable
du lieu.
C'est pourquoi luttant contre sa procrastination
naturelle, sa tendance à remettre au plus tard
possible certaines obligations, il s'était ce soir là
déplacé en voiture.
Sa rêverie durait depuis un long moment pendant
que le véhicule avançait toujours aussi lentement.
Les heures défilaient et les traits de lumière
avaient baissé en intensité, les couleurs perdaient
leur combat contre l'ombre.
Tout en dirigeant d'instinct sa voiture, il voyait les
arbres l'entourer de toutes parts, il traversait
maintenant une forêt épaisse qu'il avait du mal à
reconnaitre.
Il lui sembla que ce lieu lui était inconnu. Il
ressentit soudain un sentiment d'étrangeté qui
4détruisit tout à fait l'euphorie qui l'avait envahi
plus tôt pendant sa contemplation bucolique.
Il n'avait jamais remarqué que ce bois fût si grand
et que la route fût si étroite.
Il avait trop rêvé, ne s'était-il pas trompé de route
?
Il était soudain plus tendu, mais aussi en colère
contre lui-même. Voilà, se reprochait-il, je rêve et
je ne fais pas attention à ce qui m'entoure.
Il se disait qu'il allait devoir faire demi-tour, ce
n'était pas possible qu'il ne reconnaisse pas les
lieux !
La nuit était maintenant totale.
Un reflet de lune froide et blanche faisait sourdre
un malaise dans son ventre.
Mais où suis-je ? se répétait-il, et comment
tourner, comment retourner en arrière ?
Aucun lieu au bord de la route trop étroite ne
permettait un retournement.
Alors qu'après une longue distance parcourue, le
bord de la route offrait enfin un bas-côté
permettant une manœuvre, il s'apprêta à reculer.
Pour cela il engagea le véhicule face aux arbres et,
c'est alors que de façon tout à fait inattendue il se
retrouva face à un banc Napoléon et, un calvaire
c’est à dire une croix représentant Jésus crucifié,
qu'il reconnut immédiatement.
5A la vue de ce précieux point de repère il connut
alors bien plus de stupéfaction que de
soulagement.
Mais qu'est-ce qu'il fait là ce monument ? s'écria-
t-il ! je me croyais perdu, mais pourquoi je ne
reconnais rien autour de moi, pourquoi ?
Son esprit s'emballait et il lui semblait qu'il
perdait son calme, un sentiment progressif de peur
s'insinuait en lui, lentement.
Au moment où il décidait de quitter cette route, ce
signe de reconnaissance lui apparaissait pour
l'inciter à continuer, tout comme si la nature
environnante le retenait.
Maintenant il était rempli de crainte, il se sentait
effrayé par ces masses de végétation qui
l'emprisonnaient, il ne comprenait pas, perdait-il
l'esprit ? Il ne retrouvait rien de connu, il était
étranger à cette route qu'il avait pourtant
empruntée tant et tant de fois auparavant.
Sans en comprendre bien les raisons il continua
machinalement d'avancer, incapable de prendre
une décision, mais comme entrainé. Il poursuivit
son chemin que bordait un champ, puis un
interminable stère de bois empilés, puis un
bosquet touffu et noir. Et finalement, soudain
après le virage, apparut sa maison haute, seule,
sombre silhouette sur un ciel ténébreux.
6Et sous ses yeux plissés pour mieux transpercer
l'obscurité, il fixait la porte, les fenêtres, et le mur
de façade qui dans un rayon de lune blafarde se
montraient couverts de larges taches brunes
irrégulières.
Le spectacle était si étonnant, si inexplicable. Il
restait immobile, indécis, assis avec un sentiment
de stupéfaction qui faisait une fois de plus
remonter en lui une boule d'angoisse.
Mon Dieu, mais qu'est-ce que c'est que ce truc !?
Murmurait-il abasourdi.
Figé, il regardait la façade en attendant qu'une
réponse cohérente se crée dans son esprit. Il n'y
avait pas de raison, tout a une explication !
De nature plutôt cartésienne, il avait toujours
prôné des raisons concrètes à toute chose
paraissant surnaturelle. Les évènements lui
avaient d'ailleurs après analyse, toujours donné
raison.
Toutefois, il devait admettre que quelque chose
d'inhabituel se passait, dans cet endroit qu'il
connaissait si bien.
L'environnement même en pleine nuit, ne lui avait
jamais inspiré d'inquiétude. Au contraire, il
éprouvait chaque fois qu'il se mettait devant sa
porte, durant les courts séjours qu'il passait ici,
7une torpeur alanguie et un bien-être reposant qu'il
ne ressentait nulle part ailleurs.
En cet instant, il lui semblait qu'une petite
sonnerie vibrait dans son esprit, comme pour
l'informer de l'approche d'un danger.
Tous ses sens étaient en éveil.
Ses yeux cherchaient, essayant de percer
l'obscurité, l'anomalie, le petit détail lui
permettant de comprendre la raison de son
malaise.
Un long moment passa sans que rien ne se
produise, ni même que le moindre son ne
retentisse, en dehors de sa petite sonnerie
intérieure qui, d'ailleurs, allait en s'amplifiant.
Mais quelle suite à cette histoire vais-je bien
trouver ? Se dit-il, perplexe.
Quelque chose, soudain attira son regard.
Sans doute était-ce un effet de lune qui avait joué
sur la façade de la maison, entre la porte et la
fenêtre du salon.
Il fixa intensément la tache d'où était provenue la
mouvance et qui l'avait intrigué.
Il n'avait pas rêvé. Cette tache de nouveau émit
une petite lueur étonnante, faite d'émanations
spasmodiques, comme pour des signaux en morse.
La logique ne trouvant pas place dans ce qu’il
venait de voir, il ressentit plus de curiosité que
d'inquiétude.
8Avec prudence, il s'avança très doucement vers le
mur et tendit la main en hésitant.
Il effleura la tache avec deux doigts qu'il retira
soudainement, il s'attendait à sentir la fraîcheur
habituelle de la pierre rugueuse et il croyait avoir
touché une peau tiède !
Intrigué,
pensant
que
l'ambiance
l'avait
conditionné pour réagir bizarrement, il tenta de
nouveau l'expérience.
Il plaça sa main à plat, sur le muret, le temps de la
retirer de nouveau, une quantité de sensations
l'avait traversé.
C'était chaud, vivant, et cela émettait de faibles
vibrations irrégulières. Il fit brusquement un pas
en arrière et ne quitta plus des yeux cette tache qui
faisait bien plus que l'intriguer.
Il devait le reconnaitre, il avait une frousse qui
commençait à l'envahir !
Une petite vibration du mur. Il vit nettement la
tache
changer
de
forme
et
s'agrandir,
insensiblement mais suffisamment pour que ses
yeux, qui ne la quittaient pas, aient saisi la
différence.
C'est alors qu'il remarqua que d'autres taches, sur
le mur, subissaient la même métamorphose. Une,
plus grande que les autres, au ras du sol, attira
plus particulièrement son attention.
9S'accroupissant, il en étudia l'apparence.
Il pensa aussitôt à un métal. Du chrome, peut-être.
Il avança lentement son index et se risqua de
nouveau à l'effleurer. Il éprouva la même
sensation de chaleur et de contact d'une peau.
La curiosité l'emporta sur la prudence et il appuya
fortement son doigt sur ce qui semblait être du
métal. Stupéfait, il constata que son doigt
s'enfonçait, comme dans un ballon peu gonflé !
Il retira sa main puis recommença de nouveau. Le
résultat fut identique.
Il se redressa lentement et se mit à réfléchir.
-" Soyons positif, se dit-il. Il doit s'agir d'une
forme de transformation de la pierre, due à
l'humidité, en rapport avec un domaine de la
chimie que j'ignore totalement".
Il est vrai que la chimie et la géologie étaient deux
matières dont il se fichait souverainement.
Il resta un moment, songeur, à observer les taches
métalliques qui très lentement se mouvaient sur le
mur, avec leur étrange variation de tons lumineux.
Une petite démangeaison à la cheville le fit se
pencher, instinctivement, pour se gratter. Une fois
encore, il se figea de stupéfaction et, sans doute de
peur naissante.
Sa main venait de se poser sur une chose molle et
visqueuse qui vivait et qui lui encerclait la
cheville !
10En un mouvement brusque il fit un saut en arrière,
s'arrachant à l'emprise de ce qu'il pensa être une
plante grimpante quelconque. Il fixa la chose des
yeux et crut qu'elle se tordait pour se diriger à
nouveau vers son pied.
À cet instant, la lune réapparut de derrière la
barrière de nuages qui l'avait dissimulée durant un
moment.
À la lueur sinistre de ce clair de lune, il eut un
moment d'interrogation. N'était-il pas en train de
faire un mauvais rêve ? Ce n'était pas possible !
Qu'est-ce que c'était, toutes ces plantes qui
sortaient du sol, tout autour de lui, semblant
vouloir se diriger vers sa personne ?
Cette fois-ci, un frisson glacé lui parcourut
l'échine et il sentit nettement une douleur lui
envelopper le crâne. Il avait la sensation que ses
cheveux se dressaient, tout raides sur sa tête. Il vit
que sa voiture semblait inaccessible, car encerclée
par de nombreuses plantes.
Cette fois-ci, la logique et le raisonnement ne l'ont
pas embarrassé.
Il sentit qu'il devenait vital qu'il se mette à l'abri.
D'un geste vif, il s'empara de ses clés, dans la
poche de son manteau et se précipita vers la porte
qu'il ouvrit en se reprenant plusieurs fois, tant ses
gestes étaient fébriles et nerveux. La porte s'ouvrit
sans un grincement, et il n'eut que le temps
11d'enjamber l'entrée. Déjà, il sentait de nouveau un
désagréable contact sur ses chevilles.
Affolé, il claqua la porte derrière lui et ressentit le
besoin de s'y adosser, comme si les étranges
plantes avaient l'intention de la forcer.
Il chercha de la main le tableau électrique qu'il
savait se trouver sur sa droite. Il dénicha le
disjoncteur et l'enclencha nerveusement. Il toucha
aussitôt l'interrupteur de l'entrée et l'actionna.
Rien, pas de lumière.
La peur, l'angoisse le saisirent et, fébrilement, il
recommença l'opération. Il comprit qu'il n'aurait
pas de lumière et resta immobile pendant que la
vraie peur s'infiltrait dans tout son être, le
tétanisant, lui bloquant la respiration.
Il réalisa alors toute l'horreur de sa situation, le
pire étant qu'il n'avait pas la moindre idée de ce
qui venait de se produire.
Dans l'obscurité la plus totale, dans le silence le
plus absolu, il eut l'effroyable sensation d'être
observé.
Cependant, il ne faisait pas noir qu’à l’intérieur.
La clarté que la lune créait auparavant sembla
disparaitre peu à peu. Il décida de regarder à
travers une fenêtre pour voir ce qui se passait. Et
il vit que les végétaux formaient une sorte de
dôme autour de la maison. Il n’était en fait plus
12tout à fait sûr que ce fût une plante. On aurait dit
un fluide métallique qui s’unissait pour lui faire
une prison. On pouvait voir quelques trous dans la
toison. Avec le temps, ils se faisaient beaucoup
plus rares et plus petits.
La maison était dorénavant complètement
enveloppée. L’homme se sentit profondément
claustrophobe. L’air semblait se faire moins
présent. L’atmosphère devenait fraiche. Il se mit à
grelotter. Il dut alors s’asseoir, car il sentait une
pression opprimer son corps. Ses oreilles lui
faisaient très mal. Il se sentit forcer de se coucher
tellement la puissance qui s’acharnait sur lui était
dure à soutenir. Il aurait voulu crier, mais ses
cordes vocales semblaient avoir perdu leurs
fonctions. L’impuissance et la vulnérabilité qu’il
ressentait créaient une terreur qu’il n’avait jamais
vécue auparavant.
La maison sembla devenir la proie de terribles
tremblements. Il pouvait entendre un bruit sourd
et étouffé au-dehors. La maison tremblait
tellement qu’elle semblait vouloir exploser. Le
froid passait à une chaleur très intense. Il se sentit
comme dans un four crématoire. Des fenêtres on
pouvait
voir
une
lumière
jaune-orange
13incandescente. L’homme croyait vraiment qu’il
allait mourir.
Et puis le calme vint. Plus de tremblements, plus
de bruits, plus de pression, mais seulement une
température ambiante tiède. Il osa se lever
lentement. Avec crainte, il alla voir au-dehors. Ce
qui était le dôme sembla se dissiper. On ne voyait
toujours pas la lune. Le décor avait été modifié.
Les plantes vivantes semblant avoir changé d'avis,
ne formaient plus un dôme mais un stupéfiant mur
très élevé qui semblait avoir pour dessein
d'empêcher toute approche.
Quoi qu'inquiet Luc (c'est le prénom de notre
personnage, il serait temps !) s'approcha
craintivement du mur de végétation d'où suintait
une bave écœurante.
Il n'avait pas encore soulevé une main que des
tentacules menaçants se dressaient vers lui en
émettant un chuintement aigu.
"Tiens, se dit-il, elles suintent et elles chuintent ! "
Ce qui prouvait que malgré tout il n'avait pas
perdu le sens de l'humour.
Faisant hâtivement un pas en arrière, il savait
maintenant qu'il était définitivement prisonnier
dans l'enceinte de la maison.
14Il n'avait d'autre solution que de retourner dans
cette demeure, aussi peu accueillante qu'elle fut.
Sitôt rentré, il ferma la porte à double tour, par un
réflexe bien inutile.
Le noir absolu régnait autour de lui et la sensation
d'être épié était toujours aussi acérée.
Connaissant bien les lieux, il se dirigea à tâtons
vers le meuble living, dans le salon. Toujours à
tâtons, il trouva la lampe de poche rangée dans un
tiroir. Sa lumière remplit l'espace et, durant un
instant, il imagina que tout était normal. Mais
juste un instant ; un bref instant.
Ses yeux furent aussitôt attirés par les larges
plaques métalliques qui couvraient une grande
partie des murs à l’intérieur de la bâtisse, se
dirigeant aussi vers le plafond.
Cette situation insensée lui bloquait toute faculté
de réflexion, si ce n'était qu'il réalisait
parfaitement que la faim le tenaillait depuis un
moment.
Avant toute chose, il pensa à atteindre et à allumer
la vieille lampe à pétrole qu'il conservait plutôt
comme éclairage d'ambiance, quand l'opportunité
se présentait.
Aussitôt, il songea à Nathalie qui devait arriver
après-demain. Qu'adviendra t'il d'elle ?
15Il se mit alors à préparer, à l'aide de son stock de
conserves et de son petit réchaud à alcool, quelque
chose qui au moins calmerait sa faim.
Il fut surpris de son appétit. La peur ne le quittait
pas mais, étrangement, il semblait s'y accoutumer.
C'est plus tard, en rangeant un tant soit peu autour
de lui, qu'il aperçut une bouteille de whisky qu'il
conservait là, au même titre que sa lampe à
pétrole.
Il n'avait ni l'habitude ni le goût de l'alcool, mais il
se dit que cette soirée était une excellente raison
de commencer.
Se sentant las, brusquement, il se laissa tomber
sur le sol, adossé au mur, la bouteille à la main.
Tout en réfléchissant à sa situation aussi absurde
qu'incroyable, il déboucha la bouteille et, aussitôt
avala une longue lampée.
Il eut l'impression d'avoir le feu à la gorge et se
mit à tousser. Il recommença à boire, mais plus
lentement, par petites rasades.
Il ne fallut pas longtemps avant que l'effet de
l'alcool se fasse sentir. Contrairement à ce qu'il
espérait, Luc ne trouva aucun apaisement dans
son début d'ivresse.
Désespéré plus que jamais, il se remit à boire,
cherchant le fameux oubli dont il avait tant
entendu parler.
16Il ne sut jamais à quel stade il s'était effondré sur
le côté, dans une sorte de coma qui, au moins, lui
épargnait son étrange réalité.
A l'extérieur :
Un oiseau de nuit contemplait cet étonnant
rempart hérissé de branches menaçantes, comme
pour abriter l'énorme objet en forme d'obus qui se
dressait au centre, en émettant d'étranges lueurs
spasmodiques, comme pour émettre un message
vers l'inconnu.
La lune disparut de nouveau, rendant plus réelles
ces zébrures électriques.
Luc s'éveilla, surtout à cause de la douleur
lancinante qui lui tenaillait la tête.
La situation lui revint en mémoire, dure et sans
pitié.
Quand il ouvrit enfin les yeux, il fut stupéfait. La
nuit était toujours aussi profonde.
Un coup d'œil à sa montre lumineuse lui apprit
qu'il était près de neuf heures du matin !
Pas un seul rayon de clarté entre les lattes des
volets, pas une seule lueur provenant des diverses
petites ouvertures de la maison.
Sidéré, il retrouva à tâtons sa lampe de poche et
l'alluma.
17Il resta figé, la bouche béante, les yeux
écarquillés.
L'intégralité de la maison était tapissée d'une
couche de ce métal qui l'avait tant intrigué !
Plus une seule fenêtre, plus de porte, de bouche
d'aération. Rien d'autre que cette surface chromée
qui avait pris toute la place. Il se redressa
difficilement, faisant fi de ses douleurs de tête, et,
voulant s'appuyer sur le dossier d'une chaise, il
s'aperçut alors que celle-ci était rivée au sol.
Quelques instants plus tard, il constatait qu'il en
était de même pour tout ce qui se trouvait dans la
maison.
Et ce fut en balayant la pièce avec le rayon de sa
lampe qu'une chose impossible se montra à ses
yeux.
Une trappe était ouverte dans un coin du salon.
Après un long moment, il s'en approcha, en même
temps qu'une très faible lueur sembla émaner de
cette trappe. Il aperçut les premières marches
descendant vers les entrailles d'un épais mystère.
Parvenu à ce stade de son aventure, Luc se fit la
réflexion que si personne ne venait changer le
cours de celle-ci, elle devrait inexorablement se
terminer comme Bacchus l'a prémédité, ce qui ne
serait pas forcément une histoire en happy end !
18Deux possibilités s'offraient à lui, ou il se dirigeait
vers la trappe pour la refermer. Dans ce cas,
Bacchus, bien embêté, serait bien dans l'obligation
d'attendre que quelqu'un s'occupe de lui d'une
manière différente, puisque Bacchus, en ouvrant
cette trappe, avait très certainement une idée
derrière la tête ! Ou bien il se dirigeait vers la
trappe et, après une longue hésitation que chacun
comprendrait
certainement,
se
déciderait
peureusement à se hasarder sur cet escalier, ce que
Loriane, tout en le redoutant, espère secrètement,
quitte à passer une nuit cauchemardesque, ses
deux toutous pressés contre son flanc tremblant.
Perdue aux confins de ces deux possibilités, on
peut toutefois entrevoir une troisième, parfois
utilisée en cinéma : un remake de la fin du film,
selon des goûts différents.
Ça c'est une idée qu'elle est bonne, s'est dit
Bacchus,
souvent
à
l'unanimité
lorsqu'il
s'interpelle in petto.
Voilà pourquoi bien qu'il meure de trouille, Luc
s'avança très lentement vers cette angoissante
trappe, se demandant bien inutilement d'ailleurs,
comment une trappe pouvait se trouver là
puisqu'il savait fort bien qu'il n'y avait même pas
de vide sanitaire.
19Il mit un temps infini à s'approcher de cette
étrange trappe. Il sentait une coulée de sueur
glacée qui lui coulait le long de l'épine dorsale. Il
savait qu'il devrait tout au contraire, s'éloigner le
plus possible de cet endroit qu'il sentait maléfique,
pour autant qu'il puisse y avoir un endroit plus
maléfique qu'un autre dans cet antre du diable.
Il se retrouva au bord de l'ouverture. Au fur et à
mesure qu'il s'était rapproché du bord, la lueur qui
émanait des profondeurs s'était insensiblement
accrue.
Il avait une vue plongeante sur l'escalier. Son
cerveau enregistra quelque chose qui ne l'étonnait
même plus. Tout était intégralement coulé dans la
même matière que celle des murs, du plafond, du
plancher et, il en était persuadé, que tout
l'ensemble extérieur de la maison.
Une
vibration
à
très
basse
fréquence,
pratiquement inaudible, prit le contrôle de son
esprit. Ce fut donc dans un état second qu'il posa
un pied sur la première marche. Il y a des
premiers pas dans la vie de tout homme, qui on se
plait maintenant à appeler ' l'effet papillon '.
Luc ne pouvait savoir la véritable portée de ce
premier pas.
A l'instant même où son pied se posait sur la
première marche, il ressentit une vibration lui
20remonter le long de sa jambe. Il en fut de même
pour le deuxième ainsi que tous les autres pas qui,
marche après marche, le faisait disparaitre dans la
trappe, jusqu'au moment où ses yeux ne purent
plus voir le sol de la pièce qu'il venait de quitter.
La trappe se referma brusquement. Surpris, Luc
leva la tête et constata que plus rien ne subsistait
de la découpe de la trappe, uniformément noyée
dans la masse métallique qui l'environnait. Il se
sentait maintenant inexorablement attiré vers le
bas de cet escalier, bien qu'il fût très conscient
qu'un danger immense le menaçait.
Pas après pas, vibration après vibration, il
s'enfonçait vers le cœur de son destin. Il lui
semblait que cet escalier n'aurait jamais de fin.
Et puis il distingua l'approche du seuil d'un palier.
Malgré tout, la curiosité, mêlée de crainte, lui
mordit les tripes.
Il se trouvait maintenant sur ce palier. Il s'arrêta et
jeta un regard circulaire sur ce qui l'entourait. Il se
trouvait dans un cube de trois mètres, entièrement
du même métal que tout le reste avec. Dans le
centre de la pièce il y avait une sorte de relief en
forme de fauteuil aux courbes arrondies. Et rien
d'autre. Rigoureusement rien d'autre.
Il avança d'un petit pas dans cette étrange pièce et
il entendit un léger bruit derrière lui, qui le fit
21retourner nerveusement. L'entrée menant à
l'escalier venait de disparaitre. Il se trouvait
maintenant dans un espace très restreint, sans
aucune possibilité de s'échapper, de faire marche
arrière, de choisir une solution quelconque.
Il resta debout, hébété, l'esprit bloqué, bouche et
yeux grands ouverts.
Un très long moment se passa.
Quand il reprit enfin ses esprits, il s'aperçut qu'il
n'avait qu'une seule chose sur laquelle poser son
regard, cette chose qui ressemblait vaguement à
un fauteuil. Il avait beau chercher, il ne trouvait
aucun autre détail qui aurait pu arrêter le regard.
Le temps passait. Il n'en avait plus la notion.
La fatigue se faisait maintenant sentir et il
envisagea, bien à contrecœur de s'installer sur ce
fauteuil, puisque rien d'autre ne lui était possible.
A l'instant même où son corps s'affaissait sur le
siège de métal, il n'eut pas le temps de se rendre
compte que le métal épousait parfaitement les
formes de son corps, douillettement même. Ses
membres se trouvèrent emprisonnés par des liens,
de métal bien entendu, sortis comme du néant.
Bien que n'éprouvant aucune gêne, Luc était
totalement immobilisé, ne pouvant bouger que ses
doigts.
22C'est en les agitant qu'il sentit quelque chose qui
venait de surgir, sous les doigts de sa main
gauche.
En abaissant son regard, il vit une sorte de
bouton-poussoir, juste sous son index.
Il comprit aussitôt que l'entité, qui régnait sur lui
et toute chose de la maison, avait décidé que lui
seul prendrait la décision d'agir sur ce bouton. Luc
se demanda quelle raison pouvait justifier ce
semblant d'autonomie, dans la mesure où son avis
n'avait pas été sollicité, jusqu'à présent.
Il se passa plusieurs heures durant lesquelles Luc
passa en revue toutes les hypothèses se présentant
à son esprit. Bien sûr, il n'avait aucun choix et,
finalement, il se dit que, si ' on ' en avait voulu à
sa vie, il y a longtemps que son sort aurait été
réglé.
Il retarda autant qu'il put la pulsion qui le poussait
à appuyer, jusqu'au moment où il fit le geste,
presque sans s'en rendre compte.
Un effrayant bruit de sirène l'environna aussitôt,
en même temps que de très puissantes vibrations
se mirent à agiter le fauteuil et toute la masse
l'environnant.
23À l'extérieur :
La nuit tombait une nouvelle fois sur l'inquiétante
clairière. L'oiseau de nuit s'enfuit à tire d'aile
lorsque le cône métallique, auquel il était en train
de s'habituer, sembla entrer en fusion, d'une
flamme d'un blanc éblouissant, pendant que la
clairière entière se mettait à vibrer et que
lentement, le cône sortait de terre, mettant à jour
un long tronc uniforme.
Il y eu un brusque éclair et puis plus rien. La nuit,
le silence reprirent possession des lieux.
La haie de plantes vivantes sembla s'affaisser sur
elle-même, se rabougrit pour disparaitre petit à
petit.
Au centre de la clairière, il n'y avait plus la
moindre trace de l'existence d'une maison ayant
pu se trouver à cet endroit. Seul un profond
gouffre pouvant donner à croire qu'un
affaissement de terrain s'était produit ici même.
À des millions d'années-lumière :
Dans les confins d'une galaxie ignorée des
hommes, sur une planète aux caractéristiques hors
des normes de notre imagination, des formes
24translucides se déplaçaient sous une coupole
gigantesque. Elles se mouvaient avec une lenteur
telle que des yeux humains les verraient à peine se
déplacer. La valeur du temps prend les
dimensions que le temps veut bien lui donner. Les
formes se déplaçaient autour de milliers d'images
holographiques parvenant de tous les coins des
galaxies les plus reculées.
C'était les images de toutes les sondes en retour de
mission qui, dès l'instant de leur décollage, étaient
prises en charge par les circuits de guidage.
L'image holographique d'une étrange planète
bleue apparut quelque part sous la coupole. La
sonde avait l'énorme intérêt de ramener,
évènement rarissime, une chose vivante se
trouvant sur la planète visitée. Cette chose était
maintenue en sommeil durant l'interminable
voyage qu'elle avait commencé.
Vingt ans plus tard.
Faith gara sa voiture entre les deux saules qui se
trouvaient là. Elle ôta ses lunettes de soleil, et, du
haut de ses vingt ans, elle jeta un dernier coup
d'œil à la carte dépliée sur ses genoux. Ainsi,
c'était ici. La verdure avait à peu près tout
recouvert, mais il subsistait la trace d'un cratère
assez impressionnant par terre.
25Sa mère, Nathalie, était enceinte d'elle quand elle
l'avait vu pour la première fois, et elle n'y était
jamais retournée. Depuis, elle avait élevé seule la
fille de Luc, Faith, et avait tenté d'oublier cette
histoire. Mais Faith ne l'entendait pas de cette
oreille : elle avait eu un père un jour, et s'il avait
disparu de la vie de sa mère avant même qu'elle
ne vienne au monde, il ne l'avait pas fait
volontairement. Faith croyait dur comme fer qu'il
avait été assassiné, ou enlevé, mais certainement
pas parti. Sa maison d'enfance avait disparu aussi,
et une demeure ne s'évapore pas en un claquement
de doigt. Faith était convaincue qu'il y avait une
histoire sordide derrière tout ça.
Faith repoussa tout son fourbi sur le siège
passager, et quitta l'habitacle. Brune, grande et
élancée, elle avait la beauté de sa mère et la
vivacité de son père. Elle marcha jusqu'aux
fondations de la maison, en partie épargnées par.
Par quoi ? Là était la question. Nathalie lui avait
dit que c'était là la dernière fois qu'elle l'avait vu.
Une bien maigre piste.
Faith s'accroupit. Elle avait marché sur quelque
chose de mou et écœurée, elle s'était arrêtée.
La jeune femme s'était figée en découvrant ce sur
quoi elle avait mis le pied. On aurait dit un
lambeau de peau, lisse et grise avec des tons
26rosés. Elle fit trois pas en arrière, et regarda autour
d'elle. Un hululement sinistre lui fit lever les yeux.
Elle eut la surprise de découvrir une chouette,
perchée sur la branche du saule sous lequel elle
avait garé sa voiture. Un oiseau de nuit, en pleine
journée ? L'animal sembla la dévisager, puis
déplia les ailes et s'en fut majestueusement. Faith
secoua la tête. Ce n'était que son imagination,
voilà tout.
Elle se dirigea de nouveau vers ce qui restait de la
maison, c'est à dire la base, le plancher et ? Un
immense trou dans le sol. Il semblait s'enfoncer
loin sous la terre, mais en pente suffisamment
douce pour être dévalée sans trop de risques.
Décidée, la jeune femme retourna à sa voiture, et
se munit de la lampe torche qu'elle avait prise au
cas où. Elle se félicita de sa prévoyance, tout en
revenant sur ses pas.
De là où elle était, ce trou bizarre lui paraissait
d'un lugubre sans nom. Elle inspira profondément,
et murmura : « C'est pour toi, papa, alors ne me
laisse pas tomber, d'accord ? », avant de
descendre.
On aurait pu comparer cela à une descente aux
enfers. Plus elle s'enfonçait, et plus l'air devenait
27lourd, et plus la lumière baissait. Elle alluma sa
torche, quand soudain son pied glissa sur quelque
chose. La même matière que tout à l'heure. Elle
dégringola le reste de la pente, criant tout en
gardant la précieuse lampe torche serrée dans ses
bras. Qui sait ? Ce serait peut-être la dernière
source de lumière qu'elle verrait jamais. Alors
qu'elle se relevait avec peine, toute crottée de
boue et d’autre chose, elle maudit sa curiosité.
Deux, trois tapes sur sa torche, et celle-ci accepta
de s'allumer, au grand soulagement de sa
propriétaire.
Soulagement de bien courte durée. Un peu de
cette même matière qu'elle retrouvait partout était
incrustée dans les parois boueuses, comme si.
Comme si quelque chose d'énorme et constitué de
ce matériau s'était délogé de son écrin d'argile.
Elle secoua la tête. Tout ceci devenait absurde,
illogique, irrationnel. Elle détestait l'irrationnel,
elle qui trouvait réponse à tout.
Quitte à rester coincée sous terre, autant trouver
un moyen de s'en sortir, songea-t-elle. Sa fidèle
lampe lui dessina un chemin. Elle évolua dans les
ténèbres quelques minutes, ou des heures, peut-
être, quand une autre lumière, bien plus intense,
jaillit des entrailles de la terre. Une lumière
bleutée, aveuglante. Elle coupa net sa lampe et
28s'accroupit, le cœur battant à cent à l'heure, priant
pour que la chose, quoi qu'elle fût, ne la trouve
pas.
Rien ne venait. Intriguée, Faith osa mieux
regarder. La lumière ne semblait pas bouger,
plutôt figée. Elle se releva laborieusement, et s'en
approcha. Peut-être qu'elle découvrirait ce qui
était à l'origine de la disparition de son père et de
sa maison, finalement.
Luc flottait, il savait que son corps avait perdu de
sa matière. Il était désincarné, sans masse,
habitant d'une lumière blanche et douce. Il avait
depuis longtemps perdu la notion du temps passé.
Les loriens l'avaient enlevé à son monde depuis de
longues minutes-lumières et son arrachement ne
pesait pas sur son esprit. Il était paisible, sans
révolte.
Il avait reçu le savoir de son aventure par le même
moyen que tous les habitants de cette planète,
simplement par communication sensorielle dans
son esprit.
Il avait obtenu par le même truchement tous les
renseignements qu'il put désirer sur son nouveau
lieu de résidence forcé, sur les raisons de son
enlèvement.
29Sur la transformation de sa maison en navire
spatial par les soins des loriens qui avaient
soigneusement préparé ce départ. Il savait
maintenant comment avait été commandé à son
insu l'intervention de Bacchus qui devait ouvrir la
trappe, et le dirigeait vers l'escalier menant à la
salle de contrôle.
Depuis des millénaires les émetteurs fouillaient le
cosmos à la recherche du sauveur de leur monde.
La planète Loria était cent fois plus grande que sa
petite planète bleue d'origine, trois énormes lunes
de couleurs différentes gravitaient autour d'elle.
La plus petite Amme était rouge, remplie de
métal, de cuivre, d'argent, de magnésium, de zinc,
de silicium, d'or, de nickel. Elle était la réserve
des richesses des loriens, et s’avérait souvent
utilisée pour ses capacités de transmission des
ondes.
La deuxième lune, deux fois plus grosse
qu’Amme, se nommait Gaïania. C'était un superbe
objet céleste, elle était presque aussi bleue que la
Terre, comportant essentiellement de l’eau et des
vies animales. Elle se composait de carbone, et
elle portait des vies extraordinaires, des plantes
fabuleuses dont un arbre précieux pouvant
atteindre cinq cents mètres de hauteur.
30Sur une orbite bien plus haute dans le ciel mais
beaucoup plus grosse que les deux autres satellites
de Loria, tournoyait à grande vitesse Zyrpho, la
troisième lune, qui scintillait de tous les feux de
l'univers. Zyrpho était composée de diamant pur,
cet énorme morceau de carbone s’était formé dans
un système cristallin cubique au moment de la
formation de Loria et sous l'effet que la puissante
pression que cette naissance provoqua.
Depuis l'espace, Seule Zyrpho était visible, son
rayonnement puissant troublait les ondes et
dissimulait en partie la planète et ses deux autres
lunes.
Loria et ses habitants diaphanes tournoyaient en
paix au centre de leur galaxie. Depuis des millions
d'années la vie se développait avec harmonie, et
rien n'avait laissé présager le drame qui menaçait
ce peuple paisible aux capacités cognitives si
développées.
Eux qui avaient maîtrisé les passions, les
violences, eux qui avaient développé leurs
connaissances et leur sagesse avaient vu
inéluctablement leur race se perdre. Un germe
venu probablement de l'espace avait perturbé leur
patrimoine génétique et se propageait, détruisant
un à un leurs chromosomes et faisait disparaître
leur génome.
31Des désordres mentaux se multipliaient chez les
nouveau-nés.Beaucoup d’enfants loriens
régressaient, devenaient agressifs et stupides. Les
maladies les plus diverses se manifestaient et la
société toute entière se détériorait.
Devant ces menaces les loriens s'étaient résolus à
déporter les individus les plus atteints sur Gaïana.
Mais tous savaient que c'était là une solution
d'urgence insatisfaisante.
Aussi lorsque le principal Compuct, nourrit du
plus savant algorithme de recherche d'humain,
découvrit la présence du génome-médicament,
perdu sur un petit caillou bleu, d'un tout petit
système solaire, à la périphérie de la Voie Lactée.
L'espoir emplit la communauté encore saine de
Loria.
Le patrimoine génétique de Luc allait tous les sauver.
Depuis sa capture, les loriens avaient commencé
sans tarder les prélèvements et le traitement de
leurs cellules souches avait dépassé tout ce que
l'espoir leur permettait.
Luc possédait dans ses cellules un pouvoir de
restauration de leur patrimoine, de leur vie.
Luc flottait et sentait son esprit lui transmettre la
vision de Faith.
32Faith cette merveilleuse personne, sa fille, l'enfant
que Nathalie lui avait donné, cette merveilleuse
enfant qu'il avait découvert en même temps que
son enlèvement. Il la voyait dans les décombres
de la maison, elle cherchait son père, il sentait son
désir de le retrouver, malgré son état indolent il
était ému.
Et voilà qu’il venait d'avoir la confirmation que
Faith portait un patrimoine génétique intéressant
pour la recherche médicale. Et que donc elle était
aussi un élément essentiel à la survie, l'espoir,
l'avenir de tous les loriens.
Les loriens avaient besoin de Faith, car Luc
bien qu’il ait permis des avancées médicales,
n’avait engendré des espoirs de guérison que pour
une partie des maladies physiques et mentales
dont les loriens souffraient. Le peuple
extraterrestre espérait que d’autres pistes de
recherche s’ouvriraient à eux, grâce à Faith qui
possédait des gènes ressemblants à ceux de son
père, mais quand même différents de par
l’influence maternelle.
Toutefois il y avait des loriens qui ne
voyaient pas d’un bon œil, le processus de
guérison entamé par les médecins et les
chercheurs de Loria, il s’agissait des membres du
clergé supérieur d’Asclépias le dieu de la
33médecine. La dégénérescence des loriens les avait
poussés à se tourner vers la prière et, ceux qui leur
promettaient la guérison. Arthos le fondateur du
culte d’Asclépias avait eu la joie de voir son petit
culte, dont on se moquait à ses débuts, devenir la
première force politique et économique de Loria.
90% des loriens sont devenus des asclépiastes, et
la transformation de la démocratie lorienne en
théocratie, un régime où le pouvoir politique est
détenu essentiellement par les prêtres est en bonne
voie.
Seulement il y a deux grains de sable qui
contrarient les projets ambitieux d’Arthos, Luc et
Faith. Si la fille est aussi efficace que le père du
point de vue thérapeutique, les loriens souffrant
de maladies physiques ou mentales seront
beaucoup moins nombreux. Résultat ils seront
moins incités par les circonstances à se tourner
vers le clergé asclépiaste. Arthos se demandait
quoi faire, alors il était allé consulter son âme
damnée Rachelieu.
Arthos dit : - Le culte d’Asclépias après une
période de triomphe, commence à décliner. As-tu
une idée à me suggérer ?
34Rachelieu répondit : - Pour maintenir élevé le
nombre de fidèles asclépiastes, il faut tuer Luc et
Faith.
- Si l’on découvre que j’ai commandité
l’assassinat de deux des plus grands espoirs de
guérison des loriens, cela causera un scandale
retentissant dont le clergé d’Asclépias ne se
relèvera pas.
- N’ayez crainte votre sainteté je connais un tueur
extrêmement sûr, la référence en matière de
meurtre. Il a rempli avec succès toutes les
missions qui lui ont été assigné, il n’a jamais
connu l’échec, depuis qu’il a atteint l’âge adulte.
- Quand même cela me navre de devoir recourir à
une solution extrême qui risque de causer la mort
de millions de loriens. Il n’y a vraiment pas
d’autre option que la tuerie d’après toi ?
- La maladie est notre fonds de commerce, si les
loriens se mettent massivement à guérir, ils se
détourneront du culte d’Asclépias.
- Nous même prenons des risques vis-à-vis de
notre existence, si Luc et Faith meurent, et que
nous sommes contaminés par la mort verte ou la
grippe mauve, nous risquons d’y rester.
- En tant que favoris d’Asclépias nous n’avons
rien à craindre des virus et des bactéries. En plus
notre foi sincère préserve nos familles et nos amis
de la maladie.
35- Tu as parfaitement raison Rachelieu, très bien je
te donne carte blanche.
L’assassin dont Rachelieu a demandé les services,
exigea dix millions de zols, soit une somme
suffisante pour pouvoir payer la construction d’un
vaisseau spatial ultra-moderne, pouvant contenir
des milliers de passagers. Il faut dire qu’il est le
meurtrier le plus doué de génération, il s’appelle
Ravilloc. Il est né sur la planète Aride, un endroit
où il pleut une fois tous les six mois. Les aridiens
survivent en buvant de l’eau souterraine. La
plupart d’entre eux ont des aptitudes de sourcier
très développées, ils détectent avec une grande
facilité les endroits où creuser afin de faire jaillir
de l’eau. Les aridiens sont un peuple de guerriers,
dès leur plus jeune âge les enfants d’Aride sont
initiés au maniement de l’arme blanche, des
pistolets lasers, à la stratégie, à l’empoisonnement
etc. Ravilloc a commencé à devenir une légende
dès l’âge de dix ans. Il a battu le jour de son
dixième anniversaire, Cid Jarnor, un guerrier
réputé qui avait enchaîné plus de cinq cents
victoires lors de duels au couteau. Les loriens sont
un peuple pacifique, ils n’ont pas des dispositifs
de sécurité très développés, tandis que Ravilloc
est un expert pour se faufiler sans se faire
remarquer dans des lieux extrêmement bien
36gardés. En plus Luc est dans un endroit faiblement
sécurisé, ses jours semblent comptés.
Ravilloc savait qu’il était aisé de tuer Luc. Son
esprit d’assassin avait déjà combiné tous les
scénarios possibles, tout en faisant attention à ne
pas laisser ses pensées décryptées par les loriens
dont les antennes extrasensorielles étaient
constamment en alerte. Il sentait la méfiance des
loriens à son égard, pacifistes certes, mais aussi
passablement xénophobes ! Les habitants de Loria
se pensaient meilleurs car ils avaient réussi à
maitriser toutes leurs passions, mais ils avaient
cette tare terrible issue du sentiment de supériorité
! C’était détestable, la façon dont les loriens
traitaient les aridiens, ainsi que les autres races
avec cette passion désincarnée d’honnêtes
botanistes, méprisant des cultures millénaires,
reléguant tout ce qui n’était pas eux au rang de
plantes ou d’animaux.
Ravilloc les haïssait ! Il comprima en lui une
bouffée de haine alors qu’il dépassait un groupe
de citoyens loriens qui le saluèrent avec des gestes
d’une lente politesse.
Oui, tuer Luc serait d’une facilité transcendante.
Les loriens n’avaient pas d’armes, l’état de
béatitude dans lequel ils avaient plongé Luc
37depuis près de vingt ans l’avait rendu mou et lent.
Ses muscles s’étaient atrophiés. Ravilloc l’avait
vu plusieurs fois en public, il avait été surpris de
la ressemblance quasiment physique qu’il
ressentait entre ce malheureux humain et les
loriens.
S’en prendre à Faith sera nettement plus difficile.
Devait-il attendre qu’elle soit rapatriée sur Loria ?
Devait-il aller la chercher sur Terre ? Le meurtre
de Luc allait déclencher l’alerte. Ravilloc décida
qu’il devait attendre patiemment l’arrivée de
Faith. Il y aurait d’émouvantes retrouvailles entre
le père et la fille. Là, l’assassin frapperait vite et
fort. Un double meurtre, puis il disparaitrait dans
la nature. Les millions de zols qu’il avait en sa
possession assureraient sa fuite vers Aride, ou
vers une autre planète où les loriens n’avaient
aucun contrôle, en dépit de l’idée qu’ils se
faisaient de leur toute puissance.
Ravilloc rejoignit le taudis des bas-fonds de la
ville lumière dans lequel il avait établi son
quartier général. Là, il s’assit sur la couche
minable de sa chambre. Il pensa un instant qu’il
était à présent millionnaire. L’ironie de cette
pensée le fit sourire. Il joignit ses deux mains aux
longs doigts agiles, semblables à des crochets et
38adressa ses prières aux anciens dieux d’Aride.
Débarrassé de sa haine par sa prière, Ravilloc
sentait à présent couler dans ses veines une froide
résolution.
Du côté de la fille :
Son cœur battait à tout rompre. Qu'est-ce que
cette lumière bleue ? D'où elle était, elle entendait
pulser comme un cœur gigantesque. Faith inspira
et expira lentement, pour se calmer. Puis, elle prit
son courage à deux mains, et bondit hors de sa
cachette. Il ne se passa strictement rien.
Méfiante, mais rassurée quand même, la jeune
femme continua d'avancer vers cette mystérieuse
chose. Elle se souvenait de tous les livres et les
films de science-fiction qu'elle avait vus, et ce
long tunnel aux parois lisses et luisantes lui
paraissait tout sauf humain, sauf connu.
Les petits hommes verts lui vinrent à l'esprit, mais
elle repoussa l'idée avec un soupçon d'incrédulité
mêlé à un zeste de crainte. Et s'il s'agissait
effectivement d'une chose venue d'une autre
galaxie ? Rien qu'elle eut jamais vu ne ressemblait
à ça. Et, elle n'était pas au bout de ses peines.
Elle crut rêver quand elle trouva l'origine du
ronronnement qu'elle entendait, de l'éblouissante
39lumière bleue qui la guidait. Un magma visqueux,
étincelant et ondoyant comme la surface d'un lac
sous un rayon de soleil, flottait à environ un mètre
du sol. Derrière, il n'y avait plus rien. C'était ici
que le tunnel prenait fin. Découragée, Faith tomba
sur ses genoux. Il se passa alors quelque chose
d'étrange. Elle sentit comme un contact, froid et
doux, agréable. Elle releva vivement les yeux : la
chose avait déployé un tentacule et en effleurait
son front. La créature n'était pas hostile. Faith
intriguée, distinguait des images mouvantes à la «
surface » de la bête. Elles étaient floues, mais
reconnaissables quand même. Ses souvenirs ! Elle
voyait le visage de sa mère, leur appartement et
ses amies d'école, puis ses premiers petits copains
et ses premiers chagrins, la remise des diplômes,
l'entrée dans la vie active. La créature lisait en elle
! Elle l'étudiait ! Et, même si elle violait son
intimité, Faith ne trouvait pas cela désagréable.
Au contraire, elle ne s'était jamais sentie aussi
bien.
Soudain, la créature prit la parole – Et c'était la
voix de sa mère, Nathalie.
- Faith, c'est bien ton nom, mon enfant ?
- Ou, Oui, répondit-elle.
- Je vois que tu voudrais des réponses à tes
questions, et je sais ce que tu aimerais savoir.
40Elle n'en croyait pas ses oreilles. Elle se pinça.
Intriguée, la créature lui demanda.
- Que fais-tu, mon enfant ?
- Je vérifiais que je ne m'étais pas endormie. Tout
ça est tellement.
- Inhabituel ? Je veux bien le reconnaître.
Faith se sentit blasée. Les puissances surnaturelles
savaient faire de l'humour ?
- Pourquoi, toute cette mise en scène ?
- Ce n'est pas une mise en scène. Il y a très
longtemps, une civilisation très éloignée de votre
système solaire a disséminé des sondes, les
matrices, dans les quatre coins de l'univers, à la
recherche d'un élément très important.
- Quel élément ?
- Toi.
Faith éclata de rire.
- C'est ridicule.
- Non, écoute moi, mon enfant. Un mal terrible a
frappé mon peuple, le peuple de la planète Loria,
nous ne savons toujours pas d'où il a tiré sa
source. Mais il décime mes créateurs un par un.
Alors moi, et d'autres matrices ont été créées, puis
envoyées en explorateurs. Il faut que tu saches
que rien sur notre planète, ni même sur notre
système, ne s'est révélé capable de nous fournir un
remède. Nos scientifiques en avaient la formule,
mais nos éléments n'avaient pas les propriétés
41chimiques adéquates. Je suis logée à cet endroit
depuis des millénaires, et rien n'est jamais
survenu. J'étais en veille.
La créature poursuivit, en changeant de couleur,
en passant du gris au rouge, pour montrer son
excitation :
- Et un beau jour, il a fallu qu'une maison soit
construite, juste au-dessus de moi ! Les êtres qui y
habitèrent étaient différents des autres humains,
car ils m'avaient réveillée ! Je sentais dans leur
constitution que des propriétés nouvelles étaient
nées, tout cela grâce aux mystères de la génétique
! Les loriens sont asexués, et leurs gênes ne sont
jamais combinés avec ceux de leurs partenaires.
Ils se reproduisent par clonage. Ils auraient pu se
trouver n'importe où ailleurs sur le globe, et ils ont
choisi le seul endroit où j'ai pu enfin les détecter.
Imagine ma fierté !
Faith s'installa un peu plus confortablement, en
frissonnant de temps à autre quand la matrice
s'enthousiasmait, projetant des étincelles de
matière autour d'elle.
- Mais, ils n'étaient pas encore assez puissants
pour pouvoir nous sauver. Je végétai donc,
attendant le moment propice ! Le temps passa.
Ces humains exceptionnels eurent un enfant. Il
s'appelait Luc.
42- Mon père !
Oui, Faith. Ton père avait en lui le génome qui
pouvait tous nous sauver, le génome dont on
pouvait extraire l'antidote.
- Pouvait ?
- Oui hélas. Il faut aussi que tu saches que tout
gouvernement, toute vie en communauté a ses
failles. Une religion très dangereuse régit les
loriens depuis la maladie, et la croyance leur
garantit l'immunité. Ce qui est impossible,
évidemment.
- Quel est le problème ?
- Ton, ton père, que j'ai personnellement envoyé
sur Loria, a été congelé et maintenu en état
d'hibernation, afin qu'il ne vieillisse pas. Mais
depuis il s'est beaucoup affaibli, et menace de
mourir. J'ai l'impression que les fanatiques
religieux vont se servir de sa faiblesse pour
prouver qu'il ne peut nous aider et, j'en ai bien
peur, le condamner à mort d'une manière ou d'une
autre.
- Je ne peux pas laisser faire ça !
- Ce n'est pas tout.
- Qu'y a-t-il d'autre ?
Tu as le gène en toi aussi, Faith, et je le ressens
encore plus nettement que chez Luc. Les loriens
peuvent vouloir t’utiliser toi comme ils se sont
servis de lui, et les fanatiques.
43- Essayer de me tuer.
- C'est ce que je voulais que tu comprennes.
Faith se releva, et marcha de long en large.
- Comment sais-tu tout ça ? Mon père est très loin
d'ici, selon toi.
J'ai créé un lien très puissant avec lui, comme je
l'ai fait tout à l'heure avec toi. Je ressens ce qu'il
ressent, et maintenant ce que tu ressens aussi. Il
s’estime en danger.
Emmène-moi là-bas !
- C'est très dangereux.
Faith haussa les épaules, comme une gamine.
- Si tu m'as fait comprendre tout ceci, matrice,
c'est bien dans le but que je sauve mon père, et
surtout les loriens.
Faith voyagea à une vitesse extraordinaire,
qui dépassait largement celle de la lumière, soit
plus de trois cents mille kilomètres à la seconde.
Cependant son périple dura longtemps, elle
attendit plus d’un an dans la navette. Lorsqu’elle
arriva Faith eut le droit à des acclamations de la
part des loriens. Louinoc le chef d’état de Loria,
vint en personne lui témoigner sa reconnaissance
pour avoir accepté de venir de son plein gré sur sa
planète. Lorsqu’Arthos apprit la nouvelle de la
venue de Faith, il écuma de rage, il se demanda si
son assassin Ravilloc avait échoué. Le meurtrier,
44cependant avait préparé un piège terrible, bien que
son traquenard ait une apparence anodine. Le
tueur était aux premiers rangs du comité d’accueil
destiné à célébrer la venue de la fille de Luc. Une
fois qu’elle sortit de sa navette, Ravilloc déboucha
une bouteille, ce simple geste aura des
conséquences terribles. Une discussion s’engagea
entre Faith et Louinoc le président de la planète
Loria, il dit :
- Merci infiniment d’être venu, la gratitude de
mon peuple n’a d’égale que la détresse dans
laquelle nous nous trouvons. Mais grâce à vous et
votre père, nous avons une chance sérieuse de
sortir d’un âge de ténèbres. Que désirez-vous ?
Demandez et si c’est en mon pouvoir, j’exaucerai
votre souhait.
- Je ne désire qu’une chose, voir le plus
rapidement possible mon père.
- Ne vous en faites pas, vous pourrez bavarder
avec lui dès demain. Mais en attendant le jour de
votre rencontre que diriez-vous de participer à un
banquet ?
- Ce n’est pas de refus, le voyage dans votre
navette spatiale était confortable, mais j’en ais
plus que marre d’avoir été nourri sous perfusion,
je rêve de fruits, de légumes et de viande.
- Navré de vous décevoir mais nous sommes
végétariens. En outre le fait de consommer de la
45viande sur Loria est un délit passible d’une
semaine de prison. Toutefois vous ne serez pas
déçus nous avons de succulents fruits et légumes.
Arthos le chef du culte du dieu Asclépias, ne peut
s’empêcher de rendre une visite à Ravilloc le
meurtrier. L’acléspiaste était furieux.
- Quand allez-vous décider à vous bouger le train
au lieu de vous prélasser ? Votre cible prioritaire
est sur Loria depuis plus de dix heures, et pourtant
vous vous reposez. J’attendais de vous de très
bons résultats, mais je suis franchement déçu.
Vous n’êtes qu’un incompétent
- Ne vous en faites pas, d’ici quarante-huit heures,
vos deux principales causes de souci que sont Luc
et Faith, auront disparus. Je leur ai préparé une
petite surprise. Autrement je vous laisse trente
secondes pour vous excusez de m’avoir traité
d’incompétent, passé ce délai je vous tuerai de
manière douloureuse.
Arthos chercha dans le regard de Ravilloc, un
signe de bluff, le chef des asclépiastes, vit que le
tueur ne plaisantait pas. Aussi Arthos présenta de
plates excuses, même si cela heurta sa fierté. La
rencontre entre le père et la fille fut très
émouvante. Faith enlaça pendant vingt secondes
son géniteur et le couvrit de bisous. Les loriens
conscients que les deux parents avaient beaucoup
de retard à rattraper, accordèrent une heure de
46discussion entre le père et la fille, avant de
procéder aux prélèvements de sang, et à des
analyses poussées sur Faith. Luc fut le premier qui
engagea la conversation.
- Comment va ta mère Nathalie ? S’est-elle
mariée ?
- Maman a eu quelques aventures passagères,
mais rien de bien sérieux, en fait je crois qu’elle
est toujours amoureuse de toi papa.
- Même si j’aurais voulu que Nathalie refasse sa
vie, ne ressasse pas le passé, je suis content
qu’elle ne m’ait pas oublié.
- Maman a foi en toi, comme moi, elle a toujours
pensé que tu n’étais pas responsable de ta
disparition.
- Cela me fait beaucoup de bien d’entendre cela,
argh.
- Papa que se passe t-il ?
Luc se mit à éprouver une douleur terrible, et à
cracher du sang. Lui et Faith subirent alors des
tests sanitaires. À moins d’un miracle ils étaient
condamnés, car tous les deux souffraient de la
mort violette, une terrible maladie, inoffensive sur
les loriens, et les aridiens, mais encore plus
dévastatrice que l’ébola sur les terriens. Ravilloc
l’assassin avait joué un coup de maître.
La mort violette ?
47Le mot faisait peur, les loriens savaient que ce
mal étrange ne les affecterait pas, mais les
récentes manipulations opérées avec le patrimoine
génétique humain, les rendaient extrêmement
anxieux sur la question des maladies terriennes.
Les médecins et infirmiers loriens ne passaient
que peu de temps avec eux, pressés de se
décontaminer les membres après chaque contact.
- Reculez-vous ! Cria soudain le médecin en chef
lorien le docteur Zéréyon, à l’attention de Faith,
qui avait subi une batterie d’examen longs,
douloureux et qui voulait prendre son père si mal
en point dans ses bras.
« Les résultats des tests sanguins me sont
parvenus, Faith, il semblerait que vous ne soyez
pas encore infectée à cause de gènes vous donnant
un haut de niveau de résistance à la mort violette.
C’est un miracle que je ne comprends pas, à ce
stade de nos connaissances de la maladie. Vos
quelques symptômes physiques ne sont que des
réactions normales au contrecoup du voyage. »
Faith faillit sauter de joie.
48« Par contre votre père est condamné. La maladie
a progressé à 70%. Il sera mort demain soir ».
Conclut le médecin sans aucun ménagement
Faith fut portée de bras en bras, tentant mollement
de se débattre, mais trop glacée par l’horreur de la
situation pour hurler ou réagir violemment. Tandis
qu’on éloignait la jeune fille, son père était placé
sous une cloche de quarantaine technologique
dans une unité de décontamination du laboratoire
d’expérience, que Luc avait fréquenté toutes ces
années en toute liberté. À présent, il était enfermé
à double tour par une clé électronique tandis que
de lourdes sangles métalliques le maintenaient à
son lit. Son agonie était palpable de minutes en
minutes sous les yeux du docteur Zéréyon, resté à
son côté malgré la terreur. Des bubons noirs-
violacés se développaient sous ses bras et ses
cuisses tandis que la fièvre le rendait brulant,
terrassé et grelottant. La mort violette n’était autre
qu’une forme extraterrestre particulièrement
virulente de la peste !
Tout se passait à une vitesse qui tranchait avec la
lenteur habituelle des loriens et qui ne permettait
pas à Faith de bien comprendre. Elle se trouva,
elle aussi dans une chambre de confinement
stérile aux murs blancs et sans fenêtre, éloignée à
49jamais de son père. Un seul lit aux draps blancs et
frais occupait l’essentiel de l’espace. Soudain,
l’agitation autour d’elle cessa. Les médecins
loriens quittèrent la pièce. Elle réalisa brutalement
la gravité des choses, s’effondra par terre et pleura
toutes les larmes de son corps.
Le temps semblait s’être arrêté dans la chambre
stérile. D’abord prostrée, Faith hurla à l’aide.
Personne ne venait. Elle tambourina sur les murs
sans vraiment discerner l’emplacement de la porte
qu’elle avait pourtant franchi quelques instants
plus tôt, totalement désorientée par les murs,
tellement immaculés qu’ils en perdaient tout
relief. Toujours rien. La panique l’étreignait et
faisait flageoler ses jambes.
« Il faut repartir sur Terre pour demander du
secours. Les terriens sauront soigner ton père.
C’est un mal que j’ai déjà vu par le passé chez vos
congénères. »
Une voix impassible et blanche s’était élevée de
nulle part. Faith sursauta. Elle était presque
certaine que la voix venait de sa tête. Mais ce
n’était pas une pensée à elle.
- Qui est là ? Nom de Dieu, qui est là ? Cria la
jeune fille.
50- Je suis la matrice, celle qui t’as transportée
jusqu’ici. J’ai été aménagée pour assurer ta
protection, je ne serai désactivée que lorsque mon
programme estimera que ma mission est terminée.
Je reste donc en veille, en permanence branchée
sur tes ondes cérébrales que je scrute à distance.
- Super ! Big Brother veille sur moi ! Conclut
ironiquement Faith, soulagée pourtant de la
présence de cet ange gardien providentiel.
- Il faut sortir d’ici, retrouver ton père et repartir
dans la sonde sans éveiller les soupçons des
loriens, ni des mystérieux assassins qui vous
traquent. Il conviendrait d’ailleurs d’éliminer cette
menace si cela nous est possible. Nous
kidnapperons le docteur Zéréyon, qui semble être
le mieux informé sur la mort violette. Reprit très
calmement la matrice dont le pragmatisme faisait
froid dans le dos.
Et comment stopper l’évolution de la maladie le
temps du voyage ? Sans compter que sur Terre, il
faudrait trouver illico un spécialiste des maladies
infectieuses sans trop contaminer le reste de
l’humanité. Faith énuméra dans son esprit la liste
51des choses insurmontables qu’il faudrait faire
pour préserver sa vie et celle de son père.
- Quelles sont nos chances de réussite ? Demanda
Faith qui espérait une lueur d’encouragement.
- Une chance sur trois cent quatre-vingt-six
millions et des poussières, répondit l’imperturbable matrice.
Faith s’effondra par terre. Mieux valait rester
prostrée, pleurer son père. Elle se sentait si lasse,
si désespérée. L’abattement était à son comble. La
matrice lui envoya une très légère secousse
électrique par onde cérébrale, puis une seconde,
puis une troisième.
- Ok ! Ok ! On y va !
La matrice permit à Faith de sortir de sa chambre,
puis la guida, jusqu'au domicile du docteur
Zéréyon. La matrice produisit une arme laser,
qu'elle donna à la fille de Luc. Faith était fébrile,
elle se demandait quand elle entra chez Zéréyon si
son père était encore vivant.
- Docteur excusez-moi de vous braquer, mais
comme je ne suis pas sûre d'obtenir votre
coopération, je prends quelques précautions.
52- Ce n'est pas la peine de recourir à la force, je
suis prêt à faire tout ce qui est mon pouvoir pour
vous aider.
- Docteur quelles sont les chances de survie de
mon père ?
- Elles sont proches de 0%, d'ici vingt-quatre
heures il devrait mourir. Sauf si nous employons
un moyen très risqué. Le voyage en navette de
Loria à la Terre sera trop lent pour que nous
puissions ramener à temps un antidote à la
maladie de votre père. Toutefois je travaille sur un
téléporteur expérimental qui devrait vous
transporter en quelques secondes sur Terre.
L'ennui c'est que vous risquez de devenir folle à
lier, si je vous téléporte.
- Tant pis, je viens juste de retrouver mon père, je
veux faire le maximum pour le sauver.
- Il y a un autre danger, sur Loria il est possible de
vous protéger. Sur Terre, vous serez à la merci de
l'assassin qui a infecté votre père.
- Raison de plus pour agir, je veux damer le pion
au pourri qui s'en prend à ma famille.
- Très bien puisque vous êtes décidée, je vous
enverrai près du domicile de Pascal Galaté, il est
le meilleur spécialiste humain de la mort violette.
Le docteur Zéréyon avait eu raison de mettre en
garde Faith, Ravilloc avait entendu grâce à son
53capteur de sons, toute la conversation entre Faith
et Zéréyon. Sa proie avait échappé à la maladie,
mais Ravilloc comptait bien l'avoir avec une
méthode plus traditionnelle, un coup de laser dans
la tête. Peu après que Faith ait été téléportée,
Ravilloc raconta à Zéréyon qu'un complice à lui
avait pris en otage le fils du docteur. Par
conséquent Zéréyon se sentit obligé d'envoyer
Ravilloc sur Terre. Faith ne sortit pas indemne de
sa téléportation, en effet elle était devenue
paranoïaque. Son premier réflexe n'était pas
d'aller chez le spécialiste terrien de la mort
violette. Mais de se diriger dans un magasin pour
acheter de l'aluminium, afin de s'en faire un
chapeau destiné à la protéger des liseurs de pensée
du gouvernemen

Posté le : 21/05/2016 13:35

Edité par Loriane sur 25-05-2016 21:17:41
Edité par Loriane sur 25-05-2016 21:20:21
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L'Odysséa vers Loria
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Hors Ligne
Le voyage vers Loria



Pour ceux qui ont participer à ce livre à plusieurs mains et pour les autres, voici le lien pour le trouver gratuitement :



http://www.lulu.com/shop/bacchus-and- ... ook/product-22705472.html

Un grand merci à Saulot

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Posté le : 21/05/2016 13:24

Edité par Loriane sur 25-05-2016 21:10:14
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Défi du 21 mai 2016
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Bonjour les Loréens,

Depuis petite, j'aime les expressions françaises. Elles sont parfois drôles et ont souvent toute une histoire que notre Loriane nous livre sur le forum "Le RDV des copains (http://www.loree-des-reves.com/module ... p?topic_id=1200&start=750)".

Alors, je vous invite à vous pencher sur celle qui nous déclare : "Pierre qui roule n'amasse pas mousse". N'hésitez pas à écouter les Rolling Stones pour trouver l'inspiration (n'est-ce pas Donald..) Et pourquoi pas parler de Pierre qui a tellement bu qu'il ne peut plus prendre une mousse supplémentaire au petit troquet de Kjtiti. Ou encore des pierres qui ornent un joli chemin de Bourgogne, près de la maison d'Istenozot.

Je vous laisse cogiter et vous embrasse.

Couscous

Posté le : 21/05/2016 10:02
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Re: Défi du 14 mai 2016
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Hors Ligne
Mon Donald,

Désolée pour ma lecture tardive. Ton texte est une jolie analyse de l'humain et son subconscient complexe. On peut se pourrir la vie et bloquer son imaginaire rien qu'en se projetant dans un futur probable.

Merci pour cette double participation.

Bises

Couscous

Posté le : 20/05/2016 19:59
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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